Mercredi 30 octobre 2013

 - Présidence de M. Simon Sutour, président -

Questions diverses

M. Simon Sutour, président. - En préambule, je vous rappelle que, sur le rapport de notre collègue Sophie Joissains, nous avons adopté, concernant le projet de parquet européen, un avis motivé au titre de l'examen de subsidiarité, en défendant notamment un principe fondamental de notre droit, celui de la collégialité.

J'ai le plaisir de vous informer que dix-huit voix au sein des parlements nationaux ont décidé de saisir la Commission européenne, prouvant ainsi que ces derniers savent utiliser les pouvoirs d'action mis à leur disposition par le traité de Lisbonne. Il en fallait au minimum quatorze. Nous attendons donc la suite. La Commission peut modifier son texte, le maintenir ou, éventuellement, le retirer. À titre personnel, je regrette que l'Assemblée nationale n'ait pas opéré le même choix !

M. Jean Bizet. - Cette résolution nous a paru importante. Je l'ai personnellement votée, estimant qu'il fallait défendre la notion de collégialité, qui fait partie de notre conception des choses. Je suis désolé que l'Assemblée nationale n'ait pas pris la même décision que le Sénat. Nous avons été nombreux à recevoir des appels téléphoniques à ce sujet, qui a provoqué quelque émoi.

M. Simon Sutour, président. - J'ai trouvé ces appels déplacés...

M. Jean Bizet. - Pour ma part, ils ne m'ont pas gêné...

M. Simon Sutour, président. - Ce n'est pas mon cas ! Que l'on cherche à nous faire revenir sur notre position n'est pas acceptable. Je l'ai dit à l'occasion de la réunion de la Conférence des organes spécialisés dans les affaires communautaires (COSAC), à Vilnius, sans citer personne pour ne pas être désagréable.

À l'avenir, il faudra que la Commission européenne considère que le Parlement européen est son interlocuteur, mais aussi les parlements nationaux. Elle devra tenir compte de notre point de vue en amont. Cela évitera de soulever la question de la subsidiarité dans un avis motivé.

Nomination de rapporteurs

M. Simon Sutour, président. - J'en viens au premier point de notre ordre du jour, qui concerne la nomination de rapporteurs. Il s'agit tout d'abord de procéder à un examen, au titre du principe de subsidiarité, de la proposition de règlement sur les commissions multilatérales d'interchange pour les opérations de cartes bancaires. Selon le modèle économique le plus répandu dit « quadripartite », des commissions multilatérales d'échange sont prélevées entre les banques à chaque transaction. La proposition de la Commission européenne vise à uniformiser à terme les taux de ces commissions tant pour les opérations transfrontalières que pour les opérations nationales. Notre groupe de travail, qui s'est réuni le 23 octobre, a souhaité que soient nommés deux rapporteurs chargés de procéder à un examen plus approfondi de ce texte au titre du principe de subsidiarité. Je vous propose de désigner nos collègues MM. Michel Billout et Joël Guerriau qui pourra si nécessaire être remplacé par un autre membre de son groupe.

Par ailleurs, M. Richard Yung souhaiterait se pencher sur la supervision européenne des marchés financiers.

M. Dominique Bailly désirerait analyser les propositions de M. Van Rompuy concernant les instruments de compétitivité et le budget central de la zone euro.

M. André Gattolin souhaiterait quant à lui étudier la question des déclarations de soupçons en matière financière.

Enfin, M. Jean Bizet voudrait examiner les perspectives d'une coopération plus étroite entre la France et l'Allemagne en matière d'énergie.

Les rapporteurs proposés sont désignés à l'unanimité.

Agriculture et pêche - Sécurité sanitaire et santé animale - Communication et proposition de résolution européenne de Mme Bernadette Bourzai

M. Simon Sutour, président. - Le second point de notre ordre du jour appelle une communication de notre collègue Bernadette Bourzai sur le volet « santé animale » du « paquet » législatif présenté par la Commission européenne. Je rappelle que le volet concernant les semences et la santé des végétaux nous sera présenté par nos collègues Jean Bizet et Richard Yung.

Les crises sanitaires animales que l'Europe doit affronter périodiquement soulignent toute l'importance des dispositifs sur la santé animale. Le Sénat y est très attentif. Bernadette Bourzai suit ces questions avec une grande vigilance. Je rappelle qu'elle a présidé tout récemment la mission commune d'information sur la filière viande en France et en Europe. Sur son initiative, nous avions également adopté un avis politique sur le virus de Schmallenberg. Nous avons ainsi noué un dialogue direct avec la Commission européenne sur cette question.

À l'issue de sa communication, nous examinerons la proposition de résolution qu'elle a préparée et qui vous a été adressée.

Mme Bernadette Bourzai. - En mai 2013, la Commission européenne a présenté un ensemble de propositions de règlements -un « paquet législatif »- relatifs à la santé végétale, à la santé animale, aux semences. La présentation qui suit concerne le seul volet « santé animale ».

Cette proposition de règlement, plus connue sous l'appellation « loi santé animale », se présente comme une opération de toilettage et de simplification d'un ensemble de textes anciens et disparates. Cet objectif, évidemment louable, n'exclut pas certaines interrogations, notamment sur le processus de décision dans l'Union européenne, qui appellent notre vigilance.

Je vous propose de présenter cette proposition de règlement avant d'analyser les questions en débat et de proposer une résolution européenne.

L'Europe doit régulièrement faire face à des crises sanitaires animales. Les maladies restent présentes dans les pays d'élevage. L'Union européenne doit se préparer à affronter ces risques accrus sous l'effet de la multiplication des échanges, du changement climatique, et des mutations des agents infectieux.

L'aptitude à traiter une crise est un critère légitime d'appréciation des citoyens sur le fonctionnement des institutions. Lors de l'épisode de la vache folle, les tergiversations de la Commission sur les restrictions aux échanges avaient beaucoup affecté la crédibilité des institutions européennes dans leur ensemble. C'est à cette époque que la santé animale est entrée dans le champ du débat politique.

En 2007, la Commission européenne publie une communication intitulée « une nouvelle stratégie de santé animale pour l'Union européenne ». Elle a présenté ses propositions réglementaires en mai 2013 au sein d'« un paquet sanitaire ». La formule est désormais courante. En 2004, le « paquet hygiène » visait la sécurité sanitaire des aliments, s'intéressait au produit fini, en laissant de côté les producteurs primaires - éleveurs et agriculteurs. Le « paquet santé » vient en quelque sorte en complément, en amont, du précédent « paquet hygiène ».

L'objectif du texte est de garantir un niveau élevé de santé publique et de sécurité sanitaire. Cet objectif passe par la simplification des textes actuels. Le cadre législatif européen actuel en matière de santé animale comporte près de 50 directives et règlements de base ainsi que quelque 400 textes de droit dérivé remontant pour certains à 1964. Une telle accumulation pouvait conduire à des incohérences, des redondances.

Cette proposition de règlement de 260 articles codifie l'ensemble de l'acquis législatif européen en santé animale. Elle prévoit quelques clarifications. La catégorisation répond en quelque sorte au classement : quelles actions pour quelles maladies ? La proposition précise quelques dispositions sanitaires qui portent sur les niveaux de surveillance, la dématérialisation des documents, la limitation des mouvements d'animaux à un seul centre de rassemblement dans le pays de départ, la reconnaissance de l'intérêt du recours à la vaccination d'urgence. Enfin, la proposition reprend des principes, aujourd'hui acquis, sur l'analyse des risques.

Le texte est aujourd'hui examiné selon la procédure législative ordinaire, par les deux branches du législateur européen.

Concernant le Parlement européen, le texte a été renvoyé au fond à la commission de l'agriculture. Deux autres commissions sont saisies pour avis : la commission de l'environnement, de la santé publique et de la sécurité alimentaire, ainsi que la commission pêche. Quatre femmes ont été nommées rapporteurs. Un vote en commission est prévu en janvier 2014 et un vote en plénière en février ou mars 2014.

Concernant le Conseil, le texte est actuellement soumis à l'examen des groupes d'experts.

Un accord en première lecture entre le Parlement européen et le Conseil est peu probable. Compte tenu de l'agenda politique européen, une adoption de ce texte ne peut être envisagée avant fin 2014/début 2015. La Commission a annoncé un délai de 36 mois pour adopter des décisions complémentaires, de telle sorte qu'une application du texte ne peut être attendue avant début 2017.

La France accueille très favorablement cette initiative européenne. Elle est considérée par ses partenaires comme un État plutôt interventionniste, mais efficace. Les principes d'action, initiés par la France, ont été repris par la Commission. Malgré ce satisfecit général, quelques interrogations se font jour. Elles sont à trois niveaux.

Le premier niveau est technique. Experts et éleveurs ont pu s'inquiéter de certaines dispositions techniques du texte. C'est le cas, par exemple, des dispositions sur les mouvements d'animaux. La proposition prévoit que les animaux envoyés dans un autre pays de l'Union européenne ne soient pas soumis à plus d'un rassemblement par pays. Cette disposition est destinée à limiter à la fois les risques sanitaires liés aux mouvements, aux mélanges d'animaux à statut sanitaire différent et au stress des animaux. Une règle qui peut s'avérer problématique dans le cas d'éleveurs dispersés.

La France, qui reste un pays d'élevage et d'élevages de taille moyenne, pourrait pâtir d'une règle comme celle-là. La moyenne serait en France entre deux et trois allotements par expédition. Selon le ministère, au moins 10 % des expéditions seraient condamnées par ce dispositif de centre de rassemblement unique.

Dans le souci de bien faire, la Commission n'irait-elle pas trop loin ? Il faut privilégier l'obligation de résultat à l'obligation de moyens.

De même, le dispositif de police sanitaire avant les exportations d'animaux serait modifié par la proposition. En vertu d'une ancienne disposition, remontant à 1964, les actes de police sanitaire sont allégés lorsque l'État dispose de réseaux de surveillance. Ces notions de réseau d'épidémiosurveillance et de contrôle allégé ne sont pas reprises dans le texte, ce qui pourrait représenter une charge supplémentaire pour les éleveurs.

Ces questions techniques seront vraisemblablement traitées au sein des groupes d'experts dans les formations du Conseil.

En revanche, sur un plan plus général -c'est le deuxième niveau d'interrogation le texte comporte quelques insuffisances.

Tout d'abord, on pourra s'interroger sur les dispositions financières. L'Union européenne doit se préparer à affronter des risques sanitaires. Les professionnels de l'élevage suivent et s'inquiètent de la progression de maladies dans et aux frontières de l'Europe.

Comment ces risques seront-ils gérés sur le plan financier ? Il y a une forte ambiguïté financière depuis que la santé animale est sortie du cadre budgétaire de la politique agricole commune (PAC) pour figurer maintenant dans la rubrique 3 du cadre financier pluriannuel - sécurité et citoyenneté.

Le nouveau règlement OCM unique prévoit bien une clause de soutien de marché financée sur la réserve de crise en cas d'épizootie. Mais cette réserve ne peut être utilisée pour traiter les cas évoqués ci-dessus puisque la santé animale est sortie de la PAC ! Comment ces mesures vont-elles être financées ? Sur l'instrument de flexibilité ? Ce point mérite d'être précisé.

Ensuite, le volet recherche est très peu évoqué dans cette proposition. Comment annoncer une loi de santé animale, censée être décisive pour l'Union européenne, sans un volet recherche puissant ? Il n'y a pratiquement aucune disposition sur ce thème.

L'Autorité européenne de sécurité des aliments (EFSA) a, bien entendu, son rôle à jouer dans cette évaluation. Tel fut le sens de l'avis politique présenté à la Commission européenne à la suite de notre rapport sur le virus de Schmallenberg, en décembre 2012. Notre commission avait demandé à la Commission européenne de saisir l'EFSA afin qu'elle conduise une analyse des risques d'introduction des maladies nouvelles dans une zone d'importation suspecte.

Dans un courrier du 7 mai 2013, adressé au Président du Sénat, M. Maro efcoviè, vice-président de la Commission européenne, s'est engagé à donner une suite à cette initiative.

C'est un succès pour le Sénat et pour sa commission des affaires européennes en particulier. Il doit nous encourager à renouveler ces initiatives qui contribuent à faire vivre le dialogue politique entre les parlements nationaux et la Commission.

Le troisième niveau concerne l'interrogation institutionnelle sur le pouvoir réglementaire délégué à la Commission. Le texte se veut un texte de codification regroupant des dispositions dispersées, mais de nombreux articles fixent renvoyés à des textes d'application.

La santé animale est un exemple de transfert massif du pouvoir législatif à la Commission européenne. Il y a une forte inquiétude à ce sujet.

Le traité de Lisbonne apporte des modifications majeures dans le processus décisionnel de l'Union européenne. Cela est bien connu s'agissant de l'adoption des textes de base. Mais une évolution tout aussi importante touche le pouvoir réglementaire dérivé.

Jusqu'au traité, le pouvoir d'application de la Commission était encadré par ce que l'on a appelé, « la comitologie ». Le pouvoir dérivé de la Commission restait sous contrôle des États par l'intermédiaire des avis des comités d'experts. Selon les cas, ces comités avaient un pouvoir consultatif, un pouvoir d'opposition ou un pouvoir d'approbation.

Le traité de Lisbonne a modifié ces règles en distinguant deux nouvelles procédures : la procédure des actes délégués, instituée par l'article 290 du traité sur le fonctionnement de l'Union européenne (TFUE), et la procédure des actes d'exécution instituée par l'article 291.

Avec les actes délégués, la Commission se voit confier le pouvoir de compléter ou modifier les éléments non essentiels de l'acte de base. La Commission est assistée d'un groupe d'experts. Mais la consultation n'est pas obligatoire et il ne s'agit pas des représentants des États membres. Le législateur présente son projet d'acte délégué aux deux législateurs qui peuvent s'opposer à la mesure.

Avec les actes d'exécution, on retrouve le système classique de comitologie, composé des représentants des États membres. Dans la procédure d'examen la plus courante, le comité doit adopter un avis, positif ou négatif, à la majorité qualifiée. En cas d'opposition, la décision remonte à une formation du Conseil.

Ces procédures ont été souvent utilisées et les positionnements se sont affinés. Le Parlement européen serait plutôt favorable aux actes délégués car il dispose d'un vrai pouvoir d'opposition. Mais il n'y a pratiquement pas de contrôle des États membres. Le Conseil serait plutôt partisan des actes d'exécution car la procédure est voisine de l'ancienne comitologie. Selon un observateur, « la Commission s'arrange toujours pour éviter une situation de blocage et parvient presque toujours à faire passer ses projets ».

La présente proposition de règlement se caractérise par un nombre considérable d'actes dérivés : les 260 articles de base renvoient à quelques 106 actes délégués et 57 actes d'exécution. Le texte est parfois ressenti comme étant « une coquille vide » qui sera remplie plus tard. Remplie par la Commission, au nom de son pouvoir délégué et de son pouvoir d'exécution.

Cette situation a déjà été dénoncée par deux parlements, autrichien et tchèque. Sous prétexte de faciliter le travail législatif, de le rendre plus rapide, la procédure de législation dérivée ne doit pas être détournée de ses objectifs. Le pouvoir délégué de la Commission ne doit pas se substituer au pouvoir normatif du législateur.

Cette situation est souvent évoquée dans l'examen des propositions d'actes législatif, dans la plupart des domaines, mais elle atteint sans doute, dans le cas présent, un niveau excessif.

Pour l'ensemble de ces raisons, je vous suggère d'adopter la proposition de résolution qui vous a été communiquée.

M. Simon Sutour, président. - Je vous propose une discussion générale commune sur le rapport de Mme Bourzai et sur le contenu de la proposition de résolution, celle-ci découlant de la communication de notre collègue...

M. Jean Bizet. - Je suis globalement en phase avec ce qui a été dit dans le rapport ; en préambule, je me réjouis de la suite qui a été donnée par le vice-président efcoviè à la saisine de l'EFSA concernant la maladie de Schmallenberg.

En second lieu, j'attire l'attention sur les centres d'allotement ; c'est dans ces lieux que s'expriment avec plus de vigueur les contaminations virales : les animaux sont stressés, ne bénéficient pas de leurs conditions d'alimentation habituelles, et les taux de croissance s'en trouvent durement impactés.

En matière de santé publique, j'ai découvert, en 2001, lorsque j'étais rapporteur de la commission d'enquête sur les conditions d'utilisation des farines animales et sur l'encéphalopathie spongiforme bovine (ESB), la carence du système anglais dans ce domaine : les Anglais ayant, dans un excès de libéralisme, totalement détruit leur réseau d'épidémiosurveillance, n'ont pu faire face à la contamination !

Le docteur Wallach et le président de l'Office international des épizooties considèrent que le réseau d'épidémiosurveillance français est l'un des plus performants au monde.

C'est une question de santé publique, humaine et animale, mais aussi d'impact sur l'élevage. J'établis là un lien avec ce qui se dessine dans le cadre de la loi d'avenir agricole, dans laquelle on cherche à empêcher les vétérinaires de délivrer certains antibiotiques, alors même que l'antibiosupplémentation animale est interdite depuis 2006 sur l'ensemble du territoire européen.

Ne fragilisons pas notre réseau d'épidémiosurveillance, confortons la formation des vétérinaires français et l'engagement qui est le leur de pouvoir délivrer des médicaments ! J'avais imaginé un amendement après l'alinéa 6 : « Rappelle que l'excellence du réseau d'épidémiosurveillance français est lié notamment à la qualité de la formation des vétérinaires, et à leur pleine responsabilité en matière de délivrance de médicaments ».Aucun de nous ne souhaite fragiliser l'élevage français ! Recréer un réseau d'épidémiosurveillance sera difficile...

M. Yannick Botrel. - Mes propos vont dans le même sens que ceux de notre collègue Jean Bizet. La santé animale est un sujet important, en rapport avec la sécurité alimentaire. On sait ce que les dysfonctionnements peuvent coûter aux filières en général. On l'a vu, en France, avec l'ESB. En Angleterre, l'absence de contrôles et les méthodes de traitement des viandes ont favorisé la prolifération du prion. Notre système fonctionnant bien en abattoir, on a trouvé des bêtes sur les chaînes, et les medias ont mal communiqué sur le sujet, créant la psychose. Les filières sont considérablement affaiblies quand de tels événements se produisent.

J'étais en Angleterre à la fin des années 1980. On avait alors trouvé des salmonelles dans les oeufs. La filière s'est effondrée en quelques jours, dans un pays qui en consomme traditionnellement beaucoup, ainsi que les cours sur d'autres marchés !

Le haut niveau de protection, en France, est réel. Il est fondé sur nos anciennes directions des services vétérinaires (DSV) et sur les groupements de défense sanitaire.

M. Jean Bizet. - Ils sont excellents !

M. Yannick Botrel. - En effet. J'ai siégé durant quelques années, en tant que représentant du Conseil général, au sein d'un groupe de défense sanitaire (GDS) départemental. On sent les participants motivés ; ce sont des gens de grande qualité. Les frontières départementales ne veulent plus dire grand-chose. Il vaut parfois mieux raisonner par bassin d'élevage.

Nous avons donc un système performant, à la fois du côté des éleveurs, mais aussi parmi les services de l'Etat -même s'ils sont parfois, lorsqu'il s'agit d'exportations agroalimentaires, un peu rigides...

Qu'en est-il ailleurs ? Sait-on ce qui se passe dans les autres pays européens ? Personne n'a intérêt à tirer les choses vers par le bas, compte tenu des enjeux pour notre agriculture et pour nos éleveurs.

M. Michel Billout. - J'apporte un total soutien à cette résolution, et je n'ai aucune objection à la proposition d'amendement.

Je trouve l'échelon européen particulièrement pertinent pour traiter de cette question, à la fois pour préserver les filières d'élevage, mais aussi la santé publique, lorsqu'on sait la façon dont voyagent aujourd'hui les animaux au sein de l'Union européenne !

Je soutiens également la proposition de résolution en ce qui concerne les points 12, 13 et 14 sur le recours abusif aux actes délégués. C'est un phénomène que j'ai moi-même constaté à travers un certain nombre de textes européens dont nous étions saisis, dans le cadre de l'examen au titre de la subsidiarité.

Il existe une réelle tendance, par souci pratique, à recourir aux actes délégués, mais ceux-ci ne semblent pas toujours fidèles aux textes de base, et l'on en exagère souvent l'usage, ce qui, du point de vue du contrôle démocratique, pose de réels problèmes. C'est donc une très bonne chose que de rappeler la Commission à davantage de sagesse en la matière !

M. Gérard César. - J'irai dans le même sens que Michel Billout, et je voudrais féliciter Mme Bourzai pour la qualité de son manifeste.

S'agissant de l'alinéa 14, celui-ci demande au Gouvernement de ramener le nombre d'actes délégués à un niveau « sensiblement inférieur ». Que signifient ces deux derniers termes ? Il conviendrait d'être plus précis.

M. Jean Bizet. - Il est vrai que, lorsqu'on a siégé au sein des GDS, on mesure pleinement l'engagement des éleveurs, des agents techniques et des vétérinaires. En la matière, on est dans une notion de responsabilité collective. Face à la carence du réseau d'épidémiosurveillance anglais, c'est l'ensemble de l'Union européenne qui a payé les pots cassés.

Pas question d'avoir une harmonisation qui tire le niveau vers le bas ! Il faut être excessivement rigoureux sur ce point !

Mme Bernadette Bourzai. - Merci de votre contribution à ce débat important, mes chers collègues.

Les observations de M. Bizet sur l'importance de la santé animale - dont découle la santé humaine - sont fort sensées, et nous les partageons tous. Ceci me permettra de répondre à M. Botrel : le niveau des réseaux d'épidémiosurveillance - lorsqu'ils existent, ce qui n'est pas toujours le cas- est très disparate dans l'ensemble de l'Union européenne.

C'est là tout le risque du paquet « santé animale » - ce que M. Barroso appelle « better régulation » : en simplifiant, on fait souvent disparaître des conditions qui peuvent être importantes ! En outre, 170 actes d'application sont absents du texte immédiat. Il s'agit donc d'un blanc-seing que l'on donne à la Commission. Il faut rappeler que nous n'avons pas à le faire !

Il existe des règles, qui s'appliquent à l'ensemble du territoire de l'Union européenne. Elles sont plus ou moins bien exécutées et contrôlées, mais je partage votre avis sur le fait qu'il faut rehausser, et non abaisser, le niveau de la surveillance et de qualité que l'on accorde à la santé animale !

Globalement, c'est un projet intéressant. Il est épais, comme tous les textes de la Commission. Il contient un certain nombre de choses mais, en fait, n'est pas très précis, puisqu'on nous demande de faire confiance à la Commission, d'où l'idée qu'il faut réduire le nombre d'actes délégués ou d'actes d'exécution.

Pour ce qui concerne la proposition d'amendement de M. Bizet, j'ai rencontré par hasard notre collègue Virginie Klès, qui m'en a parlé. J'y souscris totalement, car j'ai été saisie de cette question par un jeune vétérinaire de mon département, venu s'installer en Corrèze, sur le plateau de Millevaches, très inquiet d'une déclaration de M. Le Foll remontant à l'automne dernier, qui évoquait la séparation des fonctions de prescription et de commercialisation des produits vétérinaires, notamment s'agissant des antibiotiques. Depuis, la loi d'avenir a bien édulcoré les choses. Je crois que le ministre a pris conscience qu'à l'heure actuelle, dans les écoles vétérinaires, on compte 80 % de jeunes filles pour 20 % de garçons, ce qui pourrait poser des problèmes dans les zones rurales - même si je n'exclus pas que des vétérinaires femmes aillent « au cul des vaches », si je puis me permettre cette expression bien corrézienne...

Ce sujet soulève le problème de la désertification vétérinaire en milieu rural. Dans nos régions, spécialisées dans l'élevage bovin, ce serait une catastrophe ! D'ici dix à quinze ans, la situation des vétérinaires pourrait être la même que celle des médecins. La Corrèze constituant déjà un véritable désert médical, je ne peux qu'être sensible à ce discours.

La proposition d'amendement que vous faites est tout à fait recevable, dans la mesure où elle souligne l'excellence du réseau d'épidémiosurveillance français. C'est ce qui ressort de toutes les auditions que nous avons menées. C'est un modèle. Il serait exemplaire de l'appliquer au plan européen. On pourrait même conseiller de prendre exemple sur lui -mais l'Europe n'aime guère que la France se place en pole position.

S'agissant de la qualité de la formation des vétérinaires, le projet de loi d'avenir prévoit un regroupement des écoles d'enseignement supérieur et le respect de la pleine responsabilité des vétérinaires en matière de délivrance des médicaments, en particulier d'antibiotiques. Selon la revue « Alim'agri », la consommation d'antibiotiques destinés aux animaux est en diminution. Les résultats commencent donc à se faire sentir. C'est encourageant, et on ne peut qu'aller en ce sens.

M. Simon Sutour, président. - Je désirerais ajouter un mot sur les actes délégués et les actes d'exécution... Nous avons connu le même problème à propos de la protection des données personnelles. C'est une sorte d'acte réglementaire européen. Le problème vient des projets de texte trop vagues, qui sont précisés par les actes délégués ou les actes d'exécution. Le Parlement européen peut s'y opposer à la majorité de ses membres, ou le Conseil à la majorité qualifiée, mais cela semble un peu théorique....

Nous pourrions travailler sur ce sujet, afin de proposer une résolution et avoir un avis politique vis-à-vis de la Commission...

M. Jean Bizet. - Une dérive dans le recours aux actes délégués ou aux actes d'exécution ne peut qu'entraîner une limitation du contrôle parlementaire. Il faut y mettre un certain holà. Même si l'on est soucieux d'éviter le blocage des institutions, il y a un équilibre à respecter, une ligne rouge à ne pas franchir.

M. Simon Sutour, président. - Il ne faut pas donner de chèque en blanc !

Chacun est-il d'accord pour adopter la proposition de résolution modifiée en fonction du débat ? Je ne vois pas d'opposition... Elle est adoptée.


Proposition de résolution européenne

1 - Vu l'article 88-4 de la Constitution,

2 - Vu les articles 290 et 291 du Traité sur le fonctionnement de l'union européenne (TFUE),

3 - Vu la communication de la Commission intitulée une nouvelle stratégie de santé animale (COM (2007) 539),

4 - Vu la proposition de règlement du Parlement européen et du Conseil relatif à la santé animale (COM (2013) 260 final),

5 - Considère que la proposition de règlement visant à simplifier et codifier la législation existante est un texte utile dont l'économie générale est positive ;

6 - Approuve la reprise par la Commission des principes d'actions exigeants initiés par la France en matière des contrôles et de gestion des crises sanitaires ;

7 - Rappelle que l'excellence du réseau d'épidémio-surveillance français est liée notamment à la qualité de la formation des vétérinaires et à leur pleine responsabilité en matière de délivrance des médicaments ;

8 - Estime cependant que ce texte présente de nombreuses ambiguïtés ;

9 - Craint que le projet de centre de rassemblement unique à l'occasion des mouvements d'animaux ne soit pénalisant pour les exportateurs français sans apporter de garanties sanitaires supplémentaires ;

10 - Souhaite que, lors des exportations d`animaux, les formalités allégées de police sanitaire, telles qu'elles se pratiquent en France en raison de la qualité de son réseau d'épidémiosurveillance, puissent être maintenues ;

11 - Demande que les conditions de financement des mesures sanitaires en cas de crise soient mieux précisées dans la mesure où les dépenses vétérinaires ne figurent plus parmi les dépenses agricoles ;

12 - Regrette que le volet recherche soit si peu présent dans cette proposition ;

13 - Déplore le recours manifestement excessif aux actes délégués et aux actes d'exécution - 163 au total - qui confère un pouvoir exorbitant à la Commission européenne ;

14 - Considère que la procédure de législation déléguée confiée à la Commission, en vertu des articles 290 et 291 du TFUE, ne doit pas être détournée de son objectif ;

15 - Demande au Gouvernement de faire en sorte que le nombre d'actes délégués soit réduit et que tous les éléments pertinents soient fixés dans le texte de base ;

16 - Rappelle l'avis politique émis par la Commission des affaires européennes, le 6 décembre 2012, sur la lutte contre le virus de Schmallenberg ;

17 - Demande au Gouvernement de veiller à ce que l'engagement pris par M. Marios Sefcovic, vice-président de la Commission européenne à la suite de cet avis politique, de mandater l'EFSA pour mener une étude sur l'évaluation des risques liés à l'apparition de maladies animales émergentes transmises par des insectes vecteurs, soit suivi d'effet.

- Présidence de M. Simon Sutour, président,
et de Mme Danielle Auroi, présidente de la commission des affaires européennes
de l'Assemblée nationale
-

Questions sociales et santé - Réunion, conjointe avec la commission des affaires européennes de l'Assemblée nationale et les membres français du Parlement européen, sur l'Europe sociale

Mme Danielle Auroi, présidente de la commission des affaires européennes de l'Assemblée nationale. - Mesdames et Messieurs, mes chers collègues du Parlement européen, du Sénat et de l'Assemblée nationale, je suis très heureuse que nous soyons encore une fois réunis dans cette formation conjointe, pour débattre aujourd'hui d'un sujet qui me tient particulièrement à coeur, et qui vous tient particulièrement à coeur à tous ici présents j'en suis sûre : l'avenir de l'Europe sociale et son indispensable renforcement, pour répondre aux préoccupations et aux souhaits de nos concitoyens, dans le contexte particulier de la crise économique, sociale, écologique que nous connaissons, au moment où les citoyens commencent de plus en plus à douter que l'Europe puisse être protectrice. Il faut parler à nos concitoyens de ce qui donne sens à l'Europe, et pas seulement du dogme de l'austérité. L'Union est capable d'avancer en matière sociale, et la France peut jouer un rôle crucial en la matière. Ainsi M. Thierry Repentin, que nous recevions hier, conjointement avec la commission des affaires étrangères, s'est réjoui que, pour la première fois, la dimension sociale ait été intégrée dans les discussions relatives à l'UEM au Conseil, même si le chemin reste long et semé d'embûches. Suite à l'initiative franco-allemande, à la décision du Conseil de juin dernier, et à la communication faite par la Commission européenne le 2 octobre, il a donc été acté au dernier Conseil que cinq indicateurs sociaux en matière d'emploi et de formation professionnelle seraient mis en place et seraient intégrés au « monitoring » des économies des États membres. Ceci est positif ; mais ce qui est négatif, en revanche, à mon sens, c'est que la portée de ces indicateurs reste insuffisante : ils n'auront pas à ce stade de caractère obligatoire et il n'y a pas d'accord entre États membres à ce propos. C'est donc une première étape, à suivre, à poursuivre...

Car les défis qui nous attendent dans les années qui viennent, dans une Europe à vingt-huit où les frontières économiques et physiques ont été abolies, mais où les régimes sociaux et fiscaux n'ont pas été harmonisés et où les niveaux de vie ne sont pas homogènes, sont nombreux. Il faut trouver des convergences. Un premier dossier important, poussé par la présidence irlandaise, est celui de l'emploi des jeunes. Cela est crucial car ce sont eux qui paient le plus lourd tribut à la crise économique. Les taux de chômage des moins de vingt-cinq ans sont en effet édifiants : en avril 2013, 24,4 % pour la zone euro à 17, 23,5 % pour l'UE à 27, 26,5 % pour la France, 40,5 % pour l'Italie, 42,5 % pour le Portugal, et même 56,4 % pour l'Espagne - même si on dit que la situation sociale en Europe s'améliore... La Commission européenne a pris la mesure du caractère dramatique de cette situation, et a ainsi initié dans le cadre de « l'initiative pour l'emploi des jeunes » un certain nombre de dispositifs, tels que la « garantie pour la jeunesse ».

L'Union a en outre fixé comme objectif prioritaire de la stratégie « Europe 2020 » l'amélioration du marché du travail, basé notamment sur le développement d'une main d'oeuvre qualifiée, l'amélioration du service public de l'emploi, et la facilitation de la mobilité du travail.

Je souhaiterais que nous puissions évoquer ensemble ces sujets, la question des droits sociaux des travailleurs - notamment la question de la portabilité des retraites - mais aussi toute la problématique liée à la révision de la directive sur le détachement des travailleurs - sujet sur lequel ont particulièrement travaillé Gilles Savary, Chantal Guittet et Michel Piron. Nous savons tous ici que cet outil, conçu comme protecteur, est à présent facteur de déstabilisation des marchés du travail de beaucoup de pays membres , dont le nôtre, via la mise en oeuvre d'un réel « dumping social ». Le ministre Repentin a d'ailleurs hier évoqué ce sujet et rappelé les points clés de la négociation en cours sur cette révision de la directive sur le détachement.

Ce sujet, que nous avons inscrit à l'ordre du jour de la séance publique le 2 décembre, rejoint d'ailleurs pleinement la question de la responsabilité sociale des entreprises, et leurs responsabilités vis-à-vis de leurs filiales et de leurs sous-traitants, à l'intérieur et à l'extérieur des frontières de l'Europe. Il faut rechercher l'équité en la matière.

Il pose aussi la question de la mise en place d'un salaire minimum en Europe, et plus largement, de la mise en place d'un revenu de base universel.

Il semble que les discussions en marge du dernier Conseil européen ont montré de réelles avancées sur la question du salaire minimum - cela n'était pas acquis il y a quelques semaines encore - et notamment de la part de l'Allemagne, qui se dirige vers la mise en place d'un salaire minimum non pas interprofessionnel mais par branche, particulièrement dans l'agroalimentaire et l'abattage, secteurs sensibles s'il en est. Ceci marque les prémices d'une harmonisation sociale et donc du renforcement de la lutte contre le « dumping social ». Il faudrait aller plus loin et travailler aussi sur une assurance-chômage au niveau européen ; c'est un sujet porté par Pervenche Bérès et le Parlement européen ; nous y travaillons aussi de notre côté ici au sein de notre commission et de concert avec la commission des affaires sociales.

Voilà, mes chers collègues, ce dont je souhaitais vous faire part avant que nous n'entamions nos échanges sur cet ordre du jour divers et important. Ensuite, si nous avons encore le temps, j'aimerais que nous puissions échanger sur quelques sujets d'actualité. Je voudrais notamment évoquer le nécessaire approfondissement de la démocratie européenne, dans le contexte de la convergence économique et budgétaire, par le renforcement de sa dimension parlementaire, associant Parlement européen et parlements nationaux, en complémentarité, chacun dans son rôle. La période pré-électorale qui s'ouvre doit en effet permettre d'ouvrir un réel débat sur l'Europe que nous voulons pour demain.

M. Simon Sutour, président. - L'Europe sociale a fait l'objet d'un débat approfondi lors de la dernière COSAC à Vilnius. Elle est d'autant plus essentielle que nos pays sont confrontés aux graves effets d'une crise économique et financière sans précédent.

Contrairement à ce que soutiennent les populistes, l'Europe n'est pas le problème ; elle peut, au contraire, apporter une grande partie des réponses.

La commission des affaires européennes du Sénat a adopté, le 16 octobre dernier, à l'unanimité, une résolution européenne portant sur la thématique du détachement des travailleurs. La question du droit de grève des travailleurs détachés - proposition dite « Monti II » - avait déjà fait l'objet d'un avis motivé en matière de subsidiarité il y a un an et demi ; le quorum requis d'un tiers des parlements nationaux ayant été atteint, un carton jaune a été adressé à la Commission européenne, laquelle a fait le choix de retirer son texte.

La commission des affaires européennes du Sénat vient également d'adopter à l'unanimité un avis motivé sur le Parquet européen : si elle est favorable au principe, elle souhaite davantage de collégialité et l'absence de « super procureur ». Un nombre suffisant de Parlements nationaux s'étant prononcé en ce sens, la Commission européenne va devoir réexaminer son texte.

S'agissant des travailleurs détachés, le Conseil européen ne parvient toujours pas à se mettre d'accord sur le texte proposé par la Commission. Le débat achoppe sur deux dispositions essentielles du texte : l'article 9 relatif aux mesures nationales de contrôle, et l'article 12 relatif à l'instauration d'un mécanisme de responsabilité solidaire du donneur d'ordre dans les chaînes de sous-traitance. Les obstacles sont davantage politiques que techniques. La résolution du Sénat préconise une liste ouverte de mesures de contrôle, qui permette aux États de s'adapter rapidement à des pratiques frauduleuses de plus en plus complexes : elle demande à ce que la clause de responsabilité du donneur d'ordre soit étendue à tous les secteurs d'activité et à l'ensemble de la chaîne de sous-traitance.

Le Sénat a par ailleurs travaillé sur la thématique de l'emploi des jeunes. La commission des affaires européennes a adressé à cet égard un avis politique à la Commission européenne.

Le taux de chômage des jeunes de 15 à 24 ans au sein de l'Union européenne représente en effet le double de celui constaté pour l'ensemble de la population active. Les pays européens connaissent des situations difficiles, avec notamment un taux de chômage des jeunes de 62 % en Grèce, 56 % en Espagne, 40 % en Italie et au Portugal.

En décembre 2012, la Commission a adopté une série de mesures concernant l'emploi des jeunes. Le Conseil européen a créé un fond spécifique d'initiative pour l'emploi des jeunes, afin de financer la mise en place d'un mécanisme de garantie pour la jeunesse au sein des États membres. Cette nouvelle ambition sociale répond également aux objectifs de la stratégie « Europe 2020 » visant à améliorer la formation des jeunes européens. L'Union européenne a ainsi l'opportunité de donner une tonalité à son action, autre que celle de la lutte contre les déficits publics et l'endettement.

La France a d'ailleurs pris toute sa part dans cette réorientation progressive. Parallèlement à ces initiatives communautaires, la France est, depuis mai 2013, à l'origine d'une initiative franco-allemande sur le chômage des jeunes.

L'initiative pour l'emploi des jeunes n'est certes pas négligeable, mais est-elle à la hauteur du problème ? Le taux de chômage des jeunes est en effet presque partout alarmant. Il n'est inférieur à 10 % que dans deux pays de l'Union européenne, où en moyenne un jeune sur quatre est au chômage. Face à cette réalité dramatique, peut-on se contenter d'un plan doté de huit millions d'euros sur sept ans, pour l'ensemble des Vingt-huit ?

L'avis politique de la commission des affaires européennes du Sénat insiste sur plusieurs mesures que l'Union européenne pourrait porter : nous estimons qu'il convient de baisser à 20 % le taux régional de chômage des jeunes nécessaire au déclenchement d'une aide financière européenne. Il est par ailleurs indispensable de stabiliser à un niveau élevé - au moins 40 % - la part de l'apprentissage dans les rubriques « enseignement supérieur » et « enseignement, formation professionnelle et programme Erasmus + ». Les dépenses cofinancées par les États membres en faveur de l'emploi des jeunes devraient provisoirement être réintégrées dans le calcul des soldes budgétaires des États membres.

D'autres sujets d'actualité peuvent nourrir notre débat. Le 2 octobre dernier, la Commission a présenté une communication sur la dimension sociale de l'Union économique et monétaire. Dans un contexte marqué par la diversité des modèles sociaux nationaux, la Commission prévoit notamment de créer un tableau de bord comportant cinq indicateurs sociaux et d'emploi. Cette proposition a néanmoins suscité une certaine déception, dans la mesure où aucun seuil entraînant l'intervention de l'Union n'est fixé : aucun critère précis ni contraignant n'est fixé s'agissant de la dimension sociale de l'Europe !

L'idée d'un salaire minimum en Europe - le SMIC européen - est redevenue d'actualité : en 2012, la Commission européenne a indiqué que cette idée - qu'elle considérait jusque-là comme un frein à l'embauche - était « intéressante ». Certes, du fait de la disparité des législations nationales et des niveaux de salaire, les difficultés ne manquent pas.

La communication de la Commission sur la dimension sociale de l'Union économique et monétaire évoque aussi la question d'un régime d'assurance chômage européen : ce dispositif constituerait un instrument de stabilisation automatique. Il pose la question, plus large, de la pertinence d'un budget autonome de la zone euro permettant aux États d'absorber les chocs.

M. Jacques Myard, député. - L'euro-réaliste que je suis se félicite de la mise à l'ordre du jour de ce sujet, qui est à mon sens mortifère pour l'Europe. En effet, l'ouverture -suivant la logique de l'ultralibéralisme concurrentiel - du Marché unique à un certain nombre de pays, est vouée à l'échec.

Parler de dumping social n'est pas suffisant. La situation actuelle est le résultat de trois facteurs.

Tout d'abord, la directive Bolkestein ouvre les services à égalité : en vertu du principe de non-discrimination de l'Union européenne, les entreprises peuvent travailler dans les autres pays. Or, ces entreprises n'évoluent pas dans les mêmes conditions concurrentielles. Il existe également un dumping monétaire, ou différence monétaire : la différence de coût du travail entre la France et la Roumanie va de un à dix. Enfin, la jurisprudence de la Cour de justice de l'Union européenne a élargi la possibilité de travail temporaire. Le travail temporaire a ainsi été perverti, passant de deux ou trois mois, à deux ou trois ans.

La combinaison de ces trois facteurs - la libre concurrence totale, la différence monétaire, l'excessif élargissement du travail temporaire par la jurisprudence de la Cour - a pour conséquence les catastrophes qui sont les nôtres. Le salaire minimum ne réglera pas cela. Si l'entreprise est en effet tenue par l'application de la convention de la branche, elle paye néanmoins ses cotisations sociales en Bulgarie, en Roumanie ou ailleurs.

M. Philippe Boulland, député européen. - Il ne faut pas approcher l'Europe sociale uniquement sous l'angle de l'emploi des jeunes, ce qui est une priorité en matière de chômage, ou sous celui d'un seuil de salaire minimum, ce qui est considéré comme un « gros mot » au Parlement européen : le FSE et la défense de ses montants dans le cadre d'un budget pluriannuel comptent également beaucoup.

Il faut lutter contre le dumping social, et le Parlement européen a beaucoup oeuvré pour cela. L'Europe sociale doit être considérée de façon plus vaste et plus ambitieuse :

- à un niveau inférieur, c'est-à-dire s'agissant du reporting non financier et de la responsabilité sociale des entreprises, j'ai proposé la création d'un label social européen ;

- à un niveau supérieur, il convient d'appliquer ces critères aux deux domaines que sont la gouvernance économique et la directive sur les appels d'offre.

Mme Catherine Tasca. - Je voudrais rendre compte des travaux de notre collègue Dominique Bailly, établis au nom de la commission des affaires européennes du Sénat, dans son rapport d'information du 9 juillet dernier.

Le taux de chômage des jeunes au sein l'Union européenne est deux fois supérieur au taux de chômage global. Il est supérieur à 25 % au sein de onze États membres, dont la France ; il est supérieur à 50 % en Croatie, en Espagne et en Grèce. En intégrant les jeunes qui ne sont pas inscrits auprès des régimes d'assurance chômage, le nombre des jeunes sans emploi et sans formation s'élève à 7,5 millions sur le territoire de l'Union européenne. Cette situation contraste avec les 2 millions de postes de travail vacants au sein de l'Union européenne.

En présentant en décembre 2012 une série de mesures concernant l'emploi des jeunes, la Commission européenne a contribué à faire de cette problématique l'une des priorités d'action de l'Union. Il convient de saluer les contours d'un plan assez large, visant à la fois la réinsertion des jeunes en rupture avec le système éducatif et le monde du travail, mais aussi le contenu même des formations.

La mesure phare de ce dispositif est la Garantie pour la jeunesse : la Commission invite chaque État membre à présenter dès 2014 une offre de qualité à tous les jeunes de moins de vingt-cinq ans, sans emploi ou sans formation. Les États sont incités à créer rapidement une structure dédiée.

Le Conseil européen des 27 et 28 juin dernier a permis de concrétiser ce projet, en dégageant un peu plus de huit milliards d'euros au sein du fonds « initiative pour l'emploi des jeunes », destinés aux régions dont le taux de chômage dépasse 25 %. L'Espagne, l'Italie et la France devraient en être les principaux bénéficiaires, la France devant percevoir 570 millions d'euros. Les États membres pourront également choisir de faire bénéficier les jeunes de moins de 30 ans de ce dispositif.

La Commission européenne a également présenté deux initiatives concernant les stages et l'apprentissage. Le document de consultation des partenaires sociaux européens sur un cadre de qualité pour les stages, insiste sur la nécessité de mieux définir les conventions de stage, d'en limiter la durée à six mois et d'établir une rémunération claire. La Commission a ainsi jeté les bases d'une alliance européenne pour l'apprentissage : l'objectif est d'améliorer l'offre et la qualité des apprentissages disponibles.

Un certain nombre de questions restent néanmoins en suspens. Le Conseil européen de juin 2013 n'y a que partiellement répondu. Il en est ainsi du financement et du calendrier retenus pour la mise en place du mécanisme de garantie pour la jeunesse. Ce dernier ne saurait par ailleurs être envisagé comme la seule réponse à la montée du chômage chez les 14-24 ans.

De telles propositions dépendent dans une large mesure de la conjoncture économique, nettement défavorable à l'heure actuelle. Il est indispensable que le programme soit le plus lisible possible pour les entreprises.

Par ailleurs, les dispositifs de garantie pour la jeunesse mis en place en Europe du Nord - Finlande, Suède -, souvent cités en exemple, ne constituent pas pour autant un gage de réussite pour endiguer le chômage des jeunes : celui-ci atteint dans ces deux pays près d'un quart de la population concernée. L'efficacité du mécanisme de garantie doit plutôt être analysée à l'aune de l'exemple autrichien, où le taux de chômage des jeunes est inférieur à 8 %. La garantie jeunes n'intervient cependant en Autriche qu'en dernier ressort, si la formation, l'alternance ou l'apprentissage n'ont pas débouché sur un emploi. Dans ce pays, comme en Allemagne, le point fort de la lutte contre le chômage des jeunes tient à l'efficacité de l'apprentissage ou de la formation en alternance.

Je crains pour ma part l'effet de saupoudrage : le dispositif est limité aux seules régions où le chômage des jeunes dépasse 25 %, pour un montant de 2 300 euros, contre 16 000 euros dans le cas de l'exemple autrichien.

La mise en place de l'initiative pour l'emploi des jeunes, comme les mesures en faveur de l'apprentissage, des stages, et de la garantie pour la jeunesse, constituent cependant un pas en avant et le signe d'une réorientation plus que nécessaire de l'action de l'Union européenne dans sa gestion de la crise économique.

M. Gilles Savary, député. - Le détachement des travailleurs est un thème qui monte en puissance avant les élections européennes. La révision de la directive actuellement en cours est homéopathique, et on serait bien avisé de faire des propositions plus lourdes pour éviter la généralisation du « dumping social » via le détournement de la procédure du détachement. Il y a en effet actuellement des filières qui travaillent sur le « gap social » : cela devient un métier, systématique, car même en toute légalité la mobilité coûte 30 % de moins. Dans un environnement très concurrentiel, l'usage actuel de la réglementation déstabilise donc non seulement le marché du travail mais aussi le système social et in fine le système politique. Je souhaiterais ainsi vous faire part de l'existence d'une entreprise espagnole qui « joue » le détachement dans le Gard, en détachant 2400 travailleurs équatoriens. Il faudrait que la directive limite dans le temps les possibilités de détachement ; actuellement, cette limitation est laissée à l'appréciation de la jurisprudence, qui l'a fixée à vingt-quatre mois. Je voudrais dire à Jacques Myard que la directive « Bolkenstein » peut aussi être un antidote. Regardez ce qui s'est passé avec Ryanair : si la qualification d'établissement dans le pays d'accueil est retenue, il s'en suit le paiement des charges sociales dans ce même pays. C'est pourquoi la durée du détachement est essentielle : il faut limiter la durée des détachements, circonscrits sur des tâches limitées. Nous avons, avec mes collègues, fait plusieurs préconisations, pour permettre un contrôle plus efficace de ces personnels très mobiles, et, notamment une carte du travailleur européen. On me dit que c'est trop compliqué ; mais je m'aperçois qu'une carte est prévue dans la directive « qualifications professionnelles » : cela pourrait être la même ! Nous avons aussi proposé avec mes collègues un salaire minimum de branche : c'est évidemment indispensable. Il faut, enfin, prendre l'Europe sur son terrain et constater que l'utilisation actuelle de la directive sur le détachement contrevient à un principe essentiel et fondamental de l'Union européenne, à savoir celui du respect de la concurrence libre et non faussée, et, comme je l'ai dit au ministre Repentin hier, nous devrions attaquer en justice l'Allemagne sur ce fondement.

Mme Françoise Castex, députée européenne. - Je souscris totalement aux introductions de Mme Auroi et de M. Simon Sutour sur le lien entre la dimension sociale et la dimension économique de la crise. La dimension sociale de l'UEM est un chantier qui démarre, et la résolution de Mme Pervenche Berès va nous donner la direction à suivre. La réforme de la directive « détachement » est à mon avis la clé de voûte de tout notre discours sur l'Europe sociale. Le clivage sur cette question est éminemment politique ; le vote sur cette directive en commission des affaires sociales, au Parlement européen, l'a montré clairement. A titre d'exemple, sachez que le mandat pour aller négocier le trilogue a été voté à trente voix pour contre dix-sept contre. S'il y a eu un fort clivage, c'est parce que nous savions que le travail fait en commission « emploi » allait être « détricoté » en Conseil. La situation est actuellement bloquée ; le Conseil propose une nouvelle version qui ne sera pas prête en décembre pour le prochain Conseil, ce qui signifie un report du vote sur la directive à la prochaine mandature. Rappelons qu'il ne s'agit pas de travailleurs qui viennent tout seuls, mais d'entreprises qui « importent » des travailleurs. Ce devrait être normalement beaucoup plus facile à contrôler. L'exemple fourni par notre collègue Gilles Savary est absolument pertinent. Je pense en revanche contrairement à lui que la limitation dans le temps n'est pas une solution : les entreprises contourneraient cette limitation en détachant d'autres travailleurs. La solution est à mon sens dans la mise en place d'un salaire minimum et le contrôle strict de l'application de la directive. En outre, Gilles Savary a raison sur la question de la concurrence libre et non faussée ; j'étais moi-même chargée de l'avis sur le rapport 2012 en commission des affaires sociales sur la DG concurrence et fait voter le fait que le « dumping social » est une entrave à la concurrence loyale.

M. Arnaud Richard, député. - Il faut rappeler avec Jean Monnet que l'Europe se fait aussi à petits pas, c'est l'Europe des solidarités de fait. Le groupe UDI suit avec attention les débats sur la question de l'Europe sociale et notamment du détachement des travailleurs. Ces derniers temps, l'Europe est accusée de tous les maux, mais c'est le fait d'incompréhensions qui ont pour effet de monter les citoyens les uns contre les autres. Rappelons-nous des débats autour du plombier polonais lors de la précédente campagne électorale. Nos concitoyens ont besoin d'une Europe forte, et de concret et d'efficacité. Nous devons garder notre optimisme et nous atteler à construire pour l'avenir ; nous nous réjouissons en cela au groupe UDI des initiatives actuelles sur l'emploi des jeunes. Concernant le détachement des travailleurs, rappelons que les conclusions suite au rapport de nos collègues Guittet, Piron et Savary ont été ici votées à l'unanimité. Cela montre l'importance que nous accordons tous à cette question.

M. Henri Weber, député européen. - Je souhaiterais pour ma part, au risque de paraître une fois de plus provocateur, rappeler que « l'affaire » du plombier polonais vient à l'origine de je ne sais quelle personnalité de la droite « dure » qui a jeté de l'eau sur le feu. N'oublions pas que les plombiers polonais sont les bienvenus en France, tout comme les plombiers roumains d'ailleurs ou citoyens d'autres pays de l'Union, mais aux conditions du marché français : c'est là la vraie bataille. Je souhaiterais en outre souligner le fait que dans un autre secteur, celui du cinéma, la Commission va reconnaître licite les aides au soutien de cette industrie quelle que soit la provenance des entreprises concernées. Imaginez-vous que nos collectivités locales, et même notre État, vont continuer à investir si les aides sont déterritorialisées ? C'est notre industrie qu'on est en train d'assassiner. L'impact peut être dévastateur.

Mme Sandrine Doucet, députée. - Concernant la formation professionnelle et l'éducation, et la situation des jeunes en général sur laquelle travaille notre collègue Philip Cordery au sein de notre commission, je souhaiterais rappeler que même homéopathiques, les mesures adoptées sont importantes, car comme l'a exprimé M. Martin Schultz, nous avons le risque actuellement de création d'une « génération perdue ». La difficulté tient à ce que la situation de la jeunesse européenne est extrêmement diversifiée. Les jeunes sont parfois soumis à des situations très injustes, comme au Royaume-Uni où ils sont contraints de s'endetter pour étudier ; la situation de l'apprentissage n'a rien à voir entre l'Allemagne ou la France, et encore moins l'Espagne où il n'existe pas. Face à la question du chômage des jeunes, il est clair qu'il y a là une part du chantier. La question qui se pose est : comment assurer un avenir commun aux jeunes européens et éviter que les plus éduqués d'entre eux quittent leur pays dévasté économiquement ? Partir ce doit être pour s'instruire et non pour fuir. Le chantier est immense pour ne pas laisser une génération face à ces situations injustes voire désespérées.

M. Pierre Lequiller, député. - Je vais provoquer aussi : il faut faire attention à notre terminologie. J'ai accueilli dans cette enceinte lorsque je la présidais M. Jacques Delors et je me souviens qu'il avait indiqué qu'il ne fallait pas parler d'Europe sociale, car le social est de la compétence des États. Je partage de fait ce point de vue : il faut faire attention de ne pas provoquer la critique populiste. Les disparités sociales et fiscales sont énormes entre les pays, et il vaudrait mieux parler de convergence sociale, et l'effectuer progressivement et par petits pas, comme le disait Arnaud Richard. Il n'y a pas d'Europe sociale, elle est balbutiante : ce doit être un objectif dont nous devons parler avec prudence. Par ailleurs, on voit sur l'affaire du tableau de bord et l'opposition entre l'Allemagne et la France, et aussi sur celle des insuffisances sur l'initiative pour l'emploi jeunes, dont l'application est différente d'un État à l'autre, qu'il n'est pas facile d'avoir un modèle unique. Et c'est normal : nous n'avons pas envie que l'on nous impose le modèle de sécurité sociale britannique et réciproquement ! L'Allemagne est en train d'accepter d'avoir un seuil minimal de salaire, mais celui-ci sera fonction de son propre modèle et de sa propre histoire, et c'est normal. Il faut être réaliste, le social reste encore largement de la compétence nationale, et si l'on avait adopté le système d'harmonisation totale, la récente réforme des retraites n'aurait pas pu être votée ! Je partage le point de vue de Gilles Savary sur la directive sur le détachement des travailleurs : c'est ce type de points très concrets qu'il faut améliorer avant les élections, pour combattre le populisme. Il y a un énorme effort à faire dans toute l'Europe et en particulier dans notre pays sur l'apprentissage et la convergence sociale, qui doit se faire à travers l'exemplarité des reformes réussies ailleurs. Nous pouvons par exemple être fiers de notre politique familiale tandis que sur l'apprentissage nous avons des leçons à prendre de nos voisins allemands. L'intérêt de l'Europe c'est aussi l'expérimentation.

M. André Schneider, député. - Oui la route est longue et le chemin sera difficile mais nous devons donner l'exemple. Je suis député de Strasbourg et je regarde avec attention ce qui se passe de l'autre côté de notre frontière, où la télévision montre des Roumains qui certes sont exploités mais en sont contents car comme ils l'expriment au micro « c'est toujours mieux que chez eux »... Le problème de la France est dans le niveau élevé des charges sociales, tout le monde le sait. L'Europe de l'Atlantique à l'Oural harmonisée n'est pas pour demain. Nous devrions sérier les problèmes et fixer des caps en termes de calendrier. La surenchère actuelle des uns et des autres n'est pas bonne.

M. Philippe Boulland, député européen. - Pour continuer, je souhaiterais rappeler que nous parlons tout de même d'économie sociale de marché, et je ne suis pas d'accord pour « jeter au caniveau » l'Europe sociale, car il y a quand même des compétences sociales au sein de l'Europe. L'Union est légitime pour s'interroger sur ces questions. Je pense au contraire que la convergence sociale aurait dû être faite depuis très longtemps, à un niveau supérieur et non à titre expérimental. L'initiative pour les jeunes c'est bien, mais cela arrive bien tard. Il faut être attentif aux expérimentations existantes et travailler sur le détachement des travailleurs - je rejoins les propos tenus sur ces sujets - mais au-delà de cela, nous avons besoin d'un idéal et d'une vision stratégique sur ce que peut apporter l'Europe sur le plan social pour le chômage et le pouvoir d'achat. Parler de l'Europe sociale, c'est répondre aux aspirations de nos concitoyens. Une convergence sociale à haut niveau n'est pas forcément utopique. Il faudrait l'imposer pour être gagnant-gagnant tant sur le plan du marché intérieur que sur celui du marché extérieur de chaque État membre, et singulièrement du nôtre.

M. Jean-Patrick Gille, député. - Pour la première réunion à laquelle je participe comme membre de cette commission, j'ai retrouvé les thèmes qui m'intéressent et notamment la garantie jeunesse, que je suis au niveau national. Sa mise en oeuvre sur le terrain est très floue pour les acteurs concernés, ce qui est problématique. Concernant l'apprentissage, il faut bien voir que les comparaisons entre pays ne sont pas si simples que ça et notre bon niveau d'étude général fait aussi l'envie des Allemands. Mme Chaynesse Khirouni travaille actuellement sur les stages au sein de notre assemblée, et il y a fort à faire, notamment sur la question des gratifications. Les convergences ne sont pas toujours faciles, mais c'est peut être sur les jeunes qu'il faut se concentrer, pour créer une sorte d'appétence à la convergence.

Mme Catherine Tasca. - Je souhaiterais souligner à mon tour l'importance du thème de l'apprentissage. Le problème en France est qu'il est porteur d'une connotation péjorative, et il nous faut travailler sur cela. Je voudrais ensuite appuyer les propos de Gilles Savary : je suis convaincue comme lui de la nécessité de rappeler que le problème du détachement est aussi un problème de non-respect de la concurrence libre et non faussée, qui est un pilier de la construction européenne. Je rejoins en outre tout à fait Henri Weber sur le malheureux constat de la démolition de mécanismes qui sont essentiels pour nos industries culturelles et de l'image : nous devons être très vigilants et nous donner les moyens de résister à la Commission à ce sujet.

M. Pierre Lequiller, député. - Je me suis mal fait comprendre : je dis qu'il faut faire attention à l'utilisation des mots, pas au concept derrière le vocable « Europe sociale ». Il faut sortir de l'idée des gens que l'Europe est coupable de tout, et j'ai peur que si on utilise ce terme on l'accuse de maux qui viennent des politiques nationales.

M. Gilles Savary, député. - Je vais faire écho à Pierre Lequiller. Cela fait des années que l'on fait des campagnes sur l'Europe sociale, avec pour idée, derrière, dans chaque pays, d'avancer ses pions pour transposer son propre modèle. C'est pour ça qu'on a perdu beaucoup de temps, pour se rendre compte que derrière la théorie de l'harmonie générale par convergence, nous sommes en divergence voire en grave divergence, avec le risque d'un éclatement de l'euro. Il faut quand même qu'on protège nos populations et c'est la concurrence qui va nous aider, notamment la concurrence salariale. Nous sommes tout juste au début de ce phénomène qui sera massif avec des risques de xénophobie et d'éclatement du modèle européen. Il faut éviter que se remettent en place des barbelés nationaux dans la tête des gens.

M. Simon Sutour, président. - Je vais polémiquer avec Pierre Lequiller. L'Europe sociale existe, il faut montrer qu'elle apporte de l'emploi aussi ! Par ailleurs, cette réunion que nous avons une fois par trimestre pourrait être améliorée. Je félicite et remercie nos prédécesseurs qui en ont été à l'initiative, mais il me semble qu'on s'essouffle, non pas sur les thèmes mais sur la méthode. Je crois que nous devrions coordonner nos positions ; c'est déjà le cas entre le Sénat et l'Assemblée nationale, mais nous devrions nous coordonner avec les députés du Parlement Européen aussi. Nous devrions envisager des échanges plus précis sur les résolutions et plus nous coordonner sur le fond. J'émets cette idée, même si je ne sais pas sous quelle forme cela doit se faire. Nous devrions réfléchir ensemble sur cette question, peut être en liaison avec le ministre ou le SGAE.

Mme Danielle Auroi, présidente de la commission des affaires européennes de l'Assemblée nationale. - S'agissant du lieu de ces réunions, nous pourrions nous réunir périodiquement à l'annexe du Parlement européen boulevard Saint Germain pour montrer symboliquement l'engagement des parlementaires européens. Nous pourrions aussi utiliser la visioconférence, que nous allons de notre côté à nouveau expérimenter le 14 novembre avec Gilles Savary sur les transports, avec la Commission transports du Parlement européen. Je vous remercie d'avoir participé à ces échanges, qui sont fructueux, riches et permettent de casser les barrières habituelles.