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Mercredi 15 juin 2011

Politique étrangère et de défense

Audition de M. Hubert Védrine, ancien ministre des affaires étrangères, accompagné de M. Antoine Sfeir, directeur des Cahiers de l'Orient, et de M. Christian Makarian, consultant pour les questions internationales d'I-Télé
(en commun avec la commission des affaires étrangères,
de la défense et des forces armées)

M. Josselin de Rohan, président de la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées. - Je suis heureux d'accueillir aujourd'hui Messieurs Hubert Védrine, ancien ministre des affaires étrangères, Antoine Sfeir, directeur des Cahiers d'Orient et Christian Makarian, consultant pour les questions internationales auprès de I-Télé. Je les remercie d'avoir bien voulu accepter notre invitation et de venir nous faire part de leurs analyses sur l'évolution des relations entre l'Europe et la rive Sud de la Méditerranée au moment où, sous l'effet des révolutions récentes que nous appelons par métaphore le « Printemps arabe », se propagent des idées démocratiques dont nous ne savons pas encore si elles parviendront à prendre pied solidement.

M. Hubert Védrine. - Merci, Messieurs les Présidents, de nous avoir invités à nous exprimer devant vous : je tiens tout de suite à vous préciser que nous ne nous sommes pas concertés et que nous exprimerons chacun une analyse personnelle et donc parfois divergente de celle des deux autres.

Vous parlez des relations de l'Europe avec le monde méditerranéen, mais de quelle Europe s'agit-il ? Du continent, de l'Union européenne, de l'Occident, de certains États importants? Quelle que soit l'Europe dont nous parlons cependant, une chose est certaine : les relations entre « l'Europe » et la rive Sud de la Méditerranée ont été empreintes de paternalisme et de maladresse pour ne pas remonter aux tensions antérieures. L'idée du Président Sarkozy de créer une Union de la Méditerranée est née de ce sentiment patent de mécontentement des pays du Sud face au paternalisme de l'Occident, un mécontentement visible : souvenez-vous qu'en 2005, pour les dix ans du processus de Barcelone, les pays du Sud ne se sont pas déplacés, sauf l'Autorité palestinienne qui ne peut pas se permettre de ne pas venir. Il fallait donc faire quelque chose. L'Union méditerranéenne est une perspective intéressante, mais une Union « pour » la Méditerranée s'inscrit à nouveau dans les bonnes intentions et le paternalisme d'avant. L'Union « de » la Méditerranée était un progrès mais n'était pas acceptable pour l'Allemagne et pour Bruxelles. Quant au choix de Ben Ali et de Moubarak, même s'il peut être critiqué aujourd'hui, à cette époque, ils étaient considérés par tout le monde comme des partenaires importants et incontournables. Nous sommes toujours à la recherche d'une grande politique, mais « l'union » a quelque chose de prématuré, car il n'y a jamais eu d'âge d'or pour les relations entre l'Europe et les pays de la rive Sud de la Méditerranée et, en pratique presque rien n'est possible tant que le conflit israélo-palestinien empoissonne tout et que les relations demeurent ce qu'elles sont entre le Maroc et l'Algérie, et entre la Turquie et Chypre.

En outre, c'est impossible pour les Européens d'avoir une politique globale pour un ensemble aussi vaste, qu'il soit arabe ou autre. D'autant qu'en face, il n'y a pas de demande globale de la part des pays arabes, et pas d'interlocuteur arabe unique. Nous avons à faire à des situations éclatées. Alors devant ce « Printemps arabe », même si tous seront touchés, il faut s'armer de patience, car le processus sera long. Bien qu'aujourd'hui toutes les dictatures soient sous pression, elles sont prévenues et sur leur garde et elles cherchent à se protéger. Quoiqu'il en soit, dans cinq à six ans, tous les régimes auront changé par la force ou se seront transformés ; de toute manière, la démocratisation est un processus long et difficile : la démocratie ne s'installe pas en une révolution, nous en savons quelque chose.

Si nous examinons maintenant le tableau dans son ensemble, nous voyons une situation très contrastée. Chaque pays va appeler des réponses et des réactions différentes de la part de l'Occident. Malheureusement, l'Europe de Bruxelles ne sait parler que d'aide matérielle et financière et tout se termine toujours par une distribution d'argent. Comme disait Woody Allen, « pour un homme qui n'a qu'un marteau, tout problème est un clou ». Pourtant la mise en place de la démocratie demande autre chose : de la bonne volonté, du concret, une aide à l'apprentissage des pratiques démocratiques, la création et l'organisation de partis... au total, une stratégie. En plus, c'est beaucoup trop tôt pour dire qu'on a apporté la preuve qu'on pouvait sortir des dictatures sans tomber dans l'islamisme.

Pour la Tunisie, nous sommes optimistes, mais nous ne savons pas encore comment les événements vont tourner. Nous devons garder en mémoire que le scénario islamiste n'est pas le plus probable, mais qu'il existe quand même. Permettez-moi de juger qu'il est injuste d'accuser l'Occident d'avoir fait durer les dictatures. Et il faut rappeler que ce n'est pas l'Occident qui les a installées : nous avons pris la situation telle qu'elle se trouvait de façon empirique. Au Maroc, on peut penser que le discours du Roi du 9 mars dernier est un signe très prometteur et qu'un changement en douceur est possible.

Toutefois, il n'y pas de réponse globale possible : nous ne savons pas ce que ces pays vont nous demander, une fois sortis de la phase révolutionnaire, et peut-être ne nous demanderont-ils rien. En attendant, il appartient à l'Europe d'élaborer une stratégie générale de préférence cohérente avec celle des États-Unis, qui se déclinera avec tact et sur mesure, au jour le jour et pays par pays. Les États-Unis ont tendance à considérer que la Tunisie n'est pas un gros enjeu. Ils sont plus concernés par l'Égypte et véritablement inquiets pour l'Arabie saoudite qui est l'enjeu par excellence pour eux. Même le Yémen leur semble moins vital, sauf naturellement s'il s'orientait vers une « somalisation ». Dans l'affaire libyenne, nous sommes parvenus au vote de la résolution grâce à une conjonction très particulière : la détermination de la France et de la Grande-Bretagne, l'appui mais un peu en retrait des États-Unis, l'appel de la Ligue arabe - déterminant -a permis d'éviter le veto russe et le veto chinois ; dans cette affaire, j'appuie la position prise par le Président Sarkozy et le ministre des affaires étrangères Alain Juppé et je l'assume jusqu'à maintenant.

En conclusion, je considère que la stratégie européenne devra s'adapter à chaque cas particulier, au rythme des événements, en s'assurant toujours l'accord stratégique des grands pays européens et, le plus possible, en concertation avec les États-Unis. Un long agenda nous attend et c'est en ce sens que l'UpM est arrivée un peu trop tôt et est en porte à faux.

M. Antoine Sfeir. - Les pays de la rive Sud de la Méditerranée ne voient dans l'Europe qu'un guichet de subventions. C'est tout ce qu'ils attendent de l'Occident et, en même temps, mes voyages me montrent chaque fois qu'il n'y a jamais eu une aussi grande « demande » de France. D'où vient ce paradoxe ? Du fait que la France longtemps fut celle qui pouvait parler avec tout le monde. Ce rôle est très amoindri aujourd'hui et avec l'atomisation rampante de cette partie du monde, ce ne sera bientôt plus vrai du tout.

Alors, oui, j'entends parler du « Printemps arabe », mais j'ai les plus grands doutes sur sa réalité. A mes yeux, la seule chose qui soit nouvelle et révolutionnaire en Égypte et en Tunisie, c'est que pour la première fois, l'alibi israélien n'a pas joué et je me réjouis de constater que cette jeunesse qui réclame le changement nous ait offert, en rejetant l'alibi israélien, le signe tangible qu'elle avait enfin compris et enfin coupé le cordon ombilical qui la ligotait à la génération précédente. Et puis il y a autre chose : malgré la menace salafiste, la jeunesse révolutionnaire n'a pas articulé son action autour de l'Islam. Souvenez-vous que Place Tarhir, quand les Frères musulmans sont venus organiser la prière du vendredi, ce que personne ne demandait, le lendemain les jeunes ont fait organiser un culte protestant et un office copte. Ce sont de simples symboles mais des symboles qui comptent.

Alors qu'y a-t-il de changé ? C'est plus un changement de régime qu'une révolution puisque, en Égypte, l'armée est toujours là, même si elle s'applique à faire savoir qu'elle gère mais ne gouverne pas. L'armée reste cependant l'ossature du régime.

Quant à l'UpM, elle est apparue au sud comme un plat de ratatouille cuisiné par l'Occident. « Mangez, car nous pensons que c'est bon pour vous ! ». Autant dire que c'était mal parti malgré l'excellence des intentions. Je le répète et je le regrette : l'Europe ne sait pratiquer que la diplomatie du chéquier.

Si je m'attache maintenant à la situation de chaque pays, je vois d'abord que le Yémen est beaucoup plus stratégique qu'on ne croit et que les États-Unis envisagent d'y envoyer des soldats, car c'est à une encablure de là, dans le Golfe persique que passent 65 % de notre approvisionnement énergétique. Or que se passe-t-il ? Déjà à Djibouti, les soldats américains sont plus nombreux que les soldats français. Le problème tribal est tel que le pays menace d'éclater. C'est une lutte entre musulmans. La guerre civile fait rage. On en parle peu.

En Libye, nous étions partis pour protéger Benghazi et sa population civile et nous voilà en train de bombarder Tripoli et sa population civile. Nous nous sommes invités dans la guerre civile, dans un pays qui n'est qu'un assemblage de tribus et à ce jour, seules deux tribus ont lâché Kadhafi. Ce sera long et rien ne dit qu'on avance vers la démocratie.

Au Bahreïn, tout est fini pour l'instant et nous n'avons pas bougé lorsque la rébellion a été écrasée par l'Arabie saoudite parce que nous avons une alliance étroite avec ce pays qui est pourtant celui qui a la lecture la plus rigoriste du coran.

La Syrie, j'en reviens. J'ai été à Homs et j'ai entendu les slogans : « les Chrétiens à Beyrouth et les Alaouites dans le cercueil ». Je ne sais plus quoi en penser. Il est évident que la chute du régime est souhaitable intellectuellement, mais le résultat pratique sera l'atomisation et la communautarisation de la Syrie, exactement comme on la voit se développer en Irak et au Liban. Pour le Liban, les commentateurs s'arrêtent à Beyrouth et louent la diversité, mais, à Beyrouth, on fait des affaires et au nom des affaires, Chrétiens, Chiites, Sunnites et Druzes sont toujours prêts à s'embrasser sur la bouche et à vivre un peu ensemble, mais, dans la montagne où est le vrai Liban, les territoires ont été divisés entre les communautés, sauf que les Chiites n'ont pas de territoire. 40 % de la population du Liban sud n'est pas chiite, 65 % dans la plaine de la Bekaa...et si demain il y a partition du pays, on ne sait pas où iront les Chiites.

Dans le même temps, il y a une diabolisation de l'Iran, où pourtant il y a un éclatement du pouvoir entre le Président mal élu et le Guide, et entre le guide et les religieux. Cette situation va déboucher sur une dictature des Pasdarans qui contrôlent déjà 40 % de l'économie. Les Iraniens sont des Perses entourés de Pachtounes, de Baloutches, de Sunnites, et d'Arabes. Les Chiites ne représentent que 9 % du monde musulman. Ils ont peur. Dans le même temps, ils se sont arrangés pour exporter leur chiisme au Liban sud et en Syrie. Ils n'ont pu le faire que parce que le verrou de l'Irak a sauté du fait de l'intervention américaine.

Quant à l'Irak, il reste un pays essentiel et les États-Unis sont obligés d'organiser la région tant elle est stratégique ; pour moi, il est clair que les Américains veulent redessiner le Moyen-Orient et ils sont les seuls à pouvoir le faire. Je vous renvoie à la carte de Peters.

Depuis quand voit-on les Kabyles réclamer leur autonomie et les Chagrans au Maroc demander la reconnaissance de leur identité linguistique ?

J'en viens maintenant à la Turquie qui affiche l'amorce d'un renversement d'alliance et semble s'écarter de son allié occidental et être en rupture avec Israël. Or qu'en est-il vraiment ? L'épisode de la flottille en marche vers Gaza nous a été présenté comme le point de non-retour et pourtant, aux dernières nouvelles, les relations entre la Turquie et Israël ne semblent pas en avoir été trop affectées. Deux cent entreprises israéliennes travaillent en Iran. Cent vingt huit entreprises américaines travaillent à Djebel Ali, dans les Émirats et commercent avec l'Iran. L'alliance à trois, Turquie, Israël et États-Unis, se maintient et l'Iran pourrait, à terme, rejoindre ce clan.

A propos d'Israël, je suis effrayé par l'attitude du gouvernement israélien. Où sont les grands hommes d'État israéliens encore capable d'avoir une vision ? L'attitude de Netanyahou est affligeante et, au lieu de déplorer la jonction du Hamas et de l'Autorité palestinienne, il ferait bien mieux de prendre les devants. Nous attendons encore une vraie politique israélienne à un moment où 70% de la population souhaitent la création d'un État palestinien.

Ce que je vois se développer dans cette région que je connais un peu, c'est l'atomisation sur des bases religieuses et ethniques. C'est la fin des accords Sykes-Picot, la mort des États nations et le retour à l'Empire ottoman, c'est-à-dire à une juxtaposition de communautés.

M. Christian Makarian. - Je vais essayer de regarder la situation du point de vue arabe et du point de vue du reste du monde, mais, auparavant, permettez-moi trois remarques préliminaires.

Premièrement, faisons bien attention à la manière dont nous parlons de ces événements : j'entends dire « désordre », « difficultés », « anxiété ».... Nous allons bientôt faire accroire que c'étaient les dictatures qui étaient la normalité et que le « Printemps arabe » apporte le désordre ; en réalité, ces dictatures étaient caractérisées par le désordre, la difficulté et l'anxiété et il aurait fallu s'en inquiéter hier, aujourd'hui, il est trop tard... Aujourd'hui, il faut se réjouir de ce sursaut qui est d'abord une aventure humaine, et c'est ma deuxième remarque. N'oublions pas qu'il s'agit au départ du suicide par le feu de Mohamed Bouazizi, un jeune homme en Tunisie. Or le suicide, dans l'Islam, est impensable : rien n'est plus grave et rien n'est plus immédiatement universel que le suicide de quelqu'un convaincu qu'il n'a plus de raison de vivre et qu'il n'a plus rien à perdre. N'oublions pas non plus que ces révolutions se font au péril de vies humaines ; il s'agit de sacrifice et voyez encore cet enfant syrien torturé et achevé par l'armée parce qu'il avait prononcé un slogan hostile au régime. Nous parlons de vies humaines. Enfin, ma troisième remarque est une citation du Président Sarkozy : « Personne n'a rien vu venir ». Je reprends à mon compte cet appel à la modestie et il nous faut tous reconnaître que nous n'avons pas l'habitude d'entendre le monde arabe prendre la parole et que nous avons été surpris de les entendre parler de liberté et de lancer un mouvement qui exprime une aspiration universelle.

Ainsi avec ces révolutions, le monde arabe a exprimé son désir d'entrer dans l'ère de la mondialisation. Or que voyons-nous quand nous observons le monde arabe aujourd'hui ? Nous voyons qu'il est le premier importateur de blé et aussi le premier importateur d'armes. Il s'agit donc d'une région où les régimes n'arrivent pas à nourrir leur population et où, pourtant, ils achètent des armes. C'est donc une région du monde qui ne va pas bien et où le peuple a objectivement des raisons de se révolter. Nous avons pris l'habitude de tout voir sous l'angle politique mais là il s'agit surtout d'un mouvement socio-économique. Il y a une souffrance économique et, au contraire, si le pays est riche et bien géré, rien ne bouge : c'est le cas du Qatar.

Je tiens à souligner aussi que ces révolutions sont d'abord arabes et pas musulmanes : le monde arabe avait besoin de reprendre la voix qu'il a perdue en 1973. Ces révolutions nous font aussi découvrir que l'islamisme n'est pas pour l'instant le grand vainqueur et que les dictatures, pour se justifier, nous avaient enfermés à tort dans l'idée qu'elles étaient un rempart contre l'islamisme. Alors, naturellement, la question qui se pose est : « les islamistes vont-ils prendre le pouvoir ? » et je réponds par l'affirmative et j'ajoute même qu'ils seront partout, fût-ce en position minoritaire. Mais pourtant la vraie question qu'il faut se poser est plutôt : « l'islamisme va-t-il évoluer ? » ; il semble qu'il pourrait s'inspirer du modèle turc.

Maintenant si l'on regarde la situation du point de vue du reste du monde, il faut se rappeler du jugement porté par Napoléon : « Il n'y que deux nations au monde : l'Orient et l'Occident et il n'y a que deux peuples, les Orientaux et les Occidentaux ». C'est brutal et simpliste, mais on comprend que c'est vrai quand on observe la réaction de la Chine et celle de la Russie devant les soulèvements des minorités musulmanes qu'elles essuient (Ouzbeks, Kazakhs, Ouighours).

Si je prends maintenant le cas de la Turquie, force est de constater que le dialogue avec l'Europe est très difficile, en partie de leur propre incapacité à avancer dans le mouvement européen, en partie du fait de l'hostilité du Président Sarkozy et de celle d'Angela Merkel. Devant ces déconvenues, la Turquie s'est reportée vers l'Orient, mais la réalité est que la Turquie repose sur un triangle dont les trois côtés sont : le rêve asiatique, le rêve européen et le rêve oriental qui est celui qui l'emporte aujourd'hui dans l'esprit d'Erdogan et de celui de son ministre des affaires étrangères Davutoglu.

L'Iran est le grand silencieux du « Printemps arabe ». En Libye, notre action est cohérente puisque nous réaffirmons un principe de l'ONU qui est la « responsabilité de protéger ». Ce qu'il faut absolument éviter, ce sont des positions discordantes chez les Européens. Quant à l'aide que nous pouvons leur apporter, elle est naturellement multiforme et il nous faut construire un programme ambitieux d'accompagnement de la démocratisation et, dès à présent, manifester notre soutien à ces mouvements qui tendent vers la liberté.

En conclusion, je dirai que notre tort est de croire que ces événements ne nous concernent pas sauf lorsque leurs conséquences débordent sur Lampedusa ; ces révolutions nous impliquent totalement et concrètement et nous allons être aspirés dans ce tourbillon. La position des Allemands est assez difficile à suivre. Alors qu'on pourrait trouver un point commun européen sur une aide démocratique. C'est vrai que nous prendrions le risque d'être une sorte d'organisation humanitaire. Mais c'est notre spécialité et nous n'avons pas à en avoir honte. Nous devons soutenir ces mouvements et pas à en avoir peur. Le prix que nous avons payé jusqu'à présent - le soutien aux dictateurs - est trop élevé.

M. Josselin de Rohan. - Merci Messieurs pour la clarté et la franchise de vos analyses. Je vais maintenant donner la parole à ceux de mes collègues qui souhaitent vous interroger.

M. Pierre Bernard-Reymond. - Les exposés ont bien montré la complexité de la situation. J'ai deux questions : d'abord, quelles ont été les conséquences de la crise financière internationale sur les événements arabes ? Je pense en particulier à l'augmentation des prix des matières premières agricoles et à la baisse de la production. Ensuite, comment voyez-vous l'Union européenne dans vingt ou trente ans : quels seront son périmètre, son degré d'intégration, son potentiel économique ? Face à la montée du populisme et à une vision confédérale ou plutôt intergouvernementale de la construction européenne, quelle sera la capacité de l'Europe à exister ?

M. Didier Boulaud. - M. Christian Makarian a justifié, dans son exposé -à juste titre, à mon sens- l'intervention en Libye. Mais comment peut-on justifier aujourd'hui auprès de notre opinion publique qu'on n'intervienne pas en Syrie ?

M. Jean-Pierre Chevènement. - Vous avez mis en lumière le concept de « la responsabilité de protéger », notion admise par l'ONU en 2005 et qui s'est substituée au droit d'ingérence. En Libye, nous sommes déjà au-delà. 470 000 réfugiés ont afflué en Tunisie, fuyant les bombardements et créant une situation aussi difficile à vivre qu'à discerner. Cet exode massif pèse d'un poids lourd sur la Tunisie : proportionnellement à sa population, c'est comme si la France accueillait 3 millions de réfugiés. Alors que, dans le même temps, nous faisons tout pour renvoyer vers leur pays d'origine les réfugiés de Lampedusa. M. Antoine Sfeir a mis en valeur la montée du communautarisme dans le monde arabe et l'explosion des États nations construits au lendemain de la guerre. Pourtant, la France, avec l'Angleterre, en vertu du principe de libre détermination des peuples, avaient créé la plupart de ces nations, certes problématiques, mais des nations tout de même. Il existe un patriotisme tunisien, égyptien ou libyen. Les rebelles ont d'ailleurs brandi leurs drapeaux nationaux. La question est donc de savoir comment l'intervention en Libye reste compatible avec le respect des frontières artificielles de cet État qui regroupe, en fait, des tribus qui n'ont rien à voir entre elles. La résolution 1973 s'est appuyée sur la responsabilité de protéger. Pourtant, aujourd'hui, c'est bien le départ de Khadafi qui est exigé, au prix d'une contorsion intellectuelle liant son départ à l'application de cette fameuse responsabilité de protéger. Nous sommes donc suspendus à la volonté de ce « joueur d'échecs ». Des interrogations majeures persistent et le Parlement sera bientôt appelé à se prononcer. Que faire ?

Mme Monique Cerisier-ben Guiga. - J'ai une certaine connaissance de la situation en Tunisie et en Égypte  et je confirme ce qu'a dit Hubert Védrine : il n'y a pas eu de révolutions, mais des changements de régime. Il y a néanmoins un changement : le conflit israélo-palestinien ne peut plus servir d'alibi aux gouvernants de ces pays et nous voyons d'ailleurs la situation évoluer rapidement, en Égypte notamment. Quelles sont à votre avis les chances d'adoption par la prochaine assemblée générale des Nations unies de la résolution tendant à la reconnaissance d'un État palestinien ? Signe des évolutions en cours, le groupe socialiste du Sénat a récemment voté, par 73 voix sur 115, en faveur d'un projet de résolution tendant à la reconnaissance de l'État palestinien par la France. C'est dire que les esprits évoluent. La contre-attaque s'organise autour de trois arguments traditionnels : la reconnaissance ne changera rien au quotidien des Palestiniens ; elle est même susceptible de l'aggraver compte tenu des mesures de rétorsion qu'Israël est susceptible de prendre -comme si on pouvait considérer que ces mesures de rétorsion étaient légitimes et naturelles !- ; enfin le sentiment de déception des Palestiniens est susceptible de déclencher une troisième Intifada. Qu'en pensez-vous ?

M. Michel Boutant. - Jusque là on percevait Israël comme un modèle de démocratie dans la région, tandis que ses voisins paraissaient frappés de la fatalité de l'autoritarisme. Dans le contexte actuel, particulièrement mouvementé, la démocratisation des sociétés arabes, si elle se confirme, ne va-t-elle faire évoluer les relations entre Israël et ses voisins, en particulier la Syrie, la Jordanie et l'Égypte ?

M. Hubert Védrine. - Il y a un certain lien entre les conséquences de la crise financière et ce qui se passe dans le monde arabe. Mais ce lien n'explique pas l'essentiel. C'est bien pourquoi toutes les dictatures de la planète sont inquiètes et tous les dirigeants autoritaires sont sur leurs gardes, en particulier en Asie.

Sur la différence entre le traitement réservé par l'Occident à la Libye et celui réservé à la Syrie, il y a une différence énorme entre les deux situations : il n'y a pas eu de déclaration de la Ligue arabe demandant que soit établie une no-fly zone au-dessus de la Syrie. Et sans l'appel de la Ligue arabe, il n'y aurait pas eu de résolution 1973 car la Russie et la Chine, qui toutes deux détestent au plus haut point les ingérences de ce type, l'auraient bloquée.

Concernant le principe de la responsabilité des peuples - la RDP - que je connais bien pour avoir favorisé sa genèse, la réalité c'est que Kofi Annan en 2005 voulait qu'on dépasse une bonne fois pour toutes le concept de droit voire de devoir d'ingérence qui n'a jamais réussi à convaincre qu'une partie de l'opinion publique occidentale, en particulier française car personne n'avait été capable de dire qui a le droit de s'ingérer chez qui et pour faire quoi. La RDP ce n'est pas « s'ingérer », c'est une décision légale internationale pour faire en sorte qu'il n'y ait plus de nouveaux Srebrenica !

A la différence d'Antoine Sfeir, je pense qu'aucune puissance n'a de contrôle général de tout ce qui se passe. Redisons que les États-Unis n'ont pas mis en place ces régimes arabes (alors qu'ils l'avaient fait pour le Shah d'Iran). Ils ne les ont pas renversés. Et pour gérer la suite, ils ont les mêmes problèmes que nous. Il y a bien des plans aux États-Unis, faits par certains. Mais ils n'ont jamais marché parce qu'ils n'ont aucune chance de marcher. Les évènements résultent d'une myriade d'événements aléatoires, ou incohérents, un jeune homme qui se suicide, un dirigeant malade, facebook et des événements militaires qui sont les plus forts.

Il est probable que l'islamisme politique monte partout. Les islamistes ne peuvent pas refaire le coup de 1979 en Iran parce que tout le monde est sur ses gardes. Mais les partis islamistes vont monter à 15 %, 20 %, 25 %, d'autant que les forces politiques démocrates ou classiques vont se disperser entre cinquante partis politiques et que chaque ancien ministre va créer le sien. Les partis islamistes vont donc vraisemblablement occuper la première place dans les nouvelles démocraties arabes mais pas forcément la place dominante. Je pense par ailleurs qu'en Égypte on va assister à une résurgence d'un nationalisme arabe, non pas « pan-arabe », mais centré sur l'Egypte et qui cessera d'être complaisant vis-à-vis d'Israël. Je pense que le futur gouvernement égyptien cessera d'être un partenaire accommodant pour un pseudo-processus de paix qui en réalité n'existe plus depuis la mort d'Itzhak Rabin. Le gouvernement de Benyamin Netanyahou est un gouvernement de droite dure nationaliste avec des partenaires de coalition, qui en Europe serait qualifié d'extrême droite. La représentation proportionnelle intégrale aggrave ce phénomène. Il fait ce pourquoi il a été formé : bloquer tout processus de paix, tout compromis. Ce gouvernement est du reste embêté de risquer d'être privé de l'argument : « Israël seule démocratie du Moyen-Orient ». Il ne souhaite pas ce changement !

Une grande partie de l'avenir de la région se joue dans le dialogue entre les Israéliens - sur la question palestinienne, ce gouvernement est en décalage avec la société israélienne. 72 % des Israéliens sont en faveur de la solution des deux États. Il y a en Israël des gens d'un courage formidable, des organisations humanitaires qui font un travail exemplaire, une presse libre. Très peu de journaux français oseraient écrire ce qu'écrit Haaretz.

Ceci étant, il faut 128 voix aux Palestiniens pour obtenir la reconnaissance de l'État palestinien par l'AG de l'ONU. Ils en ont pour le moment 116. Obama déteste certainement Benyamin Netanyahu qui bloque tout et trouve absurde qu'on enchaîne le sort de l'Occident à celui de la droite nationaliste israélienne. Mais il est bloqué.

L'Europe, à mon sens, ne peut pas ne pas voter cette reconnaissance. Inhibée par son propre passé, l'Allemagne risque de se retrouver isolée avec les Pays-Bas. Il faut les convaincre que cet isolement est évitable. Reste l'Italie. Il y a un travail diplomatique à faire pour la France. L'échec de ce vote serait un grand succès de Netanyahu et il a beaucoup plus de chances de déclencher des gestes désespérés des Palestiniens que le contraire. Il y a un problème : le Hamas. Avant, les Israéliens disaient qu'ils ne pouvaient pas faire la paix car leurs interlocuteurs étaient divisés. Maintenant ils disent que l'unité est pire et que Abbas doit choisir entre la paix avec eux et la paix avec le Hamas. Ce sont des arguments cyniques. Ehud Olmert à la fin de son mandat avait reconnu qu'il fallait sortir de cela (des prétextes sans cesse pour tout retarder) et avoir une vision de long terme susceptible de mieux préserver Israël. Même Ehud Barak a dit « on a eu tort de jouer le Hamas contre l'OLP ». Je pense que c'est le boycott qui consolide le Hamas et que c'est le processus qui l'obligera à évoluer.

L'Union européenne dans vingt ou trente ans ? Il se peut bien qu'elle ne soit pas très différente de celle de maintenant. Il n'y aura probablement pas d'autre étape institutionnelle générale après Lisbonne. Néanmoins, l'harmonisation va progresser dans la zone euro. La question sera de savoir qui décide quoi. Est-ce Angela Merkel seule ? Est-ce la Banque centrale européenne ? Est-ce la Commission qui, soit dit en passant, a l'air tentée par un petit « putsch » ? L'avenir de l'Europe, ça se passe plus encore dans la tête des Européens (Europe puissance ou non ?) que dans les institutions. C'est une question mentale : les Européens veulent-ils une Europe puissance (ce qui ne signifie pas « abandon » de souveraineté) ou une grande Suisse ?

M. Antoine Sfeir. - Je voudrais simplement préciser que je n'ai pas parlé de chef d'orchestre, mais d'une puissance américaine qui a une vision stratégique de ses intérêts et qui est capable de façon très pragmatique de tirer avantage à son profit des évènements quels qu'ils soient. Pour ce qui est de l'Europe, pardonnez au Français d'adoption que je suis -je ne suis pas un Français de hasard- de vous le dire : tant qu'il n'y aura pas de personnage charismatique susceptible de parler au nom de l'Europe, il n'y aura pas d'Europe. Les idées ont besoin de prendre chair, et ce n'est pas Mme Ashton, quelles que soient ses qualités, qui peut parler au nom de l'Europe.

M. Jean Bizet. - Il me reste à vous remercier de votre présence. Je retiens de notre matinée que les révolutions arabes nous concernent et que nous ne pouvons pas rester dans la position de simples spectateurs. L'islamisme va prendre une grande dimension, mais va-t-il se transformer ? Tout cela va nous conduire probablement à repenser l'Union pour la Méditerranée. Quant au traité de Lisbonne, j'ai bien retenu qu'il s'agissait probablement du dernier grand traité européen et que nous avons tous les outils nécessaires dans la boîte à outils pour construire l'Europe. A nous de nous en servir.

Institutions européennes

Audition de Mme Marie Chatardovà, ambassadrice de la République tchèque en France

M. Pierre Bernard-Reymond. - La construction européenne traverse une phase difficile. La crise de la dette grecque suscite beaucoup d'inquiétudes au sein de la zone euro. La question de l'avenir de l'énergie nucléaire suscite des clivages entre les États membres, puisque tout le monde ne tire pas les mêmes enseignements de l'accident de Fukushima. Parallèlement, nous voyons venir à l'horizon les négociations sur le futur cadre financier de l'Union. Toutes ces questions sont très importantes pour l'avenir de notre union, comme l'est aussi l'avenir de la PAC, qui va certainement trouver des évolutions importantes lors des négociations financières. Par ailleurs, sur un plan peut-être plus politique et sociologique, nous voyons monter, en France comme ailleurs, une tendance aux populismes. Nous voyons également triompher la méthode intergouvernementale, un certain abaissement du rôle de la Commission. Tous ces sujets sont fondamentaux, et je suis heureux que nous puissions recueillir votre avis sur l'ensemble de ces questions.

Mme Marie Chatardovà. - Merci, Monsieur le Président, de m'avoir invitée ici, afin de m'exprimer devant votre commission. Votre invitation s'inscrit dans une période d'intensification des relations bilatérales entre la France et la République tchèque, à tous les niveaux, ce qui se projette aussi dans nos coopérations au sein des instances européennes sur lesquelles je reviendrai dans un instant.

Depuis mon arrivée en France, je rappelle toujours que mon pays était avant la Seconde Guerre mondiale un des dix pays les plus développés au monde. Peu de gens s'en souviennent mais la mémoire de cette situation donne à notre appartenance actuelle à l'Union européenne une dimension symbolique forte : celle du retour dans un ensemble géopolitique qui est naturellement le nôtre et dont les aléas de l'histoire nous avaient privé.

Au sein de l'Union européenne, la République tchèque apporte une touche de pragmatisme qui est la marque de fabrique de mes compatriotes. Au fil des dossiers, nous recherchons des alliés et nous essayons comme chaque État membre de faire valoir nos opinions. La méthode de travail qui s'impose alors à nous est d'être des partenaires fiables et crédibles, en qui l'on peut faire confiance et pour cette raison, notre rencontre aujourd'hui revêt une grande importance.

Une autre spécificité de la République tchèque découle de son économie, tournée à 80 % vers l'exportation dans les pays membres de l'UE. Cette ouverture façonne naturellement nos politiques européennes et nous sommes soucieux de toujours privilégier les processus de convergence au sein de l'Union.

Cette convergence suppose que l'Europe ne soit pas seulement une affaire économique mais aussi un endroit dans le monde où les valeurs communes et les traditions démocratiques sont pleinement partagées. Cela recouvre tout aussi bien la liberté, la sécurité et le droit.

L'histoire nous a laissé en héritage une connaissance très étendue des questions associées aux relations avec les pays membres du partenariat oriental, par exemple lorsque des processus de démocratisation surgissent ici ou là.

Tous ces éléments sont repris dans une stratégie de l'action de la République tchèque au sein de l'Union européenne que mon gouvernement devrait approuver cette année.

Un dernier point encore y sera tout spécialement traité, c'est notre priorité de sécurité énergétique où nous collaborons notamment avec la France.

Je n'ai pas la possibilité dans le temps qui m'est donné de traiter toutes les questions liées à la construction européenne. Je me concentre donc sur les sujets d'actualité, qui sont au coeur de nos priorités.

Premier sujet : la politique énergétique.

Comme vous le savez sans doute, la France et la République tchèque ont signé en juin 2008 un partenariat stratégique qui prend la forme de plans d'action de deux ans. Le plan d'action pour la période 2011-2013 a été l'enjeu de la rencontre entre les deux premiers ministres Petr Necas et François Fillon. Ce nouveau plan prévoit une coopération dans plusieurs domaines dont la politique étrangère, l'énergie, le commerce, l'environnement et la croissance durable, les sciences, l'éducation et la culture.

Un accent tout particulier est mis sur les secteurs de l'énergie, la recherche et le développement ainsi que dans l'éducation. Un nouveau groupe de travail franco-tchèque sur l'énergie a ainsi été constitué avec l'objectif de renforcer la coopération institutionnelle dans l'énergie nucléaire et l'échange d'étudiants et de scientifiques impliqués dans ce domaine.

Lors de sa visite à Prague le 19 mai, M. Eric Besson, ministre français de l'industrie, de l'énergie et de l'économie numérique a signé avec son homologue tchèque, M. Martin Kocourek, une feuille de route franco-tchèque relative à la coopération dans l'énergie nucléaire. Elle établit d'une manière concrète la coopération dans les domaines de la recherche, l'éducation, la formation des experts, la sûreté nucléaire et l'échange des informations et de l'expertise.

De nouvelles actions en faveur de la sûreté nucléaire sont engagées : un accord entre les deux autorités indépendantes française et tchèque doit être conclu d'ici la fin de l'année.

S'agissant des événements de Fukushima, la République tchèque épouse la vision pragmatique de la France qui place au premier rang les avis des spécialistes pour la sécurité. La proposition de WENRA (« Western european nuclear regulators ») sur les « Stress tests » nous convient. Les centrales tchèques ont commencé dès le mois d'avril les travaux préparatoires à ces tests.

Pour des raisons géographiques évidentes, la sécurité énergétique est une question fondamentale pour la République tchèque.

Le Conseil européen de février 2011 a confirmé dans ses conclusions la nécessité de réaliser les interconnexions des gazoducs et construire de nouvelles infrastructures énergétiques. Cela correspond aux priorités tchèques : faciliter le transport du gaz vers l'Europe en développant le Corridor Sud, diversifier les sources énergétiques ce qui se concrétise dans le secteur gazier par la construction des gazoducs Nabucco et Gazela et l'interconnexion des gazoducs prioritaires Nord-Sud.

Comme beaucoup d'autres pays d'Europe centrale qui n'ont pas d'accès à la mer, la République tchèque dépend fortement d'un seul oléoduc qui vieillit - Druzba. C'est pourquoi nous nous réjouissons que le Conseil européen de février ait confirmé l'importance de la sécurité d'approvisionnement en pétrole des pays de l'Europe centrale qui figure parmi les corridors prioritaires de l'Union européenne dans la communication de la Commission européenne sur l'infrastructure présentée l'automne dernier.

Deuxième sujet : la recherche et le développement.

La République tchèque est le premier « nouvel » État membre de l'Union européenne à être entrée dans l'Agence spatiale européenne en novembre 2008. En décembre 2010, la candidature de la République tchèque a été retenue pour accueillir le siège de l'Autorité de surveillance des systèmes satellites européens (GSA) et, cette année, nous avons ouvert des négociations en vue du déménagement de l'agence de Bruxelles à Prague.

En ce qui concerne les relations bilatérales, la République tchèque prépare avec la France un accord de coopération dans le domaine des activités cosmiques.

La République tchèque participe activement à la création de la politique spatiale européenne par son travail dans toutes les structures européennes. L'industrie tchèque est mise à contribution, comme sous-traitant à la construction du système Galileo et l'État encourage les entreprises et la sphère académique à participer aux programmes optionnels de l'Agence spatiale européenne.

D'autres projets concrets découlent de ces orientations. Par exemple, le « super laser » ELI (Extreme Light Infrastructure) sera construit à Dolní Bøeúany près de Prague avec une participation financière de l'Union européenne.

Mon troisième thème concerne la nouvelle perspective financière.

Notre priorité est la politique de cohésion qui contribue déjà maintenant à atteindre les objectifs de la Stratégie Europe 2020. Il s'agit de soutenir les régions et les États les moins développés qui devraient être dotés d'une flexibilité suffisante pour fixer leurs priorités d'investissement afin que les efforts que l'Europe fait pour les aider soient réellement adaptés à leurs besoins.

Cette politique de cohésion devrait se concentrer sur la compétitivité des entités aidées, dans le cadre de l'objectif de convergence. En effet, la convergence ne s'oppose pas à la compétitivité mais au contraire, la compétitivité trace le chemin de la convergence.

Un domaine qui influence d'une manière importante la nouvelle perspective financière est la politique agricole commune. La République tchèque soutient la mise en place d'un système simple, juste et transparent. Nous soutenons l'effort de la Commission pour atténuer les différences actuelles dans les paiements directs entre les États membres. Le calcul des paiements devraient se baser immédiatement sur des critères objectifs, sans période transitoire.

Enfin, en ce qui concerne la caractéristique générale du budget, nous soutenons le principe d'une programmation budgétaire de sept ans ce qui permet d'obtenir des conditions stables pour l'utilisation des fonds.

Il est indispensable que le budget européen soit efficace. Pour cette raison, les efforts doivent être concentrés sur les secteurs qui soutiennent la croissance et la compétitivité de l'Union européenne dans le monde et par ailleurs l'amélioration de la cohésion interne de l'Union.

Un mot encore concernant la gouvernance économique européenne : en mars, le Conseil Européen a approuvé le changement de l'article 136 du traité sur le fonctionnement de l'Union européenne nécessaire pour le fonctionnement du mécanisme européen de stabilisation. Malgré le fait que la République tchèque n'est pas membre de l'Eurogroupe, la stabilité de l'euro et de l'eurozone est primordiale. Nous avons pour cette raison soutenu l'adaptation du traité.

Le Conseil européen a adopté le Pacte « Euro + » dont le but est de renforcer le pilier économique de l'Union monétaire, atteindre une meilleure coordination économique au sein de l'eurozone et renforcer sa compétitivité. La plupart des mesures proposées dans ce pacte ne sont pas problématiques pour le République tchèque. Certaines sont d'ailleurs identiques à celles que le gouvernement tchèque prépare au niveau national : par exemple, la stabilité fiscale, la réforme structurelle ou le soutien de la compétitivité de l'économie.

La République tchèque, tout comme la Suède, la Grande-Bretagne et la Hongrie, ne s'est pas jointe à ce pacte, sans pour autant que cette décision soit forcément définitive.

Les mesures qui devraient être prises sur la base de ce pacte sont de la compétence des États membres et les parlements nationaux sont notamment responsables de leur adoption. Nous croyons qu'il est nécessaire que nos parlementaires soient associés aux débats antérieurs à la participation à ce pacte, de même que les partenaires sociaux, ce qui n'était pas possible dans le délai court qui a suivi la présentation du pacte.

Nous évaluerons donc en son temps l'application du pacte et la possibilité de joindre le pacte dans le futur est un principe que nous soutenons.

Quatrième et dernier sujet avec votre permission, avant vos questions : la politique de voisinage et le Partenariat oriental.

Pour les quatre pays du groupe de Visegrád, les relations avec les pays d'Europe orientale représentent un dossier important de la politique étrangère et un défi permanent non seulement dans sa dimension bilatérale, mais aussi dans le cadre des relations extérieures de l'Union.

Nos objectifs avec les pays membres du Partenariat sont similaires à ceux de la France vis-à-vis du Sud : renforcer l'État de droit ainsi que le respect des droits de l'Homme et soutenir le développement démocratique. Au-delà du soutien des réformes politiques, nous nous engageons également à contribuer à la croissance économique afin que les populations concernées puissent vivre et prospérer chez elles, dans leurs propres pays.

La République tchèque comme tous ses partenaires européens estime que les événements d'Afrique du nord ont une grande importance stratégique. Néanmoins, nous croyons que la politique de l'Union européenne vis-à-vis de ses voisins devrait être pensée sur le long terme, en évitant de « sur-réagir » au gré de l'actualité quotidienne. Je ne veux pas dire qu'il ne faut pas adapter nos actions communes à cette actualité, mais les pays membres du Partenariat oriental ont aussi besoin de l'aide européenne qui contribue à éviter qu'ils tombent eux-aussi dans la crise violente que traversent certains de nos voisins du Sud.

Dans ce contexte, nous accueillons positivement le principe de conditionnalité de l'aide financière européenne fondée sur trois principes :

- tout d'abord, « more for more », c'est-à-dire la conditionnalité des interventions portant sur les résultats des réformes et le suivi de « benchmarks » dans le domaine de la démocratisation ;

- ensuite, la différenciation c'est-à-dire des projets taillés à la mesure des pays concernés ;

- enfin, la flexibilité c'est-à-dire la capacité de s'adapter rapidement à l'actualité.

Le 1er juillet 2011, la République tchèque prendra pour un an la présidence du groupe de Visegrád et le Partenariat oriental sera une de nos priorités. Cette période sera aussi celle de la présidence polonaise du Conseil européen et j'y vois un symbole fort de la place qu'occupe maintenant l'Europe centrale au sein de l'Union.

M. Aymeri de Montesquiou. - En France, nombreux sont ceux qui montraient un fort enthousiasme européen, il y a quarante ans. Aujourd'hui, il a faibli. L'Europe inspire davantage la résignation que l'enthousiasme chez nos concitoyens. Qu'en est-t-il en République tchèque ?

Quelle est la réalité du pouvoir de Mme Ashton en politique extérieure, alors que les pays de l'Union européenne ont des positions différentes, en particulier sur la Lybie ? Quelle est la réalité de ses responsabilités à l'égard de l'Agence européenne de défense, alors que la défense européenne est inexistante, en dehors peut-être de la collaboration franco-britannique dans ce domaine ?

La sécurité énergétique est une préoccupation de l'Union européenne. Mais qu'en est-t-il d'une politique énergétique commune ? Il y a un an, tout le monde était pro-nucléaire, aujourd'hui, il n'y a que quelques survivants de cet engouement. Quelles sont les positions de la République tchèque sur une politique énergétique commune ? Quelle sera votre attitude face à l'Allemagne ? Allez-vous lui vendre de l'électricité nucléaire, ou lui demander d'être cohérente dans son refus du nucléaire, et de faire face à ses besoins en recourant aux énergies solaire et éolienne ?

Mme Marie Chatardovà. - La République tchèque est souvent vue comme un pays pragmatique, euro-réaliste. J'ai moi-même participé à la campagne d'information avant le référendum pour l'entrée dans l'Union européenne. J'ai vu l'enthousiasme des Tchèques pour l'Union européenne, et je pense qu'il existe toujours. D'après les sondages, 80 % de notre population est contente d'appartenir à l'Union. Mais si l'on pose des questions sur l'euro, c'est différent : seulement 22 % se disent pour l'euro. C'est un débat difficile. Le problème est que l'Union européenne ne sait pas comment s'adresser aux citoyens. Les citoyens européens s'intéressent plus à leur vie quotidienne qu'aux grands idéaux.

Étant ambassadeur de la République tchèque, il ne m'appartient pas d'évaluer les compétences de Mme Ashton. Ce qui est important pour nous, c'est de faire en sorte que la représentation des États membres au sein du Service européen d'action extérieure (SEAE) soit équilibrée, et que le budget ne soit pas excessif. Nous pensons que le SEAE est nécessaire ; mais il s'agit d'une création récente, on peut encore beaucoup l'améliorer. Il faut en particulier se concentrer sur sa coopération avec les diplomaties nationales.

Nous sommes entièrement en faveur du développement de la politique étrangère et de la défense. Mais notre politique étrangère est fondée sur deux piliers, l'OTAN et la dimension européenne. Il faudrait que ces deux piliers soient complémentaires et coopèrent, pour avoir plus d'efficacité

Pour ce qui est de l'Allemagne, nous respectons le droit de chaque État membre de décider de son mix énergétique. Ce qui est important pour nous, c'est la diversification des ressources pour assurer la sécurité énergétique. Pour l'instant, la République tchèque est exportatrice d'énergie. 33 % de notre énergie est nucléaire. Il ne s'agit pas de tout fonder sur le nucléaire, mais de diversifier. Dans notre groupe de travail bilatéral avec la France, nous mettons l'accent sur l'énergie renouvelable, tout en sachant que le temps n'est pas venu de fonctionner exclusivement avec ce type d'énergie.

M. Robert del Picchia. - Karel Schwarzenberg a avancé l'idée d'une Europe centrale se retrouvant lorsqu'il s'agit de s'affirmer face à des ambitions franco-allemandes. Il veut développer cette position dans une politique partagée par la République tchèque et ses voisins, y compris l'Autriche. Poursuivez-vous encore cette politique ?

Vous n'avez pas abordé le triangle de Weimar. Qu'en pense-t-on à Prague ?

Mme Marie Chatardovà. - Je ne pense pas qu'il s'agit d'affirmer l'idée d'une Europe centrale opposée au couple franco-allemand. Cela ne reflète pas la réalité actuelle. Nous coopérons avec l'Allemagne, qui représente 40 % de nos exportations, et avec la France. Le couple franco-allemand est une réalité, et quand nous accentuons le Partenariat oriental, ce n'est pas en opposition à ce couple. D'ailleurs, les Allemands soutiennent le Partenariat oriental. Notre expérience nous pousse à aider les pays de l'est de l'Europe, notamment en matière de progrès démocratique. Je pense, par exemple, à la Biélorussie, qui est membre du Partenariat oriental.

Nous n'avons pas de position forte sur le triangle de Weimar. C'est une coopération dont fait partie la Pologne, que nous retrouvons dans le groupe de Visegrád. En général, nous soutenons tout ce qui relève de la coopération régionale.

Mme Bernadette Bourzai. - La République tchèque bénéficie de la PAC. Vous avez d'ailleurs émis le souhait d'un rééquilibrage entre anciens bénéficiaires et nouveaux États membres. Par ailleurs, vous bénéficiez de la politique de cohésion, du fait de l'objectif de convergence. Il y a, il est vrai, de grands écarts de développement entre la région de Prague et les régions rurales plus excentrées. Êtes-vous prêts à sacrifier l'une de ces deux politiques à l'autre ? Êtes-vous pour le maintien à un niveau convenable des deux politiques ?

Mme Marie Chatardovà. - Évidemment, nous sommes pour le maintien de ces deux politiques qui sont extrêmement importantes. Tout en sachant qu'il faudra chercher des compromis. Vous avez mentionné l'écart entre la région de Prague et les autres régions tchèques, vous avez raison. La région de Prague est la 6e région la plus riche de l'Union européenne (devant l'Ile-de-France), alors que la République tchèque dans son ensemble est à environ 80 % de la moyenne européenne. D'après nos estimations, la République tchèque pourrait devenir contributeur net au budget de l'UE autour de 2013-2014.

Malgré ces écarts, c'est en République tchèque que l'on trouve le plus faible nombre de personnes vivant sous le seuil de pauvreté dans l'Union européenne. La République tchèque présente aussi le plus faible écart entre les plus hauts et les plus bas salaires. Le pays se porte bien, et le fait que nous soutenions la politique de cohésion ne vient pas de notre seul intérêt, mais d'une conviction que l'Union européenne doit être solidaire et aider les régions ou les États qui ne sont pas suffisamment développés.

M. Robert del Picchia. - Vous avez réussi un divorce par consentement mutuel entre la République tchèque et la Slovaquie. En Europe, beaucoup avaient un peu peur, craignant de voir s'enclencher tout un processus de morcellement et de remise en cause des frontières. Or vous avez prouvé que cela fonctionnait, que la démocratie fonctionnait. En revanche, les Slovaques vous jouent un mauvais tour avec leur « flat tax » pour les investissements étrangers dans le pays. Elle vous pénalise, puisque certains investissements se portent plutôt sur la Slovaquie, du fait de l'avantage fiscal. Est-ce un problème entre les deux pays ?

Mme Marie Chatardovà. - Non. D'autant plus que la République tchèque reçoit beaucoup d'investissements directs étrangers. Nous n'avons donc pas l'impression que les Slovaques détournent les investissements. Personnellement, je ne pense pas que les taxes puissent être la seule motivation pour les investissements étrangers.

M. Pierre Bernard-Reymond. - Comment à l'heure actuelle, votre gouvernement voit-il la Russie ?

Le budget de l'Union représente 1 % du PIB européen. Est-ce que votre gouvernement s'en félicite, ou considère-t-il qu'il faut augmenter cette part pour avancer dans la construction européenne ?

Quelle est la position de votre gouvernement par rapport aux discussions actuelles sur l'espace Schengen ?

Mme Marie Chatardovà. - Nous avons une approche pragmatique de la Russie. Il faut coopérer avec elle. On ne peut exclure une puissance mondiale. Mais il faut toujours chercher l'équilibre dans les relations avec la Russie.

Pour le budget européen, notre position est qu'il devrait rester à son niveau actuel. Tous les États membres sont obligés de faire des économies, le budget européen doit suivre.

Sur Schengen, nous suivons la discussion, et nous soutenons la révision du système de fonctionnement de Schengen. Elle devrait permettre de réagir au non-respect des obligations de Schengen par un État membre, par la remise en place temporaire de contrôle aux frontières avec l'État en question. On pourra ainsi éviter des situations où le non-respect des standards de Schengen par un État membre bloque l'adhésion d'un nouvel État membre. Et ce sera aussi une incitation pour tous les États à respecter les règles.

Mais nous sommes opposés à l'élargissement des définitions des situations où un État membre établirait des contrôles à ses frontières intérieures comme une protection contre l'immigration illégale. Il est évident qu'il faut plutôt renforcer la coopération, surtout avec les pays d'origine de l'immigration, et lancer des projets d'aide permettant aux personnes de rester dans leur pays d'origine.

Économie, finances et fiscalité

Situation de la Grèce et de la zone euro
Rapport d'information de MM. Jean-François Humbert et Simon Sutour

M. Pierre Bernard-Reymond. - Nous abordons maintenant le second point de notre ordre du jour. Je n'ai pas besoin d'en souligner l'importance, ni à quel point nous sommes au coeur de l'actualité européenne.

Le déplacement en Grèce de Jean-François Humbert et Simon Sutour est intervenu en pleine controverse sur la manière dont l'eurozone doit faire face à l'aggravation de la crise des finances publiques grecques.

Et nous comptons sur nos deux rapporteurs pour mieux nous faire comprendre les enjeux de cette controverse, mais aussi pour nous décrire la manière dont elle est perçue en Grèce.

Je leur donne la parole.

*

M. Simon Sutour. - Un an après l'intervention de l'Union européenne et du Fonds monétaire international, la Grèce se trouve toujours confrontée à des problèmes de financement. Son endettement et l'absence de résultats tangibles dans sa tentative de réduction de ses déficits devrait ainsi empêcher toute possibilité de revenir sur les marchés financiers l'année prochaine. Le plan d'aide international de 110 milliards d'euros prévoyait pourtant un tel retour en 2012.

La défiance des marchés à l'égard d'Athènes contraste avec les efforts déjà accomplis par le gouvernement grec en matière de réformes structurelles. Ses systèmes de santé et de retraites ont été notamment réformés en profondeur. L'âge de départ en retraite a, ainsi, été porté de 60 à 65 ans. Son administration territoriale a, quant à elle, été largement rationnalisée. La Grèce a ainsi remplacé, les 57 circonscriptions préfectorales et 19 comtés par 13 régions. Le nombre de municipalités a été ramené de 1034 à 325. Le coût de l'administration locale a de ce fait été réduit de 25 % par rapport à 2009.

A ces réformes structurelles s'ajoute une cure d'austérité inédite, visant toutes les catégories de population, rompant de façon nette avec la tradition interventionniste de l'État grec. Le gouvernement a ainsi augmenté la TVA, faisant passer son taux de 21 à 23 %, et majoré de 10 % les taxes sur le carburant et l'alcool. Il a décidé, dans le même temps, de réduire les salaires publics (suppression des treizième et quatorzième mois). Les pensions ont été gelées.

L'intervention financière de l'Union européenne comme les réformes n'ont pas, néanmoins, rassuré les marchés. Depuis l'octroi de l'aide, seuls trois mouvements de baisse des taux ont été observés. La Grèce a, même, depuis avril dernier renoué voire dépassé les niveaux atteints avant le déclenchement de l'intervention communautaire. Face à ces difficultés et afin de permettre à la Grèce de retrouver la confiance des investisseurs, le Conseil européen a décidé, en mars dernier, d'accorder une réduction de 1 % du taux d'intérêt de l'aide européenne, qui passe à 4,2 %, et une augmentation de sa maturité de 3 à 7 ans et demi. Les besoins de financements de la Grèce ne devraient, en effet, plus être couverts à partir du mois de mars 2012. D'ici à la fin 2013, ces besoins sont estimés à environ 60 milliards d'euros, dont 25 milliards au titre du premier trimestre 2012.

Au problème de liquidité rencontré par la Grèce s'ajoute un risque réel en matière de solvabilité. L'accélération de réformes structurelles apparaît, de ce fait, indispensable, le FMI comme l'Union européenne dénonçant régulièrement les retards en la matière du gouvernement grec. Fin mai, les taux à dix ans avoisinent les 17 %. Un an après le plan de sauvetage, les investisseurs évaluent l'écart entre les obligations allemandes et grecques à 1 253 points de base. Le risque de défaut de la dette grecque dans les cinq ans est estimé à 68 %. L'agence de notation Standard & Poor's a abaissé la note de la Grèce à CCC, soit une note inférieure à l'Équateur, au Pakistan et à la Jamaïque. Face à une telle dégradation, il convient néanmoins de s'interroger sur le fonctionnement de ces agences de notation et leur capacité de nuisance.

La méfiance des marchés à l'égard de la Grèce est paradoxalement renforcée par l'intervention de l'Union européenne. La somme prêtée est, à juste titre, considérée comme une charge supplémentaire pour l'État qui voit sa dette augmenter en conséquence, alors qu'elle atteint déjà 153 % du PIB, soit 345 milliards d'euros. Le plan d'austérité, auquel l'aide internationale est conditionnée, est, par ailleurs, assimilé à un frein à la reprise économique.

La sortie de crise s'avère en effet délicate pour l'économie grecque. Le PIB a ainsi diminué de 4,5 % en 2010, soit deux fois plus que lors de l'exercice précédent. La baisse de la consommation privée (- 4,5 %) et celle, pour la troisième année consécutive, des investissements (- 12,3 %) justifient une telle contraction. La Commission européenne prévoit une nouvelle dégradation du PIB pour l'exercice 2011, estimant celle-ci à 3,5 % du PIB. Le pays subit à la fois une augmentation du chômage (de 8,3 % de la population active en 2007 à 16,2 % fin mars 2011, 42 % des moins de 24 ans se trouvant sans emploi), une inflation record (4,6 % en 2010 contre 1,5 % dans la zone euro), l'impact de la crise sur le secteur touristique et l'effet des mesures d'austérité. Ces facteurs ne sont pas sans conséquence sur la reprise de la croissance alors même que les trois quarts de la création de valeur en Grèce dépendent de la demande intérieure. La baisse des rentrées fiscales et des cotisations sociales, inévitable en période de crise, contribuent, par ailleurs, à la détérioration des comptes publics. Le déficit public a atteint 10,5 % du PIB en 2010 alors que le gouvernement espérait voire celui-ci ramené à 9,4 %. Pour autant, membre de la zone euro, la Grèce ne peut agir sur la monnaie et dévaluer pour tenter de relancer son économie.

Une mission d'évaluation, composée d'experts issus de la Commission, du FMI et de la Banque centrale européenne - la troïka -, s'est rendue à Athènes au cours du mois de mai afin de vérifier les progrès de la Grèce en matière de réduction des déficits et décider du versement de la cinquième tranche de l'aide, soit environ 12 milliards d'euros. Celle-ci sera conditionnée à la mise en oeuvre de nouvelles mesures d'austérité et de réformes destinées, notamment à réduire le périmètre du secteur public et le nombre de ses fonctionnaires. Une diminution des allocations sociales et des pensions est également prévue, alors qu'un impôt foncier devrait être créé. Le gouvernement grec envisage par ailleurs de stimuler le secteur du tourisme, de poursuivre la flexibilisation de son marché du travail, de libéraliser les secteurs du transport et de l'énergie et de supprimer les obstacles administratifs aux exportations.

Ces mesures viennent s'ajouter à un nouveau plan de rigueur annoncé par le gouvernement en avril dernier et arrêté la semaine dernière. Ce programme budgétaire à moyen terme prévoit une consolidation budgétaire de 28,4 milliards d'euros d'ici à 2015 dont 6,5 milliards pour l'année en cours. L'objectif est de ramener le déficit public en dessous de 1 % du PIB d'ici 5 ans. Ce programme prévoit notamment un vaste de plan de privatisations censé rapporter près de 50 milliards d'euros à l'État sur la période 2011-2015. Ces futures cessions concernent le secteur des transports, celui des télécommunications, de l'énergie et des jeux. Le patrimoine foncier est également visé.

La lutte contre la fraude fiscale fait, par ailleurs, figure de priorité du gouvernement. Évaluée à 15 milliards d'euros annuels, elle reflète la situation d'un pays où l'économie grise représente entre 25 et 37 % du PIB. Les recettes fiscales rapportées au PIB sont de 4 à 5 % inférieures à la moyenne européenne. 55 % des ménages grecs déclarent ainsi des revenus en deçà du minimum imposable et ne payent pas, de fait, d'impôts. 15 % des contribuables payent environ 80 % de l'impôt sur le revenu des personnes physiques et 1 % des entreprises payent 70 % de l'impôt sur les sociétés.

Néanmoins, face aux besoins de financements de la Grèce pour les deux prochains exercices, ces réformes pourraient s'avérer insuffisantes si elles ne sont pas accompagnées d'une nouvelle intervention européenne sur la dette grecque. La restructuration, telle qu'avancée par un certain nombre d'observateurs mais aussi d'États membres, qu'elle soit dure - réduction de 30 à 50 % de la dette grecque négociable - ou douce - allongement de la maturité doublé d'une baisse des taux d'intérêts, soit un « reprofilage » - n'est pas sans risque tant pour la Grèce que pour l'ensemble de la zone euro. Un défaut de remboursement, quel qu'il soit, aurait, en effet, une incidence directe sur le système bancaire grec et, par conséquent, sur les ménages. Les banques grecques détiennent, en effet, environ 48 milliards d'euros d'obligations publiques. Elle contribuerait au ralentissement économique, déjà observé cette année.

La Banque centrale européenne, largement exposée au risque grec, estime, en outre, que toute restructuration, dure comme douce, constitue un événement de crédit pour les agences de notation et les marchés et donc un précédent potentiellement rééditable en Irlande ou au Portugal.

De fait, l'hypothèse d'une aide complémentaire de l'Union européenne et du Fonds monétaire international est sans doute la plus vraisemblable face aux risques que comporte toute restructuration de la dette. In fine, sur les 90 milliards d'euros dont aurait besoin la Grèce d'ici à la mi-2014, un tiers serait financé par l'Union européenne et le Fonds monétaire international. Le complément serait obtenu via le programme de privatisation, couplé au maintien de l'exposition des banques à la dette grecque. Il convient cependant de rappeler que le statut du Fonds européen de stabilité financière ne prévoit pas expressément la participation du secteur privé aux plans d'aide.

L'Allemagne est, à cet égard, assez réservée sur l'efficacité de cette option dite rollover, craignant que seules les banques grecques maintiennent de facto leur exposition. Berlin serait plus favorable à ce que l'aide européenne soit liée à un échange volontaire d'obligations anciennes contre de nouveaux instruments d'une durée plus longue de sept ans. Ce qui équivaut à un rééchelonnement de la dette, donc à un défaut de paiement.

Au plan politique, l'Union européenne, comme le FMI, souhaite que les mesures d'austérité adoptées recueillent la plus grande adhésion, en vue d'éviter toute remise en cause, en cas d'alternance politique. Cet appel à l'unité nationale ne semble toutefois pas susciter de réaction positive, alors que le gouvernement semble affaibli politiquement. L'opposition se montre, en effet, extrêmement réservée sur le programme budgétaire à moyen terme du Premier ministre alors que la majorité se divise sur l'ampleur des réformes à mener.

Le climat social est, par ailleurs, marqué par une détérioration de la confiance à l'égard du gouvernement. Le sentiment d'inquiétude induit par l'augmentation concomitante du coût de la vie et du chômage, notamment chez les jeunes, est en constante progression. Plus d'un jeune grec sur trois affirme, par ailleurs, vouloir quitter le pays.

L'annonce d'un deuxième plan d'austérité a eu un rôle de déclencheur, l'opinion publique estimant qu'une seconde vague de mesures soulignait l'échec patent du gouvernement et sa conduite à vue. Si l'année dernière, les protestations étaient relativement modérées à l'égard de la cure d'austérité imposée par le gouvernement, le mécontentement tend à croître au regard de l'absence de résultats tangible et au recours annoncé à une nouvelle aide européenne. Ces mouvements traduisent, par ailleurs, dans la population une absence de visibilité en ce qui concerne l'avenir, doublée d'un sentiment d'injustice face à des réformes qui s'avèrent pour partie incomplètes.

Au delà, il convient de souligner la perception négative par l'opinion publique de l'attitude d'un certain nombre d'États membres de l'Union européenne. L'Allemagne cristallise à cet égard la rancoeur, sa position étant assimilée à une forme de mépris, ravivant, de façon certes exagérée, le souvenir de la seconde guerre mondiale.

L'invention d'un nouveau modèle de croissance demeure de fait indispensable en vue de gommer les effets logiquement récessifs de la cure d'austérité imposée au pays. Elle est également essentielle pour dépasser les difficultés sociales et politiques que la Grèce peut rencontrer. Celles-ci peuvent apparaître inquiétantes à terme puisqu'elles révèlent une réelle crise de légitimité des structures démocratiques grecques mais aussi une défiance certaine à l'égard de l'Union européenne.

Les sondages montrent qu'un jeune Grec sur trois souhaite quitter le pays, en raison d'un manque de perspectives d'avenir et d'un sentiment d'injustice. À l'époque des monnaies nationales, on cherchait une solution dans la dévaluation : elle touchait tout le monde et restait relativement indolore. Pour obtenir le même résultat, il faut aujourd'hui prendre des mesures plus perceptibles et plus douloureuses. Les Grecs ont le sentiment de faire des sacrifices sans obtenir de résultats positifs en échange.

M. Jean-François Humbert. - En ce qui concerne l'Union européenne, le deuxième acte de la crise grecque est un test de grande ampleur. Jusqu'à présent, il ne semble déboucher que sur une forme de cacophonie, la Banque centrale contredisant la Commission, elle-même remise en cause par les déclarations de l'eurogroupe ou de tel ou tel État membre. Une telle situation n'est pas sans incidence sur les marchés financiers. L'Union européenne avait démontré au printemps 2010 une réelle capacité de réaction en combinant aide financière et renforcement de la gouvernance économique. Il lui appartient désormais de passer à une seconde étape et de faire montre de maturité politique en parlant d'une seule voix. Ce faisant, elle devrait atténuer la fébrilité observée sur les places financières et gagner en cohérence. Elle rendrait par ailleurs plus lisible son action en faveur de la zone euro, alors même que celle-ci peine à susciter l'adhésion des opinions publiques.

En effet, à quelques mois du dixième anniversaire de l'introduction physique de la monnaie européenne, la crise de la dette souveraine affecte près d'un tiers des membres de la zone euro, confrontés à des difficultés croissantes pour accéder aux marchés (Espagne, Italie) ou mis sous assistance financière (Grèce, Irlande, Portugal).

La réponse formulée par l'Union européenne il y a un an face aux difficultés rencontrées par la Grèce a consisté en la mise en oeuvre de plans de sauvetage financier de grande ampleur en coopération avec le Fonds monétaire international, conditionnés à l'adoption, par les pays concernés, de mesures d'austérité sans précédent.

Néanmoins, conçue pour stopper une contagion de la crise de la dette à d'autres pays de la zone périphérique, l'aide accordée à la Grèce n'aura pu empêcher un durcissement des conditions d'accès aux marchés financiers à l'endroit de l'Irlande et du Portugal, et dans une moindre mesure à l'Espagne. Ces difficultés à se refinancer ont finalement conduit Dublin et Lisbonne à recourir à l'aide de l'Union européenne.

Au retour de mon déplacement à Lisbonne en janvier dernier, je vous avais fait part de mon scepticisme sur la possibilité pour le Portugal de continuer à se financer sur les marchés et vous avais indiqué que le premier trimestre serait sans doute crucial. Au terme de celui-ci, le gouvernement lusitanien a souhaité recourir à l'aide du Fonds européen de stabilité financière. Une aide de 78 milliards d'euros lui a ainsi été accordée dont les deux tiers seront financés par l'Union européenne et un tiers sera à la charge du FMI. Le taux d'intérêt concernant les fonds débloqués par l'Union européenne se situe entre 5,5 et 6 %, alors que ceux retenus par le FMI devrait être plus faible, augmentant en fonction de la durée de l'échéance, entre 3,25 et 4,25 %. La maturité moyenne des prêts est évaluée à 7 ans et demi. Le programme d'aide repose sur trois conditions : la recapitalisation du secteur bancaire, l'intensification des réformes structurelles notamment celle du marché du travail et la poursuite de l'assainissement budgétaire. Le déficit public devant être ramené à 5,9 % du PIB en 2011, 4,5 % en 2012 et 3 % en 2013, contre 8,6 % en 2010. Les efforts de consolidation budgétaire devraient, à cet égard, être équivalents à 10 % du PIB sur trois ans, financés aux deux tiers par des réductions budgétaires et pour le tiers restant, par une augmentation des recettes, notamment fiscales. La compagnie Air Portugal, la division fret des chemins de fer portugais, les entreprises publiques du secteur énergétique (GALP, EDP, REN), de la communication (Correios Portugal) et des assurances (Caixa seguros) seront également privatisées.

Les difficultés que continue à rencontrer la Grèce viennent cependant souligner la nécessité pour l'Union européenne de dépasser le stade du simple règlement des difficultés financières. L'effet par nature récessif des mesures de rigueur adoptées à Athènes mais aussi à Dublin et Lisbonne dans le cadre des plans d'aide n'est pas de nature à rassurer définitivement les marchés financiers. Il s'agit bien là du paradoxe de l'intervention européenne qui tente de juguler le problème de liquidités mais fragilise toute relance rapide de l'économie.

Malgré un endettement public et un déficit public inférieur à ceux constatés aux États-Unis et au Japon, la zone euro demeure sujette à une inquiétude marquée de la part des marchés financiers qui ne vise pas tant la valeur de la monnaie que la dette des États membres. De fait, afin de répondre à cette défiance, l'Union européenne s'est dotée depuis mai 2010 de nouveaux instruments destinés à mettre en place une véritable gouvernance de la zone euro, dépassant le simple stade de l'assistance financière, sans pour autant totalement gagner en visibilité tant à l'égard des marchés que des opinions publiques.

Je ne reviendrai pas longuement sur les avancées en matière de gouvernance budgétaire, économique et financière enregistrées depuis un an, qu'il s'agisse dans le désordre de la pérennisation du Fonds de stabilisation financière de l'Union européenne, de la création du semestre européen, de la réforme du Pacte de stabilité et de croissance, de la coordination des politiques économiques via le Pacte pour l'euro + ou de la réforme des stress tests bancaires.

De fait, si les avancées sont réelles en matière de gouvernance économique, le second acte de la crise grecque vient souligner la persistance de dysfonctionnements réels au sein de la zone euro, caractérisée, notamment, par une cacophonie à haut niveau sur les solutions à mettre en oeuvre : l'Allemagne insiste sur le thème de la restructuration douce, en dépit des objections de la Banque centrale européenne et d'un certain nombre de ses partenaires. La présidence de l'eurogroupe anticipe, quant à elle, les décisions du Conseil européen et du FMI sur le versement d'une aide complémentaire. La gouvernance politique de la zone euro implique, de ce fait, une communication plus adaptée, cohérente, capable en cela de rassurer les marchés financiers.

C'est en ce sens qu'il convient de comprendre les récents propos du président de la Banque centrale européenne en faveur de la création d'un véritable ministre des finances de l'Union européenne.

Le renforcement de la gouvernance économique de la zone euro ne peut, par ailleurs, éluder un débat sur la valeur même de la monnaie commune. L'effet anesthésiant de la monnaie unique a déjà été abordée à l'occasion de l'étude des crises irlandaise et portugaise. La force de la monnaie, son côté valeur refuge, a longtemps protégé certains États membres sur le marché obligataire. Elle s'avère néanmoins relativement inadaptée dès lors que ces pays, du fait de la crise, doivent privilégier les secteurs tournés vers l'exportation face à une demande interne logiquement atone. C'est le cas de l'Irlande, mais aussi et surtout de la Grèce et du Portugal. La valeur de la monnaie unique fragilise cette réorientation jugée indispensable. L'euro reste trop élevé face aux devises américaine et chinoise. Certains analystes estiment que la zone sud de l'Union européenne n'est plus compétitive si l'euro dépasse les 1,3 dollar.

En l'état actuel, la valeur de monnaie affaiblit toute tentative pour les pays périphériques d'adopter le modèle exportateur du nord de l'Union. Il est cependant permis de s'interroger sur la validité même de ce choix économique. Il convient de rappeler qu'à l'heure actuelle, la moitié des excédents de la zone nord de l'Union européenne se fait au détriment de la zone sud. Dans le cas où les États concernés parviendraient à se réindustrialiser et devenir des puissances exportatrices, la partie nord de l'Union européenne aurait donc à pâtir de cette mutation économique. Dans le même temps, l'ensemble de l'Union européenne deviendrait fortement exportatrice, renforçant logiquement le déficit extérieur des États-Unis, fragilisant un peu plus la valeur du dollar... au risque d'une nouvelle perte de compétitivité du sud de l'Europe.

La crise actuelle représente un défi politique et social de grande ampleur pour l'ensemble des gouvernements de la zone euro. Le recours à l'intervention financière de l'Union européenne et du Fonds monétaire international a été suivi en Irlande et au Portugal d'une victoire de l'opposition aux élections législatives. Le pouvoir grec est fortement contesté alors que le gouvernement espagnol a subi une défaite à l'occasion des élections locales. L'apparition à Madrid du mouvement des « indignés » concrétise une nouvelle forme de contestation visant à la fois les autorités locales et les projets de coordination économique développés au sein des instances communautaires.

C'est à ce titre notamment que le retour à la croissance au sein de ces économies doit faire figure de priorité absolue pour permettre aux populations concernées de mieux admettre les cures d'austérité imposées ici et là. Il s'agit, de fait, de redonner du sens au projet monétaire européen, présenté initialement comme un outil de convergence économique et appréhendé aujourd'hui comme un instrument au service du moins-disant social.

Par ailleurs, sans négliger les impératifs économiques qui conditionnent l'intervention financière de l'Union européenne en Grèce, en Irlande et au Portugal, il faut éviter de renforcer, par le biais de taux d'intérêts trop élevés, l'atonie économique et la frustration sociale concomitante. C'est dans ce sens que le Fonds monétaire international a estimé que l'Union européenne devait assez rapidement réduire ces taux. Un financement flexible et à faible coût pourrait plus facilement appuyer, tant au point de vue économique que social, un ajustement budgétaire, une restructuration bancaire et des réformes qui stimulent la compétitivité et la croissance.

C'est également dans ce cadre que doit être lancée une réflexion ambitieuse sur les obligations européennes. Le projet développé par le think tank Bruegel sur cette question peut sembler le plus adapté. Il distingue à cet effet bonds bleus et bonds rouges. Le bond bleu agrège une partie de la dette publique des États membres de la zone euro, inférieure à 40 ou 60 % de leur PIB. Le « prix » ou taux d'intérêt de cet emprunt commun serait de fait modéré. Un pays dont le niveau d'endettement dépasse ce seuil de 40 ou 60 % du PIB devrait alors émettre des obligations rouges nationales. Un tel système ne fragiliserait pas les pays les plus vertueux et responsabiliserait, dans le même temps les États les plus endettés sans les condamner. Il s'agit d'une piste qui, me semble-t-il, a été trop vite laissée de côté par les gouvernements.

Mme Catherine Tasca. - J'espère que votre déplacement a été ressenti par vos interlocuteurs comme une marque d'attention de la part de notre pays à l'égard d'un pays en proie à de si graves difficultés.

Nous en sommes néanmoins réduits au rôle de spectateurs d'un naufrage, d'une véritable descente aux enfers. Mais peut-on réellement parler d'échec du gouvernement grec ? Il s'agit plutôt d'un échec pour les prescripteurs d'une potion - celle de la rigueur - qui tue. Le Parlement français se doit d'alerter les membres de la Troïka sur les effets dévastateurs de ces plans d'austérité sur des pays exsangues.

Les conditions de financement de la dette octroyées par les marchés à la Grèce sont scandaleuses : comment peut-on tolérer des taux à 10 ans atteignant 17 %. Face à de tels chiffres, l'Union européenne se doit de réagir et prêter à des taux quasi symboliques. C'est la construction européenne qui est en cause.

M. Simon Sutour. - Il existe effectivement un risque réel que, face aux programmes de rigueur mis en place, le malade meure guéri. Nous n'avons pas de prise sur tous les membres de la Troïka, loin de là : nous ne pouvons agir ni sur le FMI, ni sur la BCE. Le Conseil des ministres de l'Union européenne dispose, lui, d'un certain pouvoir. Il ne doit plus, à cet égard, être le lieu de déclarations et de postures contradictoires, parfois adoptées pour des raisons de politique interne. Il faut avoir conscience que, dans le contexte de la mondialisation, la moindre « petite phrase » de certains dirigeants peut avoir de lourdes conséquences financières. Nos interlocuteurs ont, d'ailleurs, souligné la qualité de la réaction française à cette crise. Par ailleurs, l'euro doit, au-delà de son acception économique, devenir un véritable instrument politique.

Le gouvernement grec, qui nous a semblé être composé de personnalités solides, se retrouve dans une situation terrible, contraint d'appliquer un programme sur lequel il n'a pas été élu. Le souhait de voir l'opposition appuyer le plan gouvernemental demeure, pour des raisons de politique nationale, un voeu pieux, en dépit des appels en ce sens de l'Union européenne et du FMI. François Fillon, comme José Manuel Barroso, ont néanmoins invité le leader de Nouvelle démocratie, la principale formation d'opposition, à aller dans cette direction, à l'occasion d'entretiens à Paris et à Bruxelles la semaine passée.

La population grecque semble lasse, fragilisée par des mesures de rigueur sans précédent et divisée, chaque catégorie de la population scrutant chez la voisine des réformes à accomplir.

M. Charles Gautier. - Il convient de rappeler que la Grèce a vécu largement au dessus de ses moyens pendant des années. Elle paye malheureusement aujourd'hui le prix d'excès en tout genre : fraude fiscale, recrutement complaisant et sans retenue au sein de la Fonction publique etc. Il n'appartient pas au contribuable européen de combler totalement les besoins de financement grecs.

M. Simon Sutour. - Il y a eu certes des abus et il en reste à corriger. On m'a cité l'exemple de l'intégration des assistants parlementaires dans la fonction publique à des conditions avantageuses : seize mois et demi de salaire par an. La population ne veut plus, à cet égard, endosser la responsabilité des errements des gouvernements précédents. Et les jeunes sont victimes d'une injustice : ils sont les premières victimes du laxisme budgétaire du passé. L'euro est un symbole politique, ce n'est pas seulement une question économique. C'est un symbole de solidarité. Nous ne devons pas créer des fossés entre Européens.

M. Pierre Bernard-Reymond. - La solution à ces difficultés tient sans doute à l'émergence d'un véritable fédéralisme économique européen.

Par ailleurs, si le climat entourant la préparation de ce deuxième plan d'aide semble tendu, il ne faut pas oublier que la situation était quasiment la même il y a un an, l'Allemagne tardant à donner son accord à l'octroi du premier prêt.

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À l'issue du débat, la commission a autorisé la publication du rapport, paru sous le numéro 645 et disponible sur Internet à l'adresse suivante :

www.senat.fr/europe/rap.html

Questions diverses

M. Pierre Bernard-Reymond. - Je dois vous demander encore un instant d'attention car nous sommes saisis d'un texte pour lequel le Gouvernement souhaite être libéré de la réserve d'examen parlementaire.

Il s'agit d'un projet de décision concernant la signature d'un accord avec le Brésil relatif au transport aérien. Cet accord offre une base juridique pour l'exploitation de services aériens entre le Brésil et l'ensemble des États membres, remplaçant la quinzaine d'accords bilatéraux existants. Il met fin à un certain nombre de restrictions sur les itinéraires, les tarifs ou le nombre de vols hebdomadaires entre l'Union et le Brésil. Il prévoit aussi une coopération pour les questions de sécurité, la gestion du trafic, la protection de l'environnement et des consommateurs.

Je crois que nous pouvons lever la réserve sur ce texte qui doit être adopté demain au cours d'un Conseil des ministres des transports.

Il en est ainsi décidé.