Lundi 15 octobre 2012

- Présidence de Mme Annie David, présidente -

Bioéthique - Examen des amendements au texte de la commission

La commission procède à l'examen des amendements sur la proposition de loi n° 576 (2011-2012) tendant à modifier la loi n° 2011-814 du 7 juillet 2011 relative à la bioéthique en autorisant sous certaines conditions la recherche sur l'embryon et les cellules souches embryonnaires, dans le texte n° 11 (2012-2013), adopté par la commission le 3 octobre 2012 dont M. Gilbert Barbier est le rapporteur.

Motion n° 1 rect bis

Auteur

Objet

Avis de la commission

de Legge, Revet, G. Bailly, Bas, Vial, Bécot, Retailleau, Gélard, César, Darniche, J. Boyer, Hyest, Pointereau, Cardoux, Bizet, Leleux, Frassa, Trillard, Pierre, Reichardt, Pinton, de Montgolfier, Lorrain, Sido, Guené, B. Fournier, Ferrand, Mayet, Lecerf, Charon, Couderc, Billard, Mmes Sittler, Troendle, Giudicelli, Lamure, Duchêne, du Luart, Gilles, Détraigne, Lefèvre, Pozzo di Borgo, Laufoaulu, Saugey, Marini, Hummel
et Grignon

1

Motion tendant à opposer la question préalable

Défavorable

Article unique

Auteur

Objet

Avis de la commission

Mézard et Laborde

2

Précision de la possibilité de conduire des recherches fondamentales ou appliquées

Favorable

Gouvernement

4

Précision des critères de comparaison avec les autres recherches possibles

Favorable

Desessard, Archimbaud, Aïchi, Benbassa, Ango Ela, Blandin, Bouchoux, Lipietz, Dantec, Gattolin,
Labbé et Placé

3

Suppression de l'obligation pour un couple de confirmer sa volonté de don d'un embryon sain à la science

Défavorable

Mardi 16 octobre 2012

- Présidence de Mme Annie David, présidente -

Loi de financement de la sécurité sociale pour 2013 - Audition de Mmes Marisol Touraine, ministre des affaires sociales et de la santé, Michèle Delaunay, ministre déléguée chargée des personnes âgées et de l'autonomie, Dominique Bertinotti, ministre déléguée chargée de la famille et Marie-Arlette Carlotti, ministre déléguée chargée des personnes handicapées et de la lutte contre l'exclusion

Mme Annie David, présidente. - Nous sommes heureux d'accueillir Mmes Marisol Touraine, ministre des affaires sociales et de la santé, Michèle Delaunay, ministre déléguée chargée des personnes âgées et de l'autonomie, Dominique Bertinotti, ministre déléguée chargée de la famille et Marie-Arlette Carlotti, ministre déléguée chargée des personnes handicapées et de la lutte contre l'exclusion, venues nous présenter le projet de loi de financement de la sécurité sociale (PLFSS) pour 2013.

Ce texte est particulièrement important dans la mesure où il constitue la première traduction législative des orientations du Gouvernement en matière de protection sociale ainsi que par le contexte de dégradation des comptes sociaux dans lequel il s'inscrit.

Mme Marisol Touraine, ministre des affaires sociales et de la santé. - Ce projet de loi traduit une inversion par rapport à la politique de ces dernières années marquée à la fois par un recul des droits sociaux et une augmentation du déficit. Ce dernier, qui atteint 17,4 milliards d'euros en 2012 pour le régime général et le fonds de solidarité vieillesse (FSV), devrait en effet être ramené à 13,9 milliards en 2013 alors que, dans le même temps, le rôle de la protection sociale sera réaffirmé.

Il s'agit d'un PLFSS de protection, qui ne prévoit pas en effet de déremboursements ou de remises en cause des droits sociaux car les efforts demandés porteront sur l'organisation du système et non sur les assurés.

La priorité donnée à la santé se traduira par une croissance de l'objectif national des dépenses d'assurance maladie (Ondam) de 2,7 % contre 2,5 % en 2012, soit un effort supplémentaire de 4,5 milliards, réparti entre la médecine de ville et la médecine hospitalière bénéficiant chacune d'une augmentation de 2,6 %, et les dépenses médico-sociales en hausse de 4 %.

Nous avons aussi la volonté d'assainir autant que possible nos régimes de retraite, toujours financièrement très fragiles malgré la réforme de 2010. Une partie des recettes nouvelles bénéficiera donc au FSV et aux différents régimes, des efforts spécifiques étant demandés pour équilibrer la caisse nationale de retraite des agents des collectivités locales (CNRACL) ou celle des industries électriques et gazières ; le prélèvement instauré sur les retraités alimentera la politique de lutte contre la perte l'autonomie. Le texte prévoit aussi des mesures positives pour les travailleurs de l'amiante, qui pourront prendre leur retraite à soixante ans quel que soit leur régime, et pour les travailleurs non salariés agricoles qui bénéficieront de points retraite gratuits en compensation des périodes d'invalidité et de maladie.

Au titre de la priorité donnée à la famille, nous avons déjà instauré le tiers payant des dépenses de garde d'enfants pour les familles modestes et augmenté de 25 % l'allocation de rentrée scolaire pour un coût de 350 millions d'euros. Un milliard d'euros de recettes ont été affectés à la branche famille pour financer cette dépense et compenser le déséquilibre financier de la branche. Au total, le déficit est stabilisé ; sans cet effort, il se serait aggravé de 700 millions.

Enfin, la prise en charge à 100 % des interruptions volontaires de grossesse a été décidée.

Notre projet s'inscrit donc résolument dans une perspective de maintien et d'extension des droits car il ne s'agit pas seulement de répondre à des besoins sociaux mais aussi, plus que jamais en cette période de tourmente due à la crise, de réaffirmer le rôle central de la protection sociale dans la cohésion républicaine.

Le redressement des comptes ne reposera pas sur les assurés mais passera par une politique de modernisation qui concernera notamment l'assurance maladie, la branche vieillesse faisant l'objet d'une réforme spécifique et globale en 2013, annoncée lors de la conférence sociale de juillet dernier.

Premier pilier de cette modernisation, une politique d'économies renforcée, portant sur 2,4 milliards d'euros dont environ 1 milliard au titre de la politique du médicament et 650 à 660 millions pour l'hôpital, au travers d'une réorganisation des parcours, la maîtrise des dépenses de médicament et la rationalisation des achats. Le reste des économies sera réalisé par la médecine de ville grâce à une baisse des tarifs de certaines professions, davantage de maîtrise médicalisée et, là aussi, une meilleure organisation des parcours.

La réorganisation du système de soins constitue le second pilier de cette politique avec pour fil conducteur l'égalité d'accès aux soins, mise à mal par la croissance non maîtrisée des tarifs ou la constitution de déserts médicaux. Près de 20 % des Français ont renoncé à des soins ou les repoussent pour des raisons financières : ce n'est pas satisfaisant.

Pour l'instant, aucune mesure financière particulière n'est prévue dans la loi car les négociations sur les dépassements d'honoraires sont en cours. Notre action en matière d'organisation consistera d'une part, à revaloriser les missions de l'hôpital public, d'autre part, à veiller à une meilleure organisation de la médecine de proximité. Nous reprenons à cette occasion plusieurs propositions du rapport sur le financement de l'hôpital public, rendu dans le cadre de la mission d'évaluation et de contrôle de la sécurité sociale (Mecss) par MM. Le Menn et Milon. Ainsi est-il envisagé de réintroduire dans la loi la notion de service public hospitalier, de faire en sorte que la tarification à l'activité ne soit plus le seul mode de financement des hôpitaux, de protéger les missions d'intérêt général en mettant fin à la pratique des gels de début d'année ou encore de faciliter l'accès au crédit des CHU, en les autorisant à émettre des billets de trésorerie sans passer par les communes. En outre, des concertations sont menées afin de mettre en place un pacte de confiance pour l'hôpital public dont la préparation est confiée à Edouard Couty.

Notre politique de réorganisation concerne aussi la médecine de proximité de façon à éviter les hospitalisations inopportunes, dans la mesure où, dans notre pays, on hospitalise trop et trop longtemps, constat qui ne vaut pas uniquement pour les personnes âgées.

Ceci conduit à des évolutions d'ensemble impliquant notamment la réorganisation des services d'urgence ou encore la constitution de pôles de soins pluridisciplinaires grâce au financement du travail en équipe des personnels soignants. Ces pôles prendront appui sur une expérimentation de parcours de soins menée avec les personnes âgées et dont les résultats sont attendus pour l'année prochaine.

Quant à la lutte contre les déserts médicaux, si elle appelle nécessairement plusieurs mesures, il en est une particulièrement symbolique : la création de contrats de praticiens locaux de médecine générale à destination des secteurs sous-dotés.

M. Yves Daudigny, rapporteur général. - Comme les années précédentes, le PLFSS pour 2013 prévoit des réductions de prix sur les médicaments pour environ 1 milliard d'euros. Mais n'allons-nous pas toucher rapidement les limites d'un tel mécanisme ? Comment accroître la part des génériques qui ne représentaient que 13 % du marché des médicaments remboursables en 2011, soit moins que chez nos voisins ?

L'an passé, le Parlement a voté la création d'un fonds d'intervention régional (Fir) assurant une certaine fongibilité des crédits gérés par les agences régionales de santé (ARS). Comment cette réforme se met-elle en place, notamment en ce qui concerne la permanence des soins qui représente l'enveloppe la plus importante ? Avez-vous l'intention d'élargir encore ce fonds ? Alors que le Fir est abondé par des crédits de l'assurance maladie et de l'Etat, ces derniers devraient, d'après le PLF, passer de 182 millions d'euros en 2012 à 150 millions en 2013, soit une réduction de 32 millions. Quel sera donc le montant, fixé par arrêté, de la dotation que l'assurance maladie devra verser au Fir en 2013 ?

La convention qui lie l'assurance maladie aux centres de santé expirant prochainement, comment le Gouvernement entend-il renforcer la place de ces structures qui pratiquent tiers payant et tarifs opposables ?

Face aux évolutions des besoins de santé et de la démographie médicale, comment avancer concrètement vers une meilleure répartition des compétences entre les différents professionnels de santé : médecins, infirmiers, sages-femmes, masseurs-kinésithérapeutes... ?

Peut-on connaître les objectifs du Gouvernement dans les négociations sur les dépassements d'honoraires qui devraient s'achever très prochainement ?

Mme Christiane Demontès, rapporteure pour la branche vieillesse. - Pourquoi la contribution additionnelle payée par les retraités pour financer la politique d'autonomie est-elle versée au FSV et non à la Caisse nationale de solidarité pour l'autonomie (CNSA) qui est normalement en charge de cette politique ?

Quel sera le calendrier de la réforme sur la dépendance ?

Comment analysez-vous la hausse du déficit du FSV, qui passe de 3,4 milliards en 2011 à 4,1 milliards en 2012 alors que, lors de la réforme 2010, il avait été annoncé que ce déficit se réduirait du fait du recul de l'âge légal ?

De même, à l'occasion de cette réforme, avait été évoqué un retour à l'équilibre de la branche vieillesse en 2017, perspective contredite par les chiffres actuels qui laissent, pour cette même année, entrevoir un déficit de 8 milliards d'euros. Un rendez-vous en 2013 avait été annoncé. Débouchera-t-il sur une nouvelle réforme et si oui, selon quel calendrier ?

Enfin, nous sommes très sollicités à propos des conséquences de la suppression de l'allocation équivalent retraite (AER) fin 2010 qui, si elle ne concerne pas directement la sécurité sociale, laisse néanmoins nombre de nos concitoyens, et surtout de concitoyennes, dans des situations dramatiques. Qu'envisagez-vous ?

Mme Isabelle Pasquet, rapporteure pour la branche famille. - Pourquoi n'est-on malheureusement pas revenu sur la décision du précédent gouvernement visant à reporter de trois mois la date de revalorisation des prestations familiales ?

Dans son rapport de septembre sur les comptes de la sécurité sociale, la Cour des comptes critique l'effet faiblement redistributif des prestations familiales sous conditions de ressources et appelle plus largement à repenser l'architecture de l'ensemble de notre politique familiale. Comment réagissez-vous à ces observations et comment comptez-vous engager ce vaste chantier ?

M. Ronan Kerdraon, rapporteur pour le secteur médico-social. - Je tiens à saluer la triple ambition affichée par la ministre : protéger les Français au moment où, faute de moyens, ils sont près d'un quart à renoncer à se soigner, redresser les comptes sociaux et réorganiser notre système de sécurité sociale pour le rendre plus efficient de façon à en assurer la pérennité. Vous jouez la carte de la solidarité, ce dont on ne peut que se féliciter.

Je me félicite de même de la croissance de 4 % de l'Ondam médico-social, cette hausse étant de 4,6 % pour les personnes âgées et de 3,3 % pour les personnes handicapées. Ceci représente 18 milliards, dont 650 millions d'euros de mesures nouvelles. 50 millions sont destinés à la modernisation de soixante-dix établissements, l'ensemble des acteurs saluant la priorité donnée aux établissements existants dont les moyens progressent de 1,4 % contre 0,8 % en 2012. Si j'avais regretté, l'an dernier, l'absence d'avancées en matière d'autonomie, tel n'est pas le cas cette année, grâce aux perspectives ouvertes par l'article 16 du PLFSS relatif à la contribution additionnelle de solidarité pour l'autonomie.

Ma première question concerne la convergence tarifaire pour les établissements d'hébergement pour personnes âgées dépendantes (Ehpad) : alors que sa suppression est attendue, sa poursuite pourrait ne pas être sans conséquence sur l'emploi. Pourquoi dès lors ne pas procéder à un gel, ce qui enverrait un signal politique fort ?

Si l'article 53 réduisant à un an le délai de facturation à l'assurance maladie des prestations des établissements pour personnes handicapées ne pose pas de problème de principe, une difficulté existerait toutefois du fait des délais de notification des maisons départementales des personnes handicapées (MDPH). Il semble en effet que sans notification individuelle, aucune facturation ne soit possible.

Quid des contrats pluriannuels d'objectifs et de moyens (Cpom) dans le secteur médico-social alors que les décrets d'application de la loi HPST (hôpital, patients, santé et territoires) ne sont pas parus sur ce point ?

Je salue les propos volontaristes concernant les personnes handicapées vieillissantes ainsi que la mission confiée à notre collègue Claire-Lise Campion sur l'accessibilité. Je souhaiterais connaître les contours et le calendrier de celle-ci.

Enfin, je confirme que nous sommes très sollicités à propos de la suppression de l'AER.

M. Jean-Pierre Godefroy, rapporteur pour la branche AT-MP. - Tout d'abord deux motifs de satisfaction : la possibilité pour les travailleurs de l'amiante de tous les régimes de prendre leur retraite à soixante ans et le quasi-doublement de la majoration pour tierce personne.

La diminution prévue de 200 millions d'euros des ressources du fonds d'indemnisation des victimes de l'amiante (Fiva) lui permettra-t-elle de faire face à ses obligations ? Qu'en est-il des suites des contentieux devant la Cour d'appel de Douai ?

S'agissant du fonds de cessation anticipée d'activité des travailleurs de l'amiante (Fcaata), sera-t-il possible d'inscrire de nouveaux établissements sur la liste ouvrant droit à l'allocation ?

Pour 2013, aucun versement de la branche AT-MP à la branche vieillesse n'est prévu au titre de la retraite anticipée pour pénibilité. Cette situation va-t-elle perdurer ?

Le déficit de 1,7 milliard d'euros de la branche AT-MP est actuellement supporté par l'Agence centrale des organismes de sécurité sociale (Acoss). L'augmentation de 0,05 point de la cotisation permettra-t-elle de le réduire progressivement ? Je rappelle que parmi les observations que nous avions, Catherine Deroche et moi, formulées sur ce sujet, nous avions exclu la reprise de ce déficit par la Cades car il n'est pas concevable que l'ensemble des Français contribuent à une branche qui devrait s'équilibrer elle-même.

Enfin, nous sommes une majorité à penser, après en avoir beaucoup débattu lors de l'examen du PLFSS 2012, que la fiscalisation des indemnités journalières ne se justifiait pas dans la mesure où, conformément à l'accord qui a présidé à leur création, il s'agit bien d'indemnités plafonnées et non de salaires. Le Gouvernement va t-il réfléchir au retour à une situation plus juste ?

Mme Dominique Bertinotti, ministre déléguée chargée de la famille. - Ma réponse sur la revalorisation des prestations familiales vous semblera peut-être en demi-teinte. Alors qu'en 2012, le précédent gouvernement avait procédé à une moindre revalorisation de la base mensuelle des allocations familiales et du plafond de ressources, nous procéderons en ce qui nous concerne à la revalorisation légale, c'est-à-dire suivant l'inflation. En revanche, la date du 1er avril sera maintenue, point sur lequel François Hollande n'avait pris aucun engagement de campagne.

Nous pouvons rejoindre l'avis de la Cour des comptes sur la complexité du dispositif qui conduit même certaines familles à renoncer à demander des prestations, constat aussi partagé par le Haut Conseil de la famille. Aussi, veillerons-nous à ce que la prochaine convention d'objectifs et de gestion (Cog) avec la caisse nationale d'allocations familiales (Cnaf) prévoie des mesures de simplification.

De même, nous partageons le souci de faire en sorte que les aides soient ciblées sur les familles les plus modestes. La revalorisation de l'allocation de rentrée scolaire et le tiers payant pour garde d'enfant déjà décidés vont en ce sens.

Le travail de simplification ne fait toutefois que commencer, l'ensemble des partenaires sociaux ayant, au cours de la conférence sociale de juillet dernier, reconnu la nécessité d'une meilleure adaptation du dispositif aux besoins des familles.

Mme Michèle Delaunay, ministre déléguée chargée des personnes âgées et de l'autonomie. - Il y a quelque temps, interrogée sur le fait que la santé et la solidarité en faveur des personnes âgées ne figuraient pas parmi les priorités du budget, j'avais été amenée à rappeler qu'elles relevaient non du PLF, mais du PLFSS. L'examen de ce dernier met bien en évidence que ce Gouvernement accorde une place de toute première importance à ces sujets. Le budget des personnes âgées est un beau budget et je le porte avec fierté, avec des crédits médico-sociaux en progression de 4,6 %. En outre, la progression de 0,8 % de la masse salariale, jusqu'ici gelée, donnera plus de fluidité aux négociations et d'attractivité à un secteur difficile. Les 147 millions d'euros de crédits de médicalisation créeront entre six mille et huit mille emplois tandis que l'amendement qui sera déposé par le Gouvernement débloquant 50 millions d'euros en faveur de l'aide à domicile donnera un moment de respiration à ce secteur ainsi qu'aux départements qui ont soutenu les associations. Nombre d'emplois devraient ainsi être sauvés.

L'un des éléments forts du PLFSS est bien entendu l'inscription, dans la loi, d'un financement de la perte d'autonomie, très peu de temps après notre arrivée. Selon quel calendrier ? La réforme devrait être mise en place lors de la première moitié du quinquennat et espérons le, très vite après le 1er janvier 2014, date à laquelle la contribution exceptionnelle sera prélevée en totalité.

Monsieur Kerdraon, la réforme de la perte d'autonomie traitera non seulement du financement, mais aussi d'anticipation et de prévention, car la dépendance n'est pas inéluctable : il est possible d'agir en amont. D'où, dans le prolongement du parcours de soins déjà évoqué, la mise en place de calendriers de santé, de rendez-vous de prévention et de traitement des pertes partielles d'autonomie ainsi que des signes de fragilité dès lors qu'ils sont réversibles.

Un décret devait intervenir pour fixer les seuils au-delà desquels les Cpom deviendraient obligatoires. Toutefois, compte tenu du caractère très contraignant de cette procédure, nous préférons que le dispositif demeure volontaire tant que nous n'avons pas procédé à une réforme de la tarification, sujet auquel nous accordons beaucoup d'importance.

En matière de convergence, les travaux engagés par les représentants du secteur en 2009 avaient été interrompus dans l'attente d'une réforme de la dépendance qui est, comme vous le savez, passée par pertes et profits. C'est un sujet complexe et nous faisons actuellement en sorte de mettre au point des règles claires de tarification.

Enfin, je souhaiterais rappeler avec beaucoup d'enthousiasme et de force que le paiement de la petite cotisation additionnelle sur les retraites, largement indolore, doit être mis en regard du fait que, grâce à elle, nous posons d'ores et déjà les premières pierres du projet de loi sur la perte d'autonomie.

Mme Marie-Arlette Carlotti, ministre déléguée chargée des personnes handicapées et de la lutte contre l'exclusion. - Je salue le travail de qualité qui a été réalisé par le Sénat et, en particulier par la commission des affaires sociales, en faveur des personnes en situation de handicap. Il nous sera utile pour mener nos politiques.

L'article 53 est un article technique et de bonne gestion : il réduit le délai de facturation à l'assurance maladie des dépenses des établissements médico-sociaux. Ce délai est aujourd'hui compris entre deux et cinq ans, ce qui pose un problème de gestion. Il devient en outre très difficile de gérer les crédits de l'Ondam. La Cour des comptes et l'Inspection générale des affaires sociales (Igas) nous ont interpellés à ce sujet. Cette mesure de bonne gestion ne doit évidemment par se retourner contre les établissements, qui ne sont pour rien dans l'affaire : ce délai moyen s'explique le plus souvent par le temps de réaction des MDPH, parfois par le refus des caisses d'assurance maladie d'examiner les factures non notifiées par celles-ci. Les associations, les députés et les sénateurs s'en sont inquiétés. Mais, plutôt que de retirer l'article 53, nous allons chercher d'autres solutions : on peut par exemple donner des consignes plus précises visant à favoriser la fluidité des échanges entre les différents acteurs.

La situation des personnes handicapées vieillissantes constitue une question de société majeure. Seules 40 % des places pour adultes handicapés programmées en 2008 sont aujourd'hui installées et 60 % sont autorisées, ce qui représente respectivement 16 500 et 24 500 places. Nous accusons donc un énorme déficit concernant les adultes et faisons le constat d'une prise en compte très insuffisante des personnes handicapées vieillissantes. Nous avons toutefois renversé la vapeur, en créant 3 000 places en établissements médico-sociaux cette année.

Nous avons en outre décidé de mettre l'accent sur la dimension qualitative, grâce notamment à une revalorisation de la masse salariale. Nous souhaitons traiter les personnes handicapées vieillissantes différemment : quand on est handicapé, on est vieux très tôt et on vieillit vite. Pour cela, nous prendrons en compte l'ensemble du parcours de vie et ferons évoluer les équipements médico-sociaux : nous examinerons par exemple la possibilité de créer des Ehpad spécialisés. Sur les 2 500 places programmées par le plan en foyers de vie, moins de la moitié ont été créées à ce jour. Notre projet qualitatif a amorcé le rattrapage. Nous travaillons en outre sur le maintien à domicile ainsi que sur l'adaptation des pratiques professionnelles à ce nouveau public : nous avons mis en place, avec Mme Delaunay, un groupe de travail dédié, composé de personnalités qualifiées, et serons en mesure de répondre précisément à vos questions dès le début de l'année prochaine. La personne handicapée vieillissante sera pour nous une priorité, et ce budget nous donne les moyens de rattraper notre retard.

Mme Marisol Touraine, ministre des affaires sociales et de la santé. - M. Daudigny s'inquiétait d'un possible épuisement des pistes d'économies réalisables en matière de médicament. J'entends là une autre question : à travers les mesures significatives d'économies sur le médicament que nous proposons, ne mettons-nous pas en péril, dans un contexte difficile pour l'emploi, la vitalité de l'industrie du médicament ? En premier lieu, nous devons continuer à étendre la présence des génériques, ce qui implique de faire en sorte que davantage de médicaments soient généricables, et que les génériques soient plus souvent prescrits. Il nous faut pour cela nous associer le concours des médecins - les pharmaciens ayant été incités directement à le faire - puis avoir une négociation sur les prix : en France en effet, les prix des princeps, comme des génériques, sont sensiblement supérieurs à ceux rencontrés dans les autres pays. Vous le voyez : la politique du médicament ne se limite pas à une seule mesure, et il ne suffit pas de dérembourser la moitié du répertoire existant, comme le suggèrent certains. A ces questions, nous associerons également les patients, qui sont dans notre pays de véritables consommateurs de médicaments : l'ordonnance moyenne compte chez nous un peu moins de cinq médicaments, lorsque moins d'un seul est prescrit aux Pays-Bas ou dans les pays du Nord. Et cette pression à la prescription, on le sait, vient souvent des patients. Ce faisant, mettons-nous en cause le dynamisme de notre industrie pharmaceutique ? Celle-ci a bien sûr un rôle majeur à jouer pour favoriser notre compétitivité économique, mais on ne peut demander à la sécurité sociale de la financer par le biais d'un soutien excessivement élevé à des médicaments qui, pour certains, sont anciens, pour d'autres, sont de vrais blockbusters. La perspective de ce secteur devrait plutôt être celle de l'innovation, de la recherche, de l'investissement dans les biomédicaments, tous chantiers pour lesquels nous pouvons d'ailleurs réfléchir au soutien de l'Etat, via le crédit impôt recherche ou tout autre dispositif de compétitivité hors coût.

Je veux vous rassurer à propos du Fir, qui permet une certaine fongibilité des crédits gérés par les ARS. Vous avez constaté que les dotations provenant de l'Etat diminueraient d'environ 30 millions d'euros entre 2012 et 2013. Toutefois, on peut considérer que la prévention passe aussi par les taxes comportementales. Une partie des ressources affectées à ce titre à la Cnam sera mobilisée au profit du Fir.

S'agissant des centres de santé, qui sont chers à votre présidente - mais pas seulement ! -, j'ai rencontré récemment leurs représentants. Je leur ai dit mon attachement à la spécificité de ces centres, dont je souhaite assurer la pérennité en leur trouvant un nouveau modèle de financement. Leur équilibre économique n'est en effet pas assuré, compte tenu de l'importance qu'occupent, dans ces structures, les soins préventifs, l'éducation thérapeutique, la participation à des politiques territoriales de santé. J'ai demandé à l'Igas de formuler des propositions prenant en considération la spécificité de ces missions. Les conclusions de la mission permettront en outre de redéfinir la convention les liant à l'assurance maladie, qui doit être renégociée en 2013.

La répartition des compétences entre les différents professionnels de santé est un sujet complexe, sur lequel il est néanmoins indispensable d'avancer. Des infirmières me faisaient observer, aujourd'hui encore, qu'elles étaient compétentes pour pratiquer des vaccinations : il n'y a pas de raisons de les en empêcher. Figurant dans ce PLFSS, la rémunération des équipes pluriprofessionnelles nous permettra de tracer les contours d'une nouvelle organisation entre les différentes professions ; la mise en oeuvre du parcours de soins pour les personnes âgées nous fournira un cadre suffisamment large pour expérimenter une coopération entre les professionnels, qui doit être guidée par le souci d'éviter toute nouvelle subordination. Les professionnels paramédicaux sont notamment attentifs à ce que ces transferts de compétences n'entraînent pas de nouvelle hiérarchisation par rapport aux médecins.

La négociation relative aux dépassements d'honoraires entre dans la dernière ligne droite. Même si je n'assiste pas aux négociations, je les suis de très près. La dernière séance de négociation aura lieu demain : je souhaite qu'elle aboutisse à un accord satisfaisant. Dans le cas contraire, je ferai le choix de ne pas agréer un tel accord et proposerai, dans le cadre du PLFSS, des amendements dont vous auriez à débattre directement. L'enjeu consiste, d'une part, à garantir à nos concitoyens la transparence des tarifs qui leur sont pratiqués et de la définition du dépassement. Je ne parle pas des dépassements en général, mais de ceux, abusifs, qui doivent être sanctionnés par une procédure rapide, efficace et dissuasive. D'autre part, nous devons nous engager dans une maîtrise des dépassements non abusifs : les médecins doivent accepter de les limiter dans le temps et de garantir davantage de consultations à des tarifs abordables. Les Français doivent s'y retrouver, c'est un enjeu majeur pour leur reste à charge. Cela étant dit, rappelons qu'il y a une majorité de médecins qui exercent en secteur 1 et qui s'engagent dans des démarches de coordination pluridisciplinaires, que nous devons mieux reconnaître. Je n'ignore pas les tensions : un mouvement de grève des internes et des chefs de clinique est prévu pour demain dans les hôpitaux. Mais les Français attendent des mesures fortes. Nous leur proposons des perspectives significatives et crédibles.

A Christiane Demontès, je réponds que nous aurions pu affecter directement le produit de la contribution additionnelle de solidarité pour l'autonomie (Casa) à la Caisse nationale de solidarité pour l'autonomie (CNSA). Le Gouvernement examinera avec bienveillance les amendements qui iraient dans ce sens, car l'enjeu est bien celui-là. Quant au FSV, c'est par principe un fonds d'autant plus sollicité que la conjoncture est difficile. La nouvelle dégradation du FSV ne s'explique pas autrement. C'est la raison pour laquelle nous faisons le choix de lui apporter des financements. Il faut en effet distinguer les questions d'équilibre et de réforme des retraites d'une part, de nature structurelle, et le FSV de l'autre, pour lequel les enjeux sont conjoncturels.

La réforme de 2010 n'a pas abouti à l'équilibre financier des régimes de retraite. J'ai d'ores et déjà saisi le Conseil d'orientation des retraites (Cor) qui fera de nouvelles projections au tout début de l'année prochaine. Il présentera des analyses ciblées : sur les femmes, sur la notion de pénibilité. Je nommerai ensuite un comité des sages chargé de faire des propositions d'orientation de réformes, notamment de long terme. Nous intégrons ainsi le rendez-vous 2013 dans la réflexion globale que nous menons et dans la perspective d'une réforme qui devrait intervenir dans le courant de l'année 2013.

L'AER préoccupe à juste titre. Il existe des estimations très diverses des populations concernées et des enjeux financiers qui s'y rapportent, notamment selon la date prise en référence des licenciements et l'âge des personnes concernées. Conçue comme un dispositif de préretraite, cette allocation était prise en charge par le ministère du travail. C'est toute l'ambigüité : elle ne peut relever du PLFSS. Nous réfléchissons toutefois aux réponses à apporter dans le cadre de la réforme des retraites, ou, idéalement, avant celle-ci.

Un mot sur la convergence tarifaire dans les Ehpad. Nous ne pouvons comparer la tarification des Ehpad à la tarification hospitalière : les mécanismes ne sont pas de même nature. C'est pourquoi nous devons nous situer dans la perspective d'une tarification globale sur les établissements médico-sociaux. La convergence tarifaire hôpital-clinique concerne, elle, des actes très identifiés et procède notamment de la volonté, que certains ont assimilé à une logique entrepreneuriale, d'aligner le financement des établissements publics sur celui des établissements privés.

S'agissant du Fiva, l'impact du contentieux de Douai devrait s'élever à quelques dizaines ou centaines de milliers d'euros au maximum, qui sont parfaitement pris en compte dans son financement.

La définition du champ des établissements susceptibles d'ouvrir droit à un financement par le Fcaata ne suscitera pas de difficultés. Nous répondrons évidemment à l'ensemble des besoins qui se présentent. J'ai moi-même récemment signé des arrêtés permettant l'intégration de nouvelles entreprises dans cette liste, qui n'est pas bouclée.

Enfin, l'augmentation du prélèvement destiné à garantir l'équilibre de la branche AT-MP, telle qu'elle est fixée dans le PLFSS, devrait nous permettre d'atteindre l'objectif affiché en 2017. Dans le cas contraire, nous pourrions toujours avoir une nouvelle discussion.

M. Bernard Cazeau. - J'ai noté que le déficit conjoncturel allait être réduit et l'Ondam augmenté, ce qui est une très bonne chose, grâce à une meilleure organisation du système de santé.

Mais la sécurité sociale, en particulier l'assurance maladie, connaît aussi un déficit structurel. Vous avez certes laissé la réflexion ouverte, mais je ne vois pas encore de pistes permettant de le résorber : je n'ai rien vu sur le mode de rémunération des médecins, que nous savons totalement archaïque. S'oriente-t-on vers l'adoption, plus ou moins généralisée, d'un dispositif de tiers payant ?

Je n'ai pas compris comment vous envisagiez de réduire le coût des médicaments. On parle d'un milliard, ce n'est pas rien. S'agit-il de réduire des prix dont on sait qu'ils sont, en France, notamment pour les nouveaux médicaments, bien supérieurs à ceux constatés dans d'autres pays européens ? Ou de mettre de l'ordre dans l'éventail des médicaments, où l'on trouve beaucoup de doublons qui permettent à l'industrie pharmaceutique de mieux vivre ? Je n'ai rien vu non plus sur le gaspillage des médicaments. Réfléchit-on à adapter les méthodes retenues dans les autres pays pour réduire la boulimie des Français en la matière ?

Quant à l'implantation des médecins, je suis d'accord pour user d'actions non autoritaires : même si certains de nos collègues nous sollicitent en ce sens, ce serait une très grave erreur qui mettrait le feu aux poudres. Différentes actions ont été testées suivant les secteurs, qui concernent les maisons médicales, les aides à destination des étudiants. Mais le résultat n'est pas miraculeux, notamment dans les milieux ruraux. Le problème est plus profond que celui du choix d'une installation.

Enfin, en quoi consiste le contrat de praticien territorial de médecine générale ?

M. Jacky Le Menn. - Dans un contexte économique et financier assez dépressif, vous arrivez à nous présenter un budget qui tend à la fois à redresser les comptes, protéger les personnes et moderniser notre système social. Nous ne pouvons que vous approuver.

En matière de protection, l'absence de nouveau déremboursement est de nature à rassurer nos concitoyens ; l'augmentation de l'Ondam pour les hôpitaux et le secteur médico-social est une autre bonne nouvelle. S'agissant des réformes de modernisation, vous n'avez rien dit sur l'investissement hospitalier. Or, les attentes sont fortes. Alain Milon et moi-même avions, sous la responsabilité du président de la Mecss Yves Daudigny, posé un certain nombre de questions auxquelles il conviendrait de répondre.

Je souhaiterais en outre avoir davantage de précisions sur les missions d'intérêt général et d'aide à la contractualisation (Migac). Dans notre rapport, nous avions contesté le bien-fondé des gels des crédits, notamment sur les aides à la contractualisation. Mais il y a des politiques de santé à conduire dans le cadre de l'Ondam, et s'il devait y avoir des ajustements, ils se feraient au niveau de la tarification. Celle-ci est fondamentalement à revoir, déconnectée qu'elle est des coûts des prestations délivrées. Vous disiez vouloir retenir un certain nombre de nos propositions : pouvez-vous nous dire lesquelles ? Nous avions notamment suggéré de reporter la révision annuelle de la tarification du mois de février au 1er juillet ; en matière de recherche et d'innovation, nous avions fait des propositions radicales sur le long terme, notamment celle de basculer du support de l'assurance maladie à un support par l'Etat. Compte tenu de la situation de l'un et de l'autre, cette évolution ne sera pas immédiate, mais c'est une tendance à considérer sérieusement.

Enfin, les jalons de la prise en charge de la perte d'autonomie ont été posés. Vous les fixez dans la durée : le financement, très lourd, commence dès cette année, et reste un objectif prioritaire. Nous attendons les chiffrages...

M. Alain Milon. - Vous avez fixé l'augmentation de l'Ondam à 2,7 %, ce qui ouvre la possibilité pour la santé française d'avoir 4,6 milliards d'euros supplémentaires. La Cour des comptes avait préconisé le maintien du taux de progression de l'Ondam à 2,5 %, constatant que, établi à ce niveau en 2012, une croissance de 2,7 % avait été enregistrée. En le fixant à 2,7 % en 2013 et étant donné la situation financière de l'Etat, comment trouver les 4 milliards supplémentaires ? Etes-vous sûre que la progression de l'Ondam ne sera pas de 2,9 % ou de 3 % ? Cela serait une catastrophe pour la sécurité sociale.

En outre, envisagez-vous véritablement de supprimer le jour de carence dans les hôpitaux ?

S'agissant de la branche vieillesse, je signale à Mme Delaunay qu'on arrive toujours après quelqu'un. Avant vous, la réflexion sur la vieillesse et la dépendance ont eu lieu. Certes, elles n'ont débouché sur aucun texte, mais vous et moi avons assisté à des colloques sur la dépendance, la vieillesse, le cancer de la personne âgée. Et vous nous dites que ces réflexions conduiront à une loi dans la première moitié du mandat du Président de la République, soit au plus tôt dans deux ans et demi : vous nous reprochez, à nous, de n'avoir pas fait de loi sur la dépendance en un an, et vous vous accordez deux ans et demi de plus pour la mettre en place ! Des réflexions ont été faites, sur lesquelles vous pouvez vous fonder. Mais ne dites pas que rien n'a été fait.

Notre collègue Gérard Roche a déposé une proposition de loi qui doit être examinée demain par la commission des affaire sociales du Sénat, dans laquelle il propose que la Casa soit affectée immédiatement aux départements pour remédier aux difficultés qu'ils rencontrent actuellement dans le financement de l'Apa. Pourquoi faire le choix de préfinancer une loi qui n'existe pas encore, alors qu'on sait que les départements ont des difficultés considérables ? Et pourquoi n'avoir pas dit que la Cnav a donné un avis largement défavorable à ce PLFSS ?

Je rappelle que la Fédération hospitalière de France (FHF) demande l'abandon de la convergence tarifaire des établissements médico-sociaux. Elle estime qu'elle entraînerait la perte de 80 millions d'euros pour les Ehpad, soit environ deux mille postes d'aides soignants et d'infirmiers.

Votre PLFSS prévoit enfin, dans la branche famille, une expérimentation sur certains territoires, destinée à faciliter la garde d'enfants de bénéficiaires du RSA ayant trouvé un emploi : il s'agit de verser en tiers payant le complément de libre choix du mode de garde. Mais qui va payer ? Les collectivités locales vont-elles être mises à contribution ?

Mme Michelle Meunier. - Merci pour cette présentation à la fois claire, fouillée, et précise dans chacune des quatre branches de la sécurité sociale. Madame Delaunay, une partie de votre budget favorisera une progression salariale globale, notamment dans les Ehpad et les établissements recevant du public âgé. Mais je voulais votre avis sur l'avenir de la convention collective dite « 1951 » des établissements privés à but non lucratif. Il y avait hier un mouvement social très suivi en Loire-Atlantique et, je suppose, dans d'autres départements. Les établissements pour personnes âgées ne sont pas les seuls concernés par cette convention collective : les secteurs des personnes handicapées et de la protection de l'enfance le sont également. Avez-vous des informations récentes à nous donner à ce sujet, et pouvez-vous nous dire si la négociation sociale aura bien lieu comme on l'espère ?

M. Marc Laménie. - Je serai aussi objectif qu'Alain Milon pour rappeler que tout n'a pas été négatif dans le passé. Nous sommes conscients que les recettes stagnent voire régressent. Mais vous proposez une maîtrise des dépenses, ce qui était aussi le cas précédemment. Les déserts médicaux étaient, pareillement, une préoccupation de vos prédécesseurs.

J'ai écouté avec attention l'intervention de Mme Carlotti sur la perte d'autonomie, les Ehpad et, plus particulièrement, le maintien à domicile. Je soutiens tout ce qui peut être fait pour le promouvoir et souhaite rendre hommage au travail réalisé, dans ce cadre, par les personnels de terrain, en dépit des difficultés financières que rencontrent de nombreuses associations. De précédents dispositifs ont joué un rôle important, comme le plan Alzheimer. Reste que certains établissements, privés comme publics, manquent encore de personnel, et malgré le grand dévouement de celui-ci, la tâche reste immense. Que peut-on faire ?

M. René Teulade. - Nous ne pouvons qu'adhérer à l'effort d'information et de responsabilisation auquel nous encouragent les ministres et devrions tous prendre part. Tous les renseignements fournis contribuent à éclairer la situation présente et serviront à préparer l'avenir. J'ai le souvenir très douloureux de la loi de janvier 1993 relative aux relations entre les professions de santé et l'assurance maladie, que nous avions fait voter avec l'accord de toutes ces professions, y compris celui du docteur Beaupère. Cette loi n'a jamais été appliquée, car le changement de majorité a précipité le texte aux oubliettes. A ce jour, nous n'avons pas réussi à concilier les deux logiques contradictoires sur lesquelles repose notre protection sociale : une prescription libérale et des prestations socialisées. En l'absence d'une responsabilisation permanente du prescripteur qui ouvre les dépenses, et du consommateur soumis aux aléas de l'existence, nous n'arriverons pas à trouver un équilibre économique et financier.

Vous êtes en train de renverser la vapeur. Il faut persévérer. Considérez le secteur du troisième âge et de la retraite : arrêtons cette dramatisation économique de l'allongement de l'espérance de vie ! Développons au contraire les mécanismes de solidarité entre les générations. L'allongement de l'espérance de vie est tout de même le résultat extraordinaire des conquêtes médicales et de la recherche. Arrêtons également de parler de fin d'activité professionnelle, car cela sous-entend souvent la fin d'activité économique et sociale. Or, nous avons fort heureusement dans nos municipalités tout un secteur associatif composé de personnes engagées dans de telles activités, contribuant ainsi à faire vivre notre démocratie.

Nous ne pouvons qu'approuver entièrement l'effort d'information et de communication que vous êtes en train de faire et nous devons vous y aider très activement.

Mme Aline Archimbaud. - Pour atteindre les objectifs que vous avez fixés, et que je partage, avez-vous réfléchi, pour diminuer les dépenses de santé et améliorer l'offre de soins, à la prévention sous toutes ses formes ? Cela comprend le temps qui pourrait être donné aux professionnels dans leurs relations avec les patients. On ferait certainement beaucoup d'économies de cette façon.

M. Claude Jeannerot. - Merci d'avoir ouvert des perspectives sur les préoccupations qui sont les nôtres, et largement portées et partagées par nos concitoyens : je pense aux propos de Mme Delaunay sur la prise en charge du maintien à domicile, dont j'ai compris que nous obtiendrons un effet immédiat. Merci en outre d'avoir rappelé les intentions du Gouvernement en matière de prise en charge de la dépendance. Je reviens néanmoins sur la situation extrêmement grave que connaissent les départements. Ce que vous avez dit est bel et bon pour l'avenir, mais n'apporte pas de solutions pour la situation présente. Je pourrais prendre de nombreuses allocations universelles de solidarité comme la prestation de compensation du handicap (PCH) ou le revenu de solidarité active (RSA), mais je me limiterai à l'Apa. Dans mon département, et je sais que Mme la ministre des affaires sociales et de la santé y est sensible pour avoir occupé les fonctions de présidente de conseil général, l'Apa représente 50 millions d'euros. La CNSA prend en charge 24 % de ce montant, soit 12 millions d'euros. Le différentiel restant à la charge du contribuable local s'élève donc à 37 millions d'euros. Cette somme permettrait de construire deux collèges neufs ! Deux questions sont ainsi posées : comment organise-t-on la solidarité en direction des personnes les plus dépendantes, et comment organise-t-on son financement ? Dans une période de très faible croissance, où les collectivités ont le devoir de contribuer au développement économique, les conséquences que supportent dès lors les départements sont très dommageables à la croissance et à leurs capacités à préparer l'avenir de nos territoires. Je suis conscient que la question est connue, le constat partagé, mais je veux de cette façon me faire le porte-parole de l'ensemble des élus des conseils généraux.

M. Guy Fischer. - Lors du débat sur la loi HPST, j'étais notamment intervenu sur la carte hospitalière. J'avais constaté que la diminution du nombre de lits pourrait être importante : je l'avais évaluée à 20 000. Aujourd'hui, on assiste à son accélération, que je constate en tout cas dans l'agglomération lyonnaise, avec des regroupements surprenants qui associent le privé et le public. Dès lors que l'hôpital public représente 50 % des dépenses d'assurance maladie, je comprends la volonté de rationaliser l'emploi de l'argent public. Mais pouvez-vous nous rassurer, ou à tout le moins préciser, votre politique en matière de restructuration de la carte hospitalière ?

Mme Marisol Touraine, ministre des affaires sociales et de la santé. - Nous prolongerons sans doute ce débat en séance, car certaines questions sont majeures.

Quand vous vous faites, M. Jeannerot, le porte-parole des présidents de conseils généraux, vous êtes en réalité le porte-parole de l'ensemble des élus locaux. Vous avez rappelé que j'ai occupé cette fonction : il est vrai que nous y sommes pris en tenaille entre les contraintes sociales, que nous acceptons, et la réalité des moyens alloués pour gérer l'ensemble des responsabilités qui sont les nôtres. Vous avez évoqué les collèges, on pourrait évoquer d'autres enjeux moins à la mode, mais non moins utiles dans certains territoires ruraux, comme l'aménagement routier. Nous avons conscience de cette réalité et souhaitons apporter des réponses appropriées sans attendre que la loi de décentralisation fixe un cadre plus pérenne à l'action des différentes collectivités.

S'agissant du financement de l'Apa, il sera organisé dans le cadre de la réforme de la perte d'autonomie. Je ne méconnais pas l'existence de besoins plus immédiats : le Gouvernement y travaille, nos proposerons nos pistes d'orientations.

Je veux dire à Bernard Cazeau que ce PLFSS commence, d'ores et déjà, à modifier le mode de rémunération des médecins : avec le forfait de rémunération en équipe, une part de la rémunération va aux professionnels, non pour les actes qu'ils accomplissent mais pour la mise en coordination d'un travail, la prévention, le suivi, l'accompagnement d'une population. De même, l'expérimentation du parcours de santé, pour les personnes âgées dans un premiers temps, pour les maladies chroniques dans un deuxième temps, doit être l'occasion d'identifier des modes de rémunération non liés à l'acte. Je réponds incidemment à la question d'Aline Archimbaud : la prévention est un enjeu majeur de réduction des coûts et de santé publique, trop largement abandonné au cours des dernières années. Elle suppose des modes de rémunération, de financement et de prise en charge spécifiques.

La question du tiers payant est importante. Pour l'heure, nous n'avons pas pu lever l'ensemble des obstacles, notamment techniques, à sa résolution. Son absence dans le PLFSS est donc délibérée. La difficulté principale consiste à faire en sorte que le médecin soit payé à la fois par la sécurité sociale et par la complémentaire du patient. Si nous n'arrivons pas à lever cet obstacle du côté des complémentaires - cela suppose en effet l'accès à leurs données -, nous le ferons au moins du côté de la sécurité sociale, ce qui limiterait l'avance de frais de la part du patient. Une telle solution ne serait toutefois pas optimale.

La boulimie médicamenteuse est réelle. Nous essayons de peser sur les prescriptions en promouvant, via la formation des médecins, de bonnes pratiques. Nous devons aussi peser sur les pratiques hospitalières : une partie de la dépense de médicament est en effet générée à l'hôpital, qui sert ensuite de base à la dépense ambulatoire. Ces prescriptions ne sont pas toujours éclairées, en raison des programmes expérimentaux dont les hôpitaux peuvent bénéficier.

Vous m'interrogiez sur les mesures précises aboutissant à la réduction de dépenses d'un milliard d'euros : il s'agit des baisses de prix de certains médicaments princeps et génériques ainsi que de certains dispositifs médicaux, de la volonté de mettre en cohérence les prix des médicaments tout au long de leur parcours, d'évaluer le service médical rendu dans certaines spécialités... Nous proposons enfin des mesures de convergence de prix par classe thérapeutique, au sein desquelles se trouvent parfois des différences significatives.

Les praticiens locaux de médecine générale sont des médecins libéraux qui auront fini leurs études depuis deux ans ou plus, qui auront vocation à s'installer dans des lieux sous-dotés identifiés par les ARS, espaces ruraux ou urbains sensibles. Cette proposition est notamment adaptée aux lieux où des médecins prêts à partir en retraite souhaitent transmettre leur savoir et leur cabinet à de jeunes médecins recherchant une garantie de revenus pour s'installer tranquillement. Le dispositif consiste à verser le différentiel par rapport à un objectif de revenus préalablement identifié.

Jacky Le Menn a souhaité savoir quelles mesures spécifiques du rapport de la Mecss j'entendais reprendre. Il y a dans le PLFSS des mesures qui concernent la modulation de la T2A ; j'ai déjà indiqué la mise en place d'une commission transparence et qualité qui, dès le début de l'année prochaine, permettra d'évaluer les mécanismes de financement souhaitables pour l'hôpital public en matière de formation, de recherche, de missions d'intérêt général, mais prenant également en compte le coût des structures, et, éventuellement, la localisation des établissements. Les Migac ne seront donc pas gelées. Nous procéderons à l'inverse à un gel des tarifs hospitaliers pour pouvoir disposer de cette réserve.

Nous voulons en outre engager des investissements grâce au niveau de progression de l'Ondam que nous avons défini et rechercher des financements complémentaires. Je travaille actuellement avec la Banque européenne d'investissement afin engager un plan massif de constitution d'hôpitaux d'avenir. L'hôpital moderne doit l'être au point de vue des structures, mais également de sa conception : les parcours de soins doivent y être mieux définis, les systèmes d'information plus efficaces.

Je réponds à Alain Milon : l'évolution de l'Ondam a été fixée à 2,7 %. Mais l'enjeu n'est pas d'avoir, par principe, une augmentation des dépenses. La tendance spontanée de progression des dépenses étant supérieure à 2,7 %, nous réalisons quand même 2,5 milliards d'euros d'économies. J'ajoute que ce 0,2 % de hausse d'Ondam supplémentaire n'est pas là pour la consommation courante mais pour faire des réformes de structure, favoriser l'investissement immobilier et la mise en place de nouveaux parcours de soins, expérimenter des formes d'organisation. De surcroît, 0,2 % d'Ondam, c'est seulement 350 millions d'euros.

Quant au jour de carence, il ne figure pas dans le projet de loi. La ministre de la fonction publique mène de façon globale les discussions pour les trois fonctions publiques.

Madame Meunier, il n'est pas question que je donne mon agrément à la révision de la convention collective nationale « 1951 » tant que de vraies négociations n'auront pas eu lieu. Je le dis fermement, comme je l'ai indiqué aux représentants des salariés : la négociation doit reprendre et je ne me contenterai pas d'une commission mixte paritaire de façade : qu'elle discute six semaines ou deux mois ne changera rien si elle répète la même chose. Pour aboutir à un compromis, il faut que les gens bougent, et ce n'est pas encore le cas...

Monsieur Teulade, nous sommes en effet à un moment charnière de la réorganisation du système de santé. Notre système socialisé doit répondre aux besoins de la population : si nous voulons réussir, il faut responsabiliser ses acteurs, ce qui passe notamment pour les professionnels par des mécanismes de rémunération plus adaptés.

Monsieur Fischer, restructurer pour restructurer ne sert à rien ; c'est ce que nous montre le rapport de l'Igas « Fusions et regroupements hospitaliers : quel bilan pour les quinze dernières années ? » : en se cantonnant à des objectifs purement financiers, on obtient des résultats catastrophiques. Interrogeons-nous plutôt sur les besoins de santé d'un territoire : comment les structurer, comment y répondre, comment les articuler ? A la fin des années 1990, je n'ai pas attendu la loi HPST pour procéder à une restructuration entre deux hôpitaux, signer une convention entre un hôpital local et le CHU dans mon département. Nous avons sauvé l'hôpital local en permettant à des chirurgiens du CHU d'y intervenir ponctuellement. Au total, nous avons mieux répondu aux besoins de la population et à ceux du territoire, mieux structuré l'offre hospitalière et amélioré la qualité du service. C'est dans cette perspective que nous devons travailler.

Mme Michèle Delaunay, ministre déléguée. - M. Le Menn m'a interrogée sur le financement du projet de loi sur la perte d'autonomie. A partir du 1er janvier 2014, la contribution de 0,3 % sur les revenus des retraités y pourvoira mais, bien entendu, seulement partiellement. Vous pouvez cependant compter sur mon imagination qui est, comme celle de mes collègues, sans limites, pour trouver le reste. J'ai reçu l'assurance du Premier ministre : nous aurons des moyens pour que cette réforme ait un impact réel sur la vie des Français, qui sont concernés à 100 %. Tout le monde est pleinement conscient de l'importance de l'enjeu et les Français sont préparés à cet effort.

Monsieur Milon, vous me pardonnerez de vous taquiner un peu : vous avez raison, pendant cinq ans quelque chose a été fait : vous avez fait naître beaucoup d'attentes...

M. Alain Milon. - Nous en reparlerons en séance !

Mme Michèle Delaunay, ministre déléguée. - ... et beaucoup de prises de conscience. Attention, je n'ai jamais dit que vous n'aviez pas travaillé sur le sujet : j'ai moi-même été présidente d'un groupe de travail sur la politique de l'âge, et je connais les efforts accomplis dans ce domaine, notamment par Mme Bachelot qui a pris le sujet très à coeur et a évolué, si j'ose dire, dans notre direction. Les travaux menés pendant ces années sont importants : les rapports sont sur nos bureaux et nous les utiliserons. Mais il est vrai, et c'est ce que j'ai voulu dire, que pendant cinq ans, on promettait sans cesse un projet de loi pour le trimestre suivant, et que finalement rien n'a été conclu.

Sur la convergence, je n'ai pas grand-chose à ajouter : les deux mille emplois pour le service public, les Ehpad publics notamment, ne sont pas confirmés, mais nous y serons très attentifs lors de la discussion générale sur la tarification.

Je partage le souhait de M. Laménie de valoriser le travail des personnels intervenant auprès des personnes âgées, à domicile ou en établissement. Effectivement, ces emplois requièrent un fort engagement et les possibilités actuelles de carrière sont limitées : notre plan de restructuration vise aussi à accroître leur professionnalisation et revaloriser les carrières, de même, madame Archimbaud, qu'à impliquer davantage ces équipes dans le domaine de la prévention.

J'embrasserais presque M. Teulade pour avoir évoqué la nécessité de changer l'image des personnes âgées et souligné l'immense progrès que constitue l'allongement de la durée de la vie. Disons le haut et fort : les personnes âgées, dont je fais partie et j'en suis fière, constituent une force dans tous les domaines, elles sont la colonne vertébrale de la cohésion sociale. Sans elles, comment se porteraient et agiraient le pays, les familles, les partis politiques, de droite ou de gauche ? Ayons tous la volonté de changer notre image et de dire « nous »... même s'il existe une petite réticence du côté de ces messieurs !

Mme Marie-Arlette Carlotti, ministre déléguée. - Je tiens à remercier M. Laménie de soutenir l'action du Gouvernement pour la création et le développement des services à domicile. Le Gouvernement engagera 50 millions d'euros pour l'emploi dans ce secteur qui vient d'être sinistré : entre 2010 et 2011, l'aide à domicile dans le secteur associatif a perdu 5 % de ses effectifs, soit 16 000 emplois. Cette aide exceptionnelle devrait lui permettre de passer ce cap. Elle a été décidée compte tenu du formidable gisement d'emplois que constitue le secteur, qu'il s'agisse de prévention ou d'accompagnement spécialisé pour les personnes en perte d'autonomie, qu'elles soient âgées ou en situation de handicap. Bien sûr, il faut aussi créer des places en établissement : mais n'opposons pas les uns aux autres, travaillons plutôt à des passerelles. A la fin de l'année 2012, nous réaliserons une évaluation des besoins et, en 2013, nous procéderons au rattrapage dans les deux secteurs, aide à domicile et création de postes en établissement.

Mme Annie David, présidente. - Je vous remercie pour vos réponses très complètes.

Mercredi 17 octobre 2012

- Présidence de Mme Annie David, présidente -

Loi de financement de la sécurité sociale pour 2013 - Audition de MM. Jean-Louis Deroussen, président du conseil d'administration, et Hervé Drouet, directeur, de la Caisse nationale d'allocations familiales (Cnaf)

Au cours d'une première réunion tenue dans la matinée, la commission procède à l'audition de MM. Jean-Louis Deroussen, président du conseil d'administration, et Hervé Drouet, directeur de la Caisse nationale d'allocations familiales (Cnaf) sur le projet de loi de financement de la sécurité sociale pour 2013.

Mme Annie David, présidente. - Je suis heureuse d'accueillir M. Jean-Louis Deroussen, président du conseil d'administration de la Caisse nationale d'allocations familiales (Cnaf), accompagné de M. Hervé Drouet, directeur, et de Mme Patricia Chantin, chargée des relations avec le Parlement.

Nous vous avions reçu le 18 juillet dernier pour un échange sur les conclusions de la Cour des comptes dans le cadre de la certification des comptes des organismes de sécurité sociale. Nous souhaitons aujourd'hui aborder avec vous l'impact du projet de loi de financement de la sécurité sociale pour 2013 sur la branche famille, tant en matière de recettes que de dépenses et, plus généralement, l'évolution générale de la situation financière de la branche et ses perspectives pour les années à venir.

M. Jean-Louis Deroussen, président du conseil d'administration de la Cnaf. - Dans ce projet de loi de financement, peu de mesures vont impacter directement la Cnaf.

Le déficit prévisionnel de la branche famille devrait passer de 2,5 milliards d'euros en 2012 à 2,6 milliards d'euros en 2013.

Alors que nous avions retrouvé un quasi équilibre de nos comptes avec l'arrivée à maturité de la prestation d'accueil du jeune enfant (Paje), la Cnaf s'est vue confier la prise en charge progressive des majorations de pensions pour les parents de trois enfants et plus, afin de soulager le fonds de solidarité vieillesse (FSV), ce qui a représenté un coût global d'environ 5 milliards d'euros.

En matière de dépenses, nous avons connu en septembre dernier une majoration significative de l'allocation de rentrée scolaire (ARS) de 25 %, pour un montant annuel de plus de 300 millions d'euros.

64 % de nos recettes étant liés aux cotisations assises sur le travail, celles-ci, du fait de la situation économique actuelle, risquent de ne pas augmenter de façon significative.

Une part non négligeable de la contribution sociale généralisée (CSG) qui nous était affectée a été transférée à la Caisse d'amortissement de la dette sociale (Cades) en 2011 ; en échange de ces 0,28 point, nous avons bénéficié de l'affectation de diverses taxes dont le rendement est difficile à apprécier, comparé à une recette aussi dynamique que la CSG.

Par ailleurs, nous travaillons actuellement avec l'Etat à l'élaboration de notre prochaine convention d'objectifs et de gestion (Cog) pour déterminer les futures orientations stratégiques de la branche. S'agissant de la Cog qui se termine en décembre, le bilan est en cours.

L'un des grands objectifs qui nous avait été assigné pour la période 2009-2012 était la mise en place du revenu de solidarité active (RSA), puis son extension aux jeunes et aux départements d'outre-mer. Cette simultanéité en matière de minima sociaux a engendré des charges de travail importantes. Parmi les autres missions nouvelles, on compte la création des commissions spécialisées de coordination des actions de prévention des expulsions locatives (Ccapex) ou la trimestrialisation de l'allocation aux adultes handicapés (AAH).

Il a fallu gérer ces missions nouvelles à moyens constants. Même si cela amène parfois des tensions significatives dans les caisses, nous respectons le délai de traitement des dossiers de moins de quinze jours, exigé par les pouvoirs publics.

Un autre objectif était de dynamiser la création de places d'accueil nouvelles pour les jeunes enfants, avec 100 000 places en accueil collectif et l'équivalent en accueil individuel. En quatre ans, 80 % de l'objectif aura été atteint. Il faut toutefois attendre la fin de l'année et la remontée des dernières informations pour être en mesure de présenter un chiffre exact.

La départementalisation constituait un autre défi à relever. Nous avions pris l'engagement devant le conseil d'administration, en 2007, de la réaliser dans le courant de la Cog 2009-2012. La mission est aujourd'hui remplie dans tous les départements excepté dans les Pyrénées-Atlantiques. On compte désormais une caisse d'allocations familiales (Caf) par département, avec une organisation spécifique pour le Nord, où le nombre important d'allocataires nécessitait une proximité de terrain à travers des conseillers territoriaux. Tout tourne aujourd'hui correctement.

M. Yves Daudigny, rapporteur général. - Pourriez-vous dresser un panorama des relations que les Caf entretiennent avec les conseils généraux s'agissant de la gestion du RSA ? Il nous revient en effet des échos variables selon les territoires. Comment les choses se passent-elles ? Qui organise ces relations et celles-ci sont-elles satisfaisantes ?

Mme Isabelle Pasquet, rapporteure pour la branche famille. - Quel est le manque à gagner pour la branche, en 2012 et en 2013, résultant du transfert à la Cades de 0,28 point de CSG ? Par ailleurs, entre la loi de finances rectificative de l'été 2012 et le projet de financement de la sécurité sociale pour 2013, la branche famille se voit affecter un milliard d'euros de ressources nouvelles. D'où proviennent ces recettes ? Quelle sera leur incidence sur le solde de la branche ?

Quel avis portez-vous sur l'article 71 du projet de loi prévoyant le versement en tiers payant du complément de libre choix du mode de garde (CMG) pour les familles modestes ? Quel problème peut-il éventuellement poser ?

Quelles sont les raisons ayant justifié le vote négatif du conseil d'administration de la Cnaf sur le PLFSS 2013 ?

Vous avez fait état du bilan de la Cog qui s'achève à la fin de l'année. Où en sont les négociations pour la Cog 2013-2016 ? Quels devraient en être les grands axes ?

Enfin, dans son dernier rapport, la Cour des comptes appelle à réviser le dispositif des prestations familiales soumises à conditions de ressources et, plus globalement, à moderniser l'architecture et les outils de la politique familiale. Comment réagissez-vous à ces recommandations ?

M. Jean-Louis Deroussen. - Lors du lancement du RSA, les relations avec les conseils généraux ont été délicates, un délai très contraint nous ayant été imposé. Nous avons dû mettre en place de nombreux traitements informatiques à partir de systèmes largement incompatibles. Aujourd'hui, ces questions sont réglées. D'une façon générale, les Caf et les conseils généraux travaillent sur ce dossier de concert, même si tout reste perfectible.

Nous avons réalisé à votre intention une note précise sur le bilan du transfert d'une fraction de CSG à la Cades. Nous vous indiquerons également la manière dont le milliard d'euros de recettes supplémentaires se répartit.

S'agissant de la question du tiers payant, il peut arriver que dans certaines situations de précarité, des familles - le plus souvent monoparentales - soient dans l'incapacité d'avancer les frais induits par le recours à une assistante maternelle, ce qui fait obstacle à la reprise d'un emploi. Le dispositif proposé par le projet de loi nous convient ; il a d'ailleurs été salué par le conseil d'administration. Nous espérons que cette expérimentation portera ses fruits et ira dans le bon sens.

Les raisons du vote négatif du conseil d'administration sur le PLFSS sont diverses. Les organisations patronales ont peut-être tenu compte avant tout de l'orientation politique générale du texte. Certaines organisations syndicales ont quant à elles considéré que ce PLFSS ne comportait pas de véritables mesures nouvelles, en particulier au regard des négociations sur la Cog concernant les missions de la branche.

Qu'attend-on de la prochaine Cog ? Sans aucun doute, l'amélioration de l'offre d'accueil du jeune enfant, laquelle ne répond pas aujourd'hui à l'ensemble des demandes des familles. Manque-t-il 300 000 places ou 500 000 ? Il est difficile de connaître le chiffre exact... En tous les cas, poursuivre cet objectif est essentiel.

Le soutien à la parentalité a également constitué une demande forte, exprimée par la ministre déléguée à la famille. Certaines mesures, issues des travaux du Comité national de soutien à la parentalité, vont se mettre en place.

Parmi les autres questions qui nous préoccupent, figurent les difficultés de logement de nos allocataires. Comment améliorer l'offre et la solvabilisation des familles à proximité du lieu de travail et dans les métropoles où le coût du logement est le plus élevé ? Bien des efforts sont encore nécessaires dans ce domaine.

Nous nous interrogeons également sur la modification des rythmes scolaires. Quelles interventions va-t-on demander aux Caf dans la prise en charge périscolaire ? Nous voudrions pouvoir apporter les réponses les plus adaptées possibles...

M. Hervé Drouet, directeur de la Cnaf. - Compte tenu des délais de mise en place du RSA, les relations avec les conseils généraux ont connu quelques difficultés opérationnelles, mais les choses se sont stabilisées et nous sommes en train de négocier la seconde génération de conventions de gestion entre les caisses et les départements. On constate une grande diversité de situations en termes de partage de l'instruction des dossiers, certaines Caf se chargeant de la totalité de la tâche alors que, dans certains départements, c'est le conseil général qui en réalise la plus grande partie. Il faut aussi distinguer les grandes villes des zones rurales. On trouve presque autant de solutions que de départements, ce qui est normal étant donné la gestion décentralisée de cette prestation. Les conventions de gestion sont donc très hétérogènes en la matière.

On constate aussi que les délégations des conseils généraux aux Caf sont d'ampleur variable selon les territoires. En dehors de l'instruction et du paiement, il peut y avoir, en matière de contrôle, de sanctions ou d'accompagnement social de certains publics, des partenariats localement différents selon les capacités des Caf ou les souhaits des conseils généraux. Le panorama est assez divers mais donne satisfaction. Nous ne sommes pas saisis de difficultés particulières.

Nous avons enregistré, il y a un an et demi, des difficultés dans les échanges de données de gestion, de comptabilité et de statistiques entre les Caf, les trésoreries et les conseils généraux. Afin de réduire les discordances constatées par les conseils généraux, nous avons mis en place un extranet à l'été 2011, à la suite d'un travail conjoint avec l'Assemblée des départements de France (ADF). De notre point de vue, les choses se passent bien.

Toutefois, c'est un chantier extrêmement lourd, très divers. Il faut donc être attentif à ce que, partout, les situations soient bien réglées.

S'agissant des ressources de la branche famille, une fraction de 0,28 point de CSG a été affectée à la Cades l'année dernière et compensée intégralement sur les comptes 2011 par l'affectation de trois taxes, la taxe sur les contrats d'assurance maladie, la taxe exceptionnelle sur les réserves de capitalisation, dite « exit tax », et le prélèvement de la CSG sur les contrats multisupports d'assurance vie (« préciput assurance vie »).

La taxe sur les contrats d'assurance maladie constitue, certes, une recette pérenne, mais tel n'est pas le cas des deux autres : l'« exit tax » ne rapportera plus rien à partir de 2013 et le « préciput assurance vie » voit son rendement diminuer à partir de 2012.

En 2011, le bilan de l'opération de transfert a été neutre pour la Cnaf, mais en 2012, la branche devrait perdre 100 millions d'euros. Pour compenser ce manque à gagner, des ressources supplémentaires lui ont été attribuées pour un montant de 700 millions d'euros correspondant au rendement de la taxe sur les contrats d'assurance automobile dont bénéficiait la Cnam, soit 1,1 milliard d'euros, minoré d'un transfert d'une fraction des droits à tabac à cette même Cnam. Au final, l'opération se traduirait, en 2013, par une perte de 400 millions d'euros pour la branche famille.

Mme Muguette Dini. - Les taxes sur les contrats d'assurance automobile vont-elles augmenter ?

M. Hervé Drouet. - Non, ce n'est pas une majoration, mais le simple transfert à la Cnaf d'une ressource jusqu'alors affectée à la Cnam.

Mme Michelle Meunier. - Ce PLFSS 2013 constitue, certes, un texte d'attente, mais il est aussi marqué par des avancées notables en matière d'allocation de rentrée scolaire et d'aide aux familles les plus modestes.

S'agissant de la Cog, il me semble important de tracer des pistes pour l'avenir. La ministre déléguée à la famille a justement mis en route une concertation dans quatre régions, dont les Pays de la Loire. J'y vois un intérêt, celui d'étudier ce qui se passe localement avec les professionnels et les parents qui, je pense, pourront donner leur avis.

Par ailleurs, je voudrais insister sur la nécessité de travailler avec les départements. Vous avez pris l'exemple du RSA, mais je pense également aux commissions départementales d'accueil du jeune enfant (CDAJE). Cela fonctionne en Loire-Atlantique, mais certains copilotages entre les départements et les Caf sont parfois problématiques. Quelle peut être la place de ces instances, notamment dans la perspective des évolutions de la décentralisation et des compétences des collectivités locales en matière de petite enfance ? Le conseil d'administration de la Cnaf a-t-il déjà commencé à réfléchir à ce sujet ?

M. Guy Fischer. - La rentrée scolaire a effectivement été marquée par une augmentation très sensible - voire exceptionnelle - de l'ARS de 25 %. Je crois que les familles qui en ont bénéficié l'ont appréciée.

La Cog arrivant à son terme, quelle a été l'évolution des effectifs des Caf sur la période 2009-2012 ? Cette question m'importe beaucoup car les personnels font face à des conditions de travail de plus en plus difficiles. Combien d'emplois ont-ils été supprimés ?

Aujourd'hui, nous sommes face à une explosion de la pauvreté et de la précarité. Le secours populaire, le secours catholique ainsi que toutes les grandes associations caritatives sont submergées et constatent une hausse de 20 % des demandes qui leur sont adressées.

Comment ressentez-vous cette explosion de la précarité ? Comment allez-vous vous y adapter ? Avez-vous réduit les fonds d'action sociale des Caf au minimum ou bien êtes-vous de plus en plus sollicités pour faire face à des demandes exceptionnelles ?

Mme Annie David, présidente. - Existe-t-il, dans la Cog en discussion, des pistes pour que la Caf puisse répondre à cette recrudescence de la pauvreté ?

M. Jean-Louis Deroussen. - Le conseil d'administration de la Cnaf dresse régulièrement le bilan des CDAJE. Dans certains départements, et nous le regrettons, celles-ci ne fonctionnent pas. Ailleurs, comme dans les pays de la Loire, le bilan est très positif, chacun venant avec l'expertise qui est la sienne. Il s'agit d'une instance nécessaire qui permet d'avoir connaissance de la situation et des besoins des familles. Il est important de travailler en liaison avec nos partenaires sur ce sujet : les conseils généraux, les communes et les intercommunalités. Lorsqu'un besoin est identifié et que la Caf n'a pas les moyens d'intervenir, il faut trouver le partenaire local qui pourra le faire. Ces dispositifs méritent d'être améliorés et, bien entendu, mis en place rapidement là où ils font encore défaut. C'est aussi au préfet qu'il revient de faire appliquer la loi...

Dans le même esprit, il serait bon d'obliger le Comité de soutien à la parentalité à se réunir et à travailler, pour le plus grand bien des familles.

S'agissant de nos effectifs, ils s'élèvent à 36 000 agents. Dans le cadre de la Cog actuelle, nous avions obtenu, à l'ouverture de la négociation, une augmentation de 1 257 emplois nouveaux au titre de la mise en place du RSA. Au terme de la Cog, nous enregistrons un solde positif de quatre-vingts équivalents temps plein (ETP) sur quatre ans. Il s'agit donc d'une stabilisation des effectifs.

Il faut rappeler certains chiffres : 90 millions de courriers, 19 millions de visites dans nos points d'accueil, 130 millions de pièces traitées qui viennent s'ajouter tous les ans à nos dossiers... Faute d'emplois nouveaux, nous demandons au moins une stabilisation des effectifs. Dans le cas contraire, on ne pourra, selon nous, tenir les délais de traitement des dossiers, actuellement de quinze jours pour les allocataires de minima sociaux. Certaines autres prestations - accueil du jeune enfant, allocations logement - sont parfois nécessaires pour faire vivre les familles, les loger et les nourrir. Si les Caf ne disposent pas du personnel nécessaire pour traiter ces dossiers, ce ne sera pas sans conséquences...

S'agissant du fonds national d'action sociale (Fnas), celui-ci est en augmentation de 7,5 % en moyenne sur la durée de la Cog. Le montant de 5 milliards d'euros ne sera pas atteint, les difficultés des collectivités se retrouvant aussi dans l'utilisation de nos propres fonds.

Un des points positifs tient à la pérennisation du plan pluriannuel de construction d'établissements pour l'accueil du jeune enfant (EAJE) qui n'a pas pu être mené à son terme dans le cadre de la Cog actuelle, compte tenu de la situation des finances locales, mais pourra - sauf retournement de situation - se poursuivre jusqu'en 2016.

La moitié du fonds national d'action sociale est consacrée à la petite enfance mais également au fonctionnement des centres sociaux et aux dotations particulières allouées aux caisses pour répondre aux demandes ponctuelles, qui varient d'une région à l'autre.

Mme Catherine Génisson. - Les maisons d'assistants maternels ont montré leur utilité, en particulier en milieu rural, dans la mesure où elles favorisent la rencontre entre professionnels, la mutualisation de moyens et le travail en commun. Il semble que les Caf ne prêtent pas la même attention à ces maisons selon les départements. Certaines considèrent qu'il s'agit d'une initiative strictement privée qu'elles n'ont pas à financer ; ailleurs, elles peuvent accompagner ces dispositifs. Quelle est votre position sur cette question ? Pouvez-vous me confirmer cette situation ?

Mme Isabelle Pasquet, rapporteure de la branche famille. - Qu'en est-il de l'objectif de création de 200 000 nouvelles places d'accueil et de l'application du décret du 7 juin 2010 relatif aux établissements et services d'accueil des enfants de moins de six ans pris par Mme Morano ?

M. Bruno Gilles. - Je voudrais attirer l'attention sur les maisons d'assistants maternels en milieu urbain. A Marseille, on vient de créer la première structure et nous sommes fort démunis pour venir en aide et orienter les personnes qui y travaillent - alors que l'idée est très séduisante...

M. Jean-Louis Deroussen. - La Cnaf comptabilise, à ce jour, 194 maisons d'assistants maternels. Il n'existe pas toujours de convention entre la Caf et ces maisons, la loi ne prévoyant pas d'obligation de conventionnement. Nous ne sommes donc pas nécessairement présents pour assurer l'organisation, le suivi et la qualité de ces structures. Que ce soit en milieu rural ou urbain, l'existence d'un lieu favorisant le travail en commun constitue une bonne solution...

M. Hervé Drouet. - S'agissant des créations de places, il faut s'entendre sur ce que l'on mesure exactement. On est sûr qu'une place nouvelle est créée lorsqu'un agrément nouveau est délivré par la protection maternelle infantile (PMI), mais cette place n'est pas forcément utilisée. Par ailleurs, quand un agrément est supprimé, on ne sait si cette place était effectivement utilisée ou non.

De façon commode, on raisonne en termes d'agréments nouveaux et d'équivalents places nouvelles. On a ainsi, depuis le début de la Cog, entre 20 000 et 25 000 solutions nouvelles - agréments nouveaux et équivalents places nouvelles - entre 12 000 et 15 000 agréments nouveaux et entre 8 000 et 9 000 équivalents places. C'est ce qui nous permet d'estimer que nous serons au moins à 80 % de l'objectif sur quatre ans, la tendance pour 2012 étant confirmée. Il faut confronter le nombre des places nouvelles à celui des places qui ferment. On compte environ 7 000 fermetures sur les deux premières années. Il faut aussi rapprocher ces données, reprises dans la note de bilan faite en début d'année par le Haut Conseil de la famille, de l'évolution des places disponibles en école maternelle.

Il est difficile d'isoler l'impact de l'assouplissement des normes relatives aux taux d'encadrement et aux amplitudes horaires prévu par le décret Morano. Nous constatons une intensification de la fréquentation des établissements mais nous ne sommes pas capables de l'imputer au texte en question, même s'il a probablement eu un effet en ce sens. Il faut savoir que les EAJE connaissent un taux d'occupation de l'ordre de 65 % en moyenne. Il existe donc une marge de progrès. Il est illusoire de penser que l'on peut occuper à 100 % - voire à 90 % - un équipement de ce type, les amplitudes horaires faisant que les plages de 7 heures 30 à 9 heures 30 sont moins occupées que celles de 9 heures 30 à 16 heures 30. Néanmoins, on peut aller au-delà de 65 %. Il s'agit d'un objectif de bonne gestion, nos modes de soutien étant corrélés à l'heure facturée.

Quant aux maisons d'assistants maternels, la Caf n'en a pas systématiquement connaissance. Elles émanent des porteurs de projets eux-mêmes, très souvent soutenus par une municipalité, qui met des locaux à disposition et permet d'organiser ce type d'accueil. On a renoncé à rendre obligatoires les conventions entre les assistants maternels, les collectivités et la Caf. Les situations diffèrent d'un département à l'autre. Au niveau national, nous encourageons ce dispositif qui contribue à la diversité de l'offre. Nous avons donc demandé aux Caf de recenser l'existant dans la mesure du possible et de le faire figurer sur le site « monenfant.fr » afin d'en informer les parents.

Enfin, la précarisation des publics en difficulté, éligibles à nos prestations, se répercute sur la charge de travail des Caf, l'accueil, les sollicitations, le nombre de pièces à traiter. Cela pose une question de moyens mais aussi de politique. Une conférence de lutte contre la pauvreté et pour l'inclusion sociale est en cours de préparation, sous l'égide de Marie-Arlette Carlotti. Elle devrait donner lieu à la préparation d'un plan quinquennal de lutte contre la pauvreté. Nous sommes associés à ces travaux. Un groupe de travail, présidé par Bertrand Fragonard, porte sur l'accès aux droits et sur les minima sociaux. Nous essayons de réfléchir à un meilleur accès aux droits des personnes, en particulier en simplifiant la réglementation, l'une des difficultés résidant dans sa complexité. Une réflexion pour préparer la prochaine Cog est en cours à ce sujet.

Loi de financement de la sécurité sociale pour 2013 - Audition de M. Dominique Martin, directeur des risques professionnels de la Caisse nationale de l'assurance maladie des travailleurs salariés (Cnamts)

Mme Annie David, présidente. - Nous poursuivons nos auditions sur le projet de loi de financement de la sécurité sociale pour 2013 avec M. Dominique Martin, directeur des risques professionnels de la Caisse nationale d'assurance maladie (Cnamts).

Notre commission porte un intérêt tout particulier à la branche accidents du travail-maladies professionnelles (AT-MP), comme en témoigne notamment le rapport présenté par Jean-Pierre Godefroy et Catherine Deroche dans le cadre de la mission d'évaluation et de contrôle de la sécurité sociale (Mecss) en juillet dernier.

Ce rapport s'intéressait plus spécifiquement à la situation financière de la branche et au déficit qui s'est accumulé ces dernières années et qui n'a pas été financé. Nous souhaiterions connaître votre sentiment sur le sujet et sur les perspectives de redressement.

Ce PLFSS comporte aussi plusieurs mesures concernant les victimes d'accidents du travail ou de maladies professionnelles. Nous aurons certainement des précisions à vous demander à ce sujet.

M. Dominique Martin, directeur des risques professionnels de la Cnamts. - La dette de la branche AT-MP s'est en effet creusée progressivement depuis quelques années, principalement en raison de l'augmentation régulière des transferts mis à sa charge.

Il s'agit tout d'abord de transferts à la branche maladie destinés à compenser la sous-déclaration des accidents du travail et maladies professionnelles, sur la base des travaux de la commission présidée par M. Diricq. Il s'agit aussi de transferts aux fonds relatifs à l'amiante, le fonds de cessation anticipée d'activité des travailleurs de l'amiante (Fcaata) et le fonds d'indemnisation des victimes de l'amiante (Fiva), qui ont eux aussi régulièrement augmenté au cours du temps. D'autres transferts techniques, moins importants, ont également participé au déséquilibre de la branche.

S'agissant des prestations, l'augmentation est constante mais ne pose pas de difficultés particulières du point de vue des équilibres financiers. Il existe cependant un sujet relatif aux contentieux, non que ceux-ci ne soient pas financés par la branche mais ils ne le sont que l'année d'après. Dans une situation de stabilité du risque contentieux, le financement est à peu près équilibré. Mais ce risque, lié à la contestation de l'imputation d'un sinistre sur le compte d'un employeur, a augmenté de manière rapide, les sommes provisionnées se révélant inférieures à la réalité des dépenses. Ceci participe aussi au déséquilibre financier.

On arrive aujourd'hui à une dette qui approche les 2 milliards d'euros. Le PLFSS prévoit en 2013 un excédent de 300 millions d'euros l'an prochain, en raison notamment d'une augmentation du taux des cotisations de l'ordre de 0,05 point et d'une diminution de 200 millions d'euros de la dotation au Fiva dont le fonds de roulement atteint un niveau très élevé. Par construction, cette opération ne pourra se répéter.

Quelle sera, dans les années à venir, l'évolution des transferts techniques qui constituent un des éléments essentiels du déséquilibre financier de la branche ?

Le Fcaata doit connaître une baisse programmée des dépenses puisqu'on observe une diminution des nouvelles attributions d'allocations. On dénombre en effet chaque année, pour des raisons démographiques, moins de prises en charge au titre du Fcaata que l'année précédente. Fort heureusement, l'exposition à l'amiante est désormais réduite et les personnes que l'on indemnise aujourd'hui sont celles qui se trouvaient en situation de risque il y a quelques années. On enregistre donc plus de sorties que d'entrées dans le dispositif, la file active passant de 30 000 à 26 000 personnes environ. On peut donc prévoir, toutes choses égales par ailleurs du point de vue de la législation, une évolution à la baisse de ce transfert important.

Pour ce qui est du Fiva, on n'envisage pas à ma connaissance de baisse des indemnisations ces prochaines années - sous réserve des données fournies par le fonds.

S'agissant du transfert à la branche maladie, un nouveau rapport sera produit l'année prochaine par la commission Diricq, mais la situation n'a certainement pas connu d'évolution majeure. La sous-déclaration concerne beaucoup de cancers pris en charge au titre des affections de longue durée (ALD) alors qu'ils pourraient être classés en maladies professionnelles. Il peut aussi y avoir d'autres formes de sous-déclarations qui relèvent soit de la fraude, soit de l'abus. C'est pourquoi nous disposons d'un programme de lutte contre la fraude et l'abus - absence de déclaration d'accident du travail ou incitation au retour trop précoce à l'emploi afin de diminuer la charge des indemnités journalières.

Il existe donc de nombreuses inconnues sur l'évolution des charges de transferts. Nous ne pouvons notamment pas anticiper le montant du transfert à la branche maladie qui sera retenu à partir de la prochaine étude de la commission Diricq.

La branche AT-MP dégagera un excédent pour 2013 et la dette devrait commencer à baisser. A partir de 2014, la dotation au Fiva devra cependant être réactualisée et majorée. Il faudra trouver une compensation... A partir de 2015, la situation sera telle que je viens de la décrire. Nous n'avons donc pas de certitudes à deux ou trois ans.

Je précise que lorsqu'on parle d'une augmentation du taux net de cotisation de 0,05 point, il s'agit d'un taux moyen. Le calcul de la cotisation, assez complexe, fait appel à la fois à la sinistralité des entreprises et à la mutualisation des risques entre celles-ci. La question restant à trancher est de savoir si cette augmentation de 0,05 point pèsera principalement sur le taux brut, lié à la sinistralité des entreprises, ou si elle sera mutualisée. Cet arbitrage technique fait l'objet de discussion avec les partenaires sociaux.

En cas d'augmentation du taux brut, la fédération la plus concernée par la sinistralité est celle du bâtiment ; faire principalement porter cette augmentation sur le taux brut entraînerait une charge importante pour l'économie générale du secteur. La mutualisation est plus favorable au bâtiment mais reporte une partie de l'augmentation sur des secteurs à très faible sinistralité. Un équilibre doit être trouvé entre les entreprises. Cette question devrait être rapidement arbitrée puisque la tarification devra être présentée aux partenaires sociaux lors de la commission des accidents du travail et des maladies professionnelles de novembre.

Mme Annie David, présidente. - Pouvez-vous dire un mot des principales mesures du PLFSS ?

M. Dominique Martin. - L'article 65 fait suite aux travaux d'un groupe piloté par Mme Ruellan et impliquant les administrations, les partenaires sociaux et les associations, en particulier la fédération nationale des accidentés du travail et des handicapés (Fnath). Il s'agit d'une question de fond mentionnée dans la convention d'objectifs et de gestion (Cog), à savoir la rénovation de la réparation forfaitaire, système très ancien, très en avance sur son temps à l'origine mais qui a vieilli face à l'évolution du régime de la responsabilité civile et de la jurisprudence.

Plusieurs hypothèses ont été étudiées et deux pistes principales ont été retenues. La première figure dans l'article 65 et relève de la loi. Il s'agit de l'amélioration de la majoration pour tierce personne versée à la victime, dont le montant est aujourd'hui calculé en fonction de ses revenus. L'idée est de la déterminer en fonction des besoins du bénéficiaire avec trois niveaux de prestation. Cette disposition entraînera une augmentation des dépenses au titre de la majoration pour tierce personne.

Une seconde mesure, de niveau réglementaire et ne figurant donc pas dans le PLFSS, a également été prise à la suite du rapport de Mme Ruellan : elle porte sur l'harmonisation du coefficient professionnel. Outre l'incapacité professionnelle liée de manière assez mécanique au revenu, on peut attribuer un coefficient professionnel en fonction de la situation de la personne, mesurée en points d'incapacité supplémentaires. La pratique des caisses est cependant fort inégale en la matière. Il s'agit de l'harmoniser.

L'article 66, assez complexe sur le plan technique, concerne la faute inexcusable de l'employeur en cas d'accident du travail. La victime peut engager une action devant le juge ; si elle obtient gain de cause, le Conseil constitutionnel a estimé que l'indemnisation devait être intégrale, c'est-à-dire couvrir la totalité des postes de préjudice.

En cas de faute inexcusable de l'employeur reconnue par le juge, la caisse règle la victime et elle est ensuite censée récupérer les sommes auprès de l'entreprise, par une majoration de la tarification qui peut courir sur vingt ans. C'est un mécanisme complexe, les caisses ne récupérant la somme que dans la moitié des cas. En effet, l'entreprise peut avoir disparu et la procédure peut rencontrer des obstacles. Dès lors, les sommes sont mutualisées entre toutes les entreprises, même si ce domaine n'est pas celui où la mutualisation a le plus de légitimité...

Il a donc été décidé que la récupération se ferait uniquement sous forme de capital et non par majoration des cotisations.

Par ailleurs, en cas de contestation de l'accident du travail par l'employeur, l'entreprise - bien que condamnée au titre de la faute inexcusable - pouvait ne pas payer du fait d'un défaut procédural concernant l'accident du travail lui-même !

Il convient désormais de dissocier les deux processus en considérant, même en cas de désimputation du compte de l'employeur au titre de l'accident du travail, que l'indemnisation devra être remboursée à la caisse par celui-ci au titre de la faute inexcusable.

Mme Annie David, présidente. - Le PLFSS comporte aussi une disposition qui étend à tous les salariés bénéficiaires de l'allocation de cessation anticipée d'activité des travailleurs de l'amiante (Accata) la possibilité de liquider à soixante ans leurs droits à pension.

M. Dominique Martin. - En effet, l'article 67 étend cette possibilité à tous les régimes et prévoit par ailleurs qu'on ne peut bénéficier de deux dispositifs - par exemple du dispositif de départ anticipé pour pénibilité et du Fcaata - en raison du principe de non-cumul des prestations. Cette disposition concerne les seuls polypensionnés, soit un petit nombre de personnes. Il s'agit de la généralisation d'une mesure déjà largement mise en oeuvre.

M. Jean-Pierre Godefroy, rapporteur. - L'amélioration de la prise en charge des aides à la personne constitue une mesure très intéressante. Il était anormal que celles-ci soient calculées sur le dernier salaire. La prestation sera donc fonction des besoins du bénéficiaire.

J'ai cru comprendre que la charge des majorations pour tierce personne allait passer de 50 millions d'euros à 200 millions d'euros, ce qui représentait 0,01 point sur l'augmentation prévue de 0,05 point...

M. Dominique Martin. - Le financement de cette mesure est globalisé.

M. Jean-Pierre Godefroy, rapporteur. - La subvention au Fiva sera cette année diminuée de 200 millions d'euros. Quid des années futures ? Le nombre d'allocataires diminuant mais celui des ayants droit augmentant, pensez-vous vraiment que les charges du Fiva puissent baisser au cours des années à venir ? Ce fonds ne risque-t-il pas de connaître une certaine stabilisation - voire une augmentation en cas de procédures ? Est-il normal que l'Etat se désengage complètement et supprime pour les trois prochaines années la part de la solidarité nationale ? Dans le rapport que nous avions réalisé avec Jean-Marie Vanlerenberghe et Gérard Dériot, nous avions suggéré que la part de l'Etat grimpe à 30 %...

Par ailleurs, la perspective d'excédents prévue pour la branche pour les trois prochaines années vous paraît-elle crédible compte tenu de l'augmentation de certains transferts ? L'augmentation de 0,05 point lui permettra-t-elle de retrouver un équilibre financier et d'apurer totalement sa dette ? A quelle échéance ?

Une des sources essentielles du contentieux pesant sur les finances de la branche porte sur des questions de procédures. Pensez-vous qu'il faille envisager de réglementer l'activité des cabinets spécialisés qui proposent l'optimisation des cotisations sociales, ceux-ci étant intéressés aux résultats des procédures qui représentent entre 550 et 600 millions d'euros sur un budget de 13,3 milliards d'euros ?

Les deux derniers exercices de la branche AT-MP n'ont pas été certifiés par la Cour des comptes. Où en est le dialogue avec cette institution ? Pensez-vous être en mesure d'éviter un nouveau refus de certification l'année prochaine ?

Enfin, vous avez évoqué la faute inexcusable de l'employeur. Une alternative à la mesure envisagée dans le PLFSS serait d'obliger l'employeur à s'assurer contre ce risque. Le Gouvernement a estimé cette mesure trop complexe. Quelle est votre analyse à ce sujet ?

M. Dominique Martin. - La baisse des dotations au Fiva est conjoncturelle et liée à l'état du fonds de roulement. Le Fiva a aujourd'hui de quoi faire face à son activité pour l'année qui vient, mais cela ne pourra se répéter l'année prochaine. A situation inchangée, on aura donc une charge supplémentaire de 200 millions d'euros environ à financer dans le PLFSS pour 2014... Quant à l'évolution globale des charges du Fiva, il est difficile de dire ce qu'il en sera. Je ne pense pas que l'on puisse anticiper une baisse dans l'immédiat, pas plus qu'une hausse. Je ne me prononcerai évidemment pas sur le désengagement de l'Etat, ce sujet regardant l'Etat lui-même...

S'agissant des excédents retracés dans les prévisions relatives à la branche AT-MP, ils supposent que la question soit traitée année après année. Je crois comprendre que le Gouvernement s'est engagé à ce que la branche résorbe elle-même sa dette. Cela est sain car c'est la seule à avoir une obligation légale d'équilibre.

Par ailleurs, il faut aussi développer la prévention. L'idéal serait qu'on ait le moins possible d'accidents du travail et de maladies professionnelles. Or, on observe aujourd'hui une stagnation du nombre des accidents du travail et une augmentation continue et significative de 7 % par an des maladies professionnelles, notamment des troubles musculo-squelettiques. Nous ne sommes donc pas à la veille d'une baisse des charges au titre des prestations et ceci est préoccupant. Nous travaillons sur ce sujet, qui devra prendre une place importante dans la Cog à venir.

La résorption du déficit dépendra du niveau des excédents. Si celui-ci est maintenu autour de 300 millions d'euros par an, il suffira de cinq à six ans. Mais il est difficile d'établir des prévisions à ce stade.

Ainsi que vous l'avez relevé, les contentieux impactent le déficit. Faut-il réglementer les cabinets spécialisés ? Je ne puis répondre à cette question. Il s'agit d'un sujet juridique complexe. Le directeur de la branche que je suis doit d'abord balayer devant sa porte, avant de s'occuper de ce qui se passe à l'extérieur. C'est ce qui a commencé à être fait. On observe depuis 2011 une baisse des contentieux pour inopposabilité, en raison notamment de la mise en oeuvre d'un décret de 2009, applicable à partir de janvier 2010, qui cadre beaucoup mieux la procédure, en particulier les délais de recours.

Parallèlement naissent de nouveaux contentieux, moins procéduraux mais plus médicaux. Ils ne sont pas sans lien avec la réforme de la tarification qui, de proportionnelle au risque est passée à une tarification par coût moyen et catégorie, le changement de catégorie pouvant être très significatif. C'est un sujet qui suppose une coordination médico-administrative serrée.

Nous réorganisons notre politique en matière de contentieux en vue d'un pilotage par la direction des risques professionnels sur un plan national. En amont, nous avons fait un important travail d'harmonisation des procédures entre les caisses, qui a donné de très bons résultats. Il faut également agir en aval. La situation n'est pas totalement satisfaisante aujourd'hui, du fait d'un déficit de protection des médecins devant le juge.

Nous considérons que le contentieux est une problématique centrale non seulement parce qu'il peut impacter le déficit mais aussi et surtout parce qu'il existe un lien direct entre la réparation, la tarification et la prévention. Un acte d'instruction mal fait entraîne un contentieux, qui va générer une désimputation du compte de l'employeur, une baisse de la capacité de la tarification à agir au titre de l'incitation à la prévention et un déficit de prévention. La tarification, notamment pour les moyennes et les grandes entreprises, est l'outil de prévention le plus important. Il est très largement attaqué par les contentieux, les entreprises les plus actives en la matière étant celles qui ont intérêt à la désimputation. Si l'on y ajoute les mutualisations, on se retrouve avec un outil très largement entamé dans sa capacité à inciter à la prévention, ce qui est dommage.

La Cour des comptes nous a recommandé de provisionner les contentieux. Nous considérions que les dépenses correspondantes relevaient du fonctionnement général de la branche, tout cela étant absorbé grâce à l'équilibre des cotisations. Ce n'est pas vrai du point de vue des comptes, ni de la bonne gestion de la branche.

Nous nous mettons donc en capacité d'obtenir la certification des comptes. Trois points avaient été relevés par la Cour des comptes : le non-provisionnement des contentieux, l'insuffisance du contrôle interne et l'insuffisance du rapprochement des fichiers entre les caisses d'assurance retraite et de la santé au travail (Carsat) et les unions de recouvrement des cotisations de sécurité sociale et d'allocations familiales (Urssaf).

Le rapprochement des fichiers est une action lourde à mener mais nous progressons. Nous atteignons aujourd'hui 97 % ou 98 % de rapprochement et nous nous sommes fixé un objectif de 99 %. Nous avons mis en place des systèmes informatiques de contrôle interne embarqués à la suite de la précédente campagne de la Cour des comptes et travaillons aujourd'hui sur le provisionnement.

J'ai donc bon espoir que la branche soit certifiée cette année ; je ne puis le garantir mais nous faisons tout pour qu'elle le soit !

La seconde campagne de certification a été bien plus approfondie que la première et a mis en évidence un certain nombre d'autres problèmes. Il n'y a pas d'approfondissement du contrôle cette année, seule la mise en oeuvre des recommandations de la précédente campagne étant vérifiée.

S'agissant de la faute inexcusable de l'employeur, deux options sont envisageables : soit la caisse paye et se retourne contre l'entreprise pour récupérer les sommes avancées, soit, comme vous l'évoquez, la branche intervient en fonds de garantie.

C'est une proposition que nous avions faite au Gouvernement, compte tenu des évolutions jurisprudentielles et de la position du Conseil constitutionnel. L'idée reste de bon sens et l'on aura sûrement l'occasion d'en rediscuter. Elle rencontre cependant deux obstacles...

En premier lieu, elle suppose une obligation d'assurance pour les entreprises et la mise en place d'un bureau central de tarification des plafonds de garantie. Le temps a été jugé trop court pour mettre cette disposition en oeuvre.

Par ailleurs, la caisse doit vérifier que l'assuré est bien couvert. Cela nécessite la mise en place de garde-fous destinés à protéger les assurés mais également les entreprises. C'est là un processus complexe.

Mme Catherine Deroche. - Vous n'avez pas évoqué le contexte conjoncturel et son incidence sur la dette de la branche en 2009-2010. La conjoncture économique ne connaîtra pas d'amélioration à court terme. Est-elle prise en compte dans les prévisions du PLFSS 2013 ?

Par ailleurs, l'excédent généré cette année par la baisse de 200 millions de la dotation au Fiva ne va-t-il pas obliger à augmenter les cotisations dans les années qui viennent - sauf à envisager la diminution d'autres transferts, comme le transfert Diricq, dont le montant est aléatoire ?

M. René-Paul Savary. - Comment mieux articuler le financement de la médecine du travail et celui de la branche AT-MP ? Peut-on envisager une évolution de ce modèle ?

Par ailleurs, le PLFSS comporte une mesure relative à l'assujettissement des élus locaux aux cotisations sociales qui va toucher les conseillers généraux et régionaux. La collectivité va-t-elle être amenée à cotiser de façon supplémentaire ou les élus vont-ils devoir payer ces cotisations sociales ? Quel est le fondement du dispositif, puisqu'il s'agit d'une fonction et non d'un emploi ? Les 140 millions d'euros que cette cotisation doit générer vont-ils aller à votre caisse ? Dans le cas contraire, où sont-ils affectés ?

M. Guy Fischer. - Je vous remercie pour la qualité de votre intervention. Vous avez relevé la stagnation des accidents du travail et la hausse régulière et soutenue des maladies professionnelles. Quelle appréciation portez-vous sur le phénomène de sous-déclaration des entreprises ?

M. Jean-Pierre Godefroy, rapporteur. - Le reversement par la branche vieillesse de la contribution relative aux départs à la retraite au titre de la pénibilité s'élevait à 35 millions en 2011 et à 110 millions en 2012. Aucune contribution ne figure au PLFSS pour 2013. Pouvez-vous nous apporter un éclairage à ce sujet ? Est-ce conjoncturel ou définitif ? Nous avions émis quelques doutes sur le bien fondé de cette contribution...

M. Dominique Martin. - L'incidence de la conjoncture économique sur la dette de la branche est impossible à calculer. L'exercice serait vain, la situation économique entraînant une baisse de l'emploi, de la masse salariale mais également, par voie de conséquence, des accidents du travail.

Quant à la commission Diricq, nous verrons quelles seront ses conclusions. Nous menons à ce titre une évaluation sur les cancers de la vessie dans plusieurs régions à partir de l'analyse des ALD, afin de savoir si elles ne constituent pas des maladies professionnelles.

S'agissant des médecins du travail, la réponse est dans la loi. Il s'agit des contrats pluriannuels d'objectifs et de moyens en cours de négociation entre les Carsat, les directions régionales des entreprises, de la concurrence, de la consommation, du travail et de l'emploi (Direccte), au titre des services de santé au travail, et nos caisses. Ces contrats visent à coordonner l'action de ces trois intervenants.

Concernant l'assujettissement des élus aux cotisations sociales, je ne peux vous répondre. Nous ne sommes pas à l'origine de cette disposition et nous avons interrogé notre tutelle.

M. René-Paul Savary. - Cette cotisation va-t-elle alimenter votre caisse ?

M. Dominique Martin. - Il me semble que oui, dans certains cas tout au moins...

M. René-Paul Savary. - Vous ne savez donc pas qui, des élus ou de la collectivité, va payer. Si ce sont les collectivités, cela représente pour elles une charge supplémentaire de 140 millions d'euros. Vous ne savez pas non plus si ces sommes seront affectées à la branche AT-MP.

M. Dominique Martin. - Cela doit encore être expertisé.

M. Fischer m'a interrogé sur l'augmentation des troubles musculo-squelettiques et les sous-déclarations. Des plans de lutte contre la fraude et les abus existent. La sous-déclaration va représenter dans les quatre ans à venir 90 % de la lutte contre la fraude.

La sous-déclaration et le retour à l'emploi précoce mal organisé pèsent sur les salariés et posent également un problème en matière de tarification. Il existe, notamment en lien avec des entreprises d'intérim, toute une mécanique conduisant à des transferts de salariés de secteurs à risques vers des secteurs moins exposés, de façon à diminuer les cotisations.

Enfin, la réponse à M. Godefroy est simple et conjoncturelle - à ce stade tout au moins : il n'y a eu que très peu de dépenses sur la compensation de la retraite pour pénibilité, de l'ordre de 3 ou 4 millions d'euros. Nous n'avions donc pas de raisons de reconduire le transfert à la branche vieillesse, les 140 millions figurant aujourd'hui dans ses comptes étant très loin d'être dépensés !

M. Yves Daudigny, rapporteur général. - Les réponses aux questions posées à propos de la situation des élus figurent en partie, me semble-t-il, à la page 90 du projet de loi.

Il existe deux catégories : les élus qui ont cessé toute activité professionnelle et ceux qui continuent à en exercer une. Ces derniers seront affiliés au régime général pour tous les risques, avec un taux global de 37,30 - soit 29,80 en part patronale et 7,5 en part salariale dès lors que leurs indemnités dépassent un certain montant. Ceux qui n'ont pas d'activité professionnelle ne sont actuellement affiliés qu'aux risques maladie et vieillesse. L'extension pour les risques famille et AT-MP représenterait un taux global de 7,1 %.

M. Jacky Le Menn. - L'objectif est de revenir à l'équilibre de la branche AT-MP, puis de réaliser un excédent. L'augmentation de 0,05 point et la diminution de la dotation au Fiva vous semblent-elles de nature à répondre à cet objectif ?

M. Dominique Martin. - Pour ce qui est du Fiva, la réduction de la contribution est uniquement liée au fait que son fonds de roulement représente l'équivalent d'une année de fonctionnement, mais on n'anticipe pas de baisse de son activité dans l'immédiat. C'est une mesure de bon sens. Il n'y a pas de raison qu'un fonds de roulement d'un établissement public dépasse une année de fonctionnement.

Pourquoi ne pas augmenter les cotisations de 0,1 ou 0,2 point ? Cette branche est gérée de manière paritaire ; elle fonctionne sur cette base, ce qui suppose de prendre en compte les préoccupations de l'ensemble des partenaires.

Quant au remboursement de la dette, je crois comprendre que le Gouvernement a recherché un équilibre, en voulant éviter d'augmenter les cotisations des entreprises de manière trop brutale, dans le contexte économique que chacun connaît. Cette optique correspond à mon sens à la philosophie de la branche.

Mme Annie David, présidente. - Merci.

Dépenses d'allocation personnalisée d'autonomie - Examen du rapport et du texte de la commission

La commission procède à l'examen du rapport de M. Gérard Roche relatif à la proposition de loi n° 391 (2011-2012) tendant à élargir la contribution de solidarité pour l'autonomie aux travailleurs non salariés et aux retraités et à compenser aux départements la moitié de leurs dépenses d'allocation personnalisée d'autonomie.

M. Gérard Roche, rapporteur. - Madame la Présidente, mes chers collègues, le texte que je rapporte devant vous aujourd'hui et dont j'ai été le premier signataire il y a maintenant plusieurs mois avec les membres du groupe Union centriste et républicaine (UCR) ainsi qu'avec plusieurs de mes collègues du groupe Union pour un mouvement populaire (UMP) a un objet simple : apporter une ressource pérenne au financement de l'allocation personnalisée d'autonomie (Apa) afin d'alléger la charge croissante que fait aujourd'hui peser le financement de cette prestation sur les budgets départementaux.

Avant de vous présenter plus en détail le dispositif de la proposition de loi, je vous rappellerai quelques éléments de contexte.

L'Apa a été créée par la loi du 20 juillet 2001 relative à la prise en charge de la perte d'autonomie des personnes âgées et à l'allocation personnalisée d'autonomie en remplacement de la prestation spécifique dépendance qui avait été introduite en 1997 à l'initiative de notre Haute Assemblée. Au 31 décembre 2011, 1 199 267 personnes bénéficiaient de l'Apa pour un coût total de près de 5,3 milliards d'euros, soit près de 20 % de l'ensemble des dépenses d'aide sociale des départements.

Destinée aux personnes âgées de soixante ans et plus en situation de perte d'autonomie, l'Apa est une prestation en nature attribuée sans conditions de ressources même si son montant varie en fonction du revenu du bénéficiaire ainsi que de son degré de dépendance défini à l'aide de la grille Aggir (autonomie gérontologie groupe iso-ressources).

Environ 60 % des bénéficiaires de l'Apa perçoivent l'aide à domicile, après définition d'un plan d'aide par une équipe médico-sociale du conseil général, les 40 % restants percevant l'aide en établissement. Les plans d'aide notifiés aux bénéficiaires de l'aide à domicile sont définis dans la limite de plafonds fixés au niveau national par voie réglementaire. Cela signifie en pratique que les départements ont en charge la gestion d'une prestation dont ils ne maîtrisent pas pleinement la définition des paramètres.

Contrairement à la prestation spécifique dépendance, l'Apa ne peut faire l'objet d'une récupération sur succession. Elle est en outre ouverte aux personnes relevant des Gir 1 à 4, le Gir 1 correspondant, je le rappelle, au degré le plus sévère de dépendance, tandis que la PSD n'était versée qu'aux demandeurs classés dans les Gir 1 à 3.

Depuis sa création, le financement de l'Apa est mixte, assuré à la fois par les départements et par une contribution dite de « solidarité nationale » versée jusqu'en 2004 par le fonds de financement de l'Apa (Ffapa) et depuis cette date par la Caisse nationale de solidarité pour l'autonomie (CNSA).

Le Ffapa était alimenté par deux types de ressources : une participation des régimes obligatoires de base d'assurance vieillesse égale à une fraction des dépenses d'aide ménagère que ces régimes consacraient aux personnes âgées dépendantes en 2000 ; une part de 0,1 point de CSG, précédemment affectée au fonds de solidarité vieillesse (FSV).

La loi du 30 juin 2004 relative à la solidarité pour l'autonomie des personnes âgées et des personnes handicapées est venue apporter une ressource supplémentaire au financement de l'Apa, la contribution de solidarité pour l'autonomie (CSA), en même temps qu'elle créait une nouvelle structure, la Caisse nationale de solidarité pour l'autonomie (CNSA), chargée de centraliser l'ensemble des financements destinés au secteur médico-social.

La CSA est elle-même composée de deux types de prélèvements au taux identique de 0,3 % : le premier est acquitté par les employeurs publics et privés sur les revenus salariaux, en contrepartie de la « journée de solidarité » ; le second prend la forme d'une contribution additionnelle de 0,3 % au prélèvement social de 2 % sur les revenus du patrimoine et les produits de placement. En 2011, le rendement de la CSA s'est élevé à 2,3 milliards d'euros.

Notons cependant que la loi encadre très fortement l'utilisation de cette ressource au sein du budget de la CNSA. Seule une fraction, limitée à 20 %, est allouée spécifiquement au financement de l'Apa. Une autre partie, 26 %, est destinée au financement de la prestation de compensation du handicap (PCH) tandis que plus de la moitié du produit de la CSA est allouée aux établissements et services accueillant des personnes âgées ou handicapées. L'année dernière, notre collègue Ronan Kerdraon, rapporteur du secteur médico-social pour le projet de loi de financement de la sécurité sociale (PLFSS) pour 2012 n'a d'ailleurs pas manqué de s'interroger dans son rapport sur l'opportunité de détourner ainsi le produit de la CSA pour le financement des soins dans les établissements médico-sociaux alors que ce type de dépense relève naturellement des régimes d'assurance maladie.

La loi prévoit également un dispositif de péréquation pour la répartition du concours de la CNSA entre les départements, fonction de quatre critères : le nombre de personnes âgées de soixante-quinze ans et plus ; le montant des dépenses d'Apa ; le potentiel fiscal ; les nombre de foyers bénéficiaires du revenu de solidarité active (RSA) « socle » non majoré. Ce dispositif est complété par un mécanisme de correction visant à ce que le rapport entre les dépenses des départements au titre de l'Apa et leur potentiel fiscal ne puisse excéder un taux fixé par voie réglementaire, actuellement de 30 %.

En tout état de cause, l'évolution des concours du Ffapa puis de la CNSA n'a pas permis de garantir une participation équilibrée et équitable de l'Etat au financement de l'Apa. La montée en charge du dispositif a en effet été à la fois plus rapide et plus forte qu'elle n'avait été anticipée au moment du vote de la loi du 20 juillet 2001.

Pourtant, dès cette époque, notre collègue Alain Vasselle, rapporteur du projet de loi au nom de la commission des affaires sociales, pointait dans son rapport la fragilité des estimations de progression des dépenses et du dispositif de financement envisagé, estimant ce dernier « source de graves menaces pour les finances locales et les finances sociales ».

Or sur la période 2003-2009, les dépenses brutes d'Apa ont augmenté de 5,9 % en moyenne annuelle tandis que la participation du Ffapa puis de la CNSA à partir de 2004 ne progressait que de 0,9 % en moyenne par an. De ce fait, les dépenses restant à la charge des départements ont augmenté en moyenne de 8,8 % par an entre 2003 et 2009.

Dès lors, le taux de couverture des dépenses d'Apa par le Ffapa puis par la CNSA, qui était de 43 % en 2002, est descendu sous la barre des 30 % en 2010, avant de remonter très légèrement à 30,8 % en 2011. Les départements supportaient cette même année une charge nette de 3,7 milliards d'euros, un chiffre en augmentation continue depuis 2002.

Comment expliquer cette dégradation de la participation de l'Etat au financement de l'Apa ? Avant tout par le fait qu'aucune disposition législative ne permet aujourd'hui de répartir de façon satisfaisante le financement de l'Apa entre l'Etat et les départements.

Notre Haute Assemblée avait bien conscience des risques liés à une montée en charge insuffisamment contrôlée de l'Apa lorsqu'elle examinait le projet de loi créant cette prestation puisqu'elle avait adopté en première lecture un amendement du rapporteur pour avis de la commission des finances Michel Mercier, prévoyant explicitement un financement à parité de la prestation par l'Etat et les départements. Cette disposition a cependant été supprimée par l'Assemblée nationale en cours de lecture et l'idée d'un financement 50/50 est restée à l'état d'engagement informel, rapidement contredit par les faits.

Or la situation financière des départements exige aujourd'hui de parvenir à un nouvel équilibre dans le financement de l'Apa. Un premier cri d'alarme a été lancé en décembre 2010 lorsque trois propositions de loi identiques déposées par les groupes Socialiste, du Rassemblement démocratique et social européen (RDSE) et Communiste, républicain et citoyen (CRC), relatives à la compensation des allocations individuelles de solidarité versées par les départements, ont été examinées au Sénat. Ces textes, qui visaient à ce que l'Etat compense intégralement le coût supporté par les départements au titre du RSA et de la PCH et à 90 % celui résultant de l'Apa, a cependant été rejeté par la Haute Assemblée. En juin 2011, le Conseil constitutionnel, saisi d'une question prioritaire de constitutionnalité par les départements de Seine-Saint-Denis et de l'Hérault, a jugé que le mécanisme de compensation financière prévu pour le financement de l'Apa ne portait pas atteinte au principe de libre administration des collectivités territoriales. Il a cependant émis deux réserves d'interprétation appelant les pouvoirs publics à prendre leurs responsabilités dans le cas où les concours apportés par la CNSA et les mécanismes de péréquation entre départements ne permettraient plus d'assurer le respect du ratio de 30 % entre leurs charges nettes et leur potentiel fiscal. Cette décision du Conseil constitutionnel ouvre à mon sens la voie à une évolution législative destinée à sécuriser le financement de l'Apa telle que celle que je vous propose aujourd'hui.

J'en viens donc maintenant au dispositif de la proposition de loi.

Son article 1er étend l'assiette de la CSA aux revenus des travailleurs indépendants ainsi qu'aux pensions de retraite afin de les soumettre, tout comme les revenus salariaux, à une contribution de 0,3 %. Certains m'objecteront que le prélèvement pesant actuellement sur les revenus salariaux ne vient pas obérer le pouvoir d'achat des salariés dans la mesure où il est acquitté par les employeurs en contrepartie d'une journée de travail supplémentaire non rémunérée effectuée par les salariés. Mais s'il n'y a pas perte de pouvoir d'achat pour les salariés, ces derniers participent bien à l'effort de solidarité nationale en acceptant de travailler gratuitement une journée supplémentaire.

Obliger les travailleurs indépendants et les retraités à effectuer une journée de travail non rémunérée n'aurait bien évidemment aucun sens. Est-ce une raison pour les dispenser de toute forme de participation à l'effort de solidarité nationale envers les personnes âgées dépendantes ? Je ne le crois pas et mon avis rejoint celui d'une personne concernée au premier chef par l'article 1er de la proposition de loi puisqu'il s'agit du président du Régime social des indépendants (RSI). Lors de son audition, ce dernier m'a en effet officiellement déclaré qu'il soutenait le dispositif de la proposition de loi, nonobstant l'effort substantiel de près d'un milliard d'euros qui est déjà demandé aux travailleurs indépendants sur leurs cotisations maladie dans le PLFSS pour 2013. Je tiens à saluer avec force cette position responsable et courageuse, traduction d'une prise de conscience de l'effort de solidarité que nous devons tous consentir envers nos aînés.

Il est vrai que le président de la Confédération française des retraités, avec qui j'ai également souhaité échanger sur le texte, s'est montré moins enthousiaste sur la proposition de loi. Selon lui, une telle contribution ferait peser une charge discriminatoire sur les retraités, alors même que ces personnes ne sont pas les nantis ou les privilégiés en matière de cotisations sociales que l'on se plairait parfois trop facilement à décrire. C'est oublier que, dans l'esprit du texte, les pensions les plus modestes ne seront pas soumises à la contribution.

C'est également refuser d'effectuer un calcul très simple. Prenons l'exemple d'un retraité gagnant 1 000 euros par mois, sachant que le montant moyen des pensions de retraite s'établit aujourd'hui à 1 216 euros par personne. Acquitter la CSA représentera pour lui un effort de 36 euros par an. S'il a un niveau de dépendance Gir 4, le montant de l'Apa mensuelle, une fois acquitté le ticket modérateur, s'élève au maximum à environ 550 euros par mois. Cela signifie que le paiement de la CSA représentera pour lui chaque année un peu plus de 6 % de l'aide mensuelle dont il bénéficie au titre de l'Apa. S'agit-il réellement d'un effort démesuré alors même que l'enjeu essentiel est de maintenir la capacité des départements à continuer de verser cette prestation dont nous savons qu'elle a permis de reculer considérablement l'âge moyen d'entrée en établissement pour les personnes âgées dépendantes ?

L'article 3 de la proposition de loi affecte l'ensemble de la contribution nouvellement créée à la section II du budget de la CNSA, c'est-à-dire au financement de l'Apa. D'après les chiffrages que nous avons pu recueillir, le produit de cette ressource supplémentaire serait compris entre 884 et 910 millions d'euros : 700 millions d'euros seraient recueillis auprès des personnes retraitées, entre 166 et 180 millions d'euros auprès des travailleurs indépendants non agricoles et de 18 à 30 millions d'euros auprès des travailleurs indépendants agricoles. Un tel montant permettra de rapprocher fortement de la barre des 50 % le taux de couverture des dépenses d'Apa par la CNSA.

La proposition de loi que je vous présente aujourd'hui est bien évidemment imparfaite. Outre la nécessité de lui apporter des améliorations rédactionnelles, il serait souhaitable, dans un souci d'équité, d'étendre son article 1er aux travailleurs indépendants agricoles, ce qui n'est pas prévu pour le moment.

La rédaction adoptée à l'article 1er pour élargir l'assiette de la CSA aux retraités est en outre trop imprécise. Il conviendrait de l'améliorer en excluant explicitement les retraités les plus modestes du paiement de la contribution.

L'article 2 effectue une coordination avec les dispositions du code du travail relatives à la journée de solidarité qui n'est pas nécessaire. Il faudrait donc le supprimer.

D'autres améliorations rédactionnelles doivent être apportées à l'article 3. En particulier l'article L. 14-10-5 du code de l'action sociale et des familles, que modifie l'article 3, dispose jusqu'à présent que la part de CSA destinée aux personnes handicapées doit représenter 40 % de l'ensemble du produit de la contribution. La proposition de loi élargit l'assiette de la CSA en affectant entièrement la recette nouvellement créée aux personnes âgées. Il conviendrait donc de ramener cette part à 30 %.

Je vous l'ai dit au début de mon intervention, la proposition de loi que je présente devant vous aujourd'hui a été enregistrée à la présidence du Sénat il y a maintenant plusieurs mois, le 21 février 2012. Le hasard du calendrier parlementaire veut qu'elle soit inscrite à l'ordre du jour quelques semaines à peine avant l'examen du projet de loi de financement de la sécurité sociale pour 2013.

Or, l'article 16 de ce texte crée une contribution additionnelle de solidarité pour l'autonomie sur les pensions de retraite, c'est-à-dire un dispositif exactement équivalent à ce que propose le texte que nous examinons aujourd'hui pour les retraités. Sans doute faudrait-il se réjouir de cette convergence de vue. Il convient cependant de noter que la ressource nouvellement créée connaîtra une montée en charge progressive avec un taux de 0,15 % en 2013 et de 0,30 % les années suivantes et sera affectée dans un premier temps au fonds de solidarité vieillesse (FSV) avant d'être mise en réserve à partir de 2014 au sein d'une nouvelle section du budget de la CNSA « au profit de l'amélioration de la prise en charge de la perte d'autonomie ».

Le Gouvernement y voit là une façon de prouver dès à présent sa volonté de mobiliser les ressources nécessaires au financement de la réforme de la dépendance, certes promise et attendue, mais dont le calendrier demeure encore incertain. Je reste personnellement perplexe quant à l'option choisie. Pourquoi mettre ces recettes nouvelles en réserve alors même qu'elles pourraient trouver une utilité évidente dès à présent ? Les départements ne peuvent pas attendre 2014 ou 2015 pour obtenir un hypothétique rééquilibrage du financement de l'Apa. Ils ont besoin dès à présent que l'Etat s'engage à leurs côtés et de façon équitable dans le financement de la perte d'autonomie.

Je suis cependant conscient que ce « télescopage » entre la proposition de loi et l'article 16 du PLFSS pour 2013 risque de singulièrement compliquer l'examen du texte. Il me semble malgré tout important de vous le présenter dans sa forme initiale et non réduite aux seuls travailleurs indépendants.

L'ambition de cette proposition de loi est nécessairement limitée et il ne s'agit en aucun cas d'empiéter sur les mesures qui pourraient être envisagées dans le cadre de la future réforme de la dépendance dont nous savons tous qu'elle nécessitera une réflexion bien plus large et approfondie. Mais ce texte forme un tout cohérent, qui présente à mon sens trois avantages principaux.

Il apporte une réponse pragmatique et immédiate à un problème simple et précis : la difficulté dans laquelle se trouvent un nombre croissant de départements pour assurer le financement de l'Apa.

Il permet de dépasser les mesures d'urgence mises en oeuvre depuis 2010 pour soutenir les départements les plus en difficulté en leur allouant une ressource pérenne.

Enfin, il contribue à faire participer de façon plus équitable les Français à l'effort de solidarité nationale envers nos aînés dépendants.

Sans anticiper sur notre débat et compte tenu des échos que j'ai pu recueillir auprès des différents groupes, je pense qu'il serait sage de ne pas adopter aujourd'hui un texte de la commission.

Conformément à l'accord politique passé entre les présidents de groupe du Sénat pour l'examen des propositions de loi émanant des groupes d'opposition ou minoritaires, je propose que la commission laisse aller en séance la proposition de loi initiale. C'est à ce moment-là que je vous soumettrai les amendements permettant d'apporter au texte les améliorations que j'ai brièvement évoquées dans mon intervention.

Cela ne doit cependant pas nous empêcher de débattre sur la proposition de loi et je m'empresse de laisser la parole à tous les commissaires qui souhaiteront s'exprimer.

Je vous remercie.

Mme Annie David, présidente. - Merci. Rien ne s'oppose à ce qu'un texte émanant d'un groupe politique de l'opposition, examiné en commission, arrive en séance publique. Ceci permet aux auteurs de la proposition de loi de s'exprimer, le texte subissant ensuite le sort qui doit être le sien.

M. Alain Néri. - Je salue l'initiative de Gérard Roche, qui soulève un vrai problème et nécessite une véritable réflexion. Nous avons été nombreux, dans nos conseils généraux, à attirer l'attention sur ce point.

Je voudrais rendre hommage à Paulette Guinchard-Kunstler, créatrice de l'Apa. Elle a vraiment mis en place un dispositif qui a apporté beaucoup d'améliorations à la situation des personnes âgées en perte d'autonomie. Depuis la mise en place de l'Apa, on s'est d'ailleurs aperçu que le maintien à domicile a connu des progrès remarquables. Il y a pratiquement, depuis la mise en place de l'Apa, une dizaine d'années de maintien à domicile supplémentaires. Les gens qui entraient autrefois en maison de retraite à 75-76 ans y entrent aujourd'hui à 85-86 ans, ce qui me paraît un progrès significatif !

Ce texte doit nous permettre d'affiner notre réflexion sur le problème fondamental de la prise en charge de la dépendance.

Durant la précédente législature, le Président de la République et le Gouvernement s'étaient engagés à tenir un large débat sur la dépendance qui n'a pas eu lieu. Pour ma part, je le regrette !

La dépendance est un véritable problème de société qui frappe toute la population à des degrés divers et qui impose un devoir de solidarité nationale ; on ne doit en aucun cas recourir à des sociétés d'assurance privées, qui mettraient en cause la solidarité nationale. Il en va donc de l'égalité de traitement entre ceux qui peuvent subvenir à leurs besoins et ceux qui ne sont pas en mesure de le faire.

Cette solidarité nationale doit être assurée par l'Etat, ainsi que cela figure au Journal officiel des débats, qui fait jurisprudence et qui précise bien que cette prise en charge doit atteindre 50 %. Il faut donc partir de cette réflexion.

Le fait que la proposition de loi de Gérard Roche risque de se télescoper avec le PLFSS pose question. Il serait intéressant que le texte dont nous allons débattre débouche sur la présentation d'amendements en séance publique, lors du débat sur le PLFSS. Je soutiens en particulier la proposition d'affecter dès cette année le montant de 0,15 % directement à la CNSA, dans un souci de clarté et de compréhension.

Sans vouloir contredire la pratique de notre assemblée, notre collègue Gérard Roche pourrait peut-être retirer sa proposition de loi afin que nous nous recentrions tous sur les amendements en séance publique !

Mme Annie David, présidente. - Hier, à une question posée par Christiane Demontès, rapporteur de la branche vieillesse, qui lui faisait remarquer qu'en 2013, la contribution additionnelle de solidarité pour l'autonomie (Casa) alimenterait le FSV et non la CNSA, Mme Marisol Touraine a répondu qu'elle considérerait avec bienveillance tout amendement parlementaire visant à modifier cette situation. Peut-être y aura-t-il des amendements parlementaires en ce sens. Je pense qu'il y en aura au moins un de M. Roche...

M. Alain Néri. - J'en déposerai également un !

M. Jean-Noël Cardoux. - Je partage l'analyse de notre collègue quant à l'efficacité de l'Apa et à son impact sur le maintien à domicile des personnes les plus âgées mais je ne suis, en revanche, pas d'accord sur certains autres points.

Le cri d'alarme du président du conseil général de la Haute-Loire est, je le pense, partagé par tous les présidents de conseils généraux. Je suis moi-même président de la commission des affaires sociales du conseil général du Loiret. N'oublions pas non plus que, même si la montée en charge de la PCH est moins rapide qu'envisagée à une certaine époque, le fossé se comble, les attributaires ayant préféré conserver l'allocation compensatrice pour tierce personne (ACTP). Dans quelque temps, toutefois, on aura des taux de couverture de la PCH comparables à ceux de l'Apa. Le problème reste donc entier.

A l'origine - et je pense que cela a été l'erreur de ce texte -, la philosophie de cette journée de solidarité visait à considérer le lundi de Pentecôte comme un jour férié travaillé en faveur des plus anciens, suite à la vague de chaleur qui a entraîné beaucoup de morts dans notre pays. Face à la réticence des syndicats et des salariés, on a transformé peu à peu cette journée de solidarité en une cotisation supplémentaire de 0,3 % à la charge des employeurs qui, dans leur grande majorité, s'en acquittent.

Etendre cette mesure aux travailleurs indépendants, aux professions libérales ou aux agriculteurs me paraît constituer une simple justice sociale. Il n'y a pas de raison qu'une seule catégorie d'employeurs soit concernée ! Rappelons toutefois que cette proposition ne rapportera que 120 ou 130 millions - d'après le rapporteur -, l'essentiel provenant de la contribution sur les retraites également prévue par l'article 16 du PLFSS.

Contrairement à ce qu'a dit M. Néri, un débat extrêmement approfondi a bien eu lieu. A l'époque, Mme Montchamp s'était rendue dans la plupart des régions de France. J'avais moi-même participé à un débat à Blois. Un certain nombre de propositions avaient été faites ; elles devraient sinon être suivies, du moins être exploitées.

Je sais bien que nous ne serons jamais d'accord sur un éventuel financement privé mais il faut néanmoins mener une réflexion en ce sens, en assortissant cette mesure d'un recours sur succession, par exemple, qui n'existe pas actuellement. Si on laisse tout à la solidarité nationale, les personnes les plus aisées arriveront à se prémunir volontairement et à trouver une place dans des établissements haut de gamme lorsqu'elles seront dépendantes, les moins aisées bénéficiant d'un accueil de pauvres - pardonnez le terme. Contrairement à ce que chacun souhaite, on aura alors des hébergements à deux vitesses ! Il faut en être conscient et y réfléchir...

D'autres pistes avaient été envisagées, comme l'extension de la CSA aux professions non salariées. Cette suggestion a été reprise par le rapporteur. On avait également évoqué une seconde journée de solidarité, réelle celle-là, alors que les salariés peuvent aujourd'hui abandonner une journée au titre de la réduction du temps de travail (RTT), ce qui rapporterait environ 3 milliards d'euros supplémentaires.

La proposition de Gérard Roche va dans le bon sens mais, hier, Mme Marisol Touraine nous a affirmé qu'un texte sur le financement de la dépendance n'interviendrait pas avant la première moitié du quinquennat, soit dans deux ans et demi. Les conseils généraux vont donc continuer à souffrir et devront peut-être même totalement arrêter d'investir. M. Jeannerot a traduit hier ces charges supplémentaires en collèges.

Je souhaite que le débat qui suivra cette proposition de loi, au Sénat, contribue à accélérer la cadence afin de trouver, comme l'a dit le rapporteur, des solutions pérennes en faveur des personnes âgées. Ceci rassurera également les conseils généraux et les encouragera à poursuivre leur politique d'investissements qui, rappelons-le, dans la période de crise actuelle, constitue un moteur essentiel pour l'économie de chaque département, en particulier dans le domaine du bâtiment !

M. Dominique Watrin. - Le fait que l'on discute de cette proposition de loi offre au moins un intérêt, celui de poursuivre le débat. Je pense que celui-ci a bien été ouvert mais qu'il a été trop vite refermé. Il est urgent de le reprendre globalement.

On a fait l'éloge de l'Apa. Je partage l'idée que celle-ci constitue un progrès considérable mais qu'elle atteint aujourd'hui un certain nombre de limites. Dans mon département, par exemple, le montant de l'Apa diminue du fait des plafonds et des restes à charge des bénéficiaires, qui ont été considérablement augmentés par le décret Raffarin de 2003 - sans parler des restes à charge des personnes hébergées dans des établissements médicalisés, insupportables pour le citoyen lambda.

La proposition de loi a aussi le mérite de pointer les problèmes financiers spécifiques des départements. Parmi les collectivités territoriales, ce sont en effet les départements qui souffrent le plus des politiques menées ces dernières années et notamment de la suppression de la taxe professionnelle.

Le groupe CRC n'a pas changé de position depuis 2004. Nous étions déjà contre la mise en place de cette contribution dite de solidarité car nous pensons que les besoins de santé, y compris ceux liés à la perte d'autonomie, doivent être pris en charge par la sécurité sociale !

Le fait qu'on propose ici d'étendre cette contribution aux retraités et à certaines professions indépendantes, toutes ne semblant pas concernées par ce texte, ne rend pas le dispositif plus juste. Le mécanisme d'une journée de travail gratuite nous paraît injuste en soi car il élude la question du financement solidaire mettant tous les revenus à contribution, y compris les revenus financiers des entreprises. Le financement solidaire doit inciter au développement d'une politique favorable en matière d'emploi, de salaires et de formation au sein des entreprises, facteurs créateurs de richesses et de ressources pour la sécurité sociale.

J'ai bien noté qu'un amendement - qui n'était initialement pas prévu - serait présenté en séance au sujet des exploitants agricoles mais qu'en est-il des auto-entrepreneurs et des professions libérales non inscrites au RSI pour la branche maladie ? Nous pensons particulièrement aux médecins non conventionnés qui ne semblent pas assujettis à cette contribution...

Concernant la mesure prévue par l'article 16 du PLFSS, mon groupe ne considère pas que les retraités soient des nantis. Un débat doit véritablement avoir lieu sur ce sujet. La taxation à 0,15 % puis à 0,30 % va toucher 8 millions de retraités, qui gagnent en moyenne entre 1 100 et 1 200 euros par mois.

J'ai bien entendu le Premier président de la Cour des comptes dire ici même que les retraités étaient plus favorisés que les actifs. Je crois qu'il n'est pas allé au bout des comparaisons. Par exemple, le coût des mutuelles n'est pas au même niveau pour un retraité et pour un salarié ! Quant à l'affirmation selon laquelle il existe plus de propriétaires parmi les retraités que parmi les autres catégories de la population, tout le monde connaît les difficultés de nombre d'entre eux pour financer le chauffage, les impôts locaux et l'entretien de leur patrimoine. Cette cible ne me paraît donc pas devoir être privilégiée pour assurer le financement de la dépendance. Ce débat doit être traité globalement, en tenant compte de toutes les dimensions du problème.

Cela étant, je ne veux pas sous-estimer les difficultés financières des départements ni les besoins de financement des collectivités territoriales. Un chiffre pour illustrer ma proposition de mettre à contribution les actifs financiers des entreprises : taxer à 0,15 % les 5 000 milliards d'euros d'actifs financiers des entreprises rapporterait 7,5 milliards d'euros, soit un peu plus que la part des trois allocations de solidarité à la charge des départements, ceux-ci ayant dépensé 6,4 milliards d'euros en 2011 pour le RSA, la PCH et l'Apa ! Voici donc une autre piste...

M. Marc Laménie. - Je m'associe à tout ce qui a été dit et félicite Gérard Roche. Je suis également conseiller général des Ardennes, département parmi les plus sinistrés. Mes collègues ont mis en évidence les charges importantes qui augmentent pour nos collectivités locales.

Ce texte a le mérite d'avancer des solutions mais quelle sera la position du Conseil constitutionnel à l'égard de cette proposition de loi ? La dépendance représente pour les départements des coûts de fonctionnement non négligeables mais aussi des emplois de service dans le maintien à domicile ou les établissements sociaux. D'un autre côté, les capacités d'investissement des conseils généraux sont de plus en plus limitées en matière de bâtiments et de travaux publics, secteur dont le marché connaît de fortes tensions. Il faut donc essayer de trouver un compromis - mais c'est fort difficile...

M. Georges Labazée. - J'apprends beaucoup depuis un an que je siège au Sénat. Le fait que ce dossier revienne devant la commission est une excellente chose.

Le Président de la République recevant les présidents de conseils généraux lundi prochain, l'Association des départements de France (ADF) a convoqué, hier après-midi, un bureau exceptionnel. Il convenait d'arriver à se mettre d'accord sur un texte. Chacun a estimé que les préoccupations devaient prioritairement porter sur le problème de la dépendance et des finances des départements, en particulier la dépense sociale. Les approches peuvent être différentes selon les sensibilités mais le but reste le même.

La question centrale évoquée par mes collègues ce matin a été de savoir si ces allocations de solidarité relèvent de l'effort départemental ou de la solidarité nationale. Cela représente des sommes telles qu'on n'est pas prêt de résoudre la situation ! Il n'empêche que c'est sans doute la question de fond...

Le problème évoqué ici depuis des mois sera très officiellement repris lors de la rencontre de lundi prochain. Le premier point qui sera abordé concernera la manière d'assumer les solidarités sociales et territoriales. Un des engagements consiste à mettre en place un fonds spécifique de 170 millions d'euros, reprenant les 150 millions d'euros accordés l'année dernière, majorés de 20 %, afin de soutenir le financement des missions de solidarité. Le second point porte sur la définition du cadre dans lequel l'Etat et les départements doivent travailler pour mettre en place un dispositif pérenne à partir de 2013, de façon à régler ce problème.

Les présidents de conseils généraux ont eu hier une réaction de recul lorsqu'a été évoquée la possibilité de transférer l'allocation adulte handicapé (AAH) aux départements, ne voulant pas renouveler l'expérience de l'Apa. Je l'ai fait savoir en aparté à la ministre, qui m'a dit avoir envoyé un ballon d'essai : le ballon est vite redescendu !

Les amendements au PLFSS déposés par Gérard Bapt, rapporteur pour les recettes et l'équilibre général à l'Assemblée nationale, visent à porter le taux de la Casa de 0,15 % à 0,30 %, dès 2013, avec un départ au 1er avril afin de lisser le dispositif. Un autre amendement vise à affecter à la CNSA le produit de la contribution additionnelle dès 2013. Beaucoup de choses vont donc se passer d'ici notre séance plénière de la semaine prochaine.

M. René-Paul Savary. - Selon l'ADF, ce sont 6 milliards d'euros de compensation qui manquent aux départements pour la PCH, l'Apa et le RSA. Cela devient insupportable ! En cumul, ce sont 22 milliards d'euros qui manquent au budget des départements ! Ceux-ci n'en peuvent plus ! Nos amis politiques, en leur temps, n'ont pas compris qu'il fallait s'appuyer sur les départements pour jouer la carte de la solidarité nationale à travers ces prestations, mais également la carte de la solidarité territoriale.

Pour parer à cet état de fait, nous prélevons sur nos capacités d'autofinancement et nous n'investissons plus. Si l'on veut de la relance, il existe un levier très simple : il suffit de donner un signe aux départements, même si ce n'est qu'un milliard sur les 6. Ce milliard, qui correspond à des subventions, va générer au moins 5 à 10 milliards d'investissements.

En affectant la Casa à la compensation de l'Apa, nous améliorerions le financement de la dépendance tout en soutenant la relance ! Qu'on le fasse grâce à la proposition de loi de Gérard Roche ou par le biais du PLFSS importe peu. Sans un signe aux départements - c'est ce que nous allons dire lundi prochain au Président de la République - les collectivités vont sombrer. Ma collectivité, qui est gérée au plus près et qui n'est pas pauvre, sans signe fort, sera en faillite dans deux ans - et ce n'est pas un cas unique !

M. Claude Jeannerot. - Je partage l'essentiel des interventions de mes collègues. En outre, Georges Labazée nous a apporté des informations importantes que certains d'entre nous ignoraient.

Je voudrais néanmoins saluer ici l'initiative de notre collègue Gérard Roche, qui tente d'apporter une solution et dont le discours, quels que soient les régimes en place, n'a jamais varié de ce point de vue. Cela mérite d'être souligné.

Je voudrais également m'associer à l'hommage rendu à l'initiatrice de cette disposition, Paulette Guinchard-Kunstler, élue de mon département dont je connais l'engagement sur ce terrain.

Le grand mérite de l'initiative de Gérard Roche est d'attirer l'attention du Gouvernement sur la situation dramatique et urgente des départements. Il qualifie lui-même sa réponse de pragmatique. Je la crois quelque peu empirique et d'une certaine manière partielle. Je pense qu'il convient aujourd'hui de demander au Gouvernement une réponse sur le champ de la dépendance, sous l'angle de l'Apa, qui soit pérenne pour les départements mais aussi globale et qui apparaît urgente.

Je partage également ce qu'a dit hier Mme Delaunay. Il faut donc trouver la bonne ressource. Il me semble que nos concitoyens, malgré la difficulté des temps, comprennent qu'il y a lieu de financer la prise en charge de la dépendance, reconnue comme une priorité et une nécessité. C'est pourquoi j'appelle de mes voeux cette réponse pérenne, globale et urgente.

M. Jean-François Husson. - Je me joins à toutes les observations qui ont été faites et remercie Gérard Roche pour son initiative.

Je pense que nous sommes là dans un débat de société. J'ai entendu prononcer les mots de « solidarité nationale » et de « solidarité sociale ». On parle souvent, dans la perspective de l'acte III de la décentralisation, d'évaluation et d'expérimentation. Il faut avoir la lucidité de dire qu'en matière d'Apa ou de PCH, la décentralisation n'apporte rien de plus, si ce n'est qu'elle a mis en exergue une problématique qui n'avait pas été prise en compte lors de la création de la sécurité sociale en 1946. Le véritable enjeu, me semble-t-il, est de se demander si l'Etat est prêt à créer une cinquième branche de la sécurité sociale.

Dans cette hypothèse, une part reviendra au privé et aux complémentaires, comme en matière d'assurance maladie. C'est sur cet aspect que nous devons travailler. La décentralisation n'apporte rien. Il faut dire à l'Etat que nous nous sommes trompés et rediscuter. On nous donne dix-huit mois ; le débat a déjà eu lieu et nos concitoyens sont aujourd'hui dans cet état d'esprit. A l'Etat de jouer son rôle ! Je pense que le nôtre est plutôt de porter ce débat et non de nous abriter derrière un dispositif où ni la droite, ni la gauche, depuis 2001, n'ont jamais rien gagné, favorisant en outre le jeu des extrêmes.

Mme Catherine Procaccia. - Je remercie M. Labazée de nous avoir apporté des informations, d'autant que la proposition de loi va tomber de façon très opportune.

Ce texte m'a laissée très dubitative - mes collègues le savent - quant au fait d'accroître encore les charges de populations qui ne roulent déjà pas sur l'or, mais le rapporteur nous apprend que le président du RSI a déclaré qu'il soutenait la proposition de loi. Cela m'amène à modifier ma position, d'autant que je suis aussi conseiller général et que dans mon département, les dépenses d'aide sociale explosent. Il faut donc faire quelque chose sans attendre, un certain nombre de départements risquant à terme de ne plus être en mesure de financer l'Apa.

Notre collègue Gérard Roche va présenter des amendements. Il serait dommage de ne pas aller plus loin.

Par ailleurs, je trouve choquant de soutenir l'idée qu'un salarié ne serait pas capable de donner sept heures de travail à la solidarité nationale !

Je suivrai donc l'avis de Gérard Roche, nos débats m'amenant à une vision beaucoup plus positive de cette proposition de loi.

M. Guy Fischer. - J'ai entendu les présidents de conseils généraux ; le problème est évident. Dominique Watrin a fort bien formulé nos positions sur le fonds.

Pour ma part, ce qui me préoccupe avant tout - je l'ai constaté au cours de ma vie de conseiller général -, reste la montée des restes à charge et ce dans beaucoup de domaines. On sollicite de plus en plus les familles ; certes, il est naturel que l'on fasse des efforts pour ses parents, mais la réforme de l'Apa doit nous faire réfléchir. D'une manière générale, les restes à charge sont de plus en plus importants.

M. Jacky Le Menn. - Je remercie Gérard Roche de son excellent travail. Suite à ce qu'a dit notre collègue Alain Néri, je rappelle que beaucoup de choses ont été écrites sur la question de la dépendance. Quatre grandes commissions ont abondamment alimenté le débat national. Le Conseil économique, social et environnemental (Cese) a également rédigé un rapport, sans compter les rapports parlementaires, comme le rapport Rosso-Debord, qui préconisait de faire disparaître le groupe de ressources Gir 4, solution qui n'avait pas été retenue par le rapport d'Alain Vasselle, ancien rapporteur général. Le Gir 4 comporte 70 % des bénéficiaires de l'Apa.

Toutes les solutions ont été étudiées. Tout est sur la table. Il suffisait, en fonction des sensibilités politiques, de présenter soit un projet de loi, soit une proposition de loi. C'est à ce moment que la proposition de loi de Gérard Roche aurait dû être déposée. On aurait eu le temps de la discuter. On se trouve aujourd'hui devant des départements en difficulté, dont on voyait bien monter la situation, et l'on voit également qu'au-delà des personnes âgées, la perte d'autonomie concerne aussi les personnes handicapées.

On comprend la réaction des départements lorsque l'Etat leur propose de prendre l'AAH à leur charge. Chat échaudé craignant l'eau froide, ceux-ci sont en effet quelque peu réticents...

Il faut donc, comme le disait notre collègue René-Paul Savary, ainsi que d'autres, donner des signes clairs. Cela peut se faire à travers cette proposition de loi ; elle arrive un peu tard et aurait dû être discutée lorsque vous étiez aux responsabilités, mes chers collègues. S'il doit y avoir des torts, ils seront partagés !

Cela peut aussi se faire dans le cadre du PLFSS. C'est la stratégie qui semble se dessiner, des amendements pouvant être présentés pour donner satisfaction à des départements qui en ont bien besoin, leur situation financière étant, pour des raisons multiples, fort difficile.

Comme le rappelait notre collègue Jean-François Husson, il s'agit d'un grand débat de société. Celui-ci a déjà eu lieu entre des partenaires multiples, syndicaux, patronaux, associatifs, départementaux. Il faut maintenant trancher. La nouvelle majorité prend, semble-t-il, une autre orientation mais avec la même volonté d'assurer un financement le plus équitable possible, afin de faire en sorte qu'aucune personne âgée dépendante ne soit laissée sur le bord du chemin pour des raisons financières.

Nous allons en rediscuter dans le cadre du PLFSS. Faut-il le faire un an avant ou un an après ? On a déjà perdu beaucoup de temps ! Nous insisterons donc pour qu'on aille le plus vite possible. On a déjà tous les éléments en mains. Il s'agit de faire des choix clairs. Peut-être va-t-on encore passer quelques mois à tergiverser - terme que je prends à mon compte - mais il va bien falloir trancher.

Nous le redirons en séance. Je pense que le Gouvernement en est parfaitement conscient. Des réponses vont être apportées, des signes seront donnés aux départements. Dans le cas contraire, je pense que des amendements, au Sénat comme à l'Assemblée nationale, tenteront d'accélérer le processus.

- Présidence de M. Jacky Le Menn, vice-président -

M. Louis Pinton. - Notre collègue Claude Jeannerot affirme que la proposition de loi de Gérard Roche a pour but d'attirer l'attention sur les difficultés des départements. Néanmoins, je crois savoir qu'au plus haut niveau de l'Etat et de l'exécutif national, certaines personnes ont exercé la fonction de président de conseil général et sont donc parfaitement au fait de la situation.

En second lieu, je me fais l'interprète de Gérard Longuet, qui votera cette proposition de loi et se déclare favorable au recours sur succession, tout comme moi. J'ai tenu cette ligne dans mon département depuis le début. La majorité des présidents d'associations, initialement d'accord, s'est ensuite, par faiblesse, montrée plus réticente mais je considère que l'on peut organiser sa moindre participation en cas d'exonération sur les droits de succession, suivant qu'il s'agit de retraites par capitalisation ou par répartition.

Enfin, notre commission serait bien inspirée d'élever Gérard Roche au titre de conseiller auprès du ministre, sa proposition de loi étant quasiment intégralement reprise par celui-ci dans le PLFSS ! Nous serons là pour aider le rapporteur, puisqu'il est notre porte-voix !

M. Gérard Roche, rapporteur. - Je suis heureux de constater le nombre de questions que cette proposition de loi a suscitées. Cela prouve que le sujet n'est pas anodin et qu'il méritait une tribune dans notre Haute Assemblée.

Tout d'abord, cette proposition est portée par le groupe de l'union centriste mais René-Paul Savary m'a accompagné dans toutes les auditions et a énormément travaillé sur l'élaboration de ce texte. Je voulais l'en remercier particulièrement.

Par ailleurs, M. Néri a souligné que la mise en place de l'Apa est une bonne mesure. En effet, la moyenne d'âge d'entrée en établissements est passée de soixante-quinze à quatre-vingt cinq ans dans les départements ruraux où les gens sont isolés. Cependant, les établissements, dans l'avenir, ne seront plus des maisons de retraites classiques mais de véritables hôpitaux, destinés à accompagner dignement les derniers jours de la vie. Il faut donc les adapter à cette nouvelle mission. Or, le problème vient du reste à payer à la charge des familles. Là est le véritable défi. Actuellement, l'investissement pèse sur les résidents à travers le forfait d'hébergement. On réalise des piscines et des gymnases sur les fonds publics et on laisse les personnes âgées hébergées en maison de retraite payer seules le taudis dans lequel elles vivent. C'est insupportable !

Le forfait dépendance vient en déduction du reste à payer pour les familles soit, dans mon département, 45 % de l'Apa. C'est le second bénéfice de cette loi.

M. Néri considère qu'il faudrait retirer la proposition de loi. Non, car ce sera une tribune pour poser le problème !

Une enveloppe de 170 millions d'euros est proposée pour venir en aide aux départements. Si nous retirons les retraités du champ de la proposition de loi, les 200 millions d'euros par an provenant des travailleurs indépendants ne seront pas à négliger.

L'article 16 du PLFSS prévoit de créer une troisième section à la CNSA. Mais il n'y a aucune perméabilité entre les sections. Cette année, la CNSA dégage 300 millions d'euros d'excédents. Pourtant, elle a drastiquement réduit les aides à l'investissement allouées aux départements. Ce sont des choses qu'il conviendra de faire savoir !

Jean-Noël Cardoux et Catherine Procaccia ont évoqué leurs réticences à l'extension de la CSA. Je connais les arguments des travailleurs indépendants. Comment admettre que l'on demande un effort de solidarité aux salariés sans que le médecin, l'avocat, le notaire, le boucher ne soient assujettis ? C'est indéfendable ! Il faut que tout le monde participe ! Certains travailleurs indépendants connaissent, il est vrai, des difficultés mais une contribution de 0,3 % de leur revenu demeure toute symbolique.

Les syndicats se sont fortement opposés à la mise en place de la CSA, en particulier la CGT, estimant injuste que seuls les salariés acquittent cette contribution. Quel gouvernement reviendra sur la CSA, qui représente 2,5 milliards d'euros de recettes ? Aucun ! Je m'adresse ici aux membres du groupe CRC : en élargissant la CSA aux retraités et aux non-salariés, nous proposons de réparer cette injustice !

M. Guy Fischer. - Nous allons y réfléchir !

M. Gérard Roche, rapporteur. - En réponse à Jean-François Husson, j'estime que la décentralisation est une bonne chose. Toutefois, lorsque l'on décentralise les missions, il faut également décentraliser les moyens. Or, il y a toujours eu discordance entre les deux !

Conformément à l'accord politique passé entre les présidents de groupe pour ce qui concerne l'examen des textes inscrits à l'ordre du jour du Sénat sur proposition d'un groupe d'opposition ou minoritaire, la commission a décidé de ne pas adopter le texte de cette proposition de loi, afin qu'elle soit débattue, en séance publique, dans la rédaction initiale voulue par ses auteurs.

Nomination d'un rapporteur

La commission nomme Mme Catherine Deroche en qualité de rapporteur sur la proposition de loi n° 640 (2011-2012) relative au versement des allocations familiales et de l'allocation de rentrée scolaire au service d'aide à l'enfance lorsque l'enfant a été confié à ce service par décision du juge.

Journée nationale du souvenir du 19 mars - Examen du rapport et du texte de la commission

Au cours d'une deuxième réunion tenue dans l'après-midi, la commission procède à l'examen du rapport de M. Alain Néri relatif à la proposition de loi n° 188 (2001-2002), adoptée par l'Assemblée nationale, relative à la reconnaissance du 19 mars comme journée nationale du souvenir et de recueillement à la mémoire des victimes civiles et militaires de la guerre d'Algérie et des combats en Tunisie et au Maroc.

Mme Annie David, présidente. - La proposition de loi que nous allons examiner a été inscrite à l'ordre du jour de la séance publique du jeudi 25 octobre au matin, à la demande du groupe socialiste et dans le cadre de son espace réservé. Avant que nous n'entendions notre rapporteur, Alain Néri, je vais inviter notre collègue Marcel-Pierre Cléach à s'exprimer. Bien que n'appartenant pas à notre commission, il m'a demandé à présenter sa position en sa qualité de président du groupe d'études des sénateurs anciens combattants. J'ai répondu favorablement à sa demande, en plein accord avec notre rapporteur. Son intervention, après laquelle il se retirera, ne sera pas suivie d'un débat.

M. Marcel-Pierre Cléach, président du groupe d'études des sénateurs anciens combattants. - J'attendais, pour réunir le groupe d'études des sénateurs anciens combattants, que le rapport d'Alain Néri soit présenté. Je sais déjà que ses membres seront partagés, car c'est un très vieux sujet : déjà, en septembre 1981, le secrétaire d'Etat aux anciens combattants avait réuni trente et une associations à ce propos. Vingt-neuf d'entre elles avaient exprimé leur opposition, et deux, dont la Fnaca, étaient pour le choix du 19 mars comme date de commémoration.

Depuis plusieurs années, les rapports entre les partisans de ce projet et ses opposants sont assez tendus au sein du monde combattant. J'avais espéré un apaisement : quand j'ai rapporté la loi qui a fixé au 11 novembre la commémoration de tous les morts pour la France quels que soient les conflits auxquels ils avaient participé, nous avions, avec Alain Néri et le secrétaire d'Etat, Marc Laffineur, trouvé un accord en précisant que cette célébration n'excluait pas la continuation des autres commémorations. Cette loi, à la suite d'une très large concertation, a presque fait l'unanimité du monde combattant. La division persiste néanmoins. Et je crains que l'inscription à l'ordre du jour du Sénat de cette proposition de loi datant de 2002 ne ravive ces problèmes au sein du monde combattant : le comité d'entente, qui groupe l'Union nationale des combattants (UNC) et une quarantaine d'associations représentant environ un million deux cent mille anciens combattants, nous a fait parvenir un communiqué exprimant son opposition.

Personnellement, je suis opposé à cette proposition de loi, pour des raisons de fond, de forme, et d'opportunité. La première raison de fond, c'est qu'elle va consacrer et raviver la division du monde combattant, comme cela avait été le cas en 1981. Il me paraît illusoire d'espérer un rassemblement autour de quelque date que ce soit.

Du point de vue de la vérité historique, le 19 mars n'a pas ramené la paix en Algérie, il ne s'agit que du cessez-le-feu. Malheureusement, il y a encore eu après cette date, dans les rangs de l'armée française, 145 tués, 162 disparus, et 422 blessés, sans parler du sort des harkis, au sujet desquels les chiffres varient de 60 000 à 150 000 tués. Il en résulte une perception très douloureuse du 19 mars dans les familles des harkis, dans celles des militaires français qui sont morts après cette date, et chez les Français d'Algérie, qui ressentent encore très douloureusement la coïncidence entre une célébration nationale française et la fête de l'indépendance algérienne.

La tradition française est de fêter les victoires. On fête rarement les défaites ou les échecs. On n'a pas fêté l'armistice signé par Pétain en 1940 ni les accords de Genève consacrant la perte de l'Indochine. Or l'armistice de 1962, au moins par ses conséquences, représente un échec, dont la célébration n'est peut-être pas nécessaire.

Nous avons déjà une journée, fixée au 5 décembre par décret, pour la même commémoration.

Mme Catherine Génisson. - Elle ne correspond à rien.

M. Marcel-Pierre Cléach. - J'en conviens, comme je conviens de ma joie et de mon soulagement lorsque je me suis embarqué à Philippeville pour regagner la métropole.

Je pensais qu'il y avait une évolution des mentalités qui allait dans le bon sens, vers plus d'unanimité et de sagesse. Chacun aurait organisé sa commémoration sans en appeler aux parlementaires. Nous savons bien aussi que dans vingt ans, dans trente ans, nous aurons disparu. Nos enfants seront sans doute moins acharnés que nous à défendre telle ou telle position. Le 11 novembre a vocation, à très long terme, à rassembler le monde combattant autour d'une seule date, fortement symbolique.

Sur le plan de l'éthique parlementaire, enfin, débattre au Sénat en 2012 une proposition de loi votée en 2002 à l'Assemblée nationale, sans concertation avec les associations, alors que les élus ne sont plus les mêmes et que les circonstances ont changé, ne me semble pas idéal.

Alors que le modus vivendi qui avait été trouvé préparait un apaisement important pour l'unité nationale, je crains que le débat qui est relancé ne contribue à raviver des positions très antagonistes, car il est un des seuls qui clivent autant au sein du monde combattant.

Il faut laisser du temps au temps. Pour conclure, je voudrais citer ce que M. Floch, secrétaire d'Etat aux anciens combattants socialiste, disait lors de la séance du 1er décembre 2001 au Sénat : « En réalité, le domaine est plus qu'historique. Il touche au profond de nous-mêmes, de notre histoire, de l'histoire de la France, de l'histoire des Françaises et des Français. C'est bien pour cela que sénateurs et députés sont maintenant chargés de dire leur mot. Des textes ont été déposés, sur lesquels il faut réfléchir et ouvrir un vrai débat. Mais, sur un sujet comme celui-ci, on ne peut décider par une simple majorité politique ou politicienne. Que signifierait une décision prise à 51 % des votants ? Les uns et les autres, nous savons avancer les arguments nécessaires, et nous savons qu'il y a des moments historiques. Mais ces derniers sont-ils suffisamment forts pour nous imposer une date ? » En l'absence d'une majorité d'au moins 70 %, et d'une espèce de consensus de caractère national sur un sujet de cette importance, il jugeait devoir redemander à l'ensemble tant des partis et des mouvements politiques que des associations d'anciens combattants représentatives des anciens d'Afrique du Nord de débattre à nouveau sur le sujet et de prendre position. Et il concluait : « Nous ne sommes pas à quelques jours près ».

M. Cléach quitte la salle.

M. Alain Néri, rapporteur. - La proposition de loi que je vais vous présenter a été adoptée le 22 janvier 2002 à l'Assemblée nationale. C'est aujourd'hui la fin d'un long cheminement, suspendu durant dix ans.

Cinquante ans après le cessez-le-feu en Algérie, il est temps d'apporter une réponse à ceux qui, entre 1954 et 1962, ont répondu à l'appel de la Nation avec abnégation et courage, dans le respect des lois de la République, et quel que soit l'avis qu'ils portaient individuellement sur le conflit en Algérie. Cette troisième génération du feu présente une particularité à ne pas oublier. Ce sont les enfants de la guerre de 1939-1945 : ils ont connu les souffrances matérielles, mais aussi morales et affectives, de l'occupation et de la guerre. Certains n'ont connu leur père qu'à cinq ans révolus, certains ne l'ont jamais connu. Lorsqu'ils ont été appelés en Algérie, c'était un dépaysement total pour eux, parfois même leur premier voyage - et quel voyage... Ils sont arrivés dans un pays en guerre, même si on parlait hypocritement de pacification : les trois armées étaient engagées. Et aux 30 000 morts, la Nation ne se précipitait guère pour rendre un hommage solennel. Souvent on les gardait à Maison-Carrée en attendant un bateau qui les rapatrie dans leur commune pour y être inhumés en catimini.

La troisième génération du feu a droit, comme les autres, à une juste reconnaissance de la Nation. Notre action commune a amélioré la reconnaissance matérielle, par l'attribution de la carte du combattant qui, auparavant, n'était délivrée que pour des actions de feu et de combat, ce qui était étrange puisqu'on n'admettait pas qu'il s'était agi d'une guerre. Il a fallu défendre des amendements à l'Assemblée nationale puis au Sénat, pour que soit retenue l'exposition au risque en Algérie.

Le 11 novembre, c'est l'armistice, pas la fin de la guerre. Le 8 mai 1945 non plus. Malgré les morts après ces deux dates, on les reconnaît comme celles auxquelles les anciens combattants et la Nation se rassemblent au pied du monument aux morts pour leur rendre hommage. La troisième génération du feu ne peut pas se contenter d'une date ubuesque, qui n'a aucun sens. Il s'agit de l'anniversaire de l'inauguration du mémorial national quai Branly, qui, de surcroît, aurait eu lieu dix jours plus tôt sans une indisposition du président Chirac. Cette date n'a aucun sens historique ou symbolique. Pourtant, cette troisième génération du feu mérite encore la reconnaissance de la Nation ne serait-ce que parce que, à l'appel du général de Gaulle, les soldats du contingent ont répondu présent pour s'opposer au putsch des généraux d'avril 1961. Ils ont sauvé la République, personne ne peut le contester.

Personne ne prétend que le 19 mars marque la fin de la guerre. Pour nous, il n'est pas question de raviver la division entre les anciens combattants, au contraire. Pensez-vous que la date du 5 décembre ne l'a pas attisée ? Elle a été choisie rapidement, sans concertation, par un décret qui restreignait le champ de la commémoration aux « morts pour la France » pendant la guerre d'Algérie, alors que, justement, nous devons dépasser ce type de restriction. Il y a ceux qui ont souffert avant le 19 mars : les appelés, les militaires de carrière, leurs familles. Et il y a ceux qui ont souffert après le 19 mars : les rapatriés, déracinés, et les harkis, odieusement abandonnés par la Nation...

Mme Marie-Thérèse Bruguière. - Oui !

M. Alain Néri, rapporteur. - ... sur ordre du gouvernement. Ceux qui sont revenus en métropole ont pu le faire parce que certains officiers français ont eu le courage de s'opposer aux ordres reçus.

Mme Catherine Génisson. - C'est vrai.

M. Alain Néri, rapporteur. - Encore certains n'ont-ils pas été accueillis parce que - c'est inacceptable ! -, on ne les a pas autorisés à descendre des bateaux. Le 19 mars constitue l'occasion de réconcilier dans l'apaisement ceux qui ont souffert avant et après cette date. Et aussi de rappeler que la France, la Nation, tous, nous sommes responsables.

Ce n'est ni une défaite, ni une victoire. Oui, les soldats du contingent étaient contents de rentrer chez eux. Lorsque le général de Gaulle a consulté les Français, dès le 8 avril, 90,7 % des votants ont dit oui. Qui peut dire qu'il n'y a pas un large rassemblement autour de cette date ? Le conflit a concerné l'ensemble de la Nation, ce qui est beaucoup plus large que les associations. Pas une famille qui n'ait eu un père, un époux, un fils en Algérie. D'ailleurs, de très nombreuses communes font référence au 19 mars sur des plaques ou des monuments. Qui peut dire que c'est illégitime, après le vote d'assemblées régulièrement élues ?

Je vous ai éclairés à défaut de convaincre sur un sujet aussi charnel. Dix ans se sont écoulés. Oui c'est long, trop long : cinquante ans après, il est plus que temps de rendre hommage à cette troisième génération du feu parce que si on attend le soixantième anniversaire, il n'y aura plus beaucoup d'anciens combattants d'Algérie : le plus jeune a déjà soixante-dix ans. Cette date doit devenir la citadelle, le beffroi, le phare, qui rassemble la mémoire collective. Ceux qui ont eu vingt ans dans les Aurès ont le droit que la Nation rassemblée leur rende hommage le 19 mars, parce que c'est aussi une façon de réconcilier la Nation avec son histoire.

M. Guy Fischer. - Je souscris entièrement à ce qu'a dit Alain Néri et voudrais contribuer à notre réflexion par la lecture de deux lettres. J'ai, avec Nicole Borvo Cohen-Seat, envoyé la première au Président de la République le 18 juillet dernier :

« Nous avons à coeur de souligner la nécessité pour notre pays de s'engager dans la voie de la reconnaissance de son passé colonial et des tragiques conséquences qui découlèrent.

« Notre propos vaut bien sûr pour toutes les anciennes colonies françaises, mais en cette année du cinquantième anniversaire de la fin de la guerre d'Algérie, il nous semblerait particulièrement symbolique que notre pays accepte enfin de regarder son passé en face, d'assumer pleinement ses responsabilités vis-à-vis du peuple algérien.

« Faisant suite à des décennies d'asservissement des populations, à des répressions massives à la moindre velléité de révolte, au pillage des richesses locales au profit des oligarchies financières qui contrôlaient toutes la vie politique et économique du pays, cette guerre longue et cruelle coûta la vie à cinq ou six cent mille Algériens, parmi lesquels un nombre considérable de femmes et d'enfants. Du côté français, près de 30 000 hommes sont tombés. A ces chiffres terribles, il convient d'ajouter un nombre incalculable de blessés et de victimes marqués psychologiquement parce qu'ils sont dans l'incapacité d'oublier, sans oublier le drame des Harkis et le désespoir des rapatriés.

« Certaines dates nous rappellent à quel point la violence et le crime d'Etat sont indissociables du colonialisme : la sauvage répression du 8 mai 1945 à Sétif, la « disparition » du mathématicien Maurice Audin en juin 1957, le massacre du 17 octobre 1961 à Paris et le massacre du 8 février 1962 au métro Charonne, sous les ordres du préfet de police Maurice Papon.

« Pour apaiser la douleur de toutes les victimes civiles et militaires, celle de leurs familles, pour redéfinir des relations saines avec le peuple et le gouvernement algériens, il est aujourd'hui aussi indispensable qu'urgent de définir les responsabilités, de les assumer.

« Des deux côtés de la Méditerranée, les populations jeunes ou moins jeunes, ayant connu la guerre ou non, manifestent une immense soif de vérité sur cette période sombre, estimant à juste raison que tant que perdureront secrets, non-dits et tentatives révisionnistes, France et Algérie ne pourront assurer la paix et la fraternité entre leurs peuples.

« Ce n'est que lorsque ce passé sera pris en compte qu'une coopération réciproquement avantageuse pourra se mettre en place entre la France et l'Algérie, tant sur le plan culturel qu'économique ou scientifique. Cette coopération devrait intégrer la question de la libre circulation des personnes qui ont très fréquemment des attaches familiales dans les deux pays.

« Un traité d'amitié pourrait concrétiser la nouvelle base de ces relations.

« De plus, au moment où les peuples du Maghreb et du Proche-Orient manifestent leurs aspirations à la démocratie, à de vrais changements politiques et sociaux dans leurs pays, la France s'honorerait de s'inscrire positivement dans l'écriture de ce renouveau démocratique, de contribuer à de nouveaux rapports entre tous les peuples du sud de la Méditerranée.

« La voix de la France dans le monde n'en serait que plus respectée et sa réputation de patrie des droits de l'Homme restaurée ».

Dans sa réponse, le Président Hollande constate que les mémoires collectives des deux côtés de la Méditerranée entretiennent une guerre larvée de rancoeurs qui perturbe les relations entre les deux pays. Et il poursuit : « L'année 1962 a mis fin aux atrocités de la guerre d'Algérie. Il avait fallu l'autorité du général de Gaulle pour s'inspirer enfin de la clairvoyance de Mendès France qui avait su, à son époque, mettre fin à la guerre d'Indochine. Cette guerre, responsable, de part et d'autre, de tant de morts et de tant de tragédies humaines, ne fut reconnue comme telle que par le gouvernement de Lionel Jospin, qui a ainsi ouvert la voie à une reconnaissance officielle de la France de sa responsabilité historique dans le drame colonial. Ce travail de mémoire doit se poursuivre, en France comme en Algérie ». Assurant vouloir travailler à une réconciliation qui pourrait se concrétiser, si l'Algérie y est disposée, par un grand traité d'amitié, il concluait : « Nous avons le devoir, à l'égard des générations présentes et futures, de développer les synergies évidentes entre la France et l'Algérie. »

La guerre d'Algérie, la lutte pour le cessez-le-feu ont été à la base de mon engagement politique. J'ai, en 1962, fêté l'indépendance de l'Algérie et, dans ma ville, à Vénissieux, aux Minguettes, l'impact de cette période historique a été fort. Avec mon groupe, qui avait pris des initiatives similaires, nous soutiendrons et nous voterons cette proposition de loi.

Mme Marie-Thérèse Bruguière. - Mon mari était en Algérie pendant trente-six mois. A Montpellier, nous avons une population importante de harkis, ainsi que des rapatriés. Nous commémorons la fin des combats le 5 décembre. Il faut voir l'émotion que l'on ressent devant le monument aux morts. Il y a eu après le 19 mars des tueries terribles ; nos populations ne sont pas prêtes à entendre qu'il ne s'est rien passé.

M. Alain Néri, rapporteur. - Ce n'est pas ce que je dis.

Mme Marie-Thérèse Bruguière. - Elles se sentent abandonnées, comme si on ne reconnaissait pas leur douleur. Tout en comprenant votre position, je ne peux vraiment pas voter ce texte.

M. Ronan Kerdraon. - J'ai le même âge que le cessez-le-feu. Je voudrais saluer et féliciter notre rapporteur pour sa persévérance et pour le plaidoyer passionné qu'il nous a adressé. Cinquante ans, voilà peut-être le temps qu'il fallait pour observer le passé avec un certain recul. Merci de nous aider à regarder notre histoire dans sa douloureuse vérité.

Le 19 mars, c'est le cessez-le-feu, pas la fin de la guerre. Le 8 avril, 90 % des Français approuvent le général de Gaulle. Le 1er juillet, les Algériens se prononcent pour l'indépendance, qui est effective le 3 juillet. Le 4 juillet, Ben Bella devient Président de la République, et, le 5, l'indépendance est officiellement proclamée. En effet, il y a eu des morts après le 19 mars. Mais on est bien dans un processus de décolonisation, et nous n'avons pas fait en Algérie le même choix de décolonisation que dans d'autres régions. Il est clair que cela ne pouvait pas se passer autrement après le 19 mars. La meilleure preuve en est que les événements d'Algérie, comme on disait alors, ont failli entraîner à la fois la fin de la République et celle de ses institutions.

Commencer à parler de guerre dans les manuels d'histoire a été un premier pas appréciable. Les anciens combattants d'Algérie et leurs familles ont besoin d'une date qui ait un sens, ce qui n'est pas le cas du 5 décembre, cette date fortuite. Le 19 mars est non pas l'occasion de célébrer une victoire ou une défaite, mais une boussole pour l'ensemble de la Nation, un repère marquant le sacrifice d'une génération. Dix ans pour faire aboutir cette proposition de loi, c'est deux ans de plus que la durée de la guerre d'Algérie. Une telle reconnaissance est juste et méritée.

Mme Catherine Génisson. - Le sujet est très lourd. Le rapporteur l'a rappelé, il a d'abord fallu admettre la réalité des événements d'Algérie : c'est sous le gouvernement de Lionel Jospin que le terme de guerre a été définitivement reconnu.

Le cessez-le-feu ne marque pas la fin des exactions. Les rapatriés, comme les harkis, ont subi des traitements odieux. Ce n'est malheureusement pas le propre de cette guerre. La date du 5 décembre a ravivé beaucoup d'interrogations et a été reçue par certains comme une blessure, dans la mesure où elle ne correspond à rien. On a inhumé le 16 octobre 1977 le soldat inconnu d'Algérie à Notre-Dame de Lorette, dans ma circonscription du Pas-de-Calais ; cette date est régulièrement commémorée par les anciens combattants et elle les réunit. Le 5 décembre, au-delà de la reconnaissance par le Président de la République de ce qui s'est passé pendant la guerre d'Algérie, ne correspond à rien. Nous ne pouvons pas cautionner cela.

En tant que parlementaires, nous devons reconnaître les événements, nous n'avons pas à raconter l'histoire. En ce qui me concerne, dix ans après son examen à l'Assemblée nationale, je voterai ce texte, sans négliger pour autant la souffrance qui a existé après le 19 mars.

M. Gérard Longuet. - J'ai écouté le plaidoyer d'Alain Néri avec beaucoup de respect. La défense qu'il a faite de la volonté de la troisième génération du feu d'être reconnue pose une question majeure. Réponse de facilité, la date du 5 décembre ne restitue pas la symbolique qu'il a évoquée. Néanmoins je ne soutiendrai pas sa proposition.

Ce n'est pas que je conteste l'importance du 19 mars. Le cessez-le-feu a été pour les appelés et pour les civils en métropole un véritable soulagement. Après sept ans de guerre, d'incertitude politique, d'hésitations et de retournements qui avaient créé un noeud gordien, il est possible que cette décision se soit imposée. Je comprends parfaitement que la troisième génération du feu veuille sa date, indépendamment du 11 novembre qui doit être une grande journée de recueillement de tous les combattants morts pour la France.

Les deux autres générations du feu ont eu des dates sans ambiguïté. Le 11 novembre a certes été suivi de l'engagement français en Pologne et en Turquie, mais il correspond à une décision politique, l'armistice, unanimement approuvé aujourd'hui. Le 8 mai est également une date politique. Vous avez évoqué les combats qui l'ont suivi ; la guerre d'Indochine a été difficile et coûteuse. La France a pu participer à la signature de la capitulation allemande, à Reims puis à Berlin, parce que le 15 août 1944, l'armée d'Afrique a restauré son honneur en débarquant massivement aux côtés des Américains, avant d'accompagner la remontée victorieuse de l'armée de Lattre, renforcée par la 2e division blindée (DB) et les volontaires de la résistance intérieure.

Le drame du 19 mars, c'est qu'il a une signification politique qui sanctionne 130 années de présence en Algérie, c'est dire que cette date est profondément équivoque : les accords d'Evian n'ont été respectés ni par les uns ni par les autres. Il faut que les populations civiles, quelle que soit leur origine, comprennent ce qui s'est passé - et en disant cela, je rappelle que Ben Bella a été adjudant en Indochine et que nombre de Nord-Africains ont versé leur sang pour la France, ce qui montre la complexité des choses. Voilà la raison pour laquelle, lorsque j'étais ministre de la défense, j'ai autorisé une exposition aux Invalides sur la présence militaire française en Algérie. Je l'ai fait aussi pour que cette guerre ne soit plus l'otage des clans qui s'efforcent de consolider des positions politiques des deux côtés de la Méditerranée. J'ai été sifflé par un public de rapatriés, alors même que l'on me présente plutôt comme un ancien militant d'extrême-droite, parce que j'avais osé dire qu'il faudrait peut-être songer, comme on l'avait fait pour l'Allemagne, à la réconciliation. De même, des gens qui n'ont jamais combattu pour l'indépendance de l'Algérie font de cette guerre un fonds de commerce pour perpétuer dans ce pays un pouvoir militaire peu démocratique.

Je souhaite un apaisement. Mais le 19 mars est une date profondément ambiguë pour les civils, parce que les accords n'ont pas été respectés, et parce que les populations ont été déracinées. Tant qu'il n'y aura pas un accord franco-algérien tel que celui que de Gaulle et Adenauer ont pu conclure, cette souffrance restera vive.

Un troisième élément explique mon vote. Les militaires de carrière ont servi en Algérie à la demande de la République ; ils ont exécuté des ordres, donnés entre autres par Guy Mollet et Robert Lacoste : la responsabilité de cette guerre est largement partagée. Pour ceux qui ont engagé des combattants algériens, le cessez-le-feu du 19 mars a correspondu à l'obligation d'abandonner des combattants et leurs familles, d'abandonner des populations, pour obéir à des ordres formels. Pierre Messmer a demandé aux officiers français de trahir leur parole. Le 19 mars est le début d'une honte qui, pour certains d'entre eux, a marqué définitivement leur vie.

Mme Catherine Génisson. - C'est vrai.

M. Gérard Longuet. - Comme ancien ministre de la défense, je ne voterai pas votre texte, tout en respectant vos intentions.

M. Hervé Marseille. - Vous avez rappelé l'hommage qui doit être rendu. Chacun partage ce souci. Mais à quelle date ? Les différents gouvernements ont tâtonné, pour chercher des voies médianes, mais les compromis n'ont pas fonctionné. Nous retrouvons le problème des lois mémorielles : revient-il au Parlement de définir l'histoire, de la raconter et de l'officialiser ? Ce cinquantenaire est-il le moment de le faire ? Cette date apparaîtra comme choisie par une majorité, et ne conviendra donc jamais aux autres. Je crains qu'au lieu de rassembler, nous n'exacerbions des sentiments qui couvent toujours.

Une partie de ma commune a été construite pour accueillir les rapatriés en 1962. On disait à l'époque « la valise ou le cercueil ». Il y a encore aujourd'hui beaucoup de souffrance à vif, chez les anciens appelés du contingent, les militaires de carrière, les pieds-noirs, et dans leurs familles.

Notre groupe, dans sa majorité, s'opposera à ce texte, dont il partage l'esprit, mais dont il craint qu'il ne crée plus de conflits que d'apaisement.

Mme Samia Ghali. - Je voterai ce texte sans difficulté. Je n'étais pas née en 1962.

M. Gérard Longuet. - Aucun d'entre nous n'était né le 14 juillet 1789.

Mme Samia Ghali. - Vous l'étiez en 1962... Vos propos étonnent la fille d'Algériens que je suis. Vous oubliez les Algériens, qui ont également subi une guerre atroce qu'ils n'ont pas plus choisie que certains Français. Il y a d'ailleurs eu beaucoup de rapprochements. Entre la France et l'Algérie, c'est encore un peu « je t'aime, moi non plus », et cela restera ainsi tant qu'on n'aura pas tranché ces questions. Moi qui n'ai pas vécu ces événements personnellement, j'en suis un peu détachée, et j'imagine que mes enfants auront du mal à comprendre l'histoire de leur pays si l'on ne peut pas leur expliquer à quoi correspondent les dates commémoratives. Si nous n'avons pas à faire l'histoire, il nous faut pouvoir expliquer les dates. Or je ne sais pas dire pourquoi le 5 décembre a été choisi alors que je saurai expliquer le 19 mars - une partie des accords d'Evian a tout de même été mise en application.

Maire de secteur, je célèbre le 19 mars à Marseille avec les associations. Les communautés algérienne et harki y sont très présentes, et je n'entends pas sur le terrain les débats que vous avez ici. Personne ne nous a jamais reproché de célébrer le 19 mars. Ne tombons donc pas dans une polémique stérile.

Je regrette que la France soit absente du développement économique algérien, faute d'avoir su retisser des liens sur ces sujets, et aille chercher l'argent du Qatar...

M. Gérard Longuet. - ... qui n'est jamais que le nôtre.

Mme Samia Ghali. - Il faut dépassionner le débat.

M. Jacky Le Menn. - Je tiens à souligner la qualité et la dignité de nos débats. Je voterai cette proposition. Et pourtant j'étais un engagé volontaire. Je suis resté en Algérie du 9 octobre 1958 au 9 octobre 1961, et j'ai bien vu comment cette guerre dérapait, de part et d'autre, et la douleur qu'elle a laissée. Il faut un moment de souvenir, qui marque la fin de la guerre, comme le 11 novembre ou le 8 mai.

A un moment donné, on doit choisir une date à l'intention de notre descendance - serons-nous là pour le soixantième anniversaire ? Le 5 décembre ne correspond à rien. Certes, on peut formuler des reproches à l'encontre du 19 mars ; oui, les Algériens commémorent une victoire et nous ne voulons pas reconnaître un échec ; oui, certains auraient voulu continuer après le 19 mars, parce que le résultat n'était pas ce qu'ils espéraient - il faut aussi replacer dans son contexte l'attitude de l'encadrement qui sortait de la guerre d'Indochine... J'ai reçu un courrier des anciens de l'UNC de ma ville insistant sur le compromis réalisé autour du 5 décembre - un compromis qui n'était pas unanime. Si je conviens qu'il ne faut pas réveiller la douleur d'une génération et que certains peuvent commémorer une autre date, nous avons besoin d'un moment de mémoire pour ceux qui y sont restés - cela nous renvoie à des images affreuses. J'assumerai le choix de cette date, non sans question, devant les anciens combattants de ma commune.

Mme Annie David, présidente. - Je remercie tous les participants à cette réunion, qui a été très intéressante. N'ayant pas connu personnellement la guerre d'Algérie, je me rallierai volontiers aux arguments de Samia Ghali. Quand je participe aux commémorations du 19 mars, j'entends les critiques. Tout n'était pas fini le 19 mars. Toutefois, plus on repoussera le choix d'une date de commémoration, et plus on retardera la nécessaire réconciliation entre nos deux peuples. Nous soutiendrons la proposition de loi.

M. Alain Néri, rapporteur. - J'ai écouté vos interventions avec émotion. Des arguments fondés ont été échangés, ce qui est appréciable. Alors qu'il y a dix ans les propos avaient souvent été outranciers, nous avons fait oeuvre de raisonnement, d'apaisement et de rassemblement. J'espère qu'une majorité se dégagera jeudi prochain. Il avait fallu trente-sept ans pour que la Nation reconnaisse la guerre d'Algérie pour ce qu'elle était. Elle l'a fait à l'unanimité des deux chambres du Parlement. Cinquante ans après le cessez-le-feu, il est temps de faire en sorte que cette guerre, trop longtemps restée sans nom, ne soit plus une guerre sans date historique et symbolique, pour que la Nation se rassemble autour des victimes d'une cruelle tragédie.

M. Gérard Longuet. - Je souhaite en effet que le débat soit de qualité. Inspirons-nous des grands républicains de la IIIe République. Quand ils ont choisi le 14 juillet pour la fête nationale, ils ont, avec beaucoup d'intelligence, retenu, pour rassembler le peuple français, la fête de la Fédération de 1790 et non la prise de la Bastille : tout le monde y trouvait son compte. Il aurait fallu associer l'hommage au contingent et, quoi qu'en pense Mme Borvo Cohen-Seat, la reconnaissance d'une présence française qui ne mérite pas une image si dégradée.

La proposition de loi est adoptée sans modification.