Mardi 2 février 2010

- Présidence de M. Dominique Braye, président -

Audition de M. Philippe Van de Maele, président, et de MM. Daniel Béguin, directeur des déchets et des sols, et Marc Cheverry, chef du département « gestion optimisée des déchets », de l'agence de l'environnement et de la maîtrise de l'énergie (ADEME)

La mission commune a procédé à l'audition de M. Philippe Van de Maele, président, et de MM. Daniel Béguin, directeur des déchets et des sols, et Marc Cheverry, chef du département « gestion optimisée des déchets », de l'agence de l'environnement et de la maîtrise de l'énergie (ADEME).

Après avoir remercié les intervenants, M. Dominique Braye, président, a présenté les objectifs de la mission d'information sur les déchets, puis M. Daniel Soulage, rapporteur, a précisé qu'elle était une première application du nouveau règlement du Sénat qui permet la création de missions communes d'information à la demande d'un président de groupe politique, le groupe de l'Union centriste ayant pris en l'occurrence cette initiative. Compte tenu de l'ampleur de la question des déchets, le champ d'étude de la mission a été limité aux déchets ménagers. Son rapport devrait être avant tout un guide à la décision des élus locaux pour qui les débats du Grenelle n'ont pas nécessairement été très éclairants, voire ont fait naître des doutes et des inquiétudes supplémentaires. Ce document aura donc comme but principal d'aider les élus, en mettant en évidence les conséquences qui résultent du choix de telle ou telle technique de traitement et en présentant les informations recueillies sur chacune d'entre elles et les questions qui restent non résolues.

M. Daniel Soulage, rapporteur, a ensuite indiqué les points sur lesquels il souhaitait orienter les travaux de la mission :

- les moyens que l'Etat et ses services sont capables de mettre à la disposition des élus pour les aider dans leurs choix ;

- l'argumentaire dont les élus peuvent disposer pour convaincre les citoyens et les associations du bien-fondé de leurs choix. Cela rejoint une autre question : la particularité de la France où existent une forte opposition à certaines techniques et des inquiétudes parfois infondées ;

- le lien entre traitement des déchets et pollution des sols, qui pose la question de la qualité du compost produit et de son acceptabilité par la filière agricole comme un produit utilisable dans la chaîne alimentaire ;

- le lien entre le choix de la technique de traitement et celui des procédés de collecte et leur adaptation au type d'habitat, rural et dispersé, ou urbain et collectif.

M. Philippe Van de Maele, président, a tout d'abord insisté sur la priorité de l'objectif de réduction des déchets, notamment par le développement de l'éco-conception, et a rappelé l'existence d'un fonds d'intervention destiné à accompagner les collectivités dans leurs actions de prévention. Après avoir évoqué le tri et le recyclage, il a estimé que l'incinération posait un double problème : son rejet par les populations et le fait que « plus on incinère, moins on trie ». Après avoir souligné la nécessité d'un tri efficace des déchets ménagers fermentescibles pour aboutir à un digestat de bonne qualité, il a jugé que la qualité du compost issu du tri mécano-biologique n'était pas suffisante.

M. Dominique Braye, président, a relevé qu'au niveau européen, les pays qui incinèrent le plus sont ceux qui trient le plus.

M. Daniel Béguin, directeur « Déchets et sols », a insisté sur l'importance de la prévention et de la complémentarité des filières, celles-ci devant être adaptées aux types de déchets. S'agissant de l'amélioration du recyclage, il a précisé qu'un travail avec « Eco-emballages » était en cours pour augmenter la collecte de plastique et que, pour atteindre les objectifs du Grenelle en matière de recyclage, de réels progrès devaient être effectués sur la matière organique.

Jugeant que l'incinération avait toute sa place, notamment pour ce qui concerne les grandes agglomérations, il a expliqué qu'une forte taxation de cette filière avait été décidée dans le cadre du Grenelle au terme d'un compromis passé avec les associations pour « échapper » au moratoire qu'elles demandaient. Il a jugé dommageables les effets de cette décision, qui a jeté un discrédit sur cette technique alors même qu'elle peut être très opportune dans le contexte actuel de lutte contre le changement climatique. Elle permet en effet une valorisation énergétique préférable à l'utilisation de combustibles fossiles, surtout lorsque ceux-ci ne sont pas brûlés dans les meilleures conditions. Or, si le parc d'incinérateurs n'est pas rapidement renouvelé, il existe un risque réel d'insuffisance de capacité de traitement des déchets.

S'agissant de la valorisation organique, il a souligné la fragilité de la position de la France, seul pays européen avec l'Espagne à utiliser le tri mécano-biologique pour produire du compost. Les discussions européennes sur le projet de directive concernant les sols ou sur la mise en oeuvre de la directive cadre relative aux déchets montrent des oppositions à cette technique. Pour ces raisons, l'ADEME ne souhaite pas l'encourager par des aides financières. M. Daniel Béguin a ajouté que la solution alternative de la collecte sélective de la fraction organique n'était pas facile à mettre en place en France, mais qu'elle était d'ores et déjà obligatoire aux Pays-Bas et très répandue en Allemagne. Il a déploré que des collectivités territoriales effectuent, par réaction à des oppositions locales à l'incinération, des choix qui ne sont pas forcément pertinents, comme celui du tri mécano-biologique. Il a jugé indispensable d'expliquer les options retenues aux associations et d'effectuer des études de cas.

M. Daniel Soulage, rapporteur, ayant soulevé le problème du manque d'expertise des élus locaux face aux vendeurs de technologies, M. Daniel Béguin a rappelé le rôle des bureaux d'études indépendants des grands groupes et précisé que l'ADEME venait d'élaborer un référentiel sur les coûts à partir de l'expérience de cent collectivités territoriales.

Après avoir insisté sur l'absence d'opposition entre incinération et qualité du tri, M. Daniel Dubois a souligné l'importance du rôle pédagogique de l'ADEME pour aider au renouvellement du parc d'incinérateurs. Jugeant indispensable une réflexion sur le coût de gestion des ordures ménagères, il a mis en exergue un risque croissant de mécontentement des citoyens sur ce sujet, notamment dans les territoires ruraux. Il a estimé nécessaire d'adapter la taxe d'enlèvement des ordures ménagères pour mieux prendre en compte les exigences de sécurité pour la collectivité et d'équité pour le citoyen.

Après avoir exprimé son accord avec ce dernier constat, Mme Évelyne Didier a déploré l'incertitude actuelle entourant les préconisations des pouvoirs publics. Puis, elle a interrogé les intervenants sur les moyens d'impliquer davantage les entreprises dans l'objectif de prévention des déchets, sur la position de l'ADEME vis-à-vis du concept « d'éco-parcs » réunissant, sur un même site, différentes techniques et, enfin, sur l'utilité du tri mécano-biologique.

M. Marcel Rainaud a estimé que chaque département devait disposer d'un exutoire final et déploré le comportement procédurier de certaines associations.

Résumant les interventions, M. Dominique Braye, président, s'est interrogé sur la maîtrise des coûts, l'encouragement à l'éco-conception, la place de l'incinération et les modalités optimales de valorisation des ordures ménagères résiduelles. Il a ensuite évoqué les limites de l'utilité du recyclage des plastiques en rappelant que certains d'entre eux avaient un haut pouvoir calorifique.

Après s'être interrogé sur les moyens d'améliorer l'image de l'incinération, M. Daniel Soulage, rapporteur, a souhaité connaître la position de l'ADEME sur la valorisation du biogaz et sur l'évolution prévisible des normes européennes de qualité du compost.

M. Philippe Van de Maele a souligné que la tarification incitative fait partie de la politique actuelle de prévention. Estimant qu'il n'existe pas, dans les grandes agglomérations, d'obligation de choix entre les filières, il a relevé qu'il y aura toujours besoin de centres d'enfouissement technique ou d'unités d'incinération pour le traitement final des déchets.

En réponse aux différents intervenants, M. Daniel Béguin a précisé les éléments suivants :

- il existe en Bretagne un problème spécifique lié à la nature des sols  pour l'installation de sites de stockage ;

- la politique de prévention se traduit actuellement par des incitations à la recherche visant à aider les industriels dans la conception de nouveaux produits et par des mesures tendant à l'amélioration de l'affichage environnemental qui devront s'appliquer, aux termes du projet de loi portant engagement national pour l'environnement, à partir de 2011 ;

- la hausse des coûts n'est pas liée à l'augmentation du tri mais aux nouvelles normes applicables en matière de stockage et d'incinération ;

- des marges de manoeuvre pour maîtriser les coûts existent au niveau de la collecte, par exemple grâce à la réduction du nombre de collectes des ordures ménagères résiduelles, ou encore en faisant davantage participer l'industrie dans le cadre de la responsabilité élargie du producteur, système qu'il conviendrait d'étendre à de nouveaux produits.

M. Marc Cheverry, chef du Service Prévention et Gestion des Déchets, a ajouté les précisions suivantes :

- en Allemagne, des oppositions locales à la création d'incinérateurs se manifestent mais il existe un consensus entre les grands groupes politiques et les associations aux termes duquel l'incinération est perçue comme un bon élément de la politique énergétique, ce consensus ayant été atteint après un développement important du tri et de la collecte sélective dans ce pays ;

- il est indispensable de simplifier les consignes de tri pour les habitants et de rationaliser l'organisation des centres de tri, dont un certain nombre sont aujourd'hui trop petits ou exigent trop d'opérations manuelles ;

- les normes relatives à la qualité du compost vont inévitablement se durcir du fait de la volonté de limiter la contamination des sols par les métaux ou les matières inertes, la définition des flux de contaminants dépendant au demeurant de la nature des sols ; le développement de l'agriculture biologique et le retour à une bonne qualité des sols sont difficilement envisageables sans durcissement des règles de qualité, les agriculteurs eux-mêmes jugeant la norme française actuelle insuffisante sur les teneurs en inertes, la nécessité de la traçabilité et la qualité des analyses, dont le nombre doit davantage varier en fonction de la taille des installations ;

- le tri à la source des ordures est toujours plus efficace qu'un tri mécano-biologique, l'équilibre résidant dans la collecte à la source des plus gros gisements et le tri de la fraction restante.

M. Daniel Béguin a précisé que l'ADEME est favorable à une collecte sélective des biodéchets auprès des gros producteurs et qu'elle juge intéressant le développement en milieu rural d'une collecte sélective en porte à porte, un effort conséquent devant être consenti pour en améliorer l'acceptabilité par les populations. Répondant à une interrogation de M. Daniel Soulage, rapporteur, sur l'utilité des composteurs individuels, il a jugé indispensable d'accompagner leur distribution d'actions incitant les habitants à s'en servir. Il a ensuite estimé que la méthanisation allait se développer du fait de son double avantage en terme de valorisation organique et de production d'énergie. Ce procédé devrait surtout concerner des déchets spécifiques comme les effluents d'élevage ou les boues de stations d'épuration, son efficacité n'étant en revanche pas avérée pour les ordures résiduelles. Il existe une réelle préoccupation quant aux projets actuellement en cours et l'ADEME va mettre en place une évaluation des différentes opérations. La méthanisation étant pertinente si elle s'inscrit dans une logique de production d'énergie, il a relevé que la valorisation énergétique est une préoccupation de second rang pour ce qui concerne la gestion des déchets ménagers.

En réponse à une question de M. Dominique Braye, président, sur l'utilisation prévue des 250 millions d'euros du « grand emprunt » alloués à la politique des déchets, M. Philippe Van de Maele a précisé que l'objectif était d'aider la recherche, notamment sur les sols pollués, l'éco-conception et le traitement des déchets, à travers des appels à projets.

Audition de MM. Guy Geoffroy, président, et Jean-Claude Peres, délégué général, de l'Association pour la méthanisation écologique des déchets (Méthéor)

Puis la mission a procédé à l'audition de MM. Guy Geoffroy, président, et Jean-Claude Peres, délégué général, de l'Association pour la méthanisation écologique des déchets (Méthéor).

M. Dominique Braye, président, a rappelé les circonstances de création de la mission commune d'information sur le traitement des déchets, et souligné qu'une partie de ses travaux serait consacrée à la valorisation organique des déchets ménagers. A cet égard, les premières expériences de méthanisation ou de compostage sur ordures ménagères ne semblent pas parfaitement concluantes.

M. Daniel Soulage, rapporteur, a précisé que la mission envisagerait également la question du compostage sous son angle agronomique, en lien avec les enjeux liés à la pollution des sols et aux débouchés possibles du compost dans la filière agricole.

M. Guy Geoffroy est brièvement revenu sur la création de Méthéor et sur la diffusion des techniques de valorisation organique des déchets en Europe, qui ont été développées de longue date par le centre de traitement de Varennes-Jarcy. Méthanisation et compostage ne doivent pas être opposés à d'autres techniques de traitement des déchets, et s'inscrivent résolument dans une logique multi-filières, où les différentes technologies sont complémentaires. Ils ne doivent pas davantage dispenser d'un effort de prévention par la réduction du volume des déchets, leur réemploi et leur recyclage, conformément aux objectifs du Grenelle de l'environnement.

L'unité de Varennes-Jarcy procède à la fois à la valorisation organique de la fraction fermentescible des déchets, qui aboutit à la production de compost conforme à la norme NFU44051, et à la méthanisation des déchets, dont sont issus le biogaz combustible et le biogaz carburant, ce dernier permettant d'alimenter les véhicules chargés de la collecte et de diminuer les émissions de gaz à effet de serre. 40 à 50 % des tonnages entrants font l'objet de ces traitements, le reliquat étant traité par incinération et par stockage pour les déchets ultimes.

M. Guy Geoffroy a indiqué que trois ambitions guidaient les adhérents de Méthéor. La première est de promouvoir des technologies de traitement économiquement équilibrées, attestées par l'exemple de Varennes-Jarcy. Il convient, par ailleurs, de minimiser l'impact environnemental du mode de traitement choisi. A cet égard, les gestionnaires du site sont attentifs au respect de la norme de qualité, sans lequel le compost produit serait privé de tout débouché. Une troisième ambition consiste à développer la valorisation du biogaz sous des formes alternatives à la production d'électricité, et notamment sous la forme de carburant ou par substitution au gaz de ville fossile. Méthéor est ainsi associé à Gaz de France pour la création de stations « gaz naturel véhicules » (GNV) distribuant du bio-GNV issu du biogaz.

A la demande de M. Daniel Soulage, rapporteur, M. Guy Geoffroy a souligné que la comparaison des coûts de traitement entre diverses installations soulevait certaines difficultés méthodologiques. Le coût global de l'unité de Varennes-Jarcy a ainsi pu être contenu à 30 millions d'euros, en raison de la réutilisation de broyeurs existants. Les coûts de collecte et de traitement s'élèvent à 189 euros par tonne - dont 115 euros pour la collecte et 74 euros pour le traitement - et à 114 euros par habitant, dépenses de personnel incluses. Le traitement de la fraction fermentescible des déchets représente un coût de 55 euros par tonne, contre 85 euros par tonne pour les ordures ménagères résiduelles (OMR). Le moindre coût de traitement associé à la fraction fermentescible constitue un encouragement à collecter séparément le maximum de cette fraction, même si cette collecte séparée peut présenter des difficultés en milieu urbain dense.

M. Dominique Braye, président, s'est interrogé sur l'intérêt de la méthanisation sur ordures ménagères, dont la composition est traditionnellement très hétérogène, ainsi que sur la place de ce mode de traitement par rapport au compostage simple.

M. Daniel Soulage, rapporteur, a questionné les intervenants sur le caractère pleinement opérationnel et reproductible des technologies mises en oeuvre à Varennes-Jarcy.

A cette dernière question, M. Guy Geoffroy a répondu que la qualité du compost produit à Varennes-Jarcy était bien supérieure à la norme minimale. S'agissant du caractère pleinement opérationnel de l'installation, il a admis que des difficultés avaient surgi au cours de la construction, et qu'un des deux digesteurs ne fonctionnait pas. Il s'est toutefois dit pleinement ouvert à toute évaluation indépendante du site, notamment par l'Agence de l'environnement et de la maîtrise de l'énergie (ADEME).

M. Jean-Marc Pastor a souhaité connaître les principales caractéristiques techniques des digesteurs utilisés, les débouchés du compost et son prix de vente, les conditions de raccordement au réseau de gaz et la fiscalité applicable aux procédés utilisés.

Après avoir détaillé les diverses phases de dégradation biologique des biodéchets, M. Jean-Claude Peres a indiqué que l'opération de compostage durait deux mois et que son produit était acheté par les céréaliers de la région, au prix moyen de 2 euros la tonne. Ce compost permet de limiter l'usage des engrais et de régénérer l'humus des sols.

M. Guy Geoffroy a ajouté que les agriculteurs avaient d'abord été réservés sur le compost issu de Varennes-Jarcy, qu'ils n'utilisaient que s'il leur était directement apporté sur l'exploitation. La familiarisation avec ce produit de qualité permet désormais de le vendre, sans aucun problème de débouché. Par ailleurs, il a indiqué ne pas connaître les conditions de raccordement au réseau de gaz, l'unité de Varennes-Jarcy se bornant à produire du biogaz-carburant. S'agissant enfin de la fiscalité applicable, il a jugé paradoxal d'assujettir ce type d'installation à la taxe générale sur les activités polluantes (TGAP), d'autant qu'une exonération totale de la méthanisation ne créerait pas de perte de recettes substantielle pour l'Etat.

M. Dominique Braye, président, a reconnu les qualités de l'installation de Varennes-Jarcy, tout en relevant les opinions contrastées exprimées au sujet de la méthanisation. Aucune installation existante ne semble produire plus d'énergie qu'elle n'en consomme, et chaque détenteur d'une technologie est enclin à la promouvoir avec vigueur, ce qui ne permet pas toujours de disposer de données parfaitement fiables et objectives.

A Mme Evelyne Didier, qui s'interrogeait sur l'avenir du compost produit à Varennes-Jarcy en cas de durcissement de la norme NFU44051, ainsi que sur le traitement des odeurs sur le site, M. Guy Geoffroy a répondu :

- que la qualité du compost actuel était très supérieure aux exigences réglementaires ;

- que l'usine avait été mise en dépression, et qu'aucune nuisance olfactive n'était constatée au-delà de trente à quarante mètres du lieu précis de déchargement des déchets dans l'installation.

M. Dominique Braye, président, a conclu en remerciant les intervenants d'avoir fait partager à la mission leur expérience de « pionniers » en matière de compostage et de méthanisation.