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Mercredi 27 octobre 2010

Économie, finances et fiscalité - Travail

Politique transfrontalière
Présentation par Mme Fabienne Keller de son rapport au Premier ministre

M. Jean Bizet. - Nous sommes heureux d'entendre notre collègue Fabienne Keller qui a été chargée en décembre dernier par le Premier Ministre avec Etienne Blanc, député de l'Ain, et Marie-Thérèse Sanchez-Schmid, députée européenne, d'une mission sur la politique transfrontalière. L'objectif de cette mission consistait à formuler des propositions susceptibles de répondre concrètement et rapidement aux difficultés propres aux zones transfrontalières. La mission s'est concentrée sur les frontières métropolitaines terrestres avec l'Espagne, l'Italie, la Suisse, l'Allemagne, le Luxembourg, la Belgique ainsi que Monaco et Andorre.

Il m'a semblé qu'il pouvait être intéressant pour notre commission d'avoir connaissance des conclusions contenues dans ce rapport et d'avoir un échange de vues à ce sujet. Notre collègue est accompagné par Frédéric Basaguren, ambassadeur chargé des problèmes transfrontaliers, qui était auparavant consul général à Genève.

Mme Fabienne Keller. - Je vous remercie, chers collègues, de votre intérêt pour la question transfrontalière et c'est avec plaisir que je viens devant vous présenter ce rapport dont je dois vous dire qu'il existe déjà une version allemande et dont il y aura peut-être une version en catalan, car je tiens tout particulièrement à la traduction des documents que nous produisons. Au cours de cette mission, j'ai été heureuse de travailler avec l'appui de mes collègues Etienne Blanc, maire de Divonne, et Marie-Thérèse Sanchez-Schmid, adjoint au maire de Perpignan et tous deux bien placés pour connaître les questions transfrontalières.

Je tiens à rappeler que nous étions en mission - conjointement - auprès de Pierre Lellouche, secrétaire d'État chargé des affaires européennes et de Michel Mercier, Ministre de l'espace rural et de l'aménagement du territoire, que la question transfrontalière implique la collaboration de nombreux acteurs publics des deux côtés de la frontière et, enfin, que s'y intéresser entraîne très vite la nécessité de respecter un certain formalisme propres aux relations diplomatiques.

Notre mission s'est déroulée en trois temps : premièrement, lecture des rapports déjà existants et auditions de leurs auteurs, deuxièmement, enquêtes sur place dans les régions frontalières, et troisièmement, élaboration des conclusions. Je vais vous présenter brièvement les grandes lignes du rapport.

Je distinguerai deux parties : les constats et les propositions.

Pour ce qui est des constats, nous avons découvert que ces territoires étaient dynamiques, mais en tension, que leur compétitivité était menacée et que la caractéristique majeure est le déséquilibre prononcé des échanges entre la France et l'extérieur : 330 000 frontaliers travaillent à l'extérieur et résident en France contre seulement 10 000 frontaliers qui travaillent en France et résident dans les pays voisins.

Autre constatation : le travail frontalier connaît une croissance rapide puisqu'aujourd'hui 330.000 frontaliers travaillent hors de France contre 158.000 en 1990 ; le nombre des frontaliers a été multiplié par 10 en 40 ans.

Ces territoires traversent des tensions d'ordre démographique, économique, foncier et environnemental et ils sont confrontés à des fractures institutionnelles, juridiques, fiscales et sociales ainsi qu'à une concurrence économique forte des pays voisins. Ils sont donc révélateurs d'une France qui est à la peine dans la concurrence européenne et dans la mondialisation des échanges.

Il ressort de ces constats que les frontières sont une entrave dans les espaces de la vie quotidienne : les préoccupations concrètes d'emploi, de chômage, de santé, de logement, de transport, d'éducation et de services y sont plus sensibles qu'ailleurs et les distorsions relatives aux impôts et à la législation sociale plus criantes. Ainsi, alors que, en France, le contribuable, personne physique ou entreprise, subit de plein fouet le risque fiscal avec une loi fiscale française changeante et aléatoire, il existe en Suisse le « rescrit » qui assure la stabilité des situations fiscales jusqu'à dix ans.

La dynamique transfrontalière a pour conséquence que les agglomérations, les métropoles ou les territoires ruraux frontaliers font face à des surcroîts de charges et à la nécessité urgente d'organiser l'espace transfrontalier et de pallier les déséquilibres territoriaux, financiers et fiscaux engendrés ; ce sont surtout les acteurs publics, et en particulier les collectivités territoriales, qui assument les charges liées aux populations accueillies sans toujours bénéficier des ressources correspondant aux activités économiques.

On remarque pourtant avec satisfaction qu'à la grande diversité des territoires frontaliers répondent l'enthousiasme et l'inventivité des dynamiques locales et nous avons noté avec plaisir que la volonté des acteurs locaux d'oeuvrer ensemble était très forte ; c'est ainsi qu'il existe un grand nombre de coopérations. Toutefois les difficultés d'organisation sont accentuées par un manque de vision stratégique du développement des zones frontalières, même s'il existe des outils de coopération très efficaces comme les GLCT (groupements locaux de coopération transfrontalière), les GECT (groupements européens de coopération transfrontalière) et bientôt les GEC (groupements eurorégionaux de coopération).

On doit reconnaître que la politique de cohésion de l'Union européenne a accru le soutien financier aux territoires transfrontaliers, mais il apparaît maintenant primordial de donner à la politique frontalière une vraie gouvernance qui permettra de porter la prise en charge des enjeux au niveau politique, de renforcer l'organisation et la compétitivité des territoires français, et de coopérer avec les pays voisins.

Je rappelle que, à titre personnel, je considère que ces territoires sont passionnants, riches d'histoire et de culture et dynamiques et pourtant mes convictions européennes ont été ébranlées quand je me suis rendu compte que, au lieu d'aller vers plus de convergence européenne, ces territoires se spécialisaient et se figeaient dans leur spécialisation. Les différences fiscales et juridiques continuent à entraîner des distorsions et figent des situations de fait ; pour prendre l'exemple le plus parlant et le plus simple, le Luxembourg continue à vendre quatre fois plus de carburant que sa consommation nationale, simplement parce que les taxes sur le pétrole y sont moins lourdes. Or, si l'on prend d'autres exemples, on s'aperçoit chaque fois que c'est la France qui en pâtit.

J'en viens maintenant à nos propositions : il s'agit de doter la France d'une boîte à outils pour obtenir plus de compétitivité sur nos frontières. Nous souhaitons expérimenter des pôles de développement économiques frontaliers, zones économiques à statut spécifique qui auraient un fort effet de levier. Ces pôles seraient naturellement situés à côté des grands équipements. Nous préconisons de lutter contre les délocalisations en adaptant les aides publiques, de promouvoir et de valoriser les atouts économiques français aux frontières, de sécuriser les règles fiscales et de reconsidérer les conditions de bi-localisation. Il faut également simplifier les procédures douanières avec la Suisse. Il convient d'envisager enfin de mobiliser localement des outils financiers transfrontaliers avec l'idée d'allier des capitaux d'au moins deux pays (fonds d'amorçage et capital-risque).

Nous formulons d'autres propositions pour répondre aux besoins de service des populations : inciter systématiquement à la mise en place de schémas de services transfrontaliers à l'échelle des bassins de population ; mutualiser une offre transfrontalière dans le domaine de la santé, développer l'apprentissage de la langue du voisin, les activités culturelles, la formation et l'emploi ; faciliter les transports et les communications et désigner, dans chaque région, un correspondant du Médiateur de la République dédié aux questions transfrontalières.

Une série de propositions visent à faciliter l'organisation spatiale des territoires transfrontaliers : développer la consultation réciproque et l'élaboration commune des documents d'aménagement et d'urbanisme (il faut des documents d'urbanisme communs), gérer l'espace en commun, développer des cofinancements transfrontaliers plus équitables ; installer une autorité politique gouvernementale dédiée aux questions transfrontalières auprès du Premier Ministre ; se doter d'un observatoire stratégique des régions transfrontalières ; développer les GECT en rendant plus souple le statut de leur personnel ; oeuvrer à l'avènement d'une collectivité territoriale transfrontalière de droit européen ; structurer la gouvernance des régions métropolitaines et rurales transfrontalières et enfin rendre obligatoire un volet transfrontalier dans les contrats de projet État- Région.

M. Jean Bizet. - Cette présentation met en pleine clarté le différentiel de prospérité qui existe entre nos régions françaises transfrontalières et les pays voisins ainsi que le grand déséquilibre des flux de travailleurs ; la politique Inter-REG a bien cherché à corriger ces disparités, mais le problème est plus profond et on s'interroge sur les mesures législatives et réglementaires qu'il faudrait prendre pour le résoudre.

Mme Annie David. - Je m'inquiète des modifications législatives ou réglementaires, particulièrement dans le domaine du droit du travail ou de la fiscalité, et je ne voudrais pas d'une harmonisation des droits nationaux au profit d'un droit européen qui conduirait, d'une part, à une diminution des avantages acquis des travailleurs et de la protection dont ils jouissent en France, et, d'autre part, à une diminution de la pression fiscale sur les entreprises françaises ; je crains qu'on veuille tout tirer vers le bas au profit d'une financiarisation de l'économie alors qu'il faut pouvoir travailler dans la dignité et empêcher que les banques continuent à s'enrichir. Si beaucoup de Français travaillent à l'étranger, c'est parce qu'ils ne trouvent pas de travail en France et je souhaiterais que, plutôt que de favoriser leur déplacement, on fasse en sorte qu'ils puissent travailler sur place.

M. Pierre Fauchon. - Eh bien, n'empêchez pas la création d'entreprises et posez-vous la question de savoir pourquoi on en crée si peu en France ! Mais revenons à notre sujet qui est passionnant : j'aimerais savoir où les transfrontaliers font leurs achats et quelles conséquences a cette situation, que vous avez admirablement décrite, sur l'habitat.

M. Christian Cointat. - Lorsque je me suis installé au Luxembourg, il y a 40 ans, ce dernier apparaissait comme un gros village et la France était jugée prospère. Aujourd'hui, il y a 100 000 travailleurs frontaliers au Luxembourg, dont 80 000 francophones et 60 000 Français. Et il y a peu de chômage au Luxembourg car ce sont les frontaliers qui font l'équilibre. Les rapports de forces se sont inversés.

Il faut savoir que le Luxembourg fait vivre toute la Lorraine et qu'il fait maintenant la richesse de villes comme Thionville, Metz et même Hayange.

M. Robert Badinter. - Oui, le Luxembourg dispose d'une économie de services de haut niveau, car il a abandonné le modèle industriel classique ; ce qui attire les Français, c'est la différence de salaire.

M. Christian Cointat. - C'est exact : les salaires sont nettement plus élevés au Luxembourg, pour les ouvriers comme pour la maîtrise, et toute la population est aisée et profite de l'opulence ; l'écart entre les plus riches et les plus pauvres est assez étroit et il faut savoir aussi que l'équivalent luxembourgeois du RMI est déjà supérieur au Smic français... Les Luxembourgeois commencent à se loger hors du Luxembourg et, avec les transfrontaliers, ils font monter les prix de l'immobilier à Thionville, ville autrefois sinistrée !

Mme Fabienne Keller. - La même situation s'observe en face de Genève ! C'est une tendance lourde, lente et inéluctable : les Français frontaliers quittent la France pour aller travailler de l'autre côté de la frontière. Dans le Jura, les entreprises partent aussi ! Alors quelles réponses allons-nous apporter à cet état de fait ?

Quand vous perdez votre emploi en Suisse, ce n'est pas grave car vous allez en trouver un autre très vite : l'embauche et le licenciement sont souples ; on constate un cercle économique vertueux et le chômage est dérisoire. Un Français qui a pris un travail en Suisse ne revient jamais travailler en France : tous les salaires sont nettement plus élevés en Suisse et les charges sociales n'en sont pas plus lourdes pour les employeurs. C'est ainsi qu'aujourd'hui le lycée de Morteau par exemple ne forme plus que de futurs travailleurs frontaliers pour la Suisse...

Quant aux commerces, la grande distribution se porte bien et les supermarchés ont été installés judicieusement ; pour les autres commerces, les transfrontaliers se partagent entre les deux pays et ils optimisent.

Que Mme David se rassure, il ne s'agit pas d'harmoniser par le bas ou par le haut et, s'il fallait prendre modèle sur la Suisse, on ne peut que constater que l'ouvrier suisse n'est pas mal traité. Mais ne rien faire aujourd'hui et ne pas tenter l'expérience des zones spéciales, c'est continuer à perdre des emplois et donc des cotisations sociales. Ce sont les recettes des lois de financement social qui disparaissent ! Si nous faisons cette expérience d'adaptation de notre droit, nous verrons très vite qu'elle peut être aussi très bénéfique pour tout le territoire français. Nous avons déjà de beaux résultats à Bâle/Mulhouse puisque 10 000 emplois y ont été créés.

M. Frédéric Basaguren, ambassadeur chargé des problèmes transfrontaliers. - J'ajouterai seulement que ce rapport a obtenu un soutien énergique du Secrétaire d'État qui a saisi la présidence de la République des propositions contenues dans le rapport. L'idée des zones spéciales va faire son chemin même si le service de la Législation fiscale a soulevé de nombreuses difficultés.

Subsidiarité

Examen de projets d'actes législatifs au regard du principe de subsidiarité

M. Jean Bizet. - Je vais évoquer, dans le cadre de cet examen au regard de la subsidiarité, deux textes de nature très différente, mais qui présentent tous deux la même lacune. C'est pourquoi je vais vous les présenter successivement l'un et l'autre avant d'ouvrir le débat.

Le premier texte est le premier programme en matière de politique du spectre radioélectrique (COM (2010) 471 final).

La directive 2009/140/CE du 25 novembre 2009, qui faisait partie du paquet dit Telecom, dispose que « les États membres collaborent entre eux et avec la Commission en ce qui concerne la planification stratégique, la coordination et l'harmonisation de l'utilisation du spectre radioélectrique dans la Communauté européenne » et qu'à cette fin, « la Commission [...] peut présenter au Parlement européen et au Conseil des propositions législatives en vue de l'établissement de programmes pluriannuels en matière de spectre radioélectrique. Ces programmes définissent les orientations et les objectifs de la planification stratégique et de l'harmonisation de l'utilisation du spectre radioélectrique conformément aux dispositions de la présente directive et des directives particulières ».

Tel est l'objet de ce texte transmis à notre assemblée dans le cadre du contrôle de subsidiarité mis en place par le traité de Lisbonne.

Outre l'énumération des principes généraux devant gouverner la gestion du spectre (concurrence, neutralité, efficacité...), ce programme fixe des échéances importantes dans l'utilisation de celui-ci. En particulier, il arrête au 1er janvier 2013 la date à laquelle les États membres devront mettre la bande de 800 MHz à la disposition des services de communications électroniques. En d'autres termes, le « dividende numérique » qui correspond à la portion du spectre radioélectrique rendue disponible par le passage de la télévision analogique à la télévision numérique devra être mis à la disposition des services de communications électroniques. Le principal bénéfice attendu est le déploiement rapide et à un coût relativement faible de l'Internet à haut débit sans fil, y compris dans les régions isolées.

Ce texte ne soulève pas d'interrogations au regard du principe de subsidiarité. L'intervention de l'Union européenne devrait faciliter l'essor de nouvelles applications et éviter des effets de brouillage entre États membres. La proposition incite les États membres à adopter une démarche concertée et commune. En revanche, l'exposé des motifs de la proposition me paraît poser un problème au regard de l'article 5 du protocole n° 2 annexé aux traités. Cet article prévoit en effet que « les projets d'actes législatifs sont motivés au regard des principes de subsidiarité et de proportionnalité. Tout projet d'acte législatif devrait comporter une fiche contenant des éléments circonstanciés permettant d'apprécier le respect des principes de subsidiarité et de proportionnalité. [...] Les raisons permettant de conclure qu'un objectif de l'Union peut être mieux atteint au niveau de celle-ci s'appuient sur des indicateurs qualitatifs et, chaque fois que c'est possible, quantitatifs ».

Or, en l'espèce, la proposition de décision justifie de son respect du principe de subsidiarité par le seul fait que l'Union a déjà légiféré dans ce domaine. Je cite le document : « L'action proposée implique de modifier le cadre réglementaire actuel de l'Union européenne et concerne donc un domaine dans lequel l'Union a déjà exercé sa compétence. La proposition est donc conforme au principe de subsidiarité. »

Cet argument ne paraît pas recevable. Entrer dans une telle logique reviendrait à neutraliser le principe de subsidiarité, tant les domaines dans lesquelles l'Union légifère sont variés. Avoir déjà légiféré ne saurait délivrer un blanc seing à toute future initiative.

Quand on se trouve dans un domaine de compétence partagée entre l'Union et les États membres, dès lors que l'Union a pris des mesures, les États membres ne peuvent plus légiférer dans le champ de ces mesures, mais l'Union n'en acquiert pas pour autant une compétence exclusive, et ses interventions restent soumises au principe de subsidiarité.

Si je crois utile de faire ce rappel, c'est parce que l'obligation pour la Commission européenne de motiver sérieusement ses propositions au regard de la subsidiarité résulte des traités, et qu'il s'agit du point de départ de notre contrôle. Notre première tâche est de contrôler si les arguments de la Commission européenne sont valables : comment l'exercer si elle se dispense de les fournir ?

Pour cette raison, je vous propose d'adopter un « avis motivé ».

*

Le second texte vise à modifier deux règlements européens concernant la distribution de denrées alimentaires aux personnes les plus démunies de l'Union (COM (2010) 486 final).

L'hiver 1986-1987 particulièrement rigoureux avait amené la Communauté à adopter des mesures de distribution gratuite de nourriture aux personnes les plus démunies. Ces mesures ont été pérennisées dans un programme européen d'aide aux plus démunis (PEAD), participant de la politique agricole commune, donc financé par l'Union et actuellement intégré dans le règlement relatif à l'organisation commune de marché unique. La Commission européenne propose de modifier ce programme.

Le fonctionnement du PEAD est le suivant : chaque année, en fonction du nombre estimé de personnes démunies sur son territoire, chaque État membre fait une demande en nature de produits alimentaires à la Commission qui établit une allocation monétaire par État et les quantités de produits auxquelles il a droit ; ces produits (qui vont des aliments de base aux plats préparés) sont prélevés sur les stocks communautaires et, en cas d'indisponibilité, achetés sur le marché ; la distribution est ensuite effectuée par des ONG ou des services sociaux locaux désignés par les États. En France, ce sont principalement les Banques alimentaires, le Secours populaire et les Restos du coeur.

À l'origine, des achats de denrées sur les marchés n'étaient pas prévus. L'aide provenait uniquement des stocks d'intervention, alors importants. Dans les années 90, la raréfaction de certains produits a amené la Commission à introduire le système d'achat sur les marchés pour maintenir le programme. Plus récemment, l'élargissement, qui a augmenté le nombre des personnes démunies, et la diminution du niveau des stocks liée la réorientation de la PAC, ont modifié les équilibres entre les deux ressources : en 2008, les achats sur les marchés représentaient 90 % des denrées alimentaires distribuées.

Selon la Commission, 13 millions de personnes ont bénéficié du PEAD en 2007, dont 2,7 millions de Français. Le coût pour le budget de la PAC est de l'ordre de 500 millions d'euros. Devant ce coût élevé et la quasi-disparition des stocks d'intervention, la Commission a organisé une consultation publique, qui l'a conduite à proposer les aménagements suivants :

- l'autorisation d'achats sur les marchés serait pérennisée;

- la liste des produits distribués serait élargie, le panel étant désormais fondé sur des critères nutritionnels ;

- une programmation pluriannuelle sur 3 ans serait mise en place, avec des budgets indicatifs pour les deuxième et troisième années ;

- un mécanisme de cofinancement du programme par les États membres entrerait en vigueur.

La proposition s'est heurtée à l'opposition de plusieurs pays, dont l'Allemagne et le Royaume-Uni, qui estiment que les stocks d'intervention ayant disparu, il n'y a plus lieu de gérer dans le cadre de la PAC l'aide alimentaire aux plus démunis. Celle-ci doit relever de la politique sociale, et être de la responsabilité de chaque État membre. À l'opposé, le Parlement européen a demandé le maintien du PEAD tout en s'opposant à l'introduction d'un cofinancement par les États membres.

À la suite de ces débats, la Commission a présenté une proposition modifiée - celle dont nous sommes saisis - qui tient compte des préoccupations exprimées par le Parlement européen. Tout en maintenant le principe du cofinancement par les États membres, la proposition le limite en effet à 10 % pour les pays bénéficiant du fonds de cohésion, et à 25 % pour les autres. L'essentiel du financement relèverait donc de l'Union.

Les deux chambres du Parlement britannique nous ont fait part de ce qu'elles jugeaient ce texte contraire au principe de subsidiarité.

Il faut reconnaître que la distribution d'aides alimentaires aux personnes les plus démunies peut difficilement être présentée comme un objectif dépassant les capacités d'action des États membres et pouvant donc être mieux réalisé par l'Union. Néanmoins, en l'occurrence, une considération d'opportunité doit à mon avis intervenir. Un programme de ce type contribue à corriger l'image de l'Europe, souvent critiquée pour une action insuffisante sur le plan social. Il contribue également à redresser l'image de la politique agricole commune. Enfin, la France a su tirer parti de ce programme au profit d'associations caritatives nationales qui ont fait la preuve de leur efficacité. Dans ces conditions, il ne me paraît pas opportun de soulever la question de la subsidiarité.

En revanche, ce texte pose un problème de principe. Ni cette proposition modifiée, ni la proposition initiale ne comportent de motivation au regard du principe de subsidiarité. Or, il s'agit là d'une obligation pour la Commission européenne depuis l'entrée en vigueur du traité de Lisbonne.

Il paraît indispensable d'insister sur le respect de cette exigence : en effet, la motivation donnée par la Commission européenne est le point de départ de notre contrôle de subsidiarité ; notre première tâche est de vérifier si les arguments avancés par la Commission européenne sont valables.

Pour cette raison, je vous propose également d'adopter un avis motivé.

M. Robert Badinter. - Je suis tout à fait favorable à l'envoi de ces avis motivés. Il est indispensable que la Commission motive ses textes au regard de la subsidiarité. Sinon, les pouvoirs qui ont été confiés aux parlements nationaux par le traité de Lisbonne seront réduits à néant.

M. Jean-François Humbert. - Je partage également cet avis.

Mme Annie David. - Je comprends parfaitement que nous souhaitions alerter la Commission européenne de ce défaut de motivation. Pour autant, pour le second texte, je me demande s'il n'existe pas un risque en adressant un avis motivé à la Commission : le texte pourrait être remis en cause si le seuil des parlements nationaux était atteint. Or, sur le fond, je trouve que cette initiative est tout à fait bienvenue. Il serait regrettable que les citoyens européens en soient privés.

M. Jean Bizet. - Notre avis motivé mentionne clairement que notre intervention ne porte que sur le défaut de motivation.

La commission a alors adopté les deux avis motivés ci-dessous :


AVIS MOTIVÉ SUR LA PROPOSITION DE DÉCISION DU PARLEMENT EUROPÉEN
ET DU CONSEIL ÉTABLISSANT LE PREMIER PROGRAMME EN MATIÈRE DE
POLITIQUE DU SPECTRE RADIOÉLECTRIQUE
COM (2010) 471 FINAL

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Le Sénat :

- constate l'absence de motivation de cette proposition au regard du principe de subsidiarité, le fait que l'Union a déjà légiféré dans un domaine ne pouvant constituer un blanc seing pour toute initiative ultérieure ;

- estime, en conséquence, que ce texte n'est pas conforme à l'article 5 du protocole n° 2 annexé au traité sur l'Union européenne et au traité sur le fonctionnement de l'Union européenne.


AVIS MOTIVÉ SUR LA PROPOSITION MODIFIÉE DE RÈGLEMENT DU PARLEMENT EUROPÉEN ET DU CONSEIL MODIFIANT LES RÈGLEMENTS (CE) N° 1290/2005 ET
(CE) 1234/2007 DU CONSEIL EN CE QUI CONCERNE LA DISTRIBUTION DE DENRÉES ALIMENTAIRES AUX PERSONNES LES PLUS DÉMUNIES DE L'UNION
COM (2010) 486 FINAL

*

Le Sénat :

- constate l'absence complète de motivation de ce texte au regard du principe de subsidiarité, tant dans la proposition modifiée que dans la proposition initiale ;

- estime, en conséquence, que ce texte ne respecte pas l'article 5 du protocole n°2 annexé au traité sur l'Union européenne et au traité sur le fonctionnement de l'Union européenne.