Lundi 13 septembre 2010

- Présidence de Mme Isabelle Debré, vice-présidente -

Gestion de la dette sociale - Examen des amendements au texte de la commission

La commission examine les amendements sur le projet de loi organique n° 672 (2009-2010) relatif à la gestion de la dette sociale dans le texte n° 691 (2009-2010) adopté par la commission le 1er septembre 2010 dont M. Alain Vasselle est le rapporteur.

Après avoir entendu les explications de M M. Bernard Cazeau, Jacky Le Menn et Guy Fischer, la commission donne un avis défavorable :

- aux motions n° 1 tendant à opposer l'exception d'irrecevabilité présentée par les membres du groupe socialiste, apparentés et rattachés et n° 3 tendant à opposer la question préalable présentée par les membres du groupe CRC-SPG ;

- aux amendements de suppression de l'article premier n° 2 présenté par les membres du groupe socialiste, apparentés et rattachés et n° 4 présenté par les membres du groupe CRC-SPG ;

- à l'amendement n° 5 présenté par les membres du groupe CRC-SPG visant à supprimer la clause de garantie introduite par la commission à l'article premier à l'initiative du rapporteur général Alain Vasselle.

Mardi 14 septembre 2010

- Présidence de Mme Muguette Dini, présidente -

Réforme des retraites - Audition de MM. Jean Lardin, président, et Pierre Burban, secrétaire général, de l'union professionnelle artisanale (UPA)

M. Dominique Leclerc, rapporteur. - Après vous avoir entendus récemment sur la philosophie générale de la réforme des retraites, nous portons grand intérêt à la position de l'UPA sur le projet de loi qui sera prochainement soumis au Sénat et notamment sur la pénibilité et sur le dispositif des carrières longues.

M. Jean Lardin, président de l'UPA. - J'ai eu effectivement l'occasion de vous dire le soutien de l'UPA à l'allongement de la durée d'activité et au recul à soixante-deux ans de l'âge légal de la retraite : ce report est nécessaire pour des raisons démographiques, nous prenons nos responsabilités en l'acceptant pour tel.

Sur la pénibilité, l'UPA est dans une position quelque peu originale puisque, si nous nous plaçons naturellement d'un point de vue patronal, nous n'oublions pas que la plupart de nos membres ont été longtemps des salariés. C'est pourquoi nous aurions préféré que la négociation sur la pénibilité ait lieu en tant que telle, plutôt qu'adossée à la réforme des retraites, et nous souhaitons qu'elle ne se traduise pas par une augmentation des charges patronales.

D'une manière générale, nous pensons que la pénibilité doit être prévenue, via l'amélioration des conditions de travail, et que les pathologies qui lui sont liées doivent être appréciées au cas par cas par un médecin, plutôt que par secteur d'activité. Rien ne serait pire que d'établir une pénibilité par branche d'activité, par exemple pour le BTP. Comme électricien, je sais d'expérience que des personnes sont en pleine santé dans cette branche, tout comme d'autres sont affectées par leur tâche : la situation est très variable. Une pénibilité appliquée à un secteur d'activité comme le BTP, ce serait une double peine : d'abord la cotisation supplémentaire, ensuite l'image dégradée pour le secteur, qui serait étiqueté comme « pénible », alors que nous travaillons depuis au moins vingt ans à renforcer son attractivité et à renforcer la prévention.

Les difficultés des polypensionnés, ensuite, concernent la plupart de nos cotisants et la séparation entre public et privé n'a pas beaucoup de sens : les cas sont très nombreux où, au moment de prendre sa retraite d'artisan ou de commerçant, une personne a quelques années à valider qu'elle a passées comme agriculteur relevant de la MSA, comme fonctionnaire, comme salarié du privé ou comme indépendant. Et les caisses imposent, dans le calcul des vingt-cinq meilleures années, des règles qui jouent trop souvent en la défaveur des retraités, ce qui se traduit par des pensions inférieures à ce qu'ils avaient calculé. Chaque caisse doit jouer le jeu dans le calcul des vingt-cinq meilleures années, il faut réparer l'injustice faite aux retraités : le Premier ministre et le ministre du travail se sont engagés dans ce sens en nous recevant.

Pour les carrières longues, l'UPA est favorable à la poursuite du dispositif adopté en 2003 par la réforme Fillon : ce dispositif va arriver à son terme dans quelques années à peine. Il faut le maintenir, c'est une juste reconnaissance du travail accompli par ceux qui ont commencé à travailler très tôt.

Enfin, l'UPA souhaite un élargissement de l'assiette de la cotisation vieillesse, au-delà des seuls éléments liés au travail et à l'emploi. Le nombre d'heures travaillées a baissé en 2009, mais le nombre de pensions à verser augmente, avec l'allongement de la durée de la vie : à ce rythme, on va dans le mur, il faut élargir l'assiette des cotisations.

M. Dominique Leclerc, rapporteur. - Alain Vasselle reviendra sur la question des ressources de l'assurance vieillesse. Cependant, dès lors que les retraites sont contributives, il est normal que les charges sociales y afférentes reposent sur l'emploi et le travail : le reste relève de la solidarité nationale.

Le phénomène des « polypensionnés » se généralise et il est vrai que les caisses, en calculant les pensions au prorata des années travaillées dans chaque régime, pénalisent les cotisants : nous prenons acte de votre demande légitime d'une prise en compte plus fidèle de la réalité. La fusion, dans le cadre du régime social des indépendants (RSI), des régimes obligatoires de base et complémentaires des commerçants et des artisans, va dans le bon sens. Le projet de loi, du reste, prévoit une meilleure information des cotisants, qui disposeront d'une évaluation précise de leurs droits à pension. Que pensez-vous de ces avancées ?

La réforme du RSI, avec la création de l'interlocuteur social unique, a provoqué d'importantes difficultés dans le recouvrement des cotisations : comment expliquez-vous cette évaporation, qui s'élèverait à plusieurs milliards par an ?

Vous évoquez enfin votre préférence pour une approche individualisée de la pénibilité, avec l'intervention d'un médecin. C'est réaliste dans les secteurs d'activité que vous représentez. Cependant, pensez-vous que la médecine du travail puisse faire face à la charge de travail qu'on lui demanderait ainsi ?

M. Alain Vasselle, rapporteur général. - A propos de la pénibilité, seriez-vous favorable au renforcement des contrôles et des sanctions à l'égard des entreprises qui n'investissent pas suffisamment pour adapter les postes de travail aux normes européennes relatives à la sécurité des salariés ? C'est une demande forte des syndicats, et il est dans l'intérêt de tous que les salariés travaillent dans de bonnes conditions de sécurité.

Vous souhaiteriez voir élargie l'assiette des cotisations ; à quelles sources de financement pensez-vous ? Imaginez-vous un basculement complet sur la CSG ? Faut-il étendre l'assiette de la CSG ?

J'aimerais connaître aussi votre opinion sur ce débat qui agite l'opinion, entre ceux qui prétendent qu'un accroissement des prélèvements suffirait à financer les retraites et ceux qui tiennent pour certain qu'il faut également augmenter la durée d'activité, donc reculer l'âge du départ à la retraite. Qu'en pensez-vous ? Les mesures financières proposées n'ont pas un rendement qui réponde aux besoins : il faut trouver 45 milliards d'euros.

Enfin, seriez-vous favorable à un changement de système de retraites dans notre pays ? Faut-il s'y préparer ?

M. Yves Daudigny. - Vous estimez insuffisante l'assiette des cotisations. Quelles propositions faites-vous pour l'élargir ? Le Gouvernement prévoit des recettes nouvelles. Pensez-vous qu'il faille aller plus loin ? Êtes-vous favorable à une augmentation des prélèvements obligatoires ?

M. Jean Lardin. - La médecine du travail pourrait-elle assumer la charge liée à l'évaluation de la pénibilité ? En l'état actuel, je ne le pense pas. Au sein du Conseil économique et social, j'ai constaté que les rapports sur la médecine du travail se suivent et que les problèmes demeurent : les réformes proposées, par la nécessité du consensus, ne vont pas au-delà de mesures économiques insuffisantes, alors qu'il faudrait aller bien plus loin, en ouvrant les fonctions à la médecine de ville par exemple, ou en réformant de fond en comble la médecine du travail. Il faudrait en effet, la conforter, voire réhabiliter son autorité.

Sur le RSI, je veux rappeler le défi qu'a représenté la fusion des trois régimes, bien avant que l'Etat n'engage la RGPP ; c'était une opération très risquée et courageuse, qui n'a pas plu aux gestionnaires des petites caisses et qui n'est pas encore parvenue à son terme. Le regroupement informatique des trois anciennes caisses est un travail colossal, qui demande des moyens importants.

Quant à l'« évaporation » de recettes que vous évoquez, elle n'est pas de notre fait.

M. Pierre Burban, secrétaire général de l'UPA. - Je m'inscris même en faux contre le terme d'évaporation. Le RSI est entré en vigueur le 1er janvier 2008, nous rencontrons certes des difficultés, mais les problèmes d'informations ne représentent qu'un dossier sur dix, c'est très peu pour la fusion de tels fichiers. Les problèmes se règlent progressivement mais j'attire votre attention sur le fait qu'ils se posent aussi au régime général, car ils concernent des cas complexes, liés par exemple au changement de statut ou à des difficultés lors de l'immatriculation. Ensuite, si l'interlocuteur social unique (ISU) fait faire des gains de productivité, ces gains ont été anticipés : le nombre d'agents a été réduit avant même que les effets de la réforme soient effectifs, comme cela ressort des conventions d'objectifs et de gestion entre l'Etat et l'Acoss, d'une part, l'Etat et le RSI, d'autre part. On peut donc dire que les difficultés actuelles sont en grande partie liées au manque de préparation de la réforme.

M. Dominique Leclerc, rapporteur. - Je faisais référence au rapport de la Cour des comptes, constatant que les difficultés de recouvrement, liées à l'informatique, atteindraient deux milliards. Il nous paraît inconcevable que l'informatique occasionne un tel décalage : la fusion n'est-elle pas l'occasion pour vous de reprendre la maîtrise du dossier dans son ensemble, avec le calcul, le recouvrement et la liquidation des pensions ?

M. Jean Lardin. - Le recouvrement a été confié à l'Urssaf parce que les caisses n'avaient pas les moyens informatiques de remplir cette mission : nous avons choisi la moins mauvaise des solutions.

L'UPA est-elle favorable à plus de contrôles et de sanctions pour l'application des règles européennes de sécurité au travail ? Dans l'idéal oui, mais en pratique, il ne faut pas oublier que la France a été l'un des tous derniers pays à transposer la directive européenne de 1991 : la transposition a eu lieu en 1994, pour une obligation dès 1996, alors que la mobilisation du million d'entreprises concernées exige un travail de longue haleine. Il faut faire passer le message, mais prenons garde à ne pas multiplier des contrôles qui pourraient se retourner contre l'objectif poursuivi. C'est un peu comme pour la pénibilité, où les partenaires sociaux ne sont pas parvenus à s'entendre, les salariés demandant une réparation, alors que le patronat, dont l'UPA, soulignait la nécessité d'améliorer les conditions de travail, de prévenir les accidents.

Sur l'élargissement de l'assiette des cotisations, l'UPA n'a pas de solution miracle. Notre tâche est d'abord d'alerter sur le risque de voir cette assiette devenir insuffisante. Nous n'avons rien contre la CSG, nous étions même minoritaires pour soutenir sa mise en place, mais il faut être très prudent s'agissant de l'augmenter. Après que l'Etat a mobilisé l'économie pour sauver les banques de la crise financière, le temps n'est-il pas venu pour les banques et les grandes entreprises, maintenant qu'elles vont bien, de contribuer davantage à l'effort ? La réforme Fillon devait permettre de conserver l'équilibre jusqu'en 2012. L'échéance du déficit est arrivée plus tôt et nous sommes au pied du mur. Pourquoi ne pas prendre en charge l'effort que l'Etat fournit pour les retraites ou aider ceux qui n'ont pas assez cotisé ? Quant à changer de système de retraites, nous sommes prêts à discuter de tout, dès lors que l'objectif demeure l'entraide entre générations et un système pérenne, pour garantir durablement les retraites.

M. Alain Vasselle, rapporteur général. - Et dans le débat entre l'augmentation des cotisations et l'allongement de la durée d'activité, quelle est votre position ?

M. Jean Lardin. - La question de l'âge légal du départ à la retraite ne peut être débattue sans dire à quels droits permet d'accéder le relèvement des bornes actuelles. Nous préférerions travailler prioritairement sur l'allongement de la durée de cotisation. Ce levier est cependant insuffisant aujourd'hui pour équilibrer les comptes. C'est pourquoi nous acceptons le relèvement de l'âge légal à soixante-deux ans. Nous assumons cette position responsable, je le dirai comme tel demain, lors de notre congrès.

Réforme des retraites - Audition de M. Jean-François Pilliard, président de la commission Protection sociale du Mouvement des entreprises de France (Medef)

M. Dominique Leclerc, rapporteur. - J'aimerais avoir le sentiment du Medef sur les dispositions du projet de loi sur les retraites relatives à la pénibilité, qui prévoient une démarche individualisée. Que pensez-vous de l'amendement de MM. Méhaignerie et Jacquat, qui favorise la négociation d'accords de branche et crée un fonds de mutualisation destiné à financer des mesures de compensation du travail pénible ?

Ne faudrait-il pas améliorer l'information des salariés pour leur permettre de mieux gérer leur carrière, par le biais du Gip Info Retraites ?

Enfin, le transfert de cotisations chômage vers l'assurance vieillesse à l'horizon 2018 vous semble-t-il réaliste ?

M. Alain Vasselle, rapporteur général. - Certains envisagent de trouver d'autres ressources que les cotisations assises sur les salaires pour financer la protection sociale et en particulier les retraites : suppression du bouclier fiscal et taxation des stock-options, des actions gratuites, des revenus tirés de l'intéressement et des retraites chapeaux : cela permettrait, disent-ils, de maintenir à soixante ans l'âge légal du départ à la retraite. Cela vous semble-t-il réaliste ?

M. Jean-François Pilliard, président de la commission Protection sociale du Medef. - La réforme des retraites est essentielle pour l'avenir de notre protection sociale. Le Medef considère que cette réforme doit obéir à un principe d'équité sociale et garantir à nos concitoyens une retraite décente. Il est également convaincu que le problème de l'équilibre des régimes de retraite est avant tout d'ordre démographique : l'espérance de vie augmente, les jeunes entrent de plus en plus tard sur le marché du travail, et la proportion des actifs et des inactifs s'inverse. Il était donc indispensable d'augmenter la durée de cotisation - c'est chose faite depuis la loi Fillon de 2003 - et de relever l'âge du départ à la retraite et de la retraite à taux plein, sans renoncer à prendre en compte les spécificités de certaines catégories de salariés. Le rythme choisi par le Gouvernement nous paraît satisfaisant, et le rapprochement des régimes des secteurs public et privé équitable.

Quant à la pénibilité, c'est un sujet que je connais bien puisque je suis issu du milieu industriel. Je vous encourage à allier la forme au fond et à adopter des textes clairs et opérationnels, afin que les entreprises puissent effectivement les appliquer. Or, à ce stade, les solutions retenues paraissent relativement complexes au regard de leur mise en oeuvre. Il faut distinguer entre ce que j'appellerai, faute d'un autre terme, la réparation du travail pénible et sa prévention. S'agissant de la réparation, le dispositif relatif aux carrières longues, introduit dans la loi Fillon et qui concerne près de cent mille personnes chaque année, constitue une première réponse : les salariés ayant commencé à travailler tôt sont aussi ceux qui sont le moins qualifiés et sont le plus souvent confrontés à un environnement pénible. En outre, la prise en charge de l'incapacité au travail par la collectivité regarde cent vingt mille personnes par an. Le Gouvernement prévoit d'abaisser de 20 % à 10 % le taux d'invalidité au-delà duquel les employés pourront partir à la retraite dès soixante ans sans décote, au terme d'une procédure individualisée devant une commission pluridisciplinaire. En tout, près de deux cent cinquante mille personnes partant à la retraite sur huit cent mille seraient concernées chaque année par des mesures de réparation : peu de pays nous égalent.

La prévention est essentielle car, à terme, elle rend la réparation moins nécessaire. Le Medef est très attaché à ce que se poursuive l'amélioration des conditions de travail observée depuis vingt ans, et qui s'est traduite par la diminution du nombre d'accidents du travail. Il est possible d'aller plus loin, tout en ménageant les fragiles équilibres des entreprises. Nous sommes favorables à ce que les partenaires sociaux se réunissent périodiquement dans le cadre des branches professionnelles, comme l'ont proposé MM. Méhaignerie et Jacquat, afin de donner l'impulsion nécessaire. Les thèmes prioritaires de leur réflexion devraient être l'ergonomie du poste de travail et, plus généralement, l'environnement de travail, l'aménagement des carrières - dans la plupart des pays européens, la prévention des risques fait partie de la politique des ressources humaines et l'on se soucie qu'aucun salarié ne reste durablement affecté à un poste pénible alors qu'en France, on se contente généralement de verser des primes qui incitent à rester dans l'environnement de pénibilité - et celui des fins de carrières. Toutefois, le Medef est hostile à l'extension des cessations anticipées d'activité, alors même que les partenaires sociaux, encouragés par l'Etat, tentent d'inverser une tendance vieille de trente ans qui consiste à mettre les seniors à la retraite prématurément. Le relèvement de l'âge du départ à la retraite doit absolument s'accompagner d'une hausse du taux d'emploi des seniors !

Nous sommes très réservés, pour ne pas dire plus, sur la pénalité d'un montant égal à 1 % de la masse salariale imposée aux entreprises n'ayant pas conclu d'accord sur l'emploi des seniors. C'est une forme de mépris pour la capacité des acteurs sociaux à progresser. Quand une loi ou un accord est adopté, on se laisse généralement un certain délai avant d'apprécier si l'objectif est atteint et, dans le cas contraire, on recherche les moyens d'inverser la tendance avant d'envisager des sanctions. Mais la France est le pays où le nombre des lois, règlements et accords d'entreprises est le plus élevé et leur efficacité la plus faible, par exemple en ce qui concerne l'égalité entre les hommes et les femmes.

La création de fonds de mutualisation au niveau des branches ne nous paraît pas souhaitable. Ce sont les entreprises qui les alimenteront ; or, les secteurs d'activité où le travail est pénible sont aussi ceux où les marges sont les plus réduites. Rappelons que la France caracole en tête des pays de l'OCDE pour le niveau des charges pesant sur les entreprises. Ne croyons pas que l'Etat pourra lui-même abonder ces fonds : nous connaissons tous l'état des finances publiques et la nécessité de réduire les déficits. L'Etat n'a-t-il pas décidé, sans même consulter les partenaires sociaux, de prélever 300 millions d'euros sur le fonds paritaire de sécurisation des parcours professionnels (FPSPP), alimenté par les entreprises ? Quant au fonds d'indemnisation des victimes de l'amiante, il sert trop souvent à faire bénéficier d'une cessation anticipée d'activité des gens qui n'ont jamais été exposés à l'amiante !

Au sujet de la prévention, notre démarche est constructive. N'oublions pas que sur les 10 milliards d'euros de la banche accidents du travail-maladies professionnelles (AT-MP) de la sécurité sociale, 300 millions y sont consacrés. Il faut concevoir des mesures simples et opérationnelles, à coût constant, et éviter la superposition des dispositifs.

J'en viens à la question du financement de l'assurance vieillesse. On ne peut pas se déclarer attaché à la retraite par répartition, qui consiste en ce que les cotisations d'une année financent les pensions de la même année, et vouloir que la fiscalité devienne la première source de financement ! Le Medef, cependant, n'est pas hostile à une réforme systémique, passé le temps de la réforme paramétrique destinée à répondre à l'urgence ; une telle réforme globale est d'ailleurs inéluctable. Aucun régime de la sécurité sociale n'est à l'équilibre. Ce n'est pas avec quelques recettes supplémentaires et conjoncturelles que l'on résoudra un problème structurel. Toute nouvelle taxation rendrait nos entreprises moins compétitives et augmenterait le taux de chômage qui oscille, selon les statistiques officielles, entre 7 % en période de croissance et 10 % en période de crise, voire entre 15 % et 20 % si l'on excepte la fonction publique.

On parle de taxer les revenus tirés de l'intéressement et de la participation. Mais alors qu'un système de retraite par répartition est par essence aléatoire, il importe d'encourager l'épargne retraite. Si les PME, contrairement aux grands groupes, rechignent à développer ces formes de rémunération, c'est en raison de la complexité de la réglementation, et parce qu'elles sont exposées au risque permanent d'un relèvement de la taxation de ces dispositifs. Celle-ci a déjà augmenté récemment, et la relever de deux points ne nous paraît pas aller dans le bon sens.

S'agissant des stock-options, comme je le disais à l'Assemblée nationale, on pourrait aussi bien les taxer à 100 % : cela rapporterait un milliard d'euros la première année, puis plus rien. Je crois nécessaire en revanche que les revenus tirés des stock-options dépendent non seulement du cours des actions, mais aussi des performances économiques à moyen terme des entreprises. N'oublions pas que ce type de rémunération permet à des start up d'attirer des talents alors qu'elles ne peuvent pas mener la même politique salariale que les grands groupes ! Les entreprises doivent d'ailleurs s'adapter à leur environnement international.

Pour ce qui est des « retraites chapeaux », terme impropre, il convient de distinguer deux catégories de bénéficiaires : des dirigeants d'entreprises, aux émoluments élevés, et de nombreux salariés, qui ne sont pas tous des cadres et n'ont souvent droit qu'à de modestes pensions de base. En tout cas, le Medef a toujours dit qu'il estimait légitime que les entreprises et les bénéficiaires des « retraites chapeaux » acquittent une contribution.

M. Alain Vasselle, rapporteur général. - Vous avez évoqué l'éventualité d'une réforme systémique des retraites et, tout en disant votre attachement à la répartition, estimé nécessaire de développer l'épargne retraite. Seriez-vous hostile à une réforme d'ensemble, inspirée, par exemple, du modèle suédois qui repose sur les « comptes notionnels » ?

Le Président de la Cour des comptes a déclaré qu'il fallait s'attaquer aux « niches sociales » et aux allègements de charges sociales, qui coûtent 45 milliards d'euros chaque année. Qu'en pensez-vous ?

Que répondez-vous à ceux qui tirent argument du faible taux d'emploi des seniors pour condamner le relèvement de l'âge légal du départ à la retraite ?

Encore une fois, le transfert des cotisations chômage vers l'assurance vieillesse vous semble-t-il judicieux ?

Mme Gisèle Printz. - Si les conditions des hommes et des femmes tardent à s'égaliser, ce n'est pas en raison de la multiplication des textes mais parce que les entreprises n'appliquent pas ces derniers !

M. Jean-François Pilliard. - Nous l'avons dit d'emblée : après cette réforme urgente qui s'impose pour éviter une baisse drastique du niveau des pensions et préserver les équilibres économiques, sans quoi les incidences sociales seraient dramatiques, il faudra s'atteler à une réforme plus fondamentale. J'ai quelque expérience des régimes sociaux des autres pays européens, et je regrette que nous n'ayons pas adopté le principe de la « réforme permanente », qui prévaut notamment en Allemagne et où la réforme des retraites a pris des années. Il n'est pas surprenant que chaque projet des gouvernements successifs suscite des remous dans l'opinion française, car nous ne savons réformer que par à-coups ! Or nous savons tous que cette réforme-ci n'est pas la dernière : les hypothèses macro-économiques sur lesquelles elle repose ont peu de chances de se vérifier, et l'Etat reste largement mis à contribution pour financer les retraites du secteur public.

Les partenaires sociaux gèrent déjà les régimes complémentaires de l'association générale des institutions de retraite des cadres (Agirc) et de l'association pour le régime de retraite complémentaire des salariés (Arrco), dont certains reposent sur un système par points. Notre position n'est pas idéologique : nous sommes attachés à la répartition, mais croyons en la nécessité de la compléter par l'épargne. Plus généralement, la sécurité sociale, créée dans un contexte économique tout à fait différent, doit sans doute évoluer ; les sédimentations issues des réformes successives n'ont pas réglé le problème des ressources. Le financement de la protection sociale doit reposer sur la solidarité nationale, sur les cotisations des employeurs et des salariés, mais aussi sur les citoyens qui consomment entre autres des produits de santé.

En ce qui concerne les allègements de charges, il faut cesser de les considérer comme des cadeaux aux employeurs : ils ont été consentis en contrepartie de la réduction du temps de travail. Le coût du travail et le poids des charges, auxquels s'ajoutent les faibles performances de notre système éducatif, la rigidité du marché de l'emploi et les aléas juridiques qui pèsent sur les entreprises rendent notre économie peu compétitive. Dans les secteurs à fort taux de main-d'oeuvre, qui emploient le plus de salariés peu qualifiés et bénéficient à ce titre d'allégements de charges, la suppression de ces allégements aurait de graves conséquences en termes d'emploi et nuirait par là même à l'équilibre des comptes sociaux. Nous étions déjà opposés à l'annualisation du calcul des allégements et il serait tout à fait inopportun d'aller plus loin, à moins de leur substituer un système pérenne qui ne pénalise pas les entreprises.

Le taux d'emploi des seniors jusqu'à soixante ans  est, en France, sensiblement équivalent à celui que l'on observe dans les autres pays européens ; c'est l'Etat, premier employeur, qui a le plus souvent recours à des cessations anticipées d'activité. En revanche, nous sommes en retard en ce qui concerne les plus de soixante ans. Toutefois, le Medef est convaincu que le relèvement des bornes d'âge modifiera la perception des employeurs et des employés. D'autres mesures sont envisageables. Depuis trente ans, lorsqu'une entreprise se trouve en sureffectif, elle peut soit arrêter d'embaucher - ce dont pâtissent les jeunes -, soit encourager ses employés les plus âgés à partir en retraite anticipée - les mesures de ce type sont jusqu'à présent plébiscitées de tous -, soit procéder à des licenciements, qui coûtent à peu près aussi cher qu'ailleurs en Europe mais prennent beaucoup plus de temps : il s'écoule entre six et vingt-quatre mois entre le constat d'un problème de sureffectif et sa résolution. A cela, s'ajoutent des aléas juridiques : un tribunal vient parfois ordonner trois ou quatre ans après la réintégration des salariés licenciés d'une filiale, alors même que ceux de la maison mère ont tous été reclassés en CDI... C'est pourquoi les entreprises n'ont d'autre choix que de recourir au travail précaire. Dans d'autres pays, le CDI est la règle, mais en contrepartie il peut y être mis fin rapidement sans s'exposer aux mêmes risques juridiques. Il sera très difficile de progresser sur l'emploi des seniors si l'on ne s'attaque pas aux problèmes plus généraux du marché de l'emploi.

Des lois ont été votées, des accords de branche conclus et des négociations sont en cours au sein des entreprises. On n'inverse pas une tendance vieille de trente ans en un tournemain, au beau milieu de la crise économique la plus grave de l'après-guerre. Les entreprises sont prêtes à reconnaître leurs responsabilités, mais on a trop tendance en France à croire qu'il suffit d'adopter une loi pour qu'un problème soit réglé. Plutôt que de multiplier les textes et les sanctions, donnons-nous le temps de promouvoir et d'évaluer les dispositifs existants. Le travail des femmes, par exemple, a progressé dans les entreprises où une véritable concertation avait eu lieu et où l'on avait pu mesurer les effets bénéfiques de la mixité : la réunion de personnes de genres, d'âges et de nationalités différents stimule l'innovation. En outre, une femme est plus efficace pour vendre à une femme, comme un senior à un senior.

Mme Gisèle Printz. - Votre réponse ne me satisfait pas. Si l'on vous suit, on ne parviendra jamais à l'égalité entre les hommes et les femmes.

M. Jean-François Pilliard. - Des mesures spécifiques peuvent être envisagées dans le cadre de cette réforme des retraites pour remédier aux problèmes que rencontrent les femmes, comme la prise en compte pour le calcul des pensions des indemnités journalières et des revenus de substitution. Mais ce projet de loi n'a pas vocation à résoudre tous les problèmes de société.

M. Alain Milon. - Le projet de loi sur la médecine du travail semble enterré, le Gouvernement ayant choisi de procéder par amendements au texte sur les retraites. Que pensez-vous de la méthode et du fond ?

M. Jean-François Pilliard. - Il ne nous revient pas de commenter la méthode du Gouvernement : nous en prenons acte. Les négociations avec les syndicats à ce sujet n'ont pas été loin d'aboutir. Pour notre part, nous estimons que la médecine du travail n'est efficace pour prévenir les risques que si les praticiens sont intégrés dans l'entreprise et étroitement associés aux employeurs et aux employés. Sur le plan de la gouvernance, les services de santé au travail sont dirigés pour les deux tiers par des représentants des employeurs et pour un tiers par des représentants des employés : cette organisation résulte d'un accord interprofessionnel. Faut-il la remettre en cause ? Je rappelle que ce sont les chefs d'entreprises qui sont pénalement responsables en cas d'accidents ou de maladies du travail.

Réforme des retraites - Audition de Mme Geneviève Roy, vice-présidente chargée des affaires sociales, et M. Georges Tissié, directeur des affaires sociales, de la confédération générale des petites et moyennes entreprises (CGPME)

M. Dominique Leclerc, rapporteur. - Après le rappel de vos positions sur l'ensemble du projet de loi portant réforme des retraites, pourriez-vous préciser vos réflexions sur la prise en compte de la pénibilité au travail dans le texte ? Que pensez-vous de l'amendement de MM. Méhaignerie et Jacquat ? Toujours concernant la pénibilité, quel doit être le rôle de la médecine du travail ? Enfin, la retraite progressive vous paraît-elle une piste intéressante ? Celle-ci serait une manière d'allonger le temps travaillé « pensionné » si j'ose dire, d'une personne de plus de soixante ans ayant la totalité de ses annuités de cotisations...

M. Alain Vasselle, rapporteur général. - Ne faut-il pas inscrire dans la loi l'engagement d'une réflexion sur une réforme systémique des retraites ? Une troisième réforme paramétrique, si elle est nécessaire aujourd'hui, suffira-t-elle à assurer la pérennité de notre système de retraites par répartition ? En dépit du report de l'âge de départ à la retraite de soixante à soixante-deux ans, de l'allongement de la durée de cotisation et des mesures sur la pénibilité et l'emploi des seniors, il nous faut chercher des ressources nouvelles. Le président de la Cour des comptes a évoqué un coup de canif sur les 45 milliards d'allègements de charges. Qu'en pense la CGPME ? Etes-vous prêts à une réduction des niches sociales ? Quelles mesures prendre pour favoriser l'emploi des seniors, compte tenu du report à soixante-sept ans de l'âge d'annulation de la décote ? Ensuite, quel est votre sentiment sur le fait de s'attaquer aux 75 milliards de niches fiscales ? Enfin, quel est votre avis sur la taxation des stock-options, de l'intéressement, de la participation, des actions gratuites ou encore des retraites chapeaux et des bonus ?

Mme Geneviève Roy vice-présidente chargée des affaires sociales de la CGPME. - Dès le début de la concertation, la CGPME a défendu un allongement de la durée de cotisation, tout en se montrant circonspecte, mais ouverte, concernant le report de l'âge de départ à la retraite de soixante à soixante-deux ans - ce levier étant le plus rapidement efficace sur le plan budgétaire, mais comportant des effets négatifs. En revanche, pour nous, il ne fallait pas toucher à l'âge de soixante-cinq ans pour une retraite sans décote. Selon nous, retraite et pénibilité sont deux questions différentes, d'autant que la pénibilité est déjà traitée via le dispositif des carrières longues sur lequel nous souhaitions que l'on engage une réflexion. Attachés au système de retraite par répartition, nous avons proposé d'ajouter un troisième étage à la fusée du financement des pensions : en sus des régimes de base et complémentaire, prévoir un plan d'épargne, ciblé sur les retraites, abondé de manière volontaire par le salarié, à n'importe quel moment de sa carrière, et par l'entreprise, si elle le souhaite, le tout étant géré de manière paritaire au niveau national. L'idée a été retenue dans le projet de loi gouvernemental, nous nous en réjouissons. Avec une estimation de son niveau de pension dès quarante-cinq ans, et non cinquante-cinq ans, le salarié aura désormais les moyens d'améliorer sa retraite.

Attention à ne pas surcharger les entreprises, avons-nous répété lors de la préparation du texte. La concurrence internationale est extrêmement forte. Et les PME sont déjà les premières de la classe en matière de prélèvements obligatoires. Le projet de loi gouvernemental était donc, pour nous, dans l'ensemble positif.

La pénibilité au travail y était certes prise en compte, mais de façon très limitée, le processus étant individuel : le projet ouvrait la possibilité de partir à l'âge de soixante ans si la caisse régionale d'assurance maladie constatait une incapacité de 20 %. Toute proposition allant plus loin serait difficile à mettre en oeuvre par les entreprises. Pour moi, la prévention doit rester la préoccupation majeure des entreprises. Une prise en compte plus large de la pénibilité risquerait de dédouaner les chefs d'entreprise de leur responsabilité pénale, j'insiste, en matière de protection de la santé de leurs salariés. Nous regrettons donc la deuxième version du texte. De plus, n'importe quel salarié ne trouve-t-il pas son travail pénible ? Chacun pense avoir droit à une compensation. Pour les PME-TPE, il est intellectuellement compliqué d'affirmer que tout travail est pénible. Prévoir une commission qui tranchera pour les salariés ayant un taux d'incapacité de 10 % à 20 % élargit le public concerné. Le dispositif sera difficile à contrôler et, à terme, compromet l'équilibre budgétaire, but premier de la réforme. Autre coût supplémentaire, la taxation de 1 % de la masse salariale des entreprises qui ne mettent pas en place de plan de prévention des risques, sans compter que la même pénalité s'applique concernant l'égalité professionnelle et les seniors. Les chefs d'entreprise sont pourtant des gens responsables. Arrêtons de leur taper sur les doigts comme s'ils étaient des enfants. Laissons-les travailler. La nouvelle majoration des cotisations d'accident du travail, de même, est un mauvais coup porté aux entreprises. Les branches et les entreprises ont mis en place un certain nombre d'accords, les conditions de travail se sont améliorées, nous ne partons pas de rien. Augmenter la cotisation va déresponsabiliser les chefs d'entreprise, le risque étant désormais mutualisé.

Veillons à préserver l'équilibre de la réforme qui passe, nous y avons insisté, par la convergence entre les secteurs public et privé : au fil des manifestations, il est menacé. Les mesures annoncées concernant la prévention du risque professionnel en sont un bon exemple. Or, moi qui suis chef d'entreprise, je peux vous assurer que la protection de la santé de nos salariés nous mobilise tous. N'ouvrons pas la boîte de Pandore.

Les missions de la médecine du travail devaient être précisées. Nous nous réjouissons de l'amendement qui va en ce sens. En revanche, les chefs d'entreprise ne peuvent pas accepter une gestion paritaire de la médecine du travail, leur responsabilité pénale étant engagée en cas d'accident ou de maladie professionnelle.

Nous sommes prêts à travailler à l'amélioration de l'emploi des seniors via l'aménagement des fins de carrière, l'aménagement des postes, quand cela est possible, et le tutorat, qui nous rapprocherait d'un système de retraite progressive. Précisons d'emblée que les PME et les TPE, contrairement aux grands groupes, ne mettent pas leurs seniors à la porte. Nous, nous les voyons partir avec inquiétude car ce sont eux qui détiennent le savoir-faire, la connaissance commerciale et technique. A regarder de près les statistiques, le taux d'emploi des seniors en France est d'ailleurs inférieur à la moyenne européenne pour la seule catégorie des soixante-soixante-quatre ans, ce qui n'a rien d'étonnant puisque l'âge légal de départ à la retraite est de soixante ans. L'emploi des seniors n'est donc pas plus dégradé en France qu'ailleurs, à condition de comparer ce qui est comparable. Reste que l'amélioration du taux d'emploi des seniors passe par un changement global des mentalités et le report de l'âge légal de la retraite de soixante à soixante-deux ans est un signal fort dans ce sens : désormais, une personne âgée de cinquante-neuf ans n'hésitera plus à s'engager dans une formation.

M. Georges Tissié, directeur des affaires sociales de la CGPME. - La question de l'emploi des seniors doit être examinée avec précision. Le taux d'emploi des cinquante-cinquante-neuf ans est de 56,3 % - ce qui n'est pas aussi mauvais qu'on le dit - et celui des soixante-soixante-quatre ans de 16,3 % en France, ce qui reste bas malgré une augmentation de 3 % ces dernières années. Attention aux effets pervers. L'amendement de MM. Méhaignerie et Jacquat, adopté à l'Assemblée nationale, est pétri de bonnes intentions, mais un système de fonds dédiés par branche professionnelle incitera les grandes entreprises à organiser un nouveau dégraissage de leur masse salariale et un nouveau reformatage de leur pyramide des âges, qui seront financés par les PME de la branche, au détriment de l'emploi... Ensuite, il existe déjà des mesures favorisant le tutorat qui découlent de l'accord sur la formation professionnelle. Enfin, on parle beaucoup du maintien de l'emploi des seniors, mais quid de leur embauche ? Ce sont les PME qui les recruteront. D'où notre combat pour obtenir des réductions de charge pour l'embauche des plus de cinquante-cinq ans dans ce texte. Cette mesure aurait des effets positifs à condition d'un maintien de la conjoncture.

Mme Geneviève Roy. - Une réforme systémique ? Nous sommes opposés à un passage complet à la retraite par capitalisation. Il faut maintenir le lien intergénérationnel et un certain niveau des pensions afin d'assurer la cohésion sociale. D'où la difficulté d'équilibrer les comptes pour ne pas faire porter à nos enfants la charge de nos retraites...

M. Alain Vasselle, rapporteur général. - Que pensez-vous du modèle suédois ?

Mme Geneviève Roy. - Chef d'entreprise, je suis sensible aux comptes d'exploitation et, donc, au modèle suédois, mais je ne suis pas certaine que nos concitoyens acceptent une baisse de leur pension, une fois la pension liquidée. D'où la nécessité d'allonger les cotisations et de reculer l'âge de la retraite.

M. Alain Vasselle, rapporteur général. - Nos concitoyens n'adhèrent pas non plus à cette solution ! Seriez-vous prêts à contribuer davantage ?

Mme Geneviève Roy - Je ne suis pas là pour tenir un discours politiquement correct. Nos concitoyens ont des attentes contradictoires. Ils veulent une retraite par répartition tout en s'étonnant de ne pas toucher la somme correspondant à leurs cotisations. Mais cela, c'est la retraite par capitalisation. Aujourd'hui, une retraite sur dix n'est pas financée. Devant ces chiffres têtus, chacun comprend la nécessité de la réforme, mais à condition que la réforme ne touche que les autres. La CGPME, quant à elle, tient au système de retraite par répartition.

M. Georges Tissié. - Sans compter que le système suédois est un régime unique. Il n'y existe pas de régimes complémentaires.

Mme Geneviève Roy. - Je poursuis dans le politiquement incorrect : parler d'un déficit de 43 milliards, c'est faire un amalgame. Le régime privé de base est responsable de 10 milliards de déficit, les autres de 33 milliards...

Toucher aux allègements de charge dits « Fillon » ? Le président Roubaud a dit l'hostilité de la confédération à toute hausse des prélèvements obligatoires pesant sur les entreprises. Or, modifier le mode de calcul de ces allègements produira un coût supplémentaire de plus de 2 milliards. Sans compter que ces allègements ne constituent pas une « niche », mot qui évoque la dissimulation. Ils sont la contrepartie de l'augmentation du coût du travail à la suite des trente-cinq heures et de l'harmonisation des Smic par le haut après leur atomisation par salarié dans la loi Aubry. Leur remise en cause détruirait l'emploi. La CGPME propose plutôt de sortir les 300 premiers euros de l'assiette des cotisations patronales, quel que soit le niveau de salaire. Cette solution présenterait l'avantage de supprimer la trappe à Smic, puisqu'elle bénéficierait à tous les salaires. Bref, nous redoutons le coup de canif.

L'égalité salariale entre hommes et femmes, qui a déjà fait l'objet d'accords signés par les entreprises et les branches, nécessite une réflexion sociétale. Pourquoi les femmes, à salaire égal aux hommes en début de carrière, rencontrent-elles tôt ou tard le fameux plafond de verre ? C'est une question d'organisation. J'évite, par exemple, d'organiser des réunions à dix-huit heures à la confédération, où les femmes sont nombreuses. Mais, en définitive, n'est-ce pas aussi aux femmes de se battre pour obtenir des augmentations de salaire, de mieux se former et de postuler à des postes de responsabilité ? Trop souvent, elles n'osent pas. Bref, sanctionner les entreprises à raison de 1 % de la masse salariale n'apportera aucun progrès.

M. Georges Tissié. - J'attire votre attention sur l'effet « anti-emploi » du seuil de cinquante salariés. Pas moins de trente-quatre obligations sont liées à ce seuil, ce qui dissuade de nombreux entrepreneurs d'embaucher... Les mesures prévues par ce projet de loi vont encore renforcer cette situation.

Mme Geneviève Roy. - D'où le manque, dans notre pays, d'entreprises de taille intermédiaire que nous envions à l'Allemagne.

M. Georges Tissié. - Ces mesures ont beau s'appliquer à un nombre réduit d'entreprises, elles ont un impact négatif sur tout le secteur. A se demander qui rédige cette sorte d'amendements...

Mme Sylvie Desmarescaux. - Tout le monde s'accorde à dire la réforme nécessaire. En revanche, les avis divergent sur les solutions à trouver : vous vous opposez à la réduction des allègements de charge, d'autres ne veulent pas d'une taxation des retraites chapeaux et des bonus. Il faut pourtant bien apporter des réponses à la situation actuelle. Faut-il allonger la durée de cotisation, augmenter les cotisations ?

Mme Geneviève Roy. - La situation est difficile parce qu'il existe d'autres dettes et besoins de financement que ceux liés aux retraites. La CGPME avait proposé d'aligner la CSG des retraités payant des impôts sur celle des actifs. On nous a répondu que ce point de CSG devait servir à financer la dépendance...

Si l'on recherche des recettes nouvelles, sans vouloir stigmatiser qui que ce soit, dix ans pour aligner le taux de cotisations de la fonction publique me semble très long.

M. Guy Fischer. - Mais l'augmentation du taux de cotisation salariale sera de 35 % en dix ans. Avez-vous déjà connu une baisse de cotisations de cette ampleur ? Vous veillez toujours scrupuleusement à ce que le relèvement de votre taux demeure très limité..

Mme Geneviève Roy. - Soit, mais se pose aussi la question des primes. Certains corps en bénéficient, d'autres non. Le dossier doit être étudié de près, cadre par cadre. Quoi qu'il en soit, la convergence entre le public et le privé est un sujet important pour beaucoup de salariés.

M. Guy Fischer. - Tout à fait d'accord. Mais une hausse de 35 %, c'est du jamais vu. Le président et le directeur de la caisse nationale de retraite des agents des collectivités locales nous l'ont confirmé en audition. On pousse tout de même le bouchon un peu loin...

M. Georges Tissié. - Mais le taux de 10,55 % utilisé pour l'alignement est une plaisanterie. Plusieurs millions de salariés qui ont le statut de cadres payent bien plus. Ce taux représente le taux des cotisations des salariés en dessous du plafond de la sécurité sociale.

Mme Geneviève Roy. - La situation est compliquée. Néanmoins, les retraites doivent être sauvées. Peut-être aurait-on évité tous ces problèmes si l'on avait conservé l'âge légal de départ à soixante-cinq ans en 1983 au lieu de le ramener à soixante ans. Mais nul ne peut refaire l'histoire.

M. Georges Tissié. - Permettez-moi d'insister sur le projet de fonds dédiés aux aménagements fins de carrière par branche professionnelle. Une nouvelle fois, ces fonds seront alimentés très largement par les PME et utilisés uniquement par les grandes entreprises. Le maintien de l'amendement voté à l'Assemblée nationale provoquerait un tollé chez les PME : elles ne veulent pas financer, une fois de plus, la restructuration des grands groupes. En définitive, cette mesure détruirait de l'emploi.

Organisme extra-parlementaire - Désignation de candidats

La commission procède à la désignation de M. Jean-Louis Lorrain, titulaire, et Mme Annie Jarraud-Vergnolle, suppléante, pour siéger au sein du conseil supérieur du travail social.

Mercredi 15 septembre 2010

- Présidence de Mme Muguette Dini, présidente -

Réforme des retraites - Audition de M. Laurent Wauquiez, secrétaire d'Etat chargé de l'emploi

M. Laurent Wauquiez, secrétaire d'Etat chargé de l'emploi. - Je remercie la commission d'avoir souhaité m'entendre sur un sujet qui me tient tant à coeur, celui de l'emploi des seniors. Je remercie votre rapporteur, Dominique Leclerc, qui s'est investi depuis dès longtemps sur cette question et a contribué, naguère, à des améliorations substantielles sur les dispositifs en faveur de l'emploi des seniors.

Le premier constat à dresser tient à l'incidence de l'âge de départ à la retraite sur le taux de l'emploi. Ainsi, la Suède, qui s'est engagée dès 1999 dans une réforme de son système de retraite, a, en reculant l'âge de départ, vu augmenter le taux d'emploi de ses cinquante-cinq-soixante-cinq ans à 70 %, quand la moyenne de l'Union européenne n'est que de 46 %. Mais au regard de la cristallisation des mentalités dans notre pays, se contenter de citer des chiffres ne suffit pas. C'est un travail de fond qu'il faut entreprendre. J'invite solennellement tous les partis à balayer devant leur porte car le sacrifice de l'emploi des seniors dans notre pays relève d'une responsabilité collective. Trente ans durant, on les a considérés comme une donnée encombrante dans les statistiques du chômage. Mieux valait les pousser dehors, via des dispositifs tous plus imaginatifs les uns que les autres. Tel était le consensus, partagé par les partenaires sociaux, qui reconnaissent que c'étaient là des instruments utiles face à des situations d'ajustement douloureuses, par les entreprises, qui y trouvaient le moyen de recomposer la pyramide des âges de leurs salariés, fût-ce au prix d'une perte de savoir-faire, par la classe politique, enfin, pour les raisons que j'ai dites.

Si une telle logique apporte un soulagement à court terme, elle est, hélas, très douloureuse à moyen et long termes, par l'effet de domino qu'elle suscite. Avec la préretraite à cinquante-huit ans, les entreprises se sont mises à considérer qu'il n'était pas raisonnable d'embaucher au-delà de cinquante-quatre ou cinquante-cinq ans, tant et si bien que, par un effet de contamination, il est devenu très difficile, à partir de cinquante ans, de retrouver un emploi, réalité qui a eu l'impact que l'on sait sur notre taux de croissance et nos régimes de retraite.

Aucun gouvernement n'avait autant fait que ce qui a été fait depuis trois ans, avec des résultats aussi probants sur le taux d'emploi des seniors. Nous avons décidé de mettre fin à tous les dispositifs de sortie artificielle des seniors des statistiques du chômage, comme la surréaliste « dispense de recherche d'emploi » qui conduisait à encourager les chômeurs de plus de cinquante-huit ans à baisser les bras. Tant sur le plan de l'éthique que pour la préservation du lien entre les générations, de telles pratiques sont inacceptables, elles sont suicidaires. Sans compter qu'elles sont onéreuses pour notre système de retraites puisqu'il s'agit en somme de payer pour sortir des gens du marché de l'emploi, au lieu de le faire, plus intelligemment, pour accompagner le maintien dans l'emploi. C'est ainsi qu'entre 1997 et 2000, on a suscité plus de cent mille départs en préretraite et accordé autant de dispenses de recherche d'emploi.

Nous avons entrepris de nous battre sur ce volet, tout d'abord avec les mesures engagées par Xavier Bertrand - système de la surcote, dispositions facilitant, en l'encadrant, le cumul emploi-retraite, suppression progressive de la dispense de recherche d'emploi, mesures visant à transformer le comportement des employeurs.

Nous avons institué l'obligation, pour les branches et les entreprises, de passer, avant le 1er janvier 2010, des accords destinés à changer les habitudes de gestion des ressources humaines. Nous les avons accompagnées, avec l'aide du cabinet Vigeo de Nicole Notat, pour les inciter à rédiger un cahier des bonnes pratiques. Il faut en finir avec l'idée que les seniors nuisent à la compétitivité. L'entreprise a besoin de stabilité, de compétences, de savoir-faire. Les seniors, de ce point de vue, constituent sa colonne vertébrale. Celles qui l'ignorent prennent un gros risque : Areva a failli succomber pour n'avoir pas su anticiper la transmission des savoir-faire en matière nucléaire de la première génération vers les plus jeunes.

Si bien des réserves s'étaient manifestées lorsque nous avons institué cette obligation, force est de constater qu'au 1er janvier 2010, presque toutes les entreprises et les branches ont conclu un accord. Alors que, quelques années auparavant, le mot d'ordre était « comment s'en débarrasser ? », toutes les initiatives, aujourd'hui, sont prises pour favoriser le maintien ou l'embauche des seniors, ouvrir aux plus de cinquante ans l'accès à la formation professionnelle, qui leur était une fois sur deux fermé, gérer les fins de carrière avec plus de souplesse.

Car nous avons enregistré des résultats significatifs. Alors qu'entre 1997 et 2000, six cent mille seniors sortaient du marché du travail, leur taux d'emploi a progressé de cinq points en trois ans, nous plaçant en meilleure position en Europe. Le taux de chômage des plus de cinquante ans est d'ailleurs inférieur à la moyenne nationale : 6,1 % pour les cinquante-soixante ans. Ce sont désormais douze millions de salariés qui sont couverts par quatre-vingts accords de branche et trente-trois mille neuf cents accords d'entreprise, moins de deux cent cinquante d'entre elles ayant préféré payer la pénalité.

Nous entendons aller plus loin, en transposant aux seniors le dispositif du « zéro charges », outil simple, lisible, qui a favorisé l'embauche d'un million de salariés durant la crise. Le dispositif introduit à l'article 32 de ce texte, loin de favoriser la précarité, comme certains en répandent la rumeur, la fait reculer.

Parallèlement, nous entendons favoriser la transmission des savoir-faire par le moyen du tutorat qui, au rebours des logiques qui prévalaient auparavant et qui tendaient à opposer les générations, organise une complémentarité entre le senior et le jeune. Car il est criminel de culpabiliser, comme on l'a trop longtemps fait, les plus de cinquante-cinq ans au motif qu'ils priveraient d'emploi les plus jeunes. Ce n'est pas ainsi que l'on favorise la cohésion sociale. Le tutorat permet de financer l'emploi du senior et d'organiser l'emploi du jeune auquel il transmet ses savoir-faire. Il a été expérimenté avec succès dans une entreprise comme Michelin, qui a prouvé que l'on pouvait sécuriser le déroulement de carrière des anciens tout en assurant la formation des plus jeunes. Le tutorat concerne aujourd'hui deux cent mille personnes. En majorant le plafond de prise en charge des frais, notre but est de le diffuser dans le cadre des contrats de professionnalisation et d'apprentissage.

Nous entendons encourager la diffusion des bonnes pratiques et porter le fer sur les mauvaises. C'est une exigence d'intérêt général autour de laquelle nous pouvons tous nous retrouver. Il n'y a pas de fatalité. En Europe, des pays aux modèles sociaux forts, comme l'Allemagne, le Danemark, la Suède, qui n'ont pas hésité à engager la lutte, sont parvenus à augmenter le taux d'emploi de leurs seniors tout en améliorant celui des jeunes. Des résultats tangibles montrent que cela est possible. Nous vous appelons à consolider collectivement l'édifice, afin que les seniors se sentent soutenus par l'ensemble de la classe politique.

M. Dominique Leclerc, rapporteur. - Vous avez rappelé l'ensemble des mesures engagées ces dernières années et les résultats obtenus malgré la crise. Pouvez-vous nous indiquer, sur les dernières dispositions adoptées en loi de financement de la sécurité sociale pour 2009 - l'obligation faite aux entreprises de signer des contrats de projet pour le maintien dans l'emploi des seniors - de quelles évaluations vous disposez, et comment a été assuré le suivi ?

Quelle forme prendra le décret en Conseil d'Etat prévu à l'article 32 relatif à l'embauche des seniors ayant perdu leur emploi ? Quelle évaluation faites-vous du coût de ces dispositions ?

Sur les ruptures conventionnelles, nous avons peu de recul. Pouvez-vous cependant nous dire quel est le premier impact des mesures qui ont été prises ? Combien de ces ruptures sont-elles suivies d'une inscription à Pôle emploi ? Il importe, en effet, qu'elles ne soient pas détournées de leur objet. Ne faudrait-il pas conduire une réflexion sur l'harmonisation du statut fiscal et social des diverses indemnités existant en cas de rupture du contrat de travail ?

Le peu de succès des dispositifs de retraite progressive tient sans doute à leurs conditions d'accès qui en limitent l'attractivité. Pourtant, ils répondent au souhait des seniors de ne quitter que progressivement le monde du travail. Les dispositions proposées par le président Larcher, alors ministre du travail, en 2005-2006, n'ont pas connu le succès escompté. Sans doute le concept d'un contrat senior à durée déterminée renouvelable était-il trop rigide. Peut-être faudrait-il envisager des contrats qui se situent davantage dans la continuité des contrats précédents.

Une réflexion est en cours sur l'allocation équivalent retraite (AER). Le Premier ministre, lors d'une récente intervention, a indiqué que les partenaires sociaux seraient appelés à négocier dans le cadre de l'Unedic. Pouvez-vous nous donner, monsieur le ministre, des précisions ?

Il ne faudrait pas, enfin, oublier les jeunes. Vous avez beaucoup fait pour l'apprentissage et l'alternance. Comment aller plus loin, en ce dernier domaine notamment, vers une alternance qualifiante, à l'image de ce qui existe chez certains de nos voisins ?

Mme Patricia Schillinger. - Dans la manière dont vous avez évoqué le tutorat, en citant Areva, il semble que vous ne visiez que les grandes entreprises. Or, notre pays est riche de nombreuses PME, surtout dans le domaine de l'artisanat, où le tutorat n'existe pas. Qu'en est-il, en cette matière, de vos résultats ?

Le chômage des seniors concerne beaucoup de cadres, à partir de cinquante-cinq ans. Qu'avez-vous fait pour eux et quels sont vos résultats ?

M. Guy Fischer. - Nous connaissons votre credo sur l'emploi des seniors, mais deux réalités s'imposent : la mise en oeuvre de la RGPP, qui suscite une contraction sans précédent de l'emploi public, avec des conséquences dramatiques pour l'emploi.

Vous arguez sans cesse de la mise en place de la rupture conventionnelle, mais nous avons besoin de nous mettre au clair sur son bon usage. On peut craindre qu'elle ne soit détournée par les entreprises pour alléger leurs effectifs. Sur un dossier que je suis de près, celui de l'entreprise Bosch à Vénissieux, on incite les salariés à partir en utilisant la rupture conventionnelle assortie d'indemnités de 100 000 voire 150 000 euros ; cent cinquante-trois départs ont déjà été signés.

Autre sujet de préoccupation, l'insertion des jeunes. Dans les grands quartiers populaires, que je connais bien en tant que conseiller général des Minguettes, et où la plupart des habitants sont d'origine immigrée, le taux de chômage dépasse toutes les moyennes. Que faites-vous pour l'endiguer ?

M. Ronan Kerdraon. - Je suis président d'une mission locale sur l'emploi des jeunes...

M. Laurent Wauquiez, secrétaire d'Etat. - Moi aussi...

M. Ronan Kerdraon. - ...et puis vous dire que nous avons la plus grande difficulté à leur assurer des parcours. Je vous ai d'ailleurs adressé une question écrite à la suite de l'annonce de la suppression des moyens alloués aux missions locales, qui attend toujours sa réponse.

Il ne suffit pas de dire qu'il est criminel d'opposer emploi des seniors et emploi des jeunes, proposition à laquelle nous pouvons tous souscrire. Les mesures que vous proposez entrent en contradiction avec une partie de votre politique : les résultats que nous observons sur le terrain sont inverses de ceux que vous annoncez. Nous partageons sans doute la même ambition, mais nous n'agissons pas dans le même sens.

Mme Annie David. - Nous sommes tous pour que chacun puisse travailler jusqu'au bout... c'est-à-dire jusqu'à soixante ans, âge où il est raisonnable de pouvoir prendre une retraite pleine et entière. Contraindre les salariés à aller au-delà est totalement déraisonnable.

Les mesures dont vous faites état - tutorat, cumul emploi-retraite - s'adressent aux salariés les plus formés. Qu'en est-il des autres ?

La rupture conventionnelle ? C'est grâce à ce dispositif que Caterpillar a licencié six cents salariés... avant de faire appel à ces mêmes licenciés, de plus de cinquante ans, mais comme intérimaires ! Avant de prendre des mesures incitatives à l'embauche, il serait plus important de maintenir l'emploi existant, en faisant tout pour que les entreprises ne se débarrassent pas de leurs salariés de plus cinquante ans. Or, je ne pense pas que vos propositions aident les seniors à conserver leur emploi jusqu'à la retraite sans avoir à être réembauchés en passant par les fourches caudines de vos aides à l'emploi des seniors, qui me semblent, sinon criminelles, du moins humiliantes.

Mme Christiane Demontès. - Vous avez répété, avec votre volontarisme habituel, ce que vous aviez déjà dit devant la Mecss...

M. Laurent Wauquiez, secrétaire d'Etat. - Preuve de ma constance...

Mme Christiane Demontès. - ... à quelques nuances près dans les chiffres, pas toujours positives : vous nous aviez dit, en avril, que quatre-vingt dix accords de branche étaient en cours de signature, vous ne parlez plus aujourd'hui que de quatre-vingts. Mais ne mégotons pas...

Vous nous avez parlé des seniors comme s'ils étaient asexués. Mais parmi eux, les femmes sont plus touchées encore. Que comptez-vous faire pour elles ?

Quid des mesures de tutorat dans les PME ? Comment fonctionne le système ? Quels salariés sont concernés ? Les cadres ne sont pas les seuls à avoir un savoir-faire à transférer.

Vous relevez que le chômage des seniors est inférieur à la moyenne nationale. Dont acte. Mais pouvez-vous nous indiquer quelle est la part des plus de cinquante-cinq ans parmi les bénéficiaires du RSA ?

Mme Gisèle Printz. - Je vais enfoncer le clou : on est malheureusement obligés de faire le distinguo sur les femmes. Comment entendez-vous promouvoir l'égalité salariale ? Un membre du Medef déclarait hier qu'il y avait trop de lois sur cette question : c'est sans doute le signe que les entreprises ne les appliquent pas...

M. Jacky Le Menn. - Vous invitez les politiques à balayer devant leur porte. Nous sommes disposés à le faire, si nos collègues de la majorité sont prêts eux aussi à s'armer d'un balai...

Vous m'objecterez que comparaison n'est pas raison, mais je relève que si nous avons, en France, une proportion plus forte d'actifs de vingt-cinq - trente-cinq ans que l'Allemagne, la proportion s'inverse, en revanche, pour les plus de cinquante ans. N'est-ce pas là le signe que la stratégie des entreprises va à employer de préférence les vingt-cinq -trente-cinq ans, réputés plus productifs ? Vous nous dites que vous allez prendre des mesures fiscales incitatives pour y parer : mais n'est-ce pas accorder encore un avantage aux entreprises qui ne respectent pas les exigences citoyennes que l'on voit ailleurs prévaloir ?

Vous n'avez rien dit des travailleurs handicapés, de plus en plus nombreux à approcher de l'âge de la retraite. Comment le Gouvernement entend-il défendre ces populations qui, en dépit de l'existence de puissantes associations, ont du mal à faire valoir leurs revendications en cette conjoncture difficile ?

M. Jean-Pierre Godefroy. - Nonobstant ce que l'on peut penser du statut d'auto-entrepreneur, ne serait-il pas du moins souhaitable d'abaisser le seuil de trois ans avant l'entrée dans le régime de cotisation de droit commun ? Il est paradoxal, alors que l'on recherche désespérément des ressources pour financer nos régimes de retraite, de créer ainsi un tel blanc.

M. Laurent Wauquiez, secrétaire d'Etat. - Je vais tenter de répondre à l'ensemble de vos questions, précises et expertes, conformément à l'habitude de votre commission. Les chiffres que je vous ai donnés en avril, madame Demontès, concernaient les accords en cours de validation. Ceux que j'ai annoncés aujourd'hui portent sur les accords signés. Seules deux cent cinquante entreprises, je l'ai dit, ont préféré s'acquitter d'une pénalité : cela me semble très positif. Notre prochaine bataille consistera à veiller à la bonne application de ces accords et à diffuser les meilleures pratiques.

Le nombre de ruptures conventionnelles est plus faible cette année que l'an dernier : sur cent quatre-vingt-douze mille, vingt-huit mille concernent des salariés de plus de cinquante ans. Il est rare que, dans cette tranche d'âge, les départs fassent suite à une démission. Nous restons attentifs sur le sujet.

Le dispositif de l'article 32 concerne tous les salariés de plus de cinquante-cinq ans. L'aide, qui s'étend sur une année, si elle concerne tous les types de salariés, est néanmoins concentrée sur les bas salaires, pour les CDI et les CDD de plus de six mois, restriction propre à faire reculer la précarité.

Pour faire évoluer le dispositif de retraite progressive, je mise sur les aménagements de fin de carrière, concernés dans 55 % des accords. Ce type de sortie en sifflet a l'avantage de respecter les cycles de la vie.

L'idée avancée par le Premier ministre pour l'AER est que s'ouvre une négociation entre les partenaires sociaux, dans le cadre de l'assurance chômage, pour voir comment organiser son prolongement pour les générations qui auront à subir la transition vers le nouveau système de retraites.

Les chiffres de l'apprentissage et de l'alternance s'améliorent. En 2009, nous avons évité qu'ils ne baissent ; pour 2010, nous espérons une hausse. Vous savez que je prépare un plan de relance et que les contributions du Sénat, qui a beaucoup travaillé sur ces questions et organise chaque année une grande journée de l'alternance, alimentent ma réflexion. Le fait est que l'alternance, outre qu'elle constitue un excellent biais pour préserver la culture industrielle d'un pays - c'est ainsi qu'elle a beaucoup contribué à la structuration du tissu économique en Allemagne - permet aux jeunes de trouver deux fois plus vite un emploi. C'est une de mes préoccupations, madame Schillinger, que de favoriser son essor dans les PME. Nous travaillons avec les chambres de commerce et d'industrie pour développer un réseau destiné au partage de la formation. Nous avons demandé à la chambre de Saint-Etienne, qui est en pointe sur ce sujet, de diffuser son expérience.

Les perspectives tracées par l'association pour l'emploi des cadres (Apec), qui se montrait pourtant, ces dernières années, très sceptique sur notre optimisme, montrent que la tendance, en matière d'embauche, est à la hausse, et bénéficie aux plus de cinquante ans.

Ce que vous avez dit sur la RGPP, monsieur Fischer, montre que nous changeons collectivement d'approche. Il ne s'agit plus de mettre les seniors en retraite pour préparer l'emploi des jeunes. C'est là un point de consensus...

C'est ainsi que j'entends, de même, la remarque de M. Kerdraon sur l'insertion des jeunes. Le tutorat bénéficie principalement aux non-cadres, comme cela est le cas chez Michelin, et nous entendons l'utiliser pour développer les contrats d'apprentissage dans les PME de l'artisanat. Vous savez comme moi, monsieur Kerdraon, que les jeunes engagés dans ces contrats s'arrêtent souvent à mi-parcours. En les faisant accompagner par un salarié expérimenté, on établit un lien de confiance, et le taux d'échec diminue considérablement.

Il est vrai, madame Demontès, qu'il existe un écart, dans le taux de chômage des seniors, entre les hommes et les femmes, mais il est infime, de l'ordre de 0,1 % à 0,2 %. Ce qui ne nous dispense pas de travailler à le réduire, sachant qu'avec le rattrapage que l'on constate aujourd'hui, la configuration devrait être beaucoup plus favorable, à terme, pour les femmes de plus de cinquante ans.

Vous m'interrogez sur la part des plus de cinquante-cinq ans parmi les bénéficiaires du RSA : je ne dispose pas ici de ces chiffres mais vous les transmettrai au plus tôt.

Vous avez raison, madame Printz, de vous inquiéter de l'égalité salariale. Il est vrai qu'il a fallu secouer un peu le Medef. Il ne s'agit pas, aujourd'hui, de lâcher car c'est là une des grandes iniquités qui perdurent dans notre pays.

Il est vrai, monsieur Le Menn, que l'emploi est concentré en France sur les trente-cinquante ans, dont le taux d'emploi est meilleur qu'en Allemagne. J'estime, comme vous, qu'il est préférable d'avoir un taux harmonieusement réparti sur l'ensemble des générations, afin que ne soient pas sacrifiés les jeunes et les seniors.

Vous m'interrogez sur les travailleurs handicapés. Le réseau des établissements protégés, les Esat, a souffert de la crise et de la concurrence dans la sous-traitance. On peut agir dans deux directions : en poussant ces structures à évoluer de la sous-traitance industrielle vers la sous-traitance dans les services, ainsi que je m'y emploie dans ma circonscription ; en accentuant la pression sur les employeurs, mais avec discernement. Grâce aux instruments que nous offre aujourd'hui la loi, une fenêtre s'ouvre pour l'emploi en milieu ordinaire, mais il faut préparer les choses, travailler dans les entreprises avec les équipes, pour ne pas envoyer ceux qui seront recrutés au casse-pipe, si je puis dire. La région Bretagne a fait un travail remarquable, dont nous nous inspirons, pour le diffuser.

Nous travaillons avec Hervé Novelli, monsieur Godefroy, sur la formation à destination des auto-entrepreneurs : nous y voyons le vrai moyen de les aider à pérenniser leur entreprise et à basculer dans le régime de droit commun.

Mme Patricia Schillinger. - Nous savons combien l'apprentissage vous tient à coeur. Il concerne majoritairement les plus jeunes, entre seize et vingt-deux ans. Pourquoi ne retenir qu'un trimestre pour les cotisations retraite ?

M. Laurent Wauquiez, secrétaire d'Etat. - Je prends note de votre proposition que nous examinerons dans le cadre du travail structurant que nous menons sur l'alternance, afin de la conforter en cette période d'après-crise.

Réforme des retraites - Audition de MM. Bernard Devy, secrétaire confédéral en charge du secteur Retraites, et Gérard Rivière, conseiller technique, de Force ouvrière (FO)

M. Dominique Leclerc, rapporteur. - Nous vous avons déjà auditionné dans le cadre de la Mecss, monsieur Devy, nous connaissons la position générale de FO sur la réforme en cours. Aussi serions-nous plus intéressés d'entendre votre point de vue sur les dispositifs que nous pourrions améliorer dans le texte qui, vraisemblablement, sera voté ce soir par l'Assemblée nationale. Votre opinion nous intéresse d'autant plus que vous êtes aussi le gestionnaire d'un régime complémentaire obligatoire.

M. Bernard Devy, secrétaire confédéral en charge du secteur des retraites à FO. - Merci de votre invitation, c'est toujours un plaisir d'y répondre parce qu'au Sénat, vous savez prendre le temps nécessaire aux réformes, ce qui est particulièrement important pour des sujets qui, comme la retraite, touchent à la société tout entière.

A Force ouvrière, malgré notre image d'opposants systématiques à la réforme des retraites, nous sommes conscients de la nécessité d'une réforme permanente de notre système de retraite, en particulier pour l'adapter à l'allongement de la durée de la vie. Nous déplorons en fait le caractère anxiogène des réformes avancées par le Gouvernement, où les options sont présentées comme devant inéluctablement entraîner des changements de fond.

Sur la forme même de la concertation - je parle de la phase antérieure à l'examen parlementaire -, nous regrettons qu'après avoir démontré une certaine habileté, Eric Woerth ait suspendu les échanges depuis la mi-juillet. Nous avions du grain à moudre sur la pénibilité, les carrières longues et sur les polypensionnés, mais le Gouvernement a préféré agir par voie d'amendements, visiblement arbitrés à l'Elysée et que nous avons dû découvrir sur internet. Quitte à se concerter avec les partenaires sociaux, il fallait aller jusqu'au bout, ou bien le Gouvernement jette le doute sur l'ensemble du dialogue social dans notre pays.

Sur le fond, vous connaissez notre position. Le recul de l'âge légal à soixante-deux ans et de l'âge du taux plein à soixante-sept ans sont injustes pour les salariés, sachant les difficultés rencontrées pour entrer dans la vie active et pour s'y maintenir passé un certain âge. Il faut savoir que six salariés sur dix liquident leur retraite alors qu'ils ne sont plus en activité, voilà la réalité.

Le financement, ensuite, n'est pas assuré. On nous caricature quand on dit que Force ouvrière propose seulement de faire payer les riches : nous proposons de mieux répartir les richesses et nous appelons à un effort de tous pour sauver notre système de répartition, y compris des salariés, ce qui peut passer par une augmentation des cotisations salariales et par une augmentation de la CSG, dont l'assiette aurait été élargie. Nous pensions ainsi qu'il était possible de financer davantage l'assurance maladie par la fiscalité tout en transférant des cotisations maladie vers l'assurance vieillesse. Le Gouvernement nous a répondu qu'il ne fallait pas pénaliser la compétitivité des entreprises et que le Président de la République s'était engagé à ne pas augmenter les prélèvements obligatoires, mais nous disons que les solutions retenues ne suffiront pas : il faut mobiliser les moyens de sauver notre retraite par répartition.

Autre point de mécontentement, la baisse continue du niveau des pensions, depuis la réforme Balladur de 1993. Aujourd'hui, un salarié du privé qui a cotisé vingt-cinq ans au plafond de la sécurité sociale, ne peut espérer davantage qu'un taux de remplacement de 43 %, ce sera à peine 40 % en 2020.

Nous disons aussi que la borne d'âge à soixante-sept ans pénalisera davantage les femmes. Elles prennent déjà leur retraite à soixante et un ans et demi en moyenne, au lieu de soixante ans et demi pour les hommes. Seules 44 % des femmes liquident une carrière complète, contre 86 % des hommes. Elles cumulent en moyenne trente-quatre années et demie de cotisation, contre trente-neuf années et un quart pour les hommes, et 30 % d'entre elles attendent soixante-cinq ans pour le faire : elles devront attendre soixante-sept ans demain. Les femmes représentent 57 % des allocataires du minimum vieillesse, 70 % des bénéficiaires du minimum contributif. On estime que leur niveau de pension sera encore de 30 % inférieur à celui des hommes en 2030 ou 2040, continuant le déséquilibre actuel où, en droits directs, les femmes touchent en moyenne 825 euros de retraite, et les hommes 1 426 euros. Les discriminations dans l'emploi entre les hommes et les femmes se reflètent dans les retraites, c'est pourquoi nous demandons de pénaliser, à l'occasion de cette réforme, les entreprises qui ne font pas suffisamment d'effort vers l'égalité salariale.

Autre point de mécontentement : en instituant le comité de pilotage des régimes de retraite, la réforme « flingue » littéralement le conseil d'orientation des retraites (Cor). Mieux vaudrait renforcer le Cor, en y faisant entrer les grands absents que sont les régimes : la Cnav, la CNRACL, les régimes de retraite complémentaire... Avec le nouveau comité de pilotage, on voit poindre l'unification des régimes. L'article 1er bis nous inquiète en disposant que : « Avant le 31 décembre 2014, le Gouvernement transmet au Parlement un rapport sur les redéploiements de ressources ou de charges entre régimes de protection sociale concourant à l'objectif d'équilibre des différents régimes de retraite. Le comité de pilotage des régimes de retraite est consulté sur ce rapport. »

De fait, quand, à l'horizon 2018, on aura accumulé un déficit de 60 milliards et que les politiques regarderont du côté du « pactole » des régimes complémentaires - ou tout au moins ce qu'il en restera puisque ces réserves diminuent chaque année, preuve que les déficits sont liés à la crise économique autant qu'à la démographie -, quelle sera encore la marge d'autonomie des régimes complémentaires qui se verront « siphonnés » pour venir en aide au régime général ? Les politiques ne seront-ils pas tentés par une fusion des régimes ? Dès lors, quel intérêt pour les partenaires sociaux de faire des réserves et de consentir à des efforts importants, patronat et salariés compris, si c'est pour voir ensuite ces réserves être fondues dans un ensemble plus vaste ? Comme gestionnaire d'un régime complémentaire, je suis particulièrement attentif à l'autonomie de gestion des partenaires sociaux.

Par ailleurs, nous ne sommes pas contre la mensualisation du versement des pensions, c'est une demande des retraités. Mais, par un amendement de Xavier Bertrand, l'Assemblée nationale a prévu un paiement au 1er du mois : nous n'y sommes pas défavorables, à condition que le recouvrement des cotisations employeurs intervienne à la même date, sauf à provoquer des décalages chaque mois, portant sur des sommes considérables.

Ensuite, pouvons-nous nous rassurer de voir le fonds de réserve des retraites (FRR) transféré à la Cades ? Nous comprenons les nécessités européennes de la comptabilité publique, mais comment garantir que les ressources et les actifs du FRR iront bien aux retraites, une fois mêlés à une caisse dont l'objet est de régler l'ensemble de la dette sociale ? Et comment s'assurer que le FRR ne prenne pas trop de risques sur le marché si volatil des produits financiers ?

Nous n'étions pas complètement opposés à la participation du FRR, à condition que le retour à l'équilibre soit prévu pour 2011, au lieu de quoi le Gouvernement choisit de laisser filer les déficits, sous couvert ici ou là de manipulations comptables comme celle consistant à présenter en recettes 15 milliards qui vont annuellement aux retraites de la fonction publique et qui sont d'abord une dette. D'une manière générale, nous n'oublions pas le caractère optimiste des études du Cor sur lesquelles cette réforme se fonde et nous ne serions pas étonnés de voir les politiques remettre l'ouvrage sur le métier, en 2018, avec de nouvelles mesures sur les retraites.

M. Dominique Leclerc, rapporteur. - Vous êtes un fin connaisseur de ce vaste dossier, vous avez participé à bien des travaux, y compris au sein du Cor et c'est pourquoi, comme je vous le disais en introduction, nous sommes intéressés par votre opinion sur les points que nous pouvons encore améliorer dans la réforme, étant entendu que nous ne saurions changer le texte de fond en comble. Quelles sont vos propositions, en particulier sur la pénibilité, les carrières longues et les polypensionnés ?

Sur l'analyse, je partage avec vous ce constat du climat anxiogène de la réforme et je préfèrerais parler d'évolution du système : la crise a rapproché une échéance que nous connaissions, il nous faut maintenant prendre les mesures nécessaires pour faire face aux déficits.

Sur l'article 1er bis, je crois aussi qu'il ne faut pas perdre de vue l'intérêt de la répartition provisionnée, c'est-à-dire la prise en compte de la situation à venir en fonction des évolutions démographiques : on peut s'interroger sur cet article, apparu à l'Assemblée nationale.

La mensualisation, quant à elle, ne doit pas nuire à la bonne marche des organismes, et j'entends votre demande de voir le versement des cotisations être coordonné avec celui des pensions.

M. Alain Vasselle, rapporteur général. - Je répondrai d'abord à votre inquiétude sur l'adossement du FRR à la Cades : nous avons voté deux amendements à la loi organique, pour garantir que les ressources du FRR iront bien aux retraites, jusqu'en 2018. Chaque loi de financement y veillera, le système est verrouillé.

J'aimerais connaître votre position, ensuite, sur la possibilité plus lointaine d'une réforme systémique de nos retraites, dès lors que le système actuel par répartition s'avérerait insuffisant pour maintenir un pouvoir d'achat satisfaisant aux retraités. La question ne se poserait pas si nous connaissions de nouveau une période longue de croissance, mais nous risquons de connaître plutôt de nouvelles crises économiques.

Sur l'emploi des seniors, ensuite, les dispositions de la réforme vous paraissent-elles satisfaisantes ? Quelles seraient vos propositions en la matière ? Le Medef assure que le mouvement général, en Europe, est à l'allongement de la durée d'activité, donc à l'éloignement de l'âge du départ à la retraite. Mais avec les difficultés que rencontrent les seniors à retrouver un emploi, ne risque-t-on pas, si les entreprises ne jouent pas le jeu, de voir de plus en plus de salariés sexagénaires exclus du marchés du travail et sans pension ? La perspective du basculement de cotisations de l'Unedic vers la branche vieillesse n'est-elle pas illusoire ?

Que penseriez-vous d'un aménagement de l'âge du taux plein pour les femmes nées avant 1964 ? Les calculs démontrent que si, avec une borne à soixante-sept ans, les femmes nées après cette date connaîtront des situations équivalentes ou même meilleures que celle des hommes, les femmes nées avant 1964 subiraient un préjudice, compte tenu de leurs carrières incomplètes : avez-vous des idées pour le prendre en compte ?

La Cour des comptes, enfin, vient de mettre l'accent sur les niches sociales, et d'abord les allègements de charges sociales patronales, qui pèsent près de 45 milliards : pensez-vous utile de les réduire, pour financer notre sécurité sociale ?

M. Guy Fischer. - Je partage l'analyse de Force ouvrière sur les objectifs fixés au pacte de stabilité et de croissance de servir les marchés financiers. Dans les fonctions publiques, le taux de cotisation salariale va passer en dix ans de 7,85 % à 10,55 %, soit une augmentation de 35 % : avez-vous connaissance d'une hausse d'une telle ampleur dans une autre période ?

Sur les régimes complémentaires, je partage votre crainte de les voir littéralement « siphonnés » par le régime général. Ne pressentez-vous pas que vous allez devoir accepter une réforme des régimes complémentaires en catimini ?

M. Ronan Kerdraon. - Le Gouvernement a décidé que la réforme avait un noyau dur auquel on ne pouvait pas toucher, et il a laissé la porte ouverte notamment sur la pénibilité. L'Assemblée nationale, cependant, n'a pas inclus dans la pénibilité l'exposition à des produits dangereux ni le travail de nuit. Des études démontrent que les cancers professionnels liés aux produits dangereux, ou encore les effets irréversibles et incapacitants liés au travail de nuit, apparaissent majoritairement après soixante-cinq ans. Ces maladies ne seront pas diagnostiquées par la médecine du travail : avez-vous des propositions pour les faire prendre en compte ?

M. Jean-Marie Vanlerenberghe. - J'entends les discours contre la réforme, mais pas de propositions chiffrées des syndicats sur la pénibilité et sur les carrières longues, alors que chacun sait que l'obstacle est financier : quelles sont vos propositions pour lever cet obstacle ? Le Gouvernement annonce que le recul de l'âge du taux plein à soixante-sept ans ferait économiser 6 milliards. Mes calculs sont différents ; quels sont les vôtres ?

M. Jacky Le Menn. - Quel est votre sentiment sur le rôle que les fonds de retraites - type Prefon - sont appelés à jouer dans les années à venir ? Leurs représentants nous affirment qu'ils seront indispensables, à l'horizon 2030, pour maintenir le pouvoir d'achat des retraités : qu'en pensez-vous ?

Mme Annie David. - Je déplore avec vous, outre le fond, la méthode suivie par le Gouvernement et j'y ajoute comme exemple celui de la médecine du travail. Tout changement du code du travail, nous dit-on depuis quelques années, doit être précédé d'un accord interprofessionnel : ce n'est pas le cas pour la médecine du travail où, si des négociations avaient été engagées entre partenaires sociaux, c'est un amendement gouvernemental qui tient lieu de réforme, qui plus est pour mettre à mal encore davantage la médecine du travail.

Sur la pénibilité, nous sommes choqués du dispositif, même si le seuil de prise en compte a été ramené de 20 % à 10 % d'incapacité professionnelle, cette réduction étant accompagnée de la création d'une commission pluridisciplinaire. Même chose sur l'inversion de la charge de la preuve, qui met en cause la présomption d'imputabilité : le salarié devra démontrer que le travail est à l'origine de son incapacité, qu'en pensez-vous ?

Mme Annie Jarraud-Vergnolle. - Dès lors que pas plus de 38 % des cinquante-cinq-soixante-quatre ans sont en activité, ne risque-t-on pas, en repoussant l'âge de la retraite à taux plein à soixante-sept ans, de transférer une charge des caisses de retraites aux caisses de solidarité ? Avez-vous négocié avec le Gouvernement sur l'emploi des seniors ?

Selon un récent sondage, 91 % de nos compatriotes estiment que la réforme va léser les femmes : avez-vous pu en discuter avec le Gouvernement et avez-vous des propositions correctrices ?

Comment mieux prendre en compte, enfin, la situation des salariés qui, passant d'un emploi précaire à un autre emploi précaire, n'ont pas pu cotiser suffisamment ?

M. René Teulade. - Je partage aussi bien des points de votre analyse, mais je ne peux m'empêcher de constater que les syndicats contribuent au climat anxiogène de la réforme, en la présentant comme la source d'un conflit entre générations : un peu plus d'optimisme est-il hors de propos ?

La fin d'activité professionnelle ne signifie pas la fin de l'activité économique et sociale. Le troisième âge a changé, il est devenu la clé de voûte d'une société où l'on compte dans les familles quatre, voire cinq, générations, et où celui qui prend sa retraite doit s'occuper encore des plus âgés et des plus jeunes que lui : arrêtons de dire que le troisième âge est une charge pour la société.

Ne vous paraît-il pas possible, ensuite, de prendre en compte le temps passé au bénévolat ? La solution technique est certainement difficile, mais en a-t-on au moins parlé ?

M. Alain Milon. - Une loi devait venir renforcer la médecine du travail, le Gouvernement procède par amendement : que pensez-vous de la méthode et du fond ? Ensuite, s'agissant des augmentations de cotisations dans la fonction publique, je rappellerai celles que nous avons subies à la CNRACL entre 2002 et 2005, sans aucun dialogue social.

M. Bernard Devy. - Je veux d'abord assurer à M. Teulade que je ne verse pas dans la « sinistrose » : l'histoire nous montre que nous avons toujours résolu les plus grandes difficultés qui se présentaient, sans casse sociale, même si je n'oublie pas les trop petites pensions de retraite. Notre régime de protection sociale a joué un rôle d'amortisseur et il a garanti l'indépendance financière des retraités, qui ont pu continuer à consommer. Cependant, nous avons sous-estimé l'impact du vieillissement de la population, sur les retraites comme sur les autres questions sociales que sont la santé ou le logement, et c'est un défi pour les prochaines décennies. Pour le relever, si je n'étais pas optimiste, je ne serais pas un syndicaliste.

Monsieur Vasselle, en examinant, au sein du Cor, la situation des pays qui ont fait des réformes systémiques, en y introduisant en particulier des comptes notionnels, nous avons constaté que la retraite est toujours le reflet de la vie professionnelle : il y a toujours une part contributive, qui devient importante en cas de crise. C'est l'exemple de la Suède, où les pensions ont fortement baissé. Quant à l'avantage de la simplicité, il faut regarder du côté des Pays-Bas, avec leurs quelque six cents fonds de pensions régis par des règles particulières, pour voir que notre système avec une trentaine de régimes n'est pas si complexe qu'on le dit.

Nous sommes donc favorables à l'examen des solutions alternatives, mais pas au détriment du niveau des pensions et pas non plus pour des systèmes dont l'objectif principal serait de dissimuler la charge que représentent les retraites. En fait, quel que soit le système retenu, nous n'échapperons pas à la nécessité de ressources nouvelles. C'est bien pourquoi nous ne demandons pas que l'Etat nous donne les clés de la boutique : la solution est politique, elle passe par le Parlement. Vous êtes en charge de l'intérêt général, alors que nous défendons l'intérêt particulier des salariés que nous représentons. Avant de lancer une réforme systémique, il faut donc bien mesurer ses avantages pour l'ensemble.

J'avoue mon scepticisme sur la fusion des régimes entre le public et le privé. Du reste, les retraites représentent 13 % du Pib : le Gouvernement ne pourra jamais s'en désintéresser complètement.

L'emploi des seniors n'est pas un thème nouveau, des mesures ont été prises depuis quelques années, notamment quand Gérard Larcher était au ministère, avec l'avantage de fin de carrière, le tutorat. Mais on constate qu'il y a toute une culture à modifier, qu'il faut changer de braquet, pour qu'à quarante-cinq ans, le salarié accède encore à la formation, au développement de carrière, et il faudrait faire des efforts très sérieux pour accompagner ceux qui perdent leur emploi après cinquante ans pour qu'ils en retrouvent un autre : voilà la vraie difficulté.

L'hypothèse d'un transfert de cotisations de l'Unedic vers la branche vieillesse me paraît tout à fait illusoire.

Sur l'adaptation du relèvement de l'âge du taux plein pour les femmes, nous y avons également réfléchi, mais une telle mesure se heurterait au principe d'égalité entre les citoyens. Nous pensons plutôt à améliorer les conditions de travail des femmes, à renforcer les services de garde d'enfants, à mieux rémunérer le congé parental, et à augmenter les cotisations sur le travail à temps partiel, car la précarité des femmes dans le travail tient beaucoup au temps partiel subi.

M. Gérard Rivière, conseiller technique de FO. - Nous pouvons vous communiquer quelques chiffres intéressants sur les augmentations des cotisations. Depuis 1980 dans le privé, la part salariale a augmenté de 2,05 points, sans évoluer dans les dix-neuf dernières années, à comparer au 2,7 points qui seront demandés aux fonctionnaires en dix ans. Dans le même temps, la part patronale n'a augmenté que de 1,7 point, et les cotisations sociales patronales sont exonérées à hauteur de 22 %.

M. Bernard Devy. - Nous attendons que la loi soit votée pour ouvrir les négociations sur les retraites complémentaires. L'association pour la gestion du fonds de financement (AGFF) a été créée pour couvrir le coût occasionné par l'abaissement de soixante-cinq à soixante ans de l'âge de la retraite, et il faudra sans doute en prolonger l'existence au moins jusqu'au 1er avril. Nous ferons en sorte que les salariés ne soient pas pénalisés : il est inadmissible que le rendement des régimes complémentaires diminue à l'occasion de chaque réforme, même s'il est pour l'instant supérieur à celui des fonds de capitalisation : 6,8 % au lieu de 4,5 %.

Les carrières longues sont un problème voué à s'estomper : les jeunes entrent désormais sur le marché du travail à vingt-deux ans en moyenne. Mais il faut veiller à ne pas pénaliser ceux qui ont commencé à travailler tôt, et pourraient avoir à acquitter jusqu'à quarante-quatre années de cotisations.

Débattre de la pénibilité dans le cadre d'une réforme des retraites est un non-sens. Il faut se préoccuper de la prévention, de l'amélioration des conditions de travail et de l'aménagement du temps de travail en même temps que des départs anticipés. La cessation d'activité de salariés âgés (Casa) et la cessation d'activité de certains travailleurs salariés (Cats) concernaient naguère des travailleurs de l'industrie ayant travaillé dans des conditions pénibles. Dans les transports, deux mille salariés justifiant de trente ans de conduite bénéficient chaque année d'un départ anticipé grâce à un financement tripartite, la contribution de l'Etat s'élevant à 100 millions d'euros. Nous avions proposé de débattre de la pénibilité sous tous ses aspects dans le cadre des branches professionnelles et d'accorder, selon des critères qui ont déjà été largement définis lors des négociations interprofessionnelles, des réparations financées grâce à une cotisation mutualisée. La proposition qui nous est faite aujourd'hui ne nous satisfait pas. Le Gouvernement retient le critère de l'invalidité ; mais les effets du travail pénible ne se font pas nécessairement sentir dès soixante ans ; ils se font parfois sentir plus tard et parfois même jamais, sans qu'une réparation cesse d'être légitime.

Il faut prévenir les risques. Pas moins de 18 % de salariés travaillent la nuit, parfois sans nécessité, comme dans les grands magasins des Champs-Elysées. Le Gouvernement a abaissé de 20 % à 10 % le taux minimal d'invalidité requis pour bénéficier d'un départ anticipé mais l'évaluation pourra être révisée par une commission pluridisciplinaire, ce qui occasionnera des contentieux. Les employeurs, qui financent le régime AT-MP, n'accepteront pas que les dépenses augmentent. Tous les salariés ne seront pas logés à la même enseigne, puisque les différentes commissions ne rendront pas les mêmes décisions : cela me rappelle les écarts entre départements lorsqu'existait l'ancienne prestation spécifique dépendance (PSD).

Quant à la médecine du travail, il nous semble très cavalier de la réformer par voie d'amendements au projet de loi sur les retraites : le sujet aurait mérité un texte spécifique. Le Gouvernement veut mettre la médecine du travail sous la coupe des employeurs alors qu'il s'était engagé à la rendre plus indépendante et à introduire la médecine de ville dans les services de santé au travail : c'est une pente dangereuse. Les partenaires sociaux avaient pourtant entamé leur réflexion.

Nous ne nous désintéressons pas des fonds de capitalisation, même si nous défendons prioritairement les petites retraites. Il serait souhaitable que le législateur cesse de modifier constamment les règles de l'épargne retraite et favorise la rente plutôt que la sortie en capital.

Vous avez évoqué les niches sociales. Nous plaidons pour une réforme fiscale de grande ampleur, qui mette tous les revenus à contribution, y compris - et je vais peut-être vous surprendre - les minima sociaux, à un très faible taux : car la solidarité est l'affaire de tous.

M. Vanlerenberghe m'a interrogé sur le coût du maintien de l'âge du taux plein à soixante-cinq ans, mais il est difficile de l'évaluer. Les chiffres du Gouvernement se fondent sur des hypothèses macroéconomiques excessivement optimistes : l'an dernier, la masse salariale s'est effondrée. La question des retraites ne peut être dissociée de celle de l'emploi. Les retraites doivent être financées par une part contributive et une part non contributive, mais tout ne peut pas reposer sur l'impôt, sauf à définir un régime égalitaire où tout le monde toucherait la même pension et où chacun serait libre d'épargner au surplus dans des fonds de capitalisation. Le déficit accumulé entre 2011 et 2018 est estimé à 60 milliards d'euros, mais tout dépendra de la croissance.

Réforme des retraites - Audition de M. Eric Aubin, membre de la direction confédérale, en charge des retraites, Mme Mijo Isabey, conseillère confédérale, MM. Gilles Oberrieder, en charge du dossier retraite à l'union générale des fédérations de fonctionnaires, et Gérard Rodriguez, conseiller confédéral, de la confédération générale du travail (CGT)

M. Eric Aubin, membre de la direction confédérale de la CGT, en charge des retraites. - A lire la presse aujourd'hui, on s'interroge sur le rôle du Sénat, car un ministre semble déjà savoir quelle sera l'issue de l'examen du texte dans cette assemblée...

Nous critiquons la méthode du Gouvernement : cette réforme aurait mérité de longs mois de concertation. Quant au fond, nous considérons que ce projet de loi est brutal, injuste et enfermé dans une perspective de court terme. Brutal, parce qu'il s'attaque aux plus fragiles : les travailleurs précaires, les jeunes et les femmes. Ceux qui ont commencé à travailler tôt pâtiront du relèvement de l'âge légal du départ à la retraite. Les femmes et les travailleurs précaires, aux carrières discontinues, subiront les effets du relèvement de l'âge du taux plein : 30 % des femmes doivent déjà travailler jusqu'à soixante-cinq ans. Injuste, parce qu'alors que le déficit des régimes de retraites est dû pour les deux tiers à la crise économique et financière, le coût de la réforme repose pour 85 % sur les salariés, qui ont déjà assumé une charge représentant 3,2 % du Pib lors des réformes de 1993 et 2003. Ce sont 22,6 milliards de plus qu'on leur demandera. Ce projet de loi est enfermé dans une perspective de court terme, puisqu'il faudra remettre l'ouvrage sur le métier dès 2018 ; certains députés de la majorité auraient voulu prendre des mesures plus contraignantes dès à présent...

Le Gouvernement prétend que l'équilibre des régimes de retraites est un problème démographique. Selon nous, l'allongement de la durée de la vie n'est pas un mal en soi : seulement il nécessite un nouveau mode de financement des retraites et une autre politique de l'emploi. Si la France connaissait le plein emploi, le besoin de financement des caisses de retraite serait réduit de moitié. Les problèmes d'emploi ne sont pas sans incidence sur les conditions de travail : aujourd'hui les trente-cinquante ans constituent la grande majorité des travailleurs, et on leur demande toujours plus d'efforts, ce qui explique qu'ils arrivent usés à l'âge de la retraite. Alors que dans les pays du Nord les seniors sont heureux au travail, les salariés français, dès l'âge de cinquante ans, comptent le nombre d'années qu'il leur reste à travailler. Le problème des retraites ne peut donc être dissocié de celui de l'emploi et des conditions de travail.

Sur la pénibilité, les propositions du Gouvernement ne nous satisfont pas. Les négociations avec le Medef, qui n'ont pas abouti, ont toutefois permis de définir trois critères de pénibilité : l'effort physique, l'environnement agressif et le rythme de travail. Les négociations ont achoppé sur la question du financement et parce que le Medef tenait à une approche médicalisée. Le Gouvernement, non content de satisfaire le Medef sur ce dernier point, a fixé un taux d'invalidité au-delà duquel seulement les salariés auront le droit de prendre une retraite anticipée. Mais ceux qui ont travaillé dans des conditions pénibles doivent pouvoir jouir de leur retraite en bonne santé. L'abaissement de 20 % à 10 % du seuil d'invalidité ne change rien à l'affaire.

Pour financer les retraites, nous avons fait des propositions. Outre le fait que le plein emploi résorberait la moitié du déficit, il serait judicieux d'élargir l'assiette des cotisations, comme le recommande la Cour des comptes dans son rapport de 2009 - elle évalue à 3 milliards d'euros le manque à gagner qui résulte pour l'Etat de l'exonération des revenus tirés de l'intéressement et de la participation -, ainsi que l'inspection générale des finances dans un rapport paru le mois dernier. Alors que les salaires ont augmenté de 40 % au cours des dix dernières années, les revenus de l'intéressement et de la participation ont plus que doublé : ils tendent donc à se substituer aux rémunérations normales et doivent être soumis à cotisations. Les revenus financiers des entreprises pourraient également être taxés, au même taux que les revenus salariaux, ce qui rapporterait 20 milliards d'euros. Je rappelle qu'entre 1984 et 2007, les salaires n'ont fait que doubler alors que les dividendes étaient multipliés par treize : il est temps de s'interroger sur la répartition des richesses dans notre pays.

Quant aux exonérations de cotisations dont bénéficient les entreprises, elles ont montré leur inefficacité en termes d'emploi. Il faut donc y mettre un terme, tout en aidant les entreprises en difficulté. Plutôt que d'asseoir les cotisations sur la masse salariale, ce qui décourage l'embauche et toute politique salariale ambitieuse, il faudrait prendre en compte le rapport entre la masse salariale et la valeur ajoutée : comme l'indiquait le rapport Cotis, les salaires représentent 81 % de la valeur ajoutée dans le bâtiment, mais seulement 31 % dans l'immobilier. Les exonérations profitent trop souvent aux grands groupes, qui n'ont pas de problèmes financiers. Il serait également envisageable d'augmenter les cotisations sociales des employeurs, qui n'ont pas évolué depuis des années.

Les secrétaires généraux des sept grandes organisations syndicales ont écrit au Président de la République, aux membres du Gouvernement et aux parlementaires pour leur faire part de leur appréciation sur la réforme. Après l'adoption du projet de loi par les députés, cette lettre reste d'actualité. Près de 25 000 personnes manifestaient leur désaccord ce matin devant l'Assemblée nationale et les sondages montrent que 75 % des salariés réprouvent la réforme, 55 % d'entre eux estimant même que le Gouvernement doit reculer sur le report de l'âge légal du départ à la retraite.

M. Yves Daudigny . - Je suis de ceux qui défendent le maintien de l'âge légal à soixante ans. Mais que pensez-vous de l'exemple de nos voisins européens, en particulier des Allemands qui ont réformé leur système de retraites dans des conditions très différentes ?

M. Guy Fischer . - Cette réforme est en effet brutale, puisque son financement est pour 85 % à la charge des salariés. Quant aux fonctionnaires, leur taux de cotisation passera de 7,85 % à 10,55 %. Que pensez-vous de cette ponction inouïe, historique ?

Mme Gisèle Printz . - Quelles propositions la CGT fait-elle pour que les femmes touchent des pensions convenables, en particulier celles qui ont élevé seules leurs enfants?

M. Marc Laménie . - Vous parlez de supprimer les exonérations de charges sociales et d'augmenter les cotisations patronales. Mais que faites-vous des contraintes auxquelles les entreprises sont confrontées ?

Mme Raymonde Le Texier . - Je crois savoir que le Medef est divisé sur la question de la pénibilité : les sociétés de services refusent de payer pour les autres, alors qu'elles n'« usent » pas leurs salariés. Si l'on sollicitait les entreprises où les conditions de travail sont les plus dures, selon le principe du « pollueur payeur », ne les encouragerions-nous pas à ne plus exposer leurs salariés aux mêmes risques physiques et psychiques ?

Mme Annie David . - Sur la pénibilité, le Gouvernement a adopté le point de vue du patronat en faisant le choix de la médicalisation. Les négociations entre partenaires sociaux n'ont pas abouti, malgré les promesses de Xavier Bertrand lorsqu'il était en charge du ministère du travail. A l'Assemblée nationale, il a été décidé de ramener à 10 % le taux d'invalidité au-delà duquel les salariés auront droit à une retraite anticipée, mais aussi de créer une commission chargée de vérifier que cette invalidité est bien liée au travail : n'est-ce pas, sous couvert d'une concession, mettre fin au principe cardinal de la présomption d'imputabilité des accidents et maladies du travail ?

Au sujet de la médecine du travail, le Gouvernement a renoncé à présenter un texte spécifique, préférant procéder par amendements au projet de loi sur les retraites. La méthode est détestable et les mesures envisagées constituent un formidable recul puisqu'elles consistent à soumettre les médecins à la tutelle des employeurs, alors que la mission sénatoriale sur le mal-être au travail avait préconisé une gestion tripartite.

M. Jacky Le Menn . - Depuis 1993, les pensions sont indexées sur l'inflation et non plus sur le niveau des salaires. Avez-vous évalué la perte qui en a résulté ?

Que pensez-vous de l'idée d'augmenter les contributions sociales pesant sur les pensions dépassant un certain plafond ?

M. Alain Vasselle , rapporteur général. - J'aimerais vous entendre au sujet de l'emploi des seniors et sur l'éventualité d'une réforme systémique des retraites. Quant aux femmes, quelles suggestions faites-vous pour qu'elles ne soient pas trop durement touchées ? Avez-vous chiffré les recettes tirées d'un élargissement de l'assiette des cotisations aux revenus tirés de l'intéressement et de la participation, et mesuré les effets pervers d'une telle mesure en termes de compétitivité et d'emploi ?

M. Dominique Leclerc , rapporteur. - Rassurez-vous, monsieur Aubin, le Sénat saura tenir sa place dans le processus législatif. Que pensez-vous de l'amendement de Pierre Méhaignerie et Denis Jacquat, qui prévoit la conclusion d'accords collectifs et la création de fonds de mutualisation au niveau des branches pour compenser ou alléger la pénibilité du travail ? La CGT est-elle favorable à l'institution d'une pénalité financière pour les entreprises qui n'établissent pas de rapport d'entreprise ni de plan d'action pour l'égalité salariale entre les hommes et les femmes ?

M. Eric Aubin. - On invoque souvent l'exemple de nos voisins européens, mais comparaison n'est pas raison. La réforme française est la plus dure, puisqu'elle joue à la fois sur les bornes d'âge et sur la durée de cotisation, qui sera bientôt la plus longue d'Europe : 41,5 ans contre 30 ans au Royaume-Uni, 35 ans en Allemagne et en Espagne, 40 ans en Suède, 37 ans en Autriche. L'allongement de la durée de cotisation a évidemment une incidence sur le niveau des pensions, puisque les travailleurs qui n'ont pas assez cotisé se voient appliquer une décote.

La France est avec la Belgique et l'Espagne l'un des seuls pays européens à avoir indexé les pensions sur les prix. Cette mesure a réduit de 16 % à 17 % le niveau des pensions depuis 1993, et si l'on y ajoute la modification du mode de calcul, qui prend désormais en compte les vingt-cinq et non plus les dix meilleures années, elles ont baissé de plus de 20 %. En France, la pension moyenne est égale à 54 % du revenu moyen d'activité, contre 72 % dans l'ensemble de l'OCDE.

Pour financer les mesures de prévention et de compensation de la pénibilité, nous proposons trois types de ressources. Tout d'abord, une cotisation mutualisée des employeurs, faute de quoi certains secteurs d'activité, comme le textile, n'auront pas les moyens de financer de telles mesures. Des accords d'entreprises existent déjà dans certains grands groupes, mais les salariés des PME et TPE sont démunis. Ensuite, une cotisation variant selon la politique de prévention des entreprises. Enfin, des fonds publics : les dispositifs de cessation anticipée d'activité, qui ont disparu, coûtaient entre 8 et 10 milliards d'euros à la collectivité et concernaient 850 000 personnes chaque année ; il faudrait redéployer une partie de ces moyens en faveur des nouveaux retraités. Il faut en effet distinguer entre les salariés qui ont d'ores et déjà subi de mauvaises conditions de travail et arrivent usés à l'âge de la retraite - seuls 40 % des salariés demeurent actifs à l'âge de soixante ans - et les générations suivantes, pour lesquelles nous ne sommes pas opposés au principe de la traçabilité, non par le biais d'un carnet comme il est proposé, mais par exemple sous le contrôle de la caisse d'assurance retraite et de santé au travail (Carsat), sous réserve que la confidentialité des données soit préservée.

Nous ne sommes guère favorables à l'amendement de Pierre Méhaignerie et Denis Jacquat : à des accords de branches, nous préférerions un accord interprofessionnel qui apporte des garanties à tous les salariés. L'amendement supprime en outre le droit au départ anticipé d'ores et déjà négocié dans certaines branches et entreprises, et ne prévoit que des aménagements de fin de carrière.

Mme Mijo Isabey, conseillère confédérale de la CGT. - Les pensions des femmes atteignent en moyenne 65 % de celles des hommes, et seulement 50 % si l'on retranche les pensions de réversion. Notre objectif est donc triple. Il est tout d'abord indispensable de réduire les inégalités au cours de la vie active. Les pénalités prévues faute de rapport sur l'égalité salariale ne résoudront rien. Aux termes de la loi de 2006 relative à l'égalité salariale, les rémunérations des hommes et des femmes devaient converger à la fin 2010 : nous sommes loin du compte ! Outre le salaire, il faut se préoccuper de la qualité de l'emploi, les femmes occupant plus souvent que les hommes des postes précaires ou à temps partiel. Ensuite, il faut mieux articuler la vie professionnelle et la vie familiale, en développant l'offre d'accueil des enfants et des personnes âgées. Enfin, il ne faut pas se résigner à reproduire dans le cadre des retraites les inégalités observées pendant la vie active. Le changement du mode de calcul des pensions, qui prend désormais en compte les vingt-cinq meilleures années, et l'allongement de la durée de cotisation ont surtout pénalisé les femmes ; c'est pourquoi nous exigeons le retour aux dix meilleures années. Quant à la majoration de la durée d'assurance, après la réforme de 2003 dans la fonction publique, il a été confirmé qu'elle pourrait être partagée entre les hommes et les femmes dans le secteur privé : cela aussi pose problème.

Le congé de maternité ne doit pas être considéré comme un congé maladie : c'est pourquoi il faudrait reconstituer le salaire qu'aurait perçu l'intéressée, plutôt que de ne prendre en compte que les indemnités journalières. La mesure proposée par le Gouvernement n'est qu'une goutte d'eau. En outre elle ne concerne que les enfants à naître, alors qu'elle devrait être rétroactive pour produire des effets dans l'immédiat.

M. Gilles Oberrieder, en charge du dossier des retraites à l'union générale des fédérations de fonctionnaires. - Cette réforme est destinée à dégager 40 milliards d'euros, dont 25 milliards prélevés sur le pouvoir d'achat des salariés et 9 milliards sur celui des seuls fonctionnaires qui ne représentent que 20 % du salariat. Sur cette somme, les mesures d'âge représentent 4 milliards, la hausse du taux de cotisation 3 milliards, la disparition du départ anticipé pour les mères de trois enfants 1 milliard, et la modification des règles d'attribution du minimum garanti, mesure scandaleuse qui s'attaque aux plus faibles, 1 milliard.

La CGT n'a jamais défendu par principe un taux de cotisation plus faible dans la fonction publique. Mais il faut tenir compte de l'histoire. Les cotisations des fonctionnaires de l'Etat, jusqu'à récemment, étaient tout simplement déduites de leur traitement, ce qui procurait au Trésor public des facilités de trésorerie. Le niveau de cotisation n'avait donc pas autant d'importance qu'actuellement. En outre, les salariés du privé bénéficient de retraites complémentaires, alors que les primes des fonctionnaires ne sont pas prises en compte pour le calcul de leur pension. Je suis administrateur de l'établissement de retraite additionnelle de la fonction publique, et l'on ne me fera pas croire qu'il s'agit d'une retraite complémentaire : le taux de remplacement est extrêmement faible, ainsi que les cotisations d'ailleurs.

Il faut également tenir compte des ponctions réitérées sur les rémunérations des fonctionnaires. Le Gouvernement refuse de considérer le point d'indice comme le principal indicateur, mais les primes ne représentaient encore en 2008 que 23 % des revenus des fonctionnaires de l'Etat. Or, entre 2000 et 2010, le point d'indice a augmenté moins vite que les prix de 9 %. Il a été revalorisé de 0,5 % en 2010, mais doit être gelé en 2011, puis en 2012 et 2013, sauf amélioration de la conjoncture économique. En tout, la perte de pouvoir d'achat devrait s'élever à 15 %. En outre, la hausse du taux de cotisation représentera une perte de 3 %. On parle de 6 euros par mois, mais, après dix ans, la perte sera de 60 euros par mois, ce qui n'est pas négligeable étant donné le niveau du traitement moyen.

M. Eric Aubin. - Je reviens sur la question de la médecine du travail. Les négociations avec le Medef ont échoué ; le Gouvernement avait envisagé de déposer un projet de loi à ce sujet, mais Eric Woerth a finalement choisi de procéder par le biais de plusieurs amendements que nous avons découverts avec surprise. La réforme consiste à placer les services de santé au travail sous le contrôle des employeurs, alors qu'il leur faudrait plus d'autonomie. Elle affaiblit aussi les comités d'hygiène, de sécurité et des conditions de travail.

En ce qui concerne les seniors, je rappelle que seuls 40 % des salariés restent actifs à soixante ans. Des sondages montrent que 72 % des commerces et 74 % des entreprises du bâtiment estiment difficile d'employer des gens de plus de soixante ans. On continue à favoriser le départ des seniors. La convention de l'assurance chômage doit être renégociée d'ici à la fin de l'année ; or, Pôle emploi évalue à 265 millions d'euros le surcoût occasionné par le relèvement à soixante-deux ans de l'âge légal du départ à la retraite. La réforme consiste donc à transférer les charges d'un régime à l'autre. Encore certains travailleurs âgés seront-ils réduits à vivre des minima sociaux... Faute d'une hausse des cotisations chômage et alors que les besoins ne cessent de croître, il faut s'attendre à une baisse des allocations. La seule mesure relative à l'emploi dans ce texte consiste à exonérer de charges les entreprises qui emploieraient des personnes de plus de cinquante-cinq ans, mais les niches sociales de ce genre ont démontré leur inefficacité. Il faudrait aussi se préoccuper de l'emploi des jeunes : un quart d'entre eux est au chômage, et l'âge moyen d'accès à un emploi stable est de vingt-sept ans.

La CGT n'est pas favorable à une réforme systémique des retraites. La répartition a toujours répondu aux besoins depuis la guerre, et c'est le système le mieux à même de le faire. Il a fallu quinze ans pour élaborer en Suède le système par comptes notionnels, qui ne répond pas à deux questions primordiales : à quel âge pourrai-je partir, et avec quelle pension ? Si l'on veut donner aux jeunes confiance en l'avenir, il faut leur fournir des réponses précises. Nous ne voulons pas voir un régime à cotisations définies se substituer à un régime à prestations définies. Cela ne signifie pas que nous soyons hostiles à une refonte de notre protection sociale.

La CGT souhaite la création d'une maison commune des régimes de retraites pour les rendre plus solidaires et définir un socle commun pour tous les salariés. Il faut revoir la notion de carrière complète en y intégrant les périodes de formation - il n'y a aucune raison que ceux qui étudient soient pénalisés - ou d'inactivité forcée. Quant à l'élargissement de l'assiette des cotisations aux revenus issus de l'intéressement et de la participation, la Cour des comptes considère qu'il permettrait de dégager 3 milliards d'euros, et l'UPA y est favorable.

Jeudi 16 septembre 2010

- Présidence de Mme Muguette Dini, présidente -

Réforme des retraites - Audition de Mme Danièle Karniewicz, secrétaire nationale de la Confédération française de l'encadrement - Confédération générale des cadres (CFE-CGC) et présidente du conseil d'administration de la caisse nationale d'assurance vieillesse (Cnav)

Mme Danièle Karniewicz, secrétaire nationale de la CFE-CGC. - Le projet de loi voté à l'Assemblée nationale, dont vous connaissez le texte, ne nous paraît pas équilibré. Il est certes indispensable de jouer sur l'allongement de la durée d'activité mais, pour garantir l'équilibre des régimes à l'horizon 2020 et au-delà, il faut équilibrer les sources de financement. En l'état actuel du texte, ce n'est pas le cas. Les mesures d'âge ne rapportent que 19 milliards d'euros sur les 42 attendus à l'horizon 2020, dont le tiers grâce au passage de l'âge du taux plein à soixante-sept ans. La contribution de l'Etat pour la fonction publique n'est pas une recette, mais du déficit budgétaire. Selon la commission des finances de l'Assemblée nationale, il n'y a pas d'équilibre par régime pour les salariés du privé.

On ne peut compter essentiellement sur le travail pour financer la solidarité. Nous proposons donc une cotisation sociale assise sur la consommation, ce qui élargirait l'assiette du financement au-delà des seuls salariés, et ferait contribuer à la protection sociale les produits d'importation. L'équilibre, c'est aussi faire davantage contribuer les revenus du capital, et poser la question des exonérations de cotisations patronales, qui ont augmenté de 9,5 % par an entre 2005 et 2009. Dénoncé par la Cour des comptes, cet empilement d'exonérations n'a pas fait la preuve de son efficacité en termes d'emploi : dès lors, ne vaudrait-il pas mieux dédier ces sommes au financement de la protection sociale ?

Si nous voulons pérenniser notre système, chacun doit pouvoir connaître le niveau de sa future pension. Or, trente millions de Français l'ignorent, et voient ce niveau continuer à chuter... Il faudrait au moins stabiliser la baisse - ce que ne fait pas le projet de réforme. Si les fonctionnaires, et a fortiori les régimes spéciaux, bénéficient de garanties - avec le bémol de la non-prise en compte des primes - le seul garde-fou dans le privé concerne les salariés qui ont fait toute leur carrière au Smic ; pour les autres, le calcul est fonction du « profil de carrière ». Nous proposons donc de fixer un « bouclier retraite » garantissant que la pension ne pourra être inférieure à 50 % du salaire. Une telle mesure est sans doute politiquement difficile à expliquer aujourd'hui, mais offrirait une protection pour l'avenir et rassurerait les classes moyennes, qui sont inquiètes. Les engagements doivent être suivis de mesures concrètes. Nous ne demandons pas le même niveau de remplacement pour tous, mais au moins un seuil garanti.

Notre système est en train de changer : le socle du régime par répartition ne garantissant pas un revenu suffisant, une partie de la population est invitée à recourir à l'épargne-retraite. L'inquiétude vient de l'incertitude : il faut dire clairement, soit que l'on pérennise le système, avec un niveau de pension garanti, soit qu'il faut faire autrement. Nous ne demandons pas de priver de leurs avantages ceux qui en bénéficient, mais nous voulons instaurer un garde-fou pour les autres.

Nous souhaitons également la prise en compte des années d'études. La solidarité couvre l'éducation des enfants ou la maladie, mais pas cette période cruciale de la vie : c'est injuste. Pour les jeunes générations, l'impact serait considérable. Nous proposons donc de permettre aux étudiants de cotiser pour valider au moins la moitié de ces années d'étude, à condition qu'elles soient sanctionnées par un diplôme ; il faudrait a minima prendre en compte les périodes de stage. Le rapport que le Gouvernement doit adresser au Parlement, selon le projet de loi, ne sera remis que mi-2011... Il faut accélérer les choses, et rendre cette mesure rétroactive.

M. Jean-Pierre Godefroy. - Très bien !

Mme Danièle Karniewicz. - La durée d'assurance ne peut être indéfiniment calculée à la fois par annuités et en fonction de l'âge. Le critère de l'âge est plus lisible et évite de distinguer ceux qui ont commencé à cotiser tôt de ceux qui ont travaillé sans cotiser. Il faudra à un moment donné bloquer le compteur des annuités.

Actuellement, une femme qui perçoit une pension de réversion ne peut pas travailler, sauf à perdre ce revenu, alors qu'un salarié qui a une retraite confortable peut cumuler celle-ci avec une activité. Il faudrait ouvrir cette possibilité à ces femmes, qui ont souvent de très petites retraites. Certains articles du projet de loi traitent de l'égalité salariale entre hommes et femmes ; il faudra trouver des leviers pour les mettre en pratique.

Les fonctionnaires revendiquent de cotiser sur la totalité de leurs revenus, primes comprises, comme dans le privé. Or, le régime de la retraite additionnelle de la fonction publique (RAFP) ne permet de cotiser que sur 20 % de ces primes.

Le sujet des polypensionnés est sensible car tous, en réalité, ne sont pas lésés. Il faut un travail approfondi pour garantir un traitement égalitaire et une certaine lisibilité.

La question de l'exposition aux risques professionnels pose celle de la prévention, qui suppose un suivi via un curriculum laboris, dossier médical qui suit le salarié tout au long de sa carrière. Enfin, je regrette que l'on tente de réorganiser la médecine du travail au détour de quelques articles d'un projet de loi réformant les retraites...

M. Jean-Pierre Godefroy. - Tout à fait d'accord.

M. Dominique Leclerc, rapporteur. - Vous avez participé aux travaux du conseil d'orientation des retraites (Cor), et vous savez que l'échéance de 2012 a été avancée du fait de la crise. Il était urgent d'agir sur la durée de cotisation, l'âge légal de départ et les ressources nouvelles. Je prends acte de vos propositions en matière de financement ; elles pourront être discutées dans le cadre du projet de loi de financement et du projet de loi de finances. Notre Mecss a proposé certaines pistes. Il est urgent de poursuivre la réflexion avec les différents partenaires pour que les solutions soient effectives au plus vite.

Vous avez sûrement des propositions concrètes sur les retraites des femmes car la demande est forte. Tous les polypensionnés ne pâtissent pas de ce statut : avez-vous des éléments chiffrés en la matière ? Faut-il assouplir les règles de proratisation dans certains régimes ?

Enfin, ce texte est le premier à prendre en compte la pénibilité et à apporter une réparation immédiate. S'agissant de la prévention, on peut s'interroger sur le suivi des mesures que le Gouvernement s'apprête à prendre.

Mme Annie David. - Je partage votre inquiétude sur la pérennisation du système par répartition.

La prise en compte du congé maternité pour la retraite n'entrera en vigueur qu'à partir de janvier 2011 : la mesure ne concerne donc que les enfants à naître. Ne pensez-vous pas qu'il aurait fallu la rendre rétroactive, d'autant que la majoration de durée d'assurance (MDA) a été modifiée à la suite de la condamnation par la Cour de justice des communautés européennes ? Quant à l'obligation de négocier un accord pour l'égalité salariale dans l'entreprise, sous peine de pénalité, elle est repoussée à fin 2011...

La notion de « pénibilité » fait son apparition dans la loi, mais uniquement associée à une invalidité reconnue. Quand la maladie est reconnue, l'espérance de vie des travailleurs de l'amiante est de dix-huit mois. Attendre que les travailleurs soient à l'article de la mort pour leur accorder un départ à la retraite anticipé, c'est inacceptable ! Enfin, que pensez-vous de la commission pluridisciplinaire créée par l'Assemblée nationale, qui remet en cause la présomption d'imputabilité qui date du milieu du XIXe siècle ?

Mme Gisèle Printz. - Où en est l'alignement des retraites des femmes ? Le congé maternité ne doit pas être traité comme un congé maladie. Je partage votre souhait de prendre en compte les années d'études et les stages pour la retraite.

M. Guy Fischer. - Nous connaissons vos positions et vos inquiétudes sur le financement de la réforme. Qualifieriez-vous d'injuste cette réforme qui est supportée à 85 % par les salariés, quand les exonérations fiscales et sociales atteignent 120 milliards d'euros ?

A vous entendre, les fonctions publiques seraient particulièrement avantagées... J'espère que tel n'est pas votre véritable sentiment. En portant le taux de cotisation des salariés des trois fonctions publiques de 7,85 % à 10,55 %, soit une hausse de 35 %, le Gouvernement pousse le bouchon très loin : c'est une pression intolérable sur le pouvoir d'achat des fonctionnaires, dont les salaires seront gelés jusqu'en 2013.

Enfin, diriez-vous que notre régime de retraite sera demain l'un des plus durs de l'Union européenne ?

M. Jean-Pierre Godefroy. - Auteur d'une proposition de loi sur le sujet, je partage votre position sur les stages, qui sont souvent des emplois déguisés - situation amplifiée par le dernier décret qui autorise les stages hors cursus.

Si les médecins du travail qui détermineront le taux d'invalidité sont sous la responsabilité exclusive des entreprises, ne risque-t-on pas de ne jamais atteindre le seuil requis pour déterminer la pénibilité ? La mission d'information sur le mal-être au travail que j'ai présidée avait demandé une gestion plus paritaire de la médecine au travail ; ici, c'est le contraire.

Qu'adviendra-t-il du fonds de départ anticipé des travailleurs de l'amiante, qui ne prévoit pas de seuil d'invalidité ?

Pouvez-vous développer votre idée de cotisation sur la consommation, qui n'est pas sans m'inquiéter ? Enfin, comment intégrer dans le texte la notion de seuil minimal de retraite pour les salariés du privé ?

M. Ronan Kerdraon. - Je partage également vos propos sur la prise en compte des stages et des années d'études.

Pourriez-vous préciser votre position sur le cumul d'une pension de réversion avec une activité rémunérée ?

Ne pensez-vous pas qu'il aurait fallu un texte spécifique pour définir la notion de pénibilité ? Les ouvertures apportées à l'Assemblée nationale sont limitées. Ainsi, c'est souvent après le départ en retraite qu'apparaissent les problèmes de santé liés par exemple au travail de nuit. Le texte ne prend pas davantage en compte les troubles musculo-squelettiques. Il faut donner de vrais moyens à la médecine du travail.

Nous sommes tous pour l'emploi des seniors, que nous vantait hier M. Wauquiez, mais les plus de cinquante ans sont aussi de plus en plus touchés par le chômage. Le tutorat est sans doute une bonne mesure, mais, n'en déplaise au ministre, on continue d'opposer employabilité des seniors et des jeunes.

Mme Danièle Karniewicz. - Je pense que ce projet de loi sur les retraites n'était pas le bon texte pour traiter de la médecine du travail ; la pénibilité relève de la santé au travail, pas des retraites. Cet aspect de la réforme n'est pas optimal mais il me paraît difficile d'aller plus loin. Aux branches professionnelles d'évaluer l'exposition particulière, métier par métier... sans pour autant recréer de régimes spéciaux. L'essentiel est de préserver l'indépendance du médecin du travail.

Les comparaisons internationales montrent qu'il n'y a pas lieu d'opposer emploi des seniors et emploi des jeunes : soit les deux sont dynamiques, soit les deux sont à la peine, comme en France... Il faudrait des mécanismes plus incitatifs liant les aides aux entreprises et le maintien dans l'emploi.

Je suis d'accord pour qualifier bien des stages d'emplois déguisés.

La réforme ne me paraît pas injuste, monsieur Fischer. L'injustice serait de ne pas agir pour pérenniser notre système de retraites, et, partant, de laisser les plus faibles au bord de la route. Au-delà des sensibilités, l'enjeu est de trouver les ressources nécessaires pour équilibrer le régime, en assurant un niveau de pension décent.

Il y a des différences colossales entre privé et public. Nous ne souhaitons pas voir les fonctionnaires privés de leurs avantages, mais simplement que tout le monde s'y retrouve, y compris les salariés du privé. En portant le taux de cotisation des fonctionnaires à 10,55 %, on l'aligne sur celui des salariés du privé, sachant que ces derniers n'ont aucune garantie sur le niveau de leur future pension... Je sais qu'il est difficile d'étendre au privé le régime des fonctionnaires, mais fixons déjà un taux minimum de remplacement.

Monsieur Leclerc, je sais que l'on ne peut régler tout le financement dans ce texte-ci, mais affichons au moins une volonté en inscrivant un seuil dans la loi. A la loi de finances de trouver ensuite les moyens de le mettre en oeuvre.

Je ne pense pas que notre régime de retraite soit plus dur que dans d'autres pays européens ; au contraire, c'est l'un des meilleurs. Nos retraités sont bien protégés, même s'ils touchent de petites retraites. D'autres pays connaissent des situations bien plus catastrophiques. Il faut défendre notre système et faire des efforts : la solidarité doit entrer en jeu, mais on ne peut tout attendre d'elle. Il serait certes souhaitable que les mesures sur le congé maternité ou autres soient rétroactives, mais en avons-nous les moyens ? Il faut évaluer le coût de ces propositions.

Mme Annie David. - 130 milliards d'euros d'exonérations de cotisations patronales.

Mme Danièle Karniewicz. - Si l'on affecte cette somme aux retraites, je peux suggérer des pistes, mais sans recettes supplémentaire, on ne peut trop demander à la solidarité.

Le problème des pensions de réversion est celui des conditions de ressources. Sans supprimer celles-ci, on pourrait au moins s'aligner sur le cas de ceux qui cumulent un emploi avec une retraite. Actuellement, le revenu de réversion versé par la Cnav peut être réduit en fonction des revenus propres du bénéficiaire. Il faut réfléchir à des seuils. Reste que l'on ne peut pas accepter qu'une femme bénéficiant d'une pension de réversion ne puisse pas travailler.

Vous avez raison de dire que les accords relatifs à l'égalité salariale, qui existent depuis longtemps, ne sont pas appliqués. C'est pourquoi il faut aller plus loin, et instituer des pénalités, applicables dès l'entrée en vigueur du texte.

La cotisation sur la consommation ne doit pas, dans notre esprit, s'ajouter mais venir en remplacement des cotisations existantes. Il s'agit, dans un premier temps, de réduire les cotisations patronales, qui doivent se transformer en salaires et ce n'est qu'alors que peut intervenir une cotisation nouvelle sur la consommation, de l'ordre d'un point de TVA. Ce transfert sur la consommation vise à élargir l'assiette, donc les ressources de la protection sociale, mais ceci par un mécanisme de glissement, d'où la difficulté - on l'a vue avec la TVA réduite sur la restauration...

Mme Muguette Dini, présidente. - C'est à présent non plus à la secrétaire nationale de la CFE-CGC, mais à la présidente du conseil d'administration de la caisse nationale d'assurance vieillesse que nous allons adresser nos questions.

M. Dominique Leclerc, rapporteur. - Ma première question porte sur l'équilibre : quand la Cnav y reviendra-t-elle, et sera-ce durable ? Une disposition du texte alimente la polémique : le report de soixante-cinq à soixante-sept ans de l'âge légal pour bénéficier d'une retraite à taux plein. Quelle sera l'incidence de ce report pour ceux qui n'ont pas eu la possibilité de cotiser le nombre d'années nécessaire ?

Le dispositif des carrières longues n'avait pas été très bien ciblé en 2003. Il doit être légèrement modifié. Quel est aujourd'hui son impact financier pour les années à venir et combien de personnes sont concernées ?

Pour les polypensionnés, un système de prorata des vingt-cinq meilleures années nous semble comporter des éléments défavorables. La Cnav a dû, je suppose, établir certains constats ?

Pouvez-vous nous en dire plus sur l'effet de la suppression de la majoration de pension pour conjoint à charge ?

Nous sommes attentifs aux dispositions liées à l'emploi des seniors, parmi lesquelles la retraite progressive, réputée d'accès difficile : ce dispositif peut-il être amélioré afin de le prolonger après sa venue à échéance ?

Mme Gisèle Printz. - Je m'inquiète de la retraite des femmes : comment les choses se passeront-elles d'ici quelques années ?

M. Yves Daudigny. - La question des retraites est liée, certes, à la démographie, mais aussi à la situation de l'emploi, en période de crise et au-delà. Ne peut-on craindre, vu la situation de la France, que le recul de l'âge légal de soixante à soixante-deux ans ait pour conséquence un transfert de charge de l'assurance vieillesse vers l'assurance chômage, avec, pour corollaire, une dégradation des situations individuelles, ou vers le RSA, soit une aggravation de charges pour les collectivités territoriales ?

Mme Danièle Karniewicz, présidente du conseil d'administration de la Cnav. - S'agissant de l'impact de la réforme sur l'équilibre de la Cnav, c'est, plutôt qu'aux projections du Cor, qui considèrent les branches dans leur ensemble, à celles de la commission des finances de l'Assemblée nationale que je me réfère, selon lesquelles l'adoption de l'ensemble des mesures envisagées devrait faire passer le déficit de la caisse de 18,8 milliards d'euros à 4 milliards annuels à l'horizon 2020, les mesures d'âge pesant pour 9 milliards, les autres mesures pour 6 milliards. En d'autres termes, si les recettes prévues arrivent, nous devrions avoir 15 milliards d'euros par an de financés, mais un déficit annuel persistant de 4 milliards. La Cnav ne serait donc pas équilibrée, pour ce qui la concerne. Le projet de loi prévoit d'ailleurs le dépôt d'un rapport sur d'éventuels redéploiements de ressources entre régimes.

Les travaux du Cor font apparaître, de surcroît, un report des déficits dans le temps. En pourcentage, la réduction du déficit proviendrait pour 61 % des mesures d'âge, pour 13 % de la taxation des hauts revenus, pour 10 % du transfert de cotisation Unedic vers la branche vieillesse et pour 16 % des entreprises - annualisation du calcul des allègements généraux, suppression de la quote-part sur les dividendes reçus par une société mère...

L'autre question, à laquelle nous n'avons pas aujourd'hui de réponse, est celle de la manière dont on réalisera l'équilibre entre les régimes de retraite. Je ne suis pas opposée à l'utilisation du fonds de réserve des retraites (FRR). Les mesures à venir produiront leur effet à l'horizon 2020, mais le problème demeure du stock de déficit, que viendra gonfler chaque année le déficit résiduel.

Le passage de soixante-cinq à soixante-sept ans pour le bénéfice de la retraite à taux plein compte pour un tiers dans les chiffres que j'ai cités pour les mesures d'âge. Le ministre, à l'Assemblée nationale, a présenté les statistiques. La disposition mérite sans doute discussion, mais il faut se garder de la présenter comme une mesure qui va léser les femmes, car elle ne pose à cet égard de problème que pour les années à venir. Le problème du manque d'annuités chez les femmes est en cours de résolution. Dans dix ans, elles auront, si l'on compte les majorations, dépassé les hommes. Parmi les femmes qui ne partent aujourd'hui qu'à soixante-cinq ans, on en trouve certes qui avaient besoin de compléter leurs annuités, mais on en trouve surtout qui s'étaient arrêtées de travailler depuis vingt ou vingt-cinq ans, donc par l'effet d'un choix. Ne nous hâtons pas, par conséquent, de tirer des conclusions. La vraie question qui se pose est celle de la transition. On a tendance à confondre, dans le débat, les effets de la transition, qu'il nous appartient de corriger, avec les effets de la réforme. Nous construisons un système pour demain : évitons les amalgames.

Mme Gisèle Printz. - Vous dites que le rattrapage, pour les femmes, est en cours, mais croyez-vous qu'elles cesseront d'être les plus nombreuses à occuper des emplois précaires ?

Mme Danièle Karniewicz. - Il faut bien distinguer deux choses : d'une part, les conditions pour être admis au bénéfice de la retraite, qui sont les mêmes pour les femmes que pour les hommes, d'autre part, les types d'emplois. Il est bien évident que les petits salaires ne font pas les grosses retraites. Il existe cependant, dans notre système des solidarités, des mécanismes de compensation, d'autant plus nécessaires aujourd'hui que les évolutions sociales veulent que, de plus en plus souvent, les femmes ne vivent plus en couple leurs années de retraite.

J'en viens au coût des carrières longues. Deux nouvelles mesures viendront modifier le dispositif. La prise en compte du début d'activité à l'âge de dix-sept ans, pour un coût de 300 millions, et un lissage dans le temps, annoncé la semaine dernière, des effets de la mesure d'âge - un assuré né en 1955 qui prévoyait de partir à cinquante-six ans en 2011 ne se verrait contraint de reculer son départ que d'un trimestre au lieu d'un an et demi - pour un coût de 350 millions en 2018. J'insiste sur le fait que le dispositif après réforme ne permettra à personne de partir plus tôt qu'auparavant : il s'agit d'un simple lissage.

Sur la question des polypensionnés, nous n'avons pas de réponse toute faite. Il s'agit là d'un sujet très complexe. Il ne suffit pas de décider que l'on retiendra les vingt-cinq meilleures années sur toute la carrière car se pose ensuite la vraie question du choix des règles à appliquer : celles de quel régime retiendra-t-on ? La Cnav a mis en oeuvre la règle des vingt-cinq meilleures années pour la génération née en 1948, le RSI pour la génération née en 1953 : à laquelle de ces règles faire référence pour les polypensionnés ? Il faut une étude approfondie pour prendre en compte les différents parcours et les différentes législations et avoir une appréciation des coûts. Même problème pour la combinaison emploi public-emploi privé : il ne faudrait pas que le différentiel soit toujours pris en charge par le privé...

L'Assemblée nationale a prévu le remboursement des rachats de trimestres inutiles, avec un coefficient de revalorisation identique à celui des pensions de retraite. Mais rien n'est dit sur le nombre de trimestres à rembourser : leur remboursera-t-on l'intégralité, ou seulement la partie qui ne leur aura pas été utile ? Le rachat de trimestres concerne 9 000 assurés actifs du régime général, dont 3 300 ont racheté un nombre de trimestres inférieur ou égal au nombre nécessaire, et 5 700 un nombre de trimestres supérieur. Le coût du remboursement serait de 260 millions en cas de remboursement total, de l'ordre de 171 millions si n'étaient remboursés que les trimestres inutiles.

Le coût de la majoration pour conjoint à charge a été de 54 millions en 2009, pour 172 000 bénéficiaires. La suppression de l'avantage ne concerne que les futurs retraités. Sachant qu'il y a eu 12 200 bénéficiaires nouveaux en 2009, l'économie annuelle, sur le flux, serait de 3,4 millions.

Le dispositif de retraite progressive permet aux salariés d'au moins soixante ans d'arrêter leur activité en sifflet. Il n'a concerné, depuis sa création en 2006, que 2 500 personnes. Quelque 34 % des bénéficiaires ont une fraction de pension servie à 30 %, 43 % à 50 %, et 23 % à 70 %. La faiblesse de ces chiffres tient sans doute au fait que le décret d'application est sorti tardivement, que la mesure est peu connue et que la crainte demeure qu'elle puisse être remise en cause. A quoi s'ajoutent, je puis vous le dire d'expérience, les difficultés, pour le salarié, à négocier un accord, non seulement avec l'employeur, mais avec les équipes de travail.

Le recul de l'âge légal ne risque-t-il pas de transférer les coûts sur l'assurance chômage ? La question vaut d'être posée, et c'est pourquoi il nous faudra faire preuve de beaucoup de pédagogie sur un projet de société qui nous concerne tous, y compris les employeurs, dans les négociations d'entreprise... Pour l'heure, il faut tout mettre en oeuvre pour favoriser l'emploi des seniors, par des mesures incitatives.

M. Alain Vasselle, rapporteur général. - Je retiens de votre intervention que, contrairement à ce qu'affirme le Gouvernement, la branche vieillesse ne parviendra pas à l'équilibre en 2018.

Mme Danièle Karniewicz. - La commission des finances de l'Assemblée nationale a présenté un bilan par régime. La Cnav conservera 4 milliards de déficit annuel à cette date.

M. Alain Vasselle, rapporteur général. - Je crois comprendre que l'on envisage de puiser dans la caisse des régimes excédentaires ?...

Mme Danièle Karniewicz. - Il est inscrit dans le projet de loi que le Gouvernement présentera un rapport sur les rééquilibrages entre régimes. L'association générale des institutions de retraite des cadres et l'association pour le régime de retraite complémentaire des salariés (Agirc-Arrco) pourraient être excédentaires, mais je ne pense pas que c'est ainsi que l'on parviendra à renflouer la Cnav...

Mme Annie Jarraud-Vergnolle. - Vous incluez dans les mesures d'économie le swap de cotisations de l'Unedic vers l'assurance vieillesse, mais si la situation économique ne s'arrange pas, l'Unedic aura-t-elle les moyens de supporter ce transfert ?

Mme Danièle Karniewicz. - Les hypothèses retenues sont optimistes et le transfert de cotisations de l'Unedic repose sur leur réalisation effective.

Réforme des retraites - Audition de MM. Eric Woerth, ministre du travail, de la solidarité et de la fonction publique, et Georges Tron, secrétaire d'Etat chargé de la fonction publique

Mme Muguette Dini, présidente. - Connaissant déjà bien le texte du projet de loi initial, nous souhaiterions, monsieur le ministre, vous entendre sur le texte tel qu'il ressort des travaux de l'Assemblée nationale.

M. Eric Woerth, ministre du travail, de la solidarité et de la fonction publique. - Notre système de retraites par répartition appartient au patrimoine social de la Nation : le Gouvernement entend le protéger et le conforter, en assurant la solidarité entre générations et intragénérationnelle. Cependant, les besoins de financement de nos régimes de protection sont tels que nous atteindrons, selon le Cor, un déficit de 42,3 milliards en 2018. Nous devions donc engager une réforme. Personne, au cours des débats à l'Assemblée nationale, n'a remis en cause cette nécessité.

La réforme que propose le Gouvernement apporte des solutions durables, justes, efficaces. Elle a été présentée à la Mecss le 16 juin dernier, jour même où le projet en a été rendu public.

Le recul de l'âge de la retraite de soixante à soixante-deux ans, qui est au coeur de l'économie de la réforme, n'a pas été mis en cause par l'Assemblée nationale. Il doit nous permettre de renouer avec l'équilibre dès 2018. Mais il doit aussi favoriser, et je regrette qu'il n'en ait pas été davantage question à l'Assemblée nationale, l'emploi des seniors, en montrant aux entreprises que les salariés peuvent être performants plus longtemps qu'elles ne le croient. Une étude de la direction de l'animation de la recherche, des études et des statistiques (Dares) fait apparaître que l'image que se font les chefs d'entreprise évolue déjà : alors qu'ils considéraient, il y a quelques années, qu'un salarié était âgé à partir cinquante-cinq ans, ils retiennent aujourd'hui l'âge de cinquante-huit ans. Le recul de l'âge de la retraite doit nous aider à faire évoluer encore cette image.

Notre réforme est juste. Le dispositif rénové pour les carrières longues est sorti sans autre modification de l'Assemblée nationale que le lissage des seuils, issu d'une proposition du Gouvernement, tandis que les mesures relatives à la pénibilité, qui ont fait l'objet de longs débats, ont été modifiées par un amendement du Gouvernement ramenant le seuil d'incapacité de 20 % à 10 %. Le président de la commission des affaires sociales avait également déposé un amendement prévoyant que des accords de branche ou d'entreprise sur la pénibilité devront être signés, avec l'idée que l'on peut aménager les fins de carrière. Reste que sur ce sujet, la vraie réponse réside en amont, dans les conditions de travail, plutôt que dans la réparation. C'est pourquoi le Gouvernement a accepté l'amendement, sous réserve de l'adoption d'un sous-amendement visant à garantir que de tels aménagements ne sauraient prendre la forme de préretraites. Il a également accepté la création d'un fonds expérimental destiné à accompagner les initiatives des entreprises, tout en prévoyant que les entreprises finançant ce type d'initiatives n'auront pas à participer au financement de ce fonds mutualisé.

Au total, nous avons donc axé le dispositif sur les seuils d'incapacité, ce qui ne clôt pas, pour autant, le débat. Car c'est véritablement un nouveau droit social que nous avons ainsi créé, qui devra trouver son chemin dans les quinze années à venir.

Nous avons également travaillé à conforter tout ce qui relève de la solidarité dans notre régime par répartition. Ainsi l'intégration des indemnités journalières dans le salaire de référence pour les femmes. Nous avons fait en sorte que les mesures de convergence soient aussi justes et précises que possible, sans tomber dans le piège consistant à opposer secteur public et secteur privé. C'est une analyse objective qui nous a conduits à prévoir l'augmentation des cotisations du secteur public de près de trois points sur dix ans, et à fermer le droit au départ anticipé après quinze ans de services effectifs pour les parents de trois enfants, tout en préservant les droits des personnes qui sont à moins de cinq ans de l'âge de la retraite.

Il y a eu débat sur les mesures relatives aux recettes mais vous savez que le Gouvernement a choisi de cantonner les débats financiers aux projets de loi de finances et de loi de financement de la sécurité sociale : c'est une exigence à laquelle j'étais moi-même très sensible comme ministre du budget. Il y aura, dans le projet de loi de financement de la sécurité sociale, des mesures fléchées sur les retraites pour les entreprises et les ménages, qui permettront d'abonder de quelque 4 milliards par an les recettes du système.

Le bénéfice des mesures sur la pénibilité a été étendu aux salariés et non-salariés agricoles. Avant le passage devant l'Assemblée nationale, ces mesures devaient concerner 10 000 personnes par an ; elles en concerneront 30 000, auxquelles il convient d'ajouter les 90 000 salariés concernés par le dispositif des carrières longues, ainsi que les catégories dites actives de fonctionnaires, dont les avantages n'ont pas été remis en cause, et qui touchent 150 000 personnes par an.

M. Paul Blanc. - Sans compter les régimes spéciaux.

M. Eric Woerth. - Beaucoup auront donc la possibilité de partir plus tôt. En ramenant le seuil de 20 % à 10 %, nous prenons en compte la réalité de ce que vivent certains salariés : une caissière de supermarché atteinte de troubles musculo-squelettiques, un ouvrier de l'agroalimentaire obligé de tenir des postures pénibles vous seront quelques exemples d'une population très concrète de personnes nouvellement concernées par les mesures relatives à la pénibilité.

Ont également été introduites des mesures de prévention, à mettre prioritairement en avant. L'Assemblée nationale a intégré au texte une réforme de la médecine du travail qui est loin de constituer un cavalier. Le débat avec les organisations professionnelles, engagé depuis des années, ayant débouché sur un échec, nous avons introduit le sujet dans la loi pour élargir les missions des services de santé au travail et les compétences au sein des services. Les débats, sur cette question, ont été marqués par une certaine violence. On nous a reproché de mettre en cause l'indépendance des médecins du travail. Tout au contraire, nous avons introduit le paritarisme dans les conseils d'administration de la médecine du travail qui, loin de sortir démantelée de ce texte, se trouve confortée et placée au coeur du dispositif de prévention.

Georges Tron et moi-même avons souligné, devant l'Assemblée nationale, que la question des polypensionnés est loin d'être simple. Méfions-nous des fausses bonnes idées, telle que celle des vingt-cinq meilleures années quelle que soit la caisse. Car on se rend vite compte que l'on fait ainsi beaucoup de perdants : l'harmonisation fait parfois perdre bien des avantages. Si l'on observe les simulations par décile de revenu, on constate que les revenus les plus faibles sont les premiers pénalisés. Nous sommes donc convenus que le Gouvernement remettra un rapport au Parlement, signe qu'il n'entend pas enterrer le sujet. Le débat sur les polypensionnés public-privé soulève d'autres enjeux encore : on ne peut pas, d'un côté, défendre les six mois et, de l'autre, vouloir que tous les polypensionnés soient traités de la même manière. Nous avons déjà fait un pas, pour les années travaillées dans le secteur public, afin qu'elles soient comptabilisées non plus à partir de quinze ans mais dès deux ans.

Nous avons beaucoup discuté des injustices faites aux femmes. Nous avons montré que la population concernée par le passage de soixante-cinq à soixante-sept ans de l'âge de la retraite à taux plein ne correspondait pas au tableau que l'on en voit trop souvent faire. Nous avons pris des mesures pour les plus fragiles, car le problème tient moins à une question de nombre de trimestres qu'au niveau des salaires. A responsabilités égales, les femmes gagnent moins que les hommes, s'il est des scandales dans notre République, celui-là en est bien un ! Oui, nous avons six lois, qui ne sont pas bien appliquées, et c'est pourquoi nous avons proposé d'instituer une pénalité égale à 1 % de la masse salariale pour les entreprises qui n'auront pas signé d'accord sur la réduction des inégalités entre les hommes et les femmes.

M. Georges Tron, secrétaire d'Etat chargé de la fonction publique. - Je suis très heureux d'expliciter devant vous notre approche des retraites dans la fonction publique. Notre principe de base est de n'avoir à aucun moment une position dogmatique mais d'être guidés par l'équité dans une démarche pragmatique. Nous nous sommes demandé s'il était juste de maintenir chaque différence entre le public et le privé et nous avons répondu tantôt oui et tantôt non. Le texte que nous avons défendu devant l'Assemblée nationale n'a été modifié qu'à la marge pour l'un des trois dispositifs de convergence ; il n'a pas donné lieu à des débats passionnés : nous avons trouvé un point d'équilibre.

Premier principe, appliquer à la fonction publique les mêmes règles qu'au secteur privé avec le même calendrier, sans bouleverser les projets de vie des intéressés. Toutes les bornes d'âge et de durée de services ont bougé de deux ans. L'âge d'application de la décote sera également relevé progressivement de deux ans. Nous avons toutefois décidé de ne pas y soumettre les infirmières qui ont fait le choix d'entrer dans la catégorie A de la fonction publique moyennant un abandon de l'appartenance à la catégorie active de la fonction publique.

Nos choix ont été faits en appréciant la situation des comptes. Les conventions de calcul du Cor permettent d'évaluer le déficit de l'Etat lié au paiement des retraites. Ce déficit, 15,6 milliards aujourd'hui, atteindrait 21 milliards en 2020 et 35 milliards en 2050 en l'absence de réforme. Le solde de la caisse nationale de retraite des agents des collectivités locales (CNRACL) devrait rester positif jusqu'en 2015, puis les choses s'inverseraient, le déficit atteignant 13 milliards en 2050. Voilà le cadre dans lequel s'est inscrite la réflexion sur la convergence. Le taux de cotisation, d'abord. Il s'établit à 7,85 %. Une distinction avec le privé est-elle justifiée ? Cette question se pose d'autant plus que nous avons estimé qu'il n'était pas souhaitable de calculer la pension des fonctionnaires sur les vingt-cinq meilleures années dès lors que les montants des pensions sont comparables à ceux constatés dans le privé, en l'absence de prise en compte des primes. Nous nous sommes ensuite demandé s'il était juste d'avoir un coût d'acquisition différent pour des pensions comparables et avons décidé d'augmenter le niveau des cotisations, mais avec progressivité, sur dix ans, l'évolution naturelle du pouvoir d'achat absorbant les 0,26 point par an correspondant.

La règle d'une retraite à jouissance immédiate après quinze ans pour les femmes ayant eu trois enfants n'a pas d'équivalent dans le privé. Le Cor l'a bien montré, ce mécanisme est critiquable parce qu'il annihile les effets de la décote. En outre, la France a reçu des avertissements de la Commission européenne parce qu'il introduit une inégalité entre les hommes et les femmes et nous sommes sous la menace à ce sujet d'une saisine de la Cour de justice. Nous avons donc été amenés à l'ajuster et Eric Woerth a proposé à l'Assemblée nationale des amendements permettant une mise en oeuvre progressive, pour répondre à une inquiétude qui s'était exprimée à l'Assemblée nationale, notamment à la commission des finances. Cette différence n'était pas légitime, elle a été supprimée.

Voulant éviter toute forme de préjugé, nous avons travaillé concrètement en respectant le principe que toute baisse de pension était exclue. C'est pourquoi nous n'avons pas aligné le minimum garanti sur le minimum contributif, car cela aurait abouti à une diminution des pensions. Nous avons écarté les amendements en ce sens. En revanche, c'est le principe de convergence qui a prévalu pour les droits nouveaux, par exemple pour les polypensionnés. Nous avons proposé d'abaisser de quinze ans à deux ans la condition de fidélité pour obtenir une pension de la fonction publique. Derrière la technique, il y a bien une option politique, celle de ne pas baisser le niveau des pensions.

M. Dominique Leclerc, rapporteur. - Vous venez de rappeler le principe de la répartition, l'inspiration de la réforme et les améliorations qui ont été apportées la semaine dernière. Certaines sont d'ordre législatif, d'autres d'ordre règlementaire. Comment alors en comprendre le fond et en mesurer l'impact financier ? Les dispositions sur la pénibilité concernent 30 000 personnes ; les carrières longues sont maintenues, étendues même à une classe d'âge, et vous avez complété le mécanisme par un lissage. Lors des auditions, on nous a demandé pourquoi le RSI n'était pas inclus dans le dispositif sur la pénibilité. Les dossiers d'invalidité seront étudiés par des commissions : y aura-t-il des disparités territoriales ? Le financement par les branches pose en outre problème en raison des marges limitées de certaines entreprises ; le 1 % au-delà de cinquante salariés en l'absence d'accord représente aussi un supplément de charges, ce que certains admettent difficilement. Enfin, la pénibilité, c'est la prévention, bien sûr, mais c'est aussi la réparation. Pourquoi le choix de la réparation des seules incapacités déjà constatées alors que certains facteurs font sentir leurs effets plus tard ?

Votre explication sur les polypensionnés est intéressante. Les situations décrites ne correspondent pas toujours à la réalité. Cependant, une proratisation dans le cadre de chaque régime nous semble plutôt défavorable et nous serons attentifs au rapport.

Il est difficile de mesurer l'impact financier du report à soixante-sept ans de l'âge du taux plein. Votre estimation va jusqu'en 2025. Les femmes sont-elles dans une situation plus défavorable ? Faut-il faire une différence entre les générations qui partent actuellement et celles qui arriveront à la retraite un peu plus tard avec des carrières plus complètes ?

Les militaires semblent exclus de la réduction de quinze à deux ans de la durée de services pour le droit à pension et cela est mal compris. Les retraites progressives nous tiennent à coeur. Lorsqu'il était ministre en charge de l'emploi, Gérard Larcher avait proposé un contrat à durée déterminée renouvelable deux fois. Les retraites progressives ne peuvent-elles devenir plus attractives ? Cela répondrait à un souhait des intéressés.

M. Alain Vasselle, rapporteur général. - Projet sur les retraites, loi organique sur la dette sociale, projet de loi de finances (PLF) et projet de loi de financement de la sécurité sociale (PLFSS), pour nous, l'ensemble des textes est lié et l'on ne peut examiner l'un sans examiner l'autre. Je regrette que nous n'ayons pas tous les éléments pour nous prononcer en toute connaissance de cause. L'on ne peut pas encore mesurer les conséquences de choix qui seront opérés dans le PLF ou le PLFSS. Je suis donc preneur d'informations sur le financement.

Le Gouvernement l'a très clairement affiché, la réforme rétablira l'équilibre de la branche vieillesse dans son ensemble à l'horizon 2018. Il n'en est pas de même pour le régime général et Danièle Karniewicz nous a annoncé tout à l'heure un delta de l'ordre de 4 milliards d'euros. Qu'y a-t-il derrière la mutualisation dont il est question dans l'article 1er bis introduit à l'Assemblée nationale ? Certains régimes se retrouveront avec des excédents dans lesquels il sera tentant de puiser. Le représentant de FO s'est ému qu'on envisage de prendre de l'argent dans les caisses de l'Agirc et de l'Arrco, qui sont gérées paritairement et de manière rigoureuse ; leurs ressortissants ont consenti des efforts significatifs que d'autres régimes n'ont pas demandés. J'aimerais recevoir quelques apaisements.

L'article 30 prévoit que le fonds de solidarité vieillesse (FSV) contribuera aux indemnités journalières. Or, ce fonds subit des effets de ciseau et quand tout va mal il va d'autant plus mal qu'il sert de variable d'ajustement. Je crains que le dispositif ne soit fragile.

Vous avez accepté la mensualisation des retraites. Il est question d'un paiement en début de mois. Président du conseil de surveillance de l'agence centrale des organismes de sécurité sociale (Acoss), j'ai souvent été interpellé en ce sens, mais ce sera difficile à gérer du point de vue de la trésorerie.

Pour la pénibilité, on a prévu une mise à contribution des entreprises modulée selon les secteurs. J'aimerais comprendre comment cela marchera car certaines professions, les agriculteurs par exemple, ne peuvent répercuter les surcoûts : le prix du blé ne s'ajuste pas en fonction de celui du pétrole. Comment ce système fonctionnera-t-il et quelles réponses apporte-t-on quand la pénibilité se manifeste après le départ à la retraite ?

J'ai bien noté que la cotisation des salariés de la fonction publique allait augmenter progressivement. Qu'en est-il de la cotisation employeur de l'Etat, comparée à celle des entreprises ?

J'ai également relevé que les femmes nées à la fin des années soixante connaîtraient une situation comparable à celle des hommes en matière de durée de cotisation, mais il n'en va pas de même pour celles qui sont nées avant 1964. Des aménagements sont-ils possible pour elles en ce qui concerne le report de l'âge du taux plein ?

Je ne peux que me féliciter de l'annualisation des exonérations de cotisations - le Gouvernement l'avait refusée quand nous l'avions proposée l'an dernier, nous avions raison trop tôt... Le Premier président de la Cour des comptes a attiré récemment l'attention sur les 45 milliards d'euros de niches sociales. Ne peut-on aller plus loin dans leur remise en cause ? Reste qu'on a peu parlé d'une réforme systémique. Seriez-vous opposés à ce que l'on ouvre la réflexion, même si on ne peut échapper à une réforme paramétrique ? Des pays comme la Suède ont déjà effectué ce choix.

La CNRACL va connaître des déficits. Qu'adviendra-t-il de la surcompensation qui devait disparaître en 2012 et comment les collectivités accepteront-elles que ce ne soit pas le cas ?

M. Jacky Le Menn. - La prévention constitue sans doute la meilleure réponse au vaste problème de la pénibilité. Des infirmières en soins palliatifs ou en soins intensifs vivent des situations intrinsèquement pénibles, du point de vue psychique, quoique non invalidantes. Il y a confusion entre invalidité et pénibilité. Qui plus est, on ne la reconnaît que pour certaines catégories : qu'en est-il des infirmières travaillant dans le privé ?

Les représentants des personnes handicapées attendent des réponses sur la perte de leur pension d'invalidité au moment de leur départ en retraite, ce qui a un impact encore plus fort pour les femmes. On espère des réponses précises sur leur sort.

M. Yves Daudigny. - Une réflexion sur la philosophie générale de ce texte : vous invoquez des comparaisons avec l'étranger ; votre réforme est pourtant l'une des plus brutales parce que vous conjuguez mesure d'âge et durée de cotisation, le rythme de la mise en oeuvre est rapide et le niveau actuel des retraites est assez bas. Vous avez souhaité, malgré la crise, limiter l'apport de recettes. Dès lors, ne va-t-on pas inéluctablement vers une baisse des pensions ?

M. Paul Blanc. - Aux facteurs que vous venez de citer, il faudrait ajouter celui-ci : on n'a rien fait depuis le Livre blanc de Michel Rocard...

J'ai cru comprendre qu'il y aurait un amendement sur les travailleurs handicapés. Qu'ils soient dans un établissement adapté et subissent un vieillissement précoce ou que leur employabilité ait été reconnue mais avec une diminution de leur capacité de travail, il serait inutile de les intégrer dans le dispositif sur la pénibilité.

M. Ronan Kerdraon. - Nos collègues ayant brossé le tableau des retraites, j'insisterai sur la pénibilité. Si, à l'Assemblée nationale, vous n'avez pas voulu revenir sur le noyau dur de la réforme, il y a eu des ouvertures sur la pénibilité. Il faudra toutefois aller plus loin. En Bretagne, les troubles musculo-squelettiques (TMS) sont particulièrement importants dans l'agroalimentaire. La mesure annoncée sera insuffisante, notamment en raison du couplage avec le travail de nuit. N'a-ton pas souligné que ce dernier avait des effets permanents et invalidants longtemps après la fin de la vie professionnelle ? Enfin, les salariés sont exposés à des produits cancérigènes avec des conséquences tardives. S'agissant de la prévention, il faudra rétablir l'indépendance de la médecine du travail. Les maladies professionnelles auraient mérité une grande loi de santé publique.

Mme Annie David. - Une réforme juste, durable et efficace, dites-vous...

M. Eric Woerth. - En effet.

Mme Annie David. - L'injustice est pourtant flagrante quand 85 % du financement pèsent sur les salariés et que les profits des entreprises du Cac 40 ont augmenté de 85 %. On pourrait rééquilibrer les ressources. Vous ne favorisez pas le système par répartition quand vous envisagez l'épargne salariale et la question d'Alain Vasselle sur une réforme systémique attise mon inquiétude. Où est l'efficacité de la réforme quand la présidente de la Cnav annonce 4 milliards d'euros de déficit en 2018 ? Il faudrait revoir votre copie !

Quant à l'embauche des seniors, Laurent Wauquiez nous disait hier qu'il serait criminel de les opposer aux jeunes. Les mesures d'incitation à l'embauche ne sont-elles pourtant pas humiliantes pour des gens qu'on licencie précisément parce qu'ils sont des seniors ? Xavier Bertrand et Xavier Darcos l'avaient promis juré, il y aurait des textes sur la pénibilité et la médecine du travail. Sauf que les négociations patinent depuis trois et cinq ans du fait du Medef, dont vous reprenez les propositions. Les amendements du Gouvernement ne sont respectueux ni du texte sur le dialogue social ni des partenaires sociaux eux-mêmes.

Ce n'est pas en ne prenant en compte que les congés maternité à venir que l'on résorbera la différence de pensions au détriment des femmes. Celles qui rentrent actuellement sur le marché du travail cotiseront au même niveau que les hommes mais les générations précédentes resteront pénalisées. Une mesure rétroactive apparaît souhaitable.

Pourquoi proposer de retarder d'un an l'obligation d'accord sur l'égalité salariale initialement fixée à 2010 ? Nous réclamions une pénalité financière et le fait que le projet de loi y procède marque une avancée, mais une demi-avancée. En ce qui concerne le départ anticipé des parents de trois enfants, vous avez parlé d'une mesure contrainte : il est toujours étonnant que vous ne vous empressiez de répondre aux injonctions de la Cour européenne qu'aux dépens des femmes. Vous parliez pourtant d'un scandale !

Au total, le texte souffre d'une trop forte collusion entre le Gouvernement, le Medef et ce monde de la finance que les 230 milliards d'euros des cotisations retraite intéressent tant.

M. Jean-Pierre Godefroy. - J'appuie la question du rapporteur : pourquoi les indépendants ne sont-ils pas éligibles au dispositif sur la pénibilité ? A l'occasion de la mission sur le mal-être au travail, je vous ai interrogé sur une gestion paritaire de la médecine du travail. Vous m'avez répondu que vous l'envisagiez...

M. Eric Woerth. - Nous l'avons fait !

M. Jean-Pierre Godefroy. - ...et qu'il ne fallait pas porter atteinte à l'indépendance de la médecine du travail. Vous avez fait un petit effort sur le paritarisme, mais au niveau interprofessionnel alors que le problème se situe au niveau de l'entreprise. Il n'y a aucune répercussion du niveau interprofessionnel : la solution, c'est la proximité.

Pouvez-vous lever l'ambiguïté de l'article 25 quater qui prévoit que les missions des services de santé au travail sont exercées par les médecins « en lien » avec les employeurs, ce qui laisse entendre un rapport de subordination. N'est-ce pas contradictoire avec ce que vous disiez sur la médecine du travail et son indépendance ? Si l'on ne veut pas que la médecine du travail soit celle de l'employeur, il faut dissiper le doute. On voit trop ce que cela donnerait sur la mise en oeuvre du dispositif sur la pénibilité : un toilettage très profond s'impose.

M. Alain Vasselle, rapporteur général. - Georges Tron peut-il nous expliquer pourquoi on conserve à la fonction publique les catégories actives qui jouissent du privilège de partir à la retraite avant soixante ans aujourd'hui, soixante-deux ans demain ? Sont-elles plus pénibles que certains métiers du privé ?

M. Eric Woerth. - Je répondrai d'abord sur l'impact financier des principales mesures. Financé par la branche AT-MP, le passage des 20 % à 10 % d'incapacité représente 300 millions. Le lissage des carrières longues est d'ordre règlementaire. Une personne née en 1953 aurait été décalée d'un an, elle ne le sera finalement que de quatre mois. Le coût cumulé est ici de 320 millions. Les 40 millions de la pénibilité pour les agriculteurs sont pris en charge par la branche AT-MP. La mesure sur les titulaires sans droits n'a pas de coût, c'est un transfert entre régimes. Celui de la mesure excluant les fonctionnaires à cinq ans de la retraite de la modification du dispositif de départ anticipé des parents de trois enfants est de 2 milliards en cumulé. Il n'y a pas de branche AT-MP pour les indépendants, comme il y en a une pour les agriculteurs, ce qui empêchait de mettre en place le dispositif sur la pénibilité. Nous avons donc renvoyé à un rapport car il faut s'organiser.

Certes, les entreprises appréhendent les nouvelles mesures sur la pénibilité mais celles-ci représentent à terme des économies. Tout le monde y gagne, les salariés et les entreprises. C'est dans les entreprises que l'on peut mesurer au plus près la pénibilité des fonctions. De grandes sociétés le font. L'on cite toujours Rhodia mais il y en a d'autres, comme Alstom. Penser les fins de carrière suppose des aménagements pour être mieux payé en travaillant moins. Le fonds public, dont le PLF fixera le montant, y incitera. Quant à la pénalité de 1 % de la masse salariale, ce taux apparaît déjà dans plusieurs textes. Est-ce énorme ? Ce repoussoir est fait pour ne pas servir. Nous n'avons pas envie que les entreprises le paient, mais qu'elles se mettent en conformité sur des sujets aussi emblématiques pour le pacte social et la productivité.

Nous aurons le débat sur la pénibilité immédiate ou différée, il est légitime. Nous avons souhaité que le dispositif soit rapidement opérationnel. Nous avons accepté de rentrer dans le débat en considérant qu'il s'agissait d'un nouveau droit social. Nous n'avons pas de traçabilité pour la pénibilité différée mais le comité scientifique inscrit dans le projet de loi n'est pas prévu pour la décoration : il devra travailler cette question. Il y a la traçabilité des entreprises par lesquelles le salarié est passé, puis celle de ses fonctions. Or, on peut l'avoir pour le travail de nuit, mais souvent pas pour le reste. Le droit que l'on donne à certains salariés représente un très bel avantage, il faut que ce soit juste et que les critères soient objectivés si l'on ne veut pas qu'on nous demande pourquoi celui-ci y a droit et pas celui-là. Dans la tranche allant de 20 % à 10 % d'incapacité, les commissions considèreront le parcours professionnel, elles feront le point sur des critères objectifs afin que le système ne devienne pas extrêmement injuste comme cela a été le cas pour les carrières longues. On garde le dispositif amiante...

M. Jean-Pierre Godefroy. - Le fonds de cessation anticipée d'activité des travailleurs de l'amiante (Fcaata) est maintenu ?

M. Eric Woerth. - Bien sûr ! Nous discuterons au sujet des polypensionnés. L'impact financier du passage de l'âge du taux plein de soixante-cinq à soixante-sept ans est très important. L'équilibre financier, c'est la viabilité du système social et il faut être à l'équilibre dans un système donné. Le passage de soixante-cinq à soixante-sept ans représente un tiers du financement à l'horizon 2025 et un quart en 2020. En effet, en 2025, plus de gens auront suivi des études longues et la décote complètera l'effet de la mesure. Un lissage entre soixante-cinq et soixante-sept ans aurait très peu d'impact en raison du minimum garanti.

Alain Vasselle dit qu'il n'a pas tous les textes. Cela ne vous empêche pas d'appréhender la cohérence globale, monsieur le rapporteur général, d'autant que vous avez beaucoup d'informations... Il importe de donner aux textes financiers une cohérence complète. L'on retrouvera les recettes directes ou indirectes in extenso dans le PLF et le PLFSS.

Non, madame David, nous n'attaquons pas la répartition, nous la sauvegardons et quand 95 % du système français est public, il ne faut pas le regarder au travers du prisme des 5 %. Nous n'avions pas inscrit l'épargne-retraite dans le projet, ce sont les députés qui l'ont fait. Cependant pourquoi l'épargne-retraite serait-elle bonne seulement quand les partenaires sociaux la gèrent comme c'est le cas avec la Préfon ? Le Gouvernement entend consolider et équilibrer la répartition. C'est plus compliqué régime par régime. La Cnav sera en déficit. A vrai dire, tout le monde sera en déficit jusqu'en 2014, puis certains retrouveront un peu d'oxygène. Franchissons les étapes les unes après les autres. Il n'est pas choquant de constater que l'Agirc et l'Arrco ont d'importantes réserves. Mettons les choses sur la table : les mesures d'âge profitent bien à l'Agirc et à l'Arrco, même si c'est le Gouvernement qui assume la responsabilité politique de la réforme. Un dialogue doit avoir lieu. Quant aux transferts des cotisations, le swap figurera dans les textes financiers. Tout cela est logique et l'Unedic reviendra assez vite à l'équilibre, comme le FSV d'ailleurs : on ne va pas condamner la France à 10 % de chômage perpétuel... Contrairement au parti socialiste, nous avons retenu des hypothèses raisonnables.

La mensualisation ne concerne pas l'Acoss mais l'Agirc et l'Arrco. Le salarié aura un choix à faire, sur lequel il ne pourra plus revenir. Xavier Bertrand a proposé de payer les pensions plus tôt dans le mois, ce qui est affaire de trésorerie. Un rapport précisera les choses en 2011.

Je l'ai dit, le projet ne prend pas en compte les effets de la pénibilité apparaissant après la retraite mais le comité scientifique va travailler. Si vous avez été exposé à des facteurs spécifiques, cela est vérifiable, et quand cette exposition crée un risque presque certain d'usure physique, la question de la pénibilité peut se poser.

Je ne reviens pas sur l'annualisation des charges. Le Cor a envisagé une réforme systémique à la demande du Sénat et il n'y a pas de raison de fermer le débat. Mais l'envisager dans ce texte aurait fragilisé la réforme en suscitant une inquiétude pour l'avenir : le sujet de l'heure est de sauver le système par répartition. Au demeurant, si ce texte ne déroule pas le tapis rouge du systémique, il n'est pas seulement paramétrique.

Nous allons continuer la réflexion sur les travailleurs handicapés. Nous sommes prêts à faire évoluer les choses. Le Président de la République a reçu les représentants des associations et fixé des objectifs. Pour répondre à Paul Blanc, je rappelle que handicap et pénibilité sont deux sujets différents et que l'on n'est pas ici dans les processus globaux d'invalidité.

Sur les risques psychiques, le problème concerne d'abord l'organisation du travail et, contrairement aux troubles musculo-squelettiques, la réponse n'est pas dans la retraite mais dans l'entreprise : le risque de suicide existe à quarante-deux ans, il n'attend pas soixante ans.

Les retraites des Français augmentent moins que les salaires - c'est le fruit de la réforme de 1993 -, mais elles progressent. Je conteste que la réforme soit dure. Elle est ambitieuse. Cependant, l'ouverture des droits à taux plein intervient à soixante-deux ans et non à soixante-cinq. Voilà longtemps que la société française n'avait pas évolué là-dessus. Rares sont les pays où l'on ouvre des droits à la retraite à taux plein à soixante-deux ans. La France est le deuxième pays en termes de pourcentage du Pib consacré à la retraite.

Monsieur Godefroy, je conteste votre analyse sur la médecine du travail, mais je partage votre objectif. Qu'un médecin du travail, salarié, exerce son travail « en lien » avec son employeur, ce n'est pas choquant : l'employeur n'est pas l'ennemi de l'employé. Déontologiquement, le médecin est parfaitement indépendant et des amendements ont été apportés à l'Assemblée nationale pour lever toute ambiguïté dans la rédaction. Le texte renforce le paritarisme dans la santé au travail : le conseil d'administration, certes présidé par l'employeur, comptera davantage de représentants des partenaires sociaux.

Réforme juste, injuste ? Le système de retraite concerne les salariés et ceux qui relèvent des différents régimes de retraite. On est dans la répartition ou pas ! Ne vous en déplaise, dans ce système, ce sont les actifs qui payent la retraite des retraités.

Mme Annie David. - Que faites-vous de la répartition des richesses ?

M. Eric Woerth. - C'est un débat fiscal ; restons-en au débat sur les retraites ! Nous faisons appel à la solidarité pour financer ce qui est de son ressort. On ne peut, d'un côté, invoquer le Conseil national de la Résistance et les grands principes, et, de l'autre, souhaiter une répartition à sens unique ! L'allongement de l'espérance de vie bénéficie à tous. Il faut prendre en compte dans la répartition le ratio entre temps passé au travail et temps passé à la retraite. Notre vision n'est pas purement comptable : solidarité et pénibilité entrent en compte. Mais lorsque l'on vivra jusqu'à cent vingt ans, prônerez-vous encore la retraite à soixante ans ? Qui paiera ?

Mme Annie David. - Le sujet est trop sérieux pour en rire !

M. Eric Woerth. - Personne ne rit. Il est logique de décaler l'âge de départ à la retraite en fonction de l'allongement de l'espérance de vie, si l'on veut sauvegarder le système par répartition. Si vous voulez pouvoir partir à votre gré, alors il faut opter pour un système par capitalisation ! Ce n'est pas la logique du Gouvernement.

M. Georges Tron, secrétaire d'État. - C'est un vrai débat politique. Nous défendons tous la retraite par répartition.

Les militaires ont un statut particulier, selon qu'ils sont militaires engagés, sous contrat de quatre ou cinq ans, ou militaires de carrière, qui restent plus de quinze ans. Le principe du titulaire sans droits vise à éviter le coût des transferts de dossiers. Il est logique que le pensionné soit payé par la caisse à laquelle il a été affilié. Faire bénéficier les militaires engagés pour une courte durée d'une mesure de jouissance immédiate serait source de grande complexité au ministère de la défense et contraire à l'esprit de la réforme.

Monsieur Vasselle, la contribution financière de l'Etat est détaillée dans le « jaune » sur les pensions de retraite de la fonction publique. La cotisation de 7,85 % prélevée sur les fonctionnaires représente un produit de 5 milliards d'euros pour l'Etat ; la contribution de l'Etat est un solde, puisqu'il paye le montant total des retraites des fonctionnaires. Le taux de cotisation employeur de l'Etat est ainsi évalué à 62 % pour la fonction publique de l'Etat, à comparer aux 27 % de la CNRACL et aux 16 % du secteur privé...

Selon les calculs du Cor, entre 2000 et 2010, l'apport de l'Etat est évalué à 15,6 milliards, somme inscrite dans le budget au titre des dépenses, dans le compte d'affection spéciale au titre des recettes. Avec une augmentation de 2 milliards d'euros par an pour la fonction publique de l'Etat, il fallait augmenter le taux de cotisation, harmonisé à 10,55 %.

Selon le Cor, le retournement de la CNRACL serait intervenu en 2015, avec un lourd déficit à l'horizon 2050. Le mécanisme de surcompensation s'éteindra en 2012.

Madame David, le dispositif de départ anticipé des parents de trois enfants a été censuré par la Cour de Justice car il profitait uniquement aux femmes. Nous avons tenu compte des réserves de la Cour lors de la réforme de 2003 et rajouté une condition d'interruption du travail de deux mois. Cette version est également contestée par la Commission européenne au motif qu'elle maintient la discrimination. Difficile de ne pas tenir compte de cette injonction, d'autant qu'une saisine de la Cour de Justice risquerait de remettre en cause la bonification pour enfants en général ! Le scénario retenu a été d'exonérer ceux dont les droits à la retraite sont déjà ouverts ; un amendement du Gouvernement préserve entièrement la situation de ceux qui sont à cinq ans de l'âge de la retraite.

La « catégorie active » reconnaît la spécificité de certains métiers de la fonction publique, comme policier ou gardien de prison, sans équivalent dans le privé. En revanche, quand le métier existe dans le privé, nous sommes favorables à une évolution statutaire. Aujourd'hui, 58 % des infirmières du public qui font jouer le dispositif « quinze ans-trois enfants » rentrent dans le privé, une fois retraitées du service public, pour y exercer le même métier. D'où le droit d'option : les infirmières pourront choisir d'intégrer la catégorie A, avec les avantages afférents, mais abandonneront en contrepartie la catégorie active, qui concerne aujourd'hui les deux tiers des fonctionnaires de la fonction publique hospitalière.

M. Paul Blanc. - Cela concerne-t-il aussi les infirmières qui passent du secteur public au secteur libéral?

M. Georges Tron, secrétaire d'Etat. - C'est la même chose que pour le privé. Elles sont 10 % à 15 % à opter pour le libéral.

Réforme des retraites - Audition de M. Jean-Yves Raude, directeur du service des retraites de l'Etat, Mme Emmanuelle Walraet, chef du bureau financier et des statistiques au service des retraites de l'Etat, MM. Philippe Fertier-Pottier, chef du département des retraites et de l'accueil, et Alain Piau, chef du département du programme de modernisation, au ministère du budget, des comptes publics, de la fonction publique et de la réforme de l'Etat

M. Jean-Yves Raude, directeur du service des retraites de l'Etat au ministère du budget, des comptes publics, de la fonction publique et de la réforme de l'Etat. - La réforme de l'ancien service des pensions, devenu service des retraites de l'Etat, prend sa source dans une décision, fin 2007, du conseil de modernisation des politiques publiques. Le décret du 26 août 2009 a créé un service à compétence nationale, intégré dans la direction générale des finances publiques.

Précédemment, les dossiers des fonctionnaires civils et militaires et des magistrats étaient préparés dans les ministères employeurs, puis transmis pour liquidation au service des pensions. Le paiement était mis en oeuvre par le réseau, auparavant des trésoreries générales, à présent des directions régionales des finances publiques. Il y avait dans le passé deux ruptures de charge et nous avons recherché une meilleure fluidité, afin de dégager des gains de productivité et améliorer le service rendu aux usagers. La réforme sera achevée lorsque tous les comptes individuels de retraite (Cir) seront complets. Ceux-ci ont été créés en application de la loi de 2003 : ils sont indispensables pour rendre effectif le droit à l'information sur la retraite. Chaque compte doit être créé, alimenté, complété rétroactivement. La moitié des deux millions deux cent mille comptes a été traitée. Le comité de coordination stratégique, interministériel, instauré par le décret de 2009, pilote et suit l'avancement de ce long chantier, lequel doit être terminé fin 2012. Il sera alors possible de consulter les carrières complètes et de procéder à des simulations en ligne. Les services qui, actuellement, reconstituent les carrières n'auront plus lieu d'être, ce qui représente mille deux cents agents, dont neuf cents dans les ministères employeurs.

Le réseau chargé du paiement relève de la direction générale des finances publiques. Il sera reconfiguré et les vingt-neuf centres réduits à onze pour la France métropolitaine. Nous allons vers une meilleure professionnalisation. Deux centres d'appels ouvriront à la fin de l'année, à Rennes et à Bordeaux, pour l'ensemble du territoire. L'accueil sera ainsi réformé et les usagers auront à disposition un numéro de téléphone et une adresse de messagerie uniques. Le centre de Rennes commencera son activité fin 2010 ou début 2011.

Quant à la réforme des retraites, les mesures inscrites dans le texte nous contraignent à revoir un certain nombre de systèmes d'information : un travail considérable nous attend donc ces prochains mois.

M. Dominique Leclerc, rapporteur. - Nous avons entendu des demandes récurrentes, hier encore à l'Assemblée nationale, pour que soit créée une caisse autonome de retraite des fonctionnaires : pourquoi avoir mis en place un service et non une caisse comme on l'a fait pour les régimes spéciaux lorsque ceux-ci ont été réformés, dans une logique de la transparence et de la fluidité ?

Le projet de loi entraîne des obligations précises pour vos services : reconstitution des carrières, entretiens, en particulier point d'étape à quarante-cinq ans pour évaluer la future retraite. Comment ferez-vous face, avec onze centres régionaux et deux centres d'appel ? Enfin, comment les polypensionnés obtiendront-ils des renseignements par l'intermédiaire du Gip Info-retraite ?

M. Jean-Yves Raude. - Caisse ou service, le conseil de modernisation des politiques publiques ne se prononçait pas et ce sont les discussions ultérieures qui ont orienté le choix : il est apparu qu'il fallait surtout revoir les processus. En outre, la transformation immédiate en caisse eût été difficile en raison du morcellement. La réforme a été menée dans le cadre de la RGPP. Quant à la transparence, avant l'ère de la Lolf, les pensions de l'Etat étaient difficiles à cerner, éparpillées dans les budgets des différents ministères. Mais l'article 21 de la loi organique a créé un compte d'affectation spéciale retraçant l'ensemble des dépenses et des recettes. Les indicateurs fournissent une mesure de performance ; on connaît la contribution de l'employeur aux cotisations puisqu'elle est fixée par décret ; et la trésorerie est gérée avec l'ensemble de la trésorerie de l'Etat, de façon efficiente. Les coûts de gestion administrative du régime apparaissent dans les documents budgétaires. Bref, ce régime n'a pas la personnalité juridique mais il a toutes les composantes d'une caisse. La seule différence est que les partenaires sociaux ne sont pas associés à la gestion.

M. Dominique Leclerc, rapporteur. - Quelles sont les répercussions du projet de loi sur vos services ? Quelles conséquences financières auront les mesures d'âge, l'augmentation du taux de cotisation, la réforme du minimum garanti, la fin du dispositif de départ anticipé pour les parents de trois enfants ? Avec le recul de soixante-cinq à soixante-sept de la limite d'âge, sait-on qui part à la limite et qui avant, qui avec toutes ses annuités et qui sans taux plein ? Les parents de trois enfants ont-ils anticipé l'adoption du texte en déposant plus de demandes de départ anticipé ? Quelles sont les conséquences des amendements adoptés à l'Assemblée nationale ? Enfin, sur le droit individuel à l'information, que répondre au médiateur de la République lorsqu'il soulève le risque d'écart sensible entre estimation et liquidation effective ? A partir de quand la décision de partir est, dans votre processus administratif, irréversible ?

M. Jean-Yves Raude - Les mesures touchant les retraites de la fonction publique produiront 2,2 milliards d'euros d'économies en 2015, 3,7 milliards en 2018 et 4,8 en 2020. Le recul des âges de la retraite représentera alors 2,6 milliards, la hausse du taux de cotisation 1,5 milliard, le minimum garanti 0,3 et les dispositions applicables aux parents de trois enfants, 0,4. L'amendement conservant aux parents qui ont aujourd'hui plus de cinquante-cinq ans le bénéfice des anciennes mesures ne change pas grand-chose aux estimations.

En 2003, l'adoption de mesures sur le départ anticipé a suscité quelques milliers de départs supplémentaires avant la modification législative. Aujourd'hui, la moitié des départs anticipés concerne des personnes de plus de cinquante-cinq ans. Celles-là n'ont pas de raison de modifier leur comportement. Les moins de cinquante-cinq ans décideront-ils en plus grand nombre de partir ? Je ne crois pas que le phénomène sera de grande ampleur. Nous avons questionné à ce sujet le ministère de l'éducation nationale, qui compte la moitié des effectifs des fonctionnaires, afin d'avoir quelque idée sur cette question. En 2009, il y a eu - de juin à août - deux cent quatre-vingts demandes ; cet été, sept cent quinze. Une augmentation, certes, mais sans « déformation de la structure », disent les statisticiens. On retrouve la même répartition : pour moitié des moins de cinquante-cinq ans, pour moitié des plus de cinquante-cinq ans.

Mme Muguette Dini, présidente de la commission. - L'évolution entre 2009 et 2010 serait-elle également due aux « papy-boomers » ?

M. Jean-Yves Raude. - Pas de façon significative.

La mesure abaissant de quinze à deux le nombre des années de service pour ouvrir droit à la retraite des fonctionnaires est une mesure de simplification tant pour l'usager que pour les relations entre régimes. Cela concerne les civils. Nous avons actuellement trois mille affiliations rétroactives par an, pour la population qui a moins de quinze ans de service ; six cents concernent des fonctionnaires ayant moins de deux ans de service. Nous aurons donc demain six cents dossiers à traiter. Pour les deux mille quatre cents autres, la vie sera simplifiée. Quant à l'effet financier, il est décalé dans le temps et n'apparaît pas dans les schémas.

Après la loi de 2003, nous avons traité les appels des usagers, à leur satisfaction semble-t-il. Lors de la dernière campagne nous avons eu quarante-cinq mille contacts ; nous sommes organisés pour le faire, nous ferons face.

M. Dominique Leclerc, rapporteur. - Mais vous recevrez peut-être un million d'appels.

M. Jean-Yves Raude  - Nous avons traité l'an dernier environ deux cent mille demandes de relevé individuel et d'estimation globale. Il est vrai que le point d'étape à quarante-cinq ans puis tous les cinq ans - ou à tout autre moment... - dépassera la simple demande de renseignements. Les questions seront précises, techniques. Les agents qui répondront devront bien connaître le code des pensions civiles et militaires. Nous répondrons à tous ceux qui nous contacteront. Mais l'entretien sera nécessairement téléphonique, cela n'est pas possible autrement. Aujourd'hui déjà, tout fonctionnaire peut demander un point sur le déroulement de sa carrière. Quelles questions nous posera-t-il sur sa retraite ? Nous menons une enquête pour cerner les attentes, à l'issue de quoi nous nous organiserons.

M. Philippe Fertier-Pottier, chef du département des retraites et de l'accueil du service des retraites de l'Etat. - L'information donnée par les gestionnaires des dossiers de retraite, en l'état actuel du droit, sera indicative et non contractuelle. Je vous renvoie au code de la sécurité sociale. Tout renseignement, toute simulation seront communiqués à titre indicatif. Les sociétés de conseil privées, spécialisées sur les retraites, se dégagent pareillement de toute responsabilité en ce domaine.

Le code des pensions précise que la radiation des cadres n'a pas une valeur définitive. C'est l'acte de concession, autrement dit la liquidation de la pension, qui compte - lorsque l'on s'est assuré que toutes les conditions de la liquidation sont réunies. Je veux ajouter, à propos de l'intervention du médiateur de la République, qu'il est très difficile de réintégrer une personne après coup...

M. Jean-Yves Raude. - Le risque d'erreur sera faible dans l'avenir puisque nous disposerons des informations complètes.

En 2009, sur soixante-huit mille pensions nouvelles, six mille émanaient d'agents à la limite d'âge ou au-delà. Les catégories actives étaient sur-représentées, 40 %, alors qu'elles constituent 25 % du total des effectifs. Et 85 % des agents avaient atteint le taux plein ; 15 % arrivaient à la limite d'âge sans avoir acquis l'ensemble de leurs droits.

M. Alain Vasselle, rapporteur général. - Pourquoi n'aligne-t-on pas les âges de départ des fonctionnaires de l'Etat appartenant aux catégories actives, sur l'âge de droit commun ? M. Tron nous a parlé des métiers sans équivalent dans le privé, policiers, gendarmes, mais au nom de quoi un fonctionnaire de DDE ne part pas à la retraite au même âge que l'employé municipal ou le salarié d'une entreprise privée qui effectue sensiblement les mêmes tâches ? Il en va de même pour les infirmières. Est-ce pour une raison financière ? Y a-t-il d'autres motifs ?

M. Jean-Yves Raude. - Je ne puis aller au-delà de ce qu'a répondu le ministre.

M. Alain Vasselle, rapporteur général. - Je formule autrement ma question afin que vous puissiez y répondre. Quelles économies pourrait-on dégager pour le budget de l'Etat si l'on alignait public et privé sur ce point ?

M. Jean-Yves Raude. - Je n'ai pas eu à effectuer une telle estimation mais je tenterai d'apprécier ce que représenterait, financièrement, un alignement complet de 25 % des fonctionnaires de l'Etat sur le régime général.

M. Dominique Leclerc, rapporteur. - J'en viens à deux articles nouveaux. L'un impose aux services administratifs d'avertir avant fin 2010 les fonctionnaires parents de trois enfants du changement des règles les concernant. L'autre annonce un rapport avant le 15 octobre 2010, ce qui paraît un peu bref puisque le projet de loi ne sera pas adopté à cette date, sur les modalités de versement des pensions dès le premier jour du mois.

M. Jean-Yves Raude. - Le deuxième article ne nous concerne pas : c'est dans le régime général que les pensions sont versées le 8 du mois pour le mois précédent ; nos pensions sont versées le 23, le 25 ou le 27 pour le mois en cours. Nous faisons mieux que le 1er du mois...

M. Philippe Fertier-Pottier. - La disposition concernant les parents de trois enfants a été conçue de façon à ne pas provoquer de ressaut dans les départs anticipés. L'information des fonctionnaires sur cette mesure ne pose pas de problème, elle se fera au sein des administrations employeurs, comme cela se fait couramment par voie de circulaire, note, instruction...

Mme Raymonde Le Texier. - Le nombre d'appels, quarante-cinq mille, est impressionnant. Chaque entretien prendra un certain temps. Combien avez-vous aujourd'hui d'agents pour effectuer ce travail ?

M. Philippe Fertier-Pottier. - Un appel téléphonique dure en moyenne cinq à sept minutes. Dans 80 % des cas, les questions sont simples et les agents temporaires qui travaillent durant les campagnes savent y répondre ; les questions plus complexes, les appels « de second niveau » exigent l'intervention de l'équipe permanente. Elle compte neuf agents aujourd'hui, sans compter la plateforme d'appui mise en oeuvre avec le bureau des retraites, dont les agents liquidateurs viennent prêter main-forte aux neuf permanents - ce renfort peut être estimé à sept équivalent-temps plein.

M. Jean-Yves Raude. - Notre « public » appelle beaucoup plus que dans l'ensemble des autres régimes, avec une pointe le mercredi. Le taux de retour, lors des campagnes d'information, est deux fois plus important que dans l'ensemble des régimes. On peut s'attendre à ce que le point d'étape à partir de quarante-cinq ans donne lieu également à de nombreuses demandes.

Réforme des retraites - Audition de M. Jean-Louis Malys, secrétaire national en charge des retraites, Mme Véronique Descack, secrétaire nationale, et M. Yves Canévet, secrétaire confédéral de la Confédération française démocratique du travail (CFDT)

M. Jean-Louis Malys, secrétaire national en charge des retraites de la CFDT  - Pour la CFDT, une réforme est indispensable pour pérenniser notre système de retraites par répartition, élément constitutif de notre pacte social. Nous avons soutenu la réforme de 2003 parce qu'elle contribuait à réduire les inégalités. L'harmonisation de la durée de cotisation à quarante ans était une mesure juste et nécessaire ainsi que l'augmentation du minimum contributif à 85 %, tandis que la possibilité de départ à la retraite avant soixante ans pour les carrières longues marquait une avancée incontestable. Nous avons d'ailleurs regretté le durcissement de l'accès au dispositif carrières longues en 2008, revirement injuste et brutal au vu des engagements de la réforme de MM. Raffarin et Fillon.

Animés par ce même souci de justice et d'efforts partagés, nous sommes contre cette réforme, malgré les amendements gouvernementaux proposés le 8 septembre. Car 2010 est l'exact contraire de 2003. Alors que la crise est la raison première du déficit, l'effort demandé aux plus aisés et aux détenteurs de revenus du capital semble dérisoire : 85 % des efforts sont demandés aux seuls salariés. Cette réforme n'assure pas la pérennité des retraites ; l'extinction du fonds de réserve des retraites constitue une erreur économique, sociale et politique ; le Président de la République et le Gouvernement ont préféré au Grenelle des retraites, dont nous demandions l'organisation, la controverse et le conflit alors que la concertation et la recherche du consensus ont été le préalable de réformes le plus souvent progressives dans tous les pays voisins. Outre les erreurs de méthode, le manque d'ambition et de visibilité, le déséquilibre des efforts demandés, cette réforme est injuste parce qu'elle creusera les inégalités au sein du monde du travail. Relever l'âge légal de départ à la retraite de soixante à soixante-deux ans pénalisera ceux qui ont commencé à travailler jeunes et ont connu des carrières pénibles, de même que ceux, et surtout celles, dont la carrière est incomplète pâtiront du relèvement de l'âge de départ pour bénéficier d'une retraite à taux plein de soixante-cinq à soixante-sept ans.

Dans ces conditions, parler d'une réforme juste, courageuse ou ambitieuse n'est pas crédible. Si nous ne parvenons pas, si vous ne parvenez pas, à l'amender, la réalité de sa mise en oeuvre poursuivra longtemps ceux qui n'auront rien fait pour défendre les plus modestes. L'opinion publique est convaincue de la nécessité de la réforme. Elle a compris cet été, et plus encore depuis la rentrée, que celle-ci était injuste et inefficace. Si le texte reste en l'état, le coût politique sera élevé. La CFDT a proposé publiquement quatre pistes d'amélioration : carrières longues, pénibilité, polypensionnés, salariés aux carrières incomplètes et modestes. Sur les trois premières pistes, les réponses sont insuffisantes. Sur la quatrième, le refus de toute mesure constitue une erreur stratégique. Avant d'en venir au coeur de mon propos, permettez-moi d'insister sur l'importance de prévoir dans la loi un débat sur l'indispensable réforme systémique, de plus en plus demandé et au sein de tous les courants politiques, et de dénoncer l'absence de concertation sur l'épargne retraite.

Notre démarche est constructive. Nos propositions sont dans le champ du possible. Nous vous demandons de saisir cette opportunité. Concernant les carrières longues, nos orientations n'ont pas changé : la durée de cotisation doit être le paramètre de référence afin que les salariés ayant effectué une carrière complète puissent partir à la retraite sans condition d'âge. C'était d'ailleurs l'esprit de la loi de 2003 et de son dispositif de départ anticipé. Le recul des bornes d'âge du dispositif des carrières longues imposera aux salariés ayant commencé à travailler à dix-sept ans de réunir quarante-trois annuités pour partir en retraite à soixante ans, tandis qu'un début d'activité à dix-huit ans sera sanctionné par quarante-quatre annuités pour un départ à soixante-deux ans. L'effet de seuil est très fort entre les débuts d'activité à dix-sept et dix-huit ans. Il faudrait, au minimum, inclure les salariés ayant commencé à dix-huit ans dans le dispositif.

Le projet de loi ne règle pas la question des polypensionnés. Les titulaires sans droits, qui réunissent moins de quinze ans de services dans la fonction publique, verront leur situation s'améliorer par l'abaissement de quinze ans à deux ans de la durée nécessaire pour avoir droit à une pension. Il faut cependant s'interroger sur les effets de la fermeture d'ici 2015 des validations de toutes les périodes de services auxiliaires. De plus, le texte ne prévoit rien pour les polypensionnés du privé - la prise en compte des vingt-cinq meilleures années sur toute la carrière est renvoyée à un rapport -, tandis que les carrières mixtes privé-public restent désavantagées. Le médiateur de la République proposait d'ailleurs récemment, pour ces dernières, de procéder à un calcul de la pension du régime aligné en « proratisant » la règle des vingt-cinq meilleures années en fonction de la durée d'affiliation à ce régime. Nous défendons la même position en demandant la tenue d'un débat citoyen sur la convergence des régimes.

J'en viens à la pénibilité. Le projet de loi reconnaît seulement l'incapacité : une incapacité physique supérieure ou égale à 20 % ou une incapacité de 10 % dont il faudra prouver qu'elle est liée à l'exposition à un ou plusieurs facteurs de risques. Dans tous les cas, les effets différés de la pénibilité sont passés sous silence et la réduction de l'espérance de vie qui en découle est niée alors qu'elle est au centre des inégalités de retraite liées aux conditions de travail. En outre, le dispositif de prise en compte de l'incapacité prévu par le texte est très contestable : les salariés concernés seront d'autant moins nombreux que les maladies professionnelles font l'objet de sous-déclarations bien connues, la plupart des salariés concernés bénéficient déjà d'un dispositif de départ à soixante ans au titre de l'invalidité à 50 % ou de l'inaptitude médicale. Enfin, avec le carnet de santé individuel retraçant les expositions, le Gouvernement pense économiser des moyens administratifs en reportant la charge de la traçabilité sur les services de santé au travail, voire sur le salarié lui-même tenu de conserver la preuve de son exposition avec des copies. Ce sont les caisses de retraite et de santé au travail (Carsat) qui devraient être chargées de l'exposition aux facteurs de risques. Posséder un carnet de santé n'ouvre aucun droit au salarié en l'état actuel du texte, sans compter que ce système n'améliorera pas la prévention : rien ne permet d'identifier les entreprises qui génèrent les pénibilités.

Les amendements déposés à l'Assemblée nationale à propos de la médecine du travail auront une incidence négative : ils subordonnent les services interentreprises aux orientations des organisations professionnelles d'employeurs. Et déclarer caducs tous les accords collectifs comportant des obligations en matière d'examens médicaux différentes de celles prévues par le code du travail suscite des interrogations fortes.

Une vraie prise en compte de la pénibilité passe par la réduction de la durée de carrière pour des salariés exposés à un ou plusieurs facteurs de risque professionnel. La compensation de la pénibilité doit être individuelle - nous ne sommes pas dans une logique de régimes spéciaux - et fondée sur un système de capital temps acquis par année d'exposition à la pénibilité, par exemple un an pour dix ans d'exposition. Le droit au départ anticipé devrait être reconnu sur dossier dans les cas simples et bien documentés, ou sur décision d'une commission pluridisciplinaire d'experts lorsque la reconstitution de la carrière est nécessaire. Enfin, nous demandons une traçabilité de la pénibilité assurée par les Carsat, les données étant transmises par l'employeur avec l'appui du service de santé au travail. La prise en charge doit reposer sur la solidarité nationale pour les salariés en fin de carrière déjà exposés et sur un financement mutualisé des employeurs sous la forme d'une cotisation à la branche AT-MP pour les salariés en cours d'exposition. Cela encouragerait la prévention, avec un système de bonus-malus en fonction de la mise en oeuvre d'actions de précaution. Une telle approche de la pénibilité pourrait être mise en oeuvre de manière graduelle, en sélectionnant tout d'abord un ou plusieurs facteurs de risque donnant droit, à certaines conditions d'exposition, à un départ anticipé.

Enfin, nous estimons que le recul de l'âge du départ à la retraite sans décote de soixante-cinq à soixante-sept ans serait très pénalisant pour les femmes et les basses pensions. De fait, 30 % des femmes liquident leur retraite à soixante-cinq ans, 63 % de ceux qui partent en retraite à soixante-cinq ans sont titulaires du minimum contributif, compte-tenu de la faiblesse de leurs droits liée à la faiblesse de leurs salaires. À l'heure où les générations ayant connu le chômage arrivent plus nombreuses à l'âge de la retraite, il faut protéger ces catégories de la population fragilisées. Le recul de l'âge du taux plein, au contraire, les fragilise. Le maintien à soixante-cinq ans de l'âge du taux plein aurait une signification sociale particulièrement forte. Des redéploiements sont possibles pour financer cette indispensable solidarité : les majorations familiales de pensions proportionnelles au salaire ne favorisent ni les familles modestes ni les femmes, mais majoritairement les hommes à revenus élevés. Depuis des années, la CFDT dénonce cet état de fait. Elle demande leur forfaitisation et le redéploiement de ces sommes vers la solidarité.

Dans son ambition d'offrir aux salariés la possibilité d'arbitrer entre temps de vie, temps de travail et niveau du revenu de remplacement, la CFDT défend d'abord la sécurisation des régimes par répartition. Dans un second temps, elle n'est pas hostile à réfléchir à des compléments en capitalisation pour peu que les conditions suivantes soient réunies : une information effective, précise et exhaustive aux salariés sur leurs droits dans les régimes obligatoires ou facultatifs ; une mise en place négociée des dispositifs ; des dispositifs accessibles aux salariés modestes et ouverts à tous, c'est-à-dire qui ne soient pas catégoriels ou réservés aux seuls salariés des grandes entreprises.

Or, des amendements parlementaires, fruit du lobbying de certaines branches professionnelles, ont été déposés aux fins d'ériger un « troisième pilier » de la retraite en France sans que les organisations représentatives des salariés aient leur mot à dire sur le choix entre capitalisation collective ou individuelle, mécanisme interprofessionnel de branche ou d'entreprise ou encore sur la portabilité des droits acquis dans ces dispositifs. Certains d'entre eux créent purement et simplement de nouvelles niches fiscales. Pour la CFDT, il est inimaginable que de telles questions soient tranchées au détour de cavaliers qui privent les représentants du personnel d'une part essentielle de leurs prérogatives. La CFDT a su montrer qu'elle savait négocier des régimes complémentaires ou des dispositifs d'épargne salariale orientés vers l'épargne retraite. Avant d'étendre l'un ou l'autre d'entre eux, d'accorder à tel ou tel un avantage fiscal, il convient de les évaluer. Ensuite, viendra l'heure de la négociation, puis du débat parlementaire. Nous vous demandons de surseoir sur ce sujet à toute décision ; la CFDT, de son côté, souhaite s'engager très rapidement dans la concertation.

Pour conclure, la CFDT est engagée dans une démarche de réforme. La manière dont celle-ci a été menée nous a privés de la possibilité de défendre la position que nous avions définie lors de notre congrès : agir sur la durée de cotisation, et non sur l'âge, pour régler la question démographique, distinguer clairement le contributif de la solidarité, harmoniser pour en arriver à un régime unique pour tous les salariés. Cette réforme aurait dû être l'occasion de s'engager sur ce chemin. Tout n'est pas perdu à condition de corriger cette réforme qui aura un impact budgétaire limité. Nous devrons bientôt remettre l'ouvrage sur le métier, ce qui est regrettable. Car, de réforme en réforme, on traumatise la population et on jette le discrédit sur notre système de retraite par répartition. Il est temps que cessent les manoeuvres politiciennes pour que nous imaginions un système de retraite adapté au monde du travail qui est aujourd'hui le nôtre.

M. Dominique Leclerc, rapporteur. - Si votre constat paraît sévère, je sais, d'après les échanges que nous avons eus au sein de la Mecss, que nous avons des points de convergence. Tout d'abord, la nécessité d'une réforme systémique, dont le but est de sauvegarder, et non de changer, notre système de retraite par répartition en y introduisant plus de justice et de transparence. Ce changement ne se fera pas du jour au lendemain et nécessite au préalable un long travail de pédagogie. Ensuite, nous considérons, à l'instar du conseil d'orientation des retraites (Cor), que la crise appelle des mesures d'urgences paramétriques. Premier paramètre, la durée de cotisation dont l'évolution est en marche depuis la loi de 2003. Deuxième paramètre, l'âge légal de départ à la retraite, que vous contestez, mais qui présente l'avantage d'avoir un impact financier rapide, ce qui n'est pas négligeable vu l'ampleur des déficits. Dernier levier, le financement, qui sera débattu dans la loi de financement de la sécurité sociale. En tout état de cause, cette réforme paramétrique devra être suivie, demain, d'une réforme systémique qui consistera, non en un changement de système, mais en un changement des règles. Enfin, dernier point de convergence, l'idée d'un complément lié à une épargne retraite, qui pourrait être collective et dont la forme reste à préciser.

Mais aujourd'hui, je voudrais revenir sur quatre sujets, à commencer par le passage de l'âge de la retraite à taux plein de soixante-cinq à soixante-sept ans. D'après Danièle Karniewicz, présidente de la caisse nationale d'assurance vieillesse (Cnav), le report d'âge ne pénaliserait pas particulièrement les femmes, contrairement à ce que nous pensions, car une grande partie des femmes concernées ont arrêté de travailler depuis longtemps par choix personnel. Avez-vous des évaluations chiffrées ? Autre sujet, la majoration de pension de 10 % pour avoir élevé leurs enfants. Effectivement, elle n'est pas distributive, puisqu'elle est progressive en fonction de la pension. Faut-il prévoir un plafonnement ? Lequel ? Combien cela rapporterait-il ? Deuxièmement, les polypensionnés. Au cours de nos travaux préparatoires, il est apparu que retenir les vingt-cinq meilleures années sur l'ensemble d'une carrière, tous régimes confondus, ne représentait pas forcément un avantage pour les polypensionnés, sans compter que l'opération est complexe. De même, ramener de quinze à deux ans la durée de services dans la fonction publique pour avoir droit à une pension semble une simplification pour les polypensionnés. Quel est votre avis sur ces deux points ? Troisièmement, les carrières longues. La prise en compte des salariés ayant commencé à travailler à dix-sept ans représente un progrès, même si les conditions d'accès au dispositif ont été durcies l'an dernier. Quelles corrections envisager encore ? Enfin, la pénibilité. Nous croyons que nous sommes en train de créer un nouveau droit social, appelé à évoluer dans les années à venir. Comment améliorer le dispositif proposé ?

Mme Gisèle Printz. - Que propose la CFDT pour améliorer la retraite des femmes ? Certaines d'entre elles perçoivent une pension inférieure au minimum vieillesse. Ne pourrait-on pas prévoir, pour elles, une allocation minimale ? Pour les jeunes, ne faudrait-il pas intégrer les années d'études et de stage dans le calcul de la retraite ?

M. Alain Vasselle, rapporteur général. - Vous avez affirmé avec force que la réforme serait supportée à 85 % par les salariés et à 15 % par les plus fortunés. Comment déplacer le curseur ? À quel degré ? Et pour quel niveau de contribution ? Ce prélèvement supplémentaire est-il compatible avec la compétitivité de nos entreprises et leur politique de recrutement des cadres supérieurs ? Ne risque-t-on pas d'assister à une fuite de la matière grise ? S'agissant de la pénibilité, une disposition du texte prévoit une modulation des cotisations pour financer les départs anticipés au titre de la pénibilité en fonction du degré de pénibilité des métiers constaté par secteur d'activité sur l'ensemble du territoire. Quels critères pensez-vous qu'il faille retenir pour calculer cette modulation ? A propos des fonctionnaires de la catégorie active, il est prévu de maintenir leur avantage - on allonge de deux ans l'âge de départ à la retraite - sans les aligner sur le droit commun. Qu'est-ce qui justifie le maintien de cet avantage ?

J'en viens aux femmes. Ce sont celles nées avant 1964 qui souffriraient le plus du report de l'âge de la retraite à taux plein à soixante-sept ans. Vous avez suggéré de forfaitiser les majorations familiales. Avez-vous chiffré cette proposition ? Le Gouvernement, semblait dire Eric Woerth ce matin, ne serait pas opposé à ce que nous travaillons sur ce type de dossier à condition de maintenir l'équilibre financier de la réforme. Autre sujet, la réforme systémique. La CFDT en est une adepte, mais quid des autres confédérations ? Etes-vous seul contre tous ou a-t-on une chance de l'intégrer dans la réforme ? Concernant les niches sociales, l'annualisation des allègements de charge, disent certains, aura des conséquences sur l'emploi. Qu'en pensez-vous ? Faut-il aller plus loin ? Enfin, vous n'avez pas abordé l'emploi des seniors, est-ce à dire que vous considérer le texte satisfaisant sur ce point ?

M. Jacky Le Menn. - J'espère que vous avez été convaincus par le plaidoyer en faveur de la réforme du rapporteur... Sur quels points a achoppé la réforme de 2003 que vous avez soutenue ? Certains de vos partenaires, notamment, n'ont pas jugé bon de poursuivre les travaux sur la question de la pénibilité que vous aviez mise en avant. Pouvez-vous nous en dire davantage ? Quelles sont les confusions possibles entre pénibilité et invalidité ? A mon sens, ce n'est pas seulement un problème sémantique, il s'agit d'approches différentes qui appellent des mesures différentes. Pourriez-vous détailler les raisons de votre soutien à l'allongement de la durée de cotisation ? Enfin, quelles sont les propositions de la CFDT sur les pensions des travailleurs handicapés ? Cette question concerne un public fragilisé, voire victime d'une accélération de l'injustice quand ce sont des femmes.

Mme Raymonde Le Texier. - Pouvez-vous être plus explicite sur l'absence de concertation que vous avez dénoncée dans votre exposé ? A chaque fois que cette question a été abordée à l'Assemblée nationale, le Gouvernement et la majorité ont poussé des hurlements et fait valoir que la concertation a duré des mois. Pouvez-vous nous en dire plus sur la réforme systémique ? Par exemple, que pensez-vous des comptes notionnels ? La CGT nous a dit hier y être farouchement opposée. Quant à la pénibilité, vous avez beaucoup parlé des expositions. Mais prenons l'exemple de celui qui, depuis l'âge de seize ans, pose du carrelage. Certes, il a inhalé de la colle, mais il a surtout les genoux en bouillie. Doit-il vraiment passer devant une commission pour s'arrêter à soixante ans ? Autre exemple, dans ma ville, certaines femmes ne trouvent du travail que dans des usines de découpage de poulet réfrigérées à 12°C. Faut-il vraiment qu'elles aillent pleurer pour obtenir de partir à soixante ans ? Enfin, concernant le report de l'âge de la retraite à taux plein de soixante-cinq à soixante-sept ans, vous avez rappelé, dans votre exposé, que 63 % de ceux qui partent en retraite à soixante-cinq ans sont titulaires du minimum contributif. D'après la présidente de la Cnav, semble dire Dominique Leclerc, les femmes ne sont pas particulièrement concernées car elles se seraient arrêtées de travailler par choix personnel. Nous ne partageons pas cette analyse. Bien souvent, elles n'ont pas eu d'autre possibilité : une place en crèche que, de toute façon, elles ne trouvaient pas, leur coûtait plus cher que de travailler. Bref, les femmes sont-elles, oui ou non, les premières pénalisées par le report de soixante-cinq à soixante-sept ans ?

Mme Muguette Dini, présidente. - Permettez-moi de préciser : la directrice de la Cnav a simplement posé un constat, elle n'a pas parlé d'arrêt volontaire. D'après elle, cette catégorie serait en voie d'extinction, les femmes reprenant aujourd'hui une activité professionnelle après la maternité.

M. Jean-Pierre Godefroy. - Que pensez-vous du cavalier introduit à l'Assemblée nationale sur la médecine du travail ? Aux termes du nouvel article 25 quater, « les missions définies à l'article L. 4622-1-1 sont exercées par les médecins du travail, en lien avec les employeurs et les salariés désignés pour s'occuper des activités de protection et de prévention des risques professionnels ou les intervenants en prévention des risques professionnels ». N'est-ce pas placer les médecins du travail sous la tutelle des employeurs ? La question mérite débat. La comparaison avec le lien hiérarchique existant entre médecins hospitaliers et directeurs d'hôpitaux ne tient pas : l'indépendance professionnelle du médecin y est garantie. De plus, pourquoi des salariés désignés par l'employeur, comme cela est précisé au 6° du I de l'article 25 quater, et non par les salariés ? Autre sujet d'inquiétude, « si les compétences dans l'entreprise ne permettent pas d'organiser ces activités », l'employeur pourra faire appel à des intervenants extérieurs. Cela laisse songeur : qui décidera qu'il n'y a pas les compétences dans l'entreprise ? Enfin, notre mission d'information sur le mal-être au travail avait préconisé une gestion paritaire de la médecine du travail, idée reprise au nouvel article 25 sexies. Qu'en pensez-vous ?

M. Jean-Louis Malys. - Vos interventions étaient très denses, je vous prie de m'excuser si je ne réponds pas à toutes les questions posées. Dominique Leclerc, le Gouvernement affirme : « A cause démographique, mesure démographique ». Mais un changement démographique est-il intervenu entre 2007 et 2010 qui expliquerait l'aggravation du déficit ? Non, c'est la crise ! Et l'on demande aux salariés, qui ont subi de plein fouet cette crise, de fournir encore un effort. A quel degré déplacer le curseur ? Je l'ignore. En revanche, je sais que la contribution des hauts revenus est extrêmement symbolique - 1 % sur la tranche supérieure de l'impôt sur le revenu -, c'est peu au regard de tout ce qui leur a été accordé. Pour nous, il faut créer une nouvelle tranche.

La réforme est injuste parce qu'elle est déséquilibrée. Il existe deux discours diamétralement opposés qui retiennent, l'un, les seules causes démographiques et, l'autre, les seules causes économiques. Pour la CFDT, il y a les deux. D'où la nécessité d'allonger la durée de cotisation et de partager l'effort en distinguant le contributif de la solidarité. Celle-ci doit jouer son rôle : l'aggravation du chômage et de la précarité - la reprise se fait par les CDD et l'intérim - contribuent à la détérioration des systèmes de retraite. Le recours à la solidarité risquerait d'entraîner la fuite des riches et des cadres ? Pardonnez-moi, mais on ne peut pas critiquer les gamins qui sifflent la Marseillaise et s'inquiéter du sort de ceux qui n'acceptent pas nos règles fiscales et menacent de quitter le pays. L'impôt est le premier acte de citoyenneté. Nous ne pouvons pas être l'otage des grandes fortunes et des hauts revenus. Compte tenu de la crise, il faut rétablir la progressivité de l'impôt. Et la question du bouclier fiscal d'apparaître devant nos yeux...

La réforme systémique consiste effectivement à envisager un autre système de répartition que celui par annuités. Mais, pour sauver notre système par répartition, l'important est de donner aux jeunes le sentiment de la contributivité. Ils doivent savoir qu'ils auront un retour garanti sur leurs cotisations retraite qui, aujourd'hui, représentent pas moins de 26 % du salaire net, tous salariés confondus. Or, aujourd'hui, le message permanent qu'on adresse aux jeunes générations est : « le système est tellement compliqué qu'on ne saurait vous dire quels seront vos droits et, de toute façon, vous n'aurez sans doute rien ! » À force de jouer sur les paramètres, seuls ceux qui ont des carrières linéaires et dynamiques auront une retraite. Au lieu de demander aux gens de s'adapter à ce modèle qui date des années 1960-1970 et n'existe plus, il faut adapter notre système de retraites au monde du travail d'aujourd'hui. La répartition implique la contributivité. La réforme du Gouvernement ne parvient pas à la garantir. La liquidation du fonds de réserve des retraites, destiné à absorber les effets du baby-boom, est un signe politique très négatif pour les jeunes générations.

J'en viens aux femmes. Le travail féminin se concentre aujourd'hui sur deux pôles : des emplois de haut niveau, par exemple dans certains secteurs comme la santé et l'éducation - où demeure néanmoins le phénomène du plafond de verre pour le haut de la hiérarchie - et les emplois précaires, où règne aujourd'hui la plus grande misère sociale. Nous n'avons pas beaucoup progressé en trente ans, au mieux nous avons stagné. C'est vers ces femmes qui n'ont pas eu le choix que nous devons redéployer la solidarité. Nous n'avons pas de chiffrage de nos propositions à l'euro près. En revanche, la majoration de pension de 10 % représente 6 milliards.

Mme Véronique Descacq, secrétaire nationale de la CFDT. - Permettez-moi de commencer par la politique des allègements de charges qui expliquent en grande partie la situation de l'emploi des femmes. Que lui reprochons-nous ? L'absence de conditionnalité à une politique d'emploi quantitative ou qualitative et ses effets pervers puisque, outre qu'ils sont des trappes à bas salaire et, donc, à basse qualification, ces allègements encouragent le temps partiel imposé. Leur impact est extrêmement négatif à l'heure où nous devons aller vers une économie de la connaissance. Ces travailleurs pauvres, bien souvent, sont des femmes qui n'ont pas eu le choix. Si l'on considère le coût de la majoration familiale de 10 % en sus du coût de sa non-imposition - une niche fiscale totalement injuste d'autant que ces retraités n'ont plus d'enfants à charge -, on atteint 7 milliards, dont 330 millions pour la seule niche fiscale. La forfaitisation à hauteur de 57 euros par mois permettrait de redéployer environ 2 milliards vers les personnes qui ont eu des carrières accidentées, qui se trouvent être souvent des femmes.

J'en viens à la question d'Alain Vasselle concernant le curseur entre salariés et hauts revenus. Pour financer la retraite, qui est un revenu de remplacement - j'y insiste, car c'est la clé de notre système par répartition -, il existe trois solutions. Premièrement, l'augmentation des éléments de contributivité. Celle-ci peut passer par une hausse du taux d'emploi - d'où la question de l'emploi des seniors -, l'allongement de la durée de cotisation et l'augmentation des cotisations. Cette dernière mesure serait négative en temps de crise et d'autres besoins tels que la dépendance et la santé seront à couvrir. Deuxième levier, le fonds de réserve des retraites. La réforme nous en prive au moment où le choc démographique de la génération du baby-boom va advenir. Enfin, les redéploiements à réaménager et à créer pour faire face à des solidarités nouvelles. Je pense, entre autres, à une nouvelle tranche d'impôt sur le revenu et la suppression du bouclier fiscal et des niches fiscales qui ne profitent pas à l'emploi.

Mme Muguette Dini, présidente. - Sur les sept cent mille départs à la retraite par an, quelle est la proportion de femmes ? Parmi elles, combien partent à la retraite avec une pension inférieure au minimum vieillesse ?

M. Yves Canevet. - D'après les chiffes de 2004, 56 % des femmes partent à la retraite avec une carrière incomplète, contre 14 % pour les hommes. Elles quittent le monde du travail à soixante-cinq ans pour 30 % d'entre elles, contre 10 % pour les hommes. Parmi ces femmes qui partent à la retraite à soixante-cinq ans, 75 % sont titulaires du minimum contributif. L'âge de départ à la retraite à taux plein, plus exactement sans application de la décote, est, en réalité, la condition d'accès aux mécanismes de solidarité.

Mme Muguette Dini, présidente. - Quel est le pourcentage de femmes qui partent à la retraite alors qu'elles sont seules avec des enfants à charge ?

M. Jean-Louis Malys. - Les chiffres existent, ils sont inquiétants. De toute évidence, nous assistons à une massification des familles monoparentales pauvres.

Mme Muguette Dini, présidente. - Cette situation ne va-t-elle pas aller en s'améliorant dans quelques années avec l'augmentation du niveau de qualification et, donc, des salaires ?

Mme Véronique Descacq. - J'attire votre attention sur la lenteur de ces phénomènes. Depuis la loi sur l'égalité professionnelle dans l'entreprise il y a presque trente ans, les partenaires sociaux négocient au sein des branches et des entreprises. Nous n'avons pas le droit d'attendre que les changements culturels et sociétaux arrivent à leur terme. Sans quoi, des générations de femmes vivront leur retraite dans la pauvreté.

M. Jean-Louis Malys. - Je vais tenter de continuer de répondre aux orateurs. Concernant le minimum contributif, ce dernier est un mécanisme très curieux. En réalité, il corrige partiellement une anomalie de notre système de retraite. Le principe des vingt-cinq meilleures années privilégie les personnes qui ont eu une carrière dynamique, contre celles qui auront eu une carrière plate. Autrement dit, une personne qui aura touché le Smic toute sa vie contribuera davantage. Les vingt-cinq meilleures années pénalisent les 30 % des salariés les plus modestes ainsi qu'une toute petite partie des très hauts revenus en raison des effets de plafond. Le minimum contributif relève donc de la solidarité et du contributif, contrairement au minimum vieillesse qui est du domaine de la seule solidarité. Pour autant, l'effet correcteur du minimum contributif étant insuffisant, certaines personnes qui ont travaillé touchent le minimum vieillesse. Le Cor a publié en janvier un rapport sur les dysfonctionnements du système actuel par annuités, que nous avons décortiqués lors de nos travaux sur l'hypothèse d'une réforme systémique, engagés grâce aux parlementaires.

Je ne suis pas certain que les autres organisations syndicales aient des positions si différentes des nôtres sur la réforme systémique. Il est plus confortable de se dire que le système par annuités a bien fonctionné. Et ce fut le cas pendant longtemps. Aujourd'hui, il faut avoir la lucidité de reconnaître qu'il n'est plus adapté. Une certaine grande organisation syndicale a récemment pris position dans la presse pour une « maison commune des retraites » et la « mise à plat du système ». Si nos conclusions sont différentes, nous nous interrogeons tous sur l'opportunité de dépoussiérer le système actuel.

Nous avons posé la question à nos délégués - ce faisant, nous avons aussi jeté une pierre dans le jardin des partenaires sociaux et des partis politiques. Nous pensons qu'un vrai débat est nécessaire : il était en train de naître mais la présente réforme le ferme de facto... C'est dommage, car la retraite, c'est le reflet de toute une vie, un sujet important, donc. La démocratie aurait été gagnante. Nous pouvions espérer nous accorder sur le diagnostic, voire sur des pistes de solutions... Dans tous les partis, on trouve des partisans de la réforme systémique. Faut-il opter pour un système notionnel pur ? Il n'existe pas de système parfait, mais une organisation moderne devrait tenir compte des choix des salariés et de la réalité de leur carrière. Aujourd'hui, quel est le choix : partir plus tôt avec une décote ou plus tard avec une surcote peu attractive ?

S'agissant des infirmières, la question pertinente est : pourquoi dans le privé n'applique-t-on pas de mesures de pénibilité ? La compensation qui a été accordée en 2003 aux aides-soignantes n'a été contestée par personne. Ce que nous disons, c'est qu'à exposition professionnelle égale, lorsque l'espérance de vie est entamée, il faut une compensation. Les femmes qui travaillent de nuit ont plus de cancers du sein que les autres car ce rythme induit des dérèglements. Le journaliste qui fait toute sa carrière la nuit aura eu un travail pénible ; l'électricien qui travaille de jour, à heures fixes, a une tâche moins pénible.

M. Jean-Pierre Godefroy. - Peut-être faudrait-il dire « altération de l'espérance de vie » plutôt que « pénibilité » ?

M. Jean-Louis Malys. - Avant 2003, on parlait peu de pénibilité. La négociation n'a pas été un pur échec car on s'est accordé sur une définition et les trois catégories ont été reprises dans la loi : efforts physiques ou posture physique, ambiances toxiques - y compris exposition au chaud ou au froid -, rythmes de travail. Avec les organisations patronales et pas seulement le Medef, le désaccord a porté sur le degré, sur le chiffrage, non sur les catégories. Surtout, nos interlocuteurs étaient d'accord sur tout, à la condition de ne rien payer - bref, très bien si la sécurité sociale prend tout à sa charge...

Adopter des dispositions sur la pénibilité obligera à observer précisément les conditions de travail dans la durée et incitera à la prévention. Cette traçabilité est bienvenue car aujourd'hui la méconnaissance est totale sur ce qui se passe dans le monde du travail.

Nous avons eu une longue négociation sur la médecine du travail. Elle s'est conclue par un échec. Nous avons ensuite rencontré les services du ministère. Mais ce cavalier législatif est apparu sans que nous ayons été informés des dispositions que le Gouvernement entendait présenter. Tout n'est pas négatif : je songe à la pluridisciplinarité, que nous avons toujours réclamée : ergonomes et toxicologues ont leur place, au paritarisme - mais pourquoi la direction échoit-elle toujours au patronat ? Ce qui n'est pas acceptable, c'est l'ambiguïté du rôle reconnu à l'employeur. L'entreprise est un domaine privé, non public, et c'est au patron que revient la responsabilité des conditions de travail. Cette responsabilité ne peut être déléguée. Il ne saurait y avoir ni dilution de celle-ci, ni mise sous contrôle des services de santé. Et le sujet ne peut être clos ainsi, par un cavalier législatif.

Les dispositifs relatifs aux carrières longues ont été étendus aux handicapés, mais quand on durcit les critères d'accès aux carrières longues, on rétrécit du même coup les possibilités d'accès pour les handicapés. Il faut se battre pour que ceux-ci puissent travailler, ils contribuent ainsi à leur retraite. Et c'est la solidarité nationale qui doit jouer pour leur permettre de partir plus tôt en retraite.