Mercredi 17 avril 2013

- Présidence de Mme Bernadette Bourzai, présidente -

Audition de M. Olivier Andrault, chargé de la mission agriculture et alimentation à l'Union française de consommateurs, UFC Que choisir

Mme Bernadette Bourzai, présidente. - Nous sommes très heureux d'accueillir l'UFC Que choisir, car notre mission a été créée à la suite du scandale causé par la découverte de fraudes sur des productions animales.

Mme Sylvie Goy-Chavent, rapporteure. - Nous dressons un état des lieux de la filière - ou plutôt des filières - viande. Notre objectif est de trouver les moyens de rassurer les consommateurs, qui sont un peu perdus... Le président de votre association, M. Alain Bazot, a déclaré lors d'une interview télévisée que dès que la viande était transformée, le consommateur n'avait plus droit à aucune information. Il ajoutait que les industriels ont toujours résisté à vos demandes de traçabilité. Votre association réclame un étiquetage de l'origine pour tous les produits à base de viande. Vous avez affirmé que si Findus avait indiqué « boeuf de Roumanie » sur ses produits, ils n'auraient pu être écoulés. Vous pointez l'absence...

M. Olivier Andrault, chargé de la mission agriculture et alimentation à l'Union française de consommateurs, UFC Que choisir. - ...le déficit ...

Mme Sylvie Goy-Chavent, rapporteure. - ...de contrôles. Quelles sont les améliorations que l'on pourrait envisager pour rassurer le consommateur ?

M. Olivier Andrault. - Je vous ai apporté quelques emballages de produits alimentaires : vous constaterez que seuls des produits bruts contenant de la viande de boeuf portent mention de leur origine. Tous les produits transformés, au sens de la réglementation, c'est-à-dire comportant d'autres ingrédients, ne portent aucune information sur l'origine de la viande ou son lieu de fabrication. Il en va ainsi du carpaccio de boeuf, auquel on a ajouté quelques gouttes de jus de citron, ou d'un boeuf bourguignon, composé de 25 % de viande bovine, ou encore des boulettes de boeuf. Certes, une marque de salubrité portant les initiales « FR » indique aux initiés le lieu de dernière manipulation, mais pas celui de la fabrication du produit. Il y a donc un écart entre les obligations faibles qui pèsent sur les produits industriels et l'obligation de transparence sur l'origine du produit brut, qui concerne depuis longtemps les fruits et légumes frais, ainsi que la viande de boeuf depuis la première crise de la vache folle, l'indication « viande bovine française » étant à l'époque destinée à rassurer les consommateurs. Lorsque ce marquage obligatoire a été mis en place pour la viande de boeuf, je rappelle qu'il semblait impossible de l'imposer dans l'ensemble de l'Union européenne. Il s'agissait d'une règle nationale, qui a ensuite seulement était étendue à toute l'Europe. Un règlement européen de 2011 procède à l'extension de l'indication obligatoire de l'origine des produits carnés aux viandes de porc, d'ovin-caprin et de volailles. En revanche, aucune obligation n'existe encore pour les produits transformés, sauf cas particuliers, quand l'omission de l'origine serait de nature à induire le consommateur en erreur.

Le scandale de la viande de cheval vendue pour de la viande de boeuf dans des plats cuisinés nous surprend-il ? » Oui et non. La fraude en elle-même ne nous a pas surpris. Ce qui est exceptionnel est son échelle, son ampleur et les représentations particulières liées au cheval qui lui ont donné sa résonance particulière en Angleterre. Cette affaire a surtout montré au grand jour la complexité de la chaîne d'approvisionnement de l'industrie agroalimentaire, qui repose sur une cascade de fournisseurs, où se dilue la traçabilité, ce qui peut accroître le risque sanitaire. En effet, la traçabilité repose sur une chaîne d'informations qui suit le produit pendant toute sa vie : chaque maillon est responsable des informations qu'il reçoit, qu'il produit puis transmet au maillon suivant. A chaque échelon, on peut identifier un responsable. Plus la chaîne est longue et complexe, plus les risques liés à la fiabilité des informations s'accroissent. Si, au lieu de s'adresser à des fournisseurs stables, connus et fiables, on recourt à des traders qui changent sans cesse de fournisseurs pour obtenir les prix les plus bas, la traçabilité est menacée et l'on aboutit à cette situation où le commanditaire final, Findus en l'occurrence, peut affirmer de bonne foi avoir commandé de la viande bovine française et l'un de ses fournisseurs, également de bonne foi, avoir livré de la viande bovine roumaine...

M. Jackie Pierre. - En bref, il y aurait fraude alors que tout le monde est honnête ?

Mme Sylvie Goy-Chavent, rapporteure. - Le résultat est que les consommateurs sont très hésitants. Pour améliorer la traçabilité, comment peut-on faire ?

M. André Dulait. - Aucun des emballages que vous nous avez fait passer ne mentionne la température de conservation ; n'est-ce pas obligatoire ?

M. Olivier Andrault. - Ce n'est obligatoire que si c'est nécessaire pour la conservation du produit...

Une question centrale est celle des progrès que les industriels doivent faire dans la transparence des processus de fabrication. Le Bureau européen des unions de consommateurs, qui fédère les associations de consommateurs au niveau de l'Union européenne, a réalisé un sondage auprès de 4 000 consommateurs en France, en Suède, en Pologne et en Autriche. Pour 70 % d'entre eux, l'origine des produits transformés est un facteur important lors de leurs achats alimentaires. Au-delà des produits bruts, il est clair que les consommateurs européens demandent plus de transparence et d'informations sur les produits transformés.

C'est pourquoi il faut mettre en oeuvre l'étiquetage obligatoire de l'origine des ingrédients. Cela permettra de rétablir la confiance des consommateurs dans les produits transformés, comme on l'a vu après la vache folle pour la viande de boeuf. C'est aussi un moyen d'empêcher la trop grande variabilité des sources d'approvisionnements mise en lumière par l'affaire Spanghero. Nous n'avons rien contre telle ou telle origine en particulier, nous demandons simplement que le consommateur soit informé de l'origine de l'ingrédient principal et des ingrédients sensibles quant à la qualité sanitaire, notamment la viande.

La dimension sanitaire ne peut pas être évacuée dans la crise actuelle. Les résultats des tests conduits dans différents pays européens ont mis en évidence la présence de phénylbutazone dans certains échantillons de viande de cheval. Pourtant la commission européenne continue à nier le risque sanitaire et à soutenir qu'il ne s'agit que d'une fraude. Or le phénylbutazone est un médicament vétérinaire non autorisé dans les produits destinés à l'alimentation humaine.

La commission européenne privilégie une indication d'origine qui se limiterait à préciser si le produit transformé provient de l'Union européenne ou pas. C'est largement insuffisant. Elle persiste à refuser ce que l'immense majorité des consommateurs européens réclament : l'indication du pays d'origine.

Concernant l'évolution de la consommation de produits carnés à long terme en France, il est certain qu'elle subit une érosion régulière depuis deux décennies. A court terme, l'affaire de la viande de cheval a eu un impact direct uniquement sur la consommation de produits transformés à base de viande, qui a diminué brutalement de 20 %, ce qui est considérable.

Concernant les comportements d'achat du consommateur, on peut s'interroger sur un point important : est-il prêt à payer plus cher pour acheter français, ou pour avoir une garantie supérieure de produits de qualité ? Les industriels pensent que la réponse à cette question est négative. Il faut savoir que le prix du minerai de viande de cheval utilisé dans la récente affaire était de l'ordre de 15 centimes d'euros au kilo, d'après les chiffres transmis par le cabinet du ministère chargé de la consommation ! Or le consommateur paye aujourd'hui entre 15 et 20 euros le kilo de viande de boeuf. Il me paraît donc évident que le consommateur serait prêt à payer davantage pour une meilleure qualité et une garantie de l'origine, à condition que l'écart de prix reste raisonnable. Je récuse en outre l'idée selon laquelle le consommateur déciderait : pour les produits transformés ce sont les industriels qui orientent le marché, avec une offre très standardisée. Les consommateurs n'ont pas le choix, sauf celui de la marque et du lieu d'achat ou de la filière de distribution.

Concernant les contrôles sur les opérateurs de l'industrie agroalimentaire, on peut se demander s'ils sont aujourd'hui suffisants. Deux missions d'inspection vétérinaires menées en 2006 et en 2008 à la demande des autorités européennes ont montré que les conditions sanitaires d'abattage de la filière bovine et de la filière avicole pâtissaient déjà à l'époque de l'insuffisance des effectifs dévolus aux contrôles. Depuis, la situation a empiré. Les demandes réitérées du personnel des services vétérinaires, rattachés au ministère de l'agriculture et des services de la direction générale de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes (DGCCRF), dépendant du ministère de l'économie et des finances, attestent de la faiblesse du nombre de contrôleurs. Cela ne peut pas continuer ainsi. Nous ne pouvons laisser libre cours à l'autocontrôle...

Mme Sylvie Goy-Chavent, rapporteure. - En effet !

M. Olivier Andrault. - ...même s'il en faut. La commission européenne avait émis l'hypothèse que l'on s'en remette entièrement à l'autocontrôle par les opérateurs. C'est inadmissible...

Mme Sylvie Goy-Chavent, rapporteure. - Tout à fait d'accord !

M. Olivier Andrault. - Nous pouvons nous demander quelle est la part de négligence et la part de délinquance dans les comportements des opérateurs de la filière viande ?  Nous sommes surpris que les commanditaires finaux de ces produits n'aient pas diligenté d'audit. Ils ne peuvent rejeter la faute sur leurs seuls fournisseurs.

Dans ces conditions, faut-il revoir l'arsenal de sanctions applicables ? A l'évidence, les amendes ne sont pas assez dissuasives. Le préjudice subi par les consommateurs n'est pas pris en compte.

Je souligne que si de tels comportements sont possibles, c'est parce que le cadre réglementaire spécifique aux produits transformés le permet, puisqu'il y a peu d'exigences en matière d'information du consommateur et de traçabilité des produits.

Pour votre information, lorsque le scandale de la viande de cheval a éclaté, nous avons décidé de lancer en mars une batterie d'analyses ADN de produits appertisés proposés dans les rayons, à base de viande étiquetée « pur boeuf ». Sur 55 boîtes de conserve, 38 étaient réellement pur boeuf, 11 n'ont pu donner lieu à identification, l'ADN étant endommagé par les traitements subis par le produit - essentiellement la cuisson - 6, soit un peu plus de 10 %, contenaient de la viande de cheval. Certains produits, comme les cannelloni vendus sous marque Auchan, contenaient de 60 % à 100 % de viande de cheval, de 30 % à 60 % pour ceux de Casino, de 5 % à 30 % chez Cora. Des traces ont été détectées dans des raviolis de Carrefour et dans ceux de la marque repère de Leclerc.

Mme Sylvie Goy-Chavent, rapporteure. - Concernant l'abattage rituel, votre association a saisi la direction générale de l'alimentation (DGAL) et la DGCCRF afin qu'elles diligentent une enquête d'une part sur le les garanties d'utilisation de la mention halal et le respect des normes sanitaires lors de l'abattage. La procédure de marquage halal repose en effet sur une certification qui doit répondre à un cahier des charges. Or certains produits étiquetés halal ne seraient pas issus de filières certifiées ; comment donc garantir aux consommateurs musulmans qu'ils consomment bien halal ? A contrario, au nom de la liberté de conscience, ne devrait-on pas garantir aux consommateurs athées ou d'autres religions qu'ils ne consomment pas des produits résultant d'un abattage rituel ?

M. Olivier Andrault. - Votre question en comporte plusieurs. Nous n'avons pas reçu de réponse des directions que nous avions interrogées dans un contexte de préoccupations émises quant aux risques sanitaires éventuellement liés à l'abattage rituel. Notre association n'a pas la possibilité de rentrer dans les abattoirs pour procéder à des analyses, même si nous le souhaitons. Seules les administrations citées ont les moyens de connaître la réalité en la matière. La réglementation a été renforcée sur la formation des abatteurs, les équipements de contention afin que l'animal ne se débatte pas, le nettoyage préalable des animaux. Ces mesures sont censées rassurer. Seule une enquête officielle comparant les niveaux de risques entre l'abattage rituel et l'abattage standard pourrait apporter des réponses précises, sans a priori.

Mme Sylvie Goy-Chavent, rapporteure. - Comment assurer la fiabilité de l'étiquetage halal, qui est pratiqué par des organismes non officiellement reconnus ?

M. Olivier Andrault. - Il existe des fraudes. Comme toute mention de qualité, la mention halal doit résulter d'une certification, contrôlée par une tierce partie indépendante.

Mme Sylvie Goy-Chavent, rapporteure. - Et pour les autres consommateurs ?

M. Olivier Andrault. - La question est de savoir quelle est la proportion de viande abattue rituellement entrant dans les circuits standards. Nous avons peur que cette question soit instrumentalisée. Selon la DGCCRF, contrairement à ce que laissaient entendre certains, la proportion de viande issue d'abattage rituel juif ou musulman qui retourne dans le circuit standard est faible. Soit cette proportion est significative, soit elle est négligeable. Dans cette dernière hypothèse, faut-il mettre en branle toute la complexité d'un système d'étiquetage ? Nous ne disposons pas de chiffres clairs et n'avons donc pas de réponse sur ce sujet.

Mme Sylvie Goy-Chavent, rapporteure. - Cette opacité n'alimente-t-elle pas les craintes auxquelles vous faisiez allusion ?

M. Olivier Andrault. - Bonne question, qu'il serait intéressant de poser à la DGCCRF et à la DGAL, qui ne nous ont pas répondu.

Mme Sylvie Goy-Chavent, rapporteure. - Tout le monde se renvoie la balle, personne ne veut répondre...

M. Olivier Andrault. - Les inspecteurs des services vétérinaires qui dépendent de la DGAL doivent disposer de ces informations, car ils interviennent dans les abattoirs.

M. André Dulait. - La découverte de l'affaire de la viande de cheval fut assez fortuite. Est-ce une grande fraude ? Date-telle de six mois ou de dix ans ? Depuis quand existe le minerai de viande ?

M. Olivier Andrault. - La fraude a effectivement été découverte fortuitement. Je le répète, les contrôles sont insuffisants. Je ne mets pas en cause les contrôleurs, mais leur nombre insuffisant. Ce sont les services de contrôle irlandais qui ont découvert la fraude. Puis ils se sont tournés vers les services officiels anglais, ce qui a déclenché une grande émotion outre-Manche, où le cheval est considéré comme un animal de compagnie. Ce n'est qu'ensuite que les services officiels français sont intervenus.

Mme Sylvie Goy-Chavent, rapporteure. - Findus s'en était-il rendu compte avant ?

M. Olivier Andrault. - Pas que je sache. Ce sont les services officiels irlandais qui ont découvert le pot-aux-roses. Je ne sais si Findus a été alerté avant ou après la saisine par les Irlandais de leurs homologues anglais...

Mme Sylvie Goy-Chavent, rapporteure. - Et les services français ?

M. Gérard Bailly. - Il s'agit de viande importée et non pas produite en France. Mais qu'en est-il de celle qui est fabriquée en France ? La transparence est-elle satisfaisante ? Ne risque-t-on pas un problème franco-français ?

M. Olivier Andrault. - Dès lors qu'un fabricant met en avant une information, il ne peut se permettre de prendre un risque. S'il indique l'origine des ingrédients sur l'emballage, il fera tout pour s'y conformer. Le consommateur français n'est pas aussi chauvin qu'on le dit parfois. La viande bovine qui lui est proposée et qu'il achète est le plus souvent française, mais aussi allemande, irlandaise, anglaise. La volaille est aussi essentiellement française...

M. Jackie Pierre. - Notre production ne suffit pas, elle est importée à 45 %...

M. Olivier Andrault. - Dès que la viande de volaille est transformée, elle n'est plus d'origine française.

M. Gérard Bailly. - Il vaut mieux manger des produits non transformés, naturels...

M. Olivier Andrault. - Vous avez raison. Notre conseil nutritionnel aux consommateurs est le suivant : essayez de cuisiner vous-mêmes, en utilisant des produits bruts, vous savez ce que vous mettez en oeuvre, tout en transmettant une part de notre patrimoine. Mais soyons réalistes : il y a un phénomène générationnel. Si les seniors cuisinent encore les produits bruts, les jeunes utilisent des produits transformés et nous ne pouvons les laisser au bord du chemin, leurs habitudes de consommation étant installées.

M. André Dulait. - La « remballe » de viande brute est-elle une pratique fréquente chez les distributeurs ?

M. Olivier Andrault. - C'est un problème sanitaire majeur, inadmissible. Chaque fois que nous avons connaissance d'une action en justice à ce sujet, nous nous portons partie civile. Je ne dispose pas sur ce point d'éléments chiffrés.

M. Gérard Bailly. - Les parlementaires sont très attachés à la transparence. Nous comptons sur vous pour appeler les consommateurs à être exigeants, dans toute l'Europe. Nous constatons qu'outre-Rhin et dans les pays de l'Est, il y a aussi une exigence de transparence, d'information. C'est à Bruxelles que cela bloque. Avez-vous des contacts avec les associations d'autres pays européens ?

M. Olivier Andrault. - Oui. Il existe des associations de consommateurs dans tous les pays de l'Union. La plupart adhèrent au bureau de l'union des consommateurs. Toutes les associations demandent que soit rendue obligatoire, par un règlement européen, la mention du lieu de fabrication des produits transformés et de l'origine des ingrédients principaux. C'est la position que nous avons défendue à Bruxelles, devant le Conseil européen et le Parlement européen. Malheureusement, elle s'est heurtée à une fin de non-recevoir de la Commission...

Mme Sylvie Goy-Chavent, rapporteure. - C'est bien le problème ! D'autres pays d'Europe vont plus loin que nous, en promouvant l'étiquetage de l'origine nationale de leurs produits, avec la campagne Buy British, par exemple. Pourquoi sommes-nous réticents en France ?

M. Olivier Andrault. - Vous visez la mention volontaire « fait en France » : elle ne concerne qu'une faible partie des produits. Il faut sans doute aller au-delà.

M. Jean-Jacques Lasserre. - Les industriels arguent que les produits qu'ils fabriquent utilisent entre 5 et 20 intrants. Il n'y aurait pas assez de place sur les barquettes pour en accueillir la description. Ne faut-il inventer un dispositif réglementaire qui ne vise que l'ingrédient essentiel ? Soyons réalistes, trouvons une solution applicable par les industriels, qui garantisse l'origine et la qualité du produit. Pour les lasagnes, on viserait l'intrant principal, soit la viande de boeuf et peut-être les céréales...

M. Olivier Andrault. - C'est ce que nous souhaitons. Nous n'avons jamais demandé la mention de la liste de tous les ingrédients, mais seulement de l'ingrédient principal et des ingrédients sensibles sur le plan sanitaire, comme la viande.

M. Gérard Bailly. - A quel niveau la discussion est-elle bloquée ?

M. Olivier Andrault. - Cela bloque à tous les stades...

Mme Bernadette Bourzai, présidente. - La Commission européenne a cédé aux demandes de la France et d'autres pays d'avancer la publication du rapport sur l'étiquetage de l'origine des produits transformés, prévu par le règlement de 2011, de décembre 2013 à septembre...

M. Olivier Andrault. - Je reste très sceptique. Nous avons l'impression que la direction générale de la santé et des consommateurs (DGSANCO) de la Commission européenne reste sur des positions conservatrices. Elle répète que le scandale de la viande de cheval n'est qu'une fraude, circonscrite et désormais réglée. Elle ne prend nullement en compte la demande des consommateurs que l'origine des ingrédients soit mentionnée sur les produits.

M. Georges Labazée. - Les industriels de la transformation modifient, pour des raisons commerciales, la forme, le conditionnement, les contenants, qu'ils rendent parfois plus attractifs que les contenus. Ils pourraient jouer sur le positionnement des indications qui figurent sur les barquettes et qui ne sont pas toujours faciles à déchiffrer.

M. Olivier Andrault. - La règlementation sur l'étiquetage est globalement bien respectée ... en raison de la faiblesse des obligations réglementaires. Lors de la discussion, en amont, du règlement européen de 2011 sur l'étiquetage des produits et l'information des consommateurs, la Commission européenne a évoqué, à notre demande, la réunion en un seul endroit de l'emballage de l'ensemble des mentions essentielles : identité des opérateurs, liste des ingrédients et poids. Mais la démarche n'a pas abouti : la simplification des mentions réglementaires a été bloquée. Finalement, le toilettage de la réglementation actuelle est très loin de la vision assez courageuse qui avait d'abord prévalu au sein de la Commission européenne. En outre les consommateurs lisent rarement la liste des ingrédients, qui est pourtant une mine d'informations...

M. Jackie Pierre. - Illisible !

M. Olivier Andrault. - Nous nous sommes battus pour imposer une taille minimale de caractères au niveau européen...

M. Gérard Bailly. - Notre élevage a perdu des centaines de milliers de têtes ces dernières années. La France produit de moins en moins de viande, en raison de l'attrait des céréales, des difficultés du métier d'éleveur, qu'il faudrait aider davantage. En tant que consommateur, cela ne vous inquiète-t-il pas ? Les agriculteurs redoutent les pressions de la grande distribution sur les prix. Mais les consommateurs vont probablement payer plus lorsqu'il y aura moins de viande disponible. N'est-il pas inquiétant que notre pays désarme en matière de souveraineté alimentaire ? N'y-a-t-il pas un risque dans l'avenir pour le consommateur français ?

M. Olivier Andrault. - Je n'ai pas de position sur le « manger français ». Il est vrai que l'évolution actuelle est préoccupante. Les produits bruts comportent obligatoirement des indications d'origine. La viande française y est prépondérante. Les produits transformés ne sont soumis à aucune obligation. Dès qu'une indication sera obligatoire, les industriels auront intérêt à se fournir en France. Des opérateurs de la grande distribution ont déjà indiqué leur souhait de travailler à la mise en place d'une filière d'approvisionnement en France. Il s'agit d'un premier pas. L'étiquetage de la viande bovine a commencé par des initiatives volontaires en France avant que l'Europe ne le rende obligatoire.

Enfin les distributeurs estiment l'écart de prix entre des produits transformés élaborés à partir de viande française et les autres à quelques centimes, soit moins que les différences constatées d'un magasin à l'autre !

Mme Bernadette Bourzai, présidente. - Merci de cet échange fructueux. N'hésitez pas à nous transmettre les études dont vous disposez.

Audition de MM. Pascal Millory, directeur commercial et Guy Emeriau, responsable de l'activité boucherie-volaille de Système U

Mme Bernadette Bourzai, présidente. - La distribution est le dernier maillon de la chaîne mais un maillon essentiel. Nous nous réjouissons que vous nous parliez du fonctionnement de votre enseigne.

Mme Sylvie Goy-Chavent, rapporteure. - Dans les magasins Système U, il semblerait que la consommation de produits surgelés ait dans un premier temps souffert avant de retrouver rapidement son niveau d'avant la crise déclenchée par la découverte de viande de cheval dans les lasagnes. En revanche, la consommation de plats cuisinés à base de viande aurait diminué, les consommateurs privilégiant les produits non carnés. Assiste-t-on à un changement pérenne des modes de consommation ? Les Français vont-ils de moins en moins consommer de produits carnés ? Un étiquetage plus complet des produits à base de viande permettrait-il d'inverser la tendance ? Enfin, faut-il privilégier les circuits courts pour rassurer le consommateur ?

M. Pascal Millory, directeur commercial de Système U national. - Système U réunit des distributeurs indépendants regroupés en quatre coopératives régionales. Une centrale nationale définit la stratégie commerciale et définit les assortiments et les référencements. Toutefois les rayons de boucherie, poissonnerie, fruits frais et légumes et boulangerie ont une base d'approvisionnement régionale : dans ce cas le référencement national concerne uniquement les produits de la marque distributeur. Notre organisation nous rend proches des bassins de production. En outre chaque magasin est indépendant et libre de ses approvisionnements.

La crise des lasagnes à la viande de cheval a provoqué une baisse des ventes de produits surgelés et des plats cuisinés à base de viande. Le consommateur applique le principe de précaution et se méfie des produits complexes. Certains fournisseurs spécialisés sont en conséquence en grandes difficultés, à l'image de la société Fraisnor.

Assiste-t-on à un basculement des consommateurs vers des produits bruts ou moins élaborés ? Notre président, M. Serge Papin, y est favorable : si l'on veut manger moins cher, les produits bruts sont la solution, même si tel n'est pas notre intérêt de distributeur car notre chiffre d'affaires diminuerait. Cette tendance est une réalité et ne concerne pas que la viande : tous les produits sont touchés. En outre, phénomène nouveau, nous observons que le volume global des produits alimentaires vendus est en baisse. La restauration hors domicile, pour sa part, connaît aussi une situation difficile car le pouvoir d'achat des Français baisse.

Comment inverser la tendance ? Nous devons diffuser largement l'information pour rassurer. Nous réfléchissons à un système d'information du consommateur plus large. Nous avons choisi de développer la mention « viande française » sur nos plats cuisinés. La fraude a concerné une viande présumée française. Toutes les bonnes intentions ne supprimeront pas les fraudes. Nous cherchons aussi à communiquer sur la bonne nutrition. Les jeunes générations consomment plus de plats élaborés que de viande cuisinées, plus de protéines végétales qu'animales. La crise réduit encore leur consommation de viande qui se limitait souvent à des steaks hachés.

Mme Bernadette Bourzai, présidente. - Pouvez-vous nous expliquer le mode de fonctionnement de votre entreprise sur la découpe ? Sur la politique de mise en rayon ? Quels sont les liens entre les producteurs, le consommateur et les distributeurs ?

M. Guy Emeriau, responsable de l'activité boucherie-volaille de Système U national. - Nos achats sont surtout régionaux. Nos partenaires sont les abattoirs et les sociétés de transformation. La viande bovine que nous vendons est d'origine française à plus de 90 %, mais nous achetons aussi à l'étranger, principalement en Europe, certains produits spécifiques, comme les pièces à griller en été. Le porc est exclusivement français ; nous avons signé l'engagement viande de porc français (VPF). La production française d'agneau est faible : elle ne couvre que la moitié des besoins en consommation en France, mais pour notre part, nous nous approvisionnons à 70 % en France. La viande de volaille provient quasi-exclusivement de France, à l'exception de certains produits élaborés produits par la société brésilienne SOPRAT, liée historiquement au groupe Doux.

M. Pascal Millory. - J'ajoute que nos oeufs, labellisés Bleu-Blanc-Coeur, proviennent de France. Les poules sont nourries à base de graines de lin riches en Oméga 3.

M. Georges Labazée. - La fraude des lasagnes à la viande de cheval constitue-t-elle la première tromperie dont l'industrie des plats préparés à base de viande est victime ?

M. Pascal Millory. - Oui, à ma connaissance. Le système de traçabilité ne l'a pas empêchée car le suivi documentaire a été falsifié.

Mme Sylvie Goy-Chavent, rapporteure. - Quelles informations figurent sur les étiquettes des produits importés ?

M. Guy Emeriau. - Elles mentionnent l'espèce, le pays d'origine, le pays de naissance, le pays d'abattage, le pays de transformation, soit beaucoup moins d'informations que les étiquettes françaises qui indiquent la race, le numéro de lot, la race des géniteurs de l'animal ...

M. Gérard Bailly. - La crise a permis de redécouvrir la viande de cheval, moins chère. Pensez-vous que cette tendance sera durable ? Pour l'utilisation de nos territoires, l'élevage de chevaux est très utile. Le bilan d'approvisionnement de nos filières d'élevage devient déficitaire : moins de 50 % des ovins consommés en France sont élevés en France ; le cheptel bovin a diminué de 300 000 têtes en deux ans et la hausse du prix des céréales fragilise les élevages. Le déficit de la filière des volailles en incluant les produits transformés s'élève à près de 50 %. Je crains que notre pays ne perde son indépendance alimentaire dans les décennies qui viennent. Nous, responsables politiques, devons penser à l'avenir. Les voyants sont au rouge. Le coût des céréales est excessif, les contraintes sur les exploitations sont fortes, l'élevage n'est pas assez rentable. Les marchands de bestiaux et les industriels affirment que la grande distribution refuse d'augmenter les prix, ce qui explique pourquoi les prix versés aux éleveurs n'augmentent pas. Est-ce vrai ? N'y a-t-il pas un risque à long terme si l'on voit disparaître les éleveurs ?

M. Guy Emeriau. - Les ventes de viande de cheval ont augmenté de 5 à 10 % depuis la crise. Les consommateurs ont redécouvert une viande maigre, 20 % moins chère que le boeuf.

Mme Sylvie Goy-Chavent, rapporteure. - Le prix a joué un rôle décisif.

M. Guy Emeriau. - Sans doute. Mais il n'y a pas de filière chevaline française. La viande consommée provient essentiellement des Etats-Unis, du Mexique ou du Canada.

M. Gérard Bailly. - Le cheval comtois est livré en Italie. C'est dommage...

M. Guy Emeriau. - Nos magasins n'ont reçu aucune proposition d'approvisionnement.

M. Pascal Millory. - En tant qu'acteurs économiques et politiques nous sommes concernés par la vie économique de notre pays. Nous réfléchissons à un système de contractualisation qui donne de la visibilité aux éleveurs en s'engageant à long terme sur des prix et des volumes.

Sur les prix, chacun se défausse sur le maillon suivant de la chaîne. Le consommateur refuse-t-il de payer davantage ? En réalité, la hausse des prix d'un type de viande provoque des transferts vers d'autres viandes : la hausse du boeuf profite aux viandes blanches, porc et volailles. Le marché est guidé par les prix. La question est de savoir comment produire en France dans des conditions économiques performantes.

M. René Beaumont. - Les informations figurant sur les produits importés sont minimales. Comment apporter sur le plan sanitaire des garanties alors que les animaux ne sont même pas identifiés ?

M. Jean-Claude Lenoir. - Pour des raisons d'ordre économique, les Français ont redécouvert la viande de cheval de bonne qualité. M. Joseph Daul, ancien président de la fédération nationale bovine, expliquait qu'il lui était arrivé de manger de la viande de cheval pensant manger du boeuf. Elu du Perche, j'apprends que les chevaux percherons ne terminent pas à l'abattoir. Toute crise a des effets positifs. La traçabilité remonte à la crise de la vache folle. L'attention des consommateurs à l'origine de la viande sera source de progrès. Une piste souvent avancée est une meilleure information des consommateurs. Mais les plats cuisinés contiennent souvent plus d'une dizaine d'ingrédients. Comment, dès lors, présenter l'information ? Connaissez-vous des procédés plus performants que ceux utilisés actuellement qui sont peu lisibles ?

M. Pascal Millory. - Nous travaillons activement sur l'information du consommateur. Nous cherchons aussi à simplifier les recettes en commençant par les produits de notre marque distributeur. La complexité est parfois liée à l'ajout de conservateurs. La tendance est au retour des produits sains. Dans nos cahiers des charges avec nos fournisseurs nous limitons le nombre d'ingrédients. Sur l'information des consommateurs, Internet et les applications mobiles constituent une piste.

La structuration des filières est importante. Faute d'une production suffisante de lait bio en France, nous en importions d'Allemagne. Il y a quelques années nous avons conclu un contrat avec un groupement de producteurs - initialement ils étaient 700, ils sont aujourd'hui 1 200 - définissant un volume de production. Nous avons participé aux frais de conversion des élevages induits par le passage du conventionnels au bio. Nous avons recherché un outil industriel. Dans le cadre d'un contrat tripartite, distributeur-conditionneur- producteur, nous avons déterminé des objectifs de production - 15 millions de litres aujourd'hui - à un prix donné. Mais il s'agit de lait bio, la valorisation est plus simple. C'est plus difficile pour les produits de grande consommation. Il est donc nécessaire de rendre le secteur amont plus productif.

Nous avons procédé de même avec le porc bio. Nous nous contentions auparavant d'acheter des jambons bio, mais les producteurs ne rentabilisaient pas l'ensemble de leur production car la consommation du porc ne se réduit pas au jambon. Nous avons élargi ensemble les débouchés : saucisses, rillettes, longe de porc, etc. Là aussi, nous avons noué des accords contractuels tripartites avec des industriels du conditionnement et les producteurs, sur la base de prix stables et transparents.

Nous travaillons à une piste intermédiaire entre l'alimentation conventionnelle et le bio. Il s'agit de rendre compétitives les filières existantes, en améliorant le potentiel de valorisation et les procédés sans hausse des prix pour le consommateur.

Actuellement il est plus rentable de produire des céréales que du boeuf. Mais demain la surabondance aura disparu. Les distributeurs doivent désormais s'intéresser à l'organisation de la filière dès l'amont. Cessons la cueillette, passons à une politique de filière. Nous n'en sommes qu'au début.

Mme Bernadette Bourzai, présidente. - La loi de modernisation de l'économie (LME) doit-elle être revue pour permettre des contrats équilibrés entre producteurs, transformateurs et distributeurs ?

M. Pascal Millory. - La réforme de la LME ne suffira pas à organiser les filières. La LME a eu le mérite de corriger les défauts de la loi Galland. En effet, la pratique des marges arrière qui s'accumulaient d'année après année, au point presque de constituer un contre-commerce, conduisait in fine à faire payer au consommateur le surcoût qu'elles entraînaient. Avec la LME, le changement a été brutal.

Aujourd'hui, il faudrait faire évoluer la notion de vente à perte. Nous sommes favorables à l'instauration d'un seuil économique de revente à perte qui intégrerait les coûts de distribution. Cela serait bénéfique pour les PME. La distribution opère en permanence au sein de ses rayons à des péréquations entre les produits rentables et ceux qui provoquent des pertes. Or, le niveau actuel des prix devient prédateur car les coûts, qui ne sont plus répercutés sur certains produits sont mécaniquement reportés sur d'autres. Ainsi les produits intermédiaires font les frais de la concurrence acharnée que se livrent les enseignes de distribution sur les produits de grandes marques, et ils voient leur prix augmenter. Les marges dans la distribution s'établissent entre 1 et 2,5 % du chiffre d'affaires. La hausse du seuil de revente à perte intégrant les coûts de distribution redonnerait de l'air aux distributeurs, leur permettant de baisser les marges et donc les prix sur les produits intermédiaires. A long terme la filière agricole en bénéficierait.

M. François Fortassin. - La viande bovine produite en France est issue dans sa grande majorité de troupeaux de races à viande, nourris en pâturage. Les viandes importées, notamment d'Europe de l'Est, proviennent souvent à l'inverse de vaches de réforme. La traçabilité ne devrait -elle pas s'étendre à ces informations ?

M. Guy Emeriau. - En effet. Les éléments de traçabilité français sont exhaustifs : l'espèce, la race, la dénomination de la pièce, l'âge de la bête ... On sait non seulement s'il s'agit d'une race à viande ou d'une vache laitière, mais aussi s'il s'agit d'une charolaise, d'une limousine ou d'une blonde d'Aquitaine... Nos normes sont plus contraignantes que les normes européennes.

M. Jean-Jacques Lasserre. - Quelle est la proportion de viande importée dans vos approvisionnements ? La consommation de viande bovine baisserait de 5 à 7 % par an. Identifiez-vous des tendances lourdes en matière de consommation ?

M. Guy Emeriau. - Les données sont différentes selon les filières. La viande fraîche bovine consommée en France est essentiellement française, les importations alimentent davantage les restaurateurs. S'agissant de la viande porcine française, 20 % est consommé comme viande fraîche en France, un tiers fournit l'industrie charcutière, en concurrence avec de la viande importée, un autre tiers est exporté. La viande d'agneau est le seul cas où la production française ne couvre pas la demande.

La consommation de viande diminue chaque année de 1 à 2 %. Nous observons une tendance lourde tendant à privilégier dans la consommation les viandes simples à préparer, comme les steaks hachés. Avec l'envolée des prix depuis deux ans, la consommation de steaks hachés diminue. Dans notre enseigne, les ventes de steaks hachés ont baissé, pour la première fois, au premier trimestre 2013.

Mme Bernadette Bourzai, présidente. - Vous approvisionnez-vous en carcasses ou en viande piécée ? Selon l'Observatoire des prix et des marges, le rayon boucherie de la grande distribution est déficitaire. Est-ce vrai ?

M. Pascal Millory. - Nous avons participé à l'enquête de l'Observatoire. Nos rayons boucherie sont en effet déficitaires. Les coûts imputables à ces rayons sont dus aux investissements lourds en matériel nécessaires à la chaîne du froid et au personnel. Nous vendons la viande soit sous une forme prédécoupée, par nos soins, soit à la découpe en fonction de la demande. Certains auraient pu croire que la vente à la découpe disparaîtrait. Il n'en est rien. Méfions-nous d'une approche trop comptable des rayons boucheries des grandes et moyennes surfaces (GMS) : ils constituent un facteur de relations humaines qui participe de l'attractivité des magasins. Les charges de la boucherie sont certes importantes, mais une grande surface est un lieu de compensation entre produits. Il faut garder à l'esprit qu'il existe une limite de prix que le consommateur est prêt à acquitter.

Mme Sylvie Goy-Chavent, rapporteure. - Ainsi le rayon viande sert de rayon d'appel ? Est-ce un motif suffisant pour concurrencer les petits bouchers ?

M. Pascal Millory. - Certains de nos associés sont d'anciens bouchers qui ont tiré partie du système de la grande distribution.

Mme Sylvie Goy-Chavent, rapporteure. - Ils n'ont peut-être pas eu le choix.

M. Pascal Millory. - Ils ont saisi une opportunité. Nous continuons car notre métier ne consiste pas seulement à vendre des produits pré-emballés comme dans le hard discount. Notre modèle est basé sur la relation.

Mme Sylvie Goy-Chavent, rapporteure. - Quels sont les secteurs les plus rentables ?

M. Pascal Millory. - Le textile même si la conjoncture est difficile, ou l'épicerie. Le calcul dépend du mode de répartition des charges, selon qu'on les mutualise ou non. Notre lecture est différente de celle de l'Observatoire des prix et des marges : nos clients recherchent virtuellement tous les produits. Nous ne segmentons pas.

Mme Bernadette Bourzai, présidente. - Effectuez-vous des contrôles chez vos distributeurs ? Comment évitez-vous la « remballe » ?

M. Guy Emeriau. - L'essentiel de la viande que nous achetons et vendons en magasin, environ 70 %, est destinée à être retransformée chez nous : désossée, découpée, piécée, tranchée, mise en barquettes, étiquetée, etc. Le reste est transformé chez nos fournisseurs, comme les steaks hachés.

M. Pascal Millory. - Nous avons mis en place un plan de maîtrise sanitaire dans nos établissements renforçant l'hygiène et la qualité. Nous effectuons en outre deux audits par an dans nos magasins pour contrôler la traçabilité. La remballe est une fraude. Aucun système ne peut l'empêcher. Le risque zéro n'existe pas, mais les dommages en termes d'image sont tellement forts que cette pratique présente plus de risques que d'avantages.

M. Gérard Bailly. - La vente en ligne modifie-t-elle les pratiques alimentaires ? En Franche-Comté les fromageries se mettent à la vente en ligne. La viande sera-t-elle concernée ?

M. Pascal Millory. - Les canaux de vente évoluent, mais les produits frais restent encore peu concernés. Les associations pour le maintien d'une agriculture paysanne (AMAP) ou les circuits courts constituent une évolution plus significative. Nous proposons toute notre palette commerciale dans nos magasins en ligne, y compris la viande, mais les ventes concernent essentiellement les produits stockables.

M. Gérard Bailly. - Les jeunes préfèrent acheter en ligne.

M. Pascal Millory. - La vente en ligne est préoccupante car elle est délocalisée. Des opérateurs comme Amazon exercent une concurrence déloyale en vendant des produits depuis le Luxembourg avec une fiscalité différente.

M. Jean-Claude Lenoir. - Mais il ne s'agit pas, au sens strict, de délocalisation ?

M. Pascal Millory. - Non, mais des opérateurs comme Amazon arrivent sur le marché au galop... Notre autre crainte, c'est qu'avec le développement du e-commerce, qui fonctionne selon un modèle industriel - moins de références et plus de quantité - toute une partie de l'offre n'en vienne à être soustraite de la vue du consommateur. C'est pourquoi nous plaidons pour un élargissement de l'offre.

Mme Bernadette Bourzai, présidente. - Nous vous remercions.

Audition de M. Eric Allain, directeur général des politiques agricole, agroalimentaire et des territoires (DGPAAT)

Mme Bernadette Bourzai, présidente. - Nous attendons des éclairages sur les conditions de production dans les élevages, sur les modes d'abattage et de transformation, les circuits commerciaux, ainsi que sur le plan de méthanisation qui vient d'être annoncé. Comment maintenir une production nationale de viande ? Nous avons reçu le directeur général de l'alimentation (DGAL), avec lequel nous avons évoqué la question de l'abattage. Quelles sont les différences et les complémentarités entre vos deux directions ?

Mme Sylvie Goy-Chavent, rapporteure. - Pouvez-vous dresser le tableau des différents types d'exploitations agricoles dans les filières viande, pour nous aider à comprendre quel peut être le meilleur modèle économique d'exploitation, le plus rentable, le plus opérationnel à l'export ? Faut-il privilégier les petites exploitations, les circuits courts, ou les grandes exploitations, très mécanisées ? Quelles sont les mesures existantes et celles que vous préconisez pour encourager notre production de viande ? Dans quelle situation économique sont aujourd'hui les éleveurs spécialisés en production de viande bovine, les plus touchés par les retombées du récent scandale ? Faut-il encourager des regroupements de producteurs ? J'ai récemment rencontré, dans l'Ain, le président d'une association qui regroupe soixante-trois éleveurs, qui peine à obtenir satisfaction des services de l'État pour créer un petit abattoir destiné à produire de la viande en circuit court, tandis que les trois grands groupes présents sur le marché font pression sur lui pour qu'il rejoigne leur système... Comment faire pour que l'ensemble des acteurs de la filière travaillent en bonne intelligence ?

M. Éric Allain, directeur de la DGAAT. - Ma direction se consacre plus particulièrement aux questions économiques. Il s'agit pour nous de rechercher les moyens d'améliorer la santé économique et financière des entreprises du secteur agricole. Nous sommes chargés de la mise en oeuvre de la politique agricole commune (PAC) et des politiques nationales, des questions touchant à l'aménagement du territoire, à la forêt, au développement durable, avec le deuxième pilier de la PAC, ainsi que du lien entre agriculture et environnement et des négociations dans le cadre communautaire ou avec les pays tiers.

Les questions touchant à l'hygiène et à la traçabilité, en revanche, ne sont pas de notre ressort, même si nous pouvons intervenir sur ces questions dans les négociations communautaires.

Quelle est la situation des filières d'élevage ? En premier lieu, elles connaissent toutes, depuis une dizaine d'année, une décrue de la production. C'est un vrai sujet de préoccupation.

Ensuite, les revenus des agriculteurs y sont plus faibles que la moyenne. Alors que le niveau moyen de revenu par unité de travail agricole est de 35 000 à 36 000 euros par an, et sachant qu'il a atteint 72 000 euros dans la filière céréalière, il n'est que de 15 000 euros dans la filière bovine, un peu moins dans la filière ovine, un peu plus dans la filière porcine, mais avec de fortes variations annuelles. Depuis 2007-2008, les producteurs subissent un effet de ciseaux. La forte augmentation des coûts de production - du poste alimentation des animaux au premier chef, en particulier dans la filière porcine, où elle représente 60 à 65 % des coûts - explique largement la stagnation du revenu des agriculteurs, alors même que les prix de vente se tiennent voire ont progressé en viande bovine et dans le secteur porcin.

Enfin, les filières d'élevage sont marquées par la concentration des exploitations, dont le nombre s'est rapidement et considérablement réduit, en particulier dans les filières ovine et porcine.

En matière d'élevage, il faut souligner que les systèmes de production sont très diversifiés. On peut y voir un atout ou un inconvénient. Car il n'y a pas de système d'exploitation idéal. Selon les spécificités des territoires, le climat, le type de production céréalière, les producteurs n'ont pas les mêmes avantages comparatifs. S'il n'y a pas de recette miracle, il n'en reste pas moins que l'on peut, en travaillant sur certains points, améliorer la compétitivité de la filière.

Chaque filière a ses spécificités. Comparée à nos voisins européens, la filière bovine française est très singulière puisqu'il existe chez nous un cheptel dédié à la production de viande. Seule l'Irlande a fait le même choix. C'est un handicap, puisque, bien que cette viande issue de l'élevage dédié soit meilleure, nous consommons essentiellement, en France, de la viande provenant de vache laitière de réforme. Il faut donc trouver des débouchés à l'extérieur. Le marché italien, débouché traditionnel des jeunes bovins, se restreint. D'où un problème de positionnement dans une filière qui compte, pour 120 000 exploitations allaitantes, 40 000 exploitations spécialisées dans la viande, concentrées de surcroît dans des zones géographiques défavorisées, si bien que l'enjeu du maintien de l'élevage est aussi un enjeu d'aménagement du territoire. Le vieillissement des chefs d'exploitation spécialisés dans la production de viande bovine est inquiétant. Face aux défis qui se pose à elle, la filière, mal organisée, peine à définir une stratégie collective. Cela a été particulièrement visible lorsqu'il s'est agi de diversifier les exportations, pour faire face à la réduction du débouché italien. Des tentatives ont été faites pour conquérir d'autres marchés, comme le Maghreb ou la Turquie, plus difficiles d'accès en raison de barrières, notamment tarifaires. Mais la recherche de nouveaux marchés s'est faite sans aucune concertation, ce qui a créé des tensions entre les abatteurs-transformateurs, atomisés, parmi lesquels seule une grande société privée, Bigard, est de taille européenne...

Ce secteur de l'abattage-transformation, élément clé de la compétitivité de la filière, est aujourd'hui déficient, dans toutes les filières de l'élevage. Il souffre d'un problème général de surcapacité, avec d'importantes disparités régionales ; le coût d'abattage est supérieur à celui de nos concurrents.

La filière ovine, qui compte un cheptel important, le troisième d'Europe, subit le déclin le plus marqué. Le bilan de santé de la PAC, mis en oeuvre à partir de 2010, a certes enrayé le phénomène, puisque d'importants transferts financiers ont permis de conforter le revenu des exploitants et d'améliorer l'organisation de la filière, grâce à un dispositif de contractualisation exemplaire et à une meilleure maîtrise des coûts de production. Cette évolution récente ne peut cependant pas masquer le fait que 40 % des exploitations ont disparu entre 2000 et 2010 - il n'en subsiste plus, aujourd'hui, que 50 000 - et que les coûts de production sont les plus élevés d'Europe.

Notre filière porcine se classe au troisième rang en Europe. Elle assure 10 % de la production européenne de viande. La concentration y est forte, puisqu'elle est passée de 59 000 élevages en 2000 à 23 000 aujourd'hui, dont 11 000 de plus de 100 truies - principalement localisées en Bretagne - qui assurent 95 % de la production. La filière souffre cependant elle aussi d'un problème de compétitivité, marqué par un important déficit commercial, sur la viande et les préparations industrielles à base de viande de porc. Outre la part importante du coût de l'alimentation dans la production de porc, le secteur de l'abattage et de la découpe connaît lui aussi des problèmes récurrents. Les revenus des producteurs de porcs sont meilleurs que pour les éleveurs bovins et d'ovins, mais avec des variations importantes d'une année sur l'autre - ce que l'on appelle « le cycle du porc ».

Notons cependant un élément positif qui vaut pour l'ensemble des filières viande : si la consommation diminue en France de 1 à 2 % par an, elle augmente au niveau mondial. Notre filière porcine en profite : elle entre sur le marché chinois, où de surcroît certains morceaux ici délaissés, comme les oreilles et la queue, sont appréciés et bien valorisés.

Mme Bernadette Bourzai, présidente. - On y vend aussi les crêtes de coq.

M. Éric Allain. - J'en viens à la filière avicole, première en Europe en volume, et qui compte 20 000 exploitations. La production a aussi baissé de 20 % en dix ans. Cela n'est pas sans incidence sur la balance commerciale, puisque nous importons plus de 40 % de ce que nous consommons. Les problèmes de la filière avicole sont plus simples à régler que pour la filière bovine, puisque la structure du cheptel n'est pas en cause, mais pour s'être beaucoup focalisée sur des niches, des labels, le secteur a du mal à percer à l'export et ne répond pas à la demande générique de la grande distribution. D'où les difficultés que rencontrent un certain nombre d'opérateurs, Doux par exemple, en cours de restructuration...

La filière avicole souffre d'un manque d'organisation. La question est depuis longtemps posée de la création d'une interprofession unique, mais on en reste pour l'instant à des organismes sectoriels, au nombre de six ou sept, sur des segments aussi étroits que le canard à rôtir, par exemple. Ce qui complique la recherche d'une stratégie commune.

Mme Sylvie Goy-Chavent, rapporteure. - Vous avez évoqué la consommation de vaches de réforme, ce qui m'amène à vous interroger sur les conséquences de la crise du lait, qui a amené la fédération nationale des syndicats d'exploitants agricoles (FNSEA) à appeler à manifester le 12 avril dernier. Cette crise peut avoir des conséquences catastrophiques, les éleveurs se débarrassant de leur cheptel laitier en vendant leurs vaches laitières comme viande de boucherie, ce qui aura inévitablement une incidence, et à très court terme, sur les exploitations spécialisées dans les races à viande.

En outre, vous pointez un manque de compétitivité, en l'imputant, pour une part, au coût de l'alimentation. Mais n'est-il pas lié, aussi, aux pratiques salariales de pays comme l'Allemagne ? Le président de la FNSEA, Xavier Beulin, nous indiquait y avoir visité un abattoir dont les 2 500 employés portaient des blouses de couleurs différentes, selon leur nationalité, et recevaient un salaire fonction également de leur pays d'origine !

M. Éric Allain. - Je n'ai pas parlé d'un « manque de compétitivité ». La compétitivité doit être appréhendée globalement, depuis la production jusqu'à la consommation, en passant par la transformation. Certains maillons peuvent ainsi être plus forts que d'autres. Certaines exploitations sont plutôt compétitives ; je pense notamment à la filière porcine, où les chefs d'exploitation sont bien formés et les équipements modernes. Il n'en va pas de même de la filière avicole, qui souffre de difficultés liées à ses bâtiments vieillissants.

Il est vrai, en revanche, que la compétitivité dépend beaucoup du secteur abattage-découpe, où les coûts salariaux comptent énormément. On peut certes soulever un contentieux contre l'Allemagne comme l'ont fait certains agriculteurs auprès des autorités européennes, mais il n'est pas certain qu'il aboutisse : c'est un véritable cadre légal européen qui fait défaut, et ce chantier appartient à Bruxelles. J'ajoute qu'il ne faudrait pas, au motif qu'il existe un différentiel de compétitivité, que l'on renonce à porter nos efforts sur les différents segments de la filière viande. Car il faut aussi balayer devant notre porte ; nous avons des efforts à faire.

Mme Sylvie Goy-Chavent, rapporteure. - Lesquels ?

M. Éric Allain. - Nos exploitations d'abattage sont plus petites, moins compétitives que celles des Danois, des Néerlandais, des Allemands. Nos coopératives n'ont pas fait tous les efforts nécessaires - augmenter les volumes, moderniser les outils - pour se hisser à la taille critique nécessaire.

Avec la suppression des quotas laitiers, en 2015, on s'attend à une réduction du cheptel laitier, donc à un afflux de viande sur le marché. Mais ces perturbations ne dureront pas plus d'un an ou deux, et si elles appellent un accompagnement des éleveurs allaitants, elles ne justifient pas que l'on revoie le calibrage de toutes nos politiques. A côté de cela, on produit de jeunes bovins pour la viande, que l'on ne valorise pas sur le territoire national. Pour que les éleveurs spécialisés prennent le relais, il faudrait faire évoluer la situation. Cela suppose une organisation commerciale et technique adaptée

M. François Fortassin. - Le vrai problème concernant le secteur des vaches à lait, c'est que lorsqu'un éleveur abandonne la production laitière, il ne la reprend jamais, ne serait-ce que parce qu'il faut dix ou quinze ans pour constituer un cheptel convenable, mais aussi parce qu'avec deux traites par jour, les contraintes sont lourdes. Si bien que l'on va finir, dans les années à venir, par manquer de produits laitiers. Quelles mesures pour parer au problème ?

Mme Bernadette Bourzai, présidente. - Je vous rappelle que nous travaillons sur la filière viande et non la filière laitière.

M. André Dulait. - Près de 40 % des élevages ovins ont disparu en quelques années. Mais la proportion n'est peut-être pas la même pour le cheptel, car je suppose qu'il y a eu des fusions d'exploitations ?

M. Éric Allain. - Le cheptel a reculé, mais pas dans les mêmes proportions que le nombre des exploitations, en effet.

M. René Beaumont. - Quelles sont les différences entre la France et ses voisins européens en matière de normes de traçabilité ? C'est pour moi une importante question, sachant que nous importons de la viande de plusieurs provenances. Je suis élu de la Saône-et-Loire et connais bien les problèmes des cheptels allaitants. La montée des cours peut-être liée à l'ouverture de nouveaux débouchés à l'export. Lorsque la raréfaction du produit fait monter les cours, c'est bénéfique pour les producteurs. Je ne vois pas d'inconvénient à ce que les abattoirs soient obligés d'acheter plus cher aux éleveurs...J'observe d'ailleurs que le ministre de l'Agriculture il y a trois ans, chahuté lors d'une visite dans mon département, a été la fois suivante beaucoup mieux accueilli, car il avait trouvé des débouchés à l'étranger pour nos produits...

Concernant les écarts de coûts salariaux en Europe, je souligne que l'Allemagne respecte la réglementation européenne, et que cela ne l'empêche pas de recruter une main d'oeuvre venue d'ailleurs, à bas coût. Ce qu'il faut, c'est autoriser les mêmes personnes à venir travailler chez nous. C'est grâce à une main d'oeuvre moins chère que l'on diminuera les coûts de production.

La perspective d'une seule interprofession avicole peut paraître séduisante sur le papier, mais rassembler les producteurs de poulet fermier, comme celui de Bresse, que je connais bien, et les exploitants de poulets de batterie, dont les débouchés sont surtout à l'export - est difficile. Les uns et les autres n'ont ni les mêmes marchés, ni les mêmes débouchés, ni les mêmes modes de production.

M. Éric Allain. - La question de la traçabilité relève plutôt de la DGAL que de la DGPAAT. Raréfier l'offre, c'est certes augmenter les cours, mais il faut aussi que les opérateurs économiques trouvent de la matière pour honorer leurs contrats. On peut déplorer l'absence de stratégie dans la recherche de nouveaux débouchés à l'export. Ce n'est pas en faisant des « coups » que l'on avancera. Sur la question de la main d'oeuvre, la situation en Allemagne vient du fait qu'il n'y existe pas dans le secteur agroalimentaire de convention collective.

Mme Bernadette Bourzai, présidente. - Et pas de salaire minimum !

M. Éric Allain. - C'est le choix des Allemands.

M. René Beaumont. - Cela pénalise toute notre production agricole. Pour la cueillette des fruits, on ne peut plus faire venir de main d'oeuvre étrangère. Le résultat de cette restriction est simple : nous mangeons des fraises italiennes, espagnoles, parce que plus personne, chez nous, ne peut payer le ramassage. Il faut trouver une solution.

Mme Sylvie Goy-Chavent, rapporteure. - Les normes sanitaires qui s'appliquent aux abattoirs ne sont-elles pas beaucoup plus strictes en France que dans les autres pays européens ? Nos petits abattoirs familiaux ont du mal à survivre. Mais ne plus s'en remettre qu'aux grandes structures, c'est augmenter le coût du transport jusqu'au lieu d'abattage, sans parler du bien être animal.

M. Éric Allain. - Dans la filière bovine, il existe une interprofession, en dépit de différences profondes qui existent entre les divers segments. Une interprofession qui fonctionne bien est très utile. En matière de normes sanitaires, je crois que l'on évite, en général, d'aller au-delà des exigences communautaires. Nous ne sommes pas guidés par un modèle, qui serait celui du grand abattoir. Depuis deux ans, un mouvement de rationalisation et d'organisation du réseau des abattoirs en France qui souffre d'une surcapacité globale, avec de très grandes variations selon les régions, a été lancé. Pour les bovins, par exemple, on a une surcapacité au sud, et une sous-capacité au nord ; pour les ovins, il n'y a pas d'abattoir dans le nord-est. La commission interprofessionnelle des abattoirs, qui réunit professionnels, collectivités locales et État, est là pour poser un diagnostic et proposer des réponses. Et l'État débloque 5 millions d'euros pour accompagner la modernisation. Les abattoirs de petite taille ne posent d'ailleurs pas problème, contrairement à ceux de taille intermédiaire...

Mme Sylvie Goy-Chavent, rapporteure. - Quel tonnage permet de qualifier un petit abattoir ?

M. Éric Allain. - Les grands abattoirs de bovins traitent environ 20 000 tonnes, les abattoirs de taille intermédiaire entre 3 000 et 4 000 tonnes, et les petits moins de 2 000 tonnes. Ces derniers ont souvent su avoir une stratégie de niche. Une autre piste pour promouvoir les circuits courts consisterait à dédier certains créneaux, dans des abattoirs de taille moyenne, à des groupements d'éleveurs.

Mme Bernadette Bourzai, présidente. - Pouvez-vous nous parler précisément des circuits de commercialisation ?

M. Éric Allain. - Les circuits courts, les circuits de vente directe, tout cela existe. Mais ils resteront toujours marginaux dans le secteur de la viande, en raison des exigences particulières d'hygiène ou de respect de la chaîne du froid, que ne connaissent pas les productions végétales ou fruitières. 

M. René Beaumont. - N'est-il pas dangereux de fermer systématiquement les petits abattoirs ? En Saône-et-Loire, il y a un abattoir de 45 000 tonnes à Cuiseaux, et un autre de 1 200 tonnes à Louhans, autant dire un abattoir familial. On demande à ce dernier de réaliser pour 700 000 euros de mise aux normes, alors qu'en tant que maire, j'avais déjà fait réaliser 1,2 million d'euros de travaux il y a onze ans. Comment amortir ces investissements avec des normes vétérinaires et sanitaires aussi strictes ? Je le dis d'autant plus aisément que je suis vétérinaire de profession. Et une fois ces abattoirs fermés, comment réaliser des circuits courts ?

Mme Sylvie Goy-Chavent, rapporteure. - Je suis tout à fait d'accord.

M. Éric Allain. - Je ne suis pas spécialiste des normes. De plus, c'est un débat largement communautaire. J'entends d'ici les réponses de principe que la Commission nous ferait si nous demandions des normes allégées...

Mme Bernadette Bourzai, présidente. - Nous n'avons pas évoqué les conditions de relance de l'élevage. Un plan de méthanisation a été lancé. Toutes les informations que vous pourrez nous fournir seront les bienvenues. Le ministère de l'agriculture a-t-il réalisé des études sur la concurrence franco-allemande en matière de production agricole, en termes de coûts horaires par exemple ?

M. Éric Allain. - De mémoire, l'écart de coût horaire est de 8 euros par tonne. Je vous transmettrai les informations dont nous disposons. Un rapport a récemment été remis conjointement par l'Inspection générale des finances et le Conseil général de l'alimentation, de l'agriculture et des espaces ruraux, dans lequel figurent ces éléments.

Mme Bernadette Bourzai, présidente. - Nous vous remercions pour ces éclaircissements.

Audition de M. Daniel Gremillet, président de la commission élevage de l'Assemblée permanente des chambres d'agriculture (APCA)

Mme Bernadette Bourzai, présidente. -L'Assemblée permanente des chambres d'agriculture (APCA) représente le réseau des chambres d'agriculture. Nous sommes impatients de connaître l'analyse des chambres sur la situation des éleveurs.

Mme Sylvie Goy-Chavent, rapporteure. - Quel est l'état de santé économique des élevages bovins-viande, ovins, porcins et avicoles en France ? Quels sont les atouts de la filière française dans la compétition internationale, et quelles sont les distorsions de concurrence qui existent avec les autres pays européens ? Les employés des abattoirs allemands seraient vêtus de blouses dont la couleur indique leur pays d'origine - avec un niveau de salaire différent pour chacun... Comment est-ce possible ? Que pensez-vous des normes existantes en matière d'installation classées ? Sont-elles plus sévères en France que dans d'autres pays européens ? Pourquoi est-il si compliqué d'installer en France un poulailler industriel, un élevage porcin ou une stabulation de bovins ? Enfin, quelles propositions feriez-vous pour améliorer la production française et faciliter l'installation des jeunes agriculteurs sur notre territoire ?

M. Daniel Gremillet, président de la Commission Élevage de l'Assemblée permanente des chambres d'agriculture. - Je suis éleveur et producteur de lait dans le département des Vosges, et responsable de l'élevage et vice-président de l'APCA. En France, la production de viande, tous types confondus, décroît. Cette baisse globale dissimule des variations : le secteur des volailles était en forte croissance avant de subir la concurrence, il y a environ cinq ou six ans, des produits brésiliens dont les coûts d'alimentation sont plus faibles. Les productions animales ont également souffert des crises sanitaires à répétition qui ont laissé des traces. Les contraintes se sont multipliées, et les éleveurs sont souvent vus comme responsables de nuisances que les riverains acceptent de moins en moins.

Dans le monde paysan, rien n'est plus terrible que d'être esseulé dans son type de production. Les porcs ne sont aujourd'hui produits significativement que dans deux régions, alors que la production était auparavant bien répartie sur tout le territoire. Là où elle subsiste de manière marginale, elle est davantage tournée vers des marchés locaux que vers l'industrie agro-alimentaire. La dynamique du développement des productions animales s'est perdue, et avec elle le contact des éleveurs entre eux, et les opportunités d'investissement. Les usines de fabrication d'aliments sont parties, faute de débouchés. Ce constat vaut moins pour la production de viande bovine, plus associée, dans le modèle français, à une production herbagère, même si la production de jeunes bovins dépend aussi de la faculté de produire du maïs.

Les exigences environnementales, en particulier la conditionnalité environnementale de la politique agricole commune (PAC), prennent en France une place considérable dans l'activité des éleveurs. En tant qu'éleveur, mais aussi en tant qu'agriculteur pratiquant la polyculture, je fais l'objet de tous les contrôles de conditionnalités cumulés : sur l'exploitation des terres destinées à produire du blé ou du maïs, sur les terres herbagères, sur la traçabilité des animaux. Je dois à ce titre déclarer sous sept jours les animaux qui quittent l'exploitation, lorsqu'ils sont vendus, ou surveiller que les boucles ne se détachent pas. Les animaux étant vivants, ce sont des choses qui arrivent ! Pour échapper à des contraintes aussi lourdes, il est bien plus simple de se spécialiser dans la production végétale.

Les normes sont en effet très contraignantes. En production de vache allaitante, secteur qui a connu une baisse importante des volumes, avant de repartir à la hausse depuis six mois, le problème réside dans le fait que l'on considère trop souvent l'herbe sous son aspect environnemental, et non comme un type de production. Or l'herbe est une production végétale destinée à nourrir les bêtes ! C'est certes moins vrai dans les zones où les conditions d'exploitation sont limitées par le relief ou par les conditions climatiques. La politique de la prime herbagère agro-environnementale (PHAE) avait pour objectif d'encourager l'herbe, mais l'obligation de fertilisation et la limitation à 1,4 unité de gros bétail par hectare ont eu pour effet de limiter notre compétitivité au regard des autres secteurs de production et des autres pays de l'Union européenne.

L'obligation de mise aux normes des élevages est une autre difficulté. Les plus grosses exploitations ont profité les premières des concours financiers, plus importants initialement que lors du dernier programme de mise aux normes des bâtiments d'élevage, qui s'adressait aux petites unités. Sur ce point, on en a peut-être trop fait, ce qui a coûté très cher en termes de fonctionnement, et continue à handicaper les revenus des agriculteurs.

Le plan de modernisation des bâtiments d'élevage (PMBE) a été une réussite. Le secteur de la volaille n'en a toutefois pas bénéficié - il en est question pour 2014, mais le plan sera-t-il toujours d'actualité ? Le secteur porcin a pu, lui, se rapprocher des normes européennes en matière de bien-être animal.

Nous parlons beaucoup de bien être animal, mais qui se soucie du bien-être des éleveurs ? Certes, des services de remplacement ont été mis en place, mais ils ne servent qu'en cas d'imprévus. Il est très difficile, surtout pour les polyculteurs, de trouver des remplaçants susceptibles d'effectuer tout le travail dans sa diversité. Les emplois d'avenir auraient pu bénéficier plus largement au secteur agricole, mais la prise en charge publique du coût de ces emplois dans les exploitations agricoles a été limitée à 40 %, quand elle est de 75 % dans les associations. Dommage ! Car des vocations auraient pu se révéler, d'autant que la filière souffre d'un terrible manque de main d'oeuvre. J'ai eu trois salariés, les trois sont ensuite devenus paysans.

Le coût de l'alimentation animale a bondi de 60 % en huit ans, sans répercussion sur le prix de vente final. C'est vrai pour les porcs, la volaille, comme pour les bovins. Au sein du réseau des chambres d'agriculture, nous travaillons sur deux pistes : d'une part, renforcer les capacités de notre production herbagère. Il faut bien comprendre que l'herbe se cultive, que ce soit dans des prairies permanentes ou artificielles. Avant ma prise de fonction, ce sujet n'était pas porté au niveau national. Il faut diversifier les protéines et vaincre notre dépendance envers les achats de soja américain ou brésilien. Nous cherchons d'autre part à retrouver des marges sur le coût de l'alimentation animale.

Rapportées au revenu moyen, les contraintes du métier d'éleveur sont lourdes. Lorsqu'une génisse vêle un dimanche soir à 23 heures, on ne peut se défiler. Les femmes sont de plus en plus nombreuses dans ce métier, ce qui constitue une chance pour la société, mais oblige la profession à s'adapter.

En matière de soutien aux investissements, l'Allemagne a mené une politique énergique. Tandis que nous mettions en oeuvre le PMBE, notre voisin conduisait un vaste programme de modernisation de son secteur de l'élevage, grâce à des investissements massivement financés par l'État fédéral et par les Länder. Notre aide était plafonnée à 90 000 euros par exploitation quand la leur l'était à 40% du montant total investi. Cela a fait toute la différence. Il y a quelques décennies, la filière porcine était présente en Bretagne, mais aussi en Aquitaine... Aujourd'hui, le secteur s'est concentré et des régions ont été abandonnées, mais l'Allemagne reste plus compétitive que nous. Cela doit nous faire réagir. En transposant les directives européennes avec trop de zèle, nous avons chaussé des souliers de plomb dans la compétition internationale.

Il est devenu très difficile pour un jeune de s'installer. Il lui faut d'abord se faire accepter par le voisinage, qui voit souvent d'un mauvais oeil la construction d'une étable, ou pire, d'une porcherie, ou encore d'un poulailler dit « industriel » - c'est à nous cette fois que le qualificatif fait horreur. Les habitants alentour craignent des nuisances. Mais quoi de plus normal à la campagne ? En conséquence, il est plus simple de s'installer là où les exploitations existent déjà, dans le grand Ouest plutôt que dans le Massif central ou dans les Vosges, car ces régions ont été désertées par les producteurs de porcs ou de volailles. Un projet de construction d'une exploitation à Vittel a réuni contre lui de nombreuses pétitions, alors que, j'en suis certain, personne n'est en mesure de dire où se trouvent les exploitations existantes ! Les Vosges ne produisent pas même assez pour la seule consommation de la région. En résumé, moins il existe de producteurs, moins il est facile de s'installer. A notre époque moderne, en quelques clics, on communique avec le monde entier, mais les gens n'ont jamais été aussi ignorants de l'activité de leurs voisins.

Il faut reconsidérer les aides à l'installation. Les subventions ne sont pas les seuls outils à mobiliser : les prêts sont d'autres instruments sur lesquels nous pouvons agir. Si la production de blé, de colza ou de maïs est presque réalisable sans bâtiment, la production de viande impose de lourds investissements. Or la durée de remboursement des prêts est en France trop courte, entre 12 et 15 ans, quand elle est de 25 ans dans les pays du Nord de l'Europe.

Mme Sylvie Goy-Chavent, rapporteure. - On nous indique que les normes s'appliquent différemment dans les autres pays européens. Avez-vous, à l'APCA, une étude comparative précise sur ce point ? Cela permettrait de savoir où le bât blesse.

M. Daniel Gremillet. - Nous avons un certain nombre d'éléments sur ce qui se passe ailleurs, mais pas de synthèse générale et exhaustive sur l'application des normes à l'échelle européenne.

Mme Bernadette Bourzai, présidente. - La France a-t-elle sur-interprété les directives européennes, ou les autres pays ont-ils trouvé le moyen de les appliquer de manière plus légère ?

M. Daniel Gremillet. - On observe les deux phénomènes. Je ne veux pas dire que les autres se déchargent de leurs obligations. Ils les appliquent avec souplesse. Indiscutablement, la France de son côté a introduit dans son droit national des éléments de contrainte supplémentaires.

Mme Sylvie Goy-Chavent, rapporteure. - Les normes semblent même s'appliquer différemment selon les régions.

M. Daniel Gremillet. - Effectivement. L'Europe est une chance pour notre agriculture et notre élevage. Je considère pour cela que votre travail est capital. Nous écouter, c'est déjà faire progresser les choses. Les aides à l'installation par exemples sont financées partiellement par les régions : sachez que certaines refusent d'aider les productions porcines, rendues responsables de dégradations de l'environnement. Ce phénomène peut s'amplifier demain avec la régionalisation des aides agricoles ! Nous aurions alors une politique d'installation à vingt-deux vitesses.

Mme Sylvie Goy-Chavent, rapporteure. - Qui décide de cette application différenciée des règles ?

M. Daniel Gremillet. - Les préfets de région ont leur responsabilité dans l'application de la directive nitrate, qui pèse davantage sur l'investissement dans l'élevage que sur les productions végétales.

M. René Beaumont. - Nous vous écoutons et formulerons des propositions, mais il n'est pas sûr que les choses avanceront pour autant, car nous rabâchons sans cesse, avant de nous heurter à l'administration française, la plus efficace d'Europe, dont nous sommes véritablement victimes.

En France on manque de protéines pour l'alimentation animale. Notre réflexe est d'aller chercher du soja à l'étranger, alors que nous brûlons des tonnes de protéines à travers les farines animales. Depuis le scandale de la vache folle, on transforme les carcasses d'animaux et l'on stocke les farines ainsi obtenues dans d'immenses hangars, avant de les brûler dans des cimenteries. A l'époque de la vache folle, c'était indispensable. Plus maintenant. Si l'Europe autorise à nouveau l'utilisation des farines animales en pisciculture, c'est que leur fabrication respecte des normes qui assurent leur innocuité. Au passage, je note qu'il faut porter les carcasses à plus de 147 degrés pour détruire le vecteur de l'encéphalopathie spongiforme bovine (ESB), non à 122 degrés comme un brillant ingénieur anglais l'avait recommandé à l'époque - ce qui a été la source de la crise de la vache folle. Le stockage et l'incinération coûtent cher. Et nous continuons à importer des protéines des États-Unis. Une étude devrait être faite sur ce gaspillage.

Je crains que, dans quelques années, nous ne puissions plus manger de porcs français, car personne ne veut de porcherie dans son voisinage. Il faudra alors se résoudre à l'importer ! Le territoire entier est devenu une zone d'interdit. Admettons que la péninsule bretonne cesse de faire progresser la production de porcs : mais ailleurs, nous pourrions développer la production... Dans mon département, un abattoir reçoit tous les jours des porcs hollandais et bretons : est-ce bien rationnel ? Je suggère de définir des zones dans lesquelles on pourrait plus facilement construire des porcheries, notamment dans l'est et dans le nord de la France. Aux élus locaux de se mettre d'accord sur les lieux et les équipements. Si les porcheries bretonnes ont été causé des dommages à l'environnement, c'est parce qu'elles ont été construites sans aucune norme et en dépit du bon sens. Dans ma commune, qui compte 1 200 habitants, il existe une porcherie de 3 000 porcs. Grâce à la station d'épuration, les nouveaux habitants ignorent presque son existence. Créons des zones de permission d'élevage porcin ou avicole, où nos amis écologistes auront l'interdiction d'interdire. Sinon, c'est au monde entier que nous achèterons poulets et porcs, et notre balance extérieure en fera les frais.

M. Grémillet. - J'ai vécu la crise de la vache folle en tant que responsable agricole. J'avais alors demandé à la justice, en lui fournissant les étiquettes, de m'informer sur la composition précise des aliments pour animaux que j'employais. L'expert ne m'avait pas fourni de réponse... Le problème de l'étiquetage est en train de mettre à mal la confiance des consommateurs. Le scandale de la viande équine ne remet pas en cause la sécurité sanitaire. C'est une tricherie, une fraude. Pour les paysans, qui appliquent consciencieusement les règles de traçabilité et en supportent le coût, c'est très pénible ! Il est possible de savoir à tout moment où est parti le veau né dans chaque exploitation agricole. Comme président d'une coopérative laitière, je peux dire pour chaque fromage d'où provient le lait. Pour la viande, les choses fonctionnent différemment, mais la traçabilité demeure possible.

Concernant les farines animales, il s'agit d'un véritable gâchis. Sans doute vaut-il mieux éviter de donner des farines aux vaches - mais lorsqu'elles mangent de l'herbe, elles ne font pas le tri entre l'herbe, les limaces et les lombrics. Dans la panse d'une vache, les matières animales - issues des petits animaux qui se trouvent dans l'herbe - représentent plus de 15 % du total.... Les filières porcine et avicole devraient demander le droit de recourir aux farines animales, qui sont meilleures que le soja génétiquement modifié.

Mme Sylvie Goy-Chavent, rapporteure. - Il y a une différence entre les ruminants et les autres.

M. Grémillet. - Le retour aux farines animales dans les alimentations d'animaux serait possible, en excluant les bovins. Concernant le porc et la volaille, qui sont des monogastriques, c'est nous qui dénaturons leur alimentation. Éviter le gaspillage et restaurer la compétitivité ne sont pas des idées incongrues ! J'ajoute qu'il n'y a qu'à réaliser des contrôles sur les farines, pour s'assurer qu'elles ont été correctement chauffées.

M. René Beaumont. - Les farines françaises étaient indemnes de prion. Nous avons toujours eu une bonne discipline en la matière. Ce sont les farines anglaises qui ont envahi notre marché et répandu le mal.

M. Grémillet. - Il est tout à fait possible d'agir pour améliorer les conditions économiques de l'alimentation des bovins et des ovins, dès lors que l'on accepte de considérer l'herbe comme une production, et que le plan protéine n'est pas réservé au bassin parisien. Pour les porcins, la réintroduction des farines animales peut constituer une réponse satisfaisante, d'application immédiate.

Concernant les bâtiments, les élevages modernes ne dégagent plus guère d'odeurs, grâce à l'enfouissement immédiat. Les raisons du rejet de tels projets par les riverains ne sont pas des raisons objectives : le mot porcherie évoque désormais productivisme et pollution. Les chambres d'agriculture doivent faire un travail en direction de la société, par exemple en organisant des journées portes ouvertes chez les producteurs de volailles ou de porcs.

Mme Bernadette Bourzai, présidente. - Disposez-vous de statistiques récentes sur les cessations d'activité des éleveurs spécialisés, secteur par secteur ? Le recensement général de l'agriculture (RGA) ne renseigne pas sur les tendances.

M. Grémillet. - Le nombre d'éleveurs de vaches allaitantes est en diminution, malgré un programme de soutien. Concernant l'élevage porcin et la volaille, on assiste à des formes d'intégration, dans lesquelles l'agriculteur devient une sorte de tâcheron : une entreprise, abattoir ou fabricant d'aliments, met à sa disposition des bâtiments et du matériel, en contrepartie de quoi il s'engage à acheter tous les aliments à cette entreprise, et à lui vendre ses animaux.

Mme Bernadette Bourzai, présidente. - Je vous remercie.

Jeudi 18 avril 2013

- Présidence de Mme Bernadette Bourzai, présidente -

Audition de Mmes Michèle Rousseau, directrice générale et Anne-Louise Guilmain, chargée d'études Agriculture de l'Agence de l'eau Seine-Normandie

Mme Bernadette Bourzai, présidente. - Je vous remercie d'avoir répondu à notre invitation pour nous exposer le point de vue des agences de l'eau sur les conditions de production et l'impact de l'élevage sur les milieux naturels.

Mme Sylvie Goy-Chavent, rapporteure. - L'agriculture, comme toute activité humaine, produit des agents polluants, liés en particulier aux déjections. J'ai lu qu'en Bretagne la pollution due aux animaux d'élevage serait équivalente à la pollution organique de la population française, ce qui paraît énorme. Qu'en pensez-vous ? Protège-t-on assez l'environnement et la ressource en eau ? Sur quels voisins européens pourrions-nous prendre exemple pour améliorer la situation et préserver cette ressource à laquelle nous tenons tant ?

Mme Michèle Rousseau, directrice générale de l'agence de l'eau Seine-Normandie. - Dans le bassin Seine-Normandie, l'élevage est important, puisqu'il représente 40 % des exploitations agricoles, mais environ 10 % de la surface agricole utile (SAU). L'élevage de bovins compte 3 millions de têtes, soit 16 % du cheptel français. Nous avons très peu d'élevage caprin, 6 % de la production d'ovins, 1 % de la production nationale de volaille et 7 % de l'élevage porcin.

L'impact de l'élevage sur la qualité de l'eau est essentiellement lié aux effluents et aux déjections. Il peut être négatif, ou pas, selon les modes d'épandage. Les pratiques ont bien progressé ces dernières années. La part des engrais organiques azotés, par rapport aux engrais chimiques, est de 25 %, Pour les engrais phosphoreux, la part organique monte à 60 %. Ces proportions sont loin d'être négligeables. Les engrais organiques sont plus difficiles à doser, mais leur remplacement par des engrais chimiques serait encore plus négatif pour l'environnement.

S'il n'est pas évident d'apprécier l'impact négatif de l'élevage, l'impact positif de l'élevage herbager est flagrant. L'herbe, pour la qualité des eaux, est très intéressante. Elle filtre les polluants, empêche l'érosion des sols, protège des inondations. Et sans élevage extensif, il n'y aurait pas de prairie permanente. Nous aimerions voir sur les captages le plus d'herbe possible, pour lutter contre les pollutions diffuses, contre les nitrates qui concernent 95 % de la superficie du bassin, contre l'eutrophisation du littoral. Des captages sont fermés pour cause de pollution : une carte en fait état, département par département. Tout ce qui limite les pollutions diffuses nous intéresse.

A cet égard, les conséquences directes de l'élevage sont plutôt positives, dans la mesure où il s'agit d'élevage extensif à l'herbe et dans la mesure où il entraîne l'usage d'engrais organiques au lieu d'engrais chimiques, lesquels sont davantage utilisés pour la culture des céréales. Sur le second point, nous avons enregistré des progrès ces dernières années en matière de gestion des épandages mais nos marges de progression sont encore importantes. Sur le premier, je souligne que la différence ne se joue pas entre petit et grand élevage, mais entre élevage intensif et élevage extensif : il y a de grands élevages extensifs et de petits élevages intensifs.

Mises en place il y a une cinquantaine d'années, les agences de l'eau perçoivent des redevances acquittée par l'ensemble des usagers et redistribuent ces sommes sous forme de subventions ou d'avances remboursables. La redevance est perçue chez les éleveurs au-dessus d'un certain nombre de têtes de bétail.

Mme Anne-Laure Guilmain, chargée d'études agriculture. - Plus de 90 unités gros bovins (UGB).

Mme Michèle Rousseau. - En Seine-Normandie, le montant total de la redevance qui pèse sur les éleveurs est très faible, de l'ordre de 5 millions d'euros pour 6 ans, durée du 10e programme d'action mené par la mise en oeuvre de la directive cadre sur l'eau, soit environ 1 million d'euros sur les 750 millions perçus chaque année par l'Agence.

Les aides accordées aux éleveurs concernent essentiellement la construction de stockages pour les effluents. Les aides sont modulées, selon les programmes, en fonction des capacités de stockage à construire. Pour notre 6programme, nous avons affecté une enveloppe de 97 millions d'euros à ces aides, 79 millions d'euros pour le 7e programme, 63 millions d'euros pour le 8programme, et enfin 17 millions d'euros pour le 9programme qui vient de se terminer. Cette baisse s'explique par la réduction du nombre d'opérations proposées par les éleveurs et non par une stratégie de réduction de l'effort de l'Agence, qui répond sur ce point à toutes les demandes. Notre budget prévisionnel pour les aides aux agriculteurs est même sous-consommé - notre taux de consommation des crédits du 9e programme n'est que de 60 %. Nous prévoyons, dans le cadre du 10ème programme, de consacrer 42 millions d'euros à la mise en conformité par les éleveurs de leurs stockages, dans les zones vulnérables existantes, mais aussi dans les nouvelles zones vulnérables, ainsi qu'en dehors de ces zones. Le comité de bassin a émis le voeu que nous aidions les éleveurs déjà situés en zone vulnérable et déjà aidés dans le passé, mais obligés de construire des capacités de stockage supplémentaires en raison du renforcement de la réglementation. Notre taux d'aide est de 40 %, soit le maximum autorisé par Bruxelles. Si un taux supérieur était autorisé, nous aurions les capacités budgétaires pour y répondre. Le taux moyen d'aide que nous apportons à l'ensemble des projets que nous subventionnons est d'ailleurs plus élevé, de l'ordre de 60 %.

Mme Bernadette Bourzai, présidente. - Connaissez-vous des exploitations qui n'auraient pu, du fait de ce taux plafonné à 40 %, mener à bien leur programme d'assainissement ?

Mme Anne-Louise Guilmain. - Lors de la précédente mise aux normes, certains éleveurs ont choisi de cesser leur activité, à cause du coût des opérations qui ne pouvaient être davantage subventionnées du fait de l'encadrement du taux de subvention au niveau européen. Pour les mises aux normes imposées dans les nouvelles zones vulnérables, nous n'avons pas connaissance de cas de cessations d'activité pour cause de trop faibles soutiens publics.

Mme Bernadette Bourzai, présidente. - Nous avons été avisés que les seuils de nitrates pourraient être relevés sans dommage. Est-ce raisonnable ou est-ce une façon, pour certains, de dégager leur responsabilité ?

Mme Michèle Rousseau. - J'ai des doutes sur cette affirmation...

M. François Fortassin. - Des études montrent qu'un taux de nitrate de 50 mg par litre aurait des effets positifs sur la santé...

Mme Michèle Rousseau. - Je n'ai pas de compétence en matière de santé, mais il existe aussi des études en sens inverse. Encore faut-il distinguer le seuil fixé pour la santé publique à 50 mg par litre et celui, inférieur, entre 20 et 30 mg par litre, qui convient à la protection du milieu naturel, en évitant l'eutrophisation du littoral. Un taux concerne les nappes souterraines, l'autre les rivières. Or plus de 90 % du bassin se trouve en zone vulnérable à cause de l'eutrophisation. Il faut donc veiller particulièrement aux conséquences sur le milieu naturel et le littoral, compte tenu de l'exposition de l'ensemble des côtes de la Manche et de la mer du Nord à l'eutrophisation. La presque totalité du bassin se situe en zone vulnérable.

Mme Anne-Louise Guilmain. - Les nappes souterraines et les eaux superficielles sont liées, ce ne sont pas deux milieux séparés.

Mme Bernadette Bourzai, présidente. - Nous en resterons donc aux seuils actuels, qu'il n'y a lieu, ni de baisser, ni de relever.

Mme Anne-Louise Guilmain. - Il n'y a pas beaucoup d'algues vertes en Normandie, mais des efflorescences algales et des phénomènes de mousse.

Mme Bernadette Bourzai, présidente. - Certaines régions ont-elles besoin de davantage d'argent ?

Mme Michèle Rousseau. - Le total envisagé pour les aides aux agriculteurs dans le cadre du 10e programme s'élève à 200 millions d'euros sur six ans, contre 90 millions d'euros distribués pour le 9e programme. L'ensemble des agences de l'eau ont augmenté leur budget prévisionnel en direction des agriculteurs. Les aides sont sensées compenser les pertes de production des agriculteurs sur les aires de captage. Mais pour certaines cultures, changer de pratiques culturales n'est pas intéressant si les prix mondiaux sont élevés et si la perte de production s'avère trop forte.

Mme Bernadette Bourzai, présidente. - Le verdissement de la PAC pourrait-il changer la donne ?

Mme Michèle Rousseau. - Très peu.

Mme Anne-Louise Guilmain. - Dans la mesure où il interdit le retournement des prairies permanentes, le verdissement peut être intéressant pour encourager l'élevage à l'herbe.

M. François Fortassin. - Je suis perplexe sur le sort réservé à l'amendement que j'ai eu l'honneur de faire adopter à l'unanimité, il y a quatre ans, dans le cadre du Grenelle de l'environnement, afin d'inscrire dans la loi que « les herbivores sont exclusivement nourris à l'herbe », parce que la qualité de la viande et du lait sont meilleures quand c'est le cas...

M. René Beaumont. - Absolument !

M. François Fortassin. - ...et les prairies évitent le lessivage des sols...

Mme Michèle Rousseau. - L'herbe piège aussi le carbone...

M. François Fortassin. - Nous n'aurions jamais connu la vache folle si les herbivores avaient été nourris à l'herbe...

M. René Beaumont. - Sûrement !

Mme Michèle Rousseau. - Et l'on contrôlerait mieux l'alimentation...

M. François Fortassin. - Cet amendement est resté lettre morte. Pourquoi les agences de l'eau ne s'en sont-elles pas emparées ?

Mme Michèle Rousseau. - Les agences de l'eau agissent en distribuant des aides financières, dans le respect de l'encadrement communautaire.

Mme Bernadette Bourzai, présidente. - Des aides incitent les agriculteurs à aller dans ce sens...

Mme Michèle Rousseau. - La PAC fournit des aides à l'hectare, sans tenir compte de l'utilisation des sols et du rendement des productions. Aussi des agriculteurs gagnent-ils mieux leur vie en cultivant des céréales, dont les cours sont élevés, qu'en se consacrant à l'élevage.

M. François Fortassin. - Je ne visais pas les céréales, mais ces élevages de mouton, dans le Limousin, qui ne voient jamais un brin d'herbe...

Mme Bernadette Bourzai, présidente. - Je vous emmènerai sur le plateau de Millevaches, où vous les verrez pâturer...

M. François Fortassin. - Il existe des troupeaux de 800 brebis qui ne pâturent jamais...

M. René Beaumont. - Bien qu'ayant été vice-président de l'agence de l'eau Rhône-Méditerranée-Corse, j'avoue que je m'interrogeais ce matin sur la pertinence du lien entre les agences de l'eau et notre mission. Elle apparaît clairement après votre exposé. Je suis frappé de constater à quel point la biomasse est sous-utilisée dans notre pays quand nos voisins allemands ou d'Europe centrale exploitent la méthanisation pour produire de l'énergie, localement, à partir des déchets de l'élevage : toutes les porcheries sont branchées sur une marmite. Les agences de l'eau y réfléchissent-elles ? Il est vrai que nous avons en France un très grand producteur qui fait tout ce qu'il peut pour éviter toute production parallèle...

Mme Michèle Rousseau. - Notre nom indique notre vocation, nos aides vont à l'eau. La méthanisation concerne au premier chef l'élevage intensif ; or nous nous intéressons à l'élevage extensif. Parmi les opérateurs publics, seule l'Agence de l'environnement et de la maîtrise de l'énergie (ADEME) serait compétente pour accorder des aides financières à la méthanisation. Je crois que les aides reposent sur la contribution au service public de l'énergie prélevée sur la facture d'électricité. Les tarifs de rachat sont définis par le ministre chargé de l'énergie et le ministre du budget, pour EDF comme pour les autres producteurs d'électricité. L'équilibre économique de la filière méthane repose sur ces tarifs...

M. François Fortassin. - Ce n'est pas qu'un problème de tarif ! Mon département compte 474 communes, dont 78 seulement sont raccordés au gaz. Les tentatives de développer la méthanisation - comme celle que j'ai lancée en tant que président du syndicat départemental de l'énergie - ont tôt fait d'achopper sur le problème du non-raccordement au réseau de GDF.

Mme Michèle Rousseau. - La méthanisation pour produire de l'électricité est faisable à peu près partout, sous réserve que les tarifs de rachat la rendent rentable. Pour le biogaz, dont le rachat est beaucoup plus récent, il faut disposer d'un réseau, qui est coûteux à mettre en place. C'est pourquoi la couverture du territoire français est incomplète.

M. René Beaumont. - Dans l'ex-Allemagne de l'Est, en Hongrie, en Pologne, on trouve partout, dans les villages, de petites unités de production qui transforment la biomasse, non en kWh, mais en calories, pour chauffer le village...

Mme Michèle Rousseau. - Il existe des unités mixtes, qui produisent électricité et calories...

M. René Beaumont. - Ainsi le méthane est utilisé sur place.

Mme Bernadette Bourzai, présidente. - Cela explique pour une part l'avantage compétitif de l'Allemagne. Elle dispose de 7 000 méthaniseurs, là où nous n'en avons que 90...

M. René Beaumont. - Il y a des raisons à cela... Depuis trois ans, je promeus, avec GDF-Suez, l'installation d'une unité de production sur une grande ferme de production de légumes de 3 500 hectares. A chaque fois que nous croyons toucher au but, de nouvelles normes nous en éloignent...

Mme Bernadette Bourzai, présidente. - Voilà cinq ans que j'essaie d'installer un méthaniseur dans la région d'Ussel, avec les éleveurs, des producteurs de légumes, des commerçants...

M. René Beaumont. - EDF n'est peut-être pas un interlocuteur très favorable à ces initiatives.

Mme Bernadette Bourzai, présidente. - L'élevage en mode de production biologique est-il favorable à une meilleure qualité des eaux ?

Mme Michèle Rousseau. - Il y a peu de différences entre un élevage extensif bio et non bio en matière de répercussions sur la qualité des eaux. L'intérêt du bio est en revanche de consommer moins de médicaments vétérinaires. Dans notre bassin très urbanisé, la pollution est cependant probablement davantage imputable aux médicaments humains qu'aux produits vétérinaires.

En matière de pollution azotée, je ne puis rien dire sur la Bretagne, qui est surtout concernée. Pour le bassin Seine-Normandie, selon une étude du programme interdisciplinaire de recherche sur l'environnement de la Seine (Piren-Seine), les rejets azotés de source domestique s'élèvent à 5,4 kg par habitant et par an, ceux qui sont liés aux cultures à quelque 20 kg, tous systèmes de culture confondus.

J'ajoute un élément à votre réflexion : pour être produit, un boeuf consomme beaucoup de terre et beaucoup d'eau. Une approche rapide permet de dire que pour nourrir plus de population, on pourrait utiliser différemment la SAU, afin de produire plus de protéines végétales et moins de protéines animales. Cela aurait un effet positif sur l'eau.

M. François Fortassin. - Je ne partage pas votre analyse. Un boeuf a besoin de 50 litres d'eau par jour ; un hectare de maïs ou de blé consomme 1 800 mètres cubes par hectare ; et en élevage extensif, il faut compter un boeuf par hectare.

Mme Michèle Rousseau. - Mes chiffres sont différents...

Mme Anne-Louise Guilmain. - Il faudrait tenir compte de la nourriture du boeuf, pour déterminer son empreinte-eau au-delà de ce qu'il boit...

M. René Beaumont. - L'essentiel du poids de l'herbe est constitué d'eau...

M. François Fortassin. - S'il ne la broutait pas, qu'en ferait-on ? Une friche ?

Mme Sylvie Goy-Chavent, rapporteure. - Revenons sur l'épandage, qui a une incidence considérable sur les nappes : les éleveurs se plaignent souvent des périodes d'épandage, qui seraient inadaptées dans certains départements. Sont-elles les mêmes partout en France, et si oui, pourquoi ?

Mme Anne-Louise Guilmain. - Elles dépendent d'arrêtés départementaux, dans un cadrage européen fixé par la directive nitrates. C'est l'un des points du contentieux de la Commission européenne avec la France.

Mme Bernadette Bourzai, présidente. - Les mêmes règles s'appliquent-elles du nord au sud de la France ?

Mme Anne-Louise Guilmain. - Les mêmes règles minimales : il peut y avoir des adaptations locales...

Mme Sylvie Goy-Chavent, rapporteure. - La France tend, en matière de directive européenne, à laver plus blanc que blanc... Dans certaines zones plus sèches, il semble que l'épandage ne soit pas toujours prévu au bon moment...

Mme Michèle Rousseau. - Les agences de l'eau sont peu consultées sur ce sujet...

Mme Bernadette Bourzai, présidente. - Cela paraît paradoxal...

Mme Michèle Rousseau. - C'est un processus réglementaire qui implique le ministère, les préfets et les services de l'État.

Mme Bernadette Bourzai, présidente. - Avez-vous connaissance de la situation dans d'autres agences de l'eau, qui illustreraient mieux les relations entre élevage et qualité de l'eau ?

Mme Michèle Rousseau. - La situation en Artois-Picardie est comparable à la nôtre, la Bretagne est davantage concernée par les nitrates...

M. Jean-Jacques Mirassou. - Comment peut-on déterminer ce qui relève des agriculteurs et ce qui est imputable à l'urbain ? Cette question est posée par les éleveurs : ils ont le sentiment que toutes les pollutions leur sont imputées, alors qu'ils ne sont pas responsables de tout.

Mme Michèle Rousseau. - Je n'ai jamais dit que les éleveurs étaient responsables de tout. Se pose aussi le problème des pollutions diffuses : les effluents pluviaux peuvent devenir aussi importants que ceux qui sortent des stations d'épuration urbaines. En petite couronne parisienne, les rejets des stations d'épuration du syndicat interdépartemental pour l'assainissement de l'agglomération parisienne (SIAAP), le service public de l'assainissement francilien qui traite une zone très urbanisée, sont du même ordre de grandeur que les effluents pluviaux. Si nous voulons respecter les normes européennes pour la Seine, il faudra fournir de gros efforts sur le traitement des effluents pluviaux. Notre politique est d'aider à la ré-infiltration des eaux de pluie dans les sols, pour lutter contre le ruissellement. Il faut ré-enherber. Notre taux d'aide en la matière, qui n'est pas limité par Bruxelles, est de 80 %. Nous allons également pousser à la construction de bassins de rétention. Mais infiltrer au maximum coûtera moins cher que de devoir traiter les eaux de pluie.

M. Claude Bérit-Débat. - C'est une solution...

M. Jean-Jacques Mirassou. - ...qui n'est pas applicable partout...

M. Claude Bérit-Débat. - ...mais intéressante.

Mme Bernadette Bourzai, présidente. - Il faut lutter contre l'imperméabilisation des sols.

Mme Michèle Rousseau. - Tout à fait !

Mme Bernadette Bourzai, présidente - Nous vous remercions.

Audition de M. Christophe Monnier, chef de service produits alimentaires Mmes Isabelle Bineau, chef de projet produits animaux et Marie-Paule Spiess, chef de projet produits avicoles et produits gourmets à UBIFRANCE

Mme Bernadette Bourzai, présidente. - Notre mission commune d'information s'intéresse de près au commerce international, à plus forte raison depuis le scandale de la viande de cheval.

Mme Sylvie Goy-Chavent, rapporteure. - Ubifrance accompagne les entreprises dans leur développement à l'export. Pouvez-vous nous brosser un état des lieux, et nous indiquer les forces et les faiblesses de la filière viande à l'international ? Vous pourrez également évoquer les enjeux de qualité et de traçabilité des produits, ainsi que ceux liées aux importations.

M. Christophe Monnier, chef de service produits alimentaires. - L'agriculture française est la première d'Europe et l'industrie agroalimentaire française est aussi la première, ex-æquo, avec l'Allemagne. Le rôle d'Ubifrance est de soutenir les exportations françaises. L'industrie agro-alimentaire constitue d'ailleurs l'un de nos points forts à l'export, en volume comme en chiffre d'affaires. L'exportation de viande se décompose en deux sous-secteurs : celle d'animaux vivants, et celle de viande - porcine, bovine, avicole, et dans une bien moindre mesure, chevaline.

Les atouts de l'offre française sont sa diversité et, précisément, son importance : nos interlocuteurs sont sensibles à notre position de leader en Europe. Nous disposons du premier troupeau de races allaitantes en Europe, et nos produits jouissent d'une très bonne image en termes de qualité et de traçabilité.

Nous avons toutefois des faiblesses. Depuis le milieu des années 2000, notre balance commerciale est déficitaire, toutes catégories de viande confondues. En 2012, notre déficit s'élève à un million d'euros. Pour les animaux vivants en revanche, nous enregistrons un excédent important de l'ordre de 1,7 milliard d'euros, mais il existe des risques qu'il baisse à l'avenir.

M. Claude Bérit-Débat. - Vers quels pays exportons-nous les animaux vivants ?

Mme Isabelle Bineau, chef de projet produits animaux. - Surtout l'Italie, notre premier client, où les animaux sont destinés à l'engraissement. Puis viennent l'Espagne et la Grèce, ainsi que les pays du pourtour méditerranéen, comme le Maroc, l'Algérie, la Tunisie et le Liban - la Turquie a refermé récemment ses frontières. Dans les derniers pays cités, toutefois, les animaux vivants sont davantage destinés à l'abattage qu'à l'engraissement.

M. Jean-Jacques Mirassou. - Ne pouvons-nous pas consommer notre production plutôt que d'importer de la viande ?

Mme Isabelle Bineau. - La situation est un peu plus compliquée. Nous exportons des quartiers arrière vers l'Allemagne, d'où nous importons des quartiers avant. Les flux se complètent, du fait de différences dans les préférences des pays.

M. Jean-Jacques Mirassou. - Cela tient en définitive aux habitudes alimentaires des différents pays.

Mme Isabelle Bineau. - Exactement.

M. François Fortassin. - Il est aussi plus rentable d'exporter des animaux en Italie ou en Espagne pour les engraisser avec du maïs français, que de les finir, comme l'on dit, pour les vendre ensuite. Confirmez-vous que les exportations à destination de la Russie et de la Finlande sont en revanche destinées à constituer des élevages ?

Mme Bernadette Bourzai, présidente. - Ou au Kazakhstan. Quel est le rôle du groupe d'intérêt économique (GIE) export ? Et quelles relations entretient Ubifrance avec Sopexa ?

M. Christophe Monnier. - Ubifrance est un établissement public à caractère industriel et commercial, placé sous la tutelle du ministère de l'économie et des finances. La Sopexa est une société privée depuis 2007, titulaire d'une délégation de service public sur les activités liées à la promotion des produits alimentaires français. Elle passe des contrats avec les interprofessions et anime un réseau de bureaux à l'étranger. A l'inverse, Ubifrance a une mission générale : nous travaillons avec l'ensemble des exportateurs français, à qui nous proposons toute une palette de services d'accompagnement sur les marchés étrangers.

Mme Bernadette Bourzai, présidente. - Et le GIE export ? Ne concerne-t-il que les animaux vivants ?

Mme Isabelle Bineau. - Il s'adresse à l'ensemble de la filière, y compris l'exportation de reproducteurs.

M. Claude Bérit-Débat. - Pouvez-vous nous apporter des précisions sur les importations d'animaux vivants ?

Mme Isabelle Bineau. - Elles sont négligeables. Cela concerne surtout les bovins reproducteurs.

M. François Fortassin. - Le taureau espagnol...

Mme Isabelle Bineau. - ... qui nous cause quelques soucis parce qu'il est porteur de maladies.

Mme Sylvie Goy-Chavent, rapporteure. - Nous pouvons nous rassurer en affirmant que l'on exporte plus d'animaux vivants et que l'on importe surtout des animaux morts. Est-ce à dire que l'on exporte ce que l'on n'est plus capable d'élever, pour le faire revenir une fois engraissé ?

Mme Isabelle Bineau. - Non, les exportations d'animaux vivants sont une caractéristique ancienne des échanges commerciaux, développée après la seconde guerre mondiale pour alimenter la filière d'engraissement italienne. Il y a même des sociétés italiennes implantées en France pour exporter. Si nous cessons d'exporter vers l'Italie, nous n'aurons pas la capacité d'engraissement en France pour renforcer le débouché italien.

Mme Sylvie Goy-Chavent, rapporteure. - Qu'entendez-vous par là ? Nous avons le maïs, les élevages...

Mme Isabelle Bineau. - Nous avons de moins en moins d'éleveurs. Ils vieillissent et ne seront pas tous remplacés quand ils partiront à la retraite. Les capacités d'investissement vont décroître et les coûts de production grimper.

M. Christophe Monnier. - C'est le secteur de l'industrie agro-alimentaire dans lequel les marges sont les plus faibles.

Mme Isabelle Bineau. - D'où l'organisation d'Etats généraux de la filière viande par l'interprofession.

Mme Sylvie Goy-Chavent, rapporteure. - Ne faudrait-il pas simplement que les éleveurs vivent de leur travail ?

M. François Fortassin. - Les maïsiculteurs ne travaillent que trois ou quatre mois par an : ils n'ont aucune envie de devenir éleveurs. En plus, dans les zones de montagne, les éleveurs achètent la paille ou la luzerne espagnole, mais pas les céréales qui poussent dans leur département. Certaines pratiques relèvent plus de l'habitude que de la raison.

M. Claude Bérit-Débat. -Il y a aussi des problèmes de coût.

Mme Bernadette Bourzai, présidente. - Il faudrait regarder comment les céréaliculteurs procèdent. Il est vrai que la végétalisation progresse et que les éleveurs connaissent des difficultés qui laissent peu d'espoir de voir l'engraissement se développer en France.

M. François Fortassin. - Les maïsiculteurs seraient bien inspirés de faire de l'élevage.

Mme Isabelle Bineau. - Pour l'instant, c'est plutôt le contraire qui se produit : des éleveurs se font céréaliculteurs.

M. Jean-Jacques Mirassou. - Et les éleveurs qui basculent dans le tout-végétal ne prennent jamais le chemin inverse.

Mme Sylvie Goy-Chavent, rapporteure. - On exporte beaucoup d'arrières et on importe beaucoup de parties avant, dites-vous. Nous recevons sur ce point des informations contradictoires.

Mme Isabelle Bineau. - Cela dépend en réalité de la provenance des produits. Ce schéma est vrai par rapport à l'Allemagne.

Mme Sylvie Goy-Chavent, rapporteure. - On nous a expliqué que les Français aimaient les bons morceaux. Avez-vous des chiffres illustrant les flux de viande franco-allemands ?

Mme Isabelle Bineau. - Je vous communiquerai les éléments dont nous disposons. Nous exportons peu de désossé, surtout des carcasses, donc des produits à faible valeur ajoutée.

Mme Sylvie Goy-Chavent, rapporteure. - L'on exporte le bon et l'on importe le minerai ?

M. François Fortassin. - Nous importons les morceaux nobles, et nous exportons ceux que l'on consomme moins.

Mme Sylvie Goy-Chavent, rapporteure. - Est-ce exact ?

Mme Isabelle Bineau. - C'est à vérifier. Nous exportons en Italie des carcasses et quelques quartiers arrière. En Allemagne, les choses sont différentes. Les différents segments d'exportation et d'importation se complètent mutuellement en Europe.

M. Christophe Monnier. - L'émergence des pays d'Amérique latine comme fournisseurs de viande a suscité de nombreux commentaires. Or, en 2012, nos déficits en matière de viande se font surtout avec nos voisins européens : l'Espagne, les Pays-Bas, l'Irlande, l'Allemagne, la Belgique. Le solde vis-à-vis de l'Espagne, désormais négatif de plus de 20 millions d'euros, s'est fortement dégradé depuis la crise de 2007, en partie à cause des importations de viande porcine. Nous devons donc nous interroger sur la compétitivité de notre filière viande vis-à-vis de pays qui ont la même monnaie. Certes, avec un solde excédentaire de 1,7 milliard sur les échanges d'animaux vivants, contre 1 milliard d'euros de déficit commercial sur la viande, le solde global reste positif. Il y a toutefois une lueur d'espoir : les excédents se réalisent de plus en plus avec les pays tiers - Arabie Saoudite, Russie, Chine, Japon, Hong-Kong, Suisse, Yémen - sur lesquels la demande est dynamique.

M. Jean-Jacques Mirassou. - Pouvez-vous préciser les volumes des échanges entre la France et l'Allemagne ?

M. Christophe Monnier. - Notre industrie de viande transformée est la deuxième d'Europe derrière l'Allemagne.

M. Jean-Jacques Mirassou. - Je présume que la France et l'Allemagne sont loin devant l'Italie et les Pays-Bas ?

M. Christophe Monnier. - En effet. Notre filière de transformation de la viande pèse 33 milliards d'euros, contre 39 milliards d'euros en Allemagne.

M. François Fortassin. - L'Allemagne n'exporte pas d'animaux vivants, me semble-t-il.

Mme Isabelle Bineau. - C'est vrai pour la viande bovine. En revanche, l'Allemagne exporte de plus en plus de porc et de volaille vers la France.

Mme Bernadette Bourzai, présidente. - Avez-vous comparé les compétitivités allemande et française ?

M. Christophe Monnier. - Les organismes dont c'est la mission l'ont fait.

Mme Isabelle Bineau. - Le coût de la main d'oeuvre est moins élevé en Allemagne, qui fait largement appel à de la main d'oeuvre étrangère, polonaise et roumaine, recrutée par intérim et sous-payée.

Mme Sylvie Goy-Chavent, rapporteure. - Ils sont payés en fonction des salaires pratiqués dans leur pays d'origine ?

Mme Isabelle Bineau. - Oui, en outre, certaines sociétés, comme le groupe germano-hollandais Vion ou encore Tönnies, sont très grandes, ce qui leur permet de limiter les coûts et d'être très compétitifs.

M. Jean-Jacques Mirassou. - Cela s'appelle du dumping. Ne peut-on faire jouer certaines clauses du droit européen pour lutter contre ces pratiques ? Si l'on ajoute à cela le bilan carbone désastreux lié au transport des produits, la situation est inouïe.

Mme Bernadette Bourzai, présidente. - La Belgique a déposé un recours contre cette pratique dans les industries agroalimentaires auprès de la Commission européenne.

Mme Sylvie Goy-Chavent, rapporteure. - Ces méthodes sont déloyales et humainement discutables. Il faut réagir.

M. Christophe Monnier. - Une autre organisation de la filière dégagerait des économies d'échelle. Le dilemme est le suivant : soit l'on maintient des petites structures, dans les zones de montagne par exemple, et le surcoût doit bien être payé par quelqu'un, soit l'on met en place des méga-fermes, au risque d'industrialiser l'élevage.

M. Jean-Jacques Mirassou. - Ne perdons pas de vue la qualité des produits...

M. Claude Bérit-Débat. - Avons-nous des points forts sur des marchés de niche, où la qualité des produits prédomine ?

M. Christophe Monnier. - La France achète beaucoup de produits industriels originaires des pays voisins... On peut toujours expliquer aux autres que nous ne faisons que de la qualité, mais le prix reste un élément déterminant dans le choix des consommateurs. Les scandales sanitaires les ont certes ébranlés, en Europe comme en Chine, et nous pourrions mettre davantage l'accent sur la qualité de nos produits - bien que le scandale de la viande de cheval affaiblisse notre discours. Cela ne concernerait toutefois que de petits volumes, car tous les pays n'ont pas nos habitudes de consommation, loin s'en faut : la Russie consomme la viande sous forme de boulettes : la pièce de boeuf est un mets très français.

M. Claude Bérit-Débat. - Notre secteur exportateur n'occupe donc pas la moindre position de niche ?

M. Christophe Monnier. - Si, dans l'hôtellerie-restauration haut de gamme, à Singapour, aux Émirats arabes unis, en Russie. Nous sommes bien placés sur les produits gourmets et la restauration de luxe.

M. Claude Bérit-Débat. - De quels produits s'agit-il ?

M. Christophe Monnier. - Toutes les filières sont concernées, y compris le canard gras, la volaille label rouge...

M. François Fortassin. - La consommation de viande augmente avec le niveau de vie.

M. Christophe Monnier. - Nous avons un problème de communication à l'égard des consommateurs étrangers, qui ne connaissent pas la diversité des races à viande françaises.

M. Jean-Jacques Mirassou. - D'un côté on assujettit les éleveurs à de lourdes contraintes, de l'autre on piétine en plus le droit social. Il y a quelque chose qui ne va pas.

Mme Sylvie Goy-Chavent, rapporteure. - Je suis bien d'accord. Avez-vous des chiffres sur l'exportation de viandes abattues rituellement ?

M. Christophe Monnier. - Les statistiques douanières ne donnent pas ces détails. Nous travaillons depuis deux ou trois ans sur la viande halal et casher, car il y a une demande internationale. L'Italie vient d'ailleurs de créer un label halal italien. Mais nous butons toujours sur l'absence de données douanières exploitables.

Mme Marie-Paule Spiess, chef de projet produits avicoles, produits gourmets. - Ce sont les destinations qui donnent l'information : les produits à destination du Moyen-Orient ou de la Malaisie sont forcément issus d'abattage rituel.

Mme Sylvie Goy-Chavent, rapporteure. - L'étiquetage halal n'apparaît que lorsque le produit arrive à destination. Sur son lieu de production, l'information n'est pas disponible.

Mme Isabelle Bineau. - Si, le mode d'abattage y est indiqué, mais nous n'avons pas de chiffres consolidés sur les volumes en jeu.

M. Christophe Monnier. - Le code douanier ne précise pas le type d'abattage. Nous n'avons d'ailleurs pas plus d'information statistique sur les produits bio ou labellisés.

Mme Bernadette Bourzai, présidente. - Quelle est l'ampleur des échanges de viande entre la France et la Roumanie ?

M. Christophe Monnier. - Ils sont négligeables. Le solde est négatif : notre déficit est d'environ 1 million d'euros pour le cheval, et d'environ 2 millions pour la viande bovine congelée.

Mme Isabelle Bineau. - Il faudrait regarder précisément ce que la Roumanie fait transiter par les Pays-Bas ou l'Allemagne. Mais même ainsi, la filière roumaine reste de peu d'importance.

Mme Sylvie Goy-Chavent, rapporteure. - Vous n'avez aucun chiffre sur le bio ni sur les labels ?

M. Christophe Monnier. - Non. Les seules informations seraient de nature déclarative, collectées par les organismes interprofessionnels.

Mme Marie-Paul Spiess. - Comme le Syndicat national des labels avicoles de France (Synalaf).

Mme Sylvie Goy-Chavent, rapporteure. - Et en matière d'importation de bio, et de labels qualité, que sait-on ?

M. Christophe Monnier. - L'Agence bio fait état d'un déficit d'approvisionnement. Celui-ci commence toutefois à diminuer : il est revenu de 40 % à 30 % en quelques années.

Mme Sylvie Goy-Chavent, rapporteure. - On connaît pourtant les catégories de viande qui arrivent sur notre territoire : jambon italien...

Mme Isabelle Bineau. - Les étiquettes mentionnent le pays d'origine, mais les labels ne sont pas enregistrés par les douanes.

Mme Sylvie Goy-Chavent, rapporteure. - Cette logique m'échappe.

M. François Fortassin. - On peut mettre beaucoup de choses dans le bio. L'agneau de Nouvelle-Zélande ne mange que de l'herbe, mais une partie des éleveurs utilisent des produits vétérinaires qui rendent leurs bêtes inéligibles au label bio. La tentation est forte en Nouvelle-Zélande de n'exporter que du bio, quitte à faire disparaître le reste du cheptel.

M. Jean-Jacques Mirassou. - Vendre cette viande comme du bio est un pari.

Mme Sylvie Goy-Chavent, rapporteure. - En définitive, comment avoir la certitude que les consommateurs ne sont pas trompés ?

Mme Isabelle Bineau. - Les importateurs et les distributeurs ont ces informations : il y a une traçabilité.

M. Jean-Jacques Mirassou. - Il faut aussi faire confiance à l'esprit critique des consommateurs. Il y a des garanties de qualité. L'affaire Spanghero a certes suscité beaucoup d'inquiétude. Tout le monde, moi y compris, a découvert à cette occasion l'existence de minerais de viande...

M. Christophe Monnier. - Nous serions très intéressés par la possibilité d'affiner les statistiques douanières.

Mme Marie-Paule Spiess. - Pour l'heure, la seule façon de procéder à l'analyse des marchés consiste à observer l'offre de détail d'un certain nombre de points de vente représentatifs. De telles études sont souvent réalisées, sur les marchés extérieurs comme en France.

Mme Isabelle Bineau. - Concernant les viandes issues de la filière rituelle, il est possible de manger sans le savoir des viandes halal ou casher car, dans ce dernier cas, seule la partie avant de la bête est utilisée. L'arrière est forcément utilisé à d'autres fins.

Mme Bernadette Bourzai, présidente. - Ubifrance a vocation à développer le commerce extérieur français. Vous avez souligné les faiblesses de l'exportation française d'animaux morts. Quelles actions menez-vous pour aider les entreprises ? Portent-elles leurs fruits ?

M. Christophe Monnier. - D'abord, nous fournissons des informations sur les marchés extérieurs. Nous analysons la concurrence et le potentiel de débouchés qu'ils présentent. Pour ce faire, nous travaillons étroitement avec le groupement export mis en place en viande bovine. Nous assurons en outre une veille importante des pays tiers.

Nous menons ensuite des actions de mise en relation commerciale. Celles-ci peuvent être individuelles, à travers des missions d'aide à la prospection durant lesquelles nous organisons des programmes de deux à trois jours de rendez-vous, avec un suivi de six mois. Elles sont également collectives : nous regroupons l'offre française, entreprise par entreprise ou en lien avec les interprofessions, dans des salons internationaux, comme nous l'avons fait à Dubaï il y a un mois et demi. Dans le secteur viande, ces événements sont très importants. La promotion commerciale et l'organisation de dégustations est une autre des nos activités, partagée avec Sopexa.

Enfin, nous menons des actions promotionnelles et de marketing, sollicitons la presse, et soutenons des campagnes publicitaires dans les pays étrangers. Bien que cela soit traditionnellement un point fort de Sopexa, nous sommes également sollicités. Deux salons sont particulièrement importants pour la filière viande : le salon des productions animales-carrefour européen (SPACE), à Rennes ; et le sommet de l'élevage à Clermont-Ferrand, haut lieu de la viande bovine et des races allaitantes, qui grandit chaque année. Nous y faisons venir des délégations étrangères pour promouvoir la diversité de nos espèces, la plus importante d'Europe. D'une manière générale, nous n'insistons pas assez sur le développement international. Il faudrait mobiliser les acteurs, à tous les échelons. Le sommet de Clermont-Ferrand reçoit par exemple peu ou pas d'aides régionales, ce qui est pour le moins surprenant.

Mme Bernadette Bourzai, présidente. - Je fréquente annuellement ce salon, et crois savoir que la région Auvergne le soutient, à la hauteur de ses moyens.

M. Christophe Monnier. - Sur sa partie nationale, sans doute. Ce n'est pas le cas pour son volet international.

Mme Isabelle Bineau. - L'aspect sanitaire est important à l'international. L'affaire de la vache folle a beaucoup nui au commerce français, tout comme la fièvre catarrhale ovine (FLO), la maladie de Schmallenberg et le récent scandale de la viande de cheval. Les frontières se sont à l'époque fermées, et certaines le sont toujours : c'est le cas en Turquie, au Maroc, en Russie, au Kazakhstan, en Chine. Le Japon ne s'est rouvert qu'il y a deux mois. Nous avons une épée de Damoclès sur notre tête, malgré l'action de la direction générale de l'alimentation (DGAL).

M. Claude Bérit-Débat. - La tuberculose bovine touche l'Ain et la Dordogne, qui ont mis en place un dépistage performant. Affecte-t-elle nos exportations ?

Mme Isabelle Bineau. - La France bénéficie pour l'instant du statu « indemne », car en deçà du seuil d'alerte. La situation n'en est pas moins préoccupante, car la France est proche du seuil permettant le maintien de ce statut.

M. Claude Bérit-Débat. - Le problème, c'est que les tests de dépistages varient selon les départements, et en Europe selon les pays. Les harmoniser serait sage, bien que cela puisse créer des drames, chez nous, comme ailleurs, si l'on découvrait de nouveaux cas. La Limousine n'est pas à l'abri...

Mme Bernadette Bourzai, présidente. - Le sud de la Corrèze non plus.

M. Claude Bérit-Débat. - Les blaireaux, vecteurs de la bactérie, ignorent les frontières entre les départements, tout comme les cervidés.

M. Christophe Monnier. - Malgré les obstacles, ce sont les pays tiers qui tirent la croissance de nos exportations. Une vision de long terme commanderait de travailler ces marchés en amont ! Or depuis quelques années, les exportateurs français s'engouffrent sur les opportunités offertes ponctuellement : la Turquie était devenue l'un de nos principaux clients. Or ses frontières se sont ensuite refermées... Veillons à ne pas mettre tous nos oeufs dans le même panier.

Mme Isabelle Bineau. - La Turquie n'est pas à proprement parler fermée : elle a relevé ses droits de douane à 100 %.

Mme Bernadette Bourzai, présidente. - Merci pour vos éclairages.

Audition de MM. Patrick Foubert, trésorier national adjoint et Stéphane Touzet, secrétaire national du syndicat national des techniciens du ministère de l'agriculture (SNTMA-FO)

Mme Bernadette Bourzai, présidente. - Nous recevons à présent M. Patrick Foubert, trésorier général adjoint chargé du secteur abattoir, et M. Stéphane Touzet, secrétaire national du secteur alimentation, du Syndicat national des techniciens du ministère de l'agriculture (SNTMA-FO).

Mme Sylvie Goy-Chavent, rapporteure. - Le ministère de l'agriculture est chargé de surveiller et de contrôler les denrées alimentaires. Le site internet du ministère précise que « la responsabilité appartient d'abord à ceux qui élaborent les produits et les proposent aux consommateurs. L'interdépendance des producteurs tout au long de la chaîne d'élaboration des produits crée une chaîne de responsabilité. Pour l'assumer, il leur appartient de développer des autocontrôles et de mettre en oeuvre de bonnes pratiques d'hygiène et des systèmes leur permettant de garantir la traçabilité des produits ». Les limites de ces autocontrôles sont manifestes. La direction générale de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes (DGCCRF), qui relève du ministère de l'Économie et des Finances, qui ne dispose que d'un agent par département pour effectuer ses missions, nous a fait part de ses inquiétudes. Quels sont les moyens mis en oeuvre par le ministère pour effectuer ces tâches de surveillance et de contrôle ? Sont-ils suffisants ?

M. Stéphane Touzet, secrétaire national du secteur alimentation du SNTMA-FO. - Je suis affecté à la direction départementale de la cohésion sociale et de la protection des populations du Cher. Je suis en outre secrétaire national du Syndicat national des techniciens du ministère de l'agriculture, chargé de l'évolution des missions vétérinaires, de la formation continue des personnels, et des relations internationales : nous sommes en effet à l'origine de la création d'une association européenne regroupant les associations nationales des contrôleurs de l'alimentation, l'European Working Community for Food Inspection and Consumer Protection (EWFC). J'en ai été élu secrétaire général il y a quatre ans.

M. Patrick Foubert, trésorier général adjoint chargé du secteur abattoir (SNTMA-FO). - Je suis chef technicien à la direction départementale de la cohésion sociale et de la protection des populations d'Ille-et-Vilaine, inspecteur en protection animale dans la filière avicole, trésorier général adjoint du syndicat national, et trésorier de l'association EWFC.

M. Stéphane Touzet. - En tant que techniciens supérieurs de la spécialité alimentaire et vétérinaire, nous appartenons à un corps de catégorie B doté de pouvoirs de police et procédant à des inspections sur le terrain pour assurer la protection de la santé publique, de la fourche à la fourchette. En poste dans les abattoirs, les directions départementales interministérielles (DDI) ou les directions régionales, nous intervenons dans le domaine de la sécurité sanitaire et alimentaire de la protection animale et de celle de l'environnement.

Nous nous inquiétons du projet de réforme de notre formation. Actuellement, nous consacrons 61 jours lors de notre formation initiale aux bases scientifiques nécessaires à l'inspection vétérinaire ; nous y apprenons, par exemple à distinguer à l'oeil et au toucher la viande de cheval de la viande de boeuf. Or, cette formation devrait être ramenée à seulement 4 jours.

Mme Bernadette Bourzai, présidente. - Cette formation initiale peut-elle être complétée ?

M. Stéphane Touzet. - Un plan de formation à distance est prévu, avec des DVD ainsi que des tuteurs, parfois lointains et souvent happés par le quotidien. Il y a de quoi être inquiet. D'autant plus que depuis cinq ans, l'effectif total des techniciens stagne autour de 5 500. Nous sommes moins nombreux dans la spécialité vétérinaire et alimentaire, car les agents d'offices ou agences fermés ont surtout été reclassés dans les spécialités agricole et forestière.

M. Patrick Foubert. - Nous avons 2 500 techniciens dans la spécialité vétérinaire, dont la moitié en abattoir.

M. Stéphane Touzet. - Nous sommes revenus à 4 579 personnes contre 5 600 il y a dix ans.

M. Patrick Foubert. - Toutes catégories confondues, nous avons perdu un millier de personnes en cinq ans.

Mme Bernadette Bourzai, présidente. - Avez-vous ressenti l'effet de l'augmentation des crédits de 2013 ?

M. Stéphane Touzet. - On annonce 25 recrutements...

M. Patrick Foubert. - ... pour 100 départs à la retraite.

M. Stéphane Touzet. - On va remplacer le quart des départs. Je ne comprends pas cette arithmétique.

M. Jean-Jacques Mirassou. - Ne laissons pas penser que cette problématique n'intéresse que les services de l'État.

M. Stéphane Touzet. - J'espère bien !

M. Jean-Jacques Mirassou. - Le laboratoire départemental d'analyses de Haute-Garonne a joué un rôle déterminant en matière de lutte contre l'encéphalopathie spongiforme bovine (ESB). Travaillez-vous avec ces laboratoires ?

M. Stéphane Touzet. - Oui, depuis la séparation opérée en 1984, nous travaillons avec eux. Cependant, certains départements n'ont plus de laboratoire ; ailleurs, des lignes d'analyses sont régionalisées.

M. Jean-Jacques Mirassou. - La baisse des effectifs doit être replacée dans le contexte des diminutions opérées ces cinq dernières années.

M. Stéphane Touzet. - Nous en sommes au pic du baby boom.

M. Jean-Jacques Mirassou. - Le manque d'effectifs nous fait-il courir un risque de crise sanitaire ?

M. Stéphane Touzet. - Lors de l'épidémie de fièvre aphteuse, nous étions 30 dans les services vétérinaires du Cher. Nous avons travaillé 12 heures par jour, 7 jours sur 7 pendant un mois et demi. Si une telle crise se reproduisait, seulement 5 membres de l'équipe (4 techniciens et un vétérinaire) pourraient aller au feu.

M. Patrick Foubert. - Eh oui ! Nous fonctionnons comme une caserne de pompiers. Mieux vaut qu'elle ne soit pas déserte quand un incendie se déclare. A la diminution des effectifs, s'ajoute des pertes de compétences occasionnées par les départs en retraite. Certaines directions départementales interministérielles n'ont plus de vétérinaire, ce qui oblige par exemple les exportateurs à faire signer leurs certificats dans le département voisin. En cas de crise grave, nous gérerons le premier cas, pas les suivants. Nous avons alerté plusieurs fois le ministère.

M. Claude Bérit-Débat. - Quelle a été l'évolution des effectifs au cours des cinq dernières années ?

Patrick Foubert. - L'évolution du budget opérationnel de programme (BOP) n° 206, le programme de la sécurité sanitaire de l'alimentation, indique clairement la tendance à la baisse. En outre, les missions d'encadrement se sont alourdies au détriment des contrôles.

M. Stéphane Touzet. - Il y a 20 ans, un technicien faisait 80 % de contrôle pour 20 % de travail administratif. Nous en sommes aujourd'hui à 50-50. La pression des contrôles est pourtant un paramètre essentiel du niveau d'hygiène et du respect de la réglementation. Je comprends la nécessité de s'adapter aux nouvelles technologies ainsi qu'à l'évolution des règles du commerce, mais ce changement n'a jamais été pris en compte.

Le nombre de titulaires baisse. Mais nous travaillons encore beaucoup avec des vacataires, qui représentent parfois jusqu'à la moitié des effectifs dans un abattoir. Lors de la création du corps des techniciens supérieurs, celui des préposés sanitaires a été mis en voie d'extinction ; ils étaient encore 80. En 1998, ils étaient ...800, parce qu'on y avait intégré des vacataires qui ne pouvaient être titularisés comme techniciens, à l'occasion des différentes mesures de dé préconisation.

Mme Sylvie Goy-Chavent, rapporteure. - Concrètement, en quoi votre travail  consiste-t-il ? Est-il en voie d'être remplacé par les autocontrôles, ce qui me dérangerait ?

M. Patrick Foubert. -. Le paquet hygiène responsabilise les producteurs, mais les autocontrôles n'ont de valeur que s'ils sont validés par des contrôles officiels. On ne peut faire confiance aux seuls autocontrôles. Par exemple, les installations avicoles font l'objet une fois par an de contrôles physiques pour procéder à des prélèvements repérant d'éventuelles salmonelles.

M. Stéphane Touzet. - Les salariés des entreprises concernées sont très inquiets des conflits d'intérêts suscités par les autocontrôles. Les autocontrôles ne peuvent suffire. Il y a dix ans, notre administration avait donné la priorité au contrôle documentaire. A la grande époque du HACCP (Hazard analysis critical control point), nous allions très peu sur le terrain, ce qui allait bien entendu plus vite. Nous avions alors des problèmes avec des établissements qui avaient fait l'objet de rapports favorables, mais étaient souvent dans un état sanitaire lamentable. Notre travail consiste à chasser les fraudeurs et les contrevenants.

Mme Bernadette Bourzai, présidente. - Les salariés craignent peut-être de ne pas savoir réagir s'ils trouvaient du cheval à la place du boeuf  dans la mesure où c'est à leur directeur de l'entreprise qu'incombe la responsabilité des contrôles.

M. Stéphane Touzet. - Un manutentionnaire qui manipule des tonnes de produit n'est pas intégré dans un système d'assurance qualité. Mais dans tout plan HACCP, on doit contrôler les produits à l'arrivée et au départ. Certains salariés ne peuvent pas « ne pas savoir ». A l'occasion des travaux du Conseil national de l'alimentation sur l'articulation du paquet hygiène et du droit du travail français, les syndicats avaient demandé un droit d'alerte. Il leur a été refusé au motif que la responsabilité des contrôles était celle du directeur. Les salariés subissent des pressions terribles. Ils travaillent dans un secteur économique compliqué, très concurrentiel. Ils ont surtout peur de perdre leur emploi. De plus, le secteur alimentaire est le deuxième réseau de blanchiment d'argent, après les casinos.

Mme Sylvie Goy-Chavent, rapporteure. - Un rapport du Conseil général de l'alimentation de l'agriculture et des espaces ruraux (CGAAER) a pointé les dérives de l'abattage en France. M. Patrick Dehaumont, directeur général de l'alimentation, nous a déclaré que si ce rapport était partiel, il posait des questions pertinentes car nous sommes confrontés à une inflation du volume de bétail abattu de manière rituelle, sans étourdissement. Notez-vous une dérive des abattages sans étourdissement préalable, et présentent-ils un risque sanitaire accru ?

M. Patrick Foubert. - Oui, je pense qu'il y a inflation des abattages rituels, même si nous n'avons pas de données chiffrées. Cet abattage est même devenu la règle dans plusieurs abattoirs, puisque cette méthode évite aux industriels d'avoir à trier les carcasses. Il n'y a en effet pas de traçabilité du mode d'abattage.

Mme Sylvie Goy-Chavent, rapporteure. - Vous qui êtes sur le terrain, pouvez-vous nous dire ce que l'abattage rituel représente ?

M. Patrick Foubert. - J'ignore si un chiffrage a été effectué.

Mme Sylvie Goy-Chavent, rapporteure. - J'ai l'impression que c'est un peu l'omerta. Certains abattoirs sensés faire peu de rituel ont-ils basculé sur la généralisation de cette pratique, par souci de simplicité ?

M. Patrick Foubert. - En Bretagne, cela représente une part non négligeable de l'activité d'abattoirs qui en faisaient peu il y a encore quelques années. Il nous serait possible de mener une enquête auprès de nos collègues. Sur le plan sanitaire, dans la mesure où l'oesophage n'est pas ligaturé, cette pratique n'est pas sans risque...

Mme Sylvie Goy-Chavent, rapporteure. - Vous confirmez que l'oesophage ne peut pas être agrafé dans le cadre d'un abattage rituel ?

M. Patrick Foubert. -  Il ne peut pas l'être... ou il ne l'est pas au moment de la saignée.

M. Stéphane Touzet. - La pratique de la saignée est différente.

Mme Sylvie Goy-Chavent, rapporteure. - Ce n'est pas une saignée, c'est un égorgement.

M. Stéphane Touzet. - Notre syndicat n'a toutefois pas reçu d'alerte provenant de nos collègues.

Mme Sylvie Goy-Chavent, rapporteure. - Ne risque-t-on pas de contamination par l'escherichia coli ?

M. Patrick Foubert. - Il faudrait interroger l'agence nationale de sécurité sanitaire de l'alimentation (ANSES).

M. Stéphane Touzet. - J'ai travaillé dans un abattoir industriel qui pratiquait l'abattage rituel et je n'ai pas souvenir de problème particulier de contamination des carcasses. L'animal étant placé tête en bas, le sang monte à la tête. Il gicle à plusieurs mètres au moment de l'égorgement ; les choses ont donc davantage tendance à sortir qu'à entrer.

Mme Sylvie Goy-Chavent, rapporteure. - Dans certains abattoirs le rythme est rapide. Or le rite recommande de laisser l'animal tranquille pendant une certaine durée. Les animaux peuvent mettre de longues minutes à mourir. Lorsqu'il est pendu par les pattes de derrière, et peut-être encore conscient, il y a bien un risque d'écoulement du rumen sur la plaie ?

M. Stéphane Touzet. - Hors abattage rituel, lorsqu'on assomme un animal et qu'on ne le saigne pas, l'animal peut repartir ; si on le saigne mal, il gesticule...

Mme Sylvie Goy-Chavent, rapporteure. - Le matador ne tue pas ?

M. Stéphane Touzet. - Non, car l'intérêt est de saigner un animal vivant pour qu'il saigne bien. Nous y veillons. Pour cela il faut bien régler le matador ou l'appareil d'électronarcose.

Mme Sylvie Goy-Chavent, rapporteure. - En quoi le matador consiste-t-il exactement ?

M. Patrick Foubert. - C'est une tige en métal propulsée par une charge dans un tube, et qui percute le crâne de l'animal.

Mme Sylvie Goy-Chavent, rapporteure. - C'est irréversible ?

M. Patrick Foubert. - Si l'animal n'est pas mort, il a des lésions au cerveau dont il ne se remettra pas. L'électronarcose, elle, est réversible.

M. Stéphane Touzet. - Nous sommes là pour éviter que des animaux soient mal tués. Nous n'avons pas reçu d'alerte particulière à propos des abattages rituels.

Mme Bernadette Bourzai, présidente. - Avez-vous eu connaissance de risques de contamination ?

M. Stéphane Touzet. - Quand vous saignez un animal, des matières sortent de l'oesophage, ce qui contamine. De même, lorsqu'on l'égorge, il y a contamination par les poils. C'est inévitable, même si la Commission européenne veut supprimer certaines incisions réglementaires des porcs afin de limiter les risques de contamination.

M. Patrick Foubert. - L'Anses a-t-elle été saisie ?

Mme Bernadette Bourzai, présidente. - Nous leur poserons la question lorsque nous les recevrons.

M. Patrick Foubert. - Dans les abattoirs, nous procédons à une inspection sanitaire. Systématique, l'inspection ante-mortem consiste en l'identification des animaux, souvent déléguée aux industriels, en une inspection de leur état et en un contrôle du respect des règles du bien-être animal aux différentes étapes. Ces deux dernières opérations requièrent un contrôle visuel permanent. L'inspection post-mortem est un examen des carcasses au regard des règles du paquet hygiène et en vue d'autoriser leur mise sur le marché.

Mme Bernadette Bourzai, présidente. - Toutes les carcasses ?

M. Patrick Foubert. - Oui, sauf en volaille compte tenu des cadences : 80 bovins à l'heure, jusqu'à 850 porcs, et 10 à 15 000 volailles.

M. Stéphane Touzet. - En vitesse de pointe...

Mme Sylvie Goy-Chavent, rapporteure. - Est-ce le rythme de l'abattage ou bien celui des contrôles ?

Patrick Foubert. - Les deux, puisqu'il s'agit d'un travail posté ; nous sommes assis à côté de l'opérateur de l'abattoir.

Mme Sylvie Goy-Chavent, rapporteure. - Et le lapin ?

M. Patrick Foubert. - C'est un lagomorphe que nous exportons dans le monde entier.

M. Stéphane Touzet. - Il relève de la réglementation applicable aux volailles. Dans certains abattoirs, nous ne sommes pas en mesure d'effectuer les contrôles règlementaires car les cadences sont trop rapides, ce qui n'empêche pas qu'un agent procède à l'inspection visuelle des carcasses. Un projet de règlement tend à officialiser l'inspection visuelle des porcs. Elle devrait en principe se limiter à des animaux élevés en milieu clos ou dans une exploitation bénéficiant d'une qualification particulière. L'objectif est d'assouplir le droit pour le mettre en conformité avec la pratique.

Mme Bernadette Bourzai, présidente. - Vous mettez tout de même un tampon ?

M. Patrick Foubert. - Dans beaucoup d'abattoirs il est apposé par l'industriel. Selon les nouvelles règles, la redevance sanitaire est modulée en fonction du respect par l'abattoir du niveau d'hygiène correspondant à sa catégorie, de la délégation d'estampillage - l'industriel qui appose le tampon paye une redevance moindre -, et du respect du protocole-cadre signé entre les représentants du préfet et l'abattoir. Ces protocoles qui portent sur les équipements, les locaux ou les horaires de travail sont de véritables usines à gaz... Notre syndicat, qui s'était beaucoup impliqué dans leur négociation, regrette leur adoption précipitée à la fin de l'année dernière, sous la pression des entreprises.

Nos collègues en abattoirs travaillent 32 heures par semaine en raison de l'humidité, des horaires décalés, du bruit... Ces conditions difficiles expliquent que beaucoup souffrent de troubles musculo-squelettiques (TMS) qui imposent des reclassements.

M. Stéphane Touzet. - Les volailles ont servi de variable d'ajustement aux services vétérinaires à tel point que nous avons failli perdre notre agrément après une inspection de la Commission européenne. La France a demandé une dérogation : son projet de mode alternatif d'inspection des volailles a été validé par la Commission, qui a toutefois signifié qu'il manquait 160 agents équivalents temps plein (ETP) pour le mettre en oeuvre.

M. Patrick Foubert. - Ces règles ne concernent pour l'instant qu'une dizaine d'établissements-pilotes, mais le projet a vocation à être étendu.

M. Stéphane Touzet. - Nos collègues allemands et britanniques nous ont appris que toutes leurs inspections ante-mortem sont effectuées par des vétérinaires et que toutes les carcasses de bêtes abattues sont contrôlées par des inspecteurs officiels. La France n'est plus une référence.

Nous réalisons également des tests spécifiques (trichine, tremblante, ESB). Dans les abattoirs nous procédons aussi, dans le cadre des plans de surveillance et de contrôle, à des prélèvements par lesquels nous recherchons la présence de médicaments ou d'activateurs de croissance.

Outre ces contrôles systématiques, nous effectuons des contrôles aléatoires : utilisation des sous-produits, température des carcasses avant leur départ, locaux, bon fonctionnement du matériel d'abreuvage, d'arrosage, d'anesthésie..., conditions de transport et nettoyage des véhicules après le transport.

Appliquées quant à elle à la fois aux abattoirs et aux ateliers de découpe, les inspections complètes portent sur le respect des règles d'hygiène, du plan HACCP et des systèmes de traçabilité. Mené dans le cadre de plan de maitrise sanitaire associant contrôle documentaire et inspection sur place, ils donnent lieu à une visite tous les un ou deux ans.

Patrick Foubert. - La programmation des visites dépend de l'analyse des risques pour chaque établissement et des effectifs disponibles.

M. Stéphane Touzet. - Pour les établissements de troisième et de quatrième transformation, les contrôles s'effectuent dans le cadre du plan de maitrise sanitaire. La programmation des contrôles repose sur une formule de calcul prenant en compte plusieurs paramètres liés à l'établissement. Chacun d'entre eux est ensuite classé en fonction des axes de contrôles définies par le ministère, ce dernier privilégiant actuellement la prévention sur la répression et l'amélioration. Au final, nous visitons les établissements de catégorie 1 et 2, ceux qui présentent le moins de risques, une fois tous les trois ans, contre deux contrôles par an dans les établissements de la catégorie 4.

Mme Bernadette Bourzai, présidente. - Ces contrôles sont-ils inopinés ?

M. Stéphane Touzet. - Cela dépend du préfet, du contexte local ainsi que de la possibilité d'opérer les contrôles documentaire et physique lors de la même visite. Nos collègues ont parfois instruction de ne pas se rendre dans certains établissements sans avoir pris rendez-vous alors que nous pouvons aller où nous voulons quand nous le voulons. Les plannings sont toujours très tendus : en cas de maladie d'un collègue, les autres ne peuvent reprendre tous ses contrôles.

Mme Sylvie Goy-Chavent, rapporteure. - Dans la mesure où vous contrôlez chaque carcasse, vous avez toujours quelqu'un dans les abattoirs ?

Patrick Foubert. - Tout à fait.

M. Stéphane Touzet. - Avant la dérogation accordée en 2006, il aurait même fallu que nous soyons présents en permanence dans les ateliers de découpe. Nous n'y allons qu'une fois par an ou tous les 3 ans, avec les conséquences sur l'efficacité de notre travail que vous imaginez.

Mme Bernadette Bourzai, présidente. - Je vous remercie de ces informations.

Audition de M. Michel Baussier, président du Conseil supérieur de l'ordre des vétérinaires

Mme Bernadette Bourzai, présidente. - Nous avons le plaisir de recevoir le Conseil national de l'ordre des vétérinaires.

Mme Sylvie Goy-Chavent, rapporteure. - Il nous paraît très important d'avoir l'avis de scientifiques. Pourriez-vous d'abord nous décrire les missions et le rôle de votre organisme au sein de la filière viande, notamment en ce qui concerne les contrôles sanitaires, le bien-être animal, et l'abattage.

M. Michel Baussier, président du Conseil supérieur de l'ordre des vétérinaires - Notre organisation rassemble les 17 000 vétérinaires qui exercent en tant que libéraux du secteur privé. Elle ne comprend donc pas les 2 000 vétérinaires-inspecteurs de santé publique qui sont des fonctionnaires. Les 17 000 vétérinaires inscrits au tableau de l'ordre sont régis par un code de déontologie. 15 000 d'entre eux sont des médecins et chirurgiens des animaux, mais on trouve aussi des vétérinaires salariés dans les industries pharmaceutique et agroalimentaire, ainsi que dans la grande distribution, à titre de qualiticiens.

L'ordre des vétérinaires est l'un des 16 ordres professionnels français. Il bénéficie de prérogatives de puissance publique, son accès est réglementé et son code de déontologie a fait l'objet un décret en Conseil d'État. Les 20 conseils régionaux de l'ordre ont des liens étroits tant avec le préfet qu'avec le procureur de la République. Ils sont élus par les vétérinaires de la région, et comptent 6 à 14 membres eux-mêmes vétérinaires. Au niveau national se réunit un conseil national de l'ordre. Cette organisation, fixée par les lois du 23 août 1947 puis du 22 juin 1989 a vieilli mais la prochaine loi d'avenir de l'agriculture devrait intégrer des dispositions visant à la moderniser.

L'ordre a un rôle administratif, avec notamment l'établissement des tableaux de l'ordre. Il est systématiquement consulté par le Gouvernement pour l'élaboration de certains textes réglementaires, en particulier ceux qui ont trait à la santé animale. L'ordre a aussi un rôle disciplinaire puisqu'il est le garant de la bonne application du code de déontologie par les vétérinaires. Il agit sur plainte et peut être saisi par tout intéressé, même s'il l'est généralement par le ministre chargé de l'agriculture ou par les préfets. Dès 1947, ce sont des magistrats professionnels de l'ordre judiciaire qui ont dirigé ses chambres de discipline régionales et nationale. Dès 1989, ce n'est qu'après une large consultation des usagers - syndicats agricoles, associations de protection animale - de la profession que le code de déontologie a été adopté. Il a un rôle social qui prend davantage d'importance aujourd'hui avec la crise économique, car des drames, notamment des suicides, se produisent, avec une augmentation du nombre de liquidations judiciaires de cabinets vétérinaires. C'est pourquoi nous cherchons à mettre en place des systèmes de détection des vétérinaires en difficulté. Il a enfin un rôle de représentation.

Mme Bernadette Bourzai, présidente. - Pouvez-vous nous parler du dispositif de sécurité sanitaire ?

M. Michel Baussier. - En ce qui concerne la sécurité sanitaire de la viande, l'inspection dans les abattoirs est effectuée par les vétérinaires-inspecteurs de santé publique qui sont des fonctionnaires et non par les vétérinaires que l'ordre a pour mission de représenter. Ce sont ces vétérinaires-inspecteurs de santé publique qui élaborent la réglementation sanitaires et la font appliquer aux niveaux départemental et régional. Depuis l'été dernier, les vétérinaires libéraux peuvent se voir confier des missions par l'État qui leur attribue une habilitation sanitaire ou mandat sanitaire. Ils accomplissent alors des missions de service public dans les exploitations agricoles, par exemples lors de campagnes de vaccination. Ils peuvent suivant les cas être rémunérés à l'acte par les éleveurs ou par l'État lui-même. Les vétérinaires sont donc de plus en plus conduits à intervenir en relation très étroite avec l'État.

Les vétérinaires interviennent aussi dans la sécurité sanitaire de la viande dans le cadre de leur activité libérale. Car bien avant l'inspection sanitaire des carcasses, les vétérinaires libéraux veillent au quotidien sur la santé des animaux, chez les éleveurs, à travers toutes les missions traditionnelles qui sont les leurs : diagnostic des maladies, prescription et administration des médicaments, en prenant garde à ce que la dose ne soit jamais excessive pour éviter les résidus médicamenteux. Ils entretiennent des liens très étroits avec les éleveurs dont ils assurent la formation et l'information. On trouve aussi des vétérinaires salariés dans des grosses coopératives de production. Les bonnes pratiques des vétérinaires ont un rôle déterminant mais méconnu dans la sécurité sanitaires des aliments et dans la santé publique. Ils interviennent par contre très peu sur les ovins puisque les éleveurs de cette filière font très peu appel à eux : il peut en résulter des risques pour la santé animale. Ils interviennent aussi assez peu dans les élevages porcins mais la sécurité sanitaire y est bien assurée grâce à des techniciens bien formés.

Je crois qu'aujourd'hui le vétérinaire se préoccupe encore plus de la santé humaine que de la santé animale. Lorsque le métier de vétérinaire est apparu sous le règne de Louis XV avec la création de l'école vétérinaire de Lyon, l'objectif de cette nouvelle profession était de lutter contre les maladies dont souffraient les animaux d'élevage, afin d'éviter les famines. A la fin du XIXème siècle, les vétérinaires ont pris conscience qu'il ne serait possible de garantir la qualité et l'innocuité de la viande que par une connaissance approfondie de l'animal et de ses maladies. C'est aussi à cette période que l'évolution des sensibilités conduit le Parlement à voter pour la première fois une loi de protection animale - la loi de Grammont - interdisant de leur administrer publiquement de mauvais traitements. Les deux objectifs de protection de la santé animale et de protection de la santé humaine ont donc toujours été indissolublement liés et sont au coeur des missions de notre profession.

Le bien-être animal est pour nous une problématique essentielle. Les animaux doivent être bien nourris, bien logés et bien soignés. Dans cette optique, il est capital pour les éleveurs de prendre le temps de choyer leurs animaux, ce qui était sans doute plus aisé par le passé, avant que le mouvement de concentration des élevages ne fasse sentir ses effets. Le problème du bien-être des animaux à l'abattoir n'est pas du ressort des vétérinaires libéraux, ce sont les vétérinaires inspecteurs de santé publique qui contrôlent dans les abattoirs la qualité du traitement des animaux et qui peuvent alerter les pouvoirs publics sur d'éventuels mauvais traitements.

Mme Bernadette Bourzai, présidente. - Avez-vous un droit d'alerte si vous constatez de mauvaises pratiques dans un élevage ?

M. Michel Baussier. - Les vétérinaires libéraux veillent bien sûr à la bonne qualité des soins reçus par les animaux dans les élevages, en faisant oeuvre de pédagogie vis-à-vis des éleveurs qui maltraiteraient leurs animaux, puis en alertant la direction départementales des services vétérinaires, devenue partie intégrante des Directions départementales de la protection des populations, en cas de persistance de ces mauvais traitements.

Mme Sylvie Goy-Chavent, rapporteure. - Pouvez-vous nous parler du problème de la surconsommation d'antibiotiques par les animaux, qui peut donner lieu à la présence de résidus médicamenteux dans la viande ?

M. Michel Baussier. - Des problèmes de résidus peuvent se poser, mais il sont lié avant tout à des fraudes, comme dans le cas de cette viande de cheval anglaise qui contenait de la phénylbuthazone.

En ce qui concerne la délivrance excessive d'antibiotiques aux animaux et le problème des résidus médicamenteux, je crois que les éleveurs et les vétérinaires constituent aujourd'hui des tandems efficaces, qui travaillent bien. Ils respectent les délais d'attentes pour ne pas administrer un médicament à un animal peu de temps avant son abattage, avec le risque de trouver des traces de ce médicament dans la viande. Ce type de difficulté se produit de moins en moins en France, de gros progrès ayant été accomplis depuis 30 ans.

L'enjeu crucial est de convaincre les pays les moins vertueux en matière d'utilisation excessive d'antibiotiques. Plus de la moitié des antibiotiques utilisés dans le monde le sont sans visée thérapeutique, tant pour les végétaux que pour les animaux, et ont une fonction d'accélérateur de croissance. Cela pose une vraie difficulté dans la mesure où les animaux sont ensuite plus résistants au traitement par antibiotique. Depuis 2006, l'utilisation des antibiotiques comme facteur de croissance est de ce fait interdite dans l'Union Européenne. Nous réclamons en outre leur retrait immédiat des programmes sanitaires d'élevage. Leur usage doit être réduit et exclusivement prophylactique ou curatif.

En France, les vétérinaires utilisent encore un peu trop les antibiotiques mais nous avons accompli d'importants progrès puisque nous utilisons 30 % d'antibiotiques en moins depuis le début des années 1990. Ces progrès ce sont accélérés récemment avec une baisse de 10 % en 2011 selon un rapport de l'Agence nationale de sécurité sanitaire de l'alimentation, de l'environnement et du travail (ANSES). Notre objectif est de parvenir à une réduction de 25 % sur 5 ans. Les médecins et les vétérinaires ont longtemps trop utilisé les antibiotiques mais une vraie prise de conscience s'est opérée.

Mme Sylvie Goy-Chavent, rapporteure. - Quelles sont les différences entre l'abattage avec étourdissement et l'abattage rituel ?

M. Michel Baussier. - Il existe deux grands modes d'abattage, avec et sans étourdissement. Dans les années 1960, un premier décret a imposé l'étourdissement et n'a accepté l'abattage sans étourdissement que comme une exception à titre rituel. Cette tolérance ne me paraît plus acceptable dans la France et l'Union Européenne de 2013. Il est possible aujourd'hui de respecter les rites tout en étourdissant les animaux. D'ailleurs, les populations musulmanes sont elles aussi hostiles à la souffrance animale et de nombreux pays musulmans pratiquent l'étourdissement.

L'abattage sans étourdissement existe depuis longtemps et il ne semble pas qu'il ait provoqué des désordres sanitaires. Toutefois, il est vrai que la souillure à l'encolure provoquée par le jus de rumen en cas d'égorgement peut présenter des risques. Cette tolérance pour des méthodes peu satisfaisantes m'apparaît comme une anomalie au regard des exigences présentes en matière d'hygiène à toutes les autres étapes de la production de viande. Il est en outre irréfutable que les animaux souffrent lors de ces mises à mort : des études de l'Institut national de la recherche agronomique (INRA) sont venues le montrer, mais la simple observation des animaux est déjà éloquente.

Mme Sylvie Goy-Chavent, rapporteure. - Un directeur d'abattoir m'a dit qu'il avait vu des animaux égorgés sans étourdissement dans des conditions particulièrement pénibles. Qu'en est-il ?

M. Michel Baussier. - Ce type de scènes se produisent d'autant plus régulièrement qu'une dérive existe conduisant à abattre rituellement les animaux même lorsque la viande est ensuite consommée dans les circuits de commercialisation non rituels : les trois quarts des ovins sont aujourd'hui abattus rituellement. L'abattage rituel entraîne un nombre réduit de manipulations et permet une accélération des cadences. Cela peut donner lieu à des scènes insoutenables avec par exemple des animaux dépecés alors qu'ils sont encore vivants. Ce système tend hélas à se généraliser parce qu'il permet de produire plus vite, et par conséquent de faire plus de profits.

Mme Sylvie Goy-Chavent, rapporteure. - Ces situations entraînent un grand stress chez les animaux. Cette souffrance a-t-elle une incidence sur la qualité de la viande, risque-t-elle de contenir des toxines ?

M. Michel Baussier. - Tout surmenage de l'animal entraîne une dégradation de la qualité de la viande. C'est pourquoi les bons éleveurs s'attachent à ce que leurs animaux arrivent jusqu'à l'abattage sans stress. Il faut convaincre les populations concernées de France d'accepter les méthodes d'abattage qui se pratiquent partout ailleurs. De plus, les consommateurs veulent connaître les conditions de l'abattage des animaux et bénéficier d'un étiquetage complet. Au minimum, l'étiquetage doit permettre d'identifier le système d'abattage.

Mme Sylvie Goy-Chavent, rapporteure. - Cela est vrai de tous les consommateurs, car nombre de consommateurs musulmans se plaignent aujourd'hui de ne pas avoir l'assurance que la viande qu'ils consomment est bien halal. Il faut restaurer la confiance de tous les consommateurs.

Audition de M. Jacques Roux, président, Mmes Carole Galissand, présidente de la commission nutrition, Sarah Etcheverry, membre de la commission de la sécurité alimentaire et M. Dominique Bénézet, délégué général du syndicat national de la restauration collective (SNRC)

Mme Bernadette Bourzai, présidente. - Le Syndicat national de la restauration collective (SRNC) représente une activité qui fournit un débouché majeur à la production de viande. Nous sommes impatients de connaître leurs positions.

Mme Sylvie Goy-Chavent, rapporteure. - La restauration collective fournit des repas dans les écoles, dans les hôpitaux et cliniques, dans les prisons, dans les entreprises. Combien de repas servez-vous au total chaque jour ? Quelle proportion de produits carnés les repas servis contiennent-ils ? Quelles garanties assurent-ils au consommateur, notamment s'agissant de la traçabilité des produits utilisés ?

M. Jacques Roux, président du SNRC. - Permettez-moi tout d'abord de vous présenter l'organisation du SNRC. Celui-ci est composé d'un président, d'un délégué général et de cinq collaborateurs. Ces collaborateurs sont placés à la tête de cinq commissions techniques (ressources humaines, formation, aspects juridiques et techniques, sûreté alimentaire, nutrition) et ont une expertise particulière dans chacun de ces domaines au sein de l'entreprise dans laquelle ils travaillent. C'est au sein de ces commissions techniques que sont assurées l'instruction et la préparation des préconisations que nous formulons.

Le SNRC représente l'ensemble de la profession de la restauration collective, soit environ 90 000 salariés qui travaillent dans les hôpitaux et cliniques, les écoles, les prisons, les entreprises. La restauration collective présente quelques spécificités par rapport à la restauration commerciale : elle accorde une attention particulière à l'équilibre nutritionnel des repas qu'elle sert. Le prix de ces repas présente un caractère social. Sa restauration collective est soumise à un régime fiscal particulier. Elle doit aussi obéir à des obligations très strictes en matière de sécurité alimentaire. Il s'agit par ailleurs d'une restauration par délégation : nous travaillons en fonction d'un cahier des charges défini par nos clients.

Dans son ensemble, la restauration hors foyer (RHF) représente 7 milliards de repas par an pour un chiffre d'affaires de 67 milliards d'euros. La restauration commerciale et la restauration collective servent toutes deux 50 % de ces repas, pour un chiffre d'affaires respectif de 48 milliards et 19 milliards d'euros. Pour un nombre de repas servis équivalent à celui de la restauration commerciale, le chiffre d'affaires de la restauration collective est donc très inférieur, ce qui témoigne du caractère social de ses tarifs. Le coût moyen de revient hors taxes de nos repas s'établit à 4,70 euros, une partie de leur prix étant prise en charge par la collectivité ou par l'employeur pour lequel nous travaillons. 60 % du chiffre d'affaires de la restauration collective est réalisé en régie, tandis que les cuisines centrales n'en représentent que 10 %.

Mme Carole Galissand, présidente de la commission nutrition du SNRC. - Il est très difficile de vous donner un chiffre exact sur la proportion de produits carnés contenue dans nos repas, dans la mesure où nous ne disposons pas de chiffres compilés sur la RHF. Selon les estimations, la RHF ne représenterait au total que 25 % de la consommation de viande. La consommation de produits carnés en restauration collective représenterait quant à elle un quart de ces 25 %. La majorité de la consommation de viande passe par les achats des consommateurs en grandes et moyennes surfaces et en boucherie.

Mme Sylvie Goy-Chavent, rapporteure. - Nous avons reçu l'interprofession porcine Inaporc qui nous a indiqué que la restauration collective n'utiliserait plus de porc pour confectionner ses repas. Que pouvez-vous nous dire sur ce point ?

Mme Carole Galissand. - Il est vrai que sur le terrain, il est parfois nécessaire de prévoir des régimes sans porc en raison des pratiques cultuelles, principalement en prison et en milieu scolaire. La problématique des produits halal constitue cependant une vraie nouveauté. Certains cahiers des charges demandent que la viande soit proposée à une fréquence moindre, ou même des menus sans viande. Dans les hôpitaux et cliniques ainsi que dans les entreprises, grâce à la variété des menus proposés, les demandes figurant sur ce point dans les cahiers des charges sont moins fortes.

Mme Sylvie Goy-Chavent, rapporteure. - Ces pratiques ne favorisent pas la filière viande. Pourrait-on imaginer que l'on consomme davantage de viande en restauration collective si l'ensemble des produits utilisés étaient halal ?

Mme Carole Galissand. - Il faudrait pour cela que les collectivités acceptent de se confronter directement à la question religieuse. La prise en compte des pratiques cultuelles dans l'élaboration des menus est en réalité le plus souvent indirecte et n'est pas explicitement indiquée dans les cahiers des charges.

La baisse de la consommation de viande en restauration collective résulte également d'autres facteurs. Certains de nos clients qui se préoccupent du développement durable nous demandent ainsi des menus contenant moins de viande. Par ailleurs, en raison des recommandations du Programme national nutrition santé (PNNS), la tendance est à la baisse des grammages de viande dans les repas. La consommation de viande hachée en particulier est en diminution car nous recevons davantage de demandes de viandes en morceaux.

Mme Sylvie Goy-Chavent, rapporteure. - La prise en compte des pratiques alimentaires cultuelles par les collectivités dépend de leur position ; certaines choisissent de privilégier la laïcité. Ce retour du religieux dans l'assiette est-il un phénomène récent ?

Mme Carole Galissand. - C'est un phénomène qui va en s'accentuant. Une modification de la consommation peut également concerner d'autres viandes pour des raisons différentes : suite au scandale de l'encéphalopathie spongiforme bovine (ESB), on nous a demandé des menus sans boeuf pendant des mois, parfois même pendant des années.

M. Jacques Roux. - La viande de porc représente tout de même un cas particulier. En restauration collective comme en restauration commerciale, nous avons toujours su que des réticences pouvaient s'exprimer sur cette viande particulière et qu'il fallait nous montrer prudent. Au-delà des raisons religieuses, ces réticences s'expliquent également par l'image négative du porc dans la population : on se le représente encore comme l'animal qui mange de tout.

Mme Carole Galissand. - Cette situation pose problème sur un plan nutritionnel. Certains enfants risquent de ne manger qu'une entrée et un fromage et d'aller en classe le ventre vide.

M. Jacques Roux. - Il faut souligner que nous avons une grande responsabilité en matière de nutrition : bien souvent, le repas pris en restauration collective est le seul repas équilibré de la journée. Devons-nous privilégier l'équilibre nutritionnel des enfants ou le principe de laïcité ? Voilà une question difficile à trancher.

Mme Bernadette Bourzai, présidente. - Au cours d'une précédente audition, la Confédération française de la boucherie, charcuterie et traiteurs (CFBCT) nous a indiqué que les ventes de viande de cheval dans les boucheries étaient en hausse. Certains de vos clients vous demandent-ils de proposer de la viande de cheval dans vos menus ?

M. Jacques Roux. - En 45 ans de métier, je n'ai jamais reçu une telle demande.

Mme Sylvie Goy-Chavent, rapporteure. - Vos clients vous demandent-ils de confectionner des menus bio ?

Mme Carole Galissand. - A l'heure actuelle, cette demande ne concerne que les fruits et les légumes, pour lesquels on a enregistré un très fort intérêt depuis le Grenelle de l'environnement. Cela s'explique sans doute par le fait que le caractère bio de ces produits peut-être constaté visuellement, alors que ce n'est pas le cas pour la viande. Cette demande émane davantage des collectivités que des entreprises, qui mènent plutôt des opérations ponctuelles de sensibilisation. Nous n'enregistrons en revanche aucune demande de ce type dans le milieu de la santé.

Mme Bernadette Bourzai, présidente. - Quelles sont vos filières d'approvisionnement ?

Mme Sarah Etcheverry, membre de la commission de la sécurité alimentaire. - Les protéines animales que nous utilisons proviennent de France et de l'Union européenne (UE). Nos approvisionnements sont très majoritairement français pour le porc et la volaille lorsque le marché le permet. La viande de boeuf de nos repas est en revanche majoritairement d'origine européenne. La viande ovine est sans doute celle pour laquelle nous utilisons le plus de produits importés, principalement néo-zélandais. Nous définissons dans nos cahiers des charges les pays d'origine à privilégier pour des raisons de sécurité alimentaire.

M. Jacques Roux. - L'intoxication alimentaire est à éviter à tout prix pour une entreprise de restauration collective : un tel épisode peut en effet durablement ternir une réputation. C'est pourquoi nous sommes particulièrement vigilants dans le choix de nos fournisseurs. C'est la sécurité alimentaire davantage que la qualité des produits qui fonde nos choix.

Mme Sarah Etcheverry. - Dans ma société, nous utilisons deux circuits d'approvisionnement. Si nous avons une demande spécifique sur des produits régionaux, nous avons recours à des sociétés d'abattage et de découpe qui livrent directement nos restaurants. Nous disposons pour tous les autres produits d'une plateforme centrale par laquelle nos fournitures transitent et qui livre l'ensemble de nos restaurants.

M. Jacques Roux. - L'organisation logistique de la restauration collective est particulièrement délicate. Nous devons faire livrer chacun de nos restaurants en petites quantités dans la mesure où nos menus changent tous les jours. Le recyclage des produits est en outre impossible puisque la très grande majorité de nos restaurants ne fonctionnent que pour le repas de midi. De ce fait, nos livraisons sont très fréquentes : certains restaurants sont livrés tous les jours.

Pour autant, sur l'ensemble de leurs restaurants, les entreprises de restauration collective commandent des volumes importants d'un même produit, qu'il nous est parfois difficile de trouver à proximité. C'est pourquoi il nous faut parfois recourir à l'importation.

Mme Carole Galissand. - Ces difficultés d'approvisionnement concernent surtout les produits bio, bien que les filières s'améliorent.

M. Dominique Bénézet, délégué général du SNRC. - En outre, lorsqu'un producteur nous fournit certains morceaux de viande particuliers en quantité importante, il doit pouvoir écouler le reste de ses carcasses dans le même temps, ce qui n'est pas toujours facile.

Mme Sylvie Goy-Chavent, rapporteure. - Vos approvisionnements passent-ils par des circuits courts ?

Mme Carole Galissand. - L'approvisionnement de nos restaurants par circuits courts est possible, mais souvent complexe. Il nécessite l'instauration de partenariats avec les éleveurs.

Mme Sarah Etcheverry. - Cette complexité résulte notamment du fait que les bassins de production ne sont pas les mêmes pour l'ensemble des restaurants.

Mme Sylvie Goy-Chavent, rapporteure. - Quelles tendances observez-vous en matière de consommation de viande, en quantité comme en qualité ? Estimez-vous que le poste viande est le premier pénalisé dans la confection de vos menus ?

Mme Carole Galissand. - Nous établissons nos menus en observant le cahier des charges défini par nos clients. Les grammages utilisés en pratique tendent à se réduire pour se rapprocher de plus en plus des standards préconisés par le groupement d'étude des marchés en restauration collective et nutrition (GEM-RCN), qui s'élèvent à 50 g pour un enfant de maternelle, 70 g pour un enfant à partir de l'école primaire et 100 g pour un adulte. Depuis les années 2000, le PNNS est utilisé comme référence par les collectivités.

Ces grammages ne correspondent pas aux attentes de nos clients, qui consomment des portions plus importantes dans le cadre de la restauration à domicile. Ils ne correspondent pas toujours non plus à la présentation des produits français ; c'est pourquoi nous sommes parfois contraints d'importer des produits.

Dans les entreprises, le plat garni reste un incontournable. Les évolutions concernent davantage la consommation des plats périphériques (entrée, fromage, dessert).

Au total, on peut considérer que l'utilisation de viande devrait rester importante en restauration collective dans la mesure où le point fort de celle-ci est de proposer le seul repas équilibré de la journée pour la plupart de ses clients.

S'agissant de la qualité des produits que nous utilisons, nous avons noté une évolution de la demande émanant de certaines communes depuis le scandale de l'ESB. Certaines réclament ainsi des races particulières pour la viande bovine (charolaise par exemple), ou des labels de qualité comme le label rouge pour la volaille.

Mme Sylvie Goy-Chavent, rapporteure. - Quelle est votre position en matière d'étiquetage des produits carnés ?

M. Jacques Roux. - Le terme d'étiquetage est impropre dans le cadre de la restauration collective. L'information du consommateur passe en effet par d'autres supports. Nous informons bien évidemment nos clients de l'origine des produits bruts que nous utilisons. Si cela nous était techniquement possible, nous ne serions pas opposés à indiquer également l'origine de nos ingrédients transformés - auxquels nous avons cependant peu recours - afin de rassurer nos consommateurs. Nous constatons cependant que nos clients ne lisent pas toujours les informations que nous affichons ...

Mme Sylvie Goy-Chavent, rapporteure. - L'important est que cette information existe et qu'on puisse la trouver si on le désire.

Mme Bernadette Bourzai, présidente. - Nous avons en effet l'impression qu'il existe un réel désir de transparence sur l'origine des produits transformés. Utilisez-vous du minerai de viande ?

M. Jacques Roux. - Nous n'achetons pas de minerai de viande pour l'utiliser directement dans nos cuisines : la viande que nous servons est achetée à la découpe. Certains des produits transformés que nous servons sont confectionnés à partir de minerai de viande, comme par exemple les raviolis de boeuf ou les nuggets de poulet. Nous commençons cependant à nous organiser pour ne plus être confrontés au problème de traçabilité de ces produits.

Mme Bernadette Bourzai, présidente. - Pouvez-vous nous décrire les contrôles effectués en restauration collective ? Comment contrôlez-vous vos fournisseurs ? Vos restaurants réalisent-ils des autocontrôles ? Quelle est la place des contrôles effectués par les administrations ?

Mme Sarah Etcheverry. - Nous avons un processus très rigoureux de sélection de nos fournisseurs qui inclut notamment des audits préalables sur place. Nous assurons ensuite un suivi tout au long de notre relation commerciale en effectuant des contrôles réguliers. Nous demandons en outre à nos fournisseurs de réaliser des autocontrôles régulièrement.

M. Jacques Roux. - Une société de restauration collective effectue environ 80 000 à 100 000 contrôles par an. 15 000 audits de fournisseurs sont également réalisés annuellement.

Mme Sylvie Goy-Chavent, rapporteure. - Il est normal que la fréquence de vos contrôles soit aussi importante, puisque vous êtes le lien direct entre les filières de production et les consommateurs. En cas de problème, vous êtes placés en première ligne.

M. Jacques Roux. - Une partie de ces contrôles est prévue dans nos cahiers des charges. Les contrôles administratifs sont beaucoup moins nombreux. La France compte 70 000 entreprises de restauration collective, que les services administratifs n'ont bien entendu pas les moyens de contrôler régulièrement. De ce fait, une entreprise est contrôlée une fois tous les deux ans en moyenne.

Mme Carole Galissand. - Les contrôles administratifs peuvent être plus fréquents lorsqu'ils sont ciblés, par exemple sur les entreprises qui servent un nombre de couverts particulièrement important.

M. Jacques Roux. - J'aimerais aborder en dernier lieu la question des cuisines centrales. L'utilisation d'une cuisine centrale revient simplement à décaler géographiquement le lieu où l'on cuisine par rapport au lieu où les repas sont servis, le plus souvent en raison d'un manque de place. Il ne faut pas confondre le fonctionnement d'un restaurant en cuisine centrale et l'utilisation de plats cuisinés et surgelés : les plats livrés par ces cuisines sont confectionnés avec les mêmes ingrédients que dans une cuisine intégrée au restaurant et consommés le jour même où ils sont cuisinés.

Mme Bernadette Bourzai., présidente. - Nous vous remercions pour ces précieuses informations et pour votre enthousiasme.

Audition de MM. Dominique Davy, président, Albert Merlet, vice-président, Pierre-Louis Gastinel, secrétaire général, Jean-Paul Guibert, administrateur de France Génétique Élevage (FGE) et Bernard Roux, Vice-président de Races de France

Mme Bernadette Bourzai, présidente. - Notre objectif est de faire la transparence sur la filière viande en raison du scandale récent résultant de la substitution entre les viandes de cheval et de boeuf. Il s'agit également, pour nous, de rechercher des pistes d'amélioration de la situation des éleveurs aujourd'hui en grande difficulté.

Mme Sylvie Goy-Chavent, rapporteure. - Comment se situe la France par rapport aux autres pays en matière de génétique animale ?

M. Dominique Davy, Président de France Génétique ÉlevageFrance Génétique Élevage (FGE) associe l'ensemble des acteurs du monde de l'élevage. Nous poursuivons six axes prioritaires : le traitement des données et les systèmes d'information sur les animaux, le soutien à la recherche et à l'innovation qui conditionnent la compétitivité de notre élevage, la communication et la reconnaissance de la génétique qui contribuent à répondre aux grandes questions posées à l'élevage par la société, la place de la génétique française à l'international et dans les partenariats européens, la défense des ressources nécessaires au fonctionnement de la mutualisation des données, pour garantir le caractère collectif de notre dispositif et enfin l'amélioration du fonctionnement interne de notre organisation interprofessionnelle.

M. Pierre-Louis Gastinel, secrétaire général de France génétique élevage. - Il est important de préciser que les utilisateurs de la génétique, c'est-à-dire les éleveurs, sont représentés FGE afin de prévenir toute déconnexion avec la réalité de terrain.

M. Dominique Davy. - Le fonds national de l'élevage, géré dans le cadre de la Confédération Nationale de l'Élevage (CNE), représente 70 à 80 % de nos sources de financement.

M. Pierre-Louis-Gastinel. - En 2006, l'évolution de nos statuts et de notre organisation s'est accompagnée d'une nouvelle répartition des charges financières. La ressource que constitue le prélèvement au moment de l'abattage a été augmentée, si bien qu'aujourd'hui un peu moins de 4 millions d'euros financent la gestion des outils communs de contrôle des performances et d'enregistrement des parentés : leur objectif consiste à homogénéiser ces actions sur l'ensemble du territoire.

M. Jean-Paul Guibert, administrateur de France génétique élevage. - Des générations d'éleveurs ont travaillé durement pour la conservation des races françaises d'animaux à travers nos territoires. Cette diversité est la richesse de l'élevage français. Un certain nombre de jeunes seraient aujourd'hui prêts à prendre la relève, mais la baisse des revenus et les conditions de travail des éleveurs sont dissuasives, à quoi s'ajoutent les incertitudes sur les soutiens de la PAC.

Mme Bernadette Bourzai, présidente. - Nous soutenons l'élevage, comme en témoigne la proposition de résolution que nous avons déposée sur la réforme de la PAC. Je précise la question qui vous a été posée : la France conserve-t-elle des chances raisonnables de rester un réservoir mondial de races à viandes ?

M. Bernard Roux, vice-président de Races de France. - La race bovine Angus est notre principal concurrent sur les marchés étrangers qui s'ouvrent notamment en Europe de l'Est. Les opérateurs américains et canadiens y sont plus présents que les nôtres et interviennent avec des moyens importants en animaux et en personnels qualifiés pour accompagner les éleveurs locaux. Leur stratégie est particulièrement efficace, compte tenu du déficit de savoir-faire que connaissent ces marchés étrangers. Nous faisons également prendre conscience à nos clients de la nécessité de faire appel à un encadrement technique qualifié : certains acceptent mais d'autres refusent, comme parfois en Russie, parce qu'ils pensent détenir des connaissances suffisantes en matière d'élevage. Cela peut conduire à des échecs, avec des animaux placés en quarantaine, comme c'est arrivé récemment en Russie.

Je rappelle que la France est un des seuls pays ayant conservé des races pures et nos filières ont transformé ce réservoir génétique en atout. En revanche, les autres pays ont effectué des croisements et reviennent vers nous pour quand ils souhaitent réintroduire des animaux de race pure. Nous ne souhaitons pas, cependant, qu'on réduise notre rôle, dans ce domaine, à celui d'un « conservateur de musée ».

M. Pierre-Louis Gastinel. - L'Italie a également une grande diversité de race mais son organisation est moins perfectionnée que celle de la France. Nos pratiques collectives démontrent leur efficacité.

M. Jean-Claude Lenoir. - Le cheval n'est pas inclus dans votre champ d'activité ?

M. Bernard Roux. - Nous ne traitons que les ruminants.

M. Albert Merlet, vice-président de France génétique élevage. -  Pour ma part, je milite pour l'extension des soutiens européens à la jument allaitante. Ces aides représentent une proportion infime du budget européen et il est essentiel de les maintenir pour préserver la biodiversité.

M. Jean-Claude Lenoir. - Je défends également ce combat. Par ailleurs, vous entretenez un troupeau de qualité mais je constate qu'on mange moins de viande rouge aujourd'hui qu'hier en France : que faire, alors même que la France importe de la viande ? Enfin, êtes-vous impliqués dans la filière d'insémination ?

M. Pierre-Louis Gastinel. - Nos exportations, dans le secteur que vous évoquez, concerne 70 000 producteurs et sept millions de doses d'insémination. En France, nous utilisons vingt millions de ces dernières et sept millions sont exportées.

Mme Bernadette Bourzai. - En dépit d'un déficit global de notre commerce de viande, les exportations restent excédentaires en vif.

M. Pierre-Louis Gastinel. - Je fais observer qu'en réduisant la mortalité des veaux de 2 % on pourrait résorber le déficit que vous mentionnez. Il nous faut donc investir dans la recherche sur les causes génétiques de mortalité pour améliorer l'efficience économique de notre cheptel

M. Dominique Davy. - On a évoqué la difficulté du métier d'éleveur. Des écarts très importants subsistent néanmoins selon les exploitations en fonction de leur recours à la génétique et de la gestion du troupeau : dans certaines zones agricoles l'âge moyen au premier vêlage est de 36 mois alors qu'on peut descendre à 30 voire 24 mois. Des gains sont donc possibles en termes d'efficacité. Certains éleveurs ont pris conscience de la nécessité de prendre en compte le facteur génétique, tandis que d'autres sont restés en retrait.

Mme Sylvie Goy-Chavent, rapporteure. - Votre dernière remarque témoigne du fait que la relève des générations d'éleveurs est une de nos principales difficultés. Nous n'avons pas su motiver suffisamment les jeunes pour ce difficile métier et ceux qui prennent la suite, à la tète des exploitations, s'engagent aujourd'hui dans une sorte de sacerdoce.

Mme Bernadette Bourzai. - Pourtant, les jeunes s'intéressent vivement à l'agriculture.

M. Bernard Roux. - C'est un problème de revenus, mais aussi de moyens. Il est très difficile de trouver des sources de financement pour permettre à ceux qui ne viennent pas d'un milieu agricole de se lancer dans cette activité, d'autant que la taille des exploitations rentables a tendance à s'accroitre.

M. Dominique Davy. - Personnellement, je ne viens pas d'un milieu agricole et j'ai pourtant accédé à cette profession. Il y a donc des contre-exemples, mais je signale cependant que l'acceptabilité du métier d'éleveur me parait en déclin : dans les classes des lycées, certains jeunes n'osent pas mentionner l'activité agricole de leur parents.

M. Jean-Claude Lenoir. - J'observe sur le terrain que la situation est extrêmement contrastée. On constate, surtout dans l'Ouest, que le découragement frappe particulièrement les éleveurs laitiers.

M. Albert Merlet. - Il y a une dimension patrimoniale et passionnelle dans l'élevage de bovins-viande. Cette dimension est moins présente en élevage laitier. C'est ce qui permet aux éleveurs de bovins allaitants de tenir.

M. Dominique Davy. - Concernant les stratégies génétiques, certains comme l'Irlande, qui ont fait le choix des croisements reviennent vers nous pour acquérir des races pures. Cependant, pour pouvoir maintenir l'esprit collectif qui nous anime, nous avons besoin de soutiens.

M. Jean-Claude Lenoir. - Le risque de substitution entre des catégories de viande est-il envisageable dans votre filière ?

Mme Bernadette Bourzai, présidente. - La question mérite d'être posée parce que les représentants des circuits de commercialisation témoignent de la contraction de leurs approvisionnements en viande.

M. Bernard Roux. - Je rappelle que la boucherie traditionnelle ne permet pas de distribuer l'ensemble de la production. Toutefois, les grandes surfaces savent parfaitement différencier les produits de qualité, même s'ils ne valorisent pas suffisamment ces derniers en termes de prix.

Mme Sylvie Goy-Chavent. - Le consommateur trouve toujours la viande trop chère, mais je souhaiterais que les producteurs qui font de la qualité puissent mieux vivre de leur profession. Nous voulons faire des propositions dans ce sens.

M. Bernard Roux. - La difficulté est que, dans une carcasse, certains morceaux se vendent à des prix élevés alors que d'autres parties, qui en représentent la moitié, ont du mal à trouver preneur.

Je souligne une particularité de notre pays. En France, c'est la viande de vache qui est la plus prisée alors que chez la plupart de nos voisins, la préférence va aux jeunes bovins. C'est une différence fondamentale qui explique, par exemple, que nous importions des vaches laitières en provenance d'Italie.

Mme Bernadette Bourzai, présidente. - On nous a affirmé à plusieurs reprises que « les entrecôtes ne rentrent plus dans la barquette » : quelle est votre position à ce sujet ?

M. Bernard Roux. - Je rappelle que la génétique sert avant tout à mettre en adéquation les animaux avec les souhaits des éleveurs. Or les acheteurs sont prêts à payer plus cher les animaux les plus gros. Il ne faut donc pas s'étonner que les éleveurs en tirent les conséquences. Aujourd'hui, les petites carcasses sont, en règle générale, moins rémunératrice que les grandes.

S'agissant de votre question précise, il suffirait de proposer des barquettes un peu plus grandes pour y loger des morceaux de viande destinés à deux personnes, et cela permettrait d'améliorer la saveur du produit.

Je remarque, plus généralement, que les éleveurs reçoivent des indications contradictoires à la fois sur la taille des animaux et aussi sur l'opportunité ou non de croiser les races.

M. Albert Merlet. - Il nous semble, en tous cas, souhaitable de stopper la croissance vertigineuse de la taille des carcasses. Si la proportion actuelle de carcasses lourdes venait à s'accroitre, il deviendrait difficile de valoriser la filière.

Mme Bernadette Bourzai, présidente. - On évoque la décapitalisation des troupeaux : quel est votre point de vue à ce sujet ?

M. Jean-Paul Guibert. - La profession d'éleveur est une des seules dans lesquelles le capital produit un chiffre d'affaires aussi modeste : le rapport est de un à deux (100 000 de capital pour 200 000 euros de chiffre d'affaires) par exemple, pour mon exploitation.

M. Pierre-Louis Gastinel. - La principale menace est la concurrence de la production de céréales.

M. Bernard Roux. - La décapitalisation est une des conséquences de la diminution du nombre d'éleveurs. Lorsque ces derniers agrandissent leur exploitation, en rachetant, par exemple, celle de leur voisin, ils ont tendance à privilégier la culture de céréales car l'autosuffisance est la clef de la rentabilité, beaucoup plus encore que les circuits courts.

Mme Bernadette Bourzai, présidente. - Les systèmes doivent cependant coexister et les circuits courts, s'ils ne sont pas une panacée absolue, doivent garder une possibilité de se développer. J'ai une dernière question : quelles difficultés de nature réglementaire ou sanitaire rencontrez-vous à l'exportation ? On a notamment évoqué des difficultés avec le Kazakhstan.

M. Bernard Roux. - Le Kazakhstan n'est toujours pas ouvert aux importations.

Mme Bernadette Bourzai, présidente. - Nous vous remercions pour ces précisions.