Mercredi 10 avril 2013

- Présidence de Mme Bernadette Bourzai, présidente -

Audition de MM. Jean-Louis Gérard, sous-directeur des produits alimentaires, Didier Gautier, directeur du service national d'enquête, Hugo Hanne, chef du bureau de la veille économique et des prix, Mme Geneviève Morhange, adjointe au chef de bureau et Mme Odile Cluzel, chef du bureau du commerce et des relations commerciales à la Direction générale de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes (DGCCRF)

Mme Bernadette Bourzai, présidente. - Nous avons le plaisir de recevoir la Direction générale de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes (DGCCRF), qui joue un rôle majeur pour la protection du consommateur.

Mme Sylvie Goy-Chavent, rapporteure. - Suite au scandale de la découverte de viande de cheval dans des lasagnes étiquetées comme contenant de la viande de boeuf, le ministre chargé de la consommation, M. Benoît Hamon, a déclaré que les filières viandes seraient placées sous surveillance renforcée pour l'année 2013, ce qui suppose des contrôles accrus de la part de vos services. Selon M. Pierre Georget, spécialiste de la traçabilité, les contrôles de l'administration sont cependant relativement rares. Ils n'interviennent que tous les deux ou trois ans ou ponctuellement sur alerte, ce qui ne permet pas d'assurer que le système de qualité et de traçabilité est au point.

Pourriez-vous nous expliquer en quoi consiste votre mission de contrôle ? Pourquoi les contrôles de l'administration sont-ils si peu nombreux ? Dans quelle mesure le système repose-t-il sur les autocontrôles réalisés par les industriels ? Pensez-vous que ces autocontrôles soient suffisants ? Disposez-vous de moyens humains et financiers adaptés pour mener à bien votre mission ? Quelles sont selon vous les forces et les faiblesses du système de traçabilité ?

M. Jean-Louis Gérard, sous-directeur des produits alimentaires et des marchés agricoles et alimentaires. - C'est à un double titre que nous sommes invités à nous exprimer devant cette mission d'information : nous souhaitons vous présenter à la fois les missions de la DGCCRF et l'activité de l'Observatoire de la formation des prix et des marges des produits alimentaires. C'est pourquoi j'ai proposé à M. Hugo Hanne, qui représente la DGCCRF auprès de cet observatoire, de se joindre à nous aujourd'hui.

Les contrôles que nous effectuons chaque année sont extrêmement variés. Ils portent à la fois sur la sécurité des produits alimentaires, sur leur qualité, sur des questions économiques et plus spécifiquement sur le respect du droit de la concurrence. Les contrôles en lien avec la sécurité concernent notamment les additifs, les arômes ou encore l'hygiène. Nous nous intéressons également de très près à la loyauté des transactions et nous recherchons s'il existe des fraudes dans les relations commerciales. Lorsque nous faisons des contrôles dans le secteur plus spécifique de la filière viande, nous nous intéressons particulièrement aux allégations portées sur les produits et leur emballage, à leur étiquetage, à leur traçabilité, à leur composition, au respect des usages et des cahiers des charges.

Pour mener à bien ces contrôles, nous pouvons nous appuyer sur plusieurs structures. Nous disposons tout d'abord d'un Service national des enquêtes (SNE), dont le chef, M. Didier Gautier, est aujourd'hui à mes côtés. Les brigades interrégionales d'enquêtes de concurrence, ensuite, s'intéressent principalement aux questions économiques. Nous avons enfin des directions départementales de la protection des populations (DDPP), qui comprennent à la fois des agents relevant du ministère de l'agriculture et des agents relevant de la DGCCRF.

Le SNE travaille en partie sur la base de plans annuels. Il établit ainsi un plan annuel de contrôle de la loyauté des transactions en abattoir, en application duquel il examine l'aspect économique de ces transactions dans la perspective d'assurer une rémunération équitable aux apporteurs, éleveurs comme marchands de bestiaux. Le SNE contrôle également la qualité du traitement des carcasses ou encore le classement des carcasses en fonction des critères communautaires - contrôle de la pesée, marquage des carcasses... En 2012, le SNE a ainsi effectué 139 contrôles dans 120 abattoirs différents, l'objectif étant que l'ensemble des abattoirs soient contrôlés sur une période de trois ans. Des procédures contentieuses sont engagées à chaque fois que des manquements sont constatés. Pour l'année 2012, une vingtaine de procès-verbaux a été transmise au parquet.

A côté de ces plans annuels de contrôle, le SNE effectue des enquêtes ponctuelles qui portent sur un thème particulier et qui durent deux à trois trimestres. Il contrôle par exemple la qualité des steaks hachés, la traçabilité des viandes découpées et mises en barquette pour la grande distribution, ou encore les ventes sur internet, qui se développent beaucoup et sur lesquelles nous sommes particulièrement vigilants.

Le SNE peut enfin apporter son appui technique aux DDPP dans les contrôles effectués auprès de la distribution.

Ces différents contrôles sont réalisés à tous les niveaux de la filière viande, à l'exception de l'élevage, qui est contrôlé par les services vétérinaires. Nous intervenons notamment dans les abattoirs et dans les ateliers de découpe, tandis que nos équipes départementales interviennent davantage au stade de la distribution pour contrôler notamment les étiquetages, les dates limites de consommation et le procédé dit de la « remballe », qui fait l'objet d'une surveillance particulière.

La fréquence à laquelle les différents acteurs de la filière viande sont contrôlés varie selon le type de contrôles effectués. Les contrôles de la première mise sur le marché, qui sont extrêmement fouillés, sont programmés dans un délai allant de un à cinq ans selon le degré de risque associé à une entreprise particulière. Nous distinguons trois catégories de risques (faible, moyen, élevé) ; lorsque le risque est élevé, nous intervenons au moins une fois par an pour un contrôle complet de l'établissement concerné.

Mme Sylvie Goy-Chavent, rapporteure. - Comment déterminez-vous ces différents niveaux de risque ?

M. Jean-Louis Gérard. - Le degré de risque associé à un établissement est évalué en fonction de plusieurs indices : les éventuels contentieux dont un établissement a fait l'objet, les éventuelles alertes qui nous sont transmises, par exemple par le système européen d'alerte rapide (RASFF), le risque microbiologique attaché à certains produits, les risques attachés aux processus employés ... Tous ces éléments sont pris en compte pour réaliser une analyse de risques, qui est révisée chaque année, et qui détermine la fréquence de nos contrôles sur l'ensemble des établissements qui relèvent de la DGCCRF, c'est-à-dire tous les établissements à l'exception de ceux qui font l'objet d'un agrément sanitaire.

Par ailleurs, dans le cadre de notre directive nationale d'orientation et de nos plans annuels de contrôle, les DDPP interviennent auprès d'établissements préalablement ciblés pour contrôler les pratiques des professionnels. Ces interventions sont réalisées sur différents sujets ponctuels, tels que l'étiquetage et la traçabilité, la protection contre l'encéphalopathie spongiforme bovine (ESB), la détection des salmonelles.

Lorsqu'une enquête est déclenchée à la suite de dénonciations ou d'informations qui nous sont transmises par des organisations professionnelles, nous intervenons extrêmement rapidement. De même, lorsque nous initions un contrôle sur la base des alertes déclenchées au plan communautaire ou sur le fondement d'informations transmises par d'autres Etats membres de l'Union européenne (UE), nous intervenons en urgence dans les entreprises concernées. Cela signifie que nous nous mobilisons pour pouvoir, dans les plus brefs délais, déployer la batterie de moyens qui nous est dévolue par le code de la consommation : réunir l'ensemble des documents nécessaires, réaliser des prélèvements aux fins d'analyse, consigner ou saisir la marchandise le cas échéant, prendre les mesures de police administratives qui s'imposent ...

Ainsi, tandis que certaines entreprises ne sont effectivement soumises qu'à peu de contrôles, d'autres établissements, qui posent davantage problème, nous reçoivent beaucoup trop à leur goût.

En 2012, 70 % des enquêtes déclenchées par une plainte ont été achevées en moins de deux mois. 83 % des enquêtes de réactivité du SNE ont été traités dans les délais fixés par l'administration centrale, qui sont généralement des délais très courts. Grâce au SNE, qui couvre l'ensemble du territoire national et qui est composé d'agents spécialisés mobilisables très rapidement, nous disposons d'une véritable force d'intervention. Dans l'affaire de la viande de cheval, le SNE a pu intervenir chez Spanghero et chez Comigel dès le lendemain du jour où nous avons reçu des informations suffisamment précises pour déclencher une enquête.

Mme Bernadette Bourzai, présidente. - De combien d'agents disposez-vous au plan national et dans chaque département ?

M. Jean-Louis Gérard. - Au plan national, 2 561 enquêteurs interviennent sur l'ensemble des missions de la DGCCRF. Ces enquêteurs sont affectés à la fois dans les directions régionales des entreprises de la concurrence, de la consommation, du travail et de l'emploi (DIRECCTE), dans les DDPP et dans l'administration centrale. Cette dernière comprend environ 400 personnels, parmi lesquels des enquêteurs et des attachés, qui sont chargés notamment de la mise en place des plans annuels de contrôle et de l'élaboration de la réglementation.

Le nombre d'agents est très différent selon les territoires. Dans certains petits départements de moins de 400 000 habitants - ce seuil marquant la présence d'une DDPP -, comme par exemple la Corrèze, il n'est pas rare de trouver entre 4 et 7 enquêteurs relevant de la DGCCRF, le chef de département compris. Il s'agit d'un effectif extrêmement faible, d'autant qu'on trouve de la viande dans tous les départements, y compris les plus petits.

Mme Sylvie Goy-Chavent, rapporteure. - Cela signifie-t-il que la répartition des enquêteurs sur le territoire ne serait pas pertinente au regard des besoins ?

M. Jean-Louis Gérard. - La répartition des effectifs vise à garantir la couverture des territoires la plus équilibrée possible dans la mesure des possibilités, notamment face aux départs en retraite, et de manière proportionnée par rapport à la population et au nombre d'entreprises du département considéré. Il n'en reste pas moins que certaines situations sont préoccupantes, ce qui a conduit certains personnels à manifester le week-end dernier à Paris.

Mme Renée Nicoux. - Qu'en est-il des services vétérinaires dans les abattoirs ?

M. Jean-Louis Gérard. - Ces services dépendent du ministère de l'agriculture. Les personnels affectés dans les abattoirs relèvent de la direction générale de l'alimentation (DGAL) et sont rattachés à la DDPP. Dans certains départements, leur effectif peut être beaucoup plus important que le nôtre : près de 200 personnes dépendent ainsi de ces services en Ille-et-Vilaine. Certes, un véritable besoin existe dans ce département compte tenu de la nature de son tissu économique. Cependant, nous sommes en comparaison très peu nombreux pour accomplir l'ensemble de nos missions.

M. Didier Gautier, directeur du Service national des enquêtes (SNE). - Il est important de préciser que les chiffres que nous vous avons donnés concernent l'ensemble des missions dont la DGCCRF a la charge, de la régulation économique des marchés à la protection des consommateurs, et pas seulement les contrôles sur la filière viande.

M. Jean-Louis Gérard. - On peut penser qu'il existe en moyenne un agent chargé de ces contrôles spécifiques dans chaque département, deux ou trois peut-être à Paris.

Mme Bernadette Bourzai, présidente. - Ces effectifs varient sans doute localement, notamment selon le nombre d'abattoirs fonctionnant dans chaque département.

Mme Anne Emery-Dumas. - Quelle est la place de la mutualisation dans le fonctionnement de vos services ?

M. Jean-Louis Gérard. - Bien que le fonctionnement de nos services soit très lié au quotidien, nos compétences et celles des services vétérinaires sont clairement réparties. Les services vétérinaires n'ont aucune compétence en matière de fraude ou de loyauté des transactions commerciales. Les services de la DGCCRF interviennent dans les abattoirs exclusivement sur les questions économiques et non sur les questions sanitaires.

Nous avons un intérêt commun en matière d'hygiène alimentaire. Sur cette question, nos compétences sont réparties de la manière suivante : les services vétérinaires contrôlent les produits d'origine animale tandis que nous travaillons sur les produits d'origine végétale, comme par exemple les graines germées.

M. Jean-Jacques Lasserre. - L'affaire qui nous préoccupe a soulevé la question de l'insuffisance des contrôles exercés sur l'origine des produits carnés. On a le sentiment, lorsque l'on vous écoute, que les contrôles sont très nombreux sur l'aval de la filière viande, mais de plus en plus rares à mesure que l'on remonte cette filière, pour devenir inexistants au stade de la fourniture de matière première.

Comment expliquer que des activités frauduleuses aient pu être pratiquées pendant aussi longtemps sans être détectées ? Est-ce un problème de moyens ? De champ de compétences ? Ne voyez pas dans ma question une forme de critique à l'égard de votre administration, dont je sais qu'elle travaille beaucoup avec peu de moyens.

M. Jean-Louis Gérard. - En matière de fraude, les infractions ne sautent pas aux yeux. Leur détection nécessite de procéder à des investigations approfondies : comparaison de documents, examen des qualités substantielles du produit fourni, analyses ponctuelles et aléatoires de certains produits...

La tâche est cependant compliquée par le fait que les fraudeurs connaissent très bien la réglementation ainsi que les moyens d'habiller leurs pratiques pour éviter tout soupçon. Bien souvent, c'est à l'occasion d'un contrôle aléatoire que l'on relève des éléments discordants, par exemple sur l'étiquetage, qui nous conduisent à engager de telles investigations.

Notre réglementation repose sur l'obligation d'autocontrôle qui revient aux opérateurs en application de l'article L. 212-1 du code de la consommation. Ceux-ci ont la responsabilité de s'assurer que les produits mis sur le marché sont conformes à la réglementation. Le non respect de cette obligation peut caractériser l'élément intentionnel de l'infraction de tromperie.

Bien évidemment, un contrôleur n'est pas présent derrière chaque opérateur pour vérifier le respect de cette obligation. Lorsque nous recevons des informations sur les pratiques d'une entreprise, parfois par le biais d'une dénonciation ou à la suite du licenciement d'un employé, nous menons une enquête pour pouvoir établir l'existence d'une infraction.

M. Didier Gautier. - En réalité, l'affaire de la viande de cheval n'est pas si ancienne : la substitution de viande de cheval à de la viande de boeuf date du début de l'année 2012, en France comme en Europe. Un service de la DGAL aurait pu avoir connaissance d'une infraction du même type mettant en jeu les mêmes acteurs dès l'année 2010, ce qui aurait pu nous alerter si l'information nous avait été transmise.

Les contrôles documentaires sont parfois difficiles à réaliser, davantage encore lorsque les produits proviennent de l'étranger. Les produits concernés par la récente fraude et qui se trouvaient sur le territoire français étaient accompagnés de documents indiquant qu'il s'agissait de boeuf. Dès lors, pour qu'un contrôleur français puisse constater la substitution, il faut remonter jusqu'au lieu où le faux étiquetage a été effectué - aux Pays-Bas en l'espèce, mais plus largement en Pologne, en Espagne, en Irlande. Or la compétence des corps de contrôle nationaux s'arrête aux frontières. Dans le cadre de l'enquête actuellement menée, le parquet de Paris ayant ouvert une information judiciaire, nous devrons rencontrer nos collègues néerlandais.

Mme Sylvie Goy-Chavent, rapporteure. - Quelle était la quantité de produits concernée par la fraude liée à la substitution de viande de cheval ? De quels pays ces produits provenaient-ils ?

M. Didier Gautier. - Cette affaire a directement concerné 800 tonnes de viande de cheval de France. On peut estimer cependant que cette fraude aurait porté sur environ 50 000 tonnes de viande depuis la fin de l'année 2011 ou le début de l'année 2012. Les produits ne provenaient pas seulement d'Europe de l'Est, mais également du Canada, ce que nous avons découvert récemment, ou encore d'Espagne ou d'Irlande. A l'heure actuelle, nous avons pu identifier 7 filières de viande de cheval en France.

Mme Sylvie Goy-Chavent, rapporteure. - N'a-t-on pas atteint les limites du système d'autocontrôle ?

M. Didier Gautier. - Il faut distinguer, au sein des opérateurs concernés par cette affaire, ceux qui avaient l'intention de frauder de ceux qui se sont simplement montrés négligents. Certains, notamment les traders, avaient nécessairement connaissance de la substitution opérée puisque c'est grâce à cette substitution qu'ils ont gagné de l'argent : ils ont acheté de la viande de cheval à un prix très bas et l'ont ensuite revendue en la présentant comme de la viande de boeuf. D'autres opérateurs se sont montrés négligents dans les contrôles qu'ils avaient l'obligation d'effectuer aux stades de la fabrication et de la distribution. Dans le cadre de notre enquête sur la viande de cheval, nous avons pu constater que le dernier autocontrôle réalisé par un grand acteur de la distribution datait de novembre 2011. Dans ce cas précis, il est clair que l'autocontrôle n'est pas à la hauteur des enjeux.

M. Jean-Jacques Lasserre. - Comment la viande a-t-elle physiquement transité de Roumanie vers les usines françaises ? Quel trajet a-t-elle parcouru ? A quel moment les fausses étiquettes ont-elles été apposées ?

M. Didier Gautier. - En raison de l'ouverture d'une enquête judiciaire, je ne peux pas vous divulguer tous les éléments dont nous disposons. Il apparaît cependant clairement désormais que, partis de Roumanie où ils étaient étiquetés comme viande de cheval, une partie des produits a d'abord transité par Breda, aux Pays-Bas, où ils ont été conservés dans des entrepôts frigorifiques. C'est alors que la substitution d'étiquetage a eu lieu et que la mention « BF » leur a été apposée. A son arrivée chez Spanghero après un trajet en camion, la viande a subi une deuxième falsification d'étiquetage et a été étiquetée comme viande d'origine française, avec agrément sanitaire des autorités françaises. Elle est enfin arrivée dans l'usine luxembourgeoise Tavola, qui dépend de l'entreprise Comigel. On a donc eu, au total, une double falsification d'étiquette.

M. Jean-Louis Gérard. - Lorsque la viande est arrivée chez Spanghero, son code douanier indiquait qu'il s'agissait de viande de cheval. Spanghero ne pouvait donc ignorer la véritable nature du produit qu'il vendait.

M. Didier Gautier. - Dans le cas de la filière Comigel-Findus-Spanghero, il s'agissait vraisemblablement d'une fraude dont les acteurs avaient connaissance. D'autres entreprises en revanche ne savaient pas qu'on leur avait livré de la viande de cheval et non de la viande de boeuf.

M. Jean-Louis Gérard. - J'aimerais ajouter quelques éléments à la décharge des opérateurs qui n'étaient pas directement impliqués dans la fraude. Afin de pouvoir établir une substitution d'espèce, il est nécessaire, pour certains produits, de procéder à des tests ADN ; ces tests sont très coûteux et il n'est pas habituel de les pratiquer. En outre, il est impossible de distinguer visuellement la viande de cheval de la viande de boeuf dans les produits surgelés. Sans être des fraudeurs, ces opérateurs se sont montrés négligents.

Mme Sylvie Goy-Chavent, rapporteure. - Je suis effarée de constater que des produits importés qui parcourent autant de kilomètres restent malgré tout moins chers que de la viande française.

Mme Renée Nicoux. - Vous avez indiqué que l'on estimait à 50 000 tonnes la quantité de viande de cheval concernée. La fraude découverte ne représenterait donc que la partie émergée de l'iceberg ?

M. Jean-Louis Gérard. - D'autres produits ont en effet transité par d'autres circuits en Europe. 16 autres États membres de l'Union européenne (UE), avec lesquels nous sommes en contact dans le cadre de notre enquête, ont découvert de la viande de cheval mal étiquetée sur leur territoire.

La Commission européenne a pris en charge cette affaire de façon très sérieuse. Dès le 19 février dernier, elle a adressé une recommandation aux Etats membres les incitant à réaliser des tests. Nous avons ainsi effectué 150 tests en France. Les résultats de cette analyse ont ensuite été transmis à la Commission, qui décidera des suites à leur donner. Il est probable qu'elle demandera le maintien d'une surveillance particulière, bien qu'à un niveau moindre que celui observé pendant la crise.

La question qui se pose désormais est la suivante : comment faire évoluer la réglementation européenne pour améliorer la traçabilité des produits et parvenir à ce que l'origine des produits et des ingrédients des plats transformés soit mentionnée ? Le règlement n° 1169/2011 concernant l'information du consommateur sur les denrées alimentaires entre progressivement en vigueur et l'essentiel de ses dispositions devrait être applicable à la fin de l'année 2014. Ce règlement prévoit que plusieurs rapports soient établis par la Commission dont un rapport sur l'étiquetage de l'origine de l'ingrédient viande dans les produits transformés. Un tel étiquetage peut se révéler très complexe et très coûteux à mettre en oeuvre, notamment lorsque plusieurs ingrédients ont des origines différentes. Dans le contexte de demande très forte de transparence de la part des consommateurs, les ministres se sont montrés très exigeants vis-à-vis de la Commission et ont demandé que la publication de ce rapport, prévue pour décembre 2013, soit avancée au mois de septembre de manière à ce qu'un texte puisse ensuite être adopté et soit applicable rapidement.

M. Jean-Jacques Lasserre. - L'obligation d'étiquetage ne concernerait que l'ingrédient principal d'un produit transformé, ce qui serait déjà complexe. On serait donc bien loin de la traçabilité complète de l'ensemble des ingrédients d'un plat cuisiné.

M. Didier Gautier. - Il est à noter que la viande ne représente que 7 à 18 % des produits transformés.

Mme Sylvie Goy-Chavent, rapporteure. - Notre mission a pour but de restaurer la confiance des consommateurs, et parmi eux des consommateurs musulmans, qui se demandent quelle est la valeur de la certification des produits halal. Serait-il possible que l'on découvre un jour de la viande de porc vendue comme de la viande de boeuf ? Puisque le mode d'abattage des animaux n'est pas indiqué sur l'étiquetage des produits carnés, dans quelle mesure pouvez-vous effectuer des contrôles dans les abattoirs pour examiner la manière dont les animaux sont abattus, et notamment s'ils sont ou non étourdis ? On sait que certains produits importés ont été abattus rituellement, mais avec étourdissement.

M. Jean-Louis Gérard. - Il s'agit d'un sujet très sensible et très complexe, sur lequel nous nous montrons très prudents, car il est extrêmement difficile de définir ce qu'est un produit halal. S'il s'agit seulement d'un produit provenant d'un animal abattu sans avoir fait l'objet d'un étourdissement préalable, des contrôles peuvent en effet être effectués dans les abattoirs. Le rituel défini par la religion musulmane est cependant beaucoup plus précis. Certaines de ses conditions échappent totalement à une administration chargée d'effectuer un contrôle sanitaire. Le mode d'étourdissement préconisé varie même selon les associations musulmanes.

Mme Geneviève Morhange, ajointe au chef du bureau produits d'origine animale. - Un décret a été pris à la fin de l'année 2011 pour améliorer le contrôle de l'abattage rituel. Ce texte vise à garantir le respect du bien-être animal et à assurer la plus grande adéquation possible entre le nombre d'animaux abattus rituellement et les besoins du marché. Les abattoirs s'engagent à n'abattre selon le rite que lorsqu'ils ont une commande de produits halals.

Nous réalisons des contrôles visant à détecter une fraude ou à assurer la traçabilité d'un produit. Lorsque nous recevons une demande de consommateurs, nous cherchons par exemple à déterminer si un étiquetage a pu être modifié. En revanche, nous n'avons pas de véritable compétence en ce qui concerne l'abattage lui-même, qui est du ressort du religieux.

Mme Sylvie Goy-Chavent, rapporteure. - Avez-vous les moyens d'évaluer le nombre d'animaux abattus rituellement ? Le fait qu'il n'existe pas d'étiquetage spécifique des produits halal signifie-t-il que le système est purement déclaratif et ne repose que sur l'autocontrôle ? Pourrait-on imaginer qu'une viande d'importation soi-disant halal puisse contenir du porc ?

Mme Geneviève Morhange. - Nous effectuons régulièrement des contrôles de composition des produits, notamment sur des merguez, que les produits soient halal ou non. Il est en effet déjà arrivé que l'on trouve du porc à cette occasion.

Mme Bernadette Bourzai, présidente. - L'efficacité du décret de décembre 2011 a-t-elle fait l'objet d'une évaluation ?

Mme Sylvie Goy-Chavent, rapporteure. - Une directive européenne impose le respect de normes de bien-être animal très strictes pour l'obtention du certificat bio. Contrôlez-vous le respect de ces normes dans le cas du bio halal ? Peut-on considérer que le bien-être animal est respecté dans le cas d'un abattage sans étourdissement ?

Mme Geneviève Morhange. - Aucune évaluation n'a pour l'heure été menée quant à l'application du décret de décembre 2011. Sur le respect du bien-être animal, je crains que nous ne puissions vous en dire plus sur cette question qui relève de la compétence exclusive des services vétérinaires.

Mme Bernadette Bourzai, présidente. - Il est apparu que l'entreprise Spanghero a non seulement vendu du cheval pour du boeuf, mais a également vendu du mouton non conforme à la législation européenne qui interdit la commercialisation de viande séparée mécaniquement (VSM). Pouvez-vous nous en dire plus ?

Mme Geneviève Morhange. - Suite au scandale de la vache folle, la réglementation européenne a interdit la séparation mécanique des viandes sur os issues de ruminants. Il existe cependant des divergences d'interprétation entre les Etats membres sur ce qu'est une VSM, dont la définition présente quelques ambiguïtés. Cette définition repose sur trois critères selon les textes européens : la matière première utilisée doit être une viande avec os ; la séparation doit être effectuée par des machines ; elle ne doit pas conduire à un niveau trop important de déstructuration de la fibre musculaire. Les discussions au niveau européen portent principalement sur ce dernier critère, les Anglais considérant que la technique qu'ils utilisent est suffisamment douce pour ne pas détruire les fibres musculaires.

Suite à un contrôle effectué au Royaume-Uni, au début de l'année 2012, par l'office vétérinaire européen, qui a constaté l'existence de ces pratiques, il a été demandé au Royaume-Uni d'y mettre fin. Les VSM ont ainsi été totalement interdites à partir du mois d'avril 2012. Les produits retrouvés en France étaient des produits fabriqués avant cette interdiction.

Mme Renée Nicoux. - Les merguez sont-elles fabriquées à partir de viande issue du procédé de séparation mécanique ?

Mme Geneviève Morhange. - En France, nous faisons respecter l'interprétation donnée par les autorités européennes de la définition de la VSM. Nous considérons que les produits issus de procédés de séparation même doux sont des VSM. Ces produits ne sont pas interdits en tant que tels pour le porc et la volaille, mais leur obtention par cette technique doit être indiquée sur l'étiquetage. La technique de la séparation mécanique est en revanche totalement interdite pour les ruminants. Sauf fraude, la viande de mouton ne peut donc être traitée par séparation mécanique pour fabriquer des merguez.

Mme Bernadette Bourzai, présidente. - Un opérateur de bonne foi qui constate une fraude à la réception d'un produit est-il dans l'obligation de le signaler ?

M. Jean-Louis Gérard. - Un opérateur qui aurait connaissance d'une caractéristique frauduleuse d'un produit sans en informer l'administration ou les services de police deviendrait de fait complice de l'infraction. Il doit donc immédiatement signaler la fraude qu'il a relevée.

Mme Bernadette Bourzai, présidente. - Nous avons auditionné un opérateur industriel qui nous a dit qu'il était en mesure de distinguer la viande de boeuf de la viande de cheval dans les produits qu'il reçoit. Qu'en pensez-vous ?

M. Jean-Louis Gérard. - Il est tout à fait possible d'identifier visuellement ou par prélèvement une viande fraîche. C'est en revanche impossible lorsque la viande se présente sous forme de minerai ou lorsqu'elle est congelée.

Mme Bernadette Bourzai, présidente. - Existe-t-il une définition du minerai de viande, terme employé dans le commerce de la viande ? Pouvez-vous nous parler des marges et des prix dans la filière viande ?

Mme Geneviève Morhange. - Le terme de minerai est un terme professionnel d'usage, utilisé par les industriels. Il n'existe pas de définition réglementaire du minerai de viande. Ce terme recouvre des réalités très diverses et renvoie globalement à la matière première.

M. Hugo Hanne, chef du bureau de la veille économique et des prix. - La DGCCRF réalise plusieurs travaux concernant la transparence des prix, qui donnent lieu à des publications régulières. Depuis le début de l'année 2010, les travaux de deux observatoires sont publiés sur le site de la DGCCRF. Ces travaux sont destinés à l'ensemble des publics, consommateurs comme professionnels.

Effectués à partir des données figurant sur les tickets de caisse dans 7 000 supermarchés et hypermarchés français, les travaux réalisés par l'Observatoire de la formation des prix et des marges des produits de grande consommation dans la grande distribution fournissent des informations précises sur l'évolution des prix à la consommation, principalement pour les produits alimentaires.

L'objectif du second organisme, l'Observatoire des prix et des marges des produits agricoles, est d'évaluer les prix de ces produits de l'amont à l'aval des filières, de la production vers la consommation, selon une démarche verticale. Il évalue ainsi les cours des matières premières agricoles portées par les marchés mondiaux (blé, maïs, sucre, cacao, café, soja..), les prix à la production agricole, le prix des produits importés et les prix à la consommation de ces produits. Les travaux de cet observatoire sont réalisés à partir de trois produits (un fruit, un légume, la viande bovine) sur lesquels est observée l'évolution de la marge brute mensuelle et annuelle.

Nous participons également aux travaux de l'Observatoire des prix et des marges des produits alimentaires présidé par le Professeur Philippe Chalmin. Il s'agit d'une enceinte qui permet de faire travailler au sein de groupes de travail l'ensemble des professionnels, des producteurs aux industriels et à la grande distribution. Cet observatoire, qui a débuté ses travaux fin 2010 suite à la loi de modernisation de l'agriculture et de la pêche (LMAP), a déjà produit deux rapports remis au Parlement.

Le rapport de cet observatoire pour l'année 2012 a pour la première fois réalisé une estimation des marges nettes dans la grande distribution pour cinq filières agricoles. Il a permis de mettre en évidence que le rayon viande bovine présente une marge nette négative de - 2 % et est donc déficitaire pour la grande distribution, notamment en raison de coûts très importants de main d'oeuvre. Les rayons volaille (+ 6 %) et viande porcine (+ 5 %) sont au contraire les plus profitables pour la grande distribution.

Cet observatoire arrivant cette année à l'échéance de son mandat, la question se pose de la prolongation de ses travaux, soit à travers la pérennisation de cette structure, soit à travers la prolongation de son mandat pour quelques années supplémentaires.

Le bureau de la veille économique et des prix produit également des études intitulées « DGCCRF-éco ». La dernière de ces études porte sur l'évolution des cours mondiaux des produits alimentaires et leur transmission dans les prix alimentaires à la consommation.

Mme Odile Cluzel, chef du bureau du commerce et des relations commerciales. - La DGCCRF ne réalise pas pour l'heure d'enquêtes spécifiques sur les relations commerciales entre les acteurs de la filière viande. Ces relations sont examinées dans le cadre d'enquêtes transversales réalisées par mon bureau. Nous réalisons principalement deux enquêtes : la première porte sur les pratiques commerciales de la grande distribution vis-à-vis de ses fournisseurs sur l'ensemble des produits ; la seconde concerne les délais de paiement. Il n'a pas été mis en évidence de tensions particulières dans le cadre de la filière viande, sauf sur un point : notre enquête 2012 a montré des tensions dans le secteur de la charcuterie, ce que nous approfondirons dans notre rapport 2013.

Mon bureau travaille également sur la prise en compte de la hausse des prix des matières premières agricoles dans le cadre des relations commerciales. Une table ronde qui s'est tenue le 21 novembre 2012, et qui a rassemblé les ministres de l'agriculture, de l'agroalimentaire et de la consommation ainsi que les acteurs économiques du secteur, a débouché sur une mission de l'Inspection générale des finances (IGF) et du Conseil général de l'agriculture, de l'alimentation et des espaces ruraux (CGAAER), qui doivent rendre leurs conclusions avant le mois de mai 2013. Cette mission a pour l'heure produit un rapport d'étape qui fournit quelques orientations sur lesquelles nous travaillons actuellement. Ces travaux pourraient déboucher sur un article au sein du projet de loi sur la consommation, qui prévoirait l'obligation pour les parties à un contrat d'une durée d'au moins trois mois d'insérer une clause de renégociation du prix en cas de forte variation du prix des matières premières à la hausse comme à la baisse. Il s'agirait ainsi de favoriser une meilleure répartition des variations de prix des matières premières sur tous les maillons de la chaîne d'approvisionnement.

M. Jean-Louis Gérard. - Le projet de loi sur la consommation prévoit par ailleurs en son article 65 un renforcement des sanctions pour l'infraction de tromperie. Ces sanctions pourraient être portées à 300 000 euros d'amende et jusqu'à 10 % du chiffre d'affaires de l'entreprise.

Mme Bernadette Bourzai, présidente. - Nous aurons l'occasion d'y revenir lors de l'examen du projet de loi sur la consommation. Nous remercions pour votre contribution particulièrement intéressante et dynamique.

Mme Sylvie Goy-Chavent, rapporteure. - Ce renforcement des sanctions serait bienvenu ; cependant, s'il est nécessaire de sanctionner des tromperies, il est mieux encore de pouvoir les déceler rapidement et de pouvoir s'appuyer sur un personnel suffisant pour ce faire.

Audition de MM. Pierre Chevalier, président, Jean-Pierre Fleury, secrétaire général et Patrick Bénézat, vice-président de la Fédération nationale bovine (FNB)

Mme Bernadette Bourzai, présidente. - Nous souhaitons la bienvenue à la fédération nationale bovine (FNB), qui représente les éleveurs de bovins allaitants, et entrons directement dans le vif du sujet : pouvez-vous nous dire où en est la contractualisation ?

M. Pierre Chevallier, président de la Fédération nationale bovine. - Nous avons beaucoup travaillé sur la contractualisation avec le ministre Stéphane Le Foll ainsi qu'avec son prédécesseur en poursuivant un but précis : la mise en place dans notre filière du contrat de filière avec sécurisation du revenu des producteurs, prenant en compte les coûts de production. Notre objectif est de contractualiser 30 % de la production de jeunes bovins, afin de soutenir les prix du marché. Nous étions les premiers à travailler sur ce sujet, avant même le secteur du lait. Le prix de revient du jeune bovin est établi par l'Institut de l'élevage, sur la base de l'amortissement des bâtiments d'élevage sur quinze ans, et en prenant en compte le coût de l'alimentation du bétail sur les marchés mondiaux. Cette méthode est totalement transparente. Elle conduit à fixer aujourd'hui ce prix de revient à 4,70 € par kilo. Quelques entreprises commencent à être intéressées par notre démarche.

Mais il serait souhaitable que le contrat de filière fasse l'objet d'un accord interprofessionnel, impliquant le syndicat national des industriels de la viande (SNIV), la Fédération nationale de l'industrie et du commerce en gros des viandes (FNICGV) et Coop de France. C'est le seul moyen pour sauver la production de viande dans notre pays !

La France est riche de son élevage bovin. La production de viande bovine française représente 25 % de la production européenne. Le cheptel est composé de 3,5 millions de vaches laitières, 4,2 millions de vaches de race à viande sur un total de 25 millions de vaches laitières et 12 millions de vaches allaitantes en Europe. Les vaches ne font qu'un veau par an : on ne peut donc pas démultiplier la production, contrairement aux secteurs du porc ou de la volaille. L'Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE) et l'Organisation des Nations unies pour l'alimentation et l'agriculture (FAO) prévoient une augmentation de 15 à 20 % de la consommation mondiale dans les dix prochaines années. En Europe, nous consommons 7,8 millions de tonnes de viande bovine. Dans 10 ans, nous consommerons en Europe la même quantité car nous sommes dans une situation d'érosion de la consommation dans les pays de l'ouest de l'Europe mais de hausse dans les nouveaux États membres du fait de l'élévation de leur niveau de vie. Or, l'élevage est parvenu aujourd'hui au point de rupture économique et sociologique, alors que les prévisions de croissance sont très encourageantes au niveau mondial. Nous exportons maintenant au Japon, nous nous ouvrons vers l'Asie qui représente la moitié de la population mondiale. Il faut donc passer par la contractualisation pour surmonter la situation actuelle et sauver l'élevage français.

La dispersion des éleveurs est forte. Mais celle des industriels l'est également. Les trois acteurs industriels majeurs que sont le SNIV, la FNICGV et Coop de France n'arrivent pas à s'entendre pour organiser le marché. En Italie, les acteurs économiques ont moins de souci : entre août et octobre dernier, ils ont réussi à faire baisser le prix du broutard d'environ 200 euros par tête, alors même que le prix du taurillon engraissé n'avait pas changé. Quand j'ai dénoncé l'accord entre entreprises italiennes, sur le dos des éleveurs français, j'ai été critiqué. C'est pourtant la réalité. Et 200 euros par tête, c'est le montant annuel de la prime à la vache allaitante, pour le maintien de laquelle nous nous battons à Bruxelles.

Il est donc bien nécessaire de travailler ensemble pour peser sur le marché, même s'il faut le faire sans franchir les limites permises par les autorités de la concurrence. Les industriels y auraient au demeurant intérêt. En effet, pour ne prendre qu'un seul exemple, le groupe Bigard, qui assure 42 % de l'abattage en France, souffre d'une baisse de 10 % de ses volumes traités. Avec de tels chiffres, des fermetures d'abattoirs, en particulier dans l'ouest, sont inévitables. La contractualisation constitue une réponse pertinente, mais il faut un accord interprofessionnel pour l'imposer. Il est temps que certains industriels et certaines coopératives qui passent leur temps à se combattre au lieu de coopérer cessent ce comportement suicidaire.

Mme Sylvie Goy-Chavent, rapporteure. - J'ai rencontré un groupe de 63 éleveurs qui m'expliquaient qu'ils étaient à la merci des abattoirs des grands groupes. Ils voudraient disposer d'abattoirs de plus petite dimension pour ne pas être dépendants de quasi-monopoles. Que pensez-vous de cette suggestion, et du développement des circuits courts ?

M. Pierre Chevalier. - Les abattoirs de proximité sont utiles pour les abattages d'urgence, ou encore pour l'aménagement du territoire. Mais l'abattage doit plus fondamentalement faire face à l'enjeu de la compétitivité. Si les taxes d'abattage sont trop élevées, il ne sera pas possible d'être compétitifs. La restructuration des abattoirs est un mal nécessaire, et si l'on perd du tonnage comme nous l'observons aujourd'hui, on perd en compétitivité. Je ne crois pas que nous puissions être compétitifs en-dessous de 3 000 à 4 000 tonnes, sauf cas particulier. C'est vrai qu'ici ou là, un petit abattoir peut fonctionner très bien, à condition d'intervenir sur une niche particulière, en filière courte, par exemple.

Mme Bernadette Bourzai, présidente. - Disposez-vous de statistiques sur les modes d'abattage avec et sans étourdissement ?

M. Pierre Chevalier. - Selon les statistiques de la direction générale de l'alimentation (DGAL), l'abattage rituel représentait en 2010 12 % des abattages, considérés en nombre de têtes de veaux et de gros bovins.

Mme Sylvie Goy-Chavent, rapporteure. - Sur quoi ces chiffres sont-ils basés ?

M. Jean-Pierre Fleury, secrétaire général de la FNB. - Ces chiffres sont fondés sur les statistiques des services vétérinaires départementaux.

Mme Sylvie Goy-Chavent, rapporteure. - C'est du déclaratif.

Mme Bernadette Bourzai, présidente. - Que pensez-vous du rapport 2012 de l'observatoire des prix et des marges, qui semble mieux documenté que celui de 2011 ?

M. Jean-Pierre Fleury. - En donnant des chiffres clairs, l'observatoire permet de nourrir les débats, mais ses conclusions sont discutables. Il faut rappeler le contexte : durant les cinq dernières années, le revenu moyen annuel des éleveurs de bovins allaitants s'est établi à environ 15 000 euros par actif. C'est le plus faible revenu de l'ensemble des productions agricoles. Et nous apprenons dans le même temps que la grande distribution aurait des marges négatives en viande bovine. Cette conclusion est, pour nous, parfaitement scandaleuse. Les marges calculées pour la grande distribution résultent de chiffres fournis de manière volontaire par les entreprises, sans qu'il soit possible de les vérifier, alors que ceux concernant les éleveurs proviennent de bases de données objectives, incontestables, comme le réseau d'information comptable agricole (RICA). Les industriels ont également effectué des efforts importants de transparence. Pour la grande distribution, on observe que lorsque les enseignes disposent de rayons traditionnels de boucherie en leur sein, elles gagnent de l'argent. En revanche, elles en perdent lorsque la gestion des rayons est trop simplifiée, avec une vente effectuée de manière privilégiée en barquettes sous vide, car il existe un taux de perte important, qui peut dépasser 10 %.

M. Gérard César. - J'espère que cette perte va dans les banques alimentaires.

M. Jean-Pierre Fleury. - Cela n'est pas possible lorsque la date de péremption est dépassée.

Lorsque les grandes surfaces ont des marges négatives car elles organisent mal leur rayon boucherie, cette situation n'est pas de la faute des éleveurs. Par ailleurs, nous observons un biais technique dans les travaux de l'observatoire des prix et des marges : dans les groupes de distribution qui dépendent de centrales d'achat, ce sont ces dernières qui déterminent le mode de répartition de la marge. Certaines affectent l'amortissement du magasin sur les rayons viande et boucherie, en répartissant habilement la facture d'électricité sur une partie du magasin. Ainsi les résultats de l'observatoire donnent des marges négatives, ce qui est contestable.

M. Gérard César. - Le mandat de l'observatoire des prix et des marges arrive à échéance prochainement. Cet organisme doit-il être prolongé et, si oui, comment améliorer son fonctionnement ?

M. Jean-Pierre Fleury. - Il faut qu'il continue ses travaux car ses résultats ne sont intéressants qu'en les comparant dans le temps. Il faut aussi améliorer la transparence des données, par exemple sur les remises, rabais et ristournes.

M. Pierre Chevalier. - Il faut que l'observatoire utilise la comptabilité analytique des grandes et moyennes surfaces (GMS), et ne se fie pas aux seuls chiffres fournis par la grande distribution.

M. Gérard Bailly. - Comment estimer les prix et les marges ? Comment répartir entre rayons l'amortissement d'un bâtiment ?

M. Jean-Pierre Fleury. - La comptabilité des GMS est parfois établie de manière à assurer la meilleure rémunération possible des actionnaires. C'est une préoccupation légitime des centrales d'achat mais qui ne doit pas avoir d'impact sur les calculs de marges des rayons. Le modèle de l'observatoire est également altéré par l'intervention de sociétés intermédiaires entre les industriels et distributeurs. En tout état de cause, il faut perfectionner les instruments de mesure de l'observatoire des prix et des marges concernant la grande distribution.

M. Gérard Bailly. - Dans un marché mondial totalement ouvert, comment faire face à la concurrence des producteurs de viande d'autres pays ? Comment dans un tel contexte faire fonctionner la contractualisation ? Autant celle-ci est possible entre un éleveur et un industriel, autant je suis persuadé que la grande distribution ira toujours chercher les produits les moins chers.

M. Pierre Chevalier. - Un steak haché est un produit identique sur l'ensemble du marché : il fait 100 g avec 15 % de matière grasse. Un paquet de dix est vendu entre 5 et 6 euros à la grande distribution, qui le vend elle-même entre 10 et 15 euros.

La réforme de la PAC, actuellement en discussion, pourrait être accompagnée de mesures conditionnant les importations des produits agricoles à l'application de règles identiques à celles imposées par les directives européennes sur les conditions d'élevage ou encore sur le bien-être animal. Nous le réclamons depuis des décennies. Au Brésil, le plus grand industriel de la viande bovine, JBS-Friboi, n'a plus d'élevages à proximité de ses outils industriels. Les prairies ont été remplacées par de la canne à sucre. Les broutards sont élevés dans des conditions déplorables : il n'y a pas de traitement des effluents, les bêtes sont dans la boue, ne sont jamais abritées dans des bâtiments, et sont nourries avec les résidus de canne à sucre, dont la culture sert aux énergies renouvelables. Aux États-Unis, à Denver dans le Colorado, le cheptel compte 100 000 têtes, à côté de l'abattoir de JBS. Les protecteurs du bien-être animal en France et en Europe devraient aller se rendre compte d'une réalité peu reluisante. Dans les abattoirs aussi, les pratiques sont éloignées de celles de l'Europe : les cuirs sont nettoyés au karcher puis à l'eau de javel. Les carcasses sont aspergées d'acide lactique tout au long de la découpe. Avant de fabriquer des steaks hachés, on arrose préalablement la viande avec de l'acide lactique. Les États-Unis voulaient imposer l'acide lactique à l'Europe pour des raisons commerciales mais non sanitaires. On ne peut pas continuer à accepter d'importer de la viande produite dans des conditions aussi éloignées de nos exigences sanitaires, environnementales et de bien-être animal. Les négociations à l'Organisation mondiale du commerce sont biaisées.

Mme Sylvie Goy-Chavent, rapporteure. - L'équité est-elle garantie entre pays européens ?

M. Pierre Chevalier. - La France est le pays le plus exemplaire en matière de bien-être animal, de sécurité sanitaire et alimentaire, lorsqu'on se compare aux autres pays d'Europe et du monde.

Mme Sylvie Goy-Chavent, rapporteure. - Sauf pour l'abattage !

M. Pierre Chevalier. - Ce qui vous préoccupe est l'abattage halal ?

Mme Sylvie Goy-Chavent, rapporteure. - Oui, quand on abat rituellement sans étourdissement, ce n'est pas l'idéal.

M. Pierre Chevalier. - Ce débat relève davantage de votre compétence. Nous vous invitons à consulter les cultes. La production halal représente une consommation qui ne fait qu'augmenter dans notre pays et à l'extérieur et nous ne pouvons pas ne pas répondre à cette demande.

Mme Sylvie Goy-Chavent, rapporteure. - Les grands pays exportateurs de viande halal pratiquent l'étourdissement. C'est le cas, me semble-t-il pour la Nouvelle-Zélande.

M. Pierre Chevalier. - Nous sommes pour l'étourdissement. Mais il faut négocier cette question avec les représentants des cultes.

M. Gérard Bailly. - Concernant les distorsions de concurrence, nous devons les refuser.

M. Pierre Chevalier. - Il faut les dénoncer. Car face à certaines méthodes de production, nous ne serons jamais compétitifs en Europe. Nous avons fait le choix de ne pas utiliser d'hormones, par exemple.

Mme Bernadette Bourzai, présidente. - Quel a été l'impact sur la filière viande de la volatilité des prix des céréales et de la hausse du coût de l'alimentation animale.

M. Patrick Bénézit, vice-président de la FNB. - L'impact est très fort. Le prix de revient a considérablement augmenté. On a pu calculer une baisse de la rentabilité des exploitations d'élevage de l'ordre de 70 centimes d'euros sur une carcasse de 400 kg. On est donc à 300 euros par animal en moins, avec une non-répercussion de la hausse des coûts de production sur les prix de vente. Voici l'explication de la faiblesse des revenus voire l'absence de revenu des producteurs. Nous n'avons pas de pouvoir particulier sur les prix des céréales, qui sont déterminés par le marché mondial. Nous devons donc améliorer notre pouvoir de négociation avec la grande distribution qui est très puissante en France et qui a la loi pour elle aujourd'hui. Le législateur doit reconnaître dans les contrats les possibilités de variation des prix par rapport aux coûts de production, en fonction des indicateurs existants.

Nous souhaitons aussi que la réforme de la PAC entraîne une réorientation des soutiens européens vers l'élevage. Lors de la réforme de 1992, les niveaux des soutiens avaient été fixés dans un contexte de prix bas des céréales. Aujourd'hui la situation a changé et les prix des céréales ont augmenté. Il faut prendre en compte cette nouvelle réalité.

L'élevage le mérite : derrière un éleveur il y a 7,5 emplois, de la production à la distribution en passant par l'abattage. Notre production s'exporte par ailleurs de mieux en mieux et l'élevage peut participer au rétablissement de la balance commerciale.

M. Jean-Pierre Fleury. - Pour bien mesurer la situation, je précise qu'on observe 58 % de hausse du coût des aliments du bétail par rapport à 2005, et cela pourrait continuer.

Mme Bernadette Bourzai, présidente. - Les circuits courts sont-ils une des solutions ?

M. Jean-Pierre Fleury. - La France produit entre 1,5 et 1,6 millions de tonnes de viande bovine par an. Les circuits courts ne répondent pas à la problématique de masse du marché de la viande. Permettre à l'éleveur de vendre directement à une cantine scolaire reste de la micro-économie, qui peut avoir son intérêt mais ne sortira pas la filière de l'ornière. Pour autant, nous sommes très favorables aux possibilités d'introduire la notion d'approvisionnement de proximité dans les appels d'offre en restauration collective, qui se fournit aujourd'hui essentiellement en viande d'importation, voire même de remonter les seuils des appels d'offres.

M. Gérard César. - Quel est le volume des importations de viande bovine ? D'où provient la viande importée ?

Mme Sylvie Goy-Chavent, rapporteure. - Et quels morceaux et de quelle race ?

M. Jean-Pierre Fleury. - On importe environ 350 000 tonnes de viande bovine et on en exporte 350 000 tonnes. Il existe des flux croisés traditionnels avec l'Allemagne, mais on peut difficilement comparer la situation allemande à la situation française. Il existe des distorsions de concurrence, au sein même de l'Europe, notamment du fait du choix stratégique de l'Allemagne de développer les énergies renouvelables comme le photovoltaïque ou la méthanisation pour permettre aux agriculteurs de dégager un revenu à côté de l'élevage. Par ailleurs, il n'y a pas de salaire minimum en Allemagne.

On exporte des avants de carcasses en Allemagne et nous importons des arrières, car nous aimons le bifteck. On peut dire que la France est auto-suffisante en viande bovine. Sur l'équilibre des pièces, on en exporte autant qu'on en importe. La viande importée est originaire d'Irlande, d'Allemagne, du Royaume Uni et par le port de Rotterdam arrivent aussi des bovins d'Amérique du Sud : entre 50 et 60 000 tonnes. La viande d'Amérique du sud est d'ailleurs parfois du zébu, pas du bovin. C'est le prochain scandale.

Mme Sylvie Goy-Chavent, rapporteure. - Ne faudrait-il pas plus de contrôles, des tests ADN ?

M. Pierre Chevalier. - Peut-être ... On exporte également 1 million de jeunes bovins vivants en Italie et en Espagne chaque année. Si nous n'exportions pas ces bêtes, nous pourrions les engraisser en France, en poussant la production jusqu'à 2 millions de tonnes en production, c'est-à-dire plus de 400 000 tonnes supplémentaires.

M. Jean-Pierre Fleury. - Il faut trouver les marchés à l'extérieur. Certains sont en train de s'ouvrir : l'Extrême-Orient, la bordure méditerranéenne. On exportera un peu moins de céréales mais on créera des emplois : il y a plus d'emplois derrière un éleveur que derrière un céréalier.

Mme Bernadette Bourzai, présidente. - Pourriez-vous nous parler du fonds de mutualisation céréaliers éleveurs ?

M. Pierre Chevalier. - Ce fonds doit se mettre en place. Il est alimenté par une contribution volontaire. Mais cela ne marche pas. Il est nécessaire d'aller vers une cotisation volontaire obligatoire (CVO). La FNB le propose. Nous souhaitons que ce fonds contribue à la sécurisation des revenus des éleveurs par la contractualisation, prenant en compte les coûts de production. Le producteur de blé n'est pas spontanément d'accord pour payer une cotisation pour les éleveurs. Le seul moyen est donc de passer par une CVO. Le législateur pourrait d'ailleurs intervenir en ce sens. Le monde de l'élevage de ruminants est arrivé aujourd'hui, je le répète, au point de rupture économique et sociologique. Les producteurs de lait arrêtent leur activité, les éleveurs de bovins allaitants arrêtent aussi. Ils achètent des charrues et vendent les vaches.

Deux orientations sont nécessaires : d'une part il faut orienter les aides de la PAC vers les ruminants, sans quoi nous allons créer en France des déserts agricoles, et d'autre part il faut offrir aux éleveurs des prix rémunérateurs. Faute de quoi, dans dix ans, il n'y aura plus d'élevage en France.

Concernant la PAC, la part communautaire de la prime à la vache allaitante a été baissée de 200 à 150 euros. Cela a été une erreur. Désormais, il faut inventer des soutiens différenciés pour les surfaces en herbe par rapport aux surfaces cultivées. Si cela n'est pas possible, il faudra augmenter la prime à la vache allaitante à 300 euros ! On ne peut tout de même plus continuer en Europe à attribuer 350 euros par an à des céréaliers qui produisent 100 quintaux à l'hectare, lui rapportant 2 000 euros net. Le contribuable ne l'acceptera pas. Agir ainsi sera tuera la PAC.

Mme Bernadette Bourzai, présidente. - La commission des affaires européennes a voté une proposition de résolution européenne sur la future PAC en 2014-2020, demandant qu'elle soit orientée en faveur de l'élevage.

M. Gérard Bailly. - Il faudrait mettre en place des aides contracycliques. Le contribuable acceptera de payer pour le céréalier si ses revenus baissent de 40 % que si celui-ci a eu moins d'aides lorsque les prix étaient au plus haut.

M. Pierre Chevalier. - J'avais proposé les droits à paiement unique (DPU) flottants dans le cadre du bilan de santé de la PAC, mais cela n'avait pas été accepté. La consommation de viande bovine va augmenter de 10 à 20 % dans la prochaine décennie selon la FAO et l'OCDE. Or, il y a concurrence entre l'élevage et les énergies renouvelables. On risque d'aller vers des pénuries alimentaires terribles si nous n'y prenons pas garde.

Sur la viande de cheval, la situation a été gérée avec brio avec les pouvoirs publics. On avait l'expérience de la vache folle en 1996 et 2000. On est parvenu à décider d'imposer l'étiquetage des plats cuisinés alors que la commission ne voulait pas l'imposer. L'enjeu n'est pas mince : 150 000 tonnes de viande de boeuf sont utilisées pour des plats cuisinés en France. Environ la moitié est aujourd'hui de la viande de boeuf française (VBF). L'étiquetage permettra à l'élevage français de regagner des parts de marché.

Mme Bernadette Bourzai, présidente. - Je remercie les représentants de la FNB pour toutes ces précisions.

Audition de M. Jean-Pierre Duclos, président d'Elvea France

Mme Bernadette Bourzai, présidente. - Merci d'avoir répondu à notre invitation.

Mme Sylvie Goy-Chavent, rapporteure. - Pour m'en tenir à l'essentiel, je voudrais que vous nous disiez quels leviers le législateur peut, à votre avis, actionner pour soutenir la filière viande et quelles pistes de rénovation vous suggérez.

M. Jean-Pierre Duclos, président d'Elvea France. - Elvea France est une fédération regroupant 44 associations d'éleveurs reconnues comme Organisations de producteurs non commerciales (OPNC) par la loi d'orientation agricole du 5 janvier 2006 et agréées par le ministère de l'agriculture. L'agrément ministériel soulève traditionnellement une difficulté pour nos associations, le modèle des OPNC s'opposant à celui des organisations de producteurs commerciales (OPC). Les coopératives auxquelles leurs adhérents transfèrent la propriété de leurs productions en vue de leur mise sur le marché, évitant d'éventuels griefs d'entente sur un prix unique. Nous souhaitons que la reconnaissance des organisations de producteurs ne soit pas conditionnée à un tel transfert de propriété dont le principe ne figure pas dans nos statuts.

Depuis 20 ans qu'elles existent, nos associations ont permis d'accomplir des progrès sensibles, tout particulièrement en matière de traçabilité. Ce sujet est aujourd'hui au centre de vos préoccupations. En raison des événements récents, les grandes et moyennes surfaces (GMS) sont d'ailleurs de plus en plus intéressées par notre démarche et notre fonctionnement pour faire progresser la traçabilité.

Notre rôle est de renforcer le poids de l'amont, afin d'améliorer la capacité de négociation des éleveurs. Dans ce but, on évoque souvent la nécessité de concentrer la production qui demeure, il est vrai, relativement éclatée : une telle orientation me paraît souhaitable, mais sans pour autant pousser cette logique à l'excès sans quoi on risque de perdre les avantages liés à la diversité et à la spécificité régionale des productions. L'homogénéisation du produit, telle qu'on la constate, par exemple, dans la filière porcine, ne parait pas souhaitable pour les éleveurs spécialisés en viande bovine. Il faut au contraire être très attentif à la préservation de la variété des races allaitantes dans notre pays.

Les éleveurs sont en très grande difficulté économique depuis 2007-2008. Pas une région n'y échappe. Pour passer les caps difficiles provoqués par les épisodes de la vache folle puis de la fièvre aphteuse puis de la sécheresse, les éleveurs ont pu bénéficier de prêts. Lorsque les éleveurs ont été confrontés, par la suite, à des résultats négatifs pendant trois années successives - le prix de l'alimentation animale ayant explosé alors que le cours de la viande baissait - les difficultés de trésorerie se sont accumulées. Une tendance est préoccupante : pour faire face aux difficultés, les éleveurs ont commencé à ne plus conserver les génisses de renouvellement : j'avais alerté FranceAgrimer dès 2010 sur la décapitalisation du troupeau de souche.

Je regrette que nos banquiers ne nous soutiennent plus suffisamment : les établissements de crédits orientés vers l'agriculture prêtent aux céréaliers mais beaucoup moins aux éleveurs. On réduit la couverture de crédit des éleveurs. C'est une marque de défiance à l'égard de l'élevage bovin et cela entretient le mouvement de décapitalisation des troupeaux. Bien entendu, dans un premier temps, ce phénomène a permis d'alimenter les étals des boucheries mais j'ai bien peur que, dans peu de temps, il n'y ait plus guère d'animaux à vendre. Jusqu'à présent, les abatteurs demandaient des animaux et étaient prêts à augmenter les prix pour les obtenir. Mais, eu égard au pouvoir d'achat limité du consommateur, cette escalade atteint sa limite. Nous serons, à mon sens, très bientôt dans une impasse - un véritable « trou noir » en termes de quantités de production.

La solution, pour sauver les éleveurs, est avant tout de leur redonner envie d'exercer un métier qui implique aujourd'hui des conditions de vie plus difficiles que dans d'autres productions agricoles. Aujourd'hui, un éleveur travaille 365 jours par an, parfois nuit et jour.

Mme Sylvie Goy-Chavent, rapporteure. - Quelle est votre appréciation sur les filières courtes : est-ce une piste de redressement ?

M. Jean-Pierre Duclos. - Par nature, une filière courte implique une relation étroite entre un éleveur et un consommateur. Contrairement à ce qu'on croit généralement, la viande peut voyager sur de longues distances lorsqu'elle est vendue en circuits courts, compte tenu de la concentration des abattoirs dans certaines zones.

Je pratique personnellement la filière courte et peux témoigner qu'il s'agit d'un parcours difficile.

De façon générale, la filière courte n'est pas en mesure de répondre à tous les problèmes. Elle ne devrait concerner qu'une petite partie de la production. Au demeurant, un éleveur qui vend la totalité de ses produits en filière courte aura du mal à garantir un niveau extraordinaire de qualité au consommateur pour toute sa production. La filière courte est plus adaptée à la filière « Fruits et légumes » qu'à celle de la viande. De plus, la généralisation systématique de la vente directe et des filières courtes entrainerait vraisemblablement une désorganisation du marché de la viande.

Les éleveurs ont consenti des investissements importants pour se mettre aux normes sanitaires et environnementales mais, à présent, leurs revenus sont très insuffisants, ce qui provoque un sentiment de découragement.

Notre élevage allaitant se nourrit principalement d'herbe. La prime à l'herbe était très intéressante lorsqu'elle a été mise en oeuvre, mais elle s'avère contraignante, car on ne pouvant plus retourner les prairies, les éleveurs se retrouvent soumis aux aléas climatiques. Nous sommes obligés au final d'acheter des fourrages : il faudrait plus de souplesse et de logique.

Mme Bernadette Bourzai, présidente. - Êtes-vous en mesure d'évaluer le degré d'autonomie alimentaire des exploitations qui relèvent de votre fédération ?

M. Jean-Pierre Duclos. - Il est variable, selon les régions et les productions. Par exemple, dans l'Ouest de la France, où sont localisés de nombreux abattoirs, nos éleveurs engraissent les animaux au maïs ; cependant des achats complémentaires, notamment de soja, restent nécessaires. En revanche, pour le naissage - c'est-à-dire la production des jeunes animaux destinés ensuite à l'engraissement - ou l'alimentation des vaches laitières, nous sommes pratiquement autonomes. Je signale, en matière de gestion de l'herbe, que nous pratiquons le pâturage tournant, ce qui permet d'augmenter la productivité de l'herbe en diminuant les intrants. Ce travail est essentiel pour parvenir à l'autonomie alimentaire qui est un déterminant fondamental de l'avenir de nos exploitations.

M. Gérard Bailly. - Qui achète vos bestiaux et à quel prix ?

M. Jean-Pierre Duclos. - Ce sont des négociants. Avec les éleveurs de nos associations, nous travaillons, dans des filières bien définies, avec des prix arrêtés pour les agriculteurs. Le but de ces filières est ainsi de préserver une plus-value à l'éleveur au-delà du prix du marché.

Mme Bernadette Bourzai, présidente. - C'est une forme de contractualisation : est-elle formalisée par écrit ?

M. Jean-Pierre Duclos. - Les clauses contractuelles sont écrites. Cependant, je rappelle que l'OPNC n'a juridiquement pas le droit d'intervenir dans le contrat. Nous n'avons qu'un rôle de facilitateur : notre mission est de veiller à l'application des contrats.

M. Gérard Bailly. - L'acheteur traite directement avec la grande distribution ?

M. Jean-Pierre Duclos. - Le chevillard - grossiste en viande - intervient entre le producteur et la grande distribution. Certaines grandes entreprises comme le Groupe Bigard - premier transformateur de viande en France - interviennent mais nous traitons assez peu avec cette entreprise.

Pour ma part, j'assure auprès des éleveurs un suivi méticuleux des animaux jusqu'à la distribution, en vérifiant, par exemple, la conformité des certificats pour nous assurer de la qualité offerte au consommateur et que les grandes surfaces payent les animaux à un prix assez élevé pour rémunérer notre travail.

Mme Bernadette Bourzai, présidente. - Avez-vous des distributeurs attitrés ?

M. Jean-Pierre Duclos. - Nous travaillons beaucoup, par exemple, avec la Société Vitréenne d'Abattage Jean Rozé (SVA) qui dépend du Groupe Intermarché, ou encore avec les centres Leclerc. J'observe que la grande distribution a sans doute aujourd'hui besoin d'une sécurité d'approvisionnement pour un certain nombre de produits et ils sont prêts à apporter les financements adéquats pour la garantir. Cela nous permet de valoriser nos animaux avec 0,30 euros de plus que la cotation lorsque la qualité est présente.

Mme Bernadette Bourzai, présidente. - J'en conclus que la démarche de qualité prouve son efficacité. Pouvez-vous brosser un tableau de l'implantation territoriale de vos éleveurs ?

Mme Sylvie Goy-Chavent, rapporteure. - Pouvez-vous également nous dire si les difficultés se concentrent plus dans certaines régions ou pour certaines races à viande. Votre organisation couvre-t-elle le territoire ?

M. Jean-Pierre Duclos. - La région Est qui était sortie de notre fédération souhaite à présent la réintégrer : en ne la comptant pas, nous représentons déjà 2 000 exploitations ; en l'incluant, ce chiffre atteint 2 500.

Ce sont les zones intermédiaires, dans le Sud-Ouest par exemple, qui sont les plus menacées : l'élevage n'y est pas la priorité. Les éleveurs y exercent leur métier surtout par passion ou parce que les terres ne sont pas toutes labourables. Ensuite, dans le Massif central, les éleveurs disposent de surfaces herbagères mais peinent à pratiquer l'engraissement. L'Ouest, du fait de la concentration de l'abattage, pratique beaucoup l'engraissement de taurillons mais il est aujourd'hui en difficulté en raison de la montée des coûts de production. La réalité est qu'aucune région en France, n'est épargnée par la crise.

Je rappelle également que l'abandon de l'élevage laitier va diminuer le nombre d'animaux de réforme permettant de produire des steaks hachés. Les remplacer par des jeunes bovins serait une bonne idée, à condition de pouvoir y mettre le prix.

Il convient aussi d'évoquer le « créneau » que constitue l'élevage de veaux élevé sous la mère. C'est un produit noble mais qui nécessite beaucoup de travail pour l'éleveur. Certaines jeunes s'installent dans cette « niche » qui leur procure, en effet, des revenus convenables.

Mme Sylvie Goy-Chavent, rapporteure. - C'est un produit d'excellence qui marche bien. Le bio est-il également une piste à encourager ?

M. Jean-Pierre Duclos. - En tant qu'éleveur, je ne le pense pas. En effet, on peut faire du veau bio de qualité mais il est très difficile d'engraisser une vache à viande en se conformant au cahier des charges bio quand on manque de céréales. Je ne devrais peut-être pas le souligner mais on constate aussi des dérives dans l'agriculture biologique. Bien souvent, les vaches bio sont autrichiennes et nous n'avons pas le même cahier des charges partout en Europe.

Mme Sylvie Goy-Chavent, rapporteure. - Il conviendrait donc d'uniformiser les cahiers des charges de l'agriculture biologique.

M. Jean-Pierre Duclos. - Il reste beaucoup à faire en matière d'harmonisation européenne, dans de nombreux domaines. La filière bio est plus facile à développer dans le secteur des fruits et légumes. Depuis 1992, dans mon exploitation, je produis quasiment du bio puisque j'exclus les engrais chimiques de mes cultures fourragères : c'est presque du bio, mais je ne satisfais pas exactement le cahier des charges au moment de terminer l'engraissement de mes animaux.

Mme Bernadette Bourzai, présidente. - Que pensez-vous du renforcement de la traçabilité et des initiatives récentes en matière de labels de qualité ?

M. Jean-Pierre Duclos. - Le label viande bovine française (VBF) joue un rôle très positif. Il faudrait également, à mon sens, le coupler avec des chartes de qualité auxquelles devraient être soumis l'ensemble des éleveurs. Ces chartes correspondent à des engagements précis.

Autrefois les labels ont pu jouer un rôle très positif. Cependant, aujourd'hui, le coût de la certification du label pénalise les éleveurs. Le marché est tellement porteur que les animaux non labellisés peuvent procurer aux éleveurs des revenus supérieurs à ceux des animaux labellisés. D'autres signalétiques permettent de valoriser l'animal de façon aussi efficace : par exemple, la marque Charal est, pour le consommateur, tout aussi positive que le label rouge, ce qui est d'ailleurs relativement inquiétant.

Mme Bernadette Bourzai, présidente. - Le bien être animal est-il une source de contraintes ?

M. Jean-Pierre Duclos. - Quand on est éleveur, on respecte le bien être animal car nous faisons notre métier avec passion et cela comporte nécessairement une dimension affective à l'égard de l'animal.

M. Gérard Bailly. - On maintient malheureusement le loup, le lynx et l'ours...

M. Jean-Pierre Duclos. - Vous m'avez également interrogé sur la loi en gestation sur l'avenir de l'agriculture. Son premier volet devrait être consacré à l'hygiène alimentaire et à la sécurité : il faut y être très attentif. S'agissant des antibiotiques, contraindre l'éleveur à faire appel au vétérinaire pour administrer chacune des injections me parait un peu excessif et déplacé par rapport aux pratiques traditionnelles.

En ce qui concerne la performance écologique et économique des exploitations, nous sommes, à mon avis, très bien placés pour faire avancer l'élevage à l'herbe, qui me parait constituer l'avenir de l'élevage. Nos éleveurs sont également très bien positionnés en matière de captage de carbone

M. Gérard Le Cam. - Quelle est la distance moyenne parcourue par les animaux jusqu'à l'abattoir ?

M. Jean-Pierre Duclos. - Il est difficile de la calculer précisément. Les entreprises d'abattage ont constitué des pôles importants pour traiter les déchets à grande échelle et c'est un déterminant fondamental de leur rentabilité. Les animaux traversent donc souvent toute la France pour arriver au bon abattoir.

Mme Sylvie Goy-Chavent, rapporteure. - Cette hyper concentration est-elle souhaitable ?

M. Jean-Pierre Duclos. - A mon sens, non. Car c'est un facteur de déstabilisation de l'élevage.

Mme Sylvie Goy-Chavent, rapporteure. - Vous êtes donc favorable, dès lors, à la préservation ou à la création de petits abattoirs ?

M. Jean-Pierre Duclos. - Il faut au moins conserver l'acquis. On veut fermer un certain nombre de petits abattoirs existants alors que pour les éleveurs, c'est un facteur de rentabilité.

M. François Fortassin. - Si les circuits courts existent, c'est grâce aux petits abattoirs !

M. Jean-Pierre Duclos. - Pour que l'élevage puisse sortir de l'ornière, il faut que l'ensemble des acteurs de la filière prenne conscience des réalités agricoles de terrain et se fonde sur des valeurs qui ne soient pas exclusivement financières.

Audition de M. Gérard Poyer, président et de Mme Aurore Saison, chargée de mission de la Fédération française des commerçants en bestiaux (FFCB)

Mme Bernadette Bourzai, présidente. - Suite au scandale du « cheval devenu boeuf », une mission commune d'information a été constituée, chargée de réfléchir aux enjeux de la filière viande, à toutes ses étapes : élevage, abattage, transformation industrielle éventuelle et commercialisation.

Mme Sylvie Goy-Chavent, rapporteure. - Pourriez-vous préalablement présenter la fédération française des commerçants en bestiaux (FFCB) avant d'aborder les questions de fonds.

M. Gérard Poyer, président de la FFCB. - La fédération française des commerçants en bestiaux est administrée par un conseil d'administration de 28 personnes. Plusieurs commissions spécialisées ont été mises en place, notamment une commission import-export, une commission sur les ovins, une commission équine. La fédération dispose d'une organisation au niveau régional avec 21 présidents de région. La FFCB travaille étroitement avec la Fédération nationale de l'industrie et du commerce en gros des viandes (FNICGV), présidée par Dominique Langlois. Depuis 2005, nous organisons un séminaire qui nous permet de questionner les pratiques de notre métier.

Notre premier objectif est de défendre les intérêts des commerçants en bestiaux. Nous sommes ainsi très attentifs aux contraintes réglementaires qui sont les premières à peser sur notre activité : normes en matière de transport, de bien-être animal, ou en matière sanitaire. Il est nécessaire de travailler en étroite relation avec la Direction générale de l'alimentation (DGAL) au sein du ministère chargé de l'agriculture, en particulier sur les questions de transport, d'échanges intracommunautaires, de réglementations nationales et internationales. La fédération est également en contact avec les administrations locales et régionales ainsi que les autorités européennes à travers l'Union européenne du commerce du bétail et de la viande (UECBV), qui regroupe 25 États membres.

L'équipe de la FFCB est réduite avec un Président, un directeur, une chargée de mission, un comptable et une secrétaire. En région, les présidents ont uniquement à leur disposition un secrétariat. Nous manquons de permanents du fait de nos moyens limités, mais nous sommes actuellement à la recherche d'une nouvelle organisation, afin de disposer d'une représentation par zone géographique.

L'activité des commerçants en bestiaux consiste à collecter les animaux d'élevage : vaches laitières de réforme, animaux maigres ou engraissés destinés à l'abattage. Dans le secteur de la viande, nous représentons en France 70 % du marché. Nous intervenons dans pratiquement 100 % des opérations d'exportation vers les pays tiers et 50 à 55 % de celles au niveau intracommunautaire. Le commerçant en bestiaux est donc un acteur essentiel qui achète des animaux, les allotis et les livre à un chevillard ou à un industriel. On peut le faire par le biais d'un centre de rassemblement d'animaux, dont ne disposent que les gros commerçants en bestiaux, intermédiaire entre la ferme et l'abattoir. Mais les petits commerçants en bestiaux peuvent assurer le transport vers l'abattoir directement depuis l'élevage. Notre métier est très exigeant, notamment sur les délais : on peut travailler le samedi ou même le dimanche et on doit assurer des livraisons dès le lundi 6 heures sur les chaines d'abattage qui ne peuvent pas souffrir de retards ou d'approximations.

Les commerçants en bestiaux doivent être attentifs à bien trier les animaux collectés : le secteur est en effet segmenté entre les différents types d'animaux et les différentes qualités de viande. Il existe en effet une filière de viande de qualité, étiquetée comme telle dans les grands magasins. Lors de l'achat, nous procédons à un contrôle visuel nous permettant d'évaluer la qualité et le poids de l'animal afin de se conformer à la commande. Le chevillard, qui n'a pas le temps de faire ce travail, doit en effet retrouver la qualité commandée à l'issue de l'abattage.

Notre travail est un travail de fourmis. La formation des jeunes est longue et difficile. Notre secteur a du se restructurer dans les années 2000 pour faire des économies d'échelle car le travail isolé sur des petits volumes n'était plus rentable. Dans le secteur du commerce en bestiaux, une marge brute de 5 à 6 % permet de dégager une marge nette de 0,4 à 0,8 %. Cette restructuration fait suite à celle des industriels, intervenue dans les années 1980 et 1990.

Les commerçants en bestiaux ont aussi un métier de financier : ils payent les éleveurs dans des délais courts et ensuite doivent être payés pour la marchandise mise à disposition. Actuellement, la contractualisation a le vent en poupe. Le ministre de l'agriculture propose de l'inscrire dans la loi pour permettre une meilleure visibilité aux éleveurs sur les prix. Nous avons déjà mis en place une forme contractualisation volontaire avec les éleveurs avec des délais de paiement à 20 jours au maximum. Nous sommes favorables à ce type d'accord quand on peut y associer un marchand d'aliments, l'abatteur et parfois le banquier. La filière a tout à gagner à ce que chacun trouve son compte dans un marché où la demande de viande est forte, afin d'assurer une régularité des livraisons. La régularité est d'ailleurs primordiale dans la filière viande et les tonnages sont importants. On est d'ailleurs passés de la cueillette à l'organisation des approvisionnements, qui peut être perturbée par les choix des éleveurs, notamment en matière de mise à la réforme des vaches laitières.

L'invention du steak haché a été une révolution, permettant à partir des parties les moins nobles des carcasses de fabriquer un bon produit. Cependant pour assurer un approvisionnement suffisant en matière première - le minerai, nécessaire à la fabrication de steaks hachés et des plats cuisinés - les industriels font appel aux marchés mondiaux en important de la viande. Depuis quelques années, les marchés sont de plus en plus tendus, ce qui accroît le niveau des prix.

Cela explique en partie le scandale de la viande de cheval : les acteurs industriels avaient besoin de matière première à une période où nous avons moins de vaches laitières de réforme disponibles.

La crise de la viande de cheval a un effet positif : elle permet de s'interroger sur nos pratiques, dans le but de répondre aux besoins du consommateur, qui est toutefois dépendant de l'offre de la grande distribution. Si certains retournent vers les bouchers traditionnels, qui se raréfient, tous ne le peuvent pas. Les consommateurs ne cherchent à se rassurer que le temps que dure une crise. Six mois après ils oublient les risques et ne cherchent plus autant la sécurité. Ils savent qu'il existe des normes de qualité sur lesquelles il est possible de se reposer, comme la norme NF mise en place en 1996. Le consommateur revient alors vers les produits bons marchés et le prix devient l'élément central du marché. Au demeurant, une vache laitière ne fait pas forcément de la mauvaise viande. Et les consommateurs ont été habitués à de faibles écarts de prix entre la viande de qualité et les produits de masse.

M. Gérard Bailly. - Vous me confirmez que la production de viande est distribuée à 70 % par la grande distribution ? Quelle est la part des boucheries traditionnelles ?

M. Gérard Poyer. - La boucherie représente à peine 18 % de la distribution de viande. Les grandes et moyennes surfaces (GMS) représentent 55 à 60 % de la distribution de viande. Le solde relève de la restauration hors foyer (RHF).

M. Gérard Bailly. - Quelle est votre place dans le processus de production ? La grande distribution a-t-elle ses propres abattoirs ? Met-elle en place un circuit direct d'approvisionnement auprès des abatteurs ou des éleveurs ou passe-t-elle systématiquement par les commerçants en bestiaux ?

M. Gérard Poyer. - A la base de la filière, on trouve l'éleveur, puis le négoce, l'abattage et enfin la distribution. Certains distributeurs disposent de leurs propres outils d'abattage - Leclerc et Intermarché - qui s'approvisionnent auprès des commerçants en bestiaux à 60 % et des coopératives à 20 %. Ils procèdent aussi, à hauteur de 20 % à des achats directs auprès des éleveurs, en développant des filières de proximité comme le label boeuf de nos régions (BNR). Les abatteurs en revanche comme Bigard n'achètent pas directement en ferme. Du fait d'importants coups d'approche, ils préfèrent travailler avec des commerçants en bestiaux.

M. Gérard Bailly. - Nous avons le sentiment que la grande distribution fixe le prix et que les autres maillons de la chaine s'ajustent. Ne pouvez-vous pas vous organiser pour orienter les prix afin que chaque maillon de la chaine dispose de revenus suffisants ?

M. Gérard Poyer. - Notre profession garantit un prix à l'éleveur. Leclerc ou Intermarché, abatteur et distributeur peut aussi garantir un prix à l'éleveur. Mais pour les commerçants en bestiaux, il est difficile de négocier les prix avec les abatteurs.

La cotation s'effectue chaque fin de semaine. Bigard est un acteur majeur du marché qui influe sur le marché du fait de sa taille mais ne le fixe pas.

Les grands industriels fonctionnent à flux tendus : ils ont besoin de gros volumes pour faire tourner leurs chaînes de production qui traitent de 25 à 30 bêtes à l'heure sur une seule chaîne, et peuvent monter jusqu'à 45 bêtes à l'heure.

Mme Sylvie Goy-Chavent, rapporteure. - Quel est le rythme des chaînes d'abattage rituel ?

M. Gérard Poyer. - Le rythme est à peu près identique en abattage rituel et en abattage traditionnel. Sur une chaîne rapide, on peut monter à 40 à 45 bêtes à l'heure soit 1 minute 30 par bête.

Mme Sylvie Goy-Chavent, rapporteure. - Quand on sait qu'en abattage rituel, un animal peut mettre 15 minutes à mourir ...

M. Gérard Poyer. - On parle ici de la chaîne d'abattage. En rituel et en non rituel, l'animal part du même endroit. Il entre dans une sorte de tonneau. En non rituel, il est assommé. En rituel, il est retourné et saigné. Lorsqu'il part sur la chaîne, l'animal assommé peut aussi réagir encore un peu. Ce débat est compliqué.

Mme Sylvie Goy-Chavent, rapporteure. - C'est un débat nécessaire pour rassurer le consommateur, notamment sur le risque sanitaire.

M. Gérard Poyer. - Il n'existe aucun problème sanitaire.

Mme Sylvie Goy-Chavent, rapporteure. - Si l'animal est encore vivant lorsqu'on le pend par les pattes ?

M. Gérard Poyer. - Il n'est plus vivant. Lorsqu'on tue le poulet, il continue à bouger, pourtant il est mort.

Mme Sylvie Goy-Chavent, rapporteure. - Si l'animal, pendu par les pattes arrières, est encore vivant, ne serait-ce qu'une minute, le rumen peut se déverser sur la plaie.

M. Gérard Poyer. - Je ne suis pas un spécialiste, mais je sais qu'un clapet est posé.

Mme Sylvie Goy-Chavent, rapporteure. - Pas en abattage rituel puisque la trachée et l'oesophage sont sectionnés.

M. Gérard Poyer. - Si, justement pour éviter que les carcasses soient saisies pour cause de souillure. Une souillure peut aussi arriver pour un animal abattu avec étourdissement et entraîner une saisie. Sans défendre l'abattage rituel, j'estime qu'il n'y a pas de problème sanitaire. Il existe en revanche un problème d'information du consommateur qui mange des animaux abattus rituellement sans le savoir. Beaucoup d'arrières se retrouvent en effet ainsi sur le marché sans information du consommateur. Voici pourquoi la réglementation exige désormais que les abattages rituels répondent à une commande. Mais ce débat concerne plus les industriels de la viande que les commerçants en bestiaux.

Mme Sylvie Goy-Chavent, rapporteure. - L'information est nécessaire pour rétablir la confiance du consommateur.

M. Gérard Bailly. - 60 % de la viande étant vendue en grande surface, ne pourrions-nous pas agir pour imposer à la distribution de s'approvisionner auprès des éleveurs français à un prix qui leur assure une rémunération convenable ?

M. Gérard Poyer. - Les prix sont déterminés par le marché, et ils ont augmenté de 30 % depuis l'année dernière. C'est exceptionnel. Or il faut savoir que si la viande bovine augmente toujours plus, on en consommera moins. La garantie de rémunération des éleveurs passe par le transfert d'une partie du revenu des céréaliers vers les éleveurs. Pour éviter une hausse perpétuelle des prix, il faut se réorganiser et organiser un meilleur partenariat entre les acteurs.

On oublie qu'actuellement, la production doit répondre à des standards de qualité. La viande est de meilleure qualité qu'il y a vingt ans. Les grandes et moyennes surfaces ont copié le métier de boucher, pour répondre à cette demande de qualité des consommateurs. Dans le même temps, les prix sont soumis aux contraintes du marché.

La traçabilité est une exigence forte à laquelle nous répondons. Les bêtes sont tracées dans une base de données.

La France dispose de nombreux atouts : les meilleurs éleveurs, le meilleur cheptel... Nous devons relancer la production et réduire notre déficit de balance commerciale depuis trois ans.

M. Gérard Bailly. - Le secteur ovin est l'exemple à ne pas suivre.

M. Gérard Poyer. - En effet. Les commerçants en bestiaux ne détiennent cependant pas la clef du système. Nous connaissons bien dans l'amont et l'aval de la production, nous fréquentons des éleveurs, des industriels, des abatteurs ; nous cherchons un consensus entre les différents acteurs. Lors d'un voyage d'étude aux États-Unis, dans l'État du Colorado, le plus gros abattoir du pays, propriété du groupe JBS, abat 5 000 bêtes par jour. Dans ce pays, les normes sont plus souples qu'en France, ils s'appuient bien plus sur la technologie, les OGM et les hormones et ont fait passer leurs bêtes de 300 kg de viande par carcasse à 400 kg. Ils ont par ailleurs de moins en moins de cheptel, car dans tous les pays du monde, on diminue les cheptels du fait de la concurrence des cultures énergétique.

Même si la France perd quelques parts de marché, elle reste le premier producteur de viande en Europe avec 25 % de la production de viande européenne. La réglementation française est très lourde, il faut permettre plus de souplesse et moins de paperasserie.

Il est nécessaire de faciliter notre travail. Une meilleure organisation nous permettra de répondre aux besoins du marché et de reconquérir des positions.

Mme Sylvie Goy-Chavent, rapporteure. - Pouvez-vous nous parler du transport et du bien être animal. Des projets de texte disposent que la durée totale de transport des animaux ne pourra dépasser 8 heures.

M. Gérard Poyer. - Actuellement, la durée maximale est de 29 heures. Notre revendication a toujours été de pouvoir transporter le bétail de France jusqu'au sud de l'Italie. Nous utilisons des camions à étages pour permettre des économies d'échelle, ce qui nous permet de transporter 35 bovins sur deux niveaux. Les allemands ont décidé de n'autoriser qu'un seul étage avec remorque, permettant ainsi d'en transporter 25 mais dans une plus grande promiscuité. Le projet de réglementation réduisant la durée du transport à 8 heures n'est pas acceptable. Sur un trajet de 29 heures, on fait plusieurs pauses et nous mettons à disposition des animaux des buvettes avec réserve d'eau et des ventilateurs. Des expériences de transport long de bétail ont été menées par l'institut de l'élevage, pour suivre le comportement des animaux dans des bétaillères à destination de l'Algérie et du Maroc. Les résultats ont permis de justifier notre position auprès de la Commission européenne. Et même si les associations de protection des animaux font pression sur nos politiques, notre position sur le bien être animal est entendue par les autorités européennes. Pour apprécier le bien être animal, il faut bien connaître le comportement d'un animal. On observe par exemple que l'animal se porte mieux après un voyage de 8 jours plutôt que de 2 jours, car les bêtes s'habituent. A titre de comparaison, les bêtes venant du Brésil mettent trois semaines pour être acheminées.

Mme Aurore Saison, chargée de mission à la FFCB. - En matière de bien être animal pendant le transport, il faut raisonner en termes d'obligation de résultats et non de moyens. Il faut plutôt être attentif aux conditions physiques de l'animal avant, pendant le voyage et son arrivée.

Mme Sylvie Goy-Chavent, rapporteure. - Comment réagissent les petits veaux qui voyagent jusqu'en Italie pour être engraissés ?

M. Gérard Poyer. - Ce sont plutôt des broutards qui partent en Italie à l'âge de 7 ou 8 mois. Les petits veaux sont un peu plus fragiles. Notre intérêt est au final que l'animal arrive en bonne santé et qu'il ne soit pas stressé.

Jeudi 11 avril 2013

- Présidence de Mme Bernadette Bourzai, présidente -

Audition de MM. François Lucas, premier vice-président de la Coordination rurale, et Michel Manoury, responsable national de la filière viande de la Coordination rurale

Mme Bernadette Bourzai, présidente. - Nous recevons dans le cadre de la mission les syndicats agricoles. Aujourd'hui, il s'agit de la Coordination rurale.

Mme Sylvie Goy-Chavent, rapporteure. - Nous souhaitons recueillir votre avis sur l'état de la filière viande mais aussi sur certains points précis comme la question des circuits courts ou celle des niches comme le bio ou les produits de qualité comme les veaux de lait élevés sous la mère.

M. François Lucas, premier vice-président de la Coordination rurale - Je vous remercie de nous recevoir. En tant vice-président de la Coordination rurale, j'ai une approche généraliste de la filière viande.

M. Michel Manoury, responsable national de la filière viande à la Coordination rurale - Je suis installé en société avec mes trois frères dans l'Orne, où j'ai une activité de naisseur et d'engraisseur de jeunes bovins. Nous avons un troupeau de 200 vaches allaitantes de deux races différentes, charolaises et salers. Nous avons fait le choix d'exploiter deux races en raison de la baisse du pouvoir d'achat des consommateurs, dont certains se tournent de ce fait plus facilement vers les salers. Nous avons également un atelier d'engraissement de jeunes bovins que nous exportons vers l'Italie et la Grèce. Nous produisons annuellement de 800 à 900 bovins. Notre exploitation, qui représente 460 hectares dont 280 hectares de prairie, comprend également un site de méthanisation et des panneaux photovoltaïques.

Mme Bernadette Bourzai, présidente. - Êtes-vous autonomes en ce qui concerne l'alimentation de vos animaux ?

M. Michel Manoury - Nous ne sommes pas totalement autonomes - une autonomie complète serait de toute façon impossible à atteindre. La dépendance de notre exploitation concerne principalement les protéines. Par ailleurs, dans la mesure où nous avons un troupeau important de mères allaitantes, la production d'herbe mobilise une part importante de la surface de notre exploitation.

Nous remarquons qu'il nous faut augmenter notre production pour diminuer nos coûts de production. Le coût du matériel est de plus en plus important : le prix des round ballers a ainsi augmenté de 60 % en six ans. Puisque les prix de reprise ne suivent pas cette augmentation, nous n'avons pas d'autre choix que de produire davantage. Le problème est cependant qu'une telle augmentation accroît d'autant nos risques de pertes.

Sur la méthanisation, les producteurs allemands ont une longueur d'avance sur nous. La méthanisation apporte un complément de revenu pour mon exploitation. Nous avons opté pour une méthanisation individuelle, alors que des opérateurs financiers sont largement présents dans les groupes de méthanisation et spolient parfois plus ou moins les agriculteurs de ce qui devrait leur revenir. Une dérive se prépare aujourd'hui dans ce domaine.

Le prix de reprise de notre production de viande se situe en-deçà de nos coûts de production. Selon l'Observatoire des prix et des marges, pour un coût de production de 4,55 euros pour un jeune bovin R+3 - hors main-d'oeuvre, dont le coût s'établit à 1,12 euros -, notre prix de reprise est de 3,94 euros. Ce prix de reprise tient compte des 8 centimes de coût de transport facturés à l'agriculteur ; ce coût est en réalité variable et peut atteindre 12 à 14 centimes.

M. François Lucas - L'Observatoire des prix et des marges fait un excellent travail dans un domaine où l'information statistique partait de zéro. Les études qu'il réalise sur les coûts de production sont précises et exactes. Nous nous appuyons d'ailleurs sur ces travaux lorsque nous communiquons des chiffres. C'est pourquoi nous avons été très surpris d'entendre récemment le ministre chargé de l'agriculture donner à l'Assemblée nationale un prix du lait erroné.

Les informations issues de l'observatoire présentent néanmoins un biais s'agissant du prix à la distribution de la viande rouge. Les prix indiqués prennent en effet en compte le prix moyen de viandes de toutes origines, parmi lesquelles se trouvent des produits importés dont les coûts de production sont moins élevés que les nôtres. On compare donc des coûts de production nationaux avec des prix de vente de produits importés, ce qui n'a pas de sens.

M. Gérard Bailly. - La grande distribution, en s'appuyant sur les chiffres de l'Observatoire des prix et des marges, nous a indiqué que son rayon boucherie était déficitaire. Qu'en pensez-vous ?

M. François Lucas - Ce problème se pose aussi sur le rayon fruits et légumes de la grande distribution. Il faut préciser qu'à côté de ces chiffres déficitaires, les comptes de la grande distribution comprennent une ligne très importante de frais généraux non affectés, sur laquelle un certain nombre de marges peuvent être passées. Si la grande distribution ne peut pas faire de bénéfices sur son rayon boucherie, comment fonctionnent alors les magasins qui ne font que des produits frais ? L'Observatoire des prix et des marges a des moyens limités et n'a pas pu encore examiner tous ces éléments ; mais on devrait pouvoir éclairer certaines zones d'ombre. On peut en tous cas questionner la bonne volonté de la grande distribution lorsqu'elle doit faire preuve de transparence.

M. François Fortassin. - Afin de réduire les marges des intermédiaires, ne serait-il pas possible, à titre expérimental, d'associer les consommateurs à cette démarche en indiquant sur les emballages à la fois le prix payé par le consommateur et le prix qui revient au producteur ? Une telle expérimentation pourrait permettre une vraie prise de conscience de la part des consommateurs.

M. François Lucas. - Je vous rappelle que l'Observatoire des prix et des marges est une structure légère, qui, certes, accomplit un travail considérable, mais à laquelle on ne peut pas adresser de demandes trop importantes.

Par ailleurs, il faut signaler que cet observatoire ne s'intéresse pas aux céréales, qui sont pourtant une matière première de base dans la production agricole, et ne travaille que sur la farine. La restauration hors domicile ne rentre pas non plus dans le champ de ses études. Malgré ses imperfections, je vous invite cependant à soutenir cet observatoire qui constitue un outil d'analyse très important.

M. Michel Manoury. - L'observatoire des prix et des marges a mis en évidence le fait que la grande distribution gaspille davantage de viande qu'un boucher traditionnel. La diminution des pertes, qui est d'ailleurs en réalité supportée par les producteurs, constitue une piste pour améliorer la rentabilité des rayons boucherie de la grande distribution.

Une autre piste pourrait être celle de la valorisation du cinquième quartier, sur lequel nous perdons de l'argent. En Allemagne, celui-ci permet de couvrir les frais d'abattage et rapporte même parfois de l'argent au producteur.

M. Gérard Bailly. - En France, nous avons tendance à durcir les réglementations applicables au niveau européen, à « laver plus blanc que blanc »...

M. Michel Manoury - La mise en place de la traçabilité a coûté très cher. Elle a cependant permis d'augmenter le prix de vente de la viande.

La loi Galland interdit la vente à perte mais ne s'applique pas aux produits agricoles. Nous voulons que les prix de reprise de nos bêtes ne puissent pas être en-dessous de nos coûts de production. Il reviendrait peut-être à une loi sur l'agriculture de prévoir un tel mécanisme.

Mme Bernadette Bourzai, présidente. - Nous recevrons prochainement M. Philippe Chalmin, Président de l'Observatoire des prix et des marges, qui pourra nous éclairer sur le fonctionnement de l'Observatoire. Pouvez-vous nous parler plus précisément de vos coûts de production, pour l'élevage bovin comme pour les autres types de viande ?

M. François Lucas - Un problème englobe l'ensemble des autres : la politique agricole menée depuis des décennies a créé deux types de marché. Le marché mondial de la céréale, donc de la matière première qui nourrit les animaux, est aujourd'hui devenu artificiel et spéculatif, décorrélé des coûts de production. D'un autre côté, le marché de la viande, dont la production est issue de ces céréales, est gouverné par l'impératif de compétitivité économique avec une règle du jeu particulièrement dure. C'est là que réside le problème majeur de l'agriculture aujourd'hui. Nous ne faisons qu'essayer de remédier ponctuellement aux symptômes sans nous attaquer aux causes. Or, les éleveurs, dont le métier est de faire naître, d'engraisser et de soigner des animaux, n'ont pas la culture de la compétitivité.

Le scandale de la viande de cheval est lié à l'organisation du système de coopération, et constitue une bonne illustration de ces travers. Le système coopératif est éclaboussé par l'affaire Spanghero. Cette entreprise est en effet une filiale de la coopérative Lur Berry, qui fait partie de Coop de France, et l'entreprise luxembourgeoise Comigel, qui produit dans un pays qui ne se caractérise pas par sa particulière transparence est en partie financée par Unigrains. C'est donc l'organisation de l'agriculture elle-même, sa concentration, qui a produit ce système aberrant. Un petit boucher n'a aucune raison de maquiller en boeuf de la viande de cheval pour gagner quelques euros de plus. Mais dans un système concentré - et cela vaut pour l'ensemble des secteurs de l'économie - la multiplication de ce type de petits profits permet de maximiser les gains. En raison du développement insidieux de la concentration, on peut se demander combien d'acteurs demeureront dans l'agriculture dans une vingtaine d'années. Peut-être n'y aura-t-il plus qu'une seule multinationale qui nourrira l'ensemble du monde ?

Je voudrais évoquer aussi la question des normes en matière de nitrates, qui constitue une énorme difficulté pour les éleveurs conduisant certains à arrêter leur activité et se convertir à la production de céréales. Les éleveurs n'ont pas le sentiment d'être les pollueurs que l'on présente et ne comprennent pas les normes drastiques qu'on leur impose. Les éleveurs brésiliens et argentins, avec lesquels nous sommes en concurrence, ne sont pas soumis à une telle pression normative.

On peut s'interroger sur la validité de la norme de 50 milligrammes de nitrates par litre d'eau au maximum. Une enquête parue en octobre 2012 dans le magazine Science et vie, qu'a complétée un article paru en mars dernier dans La France agricole, indique que le seul effet reconnu des nitrates sur l'organisme au plan médical est leur caractère indispensable au fonctionnement de celui-ci. Les scientifiques, notamment anglo-saxons, reconnaissent que les nitrates ont un effet bénéfique sur la santé, au plan digestif comme au plan cardio-vasculaire. La recherche se concentre aujourd'hui davantage sur les apports encore méconnus des nitrates à l'organisme que sur leurs effets nocifs. On comprend donc mal les obligations imposées aux agriculteurs, qui sont particulièrement coûteuses, et les inquiétudes infligées aux consommateurs. Augmenter le seuil maximal autorisé en matière de nitrates de 50 à 70 milligrammes par litres suffirait à soulager les éleveurs sans pour autant présenter un danger pour la santé publique. De la même façon, les termes du débat sur les algues vertes mériteraient d'être reposés.

Je suis conscient qu'il s'agit d'un sujet particulièrement délicat, tant nous avons pris l'habitude de présenter l'agriculture comme fautive sur la question des nitrates. Heureusement, certaines personnes sont conscientes de la nécessité de remettre nos dogmes en question, car il faudra répondre de l'inaction en cette matière dans quelques années. La directive européenne applicable contenant une clause de révision en fonction des avancées scientifiques, nous avons entrepris d'interpeller la Commission européenne sur ce point.

M. Michel Manoury. - J'aimerais maintenant aborder la question de la répartition des élevages sur le territoire. Si dans le Grand Ouest, zone principalement céréalière, le mouvement de végétalisation déjà amorcé se poursuit, les productions laitières et de viande bovine vont être progressivement abandonnées.

La production est également menacée par la pyramide des âges. 60  % du cheptel allaitant français est détenu par des éleveurs de plus de 55 ans et le renouvellement des générations n'est pas assuré dans la filière viande.

Par ailleurs, même si les éleveurs ne parviennent pas à vivre de leur production, nous nous apercevons que le monde de l'argent a un oeil sur nous. Nous courons aujourd'hui le risque, sous prétexte d'être sauvés par certaines entreprises financières, de nous voir dépossédé de nos instruments de production.

Aujourd'hui, nous ne maîtrisons plus le fonctionnement de l'outil coopératif, que nous avons pourtant nous-mêmes développé : la concentration des voix - il n'est pas rare que certains membres représentent 1 000 voix - constitue un grave danger. Il est indispensable de restaurer le principe « un coopérateur égale une voix » afin que nous puissions diriger nos propres structures. Autre dérive de l'outil coopératif, certaines structures qui se développent et deviennent de plus en plus importantes menacent de faire mourir les petites coopératives. Alors que ces dernières continuent à se placer au service des producteurs, certaines coopératives importantes qui ont investi dans le secteur de la transformation sont partagées entre la défense des producteurs et celle des transformateurs.

M. François Lucas. - Le cas de l'entreprise Gad en Bretagne, qui a été condamné avec d'autres par l'Autorité de la concurrence pour avoir artificiellement engorgé ses abattoirs dans le but de faire baisser le prix du porc alors même qu'il est majoritairement détenu par un groupement de producteurs, est à cet égard tout à fait symptomatique.

Un Haut conseil de la coopération avait été mis en place mais ne fonctionne pas bien. Nous demandons qu'il soit au moins ouvert aux organisations syndicales agricoles minoritaires, afin que ceux qui ont perdu leur représentation au sein ces énormes structures puissent faire entendre leur voix dans cette enceinte.

Mme Bernadette Bourzai, présidente. - Le gouvernement prépare un texte sur l'économie sociale et solidaire qui pourrait peut-être répondre à cette demande.

M. François Fortassin. - Il faut tout de même souligner qu'un excellent éleveur peut faire un très mauvais gestionnaire. Les dirigeants de Lur Berry étaient-ils à leur place ?

M. François Lucas - Lorsqu'un éleveur est à la tête d'un groupe comme Lur Berri, ce n'est en réalité pas lui qui dirige : il s'entoure de diplômés de grandes écoles qui prennent en charge la gestion de l'entreprise.

Le problème de la coopération réside dans la taille des structures. Afin que les producteurs puissent rester au plus près de la gestion et de la décision, une vraie réforme doit être entreprise sur ce point. Une coopérative n'est pas censée rassembler l'ensemble des maillons d'une filière. Les avantages fiscaux doivent être réservés aux vraies coopératives, dont la qualité doit être appréciée en fonction de considérations de lien au territoire et au regard du chiffre d'affaires. Même Coop de France a des lobbyistes auprès des pouvoirs publics ; il est plus facile à ces structures de faire entendre de leur voix qu'à un producteur isolé. Mais pourquoi est-il nécessaire de faire du lobbying lorsqu'on produit une matière première indispensable à tous ?

M. Gérard Bailly. - Nous entendons votre constat. Cependant, dans le contexte de la mondialisation, il devient nécessaire pour l'ensemble des acteurs économiques de se regrouper pour peser sur les marchés. Quelles sont donc vos propositions ?

M. François Lucas. - L'impératif de compétitivité économique ne fait pas partie du langage de l'élevage. Une vache ne comprend pas qu'elle doit être compétitive sur le plan économique !

M. Gérard Bailly. - Évidemment, mais on ne peut pas nier qu'il existe des produits venant de Nouvelle-Zélande ou d'ailleurs, bien moins chers que les produits français. On ne peut pas empêcher la grande distribution de se procurer la viande la moins chère ni les consommateurs d'acheter ce type de produits.

M. François Lucas. - Mais pourquoi laisse-t-on entrer ces produits sur notre territoire ? Nous sommes mis en concurrence avec les éleveurs néo-zélandais, qui ont des coûts de production très faibles. La réponse à ce problème doit être d'ordre politique. Il nous faut décider quelle agriculture nous voulons et nous donner les moyens d'atteindre cet objectif. Il est toujours possible d'instaurer des droits de douane sur les produits importés.

M. Gérard Bailly. - Dans ce cas, nous perdrons en retour l'accès à certains marchés.

M. François Fortassin. - Un éleveur néo-zélandais qui emploie 4 bergers pour 10 000 moutons ne peut pas être mis sur le même plan qu'un éleveur français, qui avec 300 brebis mères dépasse parfois sa capacité de travail. Au-delà de ces questions politiques que nous ne pouvons régler dans l'immédiat, ne serait-il pas possible d'améliorer la santé économique de nos filières grâce à la promotion des circuits courts et à la préservation des abattoirs de proximité ?

M. François Lucas. - Nous avons toujours défendu la mise en place et la promotion des circuits courts, et nous nous battons pour conserver nos abattoirs de proximité.

Le fonctionnement des circuits courts n'est cependant pas exempt de difficultés. Véronique Le Floc'h, une agricultrice bretonne qui transforme elle-même sa viande et son lait et pratique la vente directe du producteur au consommateur, expliquait récemment à l'Assemblée nationale que sa situation était difficile. Dans de nombreux cas, le succès de la viande directe n'est qu'un feu de paille, car les consommateurs, bien que rassurés sur la traçabilité des produits, s'en détournent rapidement : certaines pièces sont difficiles à vendre et le prix des produits est élevé. La vente directe n'est donc pas la solution à l'ensemble de nos problèmes et tous les éleveurs ne peuvent pas se lancer dans ce type d'exploitation. C'est néanmoins une démarche importante dans la mesure où elle contribue à rapprocher le consommateur du producteur.

En outre, la vente directe en viande bovine ou ovine n'est possible que dans la mesure où il existe des abattoirs de proximité, ce qui est de plus en plus rare. Nous avons demandé la mise en place d'abattoirs mobiles, mais on ne peut pas utiliser ce type de dispositifs en France - alors qu'ils sont autorisés dans d'autres pays. Les abattoirs souffrent de la multiplication des normes. Certains peuvent cependant trouver de nouveaux débouchés dans la production de viande halal et ainsi assurer leur survie.

Mme Sylvie Goy-Chavent, rapporteure. - Vous dénoncez la concentration, qui est selon vous préjudiciable à la filière viande, mais vous nous expliquez en même temps que les filières de proximité sont difficiles à mettre en oeuvre et que leur structuration est particulièrement complexe. Ne pourrait-on pas dépasser cette aporie en promouvant les filières courtes au plan national ? Par ailleurs, pouvez-vous développer la question de cet abattoir qui a assuré sa survie en travaillant pour la filière halal ?

M. François Lucas - Les filières de proximité constituent une niche et ne peuvent concerner que de faibles volumes de production. Elles ne peuvent pas assurer la pérennité de l'ensemble de la filière viande. Les abattoirs de proximité souffrent en général d'un manque de volumes pour leur production, dans la mesure où de plus en plus d'éleveurs abandonnent leur activité pour produire des céréales. La mise en place d'une chaîne halal permet cependant d'attirer dans un abattoir des animaux qui, selon la logique géographique, devraient être abattus ailleurs.

M. Michel Manoury. - Dans l'Orne, un abattoir a résisté grâce à une autre niche, la production de viande bio. Je partage l'idée qu'il est difficile de mettre en place des circuits courts. La création d'une boucherie directement rattachée à une exploitation représente de 80 000 à 100 000 euros d'investissement, entre le financement d'un laboratoire et celui d'un véhicule spécial. En outre, afin d'assurer la pérennité d'une filière de proximité, il devient rapidement nécessaire d'élargir le cercle de distribution de 20 à 40, voire à 60 kilomètres. Certains agriculteurs de mon département se trouvent ainsi obligés de vendre leur production sur les marchés de Paris. Certaines pièces de viande ne peuvent d'ailleurs être vendues dans un réseau de proximité et doivent nécessairement l'être à Rungis. Dans certaines régions touristiques, la niche des circuits courts peut assurer la survie de certaines exploitations. Pour la majorité des éleveurs, elles ne sont donc pas, tout comme la méthanisation, une solution miracle. M. Stéphane Le Foll semble croire que la méthanisation pourrait permettre de résoudre les problèmes de l'agriculture, mais ce n'est pas le cas.

Mme Bernadette Bourzai, présidente. - M. Le Foll est plus modeste que cela : il considère seulement que nous sommes très en retard sur ce point par rapport à l'Allemagne, qui a fait un effort considérable de développement de ses sources d'énergie renouvelable.

M. François LucasLa situation de la filière laitière française s'explique en partie par le fait qu'elle est en concurrence avec des exploitations allemandes dotées de méthaniseurs qui considèrent le lait comme un sous-produit. Nous n'avons pas développé ce modèle - et il n'est pas certain que ce soit souhaitable.

M. Michel Manoury. - L'Allemagne compte environ 7 000 méthaniseurs, dont les plus anciens ont été posés il y a douze ans. Au moment où nous avons effectué la mise aux normes de nos exploitations, nous avons négligé d'y installer des méthaniseurs. Le développement des énergies vertes n'était pas alors à l'ordre du jour. Les méthaniseurs allemands sont aujourd'hui amortis, ce qui signifie que les producteurs de lait et de viande peuvent nous concurrencer sur les prix puisque leur exploitation dégage un revenu supplémentaire. L'Allemagne a dopé son agriculture en instaurant un prix de reprise de l'électricité de 21 centimes d'euro par kilowatt. C'est une subvention déguisée à son agriculture qui a aussi pu accroître sa compétitivité face à ses partenaires européens sans que personne ne s'en aperçoive. Là encore, nous avons manqué de réactivité.

M. François Lucas. - L'imitation du modèle allemand a cependant ses limites.

M. François Fortassin. - La méthanisation est aujourd'hui très à la mode. Cependant, en tant que président d'un syndicat départemental de l'énergie, je suis beaucoup plus favorable au développement du photovoltaïque. Celui-ci permet en effet un raccordement beaucoup plus simple au réseau d'énergie, dans la mesure où toutes les communes ne sont pas desservies par le réseau de GDF.

Mme Sylvie Goy-Chavent, rapporteure. - Le gaz se stocke cependant davantage que l'électricité.

M. Michel Manoury. - La facilité du raccordement au réseau d'énergie dépend du type de structure de méthanisation dont on parle. Les enjeux ne sont pas les mêmes pour une production individuelle, dont la production de 100 à 150 kilowatts d'énergie peut facilement être absorbée par le réseau, que pour un groupe de méthanisation qui peut produire jusqu'à un mégawatt d'énergie et dont la production ne peut être transportée par le réseau. L'Allemagne a commencé par mettre en place des projets de groupe de méthanisation avant de faire marche arrière pour cette raison.

Mme Sylvie Goy-Chavent, rapporteure. - Que proposez-vous pour enrayer la baisse de la consommation de viande rouge ? Des initiatives pourraient-elles prises concernant par exemple l'étiquetage des produits ?

M. Michel Manoury. - Un système de traçabilité reposant notamment sur des labels a été mis en place pour les viandes les plus chères. La mise en place du logo « Viande bovine française » (VBF) a constitué une belle avancée, mais il n'est pas certain qu'elle soit pleinement exploitée. Peut-être faudrait-il ajouter la mention de la région de production.

Mme Sylvie Goy-Chavent, rapporteure. - Ces étiquettes ne sont pas toujours très lisibles pour le consommateur.

M. François Lucas. - Il pourrait être intéressant que le consommateur connaisse le prix brut de la viande qu'il achète. Mais nous butons toujours sur le problème de la lisibilité des étiquettes, d'autant plus que les consommateurs font leurs courses de plus en plus rapidement. Cette exigence de rapidité entre en contradiction avec la logique des circuits courts, dont l'organisation logistique prend du temps. Ces circuits demandent un très fort investissement aux agriculteurs, qui doivent développer un second métier et un second savoir-faire, et qui deviennent parfois davantage commerçants que producteurs. Nous ne sommes pas opposés au développement des circuits courts, et nous sommes ravis de constater la réussite de certains agriculteurs, qui contribue à rapprocher les producteurs des consommateurs. Mais il faut réaliser que ces filières de proximité exigent un effort très important de la part des agriculteurs.

M. Michel Manoury. - Le développement des circuits courts risque de faire disparaître les petits bouchers de campagne. C'est l'amélioration du prix de reprise qui doit permettre à nos fermes de résister, et non notre tentative d'exercer le métier des autres.

M. François Lucas. - J'aimerais maintenant aborder la question des organisations de producteurs non commerciales (OPNC). Selon le lobbying des coopératives de Coop de France, les OPNC présentent tous les défauts imaginables. Pour nous, elles constituent un moyen de maintenir une dimension humaine dans le négoce d'animaux, dans lequel les marchands de bestiaux jouent un rôle important qu'il est nécessaire de préserver.

M. Michel Manoury. - A propos du fonctionnement de la coopération, nous n'avons pas abordé la question du renouvellement des conseils d'administration. Le renouvellement de ces conseils s'opère par tiers ; bien souvent, ce tiers est désigné par avance et les personnes méritantes mais qui ne suivent pas nécessairement l'avis majoritaire n'ont aucune chance d'être élues. C'est là encore une marque de la dérive du système de la coopération.

M. François Lucas. - Avant de terminer cet entretien, j'aimerais balayer les quelques points que nous n'avons pas eu le temps d'aborder.

Nous défendons la libéralisation de la vente de céréales aux producteurs. La vente directe de céréales du producteur à l'éleveur, sans passage par un intermédiaire, est en principe interdite. Malgré les nombreux amendements que nous avons déposés sur différents textes de loi, une telle libéralisation a toujours été refusée - notamment sous l'influence de Coop de France.

L'autonomie alimentaire en ce qui concerne les protéines ne représente pas un enjeu de compétitivité mais une exigence de sécurité alimentaire.

Les perspectives de la filière bio sont sensiblement les mêmes que celles des circuits courts. Cette filière s'adresse en effet à une tranche de consommateurs limitée et son développement n'est pas favorisé dans le contexte de crise économique. Le marché reste timide et les espoirs de débouchés dans la restauration collective publique ont été quelque peu déçus : aujourd'hui, les menus bio ne représentent que 2 % des menus servis par ces structures de restauration.

M. Michel Manoury. - Nous n'avons pas abordé la question de la déduction pour investissement (DPI), qui a été supprimée cette année pour le matériel agricole. Il faudrait qu'elle demeure pour le cheptel. Mais dans certaines zones, la DPI sert principalement à défiscaliser pour des raisons d'opportunité et perturbe le marché pendant quelques mois chaque année... Il faudrait subordonner la DPI sur le cheptel au fait de garder les bêtes dans l'exploitation pendant deux ans.

Mme Bernadette Bourzai, présidente. - Nous vous remercions pour cette intervention très riche.

Audition de M. Patrick Dehaumont, directeur général, Mmes Catherine Collinet, directrice de la Brigade nationale d'enquêtes vétérinaires et phytosanitaires, Stéphanie Flauto, sous-directrice de la sécurité sanitaire des aliments et Nathalie Pihier, chef de la mission urgences sanitaires de la Direction générale de l'alimentation (DGAL)

Mme Bernadette Bourzai, présidente. - Nous avons le plaisir de recevoir la Direction générale de l'alimentation (DGAL), qui est une des pièces maîtresses du dispositif français de sécurité sanitaire.

Mme Sylvie Goy-Chavent, rapporteure. - Notre mission commune d'information a pour but de dresser un état des lieux de la filière viande et de trouver les moyens de rassurer les consommateurs après le récent scandale des plats cuisinés contenant de la viande de cheval alors qu'ils étaient censés contenir de la viande de boeuf.

Restaurer la confiance des consommateurs, c'est d'abord assurer la sécurité alimentaire. La Direction générale de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes (DGCCRF) a évoqué devant nous un tonnage très important de viande de cheval frauduleusement importée à la place de viande de boeuf : pourriez-vous nous exposer les risques liés à sa consommation pour la santé humaine, notamment en cas de présence dans la viande de cheval d'anti-inflammatoires ou de parasites ?

J'attends beaucoup de cette audition, parce que j'espère obtenir aujourd'hui des réponses à des questions que je me pose depuis longtemps sur l'abattage des animaux destinés à la consommation. Le règlement n° 853-2004 du 29 avril 2004 du Parlement et du Conseil prévoit des règles spécifiques d'hygiène pour les denrées animales. En matière d'abattage, il dispose - je le cite - « que la trachée et l'oesophage doivent rester intacts lors de la saignée sauf s'il s'agit d'un abattage selon un rite religieux ». Dans un article paru dans le Bulletin des vétérinaires de France, Mme Pascale Dunoyer, chef du bureau des établissements d'abattage de votre direction déclarait : « des pratiques liées à la mise en oeuvre de rituels d'abattage peuvent avoir des conséquences en matière de sécurité et de salubrité des carcasses. Nous pouvons citer à ce titre le tranchage de la trachée et de l'oesophage qui peut provoquer le déversement du contenu gastrique voire pulmonaire sur les viandes de tête, de gorge et de poitrine. La pratique de la shehita dans le rituel casher peut avoir deux conséquences majeures : lorsque la shehita est réalisée sur des carcasses au sol, la peau de l'animal peut être souillée. On note aussi que la boutonnière réalisée en vue de l'inspection des viscères peut provoquer une fragilisation des attaches des viscères avec un risque accru d'éviscération ratée et de souillure de la carcasse ». Pouvez-vous confirmer ou infirmer ces éléments ? Selon vous le mode d'abattage peut-il être à l'origine de contaminations graves à la bactérie escherichia coli ? Quand un lot de viande ou un produit sont contaminés, comment faites-vous pour établir l'origine de la contamination en l'absence d'information sur le mode d'abattage sur les étiquettes ? Pouvez-vous nous donner des chiffres précis sur l'abattage rituel ?

Un rapport du Conseil Général de l'Alimentation, de l'Agriculture et des Espaces ruraux (CGAAER) pointe des dérives dans le système d'abattage des ovins et des bovins en France. Selon cet audit de 54 pages rédigé par dix experts et hauts fonctionnaires de la Direction générale de l'alimentation (DGA) et intitulé La protection animale en abattoir : la question particulière de l'abattage rituel, « le volume d'abattage rituel est estimé à 40 % pour les bovins et à 60 % pour les ovins alors que la demande en viande hallal ou casher devrait correspondre à environ 10 % des abattages totaux. Ce qui ne devait être qu'une dérogation s'est généralisé et il convient donc d'analyser les causes de cette dérive ». Vous allez sans doute me répondre que selon une étude menée par la DGAL en 2010 seuls 14 % des animaux de boucherie seraient abattus de manière rituelle. Ce chiffre vient de l'interprofession de la viande (Interbev). Mais vous êtes des scientifiques. Je pense donc que vous avez d'autres références : pourriez-vous nous communiquer les chiffres précis concernant l'abattage rituel, abattoir par abattoir ?

M. Patrick Dehaumont, directeur général de l'alimentation. - Je souhaiterais d'abord rappeler que le contrôle sanitaire de la filière viande est piloté au niveau national par le ministère chargé de l'agriculture et au sein de ce ministère par la DGAL, qui élabore les référentiels auxquels sont soumis les professionnels de la filière et en contrôle la bonne application par son dispositif d'inspection. Le système français de sécurité sanitaire est très encadré par la réglementation européenne. Le contrôle sanitaire est opéré à tous les stades de la production, de l'amont à l'aval, par la DGAL, en lien étroit avec la DGCCRF.

En matière de sécurité sanitaire des aliments, la responsabilité est d'abord et avant tout celle des professionnels, qui doivent se soumettre aux obligations qui leur sont prescrites par voie législative et réglementaire en ce qui concerne les matières premières, les installations techniques. Les professionnels ont notamment l'obligation d'élaborer un plan de maîtrise sanitaire prévoyant des autocontrôles et de les réaliser.

L'État est l'autorité de contrôle et de gestion des risques. Il doit s'assurer que les obligations imposées aux professionnels sont pertinentes, sachant que ces obligations sont définies dans leur grande majorité au niveau européen. Les contrôles officiels ont ensuite pour objet de vérifier que les professionnels disposent des moyens et des procédures nécessaires pour assurer la sécurité sanitaire des produits et respectent les obligations. La DGAL est, au sein de l'État, l'autorité compétente, pour contrôler que les plans de maîtrise sanitaire sont bien élaborés par les professionnels et appliqués pour empêcher toute dérive.

Afin de mener à bien ces contrôles avec la fréquence nécessaire, la DGAL dispose de moyens, tant en administration centrale que sur le terrain. Elle établit une programmation annuelle des contrôles de sécurité sanitaire, dans une perspective pluriannuelle. Les différents contrôles ont lieu à une fréquence régulière, qui est très variable suivant les types d'établissements. Ainsi, les établissements agréés ne subissent en principe une inspection complète que tous les trois ans mais elle peut avoir lieu tous les deux ans voire tous les ans si la situation l'exige. S'y ajoutent des contrôles spécifiques en cas de risques renforcés.

L'agrément sanitaire des abattoirs est désormais un agrément européen ; indispensable pour échanger des produits avec les autres pays de l'Union. Cet agrément sanitaire fait l'objet d'inspections périodiques par les services de l'État. Il existe un système d'inspection systématique et permanent de toutes les carcasses, dans le domaine des animaux de boucherie. Pour les volailles, le système est un peu différent puisque les professionnels peuvent être impliqués dans le contrôle des lots de volaille. Chaque carcasse fait l'objet d'une inspection individuelle très précise, avec des incisions ganglionnaires pour rechercher d'éventuelles pathologies. Ces contrôles pointus n'existent pas seulement en France, ils sont pratiqués partout en Europe et dans le monde.

En France, un peu plus de 1 000 agents participent à ces contrôles dans les abattoirs et apposent une estampille sanitaire ovale sur les carcasses salubres. Le ministre Stéphane Le Foll a rappelé que la sécurité sanitaire demeurait une fonction régalienne majeure à travers le plan stratégique du ministère de l'agriculture. L'État doit rester l'arbitre en la matière.

Notre programme de contrôle fait l'objet d'un dialogue de gestion une fois par an avec les services déconcentrés. Nous élaborons une analyse des besoins aussi fine que possible pour allouer nos moyens au dixième d'équivalent temps plein près. En ce qui concerne les abattoirs, la répartition des moyens se fait en fonction du type d'animal abattu et de la cadence de la chaîne de production. Pour maintenir l'inspection de chaque carcasse, nous sommes susceptibles de recourir au travail temporaire.

En tout état de cause, il n'y a jamais d'abattage sans inspection préalable. Je pense que le système est très fiable même si nous sommes aujourd'hui confrontés à une fraude de grande ampleur sur la viande de boeuf. Il y a beaucoup de sécurité au niveau des abattoirs et nous devrions vraiment être en mesure de rassurer le consommateur sur ce point.

En ce qui concerne l'impact potentiel sur la santé de la consommation de viande de cheval, il faut rappeler que cette viande n'est pas plus dangereuse que les autres. On la consommait d'ailleurs de manière habituelle il y a quelques décennies.

Mme Sylvie Goy-Chavent, rapporteure. - Notre inquiétude porte sur la viande de cheval importée de pays de l'Est et non sur la viande française dont nous savons qu'elle fait l'objet de contrôles rigoureux.

M. Patrick Dehaumont. - Il est vrai que la viande de cheval issue de certains pays est susceptible de poser quelques problèmes. Les chevaux peuvent être porteurs de parasites, de microbes, des métaux lourds peuvent s'accumuler dans leur foie, ils peuvent avoir fait l'objet d'un traitement médicamenteux, notamment à base d'anti-inflammatoires comme le phénylbutazone - médicament extrêmement efficace et peu coûteux. La réglementation impose qu'une limite maximale de résidus (LMR) et une dose journalière admissible (DJA) sont définies pour chaque médicament vétérinaire administré à des animaux susceptibles d'être ensuite consommés. Le phénylbutazone ne figure pas dans cette catégorie car la molécule se trouvait déjà dans le domaine public lorsque le principe des LMR a été mis en place dans les années 1990. Or un dossier de LMR coûte entre 500 000 et 1 million d'euros et aucun laboratoire ne s'est positionné pour faire une étude complète. Des études partielles ont été effectuées mais elles ont été arrêtées car il existait des doutes en matière de cancérogénèse. Le phénylbutazone ne peut donc être utilisée sur des animaux destinés à la consommation : c'est un principe européen. Il doit être indiqué sur le passeport de l'animal traité au phénylbutazone qu'il n'est pas propre à la consommation.

En France, il existe un plan de contrôle de l'utilisation du phénylbutazone. Les résultats sont systématiquement négatifs. Il y a cependant eu des résultats positifs avec de la viande de cheval anglaise entrée sur le territoire national. Les Anglais sont aujourd'hui beaucoup plus attentifs à ce danger alors qu'il ne s'agissait pas jusque-là d'une préoccupation majeure pour eux. Il n'y a pas réellement de risque sanitaire lorsque la consommation reste ponctuelle. Il pourrait y en avoir un en cas de consommation très régulière : c'est tout le principe de la dose journalière admissible (DJA).

Mme Sylvie Goy-Chavent, rapporteure. - Le cheval n'est-il pas susceptible d'être utilisé dans les collectivités, vu les tonnages importants qui arrivent en France ?

Mme Catherine Collinet, directrice de la brigade nationale d'enquêtes vétérinaires et phytosanitaires. - L'offre de viande de cheval, tant celle issue de la production nationale que des importations, ne permettrait même pas de satisfaire 10 % de la consommation de viande en France. Les volumes de viande de cheval disponibles sont donc très limités, il s'agit d'une production beaucoup plus restreinte que celle de bovins.

Mme Sylvie Goy-Chavent, rapporteure. - On nous parle pourtant hier de 50 000 tonnes de viande de cheval saisies dans 16 pays d'Europe depuis que le scandale a éclaté. Il s'agit de quantités très importantes, d'autant qu'il s'agit seulement de la viande saisie et non de la viande vendue.

Mme Catherine Collinet. - Ces quantités peuvent paraître importantes mais si on compare ces chiffres avec ceux de la viande bovine, ils apparaissent plus raisonnables. 50 000 tonnes représentent la production d'un seul abattoir de bovins en un an.

M. Gérard Bailly. - Je suis surpris par votre remarque puisque vous semblez considérer que la consommation française de viande équine correspond à la production française. Or dans ma région de Franche-Comté, les producteurs de viande équine parviennent très difficilement à vendre leurs produits.

Mme Catherine Collinet. - Si la filière de la viande équine s'organisait mieux, elle ne pourrait pas produire plus du double de ce qu'elle produit aujourd'hui. Si la consommation de viande de cheval doublait en France, la filière cheval française parviendrait tout juste à répondre à cette démarche supplémentaire.

M. Gérard Bailly. - Si la consommation doublait, certes. Mais aujourd'hui cette demande demeure insuffisante et seules l'Italie et l'Espagne permettent à nos producteurs d'écouler leurs productions. Du reste, les prix sont très bas et les bénéfices de la filière très réduits. Il y a là un vrai danger au niveau environnemental car nous avons besoin des chevaux comme des moutons pour entretenir nos paysages, notamment en zone de montagne. Notre pays risque de se couvrir de friches.

M. Patrick Dehaumont. - La DGAL va rester vigilante sur le problème de la viande de cheval anglaise.

La question du phénylbutazone ne se pose pas en Franche Comté car il s'agit d'une production équine bouchère qui utilise, tout comme les producteurs de bovins, des médicaments autorisés. Il n'y a pas de trace de phénylbutazone non plus dans la viande de cheval importée de Roumanie. C'est exclusivement dans de la viande de cheval anglaise qu'on retrouve de telles traces pour une raison simple qu'il s'agissait de chevaux de course et sûrement pas de chevaux destinés à la consommation humaine.

La rentabilité de la filière de la viande chevaline est pénalisée par la faiblesse de la demande. Nous vendons notre production à l'Italie, à la Suisse et à l'Espagne. Il existe en outre une concurrence entre les producteurs de poulains de boucherie, notamment en Franche Comté, et tous les chevaux de course, qui, lorsqu'ils n'ont pas été retirés de la consommation, peuvent rentrer dans la chaîne alimentaire, tirant les prix vers le bas. S'ajoutent à cela des importations traditionnelles depuis le Canada et l'Amérique latine, qui entrent aussi en concurrence avec la production française.

M. Gérard Bailly. - Il est vraiment important que la viande de cheval retrouve sa notoriété et le succès qui était le sien autrefois.

Mme Bernadette Bourzai, présidente. - Lorsque le scandale de la viande de cheval a éclaté, un haut fonctionnaire roumain déclarait dans une émission télévisée que les directives européennes autorisaient certaines pratiques et l'un de vos collaborateurs lui a apporté un démenti formel. J'aimerais bien savoir qui a raison et qui a tort. Les lectures des directives effectuées en France et en Roumanie ne paraissent pas être exactement les mêmes.

M. Patrick Dehaumont. - Cette divergence portait sur l'anémie infectieuse des équidés, une maladie qui n'existe pratiquement plus en France. Il s'agit d'une maladie virale, spécifique à l'espèce équine. Lorsqu'un cas est détecté en France, la destruction est systématique. En Roumanie, il existe davantage de cas d'anémie infectieuse des équidés mais là-bas aussi les animaux sont saisis et ne sont pas consommés. Par contre, il est exact qu'il n'y a pas de retrait quand l'animal n'est pas malade et que le virus est enkysté au niveau des ganglions car la viande ne présente pas dans ce cas de risque pour la santé humaine. D'ailleurs, aucun animal n'est jamais totalement exempt de bactéries ou de virus. Lorsque l'animal est porteur d'une maladie potentiellement dangereuse pour l'homme, comme la tuberculose, il est repéré au niveau de l'abattoir et il est saisi.

En ce qui concerne la réglementation de l'abattage, les textes européens prévoient que l'animal, doit avoir fait l'objet d'une inspection ante mortem puis d'un assommage avant d'être ensuite suspendu et pour être saigné sauf si, par voie dérogatoire, l'absence d'assommage est autorisée pour des raisons rituelles.

Sur ce sujet, vous avez évoqué le rapport du CGAAER, qui date de quelques années. Je ne pense pas que nous puissions valider les chiffres qui figurent dans ce rapport : il s'agissait d'une enquête sur un échantillonnage d'abattoirs qui n'était pas représentatif. Il contenait cependant un certain nombre de remarques très pertinentes concernant le bien-être animal, l'hygiène et le phénomène conduisant certains abattoirs à généraliser l'abattage sous forme rituelle pour être capables de fournir des produits abattus rituellement à tout moment.

En cas d'abattage rituel, l'animal est immobilisé et saigné sans assommage. Il n'est donc pas possible de faire une incision dans la peau pour sectionner les carotides et les jugulaires, ce qui peut entraîner un risque de contamination de la partie basse de l'animal.

Cela nous a conduit à renforcer le dispositif normatif en 2011 pour redéfinir les conditions de l'abattage rituel en limitant l'abattage rituel au strict nécessaire et en renforçant les garanties sanitaires. Concrètement l'abattoir doit disposer d'un volume de commandes déterminé avant de procéder à des abattages rituels et des obligations renforcées en matière d'hygiène ont été mises en oeuvre, avec notamment une formation des sacrificateurs.

Mme Sylvie Goy-Chavent, rapporteure. - Qui assure la formation de ces sacrificateurs ?

Mme Stéphanie Flauto, sous-directrice de la sécurité sanitaire des aliments. - Des organismes de formation que nous habilitons selon les normes prévues par un règlement européen promulguée l'an dernier.

M. Patrick Dehaumont. - Le programme est prédéfini et les organismes religieux sont impliqués dans la formation.

Il est très important de ne pas tuer plus de bêtes que nécessaire mais aussi de ne pas gaspiller les denrées produites. Dans le rite casher, on ne consomme que les avants et pas les arrières. Dans le rite halal, on consomme beaucoup d'abats mais il est nécessaire de pouvoir commercialiser le reste de la carcasse.

Avec ou sans boutonnière, il existe toujours un risque de percer les intestins. Les pourcentages d'accidents d'éviscération varient fortement selon les abattoirs : tout dépendant de la qualité de leur travail, plus que du mode, rituel ou pas d'abattage. Ces accidents font l'objet d'un suivi statistique.

Mme Stéphanie Flauto. - Il existe un risque accru de contamination en abattage rituel à deux niveaux : soit si l'on perce les intestins ou l'oesophage avec un possible déversement du contenu digestif qui souille la partie basse de la carcasse, soit lorsque l'on enlève la peau. L'abattage rituel doit clairement être pris en compte dans le plan de maîtrise sanitaire des abattoirs qui le pratiquent pour assurer le bien-être animal au moment de la mise à mort et garantir une maîtrise des procédures et des risques par les professionnels eux-mêmes.

Mme Sylvie Goy-Chavent, rapporteure. - Disposez-vous des chiffres de la contamination par la bactérie escherichia coli ?

Mme Stéphanie Flauto. - Nous mettons en place depuis plusieurs années des plans de surveillance dont nous pourrons vous fournir les résultats. Au niveau des produits remis aux consommateurs, nous contrôlons tout particulièrement les viandes hachées.

Mme Sylvie Goy-Chavent, rapporteure. - Disposez-vous de chiffres abattoirs par abattoirs ?

Mme Stéphanie Flauto. - Non, car ces tests sont effectués au niveau de la viande hachée, dans les établissements qui produisent cette viande hachée et non abattoir par abattoir. Les résultats que nous obtenons sont globalisés au niveau national.

Mme Sylvie Goy-Chavent, rapporteure. - Avez-vous une idée du pourcentage d'abattage rituel en France ? Que pensez-vous des chiffres de ce rapport CGAAER qui l'estimait à 40 % pour les bovins et 60 % pour les ovins ? Avez-vous d'autres chiffres ?

M. Patrick Dehaumont. - Nous ne confirmons pas ces chiffres car il s'agit d'un rapport partiel et non exhaustif. Nous disposons de chiffres obtenus il y a huit mois environ qui évaluaient le pourcentage d'abattage rituel en France à 14 % avec des variations plus importantes par espèces. Ces chiffres proviennent d'enquêtes auprès des directions départementales.

Escherichia coli représente un danger majeur. Des mesures strictes sont mises en place pour maîtriser la contamination par cette bactérie aux stades de l'abattage, de l'utilisation de la matière première et de la préparation des viandes hachées. Des plans de surveillance sont élaborés par les services officiels et des autocontrôles sont imposés aux industriels. Grâce à cela, nous avons fait des progrès très significatifs en matière de maîtrise des contaminations par escherichia coli sachant qu'il existe deux types d'accidents : ceux que l'on peut qualifier de sporadiques et les cas épidémiques. Il sera toujours très difficile de s'affranchir complètement du sporadique mais l'épidémique n'est pas acceptable. Un foyer a été détecté en juin 2012 avec un peu moins de dix cas. Même si ce nombre est faible, la gravité de cette pathologie fait qu'on ne doit pas la tolérer.

Dans la mesure où nous travaillons sur du vivant, il faut des mesures drastiques de prévention pour éviter la contamination de la carcasse, des pièces de découpe et de la viande hachée.

Un arrêté ministériel sera bientôt publié et imposera aux industriels de procéder à un contrôle libératoire et de retirer du marché les produits contaminés par escherichia coli. Jusqu'ici, pour des raisons techniques, les industriels n'avaient mis en place ce type de contrôle que pour la viande hachée surgelée. Ils devront désormais le faire sur la viande réfrigérée. C'est le seul moyen d'éradiquer de manière quasi absolue les foyers épidémiques. Il y a eu des réticences de la part des industriels car ils ne disposent pas tous de laboratoires. Les contrôles libératoires posent par ailleurs des problèmes de délais d'analyse, de stockage...

Mme Sylvie Goy-Chavent, rapporteure. - Scientifiquement, le fait que la trachée et l'oesophage soient sectionnés, que l'animal soit mis la tête en bas et les pattes en l'air, qu'il respire, que le rumen se déverse sur la plaie, est-ce une source de contamination escherichia coli ? Dans l'abattage conventionnel, il existe une agrafe et la mise à mort se fait par une saignée et non par un égorgement.

M. Patrick Dehaumont. - Effectivement, il peut y avoir un risque de régurgitation d'où l'importance des mesures de maîtrise sanitaire et des contrôles libératoires. Une étude des années 1980 montrait que si l'on saigne un porc avec un couteau stérilisé trempé dans une solution de clostridium en sectionnant la veine et l'artère, des traces de clostridium sont décelables dans le jambon car la circulation sanguine se poursuit encore. Connaissant ces risques, l'objectif est donc de mettre en place de nombreuses mesures de maîtrise pour éviter les contaminations.

Mme Bernadette Bourzai, présidente. - Je souhaiterais que nous abordions à présent la question qui est à l'origine de notre mission, à savoir la question des normes et des contrôles industriels.

M. Patrick Dehaumont. - Les normes et contrôles industriels reposent avant tout sur le principe de l'agrément sanitaire délivré par l'État sous réserve du respect d'un certain nombre d'exigences en matière d'installation, de conditions de fonctionnement, de procédures de maîtrise sanitaire, de conditions d'approvisionnement et de formation du personnel. Cet agrément est accordé sur la base d'un dossier initial et de visites sur site. Il est ensuite maintenu par le biais d'inspections régulières. Il existe environ 13 000 établissements agréés dans la filière viande qui font l'objet de 10 000 inspections par an.

Mme Sylvie Goy-Chavent, rapporteure. - Existe-t-il une définition du minerai de viande et comment le contrôlez-vous ?

Mme Stéphanie Flauto. - Il n'existe pas de définition du minerai dans les règlements européens du paquet hygiène. Il s'agit d'une définition professionnelle, consacrée par l'usage. En pratique, il s'agit de petits morceaux de découpe de viande : du muscle, le gras attenant et un peu de tissu conjonctif qui enveloppe les muscles. Il existe différents types de minerais selon leur teneur en gras, en protéines et en tissu conjonctif. Traditionnellement, ce sont des produits qui ne sont pas remis aux consommateurs mais des produits intermédiaires qui sont utilisés dans l'industrie. Le minerai peut être congelé ou frais.

Mme Sylvie Goy-Chavent, rapporteure. - Ces minerais sont-ils susceptibles de contenir des viandes issues de différents animaux ? Un minerai pourrait-il contenir par exemple du boeuf charolais et du buffle ? Faites-vous des tests ADN pour le savoir ?

M. Patrick Dehaumont. - Jusqu'à présent, les services officiels n'ont jamais pratiqué de tests ADN mais il est vrai que le récent scandale conduit à se poser de nombreuses questions.

Un point est très positif : nous ne connaissons pas de crise sanitaire. Les fraudes opérées ne présentent pas de danger pour la santé du consommateur et il n'y a pas de recyclage à grande échelle d'animaux abattus clandestinement. Néanmoins cette fraude conduit la DGAL à s'interroger sur la nécessaire évolution des plans de contrôle et des méthodes d'inspection. Le minerai n'était pas considéré comme particulièrement sensible dans nos analyses de risque dans la mesure où il s'agit de chutes de viande congelées, stockées à - 18°C, issues d'atelier de découpe agréés et provenant d'abattoirs où une inspection est systématiquement opérée. Nous avons fait des centaines d'enquêtes bactériologiques sur le minerai utilisé dans la production de viande hachée.

M. Gérard Bailly. - Je crois qu'en ce qui concerne l'abattage en France, nous sommes tous conscients que la traçabilité est bien assurée - j'ai pu suivre moi-même les achats de Mac Donald's en retrouvant les numéros d'abattoirs des animaux. Ce qui nous inquiète, ce sont les produits d'importation. L'industriel qui souhaite importer de la viande d'Amérique du Nord ou de Nouvelle-Zélande demande-t-il une autorisation ministérielle, ou bien s'agit-il d'un contrat de gré à gré avec un contrôle à l'entrée sur le territoire français ?

M. Patrick Dehaumont. - L'importation de viande issue de pays hors Union européenne est encadrée au niveau européen. Si l'on veut importer des viandes fraîches sur le territoire d'un État membre, il faut que le pays tiers d'où proviennent les bêtes dispose d'un statut sanitaire garantissant qu'il est exempt de maladies animales. L'agrément est donné par la Commission européenne. En ce qui concerne la viande de volaille par exemple, les autorités européennes se sont inquiétées d'un risque de contamination avec l'épisode de l'épizootie d'influenza en Chine et ont mis en place un embargo : la Chine ne peut pas exporter de volaille fraîche à destination de l'Union européenne. Le produits passent ensuite par un poste d'inspection frontalier accompagnés de certifications sanitaires établies par l'autorité compétente. Des contrôles sont ensuite opérés de manière à ce que la pression de contrôle soit suffisante.

M. Gérard Bailly. - Une fois ces produits de pays tiers sur le territoire national, garde-t-on trace de la race de l'animal et de l'abattoir dont la viande est issue ou n'a-t-on plus que le pays d'origine ?

M. Patrick Dehaumont. - On trouve indiqué sur l'étiquette l'abattoir de provenance pour les carcasses et les quartiers mais on ne trouve plus d'indication sur les éleveurs, contrairement à ce que l'on trouve pour les produits français.

M. Gérard Bailly. - Les étiquettes sont-elles assez explicites pour que le consommateur sache d'où provient la viande quand elle est produite par un pays tiers ?

M. Patrick Dehaumont. - Il est vrai que les étiquettes ne sont pas toujours faciles à lire. Il faudrait que le consommateur fasse l'effort de ne choisir que des produits pour lesquels toutes les informations sont fournies, ce qui aurait en outre le mérite de valoriser les produits d'origine française.

Mme Bernadette Bourzai, présidente. - Pourriez-vous nous expliquer comment la brigade nationale d'enquêtes vétérinaires et phytosanitaires (BNEVP) a opéré chez Spanghero ? Qu'y-a-t-elle découvert ?

M. Patrick Dehaumont. - La brigade peut être sollicitée par le ministre via le Directeur général de l'alimentation ou par la justice.

Dans l'affaire Spanghero, lorsque la DGCCRF nous a communiqué certaines informations, nous nous sommes interrogés sur la présence d'un risque sanitaire éventuel. Le ministre a décidé de suspendre les agréments de Spanghero et de demander à la BNEVP de se rendre sur place et de procéder à une investigation détaillée des installations, des produits et de la comptabilité. Cette décision a été prise le jeudi à 12 heures et les agents étaient sur place le vendredi matin à 9 heures.

Mme Catherine Collinet. - Notre mandat était de vérifier que l'ensemble des produits présents, qui entraient dans la fabrication des produits de l'établissement, étaient conformes aux normes en vigueur. Nous avons trouvé un stock de 350 tonnes de viande. Pour que l'établissement puisse se remettre à fonctionner, il nous fallait contrôler à la fois les matières premières et les processus de production. L'activité de l'établissement étant arrêtée, il s'agissait surtout d'un contrôle physique des installations. Nous avons travaillé à quatre pendant trois jours de 9 heures à 19 heures : il s'agit d'une opération lourde en temps et en moyens. 90 % des 350 tonnes ont été contrôlées par sondages, en vérifiant les étiquettes. Ce travail a été effectué lot par lot, en décongelant les produits. Nous avons terminé nos investigations à la fin de la semaine suivante et c'est à cette occasion que nous avons découvert de la viande de mouton séparée mécaniquement. Il fallait avoir l'habitude de ce genre de matière première pour la détecter mais nous avions précisément procédé à une enquête sur la viande séparée mécaniquement dans toute la France en 2009.

La brigade peut être saisie soit par un procureur soit par le directeur général de l'alimentation. La direction identifie un problème, puis définit le contenu de l'enquête, notamment la représentativité de l'échantillon d'étude en fonction de la taille des établissements et de leur emplacement géographique. Parfois, l'enquête peut même porter sur la totalité d'une filière. Les enquêtes sont conduites à partir d'un questionnaire initial, ajusté au fur et à mesure. À l'issue de ces enquêtes, un rapport confidentiel est remis au directeur général. Nous procédons ensuite généralement à une restitution aux professionnels de ces constats. Le grand avantage de ces enquêtes administratives est que nous prêtons une très grande attention à la logique économique : il n'y a pas de fraude sans argent.

M. Patrick Dehaumont. - Dans l'affaire Spanghero, le travail de la brigade nous a permis de rétablir l'agrément sur une partie de l'activité et de maintenir la suspension sur une autre partie de cette activité pour poursuivre les investigations. Dans le cadre de l'enquête judiciaire, nous avons remis le procès-verbal au parquet.

M. Gérard Bailly. - La viande venue de Roumanie a-t-elle effectivement circulé jusqu'au Pays-Bas avant de venir dans le sud de la France ou n'y a-t-il que les papiers qui circulent ? Par ailleurs, je suis surpris que l'entreprise Spanghero qui a du faire des profits avec cette fraude, dépose le bilan.

Mme Catherine Collinet. - L'entreprise Spanghero était en difficultés financières depuis fort longtemps. Elle n'avait retrouvé son équilibre qu'en décembre 2012. Lorsque l'on se trouve dans une situation de crise, la délinquance augmente, dans l'agroalimentaire comme partout. Il y existe des délinquants de métier, comme pourrait l'être le trader néerlandais impliqué dans cette affaire. Il existe aussi une délinquance d'opportunité qui se produit ponctuellement dans certaines entreprises, en particulier quand elles rencontrent des difficultés financières. Les cas risquent de se multiplier avec les difficultés des entreprises.

Mme Nathalie Pihier, chef de mission urgences sanitaires. - Le chiffre de 50 000 tonnes concerne une autre affaire que l'affaire Spanghero.

La viande reçue par Spanghero, en provenance de Roumanie, a bien transité physiquement par un entrepôt néerlandais. Nous avons d'ailleurs pu prouver que cette viande avait fait l'objet de manipulations physiques au niveau de cet entrepôt. Spanghero a reçu la marchandise sans la toucher physiquement puis l'a revendue à Tavola, une entreprise luxembourgeoise qui fabrique des plats cuisinés. Les Pays-Bas nous ont confirmé qu'ils avaient eux aussi découvert ce que nous avions mis en évidence par nos enquêtes sanitaires.

Il est important de savoir qu'au Pays-Bas, des mélanges de viandes ont été réalisés par des ateliers spécialisés, hors des entrepôts. Les autorités néerlandaises ont découvert qu'il y avait une absence totale de traçabilité entre ce qui entrait et ce qui sortait de ces établissements. C'est ce qui les a conduits à demander le retrait de 50 000 tonnes de viande.

En ce qui concerne l'affaire Spanghero stricto sensu, je souhaite insister sur un point essentiel : il ne s'agit pas d'une affaire française, mais d'une affaire européenne dont le principal acteur est le trader hollandais.

Mme Bernadette Bourzai, présidente. - Nous vous remercions pour ces précisions très utiles.

Audition de M. Robert Volut, président de la Fédération française des industriels charcutiers traiteurs (FICT)

Mme Bernadette Bourzai, présidente. - Je vous souhaite la bienvenue. Quel est point de vue sur la situation actuelle de la filière viande et sur la confiance que portent les consommateurs à ses productions.

Mme Sylvie Goy-Chavent, rapporteure. - Les incidents ou scandales ont tendance à se succéder dans le secteur de la viande. Quelles sont, à votre avis, les pistes pour renforcer la confiance du consommateur ? Comment vendre au juste prix des produits de qualité en préservant la viabilité économique de tous les maillons de la filière et en particulier celle des éleveurs ?

M. Robert Volut, président de la Fédération française des industriels charcutiers traiteurs. - En préambule, je veux insister sur l'importance de la transformation dans la filière viande : les professionnels de la charcuterie sont attachés à la reconnaissance de cette réalité et l'intitulé de la mission d'information sénatoriale, tout en y faisant allusion, ne la souligne peut-être pas suffisamment.

Je rappelle que la transformation de la viande est une des premières industries de produits alimentaires d'Europe et qu'elle se rattache à de fortes traditions régionales. La production de l'Union européenne de produits à base de viande s'élève à 13,5 millions de tonnes, ce qui représente un chiffre d'affaires global de 75 milliards d'euros réalisés par 13 000 entreprises employant 350 000 personnes. Dans cet ensemble, la France représente environ 1,6 millions de tonnes avec 7,2 milliards de chiffre d'affaires et 60 000 emplois.

Je souligne, en second lieu, qu'il nous parait essentiel de prendre en considération, les spécificités culturelles, économiques, géographiques de chaque espèce : il faut donc se garder de trop globaliser le raisonnement sur la filière viande. Les habitudes de consommation nationale sont très différentes d'un pays à l'autre : on consomme en France 33 kg de viande de porc, 25 kg de volaille et 23 kg de boeuf par an. En Allemagne, les chiffres s'établissent à 60 kg de porc, 20 kg de volaille et 13 kg de boeuf. La partie transformée est également très variable selon les espèces : 70 % de la viande de porc est transformée en charcuterie ou en plats cuisinés alors que ce taux est d'environ 30 % pour les volailles et de 20 % pour le boeuf. Pour le porc, la transformation est donc un volet fondamental. Au total, et compte tenu de ces différences, nous appelons à ne pas opérer de généralisations hâtives et simplificatrices.

En ce qui concerne la crise que nous venons de traverser - et qui n'est pas de nature sanitaire - ma première remarque est que la fraude se détecte avec des contrôles, relève de sanctions sévères et se prévient grâce à un certain niveau de déontologie. En second lieu, lorsque le bruit médiatique, parfois relayé par les politiques, amplifie le phénomène de façon excessive et indifférenciée, nous estimons qu'on ne sert en rien la cause de l'information du consommateur : nos adhérents qui transforment du boeuf y sont très sensibles. Des négligences et des signes d'incompétences - je mets de côté la fraude - ont été constatées chez certains professionnels. En effet, la base du métier est de contrôler les matières premières : lorsque des soi-disant professionnels prétendent ne pas connaître les codes douaniers, ils font preuve d'incompétence notoire et ne me paraissent pas en capacité d'exercer leur métier. Le comportement normal des industriels ou des distributeurs qui sont clients de Comigel est de vérifier la nature de leur approvisionnement.

Mme Sylvie Goy-Chavent, rapporteure. - Il me semble d'ailleurs que c'est bien Findus qui a détecté l'anomalie de la viande de cheval.

M. Robert Volut. - C'est effectivement une filiale anglaise du groupe Findus qui a donné l'alerte. Mon expérience à la tête d'un grand groupe alimentaire me conduit à rappeler que la préservation de la marque est la première priorité pour des entreprises qui, avant d'apposer leur signalétique sur un produit, ont intérêt à procéder à toutes les vérifications nécessaires.

Il faut reconnaitre que les opérateurs de plats cuisinés qui assemblent des centaines de produits différents ont un métier très différent de celui des charcutiers. Je précise que ces derniers, qui connaissent particulièrement bien les caractéristiques des viandes qu'ils traitent, procèdent avant tout à un contrôle visuel. Un charcutier détecte immédiatement la couleur sombre de la viande de cheval et son odeur, lesquelles sont très différentes de celles du boeuf. Lorsque la viande est congelée, le charcutier la décongèle et lui applique une batterie de tests. S'agissant de ce que les professionnels du boeuf appellent, de façon péjorative, « minerai » - nous n'utilisons jamais ce terme et lui préférons celui de petits morceaux de viande - il est effectivement plus difficile d'en contrôler la nature. Raison de plus pour ne pas se limiter au contrôle visuel !

Je signale enfin que, début 2010, notre profession a été informée de l'existence de soupçons de fraude en Europe relative à la substitution de viande de cheval à celle de boeuf, à la suite d'une enquête lancée à la demande des autorités hollandaises. La fraude, qui concernait les années 2006 à 2009 portait sur 4.000 tonnes de viande. Les noms des personnes impliquées dans la fraude nous ont alors été communiqués : ces même noms semblent avoir étés retrouvés au cours des événements récents. Notre fédération de la charcuterie avait immédiatement alerté des risques de substitution la trentaine de ses adhérents qui utilisaient de la viande de boeuf. Certains de nos adhérents en ont tiré les conséquences en arrêtant de travailler avec les opérateurs figurant sur la liste qui nous avait été transmise. D'autres ont été tentés de continuer, les opérateurs mis en cause étant spécialisés dans la fabrication de produits à bas prix : nos industriels ont cependant, depuis 2009, procédé à des contrôles et à des tests ADN particulièrement rigoureux sur les achats de viande de boeuf.

Les négociants en viande, que l'on qualifie maintenant de « traders » dans la presse - le nom de « maquignon » n'étant guère valorisant -- sont des opérateurs traditionnellement utiles. En effet, nos adhérents qui ont une taille importante se tournent vers les marchés internationaux pour leur approvisionnement. Je rappelle ici que le porc consommé en France provient essentiellement de l'Union européenne. En revanche, les importations de boeuf en provenance du Brésil sont plus fréquentes.

Mme Sylvie Goy-Chavent, rapporteure. - On nous a indiqué qu'il s'agit parfois d'importations de buffle sous l'appellation de boeuf....

M. Robert Volut. - Je vous rassure sur ce point, c'est bien du boeuf qui est utilisé pour fabriquer, par exemple, de la Bresaola ou de la viande des Grisons.

A la différence des grandes, les petites structures, qui n'ont pas accès à une large palette de fournisseurs, font appel à des négociants. Ces derniers remplissent donc un rôle utile à l'importation mais aussi à l'exportation.

La chaîne d'approvisionnement n'est pas plus complexe dans notre secteur que dans d'autres : cette chaîne comprend les éleveurs naisseurs, les éleveurs engraisseurs, les abattoirs, les découpeurs, les transformateurs, les grossistes ou les centrales d'achat, les détaillants ou restaurateurs et enfin les consommateurs.

Quelles sont les voies d'amélioration de la situation ? D'abord, il convient d'appliquer des sanctions exemplaires - elles sont aujourd'hui insuffisantes. Je fais également observer que les outils de contrôle officiels ont subi, comme vous le savez, des diminutions de moyens et des restructurations qui ont donné lieu à certains dysfonctionnements.

Mme Sylvie Goy-Chavent, rapporteure. - Quelle est votre appréciation sur l'auto-contrôle ?

M. Robert Volut. - Nous sommes partisans d'une vigilance d'Etat et de contrôles accrus au niveau européen. Il est d'ailleurs souhaitable que les systèmes de contrôle soient au même niveau dans les 27 pays de l'Union européenne.

En ce qui concerne l'autocontrôle, notre profession - artisans et industriels - s'est dotée, depuis 1969, d'un code des usages qui définit avec précision plus de 400 produits de charcuterie. Les tribunaux français se fondent sur ce code des usages pour déterminer l'existence une fraude. Par la suite, en 1993, nous avons mis en place, pour répondre aux exigences communautaires, un guide des bonnes pratiques d'hygiène et de contrôle HACCP (Hazard Analysis Critical Control Point - analyse des dangers et points critiques pour leur maîtrise). Ces règles ont été reprises dans les normes ISO 9 000, 12 000 ou 14 000. C'est une obligation qui a reçu en 2010, soit vingt ans après, l'agrément tardif des autorités françaises. Par ailleurs, nos clients de la grande distribution ou de la restauration procèdent à des contrôles spécifiques de leurs fournisseurs.

J'attire également l'attention sur l'importance de la déontologie. En 2000, nous avons mis en place une charte déontologique sur les rillettes et un dispositif de contrôle de son application. Nous élaborons aujourd'hui une charte sur les saucissons secs.

Mme Bernadette Bourzai, présidente. - Ces chartes concernent plus particulièrement l'hygiène des produits ?

M. Robert Volut. - Effectivement, mais les chartes portent également sur les caractéristiques du produit et sa composition.

Dans la pratique, nous utilisons assez peu les indications géographiques protégées (IGP) et je le regrette. On en recense, en effet, seulement cinq en France dans le secteur de la charcuterie, contre 40 en Espagne ou en Italie. Je rappelle que l'IGP correspond d'abord à un savoir faire et ensuite à une provenance géographique. En même temps, du point de vue économique, la charcuterie ne peut se développer qu'en s'appuyant sur un certain nombre de produits phare. Or les agriculteurs français ont traditionnellement adopté une conception restrictive de la provenance de la matière première, ce qui freine la possibilité de développer des IGP. En menant une politique plus offensive, l'Espagne et Italie ont réussi à encourager leurs exportations. Je crains que la France ne se soit tiré une balle dans le pied.

Mme Bernadette Bourzai, présidente. - Pouvez-vous aborder la problématique de la traçabilité pour inciter les consommateurs à se porter sur les produits issus de la viande ?

M. Robert Volut. - En laissant de coté les deux derniers mois, je rappelle que, depuis 10 ans, notre profession a enregistré une progression de nos volumes de vente de + 2,9 % par an. Le consommateur nous fait donc globalement confiance. Nous avons fait des efforts pour réduire la teneur en sel ou en matières grasses de vos produits, que nous poursuivons sur la base d'une charte officielle. 40 % de nos produits sont vendus sous marque de fabricants ce qui est une proportion trop faible par rapport à celle des marques de distributeurs (MDD). Notre principale préoccupation concerne aujourd'hui notre relation avec nos grands clients et non pas avec les consommateurs.

Mme Bernadette Bourzai, présidente. - Les règles d'étiquetage vous paraissent-elles perfectibles ?

M. Robert Volut. - Elles sont en passe d'être modifiées en ce qui concerne la viande crue : l'origine de l'élevage et de l'abattage sera certainement mentionnée à partir du 1er janvier 2014. Nous nous y préparons activement. Observons cependant que la fraude qui vient d'avoir lieu a concerné le boeuf qui, précisément, fait d'ores et déjà l'objet d'obligations renforcées d'étiquetage et de traçabilité. Il ne faut pas se méprendre : la fraude ne concerne pas les produits transformés mais bien la viande fraîche. Je note aussi au passage que les nouvelles obligations d'étiquetage ne concerneront pas le cheval, ce qui est surprenant.

Mme Bernadette Bourzai, présidente. - C'est, en effet, étonnant.

M. Robert Volut. - En tant que fabricants de produits alimentaires, notre premier travail est de définir la recette du produit. Dans 60 % des cas nos adhérents sont sous-traitants de la grande distribution et, dans cette hypothèse, c'est cette dernière qui fixe le cahier des charges de la recette. La compétition, à travers les appels d'offre, se concentre sur le prix.

Mme Bernadette Bourzai, présidente. - Vous ne voyez donc pas d'inconvénient a ce que l'étiquetage précise les quantités respectives de produit de viande ainsi que leur provenance?

M. Robert Volut. - La proportion des ingrédients de viande figure d'ores et déjà. L'origine n'est pas obligatoirement mentionnée. Si cela est utile, alors nous préciserons l'origine des viandes utilisées, notamment pour justifier le prix et améliorer les ventes. Ne confondons pas non plus transparence et traçabilité : nous assurons la seconde systématiquement, même si l'étiquetage ne le mentionne pas.

Mme Sylvie Goy-Chavent, rapporteure. - Est-ce un atout si on peut étiqueter la provenance française de la viande ?

M. Robert Volut. - Oui, mais je fais observer que la taille de l'emballage est limitée. Par ailleurs - et on ne le sait pas suffisamment - le numéro de l'usine de fabrication figure d'ores et déjà sur l'étiquetage : c'est l'équivalent d'une plaque minéralogique. Il faut mieux informer le consommateur sur ce point.

M. Gérard Bailly. - Le numéro de la fromagerie figure également sur les morceaux de Comté. Je voudrais vous interroger sur la problématique des marges : pourquoi la rentabilité du rayon charcuterie de la grande distribution est-elle satisfaisante alors que la boucherie y est déficitaire ?

M. Robert Volut. - Chaque viande a sa logique et son circuit économique spécifique. La grande distribution est très largement bénéficiaire sur les produits de charcuterie mais la situation est tout autre pour la viande fraîche. D'une manière générale, la grande distribution gagne plus d'argent sur les secteurs comme la salaison, où l'approvisionnement est assuré principalement par les PME plutôt que sur ceux comme les céréales pour les petits-déjeuners, où dominent les grandes marques.

Il faut bien prendre la mesure des causes des difficultés des éleveurs. Le monde de l'élevage insiste sur l'étiquetage mais, à mon sens, le vrai remède consisterait à ce que la grande distribution accepte les augmentations de prix que nous demandons : c'est la seule solution pour que la qualité soit préservée. Ce n'est pas en changeant l'étiquetage qu'on parviendra à modifier la logique économique.

Audition de M. Christian Le Lann, membre de la Confédération française de la boucherie, charcuterie et traiteurs (CFBCT)

Mme Bernadette Bourzai, présidente. - La Confédération française de la boucherie, charcuterie et traiteurs (CFBCT) représente le secteur traditionnel des boucheries de quartier, qui reste extrêmement important en termes de chiffre d'affaires et d'emploi dans notre pays.

M. Christian Le Lann, membre de la Confédération française de la boucherie, charcuterie et traiteurs (CFBCT). - Outre mes fonctions de président de la CFBCT, je suis également président d'Interbev et de la chambre des métiers de l'artisanat de Paris.

La boucherie artisanale comme la grande distribution respectent le principe de la traçabilité des viandes bovines non transformées, puisqu'il s'agit d'une obligation réglementaire. Cette obligation constitue un héritage de la crise sanitaire de la vache folle.

La crise que nous traversons à l'heure actuelle n'est pas une crise alimentaire mais résulte d'une fraude économique, qui a été rendue possible par le manque de traçabilité des produits transformés. Les lasagnes en question ne contenaient pas de viande, mais du minerai, qui comporte de la viande mais également des nerfs, des tendons, des aponévroses, des tissus conjonctifs, et peut-être même parfois des abats, bien que leur utilisation dans ce cadre soit interdite par la réglementation. A l'heure actuelle, en l'absence d'obligation de traçabilité sur les produits transformés, l'information du consommateur sur ces produits est inexistante. De tels produits n'ont rien à voir avec des lasagnes confectionnées par un artisan traiteur, dont le prix de revient sera aussi très différent.

Notre pays s'est engagé dans une voie singulière, celle du « tout-industriel ». 80 % des produits consommés par les consommateurs français sont issus de l'industrie agroalimentaire. Nous avons tendance à favoriser l'industrie et la grande distribution, comme l'illustre la loi de modernisation de l'économie (LME) adoptée en 2008, qui a été dévastatrice pour les producteurs et pour le commerce traditionnel.

Cette fraude économique a engendré un regain d'intérêt chez les consommateurs pour les artisans et les commerçants de proximité, comme toujours en période de crise de confiance. Les boucheries artisanales ont ainsi connu une augmentation de leur fréquentation de l'ordre de 20 à 30 % en quelques jours. Les boucheries chevalines ont constaté une augmentation de 17 % de leurs ventes, ce qui signifie que les consommateurs ont redécouvert la viande de cheval de qualité - et non pas les minerais qui avaient envahi le marché industriel et qui circulaient depuis l'Europe de l'Est au gré du trading.

Mme Sylvie Goy-Chavent, rapporteure. - Cette augmentation de la consommation de viande de cheval signifie-t-elle que les consommateurs se sont tournés vers la viande de cheval pour elle-même, ou qu'ils ont découvert à l'occasion de cette crise que la viande de cheval était moins chère que le boeuf ?

M. Christian Le Lann. - La viande de cheval est en effet moins chère que la viande de boeuf. A l'heure actuelle, il s'agit principalement d'une viande d'importation. Le consommateur peut cependant trouver à la viande de cheval d'autres vertus que son moindre coût ; certains se souviennent peut-être que le mercredi était autrefois le jour du steak haché de cheval pour les enfants.

Les boucheries chevalines ayant fermé suite à une crise sanitaire de la viande de cheval, sa distribution passe aujourd'hui principalement par les boucheries traditionnelles et la grande distribution.

M. Gérard Bailly. - Peut-on considérer qu'à moyen et long terme, on consommera davantage de viande de cheval ? Certains espaces qui ne peuvent accueillir que des élevages ovins et équins pourraient se retrouver en friche si les cheptels ovins et la production de cheval continuaient à diminuer. Comment valoriser ou peut-être même réorganiser la filière chevaline et faire en sorte que les consommateurs retrouvent confiance dans la viande de cheval ?

M. Christian Le Lann. - La filière chevaline a été sinistrée, mais pourrait aujourd'hui profiter de cet intérêt nouveau pour la viande de cheval.

Il faut prendre conscience que la filière ovine, comme l'ensemble des filières, n'a un avenir que si les éleveurs sont payés au juste prix - ce que seules les boucheries artisanales offrent aujourd'hui. 60 % de la consommation de viande ovine provient de Nouvelle-Zélande. Nous avons accepté de vendre à bas coût alors que notre production ne peut pas suivre cet impératif. La grande distribution fait peser une pression très importante sur le monde de l'élevage, à tel point qu'à l'heure actuelle, les éleveurs se reconvertissent en céréaliers. Nous manquerons bientôt de viande en France ! Il est faux de dire que les Français mangent trop de viande, comme on l'entend souvent : la consommation dégringole chaque jour un peu plus et ne dépasse pas 70 grammes de viande par jour en moyenne.

M. Gérard Bailly. - On nous a indiqué, au cours de nos précédentes auditions, qu'il était impossible d'augmenter le prix de viande. Pourquoi la grande distribution, qui devrait avoir conscience que les filières françaises sont en danger et qu'elle devra de plus en plus recourir aux importations dans l'avenir, refuse-t-elle de le revaloriser ? On a le sentiment d'un véritable blocage.

M. Christian Le Lann. - La grande distribution n'a pas d'états d'âme et ne s'engage pas dans la défense des intérêts économiques des éleveurs. Certains jouent le jeu et privilégient les filières de production française, mais d'autres n'ont aucun scrupule à acheter de la viande d'importation, notamment néo-zélandaise dans le cas de la viande ovine.

Nous sommes très inquiets : en l'absence de juste rémunération des éleveurs, c'est l'ensemble de notre élevage qui est menacé, y compris l'élevage bovin qui résistait encore jusqu'à présent. C'est pourquoi nous incitons nos collègues, dont 7 000 sont bouchers abattants, à se rapprocher des éleveurs. Une charte a ainsi été élaborée entre la CFBCT et l'association Elvea, qui représente une grande partie des éleveurs indépendants. Nous essayons également de multiplier les accords départementaux et régionaux pour favoriser les véritables circuits courts, c'est-à-dire les circuits qui relient l'éleveur au boucher ou le grossiste au boucher. Nous sommes en revanche opposés aux ventes directes : chacun doit faire son métier.

Mme Sylvie Goy-Chavent, rapporteure. - N'y a-t-il pas trop d'intermédiaires dans la filière viande ?

M. Christian Le Lann. - Le problème de la filière viande n'est pas celui du nombre d'intermédiaires ; il est lié au prix de base de la viande, qui n'est pas du tout rémunérateur. On a mis dans la tête des consommateurs que tout devait être low cost. Pourtant, certains de mes clients n'hésitent pas à payer le juste prix pour des produits de qualité exceptionnelle, comme par exemple le veau fermier élevé sous la mère, qui n'a rien à voir avec des produits industriels.

Le développement de l'industrialisation et le pouvoir de la grande distribution risquent de réduire à néant les efforts accomplis sur les labels et les signes de qualité. Tout ce qui intéresse ces acteurs, c'est de vendre de la viande, qu'ils considèrent comme un produit générique. Nous nous targuons de l'inscription de notre gastronomie au patrimoine mondial de l'Unesco, alors que nous consommons du fromage industriel et de la viande de basse qualité ! Notre pays a été livré pieds et poings liés aux industriels et à la grande distribution ; c'est de là que viennent nos difficultés. La LME votée en 2008 était un cadeau fait à la grande distribution. Et comme les gouvernements précédents, le gouvernement actuel ne voit que par l'industrie. La grande distribution envahit peu à peu nos centres-villes, puisqu'aucune autorisation n'est nécessaire pour une surface inférieure à 1 000 mètres carré. En l'absence de protection de ceux-ci dans les plans locaux d'urbanisme (PLU), les commerces de bouche ont pratiquement disparu de nos villes. Nous avons fait des propositions pour modifier la loi en matière d'urbanisme commercial, d'encadrement des loyers commerciaux, de ventes directes. Ce n'est pas seulement la viande qui est concernée par le commerce parallèle, mais également les produits laitiers et les fruits et légumes. Il faut également s'intéresser à la pratique de l'abattage familial, qui est extrêmement opaque.

M. Gérard Bailly. - Avec la multiplication des contrôles, cette pratique a tout de même beaucoup diminué.

Mme Sylvie Goy-Chavent, rapporteure. - Il faut également évoquer la pratique de l'abattage clandestin. J'ai moi-même pu observer un abattoir qui avait été homologué pour la production de volaille et dont on voyait sortir des camions pour l'équarrissage. Je pense que nous ne sommes pas assez rigoureux sur cette question. Ne faudrait-il pas privilégier les petits abattoirs de proximité aux énormes usines d'abattage, même si on nous répète que cela coûte très cher ?

M. Christian Le Lann. - Le système d'abattoirs allemands comprend encore des abattoirs particuliers. Il faut donner la possibilité de créer des abattoirs plus petits, qui seront rentables. Un problème social nous menace. Les abattoirs Bigard, qui réalisent 60 % de l'abattage dans notre pays, sont en sous-exploitation, ce qui menace les emplois.

Par ailleurs, les petites entreprises de transformation de charcuterie sont actuellement très menacées, contrairement aux plus importantes d'entre elles. Elles produisent en effet des produits régionaux plus qualitatifs et sont confrontées à la crise économique.

M. Gérard Bailly. - Les collectivités territoriales tendent de plus en plus à privilégier les circuits courts. Ce développement risque-t-il de réduire les débouchés des boucheries traditionnelles ?

M. Christian Le Lann. - Un de mes collègues, qui fournissait la crèche et les écoles de son village depuis des années, a soudainement perdu l'accès à ce marché : une cuisine centrale avait été installée et il lui manquait un agrément européen pour répondre aux nouvelles exigences normatives. La plupart des institutions, comme par exemple les maisons de retraite, sont désormais obligées d'externaliser leur restauration auprès de grands groupes comme Sodexho en raison des règles drastiques qui doivent être appliquées. Les règles sanitaires et le principe de précaution vont tellement loin qu'ils excluent de fait l'artisanat et les petites entreprises. La restauration de collectivité ne permet plus aujourd'hui d'assurer une alimentation correcte à ses bénéficiaires ; en outre, elle ne privilégie pas nécessairement la viande française.

Mme Bernadette Bourzai, présidente. - Il existe également parfois un problème de formation du personnel employé par la restauration collective : celui-ci fait davantage de l'assemblage de produits que de la cuisine.

Mme Sylvie Goy-Chavent, rapporteure. - L'étiquetage des produits est-il assez clair pour la ménagère qui fait ses courses ? Bien souvent, il faut à la fois une loupe et un décodeur pour lire les étiquettes.

M. Christian Le Lann. - Je pense que la mention de l'origine est absolument indispensable pour les produits transformés. Pour l'ensemble de nos produits, nous n'avons pas le droit à l'heure actuelle d'indiquer le nom de l'élevage dont ils sont issus, ce que souhaitent parfois faire certains bouchers de proximité. Il faudrait aussi améliorer l'information du consommateur sur les conservateurs et les exhausteurs de goût.

Nous vivons aujourd'hui sous le règne de la malbouffe industrielle. Notre pays compte pourtant de nombreuses spécialités de produits remarquables. Une viande qui n'est pas de qualité, qui n'a aucun goût, conduit à dégoûter les consommateurs. L'alimentation doit aussi être un plaisir.

Mme Sylvie Goy-Chavent, rapporteure. - Nous pourrions préconiser de valoriser les éleveurs locaux dans l'étiquetage des produits.

Mme Bernadette Bourzai, présidente. - Au-delà de la crise liée à l'affaire de la viande de cheval, n'observez-vous pas un mouvement de retour vers les produits naturels ?

M. Christian Le Lann. - Cette fraude économique a au moins eu une vertu : elle a permis de relancer le débat sur l'alimentation. Celle-ci est entre les mains des puissances de l'argent, qui font du profit sur le dos des consommateurs. Il est indispensable que nos élus se penchent sur ces problèmes alors qu'il est déjà presque trop tard. Aujourd'hui, le consommateur a encore le choix des produits qu'il consomme ; ce ne sera plus le cas si l'urbanisme commercial ne permet pas de maintenir les commerces de proximité dans les villes et les villages. A Paris, en l'absence d'encadrement des loyers, seules des grandes marques ou des galeries d'art peuvent accéder à certains emplacements. Si nous souhaitons conserver nos commerces de proximité, nous devons nous en donner les moyens.

Mme Sylvie Goy-Chavent, rapporteure. - Nos coeurs de ville sont en effet riches d'enseignes d'assurance ou de banque, mais se vident de leurs commerces de proximité.

M. Christian Le Lann. - Un autre problème est celui de la formation des jeunes. 4 000 postes sont à pourvoir immédiatement dans le secteur de la boucherie. Nous nous efforçons depuis quelques années de redonner une image valorisante à nos produits et à notre métier. Cet effort a porté ses fruits : 8 000 jeunes sont aujourd'hui en apprentissage, et l'on voit apparaître un nouveau public de demandeurs d'emploi qui désirent se former au métier de boucher. Nous sommes cependant en difficulté pour répondre à leur demande puisqu'ils ne peuvent être formés en apprentissage.

Par ailleurs, nous manquons d'aides à la reprise des entreprises de boucherie, notamment en direction des jeunes. Un programme très positif a été mis en oeuvre en Corse. Une politique volontariste est nécessaire sur ce point.

M. Gérard Bailly. - Il est nécessaire en effet d'apporter des aides à l'investissement et à la reprise lorsque des besoins sont identifiés. Nous ne pouvons pourtant pas systématiquement aider tout le monde.

M. Christian Le Lann. - L'accompagnement des repreneurs dans leurs démarches fait partie des missions des chambres consulaires et des organisations professionnelles. Nous ne recevons cependant aucune aide de la part des pouvoirs publics. Où sont passés les moyens du fonds d'intervention pour les services, l'artisanat et le commerce (Fisac) ? Il est également prévu, dans le cadre du deuxième pilier de la politique agricole commune (PAC), une aide au développement rural qui doit aussi concerner l'artisanat. Nous aimerions ne pas être oubliés.

Mme Bernadette Bourzai, présidente. - Les fonds du Fisac sont en effet épuisés. Sur l'aide au développement rural, il est parfois difficile de distinguer le rural agricole du rural non agricole.

Mme Sylvie Goy-Chavent, rapporteure. - Un frein à la transmission et à la reprise d'entreprises de boucherie ne réside-t-il pas dans la pression des normes ? Certains commerces s'adaptent sans doute difficilement aux exigences applicables aux laboratoires par exemple.

M. Christian Le Lann. - Les normes et les réglementations existent certes, mais elles ne doivent pas constituer un frein à la reprise d'entreprises. Il suffit souvent de quelques travaux d'aménagement pour rendre une entreprise conforme à la réglementation. Même si certains se plaignent de la manière dont la direction générale de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes (DGCCRF) et la direction générale de l'alimentation (DGAL) mènent leurs contrôles, ceux-ci aident à la mise aux normes. Nous essayons toujours pour notre part d'apaiser les tensions qui peuvent naître à cette occasion.

M. Gérard Bailly. - Sur le plan sanitaire, nous sommes inquiets de constater le retour de la tuberculose chez les bovins dans une dizaine de départements.

Mme Bernadette Bourzai, présidente. - Il nous faut également nous pencher sur la question des antibiotiques.

M. Christian Le Lann. - Le Livre noir de l'agriculture d'Isabelle Saporta avait dénoncé le système de l'élevage industriel porcin en Bretagne, qui conduisait à ce qu'on retrouve des antibiotiques dans les tranches de jambon. On a depuis fait largement diminuer la consommation d'antibiotiques. Cependant, compte tenu de la concentration d'animaux dans les élevages intensifs de poulets ou de porcs, des dérives sont toujours possibles.

M. Gérard Bailly. - Les produits importés qui proviennent de pays extra-européens présentent-ils toutes les garanties de sécurité ? Ce que l'on apprend sur les conditions d'élevage aux États-Unis et au Brésil est très inquiétant.

M. Christian Le Lann. - 45 % de notre consommation de poulet provient du Brésil. Il est certain que dans certains pays étrangers, même au sein de l'Union européenne, le désir de traçabilité n'est pas aussi fort que chez nous. La traçabilité est aujourd'hui parfaitement assurée chez les bouchers sur la viande bovine non transformée. Il faudrait parvenir au même résultat sur tous les types de viande.

M. Gérard Bailly. - La viande importée sur notre territoire l'est-elle par des importateurs français, ou transite-t-elle par d'autres circuits ?

M. Christian Le Lann. - La Hollande a longtemps été une plaque tournante du commerce international de viande. Elle l'est moins depuis que les frontières sont davantage ouvertes, mais il en reste quelque chose, comme l'a montré l'implication d'un trader néerlandais dans le scandale de la viande de cheval.

Les bouchers vendent parfois de la viande d'importation comme du boeuf de Kobé, mais il s'agit le plus souvent de ventes de niche à un prix très élevé.

Mme Bernadette Bourzai, présidente. - Nous vous remercions pour ces précisions très intéressantes.

Audition de Mmes Anne Richard, directrice générale et Pascale Magdelaine, responsable des observatoires économiques avicoles de l'Institut technique de l'Aviculture

Mme Bernadette Bourzai, présidente. - Nous avons le plaisir de recevoir l'Institut technique de l'aviculture (ITAVI).

Mme Sylvie Goy-Chavent, rapporteure. - La filière volaille, en particulier la production de poulet, est en grande difficulté aujourd'hui. Nous avons appris lors d'une précédente audition que 45 % de la viande de volaille consommée en France est importée. D'après le président de la Fédération des Industries Avicoles (FIA), la filière perdra 5000 emplois d'ici deux ans. Comment venir en aide à la filière et encourager la production de viande de volaille française, qui est de grande qualité ? Faut-il améliorer l'étiquetage en créant une mention « filière française de volaille » ? Faut-il créer davantage de labels qualité ? Quelles sont les niches qui existent dans la filière volaille ? Faut-il développer la production bio ? Les circuits courts ?

Mme Anne Richard, directrice générale. - Je vais commencer par vous présenter l'ITAVI. Il s'agit d'un institut technique agricole, habilité par l'État, qui travaille pour toutes les filières avicoles françaises -poulets de chair, poules pondeuses, dindes, pintades, canard - et pour la filière poissons. L'institut peut financer des études qui ont essentiellement pour objet de rendre ces filières plus compétitives.

Notre objet d'étude, la filière volaille, est une filière très atomisée puisque chaque espèce possède ses spécificités. Mais c'est l'ensemble de la filière qui est confrontée aujourd'hui à d'importantes difficultés économiques.

En effet, si la filière volaille française est très présente dans de multiples niches de produits d'excellence, elle a complètement délaissé les consommateurs qui achètent des volailles premier prix. Elle ne fournit plus non plus l'industrie des plats cuisinés ni la restauration hors foyer. De fait, pour satisfaire ces besoins, il serait nécessaire de ramener les coûts de production au minimum à tous les échelons de la filière. Du coup, ce sont aujourd'hui les produits importés qui viennent satisfaire cette demande d'entrée de gamme. Les pays dont nous importons la viande sont des pays extra européens, mais aussi des pays européens dont les coûts de production sont nettement plus compétitifs que les nôtres.

Mme Pascale Magdelaine, responsable des observatoires économiques avicoles. - La filière volaille comprend plusieurs maillons : les sélectionneurs, l'accouvage, les élevages de production qui engraissent la volaille, l'abattage, la découpe et la transformation. 60 000 personnes travaillent aujourd'hui dans la production de volaille de chair, la filière qui intéresse plus particulièrement votre mission. 60 % des 1,8 millions de tonnes de volailles sont des poulets, un pourcentage relativement faible par rapport aux autres pays mais qui s'explique dans la mesure où l'élevage de volailles secondaires -pintades, dindes, canards - est particulièrement développé en France.

La production de volaille française connaît globalement un recul depuis le début des années 2000. Après un point haut en 2000, la production a retrouvé son niveau du début des années 1990.

La consommation de poulet en France a augmenté ces dernières années mais cette hausse a essentiellement profité aux importations. La production a elle aussi augmenté, en particulier depuis 2007, mais uniquement grâce aux exportations. Les producteurs français exportent en effet de plus en plus de poulet vers le proche et le Moyen-Orient, même si leurs ventes stagnent sur les marchés européens. En ce qui concerne les autres types de produits, le canard se porte bien grâce au foie gras, la pintade connaît une érosion lente et les producteurs français de dinde ont vu reculer très nettement leurs parts de marché à l'exportation, avec notamment la perte des marchés anglais et allemand car des pays comme l'Allemagne et la Pologne ont développé leur production et suscité une nouvelle concurrence.

En ce qui concerne l'organisation de la filière, il est important de savoir que 60 % des éleveurs concluent des contrats de production avec des coopératives ou d'autres acteurs privés qui leur fournissent les poussins, récupèrent les volailles et les rémunèrent en leur garantissent une marge minimum à la condition de respecter certains critères de performance. Si les professionnels possèdent leur exploitation, ils travaillent donc en très étroite concertation avec les industriels, et c'est vraiment l'opérateur - intégrateur qui prend à sa charge l'augmentation des coûts en cas de fluctuation à la hausse du coût des matières premières, même si de nombreuses révisions de contrats se produisent actuellement : il devient en effet très difficile pour les coopératives, avec la crise économique, de supporter seules ces fluctuations.

Le marché de la volaille est très fragmenté en France puisque le principal opérateur français, LDC, ne détient qu'un tiers des parts de marché de la production française. Le phénomène de concentration n'existe pas davantage en Allemagne mais le principal producteur allemand concentre toute sa production dans 13 abattoirs seulement contre 35 pour LDC, alors que leurs parts de marché respectives sont équivalentes. La taille de l'outil industriel est beaucoup plus importante en Allemagne, ce qui confère aux abattoirs allemands une productivité très supérieure à celle des abattoirs français.

Mme Anne Richard. - Pour être compétitif sur le poulet d'entrée de gamme, il faut absolument disposer de gros abattoirs aux capacités saturées. Un abattoir qui ne fonctionne qu'à 40% de ses capacités n'est absolument pas rentable, pas plus qu'un petit abattoir. C'est ce qui fait la force des Allemands, car partis de plus loin, ils ont récemment beaucoup investi dans de très gros outils. Il manque en France un ou deux acteurs industriels qui feraient le pari de reconquérir le marché français du poulet d'entrée de gamme avec des outils d'abattage-découpe très compétitifs car de très grande taille.

Mme Pascale Magdelaine. - La production mondiale de volaille a connu une hausse de 4 % ces dernières années et le volume des échanges a lui aussi augmenté. Le Brésil et les États-Unis sont les leaders sur les marchés mondiaux. Le Brésil, qui n'exportait pratiquement pas de volaille avant l'an 2000, exporte désormais 35 % de sa production, essentiellement des produits congelés et beaucoup de découpe. Les États-Unis quant à eux exportent les morceaux de volaille qu'ils ne consomment pas, notamment des cuisses et des pattes, qu'ils vendent à bas prix, ce qui explique que leurs exportations aient une valeur deux fois inférieure à celle des Brésiliens pour un tonnage équivalent.

10 % des volailles françaises importées proviennent de pays hors Union européenne et 90 % de pays de l'Union. La grande majorité des importations françaises sont très sécurisées car les importateurs français définissent des cahiers des charges précis avec leurs fournisseurs et établissent des audits sur place dans ces pays. Mais il existe aussi un autre marché où interviennent des traders et ce marché est beaucoup moins transparent.

En 1994, les pays de l'Union européenne représentaient marché de 20 % des volumes sur le marché mondial de la volaille. Leur part n'est plus que de 10 % en 2013. Certains grands pays producteurs aujourd'hui, comme le Brésil, bénéficient d'un approvisionnement bon marché en maïs et en soja. De plus, le coût de leur main d'oeuvre est beaucoup plus bas qu'en Europe : il en résulte que le surcoût de la production de poulet en France par rapport au Brésil est de 48 %. Par ailleurs, la baisse des tarifs douaniers et la baisse des restitutions aux exportations prévues par les accords de Marrakech de 1994 ont clairement pénalisé les exportations européennes sur le marché mondial. Or 20 à 25 % de la production française de volaille est exportée grâce au système des restitutions. Ainsi, le marché Proche et Moyen-Orient, en forte croissance, est aujourd'hui contrôlé à 80 % par les Brésiliens alors que les Européens en contrôlaient 50 % en 2000. Si les restitutions disparaissent complètement, nous devrons nous résoudre à abandonner les 20 % restant de ce marché aux Brésiliens.

La perte de compétitivité française dans le secteur de la volaille est surtout très nette vis-à-vis de nos partenaires européens, puisque la production allemande a presque triplé ces dernières années. La balance commerciale française du poulet est passée d'un excédent de 100 000 tonnes en 1997 à un déficit de 300 000 tonnes. Nos exportations ont baissé et 44 % de notre consommation est importée à 45 % aujourd'hui contre 10 % en 1990. Quasiment la moitié du poulet standard consommé en France est donc importé, à 90 % en permanence d'Europe !

Le problème de la compétitivité française est vraiment un problème intra-européen car nous sommes beaucoup moins compétitifs que les Allemands, les Néerlandais et les Belges. Ces difficultés peuvent s'expliquer par plusieurs facteurs : un environnement réglementaire particulièrement lourd - notamment la fiscalité -, une application trop rigoureuse des normes européennes en matière environnementale, des délais administratifs trop importants, un coût du travail élevé par rapport à l'Allemagne, qui n'hésite pas à utiliser des salariés des pays de l'Est dans ses abattoirs...

Je crois qu'aujourd'hui la question décisive posée à la filière est la suivante : les producteurs vont-ils totalement abandonner la production du poulet standard pour se concentrer sur les poulets labellisés ? Cette question, nous l'avons posée à la fois aux professionnels de la filière mais aussi aux associations de consommateurs, aux associations environnementales et aux associations de protection animale. Il est indispensable de faire des choix : il est difficile de consentir de trop gros efforts en matière de protection de l'environnement et de bien-être animal et d'être en même temps compétitif sur le poulet d'entrée de gamme.

Il serait aussi vraiment nécessaire d'augmenter la taille des élevages. Pour être pleinement efficaces, les élevages devraient comprendre environ 10 000 poulets. De trop petites unités de production ne peuvent être rentables si on exige qu'elles soient pleinement mises aux normes actuelles.

M. Gérard Bailly. - Augmenter la taille des exploitations me paraît en effet indispensable.

Mme Sylvie Goy-Chavent, rapporteure. - Existe-t-il du minerai de volaille, comme on en trouve dans la filière de la viande bovine ?

Mme Pascale Magdelaine. - Ce que l'on appelle le minerai n'est que l'intrant utilisé, par exemple dans la fabrication de plats préparés. Cette appellation ne préjuge en rien de la qualité de la viande dont il est composé.

Mme Sylvie Goy-Chavent, rapporteure. - Pensez-vous que le consommateur a conscience de consommer des produits importés, notamment lorsqu'il consomme des produits transformés ? Je crois que se pose aujourd'hui en France un problème de lisibilité des étiquettes. Ne pensez-vous pas que les Français souhaiteraient davantage consommer français ?

Mme Pascale Magdelaine. - Je crains qu'en ce qui concerne les produits très transformés, les consommateurs ne s'intéressent que très peu à l'origine de la viande, contrairement à l'intérêt manifesté lors de l'achat d'un poulet entier. Mais il est vrai qu'une meilleure information et un étiquetage plus lisible seraient précieux pour les producteurs français.

Cela étant, l'énorme défi des années à venir reste à mon sens de faire en sorte que la filière devienne suffisamment compétitive pour pouvoir gagner de l'argent en produisant des poulets standards. Cela exigera de nombreux investissements puisque 80 % du parc de bâtiments utilisés par les éleveurs est à renouveler et à mettre aux normes. Il est aussi essentiel de mieux spécialiser les abattoirs en fonction des types de demandes auxquelles ils sont susceptibles de répondre. Aujourd'hui les outils n'ont pas été assez renouvelés et les conditions de travail se sont dégradées.

Mme Sylvie Goy-Chavent, rapporteure. - J'ai le sentiment que le consommateur, contrairement à ce qui se produit lorsqu'il achète un poulet entier, a perdu la conscience que, lorsqu'il achète un produit transformé, la viande provient d'un animal.

Mme Pascale Magdelaine. - La réforme de la PAC et la question des restitutions, qui ont été baissées deux fois ces derniers mois, sont cruciales pour l'avenir de la filière. 23 % du poulet français - est exporté. Sans les restitutions, 23 % de la production française serait donc dangereusement menacée, en particulier en Bretagne, et nous risquerions de perdre des parts de marché au Proche et au Moyen Orient. Il serait nécessaire à court terme d'obtenir un délai supplémentaire avant de supprimer les restitutions, afin de laisser à la filière le temps de s'adapter. A moyen terme, une lueur d'optimisme pourrait venir du fait que le différentiel de coût avec le Brésil tend à se réduire en raison des hausses de salaire dans ce pays, même si l'écart en matière de coût du travail demeure très important.

Mme Anne Richard. - Même les producteurs de label rouge doivent se poser la question de leur compétitivité. A une époque, les cahiers des charge était devenus extrêmement exigeants or il est capital de parvenir à vendre à leur juste prix les contraintes qui sont imposées aux producteurs par ces cahiers des charges car elles entraînent d'importants surcoûts.

M. Gérard Bailly. - Quel est selon vous l'avenir de la filière foie gras ?

Mme Anne Richard. - Le foie gras est un très beau produit qui se heurte à la problématique du bien-être animal, puisque les producteurs sont attaqués par les associations qui traitent de ce sujet. De gros efforts ont été consentis, notamment sur la taille des cages où sont enfermés les canards, mais subsiste une forte controverse sur le concept de base de gavage des animaux. Les consommateurs conservent un attachement très fort au foie gras, symbole de la gastronomie française. Les choses sont plus complexes au niveau mondial avec notamment l'édiction d'une norme ISO sur le gavage des animaux suivie de près par les producteurs de foie gras qui craignent que leur profession ne soit mise en péril. Ce serait vraiment regrettable car il s'agit d'une filière merveilleuse, qui permet aux producteurs de bien gagner leur vie et à des jeunes de s'installer.

M. Gérard Bailly. - Pouvez-vous nous dire ce que vous attendez de la future loi agricole ?

Mme Anne Richard. - A l'heure actuelle en France, les filières animales souffrent énormément alors que les filières céréalières se portent très bien. Il faut parvenir à développer une solidarité entre les acteurs. Un mécanisme de contribution volontaire obligatoire (CVO) pourrait se mettre en place pour que les céréaliers puissent venir en aide aux éleveurs, qui constituent une partie de leurs débouchés. Je crois que les politiques devraient donner une forte impulsion pour permettre à cette CVO de se développer et faire en sorte qu'elle puisse contribuer à la modernisation des bâtiments d'élevages et à l'amélioration de la performance des abattoirs.

Mme Bernadette Bourzai, présidente. - Merci pour ces éléments très précis.