Mardi 8 avril 2014

- Présidence de Mme Marie-Hélène des Esgaulx, présidente -

Audition conjointe de MM. François Mius, chef de la mission pour la réalisation des actifs immobiliers (MRAI), Jean-Baptiste Saintot, négociateur MRAI - région Est, et Stanislas Prouvost, sous-directeur de l'immobilier et de l'environnement, direction de la mémoire, du patrimoine et des archives (DMPA), ministre de la défense

Mme Marie-Hélène Des Esgaulx, présidente. - Nous accueillons à présent trois représentants du ministère de la défense, M. François Mius, chef de la Mission pour la réalisation des actifs immobiliers, la MRAI, M. Jean-Baptiste Saintot, négociateur MRAI-Région Est, et M. Stanislas Prouvost, sous-directeur de l'immobilier et de l'environnement à la Direction de la mémoire, du patrimoine et des archives, la DMPA, au ministère de la défense.

Nous souhaiterions que vous nous expliquiez comment et sous quelles conditions s'est faite l'implantation de la société Écomouv' sur la base aérienne 128 à Metz, où la commission d'enquête s'est d'ailleurs rendue. Vous pouvez, si vous le souhaitez, faire un exposé liminaire conjoint d'une dizaine de minutes, à la suite duquel Mme la rapporteur Virginie Klès et, éventuellement, d'autres membres de la commission vous poseront quelques questions.

Je rappelle que cette audition est ouverte au public et à la presse, et fera l'objet d'un compte rendu publié.

(Conformément à la procédure applicable aux commissions d'enquête, MM. François Mius, Jean-Baptiste Saintot et Stanislas Prouvost prêtent serment.)

M. Stanislas Prouvost, sous-directeur de l'immobilier et de l'environnement, direction de la mémoire, du patrimoine et des archives. - Madame la présidente, madame le rapporteur, mesdames, messieurs, je commencerai par faire une brève présentation du contexte dans lequel se sont faites les restructurations du ministère de la défense à Metz et dans le département de la Moselle.

Il faut se souvenir que, en 2008, le ministère de la défense a décidé de dissoudre un certain nombre de formations militaires qui étaient implantées à Metz, ce qui a entraîné des pertes d'emplois civils et militaires de l'ordre de 5 000 personnes.

Pour compenser ces pertes d'emplois, l'État a signé avec les collectivités locales, le 8 juillet 2010, un contrat de redynamisation de site de défense, aux termes duquel il a accordé un financement de 32 millions d'euros aux collectivités et, à la suite du vote de la loi de finances de 2009, il a donné la possibilité de céder les terrains libérés à l'euro symbolique. Ce contrat faisait partie des mesures d'accompagnement de ces restructurations.

Par ailleurs, toujours dans le cadre de ces restructurations, le Gouvernement avait à l'époque décidé de délocaliser des emplois publics à Metz pour compenser en partie la perte de ces 5 000 emplois. En effet, l'un des objectifs du contrat de redynamisation de site de défense signé à Metz que se sont fixés l'État et les collectivités est la recréation de ces 5 000 emplois perdus.

Dans ce contexte, il y a eu une mobilisation générale de tous les acteurs locaux, État et collectivités, pour faire venir des emplois à Metz et de l'activité économique. Je pense que c'est ainsi que des contacts ont été pris avec la société Écomouv' pour lui proposer une implantation sur l'agglomération messine, en particulier sur le site de la base aérienne 128.

Il faut le savoir, la Direction de la mémoire, du patrimoine et des archives est une direction d'administration centrale qui est chargée du pilotage de la politique immobilière du ministère de la défense. Quant à la Mission pour la réalisation des actifs immobiliers, elle est rattachée au directeur de la DMPA et a pour objet la négociation des cessions de biens immobiliers appartenant au ministère de la défense.

À ce titre, la direction n'a pas eu connaissance de manière approfondie de la mise en oeuvre, au niveau local, des propositions qui ont été faites à Écomouv'.

Pour vous détailler la chronologie des faits telle que nous l'avons reconstituée, nous avons dans notre dossier un courrier du préfet de région daté du 23 décembre 2011, qui demande aux commandants de la base aérienne, à la suite d'une visite du ministre de la défense, de réfléchir aux conditions dans lesquelles la société Écomouv' pourrait être accueillie sur un certain nombre de bâtiments de la base qui restent à identifier.

Les services de la défense ont instruit une demande d'autorisation d'occupation temporaire des bâtiments qui ont été identifiés par la société Écomouv' en lien avec les services de la préfecture, de la direction régionale des finances publiques et des services locaux d'infrastructure de la défense. L'autorisation d'occupation temporaire du domaine public, ou AOT, a été signée le 31 janvier 2012 par le directeur de la DMPA, et ce pour une raison simple : le montant de la redevance fixé par le service France Domaine s'élevant à 67 170 euros par an, le système de délégation de signature au ministère prévoyait que, pour une redevance d'un tel montant, l'AOT devait remonter au niveau du directeur.

À la suite de la signature de cette AOT, un protocole a été signé le 25 avril 2012 par la direction régionale des finances publiques, le service d'infrastructure de la défense, la société Écomouv', Metz Métropole, l'établissement public foncier de Lorraine, ainsi que par la préfecture. Ce protocole avait pour objet, d'une part, de définir plus précisément les travaux que serait amenée à effectuer la société Écomouv' dans les locaux qui lui étaient remis sous AOT, afin qu'elle puisse les occuper, et, d'autre part, de caler la possibilité de prolonger l'occupation temporaire d'Écomouv' dans le cadre de la cession de la base aérienne. À l'époque, l'objectif était de céder la base dans l'année qui suivait. Cette convention signée avec les acquéreurs potentiels de la base fixait les conditions dans lesquelles Écomouv' pouvait être maintenue dans les locaux que l'État lui fournissait sous AOT.

Enfin, deux AOT complémentaires ont été délivrées les 20 et 21 février 2013 : l'une pour un bâtiment supplémentaire et l'autre pour permettre l'utilisation ponctuelle d'une partie des pistes de la base aérienne qui ne sont plus en service pour y faire installer un portique et réaliser des essais techniques avec les poids lourds.

Tels sont les éléments du dossier du point de vue du ministère de la défense.

Mme Virginie Klès, rapporteur. - Vous avez parlé de deux AOT, dont une concernant un bâtiment supplémentaire. La société Écomouv' dispose-t-elle de deux bâtiments plus un, soit trois bâtiments, ou seulement de deux ?

M. Stanislas Prouvost. - Écomouv' dispose de trois bâtiments.

Initialement, deux bâtiments leur avaient été concédés pour un montant fixé à 67 170 euros ; un bâtiment complémentaire a été ajouté à l'AOT initiale sans complément de redevance, une opération validée par les services fiscaux. Ensuite, ils ont eu la possibilité d'utiliser une fraction de la piste pour faire des essais, là aussi sans redevance complémentaire par rapport à la redevance initiale.

Mme Virginie Klès, rapporteur. - À l'heure actuelle, Écomouv' a donc trois bâtiments à sa disposition, plus la piste pour le même montant que le montant initial, soit 67 170 euros ?

M. Stanislas Prouvost. - Oui !

Mme Virginie Klès, rapporteur. - Le deuxième bâtiment, est-ce celui que l'on n'a pas vu, celui qui est entouré de 6 000 ou 7 000 mètres carrés constructibles ? On en a vu un avec très peu de terrain autour, mais il y en a un deuxième à trois ou quatre kilomètres de distance que l'on a vu seulement sur plan, et qui est entouré de 6 000 ou 7 000 mètres carrés constructibles.

M. François Mius, chef de la mission pour la réalisation des actifs immobiliers. - Il s'agit là des deux premiers bâtiments qui portaient sur une emprise de 7 700 mètres carrés ; le troisième bâtiment, qui relève de l'avenant numéro 1 du 20 février 2013, porte sur un bâtiment d'une emprise de 910 mètres carrés, si je ne me trompe pas.

Mme Virginie Klès, rapporteur. - La société Écomouv' est-elle aussi autorisée à réaliser des travaux dans ce bâtiment supplémentaire ?

M. Stanislas Prouvost. - Oui, elle est autorisée à le faire dans les mêmes conditions, puisqu'il s'agit d'un complément à l'autorisation d'occupation temporaire initiale.

Je précise que les travaux autorisés sont normalement des travaux non conséquents, qui ne modifient pas complètement le bâti, puisqu'ils relèvent d'une AOT non constitutive de droits réels. Ce sont donc normalement des travaux mineurs d'aménagement des locaux.

Mme Virginie Klès, rapporteur. - Savez-vous à combien s'élève exactement le montant des travaux effectués jusqu'à présent ?

M. Stanislas Prouvost. - Non, j'ai un document présentant le détail des travaux ou des installations qui ont été réalisés, mais le ministère de la défense n'a pas eu le montant de l'ensemble des travaux effectués.

Mme Virginie Klès, rapporteur. - Je crois que ce sont les représentants d'Écomouv', lors de leur première audition, qui nous avaient signalé qu'ils devaient transmettre pour autorisation la liste des travaux qu'ils comptaient réaliser, justement parce qu'ils bénéficiaient d'une AOT non constitutive de droits réels et que le montant des travaux devait aussi être pris en considération, puisque la redevance liée à l'AOT devait éventuellement être revue en fonction du montant des travaux réalisés.

Or il semble que personne n'ait la liste des travaux ni ne connaisse le montant de ceux-ci. Metz Métropole ne l'a pas non plus. C'est pourquoi nous pensions que c'était vous qui l'aviez.

M. Stanislas Prouvost. - J'ai ici une fiche qui m'a été fournie par le service local, sur laquelle figure une liste des travaux, puisqu'on a dû vraisemblablement les autoriser, en particulier les travaux ayant nécessité de creuser des trous, car il y a un problème de pollution pyrotechnique sur la base. Des précautions devaient être prises ; c'est pourquoi certaines demandes d'autorisation avaient été formulées.

En revanche, parmi les éléments qui m'ont été communiqués, je n'ai pas les montants de ces travaux. On peut solliciter le service d'infrastructure pour qu'il nous les trouve.

Mme Virginie Klès, rapporteur. - Je veux bien !

M. François Mius. - Jean-Baptiste Saintot me précise à l'instant que c'est France Domaine qui a été destinataire de ces éléments d'information. Nous, nous n'en disposons pas.

Mme Marie-Hélène Des Esgaulx, présidente. - C'est logique !

Mme Virginie Klès, rapporteur. - Il faut alors qu'on les demande à France Domaine.

Mme Marie-Hélène Des Esgaulx, présidente. - Ne vaudrait-il pas mieux que ce soit vous qui les demandiez ?...

Mme Virginie Klès, rapporteur. - Si vous les trouvez quelque part, je les veux bien. Je voudrais en avoir connaissance.

Mme Marie-Hélène Des Esgaulx, présidente. - Le service France Domaine a des quantités et des quantités d'évaluations !

Mme Virginie Klès, rapporteur. - À ce jour, Écomouv' a dû verser sa redevance, au moins une ou deux fois ?

M. Stanislas Prouvost. - Probablement, mais là encore cette question relève de la compétence de France Domaine. Comme il s'agit du domaine public défense, c'est le ministre de la défense qui délivre l'autorisation d'occupation temporaire, mais c'est France Domaine qui a la compétence pour élaborer le montant des redevances liées à l'AOT, les facturer et toucher les redevances, puisque celles-ci sont reversées au budget général de l'État.

Le service d'infrastructure chez nous ne dispose pas des éléments d'information permettant de savoir si le paiement de la redevance a été exigé et si celle-ci a bien été payée.

Mme Virginie Klès, rapporteur. - Aujourd'hui, quelle est la condition mettant un terme à l'AOT ? Le transfert de propriété à Metz Métropole ?

M. Stanislas Prouvost. - Quand l'AOT a été signée, même si l'on imaginait que le transfert de propriété à Metz Métropole interviendrait dans l'année qui suivait, on avait tout de même prévu une durée de cinq ans. Aujourd'hui, l'AOT prend donc normalement fin à la date du transfert de propriété à Metz Métropole. Si jamais ce transfert de propriété prenait encore un peu plus de temps qu'il n'avait été prévu initialement, nous serions amenés à proroger l'AOT, si la société Écomouv' en fait la demande bien sûr.

Mme Marie-Hélène Des Esgaulx, présidente. - Ils ont tout de même fait des travaux !

M. Stanislas Prouvost. - Le but du protocole qui avait été signé était de donner des garanties à la société Écomouv' quant à sa capacité de faire des travaux, puisque le futur acquéreur était d'accord pour que la société soit maintenue dans les lieux.

Mme Virginie Klès, rapporteur. - J'imagine que les procédures de déclassement ont été entamées pour pouvoir céder la base à Metz Métropole à l'euro symbolique. Qu'est-ce qui retarde cette cession ? Cela devrait pourtant aller vite !

M. François Mius. - Cela pourrait peut-être aller plus vite effectivement ! On est en phase de négociation finale avec la collectivité. Ce qui a été difficile à maîtriser, c'était l'accord entre les parties concernant la dépollution ou, plus exactement, la caractérisation des pollutions, qu'elles soient environnementales ou pyrotechniques.

Mme Marie-Hélène Des Esgaulx, présidente. - Ils ont trouvé de l'amiante ?

M. François Mius. - Non, il s'agissait principalement d'une pollution pyrotechnique. On est en train de régler ce problème, et on devrait pouvoir conclure, je pense, dans les semaines qui viennent.

Mme Virginie Klès, rapporteur. - Est-ce la totalité du site qui est rétrocédée à Metz Métropole ?

M. François Mius. - C'est la totalité du site, à une petite exception près, très ponctuelle, un terrain conservé par le ministère de la défense pour des raisons de pollutions difficiles à purger, et qui restera dans le domaine de l'État.

M. Jean-Baptiste Saintot, négociateur pour la mission pour la réalisation des actifs immobiliers. - Une autre fraction de la base aérienne 128 d'environ 9 hectares restera dans le domaine de l'État : il s'agit de la fraction occupée par les hélicoptères de la gendarmerie. Cette fraction du site a été retirée assez tôt dans la procédure de cession de l'emprise cessible, puisque les services de la gendarmerie continuent de l'utiliser.

Mme Virginie Klès, rapporteur. - Savez-vous si Metz Métropole a d'ores et déjà des projets pour le reste de la base aérienne, au-delà d'Écomouv' ?

M. Jean-Baptiste Saintot. - Différents axes de reconversion ont été identifiés par Metz Métropole, avec quelques porteurs de projets. Néanmoins, il n'y a pas encore de projets précis pour les 395 hectares que représente la base.

Mme Marie-Hélène Des Esgaulx, présidente. - C'est énorme !

M. Jean-Baptiste Saintot. - À ce jour, Metz Métropole a fait élaborer un zonage du site pour en définir les grandes vocations.

Mme Virginie Klès, rapporteur. - À l'heure actuelle, comment se répartissent les responsabilités en termes d'entretien et de sécurité, entre autres, entre le ministère de la défense, Metz Métropole, qui n'est pas encore propriétaire, et Écomouv', qui occupe une partie de ces terrains et de ces immeubles ?

M. Stanislas Prouvost. - Aujourd'hui, la responsabilité de l'ensemble du site relève du ministère de la défense. Quelques AOT doivent être données aux collectivités pour la viabilité hivernale : entreposer du matériel, du sel et du sable.

Cela étant, le gardiennage général de l'emprise est encore assuré par le ministère de la défense. Il a été demandé aux titulaires d'AOT d'assurer leur autonomie. Écomouv' en particulier a souscrit ses propres abonnements de fluides - eau et électricité. L'entreprise est autonome et ne dépend plus du budget et de la responsabilité du ministère sur ce plan.

Je précise qu'avait été signée, avant ces mises en autonomie, une convention prévoyant la refacturation, par le ministère de la défense, des frais de fonctionnement du site. C'est là la procédure habituelle pour tout site que la défense est en train d'abandonner. Qu'il s'agisse d'Écomouv' ou de tout autre occupant, on demande le remboursement d'une partie des frais de fonctionnement lorsque les fluides ne sont pas individualisés.

Mme Virginie Klès, rapporteur. - Ainsi, vous avez eu connaissance, par le préfet de région, de l'intérêt exprimé par Écomouv' pour certaines parties de cette base aérienne. Vous a-t-on également indiqué les critères de choix de cette entreprise ? Pourquoi le choix s'est-il porté sur tel bâtiment plutôt que sur tel autre, sur tel secteur plutôt que sur tel autre ? Pourquoi demander un troisième bâtiment ?

M. Stanislas Prouvost. - Au niveau central, nous n'avons eu aucune information, puisque les négociations ont été menées au niveau local. Pour notre part, nous avons pris en compte la demande relative aux bâtiments ciblés lors d'investigations locales. Lorsqu'un bâtiment complémentaire nous a été demandé, nous n'avons pas eu de raison de nous y opposer au niveau central, étant donné que sa base était neuve. Pour autant, nous n'avons pas mené d'analyses visant à déterminer les raisons pour lesquelles la société Écomouv' souhaitait disposer de locaux complémentaires. Des éléments d'information peuvent peut-être être fournis au niveau local.

Mme Virginie Klès, rapporteur. - Je trouve tout de même surprenant qu'un bâtiment supplémentaire de 910 mètres carrés soit attribué sans augmentation de la redevance liée à l'AOT, surtout à une époque où l'État cherche de l'argent partout et quand on sait que des frais de dépollution vont devoir être engagés.

J'entends bien que l'on puisse opérer des cessions gratuites pour la reconversion de sites militaires abandonnés. Toutefois, il s'agit, en l'occurrence, de l'occupation de bâtiments et de terrains par une société privée. Ce ne sont pas des emplois publics, mais bel et bien des emplois privés. Les douanes, qui représentaient pourtant des emplois publics, ne s'y sont pas installées. J'ai un peu de mal à comprendre.

M. Stanislas Prouvost. - Je ne peux pas vous apporter de réponse sur ce point. Lorsqu'une société ou une entité publique souhaite obtenir une AOT, c'est le service France Domaine qui calcule le montant de la redevance. Dès lors que France Domaine considère que la redevance demandée initialement n'a pas à être abondée pour l'occupation d'un bâtiment supplémentaire, il n'appartient pas au ministère de la défense de se prononcer.

Mme Virginie Klès, rapporteur. - Mais peut-être avez-vous connu des situations similaires et disposez-vous d'explications ou d'éléments d'explication ? La MRAI sait peut-être ce qui se fait en la matière...

M. François Mius. - M. Prouvost l'a rappelé, il s'agit d'une compétence exclusive de la direction régionale des finances publiques. Nous avons parfois été mis en difficulté pour avoir exprimé le moindre avis sur le sujet ! Aussi, nous nous astreignons aujourd'hui à un total devoir de réserve, et nous laissons ce dossier entre les mains du service France Domaine, qui est le seul compétent.

Mme Marie-Hélène Des Esgaulx, présidente. - Je me permets d'insister, il est assez choquant que les douanes n'aient pu s'installer sur la base, à proximité d'Écomouv'. Vue de l'extérieur, cette situation est incompréhensible.

Mme Virginie Klès, rapporteur. - Sans compter qu'il n'y avait plus d'utilité pour le ministère de la défense à conserver des emprises sur ce site, exception faite des emprises que vous avez évoquées ! Si, pour le ministère et pour France Domaine, cela ne posait aucun problème de mettre un troisième bâtiment de 910 mètres carrés à disposition, qui plus est, gratuitement, j'ai réellement beaucoup de mal à comprendre...

M. Stanislas Prouvost. - Concernant le bâtiment complémentaire, un autre élément me vient à l'esprit, même s'il ne s'agit peut-être que d'un facteur périphérique.

Quand Écomouv' s'est installée sur le site, certaines entités du ministère de la défense y étaient encore présentes. Lorsque le bâtiment supplémentaire a été accordé, nous avons dû continuer à vider le site. On s'était également posé la question de l'installation de l'INSEE sur le site, qui n'a pas non plus connu de suite. Du point de vue du ministère de la défense, toute occupation du site était bonne à prendre, étant donné qu'il était vide : avoir des occupants sur le site tant qu'il n'est pas transféré aux collectivités permet, d'une certaine manière, de maintenir une activité, donc d'assurer, sinon un gardiennage, du moins une vie, ce qui évite les squats ou les intrusions. En tout cas, les intrusions peuvent être détectées assez rapidement.

Concernant la question de l'occupation du site par les douanes, la défense, pour ce qui concerne la partie que nous représentons, n'a pas été informée d'une réflexion des douanes quant à l'opportunité de s'installer ou non sur ce site.

Mme Virginie Klès, rapporteur. - À ce jour, les éventuels preneurs ou repreneurs d'autres bâtiments s'adressent-ils à Metz Métropole ou à la MRAI ? Concrètement, comment cela se passe-t-il ?

M. Jean-Baptiste Saintot. - Dans la mesure du possible, les demandes sont orientées vers Metz Métropole, qui, à terme, a vocation à gérer le site. Il arrive parfois que des requêtes soient formulées à l'autorité militaire, en l'occurrence au commandant de la base de défense de Metz. Toutefois, en pareil cas, celles-ci sont instruites en coordination avec Metz Métropole.

Mme Virginie Klès, rapporteur. - Aujourd'hui, le site est-il totalement libéré par le ministère de la défense, à l'exception des quelques emprises indiquées ?

M. Stanislas Prouvost. - Tout à fait ! Le site est totalement libéré par le ministère de la défense depuis près de deux ans.

M. Jean-Baptiste Saintot. - Depuis l'été 2012 !

Mme Virginie Klès, rapporteur. - À votre connaissance, reste-t-il encore des bâtiments « intéressants » pour des entreprises ?

M. Stanislas Prouvost. - Oui, il reste les anciens locaux du commandement des forces aériennes. Il s'agit de bureaux aujourd'hui inoccupés. Il y a aussi une annexe de la base aérienne, qui n'est pas directement sur l'emprise de la base, à savoir le camp de Tournebride. Les collectivités concernées ont un projet de zone d'aménagement concerté, avec l'installation de divers commerces, notamment Decathlon.

Mme Marie-Hélène Des Esgaulx, présidente. - Mes chers collègues, avez-vous d'autres questions ?...

Mme Virginie Klès, rapporteur. - Je reste sur ma faim concernant France Domaine... Je vais leur poser des questions !

Mme Marie-Hélène Des Esgaulx, présidente. - Je vous comprends !

Messieurs, je vous remercie beaucoup.

Audition conjointe de M. Jean-François Carenco, préfet, directeur de cabinet du ministre chargé de l'écologie du 23 avril 2008 au 25 novembre 2010

Mme Marie-Hélène Des Esgaulx, présidente. - Mes chers collègues, nous auditionnons à présent M. Jean-François Carenco, préfet, directeur de cabinet de Jean-Louis Borloo, ministre de l'écologie, du 23 avril 2008 au 25 novembre 2010.

Monsieur le préfet, nous souhaitons notamment comprendre le processus décisionnel qui a conduit au choix d'un PPP, un partenariat public-privé. Comment s'est faite la répartition des compétences entre les ministères de l'écologie et du budget concernant la mise en oeuvre d'un projet à visée environnementale et à incidence budgétaire ? Nous souhaitons également comprendre pourquoi l'écotaxe est devenue une sorte de taxe douanière.

Je vous informe que cette audition est ouverte au public et à la presse et qu'elle fera l'objet d'un compte rendu publié.

(Conformément à la procédure applicable aux commissions d'enquête, M. Jean-François Carenco prête serment.)

Mme Marie-Hélène Des Esgaulx, présidente. - Vous pouvez, si vous le souhaitez, présenter un petit exposé liminaire d'une dizaine de minutes, à la suite duquel le rapporteur, Mme Klès, et la présidente que je suis, ainsi que les autres membres de la commission, poseront leurs questions.

M. Jean-François Carenco, préfet, directeur de cabinet du ministre chargé de l'écologie du 23 avril 2008 au 25 novembre 2010. - Pour ce dont je me souviens, parce qu'on était quand même dans un tremblement de textes permanent, il s'agissait d'un texte ou plutôt d'une affaire très importante.

Je me souviens que ce texte avait été voté à l'unanimité et que déjà - c'est la même chose aujourd'hui -, et c'était l'une des solutions apportées, l'Afitf, l'Agence de financement des infrastructures de transport en France, était en grande difficulté. Pour l'ensemble du Gouvernement, et notamment pour l'équipe que j'animais sous les ordres de M. Borloo, trouver des recettes pour l'Afitf constituait donc un axe fort. On voit bien aujourd'hui ce qu'il en est.

Tous ceux qui ont participé à ce projet extrêmement difficile étaient enthousiastes. On avait le Graal ! L'idée était que les Allemands le faisaient, et cela leur rapportait beaucoup d'argent ; l'idée était que nous allions enfin taxer les camions étrangers qui passaient sur notre territoire - c'était l'objectif -, que tout cela allait être interopérable non pas au sens étranger mais avec les sociétés d'autoroutes - c'était l'objectif -, et que nous allions en plus pouvoir donner un peu d'argent aux départements de ce pays sans qu'ils fassent rien et sans que cela coûte. Il s'agissait donc d'un beau projet pour tout le monde. Pour tout le monde !

Je ne sais plus s'il s'agissait de la loi Grenelle 1 ou Grenelle 2. En tout cas, elle avait été votée à l'unanimité, tout comme la taxe carbone à l'époque.

Mme Marie-Hélène Des Esgaulx, présidente. - Je pense que c'était la loi Grenelle 1.

M. Jean-François Carenco. - Oui, l'unanimité, c'était pour la loi Grenelle 1.

Je rappelle que la taxe carbone avait également été votée à l'unanimité. Dans l'ambiance de l'époque, il s'agissait de trouver des recettes « vertueuses », disait-on alors. Tels étaient les termes qui qualifiaient la taxe carbone comme l'écotaxe transport : une recette vertueuse. Je ne sais pas si on va y revenir ; après, c'est de la politique et ça ne me concerne pas. En tout cas, là-dessus, je rappelle qu'il y avait une unanimité nationale, et plusieurs fois.

Je n'étais pas là quand le Grenelle 1 a été voté. Quand je suis arrivé, le ministre m'a dit que c'était bien. Donc, je m'y suis plongé et mon boulot a été de pousser le sujet. Quels ont été les termes du débat ?

Tout d'abord, se rapprocher des douanes. C'est très clair. J'ai passé mon temps à essayer d'amener les douanes dans le sujet et d'arriver à désigner en commun une mission spécifique. Il me semblait, ainsi qu'à la DGITM, la direction générale des infrastructures, des transports et de la mer, qu'on n'y arriverait pas seuls et que ce ministère n'était pas fait pour recouvrer une taxe, qui s'analysait comme un droit indirect et qui serait, de toute façon, poursuivie ensuite par les douanes. Et on a monté cette mission commune. Cela, je m'en souviens bien.

Le deuxième sujet a très vite été : « comment fait-on ? » De manière unanime, je dois le dire, tout le monde a dit « PPP ». Je n'ai pas souvenir d'une seule voix à l'époque pour dire « MOP », ou maîtrise d'ouvrage publique. Moi qui connais bien l'administration, cela ne m'a pas choqué. J'ai d'ailleurs dit « PPP » comme tout le monde, car, pour être honnête, je pense que l'administration française est incapable de faire cela. Qu'on me donne des exemples équivalents de ce qu'a su faire l'administration française... Je pense qu'on en est incapable. Surtout qu'il fallait aller vite, parce qu'on se disait à l'époque qu'on aurait quelque chose sur le budget de l'Afitf à la fin de 2011.

On avait donc une mission qu'on a définie en commun. On avait des réunions communes avec le directeur général des douanes, Jérôme Fournel, et Daniel Bursaux. Je n'ai aucun souvenir - et donc, je crois que cela n'a pas eu lieu - d'un débat ou d'une discussion avec le ministre des finances de l'époque. Aucun !

Je répète donc que le choix du PPP apparaissait à tout le monde comme une évidence absolue. Ensuite, est venu le coût de ce qu'il représentait. Il me semble, selon mon souvenir, que c'était environ 250 millions d'euros.

Je n'ai volontairement pas lu de notes et de rapports, parce que je pense que c'est ainsi que l'on est le plus honnête et le mieux à même de pointer les choses les plus importantes. Le plus important me semble-t-il est de s'en remettre à ce qui était l'esprit de l'époque.

L'esprit, c'était donc le PPP et un niveau de taxe à 12 centimes... Moi j'étais pour 16 centimes, mais la mission m'a répondu qu'il ne fallait pas aller au-delà de 12 centimes. Il est évident que le rapport entre le coût et le bénéfice dépend du montant de la taxe au kilomètre. Mais on se disait « l'année prochaine, on sera déjà à 15 centimes, puis après à 16 centimes et on s'arrêtera quand on sera comme les coûts autoroutiers ». C'était cela le débat. Et, si vous êtes au niveau des coûts autoroutiers, ce n'est pas cher. Premièrement, on ne sait pas le faire et, deuxièmement, ce n'est pas très cher en PPP.

J'ajoute qu'il y a eu le débat sur les routes taxables pour les conseils généraux. Globalement, ils en ont demandé plus que ce qu'il fallait. Le débat a été de les restreindre et de leur dire que le dispositif n'était pas seulement fait pour les caisses des conseils généraux : il y a une philosophie ; il faut que ce soit une route avec certains critères, qu'il y ait un report possible sur le ferroviaire.

Le PPP apparaissait donc comme une évidence. Concernant le choix des PPPistes, on m'a très vite dit qu'il y avait trois équipes. J'en étais content. Il valait mieux en avoir trois qu'aucune ou une seule. Ensuite, ni les ministres ni moi-même n'avons mis le doigt dans le choix de la commission. En cinq ans de travail avec Jean-Louis Borloo, je ne lui ai pas parlé une seule fois d'un marché. Ce n'est pas son « truc » et ce n'est pas le rôle du cabinet d'un ministre de suivre les marchés publics des administrations. Nous avons respecté cette vision du rôle du ministre et de son cabinet sans aucune exception durant cinq ans.

Quand j'ai appris, après mon départ du cabinet, que la Sanef avait présenté un recours devant le Conseil d'État - Daniel Bursaux m'en a prévenu -, affirmant qu'elle avait été approchée, j'en ai été meurtri. Cela dit, chacun sait, et je n'en dirai pas plus, qu'un certain nombre d'officines vendent les rendez-vous qu'elles obtiennent par amitié avec tel ou tel responsable. Il n'est donc pas impossible qu'ils aient inventé quelque chose - je n'en sais rien -, mais j'en ai été très meurtri.

Sur le plan de l'honnêteté, on peut faire des bêtises, mais je pourrais confier à Daniel Bursaux toute ma richesse, je serais certain de la retrouver à la fin. J'en étais donc meurtri pour lui, et un peu pour moi, même si je n'étais pas en cause.

Je voudrais également dire un mot de l'affaire bretonne, afin de fixer les responsabilités de chacun. Au nom de Jean-Louis Borloo, qui avait présidé la première réunion, j'ai négocié avec ceux qui allaient ensuite porter les bonnets rouges fabriqués en Écosse. Nous nous sommes mis d'accord de manière très ferme et très claire sur un rabais de moins 40 %. Il y avait les régions périphériques comme l'Aquitaine, si je me souviens bien...

Mme Marie-Hélène Des Esgaulx, présidente. - 25 % !

M. Jean-François Carenco. - En effet, 25 %... Il devait y avoir Midi-Pyrénées aussi et la Bretagne. Nous étions arrivés à moins 40 %, au nom de la gratuité. Le Premier ministre d'alors a jugé opportun, lors d'un débat budgétaire, je pense, de porter la réfaction de 40 % à 50 %.

Je le dis donc très simplement : j'ai le sentiment d'avoir été trompé deux fois. La première quand on est passé de 40 % à 50 % ; la seconde lorsque les Bretons ont lancé la rébellion contre cette taxe. Par deux fois, ils ont renié leur accord. Je le dis comme je le pense.

Aujourd'hui, moi, préfet de région, je porte des projets d'investissement pour les collectivités locales, pour le fer, pour le rail, pour la route, pour les canaux, et je n'ai plus un sou. Voilà la réalité de deux mensonges ! Je suis un peu violent mais on ne peut pas se parjurer comme ça !

Je pense profondément que l'administration française a commis une faute d'application après coup. Dès que je suis arrivé à Lyon, parce que je connaissais le dossier, j'ai réuni un comité régional d'application de la taxe transport rassemblant tous les participants : la grande distribution, le BTP, les camionneurs, les messageries. Je m'honore d'avoir, suivant une idée débattue dans cette commission, exonéré les camions laitiers. C'était une bêtise de les avoir inclus ou en tout cas de ne pas les avoir enlevés.

J'ai souvent demandé au Gouvernement d'instaurer de manière obligatoire ces comités d'application de l'écotaxe transport. Malheureusement, cela est resté de l'ordre de l'initiative individuelle. En tout état de cause, je peux vous dire qu'un accord général, avec des adaptations, avait été trouvé. C'est de chez moi qu'est partie l'idée de la forfaitisation en pied de facture comme l'exonération des camions laitiers. Vous pouvez interroger à ce sujet M. Sibu, président de la FNTR, la Fédération nationale des transports routiers. Au début, il n'était pas content, mais nous avons discuté.

Je suis donc doublement meurtri de ce qui est arrivé. D'abord, parce qu'ils étaient d'accord. Les circonstances ont changé, mais les accords, ce ne sont pas des contrats à la chinoise. Ensuite, parce qu'on aurait pu le faire quand même si on l'avait bien vendu, bien appliqué et bien fait.

Le seul report dont j'ai eu connaissance, c'est à la fin - quand on m'a dit qu'il n'y avait pas assez de transporteurs qui avaient souscrit l'abonnement et qui avaient pris le boîtier. Je me suis dit que c'était retardé de six mois, le temps que ça marche.

En résumé, le vote était unanime, personne n'a contesté le PPP, personne n'a trouvé que c'était cher - on savait que c'était évolutif et, en plus, on n'avait pas besoin de payer l'investissement. J'ai fait les plus grands efforts pour associer la direction des douanes, puisque c'est elle qui allait opérer les contrôles et que ce n'est pas au ministère des transports de gérer les affaires financières, tout en conservant à la DGITM la responsabilité de faire avancer l'opération. D'ailleurs, je me rappelle que la direction des douanes était assez réticente au début, jugeant le projet compliqué. Compliqué, il l'était nécessairement ; on a même envisagé, à un moment donné, un système fondé sur des satellites plutôt que des portiques.

Je le répète : on trouve aujourd'hui que c'est cher. Mais c'est parce qu'on ne le met pas en service ou qu'on le fait à 12 centimes. Nécessairement, ce système aurait été étendu. S'il existait depuis trois ans, que croyez-vous que nous ferions aujourd'hui ? À l'évidence, nous augmenterions un peu le niveau de la taxe et nous étendrions son périmètre.

J'assume tout ce que j'ai décidé, notamment qu'il fallait le faire, qu'il fallait associer la douane et que le PPP n'était pas une mauvaise idée ; pourtant, en règle générale, je ne suis pas très favorable à ce type de truc, mais je ne savais pas comment faire autrement. Qui allait être maître d'ouvrage du projet ? Quel appel d'offres lançait-on ? La construction de portiques ? Et de toute façon, l'Afitf était déjà en faillite. Là, on ne payait rien et on avait 1 milliard d'euros par an, pour commencer. Qui n'aurait pas été pour ? Sans compter que, pour une fois, les étrangers allaient payer.

Je tiens à présenter une autre observation au sujet des pieds de facture et des transporteurs. En réalité, depuis des années, voire des décennies, toutes les mesures tendent à une concentration dans le secteur des transports, notamment les mesures environnementales. Le passage d'Euro 4, à Euro 5, à Euro 6, avec des camions qui valent 200 000 euros - c'est à peu près le prix des derniers tracteurs -, exclut les petits transporteurs. C'est pareil pour le système de l'écotaxe. Quant au système des quarante tonnes à l'essieu, le ministre Jean-Louis Borloo avait pris une position, avec laquelle j'étais d'accord, extrêmement hostile, mais il a été imposé par le Premier ministre, et c'est aussi de nature à favoriser la concentration.

Ainsi, la « rébellion » des petits transporteurs est l'aboutissement d'un long processus de concentration. Il y a aussi bien évidemment les règles européennes en matière de cabotage et de concurrence. J'ai la conviction que l'opposition manifestée par les petits transporteurs - on a vu que les gros étaient silencieux - est la conséquence non pas de la seule taxe transport, mais d'une succession de mesures qui aboutissent à des concentrations dans ce secteur. Au demeurant, ne faisons pas de comparaisons avec ce qui se passe actuellement avec Mory Ducros, qui est un messager et qui n'est pas tout à fait un transporteur.

L'objectif, on le rappelle, c'est quand même de réagir à l'effondrement du fret SNCF. Je rappelle que, dans le même temps, et je m'honore d'avoir fait cela, parce que là aussi c'était unanime, il y avait le plan confié à RFF, Réseau ferré de France, pour la régénération des petites voies ferrées. C'était la création des trains d'aménagement du territoire. C'était le contournement de Nîmes et de Montpellier - je ne parle pas des TGV -, qui permettait de déverrouiller un système de fret.

Il y avait donc à la fois le développement du fret par régénération des voies, par les autoroutes ferroviaires alpines - dont on n'est toujours pas sorti -, c'était l'époque où on travaillait sur Bettembourg-Perpignan, et où on lançait l'autoroute ferroviaire Atlantique.

Toutes ces mesures formaient un ensemble d'une cohérence totale. Cette cohérence, je la défends très fortement devant vous. Cette cohérence, je le rappelle une fois de plus, avait été celle de la nation. Ce n'était pas une idée... Borloo l'avait poussée, je l'avais appliquée, mais tout le monde était d'accord sur cette double cohérence : le fret avec ses investissements, ses autoroutes ferroviaires, cette relance de RFF sur les voies, avec des sommes considérables, le contrat de progrès qu'on avait signé à l'époque, et l'écotaxe transport. Personne, vraiment personne, n'imaginait qu'on n'arriverait pas au bout !

Je pense que ceux qui ont contribué à ce projet sont aujourd'hui meurtris, pour tout un ensemble de raisons. Surtout, ce sont souvent les mêmes qui pleurent misère pour faire des infrastructures !

Mme Marie-Hélène Des Esgaulx, présidente. - La parole est à Mme la rapporteur.

Mme Virginie Klès, rapporteur. - Monsieur le préfet, vous avez dit : « on ne payait rien et on avait 1 milliard d'euros par an ». À ceci près que « on », est un pronom indéfini. Et il faut bien que quelqu'un paie.

Aussi, je voudrais vous demander si, indépendamment du fait que le PPP devait rapporter une recette, dont je ne doute aucunement qu'elle aurait été utilisée à très bon escient si elle avait été perçue, la question du coût s'est posée.

Autrement dit, a-t-on pensé qu'au-delà d'un certain coût, trop important par rapport à la recette attendue, la mesure ne serait pas mise en oeuvre, parce qu'elle ne serait pas acceptable par la population et par les camionneurs ? Ou bien a-t-on considéré qu'on l'appliquerait de toute façon ?

M. Jean-François Carenco. - Les calculs qu'on a faits à l'époque étaient sur ce que payait l'utilisateur. Je me rappelle qu'on rapportait le coût de l'utilisation au kilo de petits pois et on disait aux Bretons : calculez ce que coûte, en réalité, le transport d'un kilo de votre viande jusqu'à Rungis. Rapporté au kilo transporté, ce coût ne représentait rien du tout, de sorte que tout le monde considérait cette taxe comme à peu près indolore pour le payeur final, c'est-à-dire pour le consommateur.

Mme Virginie Klès, rapporteur. - Ce calcul était-il fondé sur l'étude préalable ou sur les coûts figurant dans les contrats signés ?

M. Jean-François Carenco. - On parlait de la taxe elle-même et pas du coût de l'installation du taxeur, c'est-à-dire du système. A cette fin, de toute façon, ce sera entre 12 et 16 centimes du kilomètre. Si vous faites 16 centimes du kilomètre, rapporté au kilo de petits pois transporté de Bordeaux à Rungis, cela ne fait pas cher pour avoir 1 milliard d'euros ! Tel était le raisonnement.

Personne n'a contesté le fait que 250 millions d'euros - je pense que c'était le coût à l'époque - c'était très cher. Cela représentait 20 % du coût total. Mais on se disait que le taux diminuerait dans le temps. Est-ce cher, 20 % ? Oui, dans l'absolu, mais si le produit augmente, c'est moins cher. Cela n'a posé de problème à personne

Et puis, il y avait trois offres, dont aucune ne proposait 5 %. On m'a dit que les trois offres étaient à peu près équivalentes. J'ai su que l'une était présentée par un Italien, ce qui m'a un peu étonné. Il était accompagné par la SNCF et Steria.

Aujourd'hui, on trouve que c'est cher ; mais, à l'époque, je ne me souviens pas que quiconque l'ait dit.

Mme Virginie Klès, rapporteur. - Si on trouve aujourd'hui que c'est cher, c'est aussi parce qu'on n'a pas pu mettre en place la mesure : on a payé des infrastructures sans percevoir aucune recette.

M. Jean-François Carenco. - Exactement !

Mme Virginie Klès, rapporteur. - Il ressort de nos travaux, qui ne sont pas encore tout à fait terminés, que l'une des raisons du retard dans la mise en oeuvre de l'écotaxe réside dans la grande complexité du système, ainsi que dans les contraintes et les exigences très importantes qui ont été fixées par les douanes en matière de contrôle.

M. Jean-François Carenco. - Oui ! Les douaniers voulaient faire des contrôles, j'en ai le souvenir très précis.

Mme Virginie Klès, rapporteur. - À un moment ou à un autre, la cellule interministérielle qui était en place a-t-elle envisagé que les contrôles soient réalisés de façon plus pragmatique, avec moins de technologie et un peu plus d'humain, à un coût moindre et d'une manière plus facile à mettre en oeuvre ?

M. Jean-François Carenco. - À aucun moment ils ne l'ont dit.

L'objectif, au ministère des transports, était d'amener les douanes « dans le bateau ». Or les douanes y allaient à reculons, parce que, pour être honnête, ils « faisaient les douaniers de base », même au plus haut niveau.

Notre ambition était que le système fonctionne. Peut-être n'avons-nous pas assez regardé le volet douanier. L'objectif était qu'ils signent.

Par deux fois, madame la rapporteur, vous avez attiré mon attention sur le coût de la collecte. Personne n'a considéré qu'à 20 % c'était cher. Dans le débat politique, il n'est jamais venu à mes oreilles...

Mme Virginie Klès, rapporteur. - À l'époque.

M. Jean-François Carenco. - ... à l'époque, oui, que c'était cher.

Mme Virginie Klès, rapporteur. - Reste que la mise en oeuvre très retardée de l'écotaxe est liée notamment aux contraintes techniques.

M. Jean-François Carenco. - Je n'en sais rien. Je n'étais plus là, puisque je suis parti en novembre 2010. Je pense que le marché n'était pas signé. Après ...

L'important, c'est d'avoir un capitaine dans le bateau  qui a un objectif et qui accepte des contraintes.

Mme Virginie Klès, rapporteur. - Justement : pensez-vous, a posteriori, que la cellule mise en place était suffisamment armée, et son capitaine avec elle, pour tenir le cap, y compris dans la tempête ? Je pense à la DGITM, aux douanes et à la mission de la tarification.

M. Jean-François Carenco. - Il me semble que la mission ne s'est pas donné pour but d'arbitrer : l'arbitrage appartenait aux représentants du politique.

La mission était-elle suffisamment forte ? J'ai envie de répondre non, si j'en juge par la difficulté qu'on a eue pour la constituer et y faire venir les douanes... L'autre sujet, c'est que le ministre des finances n'a peut-être pas été assez impliqué. Le directeur des douanes en référait peut-être à son cabinet, je l'espère du moins.

En tout cas, le DGITM en référait à son cabinet suffisamment, mais pas plus que ce qu'il fallait. À partir du moment où le politique a décidé, où l'Assemblée a voté, où c'est un sujet de la nation, que personne ne conteste le PPP, cela devient une affaire technique. On l'a peut-être trop considéré comme une affaire technique. Ce n'est pas impossible. Mais le reproche principal que je fais s'adresse à ceux, y compris les parlementaires, qui ont donné leur accord et qui l'ont ensuite retiré. Pour un fonctionnaire, c'est un peu compliqué à accepter.

Mme Virginie Klès, rapporteur. - Au sujet du PPP, vous avez été on ne peut plus clair : pour vous, la procédure n'a pas posé le moindre problème.

M. Jean-François Carenco. - En effet.

Mme Virginie Klès, rapporteur. - En ce qui concerne son périmètre, pensez-vous toujours, a posteriori, qu'il fallait y inclure le recouvrement de la taxe ?

M. Jean-François Carenco. - Oui !

Mme Virginie Klès, rapporteur. - Ne pensez-vous pas qu'il aurait été plus simple de l'en exclure ? Je pense aussi aux contraintes de contrôle demandées par les douanes.

M. Jean-François Carenco. - Dans mon souvenir, la douane ne le voulait pas. Comment le recueillir ? On ne pouvait pas bloquer les transporteurs pour les contrôler. Ils s'équipaient d'un boîtier, parcouraient la France et on leur envoyait la facture. C'était le principe. Il n'y avait pas de contrôle physique.

J'ai l'occasion d'organiser de temps en temps des contrôles physiques de douanes, c'est la croix et la bannière. Pour contrôler un camion, il faut trouver une aire d'autoroute ! Aujourd'hui, en France, il n'y a plus de contrôle de police et plus de contrôle douanier. Il faut trouver des systèmes automatiques.

Je n'imagine pas que les douaniers aient pu arrêter les véhicules à la frontière. Les Suisses le font, mais c'est un petit pays et vous payez une fois par an votre vignette.

Il me paraissait donc naturel que le système de contrôle soit automatique et qu'il entre dans le périmètre du PPP. En tout cas, cela n'était pas un projet douanier, je peux vous le dire.

Mme Virginie Klès, rapporteur. - Comment est-ce devenu un projet douanier ?

M. Jean-François Carenco. - Parce que nous, on a voulu impliquer les douanes car il n'est pas possible que le ministère des transports recouvre des droits indirects.

Ce n'est pas dans les attributions d'un contrôleur de la direction régionale de l'environnement, de l'aménagement et du logement (DREAL). Les droits indirects, ce sont les douanes. C'est peut-être trop simple, mais je ne vois pas quelle autre solution on avait.

Et puis l'Allemagne avait un système équivalent en PPP qui fonctionnait bien pour un produit de 4 milliards d'euros, et sans contestation ! On cite toujours l'exemple de l'Allemagne, on a voulu faire comme eux et on a échoué ! La question est pourquoi ? Ce n'est pas dû au choix du système, mais à la mise en oeuvre qu'aurait dû être plus rapide. Le délai de mise en route a été quelque peu « mortel », j'en suis convaincu.

Mme Virginie Klès, rapporteur. - Ce délai de mise en route, une fois de plus, est tout de même fortement lié au fait qu'aucune montée en puissance progressive n'était prévue puisque les douanes exigeaient à la fois un sur 1 million en fausse détection et 99,75 % en taux de recouvrement. Autrement dit : zéro faux positif et zéro faux négatif, si je puis m'exprimer ainsi.

M. Jean-François Carenco. - La preuve, c'est qu'on n'a pas fait en Alsace ce qu'on devait faire.

Mme Virginie Klès, rapporteur. - On est bien d'accord !

M. Jean-François Carenco. - On aurait fait un effort d'explication tout au long du processus, ça aurait été préférable.

Mme Virginie Klès, rapporteur. - C'est bien possible.

M. Jean-François Carenco. - Et puis les personnes concernées avaient tenu parole, ça aurait été mieux aussi.

Mme Marie-Hélène Des Esgaulx, présidente. - La parole est à M. Éric Doligé.

M. Éric Doligé. - Monsieur le préfet, vous avez de la chance : vous êtes doublement meurtri. Moi, je le suis au moins septuplement ! Il y a donc un certain nombre de raisons pour lesquelles je ne suis pas du tout satisfait de ce dossier, et je vous remercie d'avoir été clair et précis dans votre expression.

D'abord, je suis meurtri parce que l'État perd 1 milliard d'euros alors que nous en avons besoin.

M. Jean-François Carenco. - Je l'ai dit juste avant que vous n'arriviez.

M. Éric Doligé. - Chaque année, ça sera un peu plus difficile.

Ensuite, le citoyen devra payer à un moment ou à un autre ce milliard si l'on veut réaliser les opérations. On sait bien que l'Afitf rencontre un certain nombre de problèmes et qu'on ne pourra pas réaliser certaines opérations, ce qui parallèlement nous empêchera de donner du travail à des entreprises en cette période difficile : 1 milliard d'euros sur le marché, ça permet quand même de réaliser pas mal d'opérations.

M. Jean-François Carenco. - C'est 10 000 emplois !

M. Éric Doligé. - Voilà !

En outre, j'ai été doublement meurtri quand vous avez parlé des départements, je suis d'ailleurs arrivé juste à ce moment-là. Depuis je me suis calmé, cependant vous avez évoqué les départements en des termes qui n'étaient pas très sympathiques. Peut-être ai-je mal compris le sens de votre phrase, mais vous avez dit : « un peu d'argent pour les départements qui n'ont rien à faire » !

M. Jean-François Carenco. - Qui n'ont rien à faire pour le percevoir. On peut être d'accord sur cette phrase.

M. Éric Doligé. - Chacun sait que si le budget de l'État va mal, les choses ne vont pas bien non plus pour les départements. Pour ma part, j'essaie de voir comment je peux récupérer ces sommes auprès de l'État. Il faut toujours espérer...

Par ailleurs, vous avez souligné une incohérence dans la mesure où cette taxe avait été adoptée à l'unanimité. Effectivement, comme vous, je trouve ce constat particulièrement décevant : on est capable de voter tous un texte précis, qui apporte des évolutions intéressantes, mais qu'on est aussi capable de se renier après. C'est d'ailleurs ce qu'on est en train de faire pour la clause de compétence générale depuis tout à l'heure. Ce qui prouve bien que l'on peut voter des décisions importantes et finalement revenir sur elles assez rapidement.

Je souhaite aborder en aparté un sujet que je vous reproche un peu : celui des deux fois quatre voies, quand vous étiez directeur de cabinet de Jean-Louis Borloo au ministère de l'écologie.

M. Jean-François Carenco. - C'est-à-dire ?

M. Éric Doligé. - Je veux parler de l'interdiction de construire des deux fois quatre voies sur les autoroutes, décision que l'on subit toujours. J'y pense parce que, à Orléans, on avait un bout de voirie à faire.

M. Jean-François Carenco. - Si cette décision a été prise pendant que j'étais directeur de cabinet, j'ai donc validé cette position et je l'assume.

M. Éric Doligé. - Pour en revenir au sujet de l'écotaxe, j'espère que nous parviendrons à sortir de cette situation de blocage, car on ne peut pas continuer comme ça. Monsieur Carenco, pensez-vous qu'il y ait une sortie possible ?

M. Jean-François Carenco. - D'abord, je voudrais publiquement, pour le procès-verbal, dire que je me suis mal exprimé en ce qui concerne les départements lorsque j'ai dit qu'ils n'avaient rien à faire. Ma phrase était peut-être elliptique, mais j'ai voulu dire qu'ils n'avaient rien à faire pour récupérer le produit de la taxe.

M. Éric Doligé. - Vous êtes absous !

M. Jean-François Carenco. - Vous me demandez s'il est possible de s'en sortir, s'il y a des solutions. Je ne suis pas un politique et j'essaie de ne pas faire de politique.

M. Jean-Pierre Sueur. - Vous êtes préfet de la République !

M. Jean-François Carenco. - Exactement, je vous ai d'ailleurs raconté mon arrivée en Haute-Savoie.

Premièrement, on a des infrastructures. Pour avoir été trois fois préfet de région, je peux décrire dans ces trois régions quelles sont les infrastructures nécessaires, qu'elles soient ferroviaires, aériennes dans certains cas, routières ou fluviales. Il est impensable que l'on arrive à tout financer par des impôts directs. À mon avis, ce n'est même pas la peine d'essayer.

Quelles sont les solutions ? Le premier, et je m'en félicite, j'avais proposé l'allongement d'un an des concessions : l'allongement « vert ». Il y a eu des débats très houleux avec les sociétés d'autoroutes.

J'avais lancé l'augmentation de la redevance, je m'y suis cassé les dents. En tout cas, le gouvernement de l'époque n'a pas voulu me laisser aller au-delà, voire aller au contentieux. Nous avions également initié une petite augmentation de la taxe d'aménagement du territoire.

Ce gouvernement vient d'augmenter de deux ans la durée des concessions pour financer d'autres projets, surtout des petites sections adjacentes plutôt qu'un vrai travail de verdissement de l'itinéraire déjà concédé. Bruxelles ne nous laissera vraisemblablement pas aller au-delà.

Pour ma part, je défends depuis très longtemps, comme je l'ai fait pour les barrages, l'idée d'une remise en concession à nouveau pour cinquante ans des autoroutes en adossement multimodal. C'est-à-dire que celui qui prend l'autoroute A1 finance le canal Seine-Nord et que celui qui prend l'autoroute A7, au sud de Lyon, finance le contournement ferroviaire de Lyon.

Soit on remet en concession comme sur les barrages et là, le danger de cette affaire, c'est Bruxelles avec aussi sur l'appel à concurrence un risque d'entente. Soit, d'autorité, passe par la loi, mais il faut l'accord de Bruxelles. Soit on prolonge de cinquante ans et on impose aux concessionnaires de l'adossement multimodal. Je ne vois pas d'autres solutions.

Je ne crois pas une seconde que l'on renationalisera les autoroutes. Par conséquent, la seule alternative, c'est la prolongation des concessions, d'une manière ou d'une autre, ou la taxe transport, en l'appliquant différemment. Il faudra bien l'adapter et changer quelque chose faute de quoi on n'aura rien !

Je rappelle le caractère absolument indispensable des infrastructures à réaliser. On a dit : on va faire payer les régions. Elles n'ont pas d'argent non plus ! Il faut prendre l'argent de la manière la plus indolore possible, et il y a deux façons pour ce faire : soit la longueur, soit la largeur, c'est-à-dire le périmètre de la perception ou la longueur de la perception.

M. Éric Doligé. - L'allongement des concessions vient d'être plus ou moins accordé.

M. Jean-François Carenco. - Pour deux ans !

M. Éric Doligé. - Oui, mais il n'y a toujours pas de programme derrière ?

M. Jean-François Carenco. - Si, il y a de petits programmes comme l'A480 à Grenoble. Après, vous avez éventuellement des concessions nouvelles, comme l'autoroute du Chablais.

Le schéma de l'écotaxe transport est un schéma autoroutier payant - pas par les mêmes et pas par tout le monde. Ce n'est pas une invention. De toute façon, on n'avait rien inventé à l'époque, mais on était content de le faire. On pensait qu'on travaillait bien pour le pays.

Vous dites avoir été septuplement meurtri ; moi, je dis que je suis durablement meurtri. Je le dis pour le procès-verbal, j'ose dire ce que je pense : j'ai du mal à admettre que, en Bretagne, des gens qui avaient donné leur accord se soient révoltés contre cela.

Je le dis comme je le pense, parce ce n'est pas bien. Je le répète, ils avaient donné leur accord.

Mme Marie-Hélène Des Esgaulx, présidente. - Vous visez les élus ?

M. Jean-François Carenco. - Non, il n'y avait pas que les élus. Il y avait le même collectif - un président de ceci, un président de cela, etc. -, ils étaient tous là et, à la fin, ils ont donné leur accord. Et quand ils ont donné leur accord à moins 40 %, ils sont allés voir le Premier ministre qui a dit moins 50 %, et ils ont de nouveau donné leur accord. Et quand la taxe arrive enfin, ils disent non !

Mme Marie-Hélène Des Esgaulx, présidente. - Je me demande si l'erreur n'a pas été de vouloir faire absolument cette refacturation forfaitaire. On n'avait pas s'en occuper, c'était un élément du prix. La refacturation, cela n'existe dans aucun autre pays. Les gens n'ont pas compris, par exemple, qu'on puisse être facturé sans être vraiment passé par le réseau taxable. La facturation forfaitaire, cela posait des problèmes.

M. Jean-François Carenco. - C'est possible.

Mme Marie-Hélène Des Esgaulx, présidente. - C'est nous qui avons légiféré, mais je pense que nous n'aurions pas dû, que nous aurions dû laisser cela en l'état. Les transporteurs auraient forcément refacturé au chargeur le coût de l'écotaxe.

M. Jean-François Carenco. - Vous entrez là dans le débat entre les petits transporteurs et les gros transporteurs, débat qui n'est pas traité en France...

Mme Marie-Hélène Des Esgaulx, président. - C'est vrai !

M. Jean-François Carenco. - ... qui n'est pas clair. Toutes les mesures, je le répète, tendent à la concentration...

Mme Marie-Hélène Des Esgaulx, présidente. - C'est vrai !

M. Jean-François Carenco. - ... depuis des années, depuis que je connais le secteur.

Mme Marie-Hélène Des Esgaulx, présidente. - Et les élus ont tout confondu : ils ont confondu l'écotaxe et la refacturation. Une grande partie d'entre eux n'ont rien compris. Je vous le dis !

Mme Marie-Hélène Des Esgaulx, présidente. - Vous n'avez rien à ajouter sur le rôle particulier de M. Jean-Louis Borloo, sur sa patte personnelle dans cette affaire ?

M. Jean-François Carenco. - Elle a été faible. Une fois votée, c'est une affaire dont on rendait compte plus au cabinet du Premier ministre me semble-t-il qu'au ministre lui-même. C'était un mode de fonctionnement du ministère à l'époque. Et M. Bussereau, notamment, appuyait complètement la mesure quand j'y étais.

Mme Marie-Hélène Des Esgaulx, présidente. - Nous allons l'auditionner, ainsi que Nathalie Kosciusko-Morizet.

M. Jean-François Carenco. - Ce n'étaient pas des choses dont on discutait tous les deux. Pourtant, je rappelle qu'à l'époque, les ministres n'avaient pas la signature.

Mme Marie-Hélène Des Esgaulx, présidente. - J'ai une dernière question : est-ce que vous trouvez que l'administration, d'une manière générale, est formée pour traiter ce type de PPP, a vraiment les capacités de le faire ?

M. Jean-François Carenco. - S'agissant des administrations des ministères, la réponse est non. C'est pour cette raison qu'il y a une mission à Bercy.

Mme Marie-Hélène Des Esgaulx, présidente. - Vous parlez de la Mappp ?

M. Jean-François Carenco. - Oui !

Mme Marie-Hélène Des Esgaulx, présidente. - La Mappp s'est d'ailleurs beaucoup trompée, parce que l'évaluation préalable s'est révélée très en deçà des chiffres réels. Malgré tout, je la défends.

M. Jean-Pierre Sueur. - Moi, je ne la défends pas !

Mme Marie-Hélène Des Esgaulx, présidente. - Je ne m'en souvenais plus ! (Sourires.)

M. Jean-Pierre Sueur. - L'évaluation préalable se déroule toujours à un moment où l'on ne dispose pas des moyens d'évaluer. C'est terrible ! Quand se présente une possibilité de PPP ou une possibilité de marché classique, au moment où vous faites l'évaluation préalable, vous ne savez pas qui serait candidat pour un PPP et à quelles conditions, qui serait candidat pour un marché classique et à quelles conditions. C'est pourquoi je trouve qu'il n'est pas très efficace de disposer d'une évaluation préalable. D'ailleurs, quand on lit cette prose, elle est parfois un peu creuse.

M. Jean-François Carenco. - En tout cas, les administrations ordinaires me paraissent mieux formées qu'auparavant - il y a moins de scandales, il n'y en a d'ailleurs quasiment plus, il y a éventuellement des erreurs. Il est vrai que la tendance est de dire : « La Mappp nous a dit qu'on pouvait y aller. »

Mme Marie-Hélène Des Esgaulx, présidente. - La Mappp fait du lobbying ! Entre nous, je ne l'ai pas souvent entendue dire non dans les évaluations préalables.

M. Jean-François Carenco. - Tout à fait !

Mme Marie-Hélène Des Esgaulx, présidente. - Ce sont cinq personnes. Quand on regarde bien, tous les projets dérapent, c'est-à-dire que les prix sont supérieurs aux évaluations préalables.

M. Éric Doligé. - Je ne suis pas d'accord. Vous avez peut-être des exemples, moi j'en ai d'autres.

M. Jean-François Carenco. - Au-delà des prix, la mode en France était au PPP.

Mme Marie-Hélène Des Esgaulx, présidente. - À l'étranger aussi.

M. Jean-François Carenco. - Je ne sais plus quand ça a commencé, il y a eu un pic. Peut-être que c'était...

M. Jean-Pierre Sueur. - En 2003 en 2004.

M. Éric Doligé. - Il y a dix ans !

M. Jean-François Carenco. - Voyez ce qu'on paye aujourd'hui avec les gendarmeries !

Mme Marie-Hélène Des Esgaulx, présidente. - C'est vrai ! Et avec les prisons !

M. Jean-François Carenco. - Sur cette affaire-là, je ne suis pas sûr qu'on sache le faire.

M. Jean-Pierre Sueur. - Monsieur le préfet, ce que vous dites est très important. D'ailleurs, le Conseil constitutionnel, dans sa sagesse, avait dit, dans la décision qu'il a rendue sur la première ordonnance relative aux PPP - décision qui a fait date -, que ceux-ci étaient utiles en cas de complexité ou d'urgence. Après, on a cherché à les généraliser dans certains domaines. Je crois que c'est un instrument utile - je ne dirai jamais que c'est inutile -, mais je ne suis pas sûr que sa généralisation soit une bonne chose.

M. Jean-François Carenco. - Dans l'administration, les PPP ont été très à la mode ces quatre dernières années, puis on est revenu à l'achat des véhicules. La location, c'est une sorte de PPP.

Mme Marie-Hélène Des Esgaulx, présidente. - C'est vrai.

À l'étranger, on a bien vu que, partout, les écotaxes ont fait l'objet de PPP.

M. Jean-François Carenco. - Encore une fois, personne n'a imaginé un instant qu'on le ferait en dehors d'un PPP.

Mme Marie-Hélène Des Esgaulx, présidente. - Ça, c'est clair. Et quand on compare avec ce qui s'est passé à l'étranger, ce n'est pas plus cher.

M. Jean-François Carenco. - Nous, on se voyait déjà à 19 centimes, je vous le jure.

Mme Marie-Hélène Des Esgaulx, présidente. - Le système aurait pu, un moment donné, concerner l'ensemble des véhicules, non pas seulement les camions.

M. Jean-François Carenco. - Voilà les souvenirs que j'en ai, ils sont assez précis. J'essaie de bien défendre mes ministres bien évidemment et d'assumer ce vers quoi j'ai poussé.

Mme Marie-Hélène Des Esgaulx, présidente. - Merci beaucoup, monsieur le préfet.

La réunion est levée à 18 h 50.

Mercredi 9 avril 2014

- Présidence de Mme Marie-Hélène des Esgaulx, présidente -

La réunion est ouverte à 14 h 36

Audition de M. Frédéric Cuvillier, ancien ministre délégué chargé des transports, de la mer et de la pêche

Mme Marie-Hélène Des Esgaulx, présidente. - Nous auditionnons aujourd'hui M. Frédéric Cuvillier, qui a été ministre délégué chargé des transports des deux gouvernements Ayrault.

Monsieur le ministre, vous êtes entré en fonction après le choix du PPP et l'attribution du marché à Écomouv'. Vous avez eu néanmoins à gérer le contrat dans sa phase finale : les reports successifs et l'absence de mise à disposition du système, puis la décision de suspension de l'écotaxe.

Qui a décidé, et pour quels motifs, de ne pas accorder la mise à disposition ? Quel est votre regard sur la suspension actuelle, l'état des relations avec Écomouv' et son consortium bancaire et, enfin, les conséquences, notamment financières, de cette situation ? Quel rôle votre ministère a-t-il joué dans la décision de suspension ?

Je vous informe que votre audition est ouverte au public et à la presse. Elle fera l'objet d'un compte rendu publié ainsi que d'une captation vidéo, retransmise sur le site internet du Sénat.

Conformément à la procédure applicable aux commissions d'enquête, M. Frédéric Cuvillier prête serment.

M. Frédéric Cuvillier, ministre délégué chargé des transports. - Votre commission d'enquête porte sur les modalités du montage juridique et financier ainsi que l'environnement du contrat retenu pour l'écotaxe poids lourds. Or, vous avez eu la bonté de le rappeler, je suis entré en fonction en mai 2012, postérieurement à la signature du contrat. Très rapidement, on m'a informé qu'il en coûterait plusieurs centaines de millions d'euros à l'État de le dénoncer.

Ma mission consistait à mettre en oeuvre l'écotaxe poids lourds, votée dans la loi Grenelle de l'environnement. Son application avait été repoussée à plusieurs reprises. À mon arrivée au ministère, j'ai hérité du décret du 6 mai 2012, dont la date n'est rien moins qu'anodine, et qui était unanimement critiqué par la profession. De fait, le texte était insuffisamment protecteur pour un secteur fort de 40 000 entreprises et 400 000 salariés. Il me fallait donc proposer des modalités simples, sûres et solides ; je me souviens de nos débats constructifs au sein de votre assemblée.

L'inquiétude des professionnels était légitime : le décret du 6 mai 2012, outre qu'il était inapplicable, fragilisait l'économie de l'ensemble du secteur routier. Un travail de simplification était indispensable. L'écotaxe, faut-il le rappeler, a été votée par le Parlement à l'unanimité. Et la loi doit s'appliquer, pourvu qu'elle soit applicable... La solution consistait à s'assurer - ce fut fait par la loi du 23 avril 2013 - que le chargeur, et non le transporteur, paie. Le Conseil constitutionnel a validé ce texte. À compter de cette date, mon souci a été, par la publication de nombreux décrets et arrêtés, d'offrir un dispositif juridiquement sûr, faisant l'objet d'un suivi par des observatoires régionaux. Un dispositif évolutif, également, et souple, car il s'agissait d'une grande révolution en matière de transport et de fiscalité écologique. J'ai souligné ce point dans la lettre que j'ai alors adressée aux préfets : il fallait repérer les éventuelles scories et limites du système pour y remédier.

Ensuite, nous avons connu des reports successifs. Nous avons décidé le premier, du 20 juillet 2013 au 1er octobre 2013, à la suite du rapport d'avancement d'Écomouv' qui laissait entrevoir les imperfections du système et, donc, l'impossibilité de le valider ; nous ne pouvions imposer aux professionnels un dispositif dont la fiabilité n'était pas assurée. À cette occasion, nous avons signalé à Écomouv' que les dispositions contractuelles relatives aux retards s'appliqueraient. Nous supprimions également l'expérimentation alsacienne pour ouvrir une phase nationale d'essai au mois de juillet. Dans ce cadre, la vérification d'aptitude au bon fonctionnement (VABF) a commencé en avril 2013 ; mon cabinet et moi-même avons suivi l'avancée des travaux et, surtout, l'enregistrement des professionnels. Une étape importante a été franchie le 19 juillet 2013 avec l'ouverture de l'enregistrement pour les redevables abonnés auprès des sociétés habilitées de télépéage. Dans le même temps, nous avons procédé à la publication de décrets, par exemple sur les droits et obligations des redevables et les modalités d'information des sociétés habilitées.

Ainsi la phase d'essai à l'échelon national, sur la base du volontariat et sans perception de la taxe, a-t-elle été lancée le 29 juillet 2013. Nous avons alors constaté que le dispositif n'était pas encore stabilisé. D'où notre décision d'un second report du 1er octobre 2013 au 1er janvier 2014, pour préserver la crédibilité de l'écotaxe.

Le 5 septembre 2013, le Gouvernement a donc été contraint de reporter l'entrée en vigueur de la taxe poids lourds au 1er janvier 2014, là encore pour sécuriser la démarche. L'arrêté a été publié le 5 octobre. Durant cette période, nous avons accéléré le processus d'enregistrement des poids lourds. Le 15 octobre a débuté l'enregistrement des véhicules non abonnés directement auprès d'Écomouv' ; depuis, l'ensemble des professionnels dispose de la possibilité de s'enregistrer soit auprès d'une société habilitée de télépéage soit auprès d'Écomouv'.

La décision de suspension a été prise dans une situation particulièrement agitée. Le 29 octobre, des mouvements d'incompréhension, d'inquiétude, se sont exprimés en Bretagne. Le Parlement a été saisi.

Mme Marie-Hélène Des Esgaulx, présidente. - Qui a pris la décision de suspendre l'écotaxe ?

M. Frédéric Cuvillier. - Le Premier ministre ; nous avons compris et accompagné sa décision. D'autant que les députés ont lancé une mission d'information sur l'écotaxe, présidée par M. Chanteguet, le Sénat décidant quant à lui de se pencher sur le cadre contractuel.

Suspension ou application de l'écotaxe, il nous fallait rester attentifs à la vie du contrat. En effet, celui-ci existe et demeure opposable. La procédure de vérification complémentaire devait être menée. Ce fut le cas le 22 novembre 2013. Mes services ont indiqué à Écomouv' que les défauts majeurs identifiés avaient pu être corrigés ; mais ils constataient l'absence de l'homologation des chaînes de collecte des données et de contrôle, qui était pourtant prévue par le contrat. La décision d'homologation ayant été prise dans les premiers jours de janvier, la validation de l'aptitude au bon fonctionnement est intervenue les jours suivants. La vérification de service régulier a pris la forme d'un rapport rendu à l'État le 20 janvier 2014, que nous avions deux mois pour étudier attentivement. Le ministère et le consortium ont à ce moment-là engagé des discussions pour tirer toutes les conséquences de la suspension de l'écotaxe, qui ouvre une période nouvelle, non inscrite dans le contrat initial. Nous avons souhaité la signature d'un accord actant le préjudice subi par l'État du fait des reports successifs, reconnaissant la conformité du dispositif par rapport aux prescriptions du contrat et comportant une suspension des obligations de paiements par l'État.

Voilà les initiatives que nous avons prises avec la direction générale des infrastructures, des transports et de la mer (DGITM) et les ministères concernés pour préparer l'entrée en vigueur et, lorsque la taxe a été suspendue, pour revoir les relations contractuelles avec Écomouv'.

Mme Virginie Klès, rapporteur. - Même si vous n'étiez pas ministre à cette époque, vous avez certainement eu connaissance de l'étude préalable relative à l'écotaxe. Il apparaît que les délais avaient été largement sous-estimés, de même que les coûts, initialement évalués entre 250 et 300 millions d'euros. A qui doit-on imputer ces dérapages ? Aux exigences renforcées de l'État en matière de contrôle et de perfection de l'outil technique ? À Écomouv' qui aurait sous-évalué le temps nécessaire à la mise au point de l'outil technique et au déploiement des interfaces ? Ou à une combinaison des deux ? Peut-être ne pourrez-vous pas répondre directement à la question dans le cadre de cette audition publique, mais pensez-vous qu'Écomouv' a plus ou moins volontairement réduit les délais nécessaires pour satisfaire le cahier des charges de l'État ? Bref, disposez-vous d'éléments vous autorisant à penser que la sincérité n'a pas été au rendez-vous ?

M. Frédéric Cuvillier. - Peu de réponses, je le crains, à ces nombreuses questions. Et ce, pour une raison simple : la date à laquelle j'ai pris mes responsabilités de ministre délégué. Ma préoccupation était de garantir la solidité des relations contractuelles entre l'État et Écomouv'. Confronté dans de nombreux programmes, notamment d'infrastructures, au recours aux PPP, je voulais m'assurer que cette procédure garantissait les intérêts de l'État. J'ai constaté que la Mission d'appui aux partenariats public privé (Mappp) avait, en son temps, rendu un avis favorable.

Le dépassement des délais s'explique par le caractère très novateur d'un dispositif qui, encore une fois, avait été lancé par d'autres. Peu importe, la responsabilité me revenait d'honorer la parole de l'État puisque la Mission d'appui n'avait relevé aucune anomalie. L'écotaxe a beau avoir été suspendue, la prise de conscience est là : il faut un autre mode de financement des nouvelles infrastructures de transport. Les utilisateurs, y compris étrangers, doivent y contribuer.

Mme Marie-Hélène Des Esgaulx, présidente. - C'est une question de directives européennes, on peut le dire !

M. Frédéric Cuvillier. - Tout à fait ! Les États membres sont en train de mettre en oeuvre l'écotaxe sous des formes différentes. L'acceptabilité, c'est peut-être là que le bât a blessé. J'ai souvenir d'avoir vu ériger des portiques alors même que les élus locaux et la population ignoraient tout de leur utilité finale. Manifestement, il y a eu un défaut d'explication, de pédagogie autour de l'écotaxe.

Le dispositif est complexe, la Mappp l'a souligné. D'où le recours au PPP. La complexité peut expliquer l'évolution des coûts, d'autant que le consortium n'avait aucune expérience en ce domaine.

Une offre insincère ? Rien ne me permet d'en juger. A Écomouv' de répondre à cette question. Quoi qu'il en soit, Écomouv' n'avait pas intérêt à multiplier les reports, le contrat prévoyant des pénalités.

Des exigences supplémentaires ou excessives de la part de l'État ? Non, nous avons été simplement rigoureux sur la vérification afin que la crédibilité du dispositif et des factures reçues par les routiers ne puisse être questionnée dans les médias.

Mme Virginie Klès, rapporteur. - C'est tout à fait respectable : l'État ne peut évidemment pas se permettre de facturer à tort et à travers. Cependant, exiger un taux gigantesque de recouvrement de 99,9 %, n'était-ce pas trop ?

Écomouv' affirme avoir appris la décision de suspension par les médias... De votre côté, avez-vous eu le sentiment d'être tenu à l'écart des informations par le consortium ?

M. Frédéric Cuvillier. - Je questionnais la DGITM sur l'évolution du dossier, en particulier sur la progression de l'enregistrement des professionnels, car beaucoup de retard avait été pris. L'essentiel, à mes yeux, était que la taxe n'entre pas en vigueur au 1er janvier 2014 sans que les professionnels aient été bien préparés. Je pense notamment aux transporteurs étrangers : j'ai écrit à mes homologues européens pour qu'ils informent leurs ressortissants dans le secteur visé. La publicité autour de l'écotaxe aurait pu être beaucoup plus précoce. Nous avons vu aussi ce qui se passait dans les régions ; les portiques n'y résistaient pas... Des échanges ont eu lieu bien sûr à ce sujet avec notre partenaire.

Mme Virginie Klès, rapporteur. - À cause des reports successifs, dont les premiers sont le fait d'Écomouv', l'écotaxe allait entrer en vigueur et fonctionner en réel du jour au lendemain. Ce n'est pas ce qui était prévu : l'État avait voulu une expérimentation alsacienne et une phase d'essai sans perception de la taxe. Cela a certainement pesé dans le déclenchement des incendies de portiques. Question corollaire, dans vos discussions avec les camionneurs, avez-vous senti des points de blocage ? Qu'est-ce qui a déclenché la fronde contre l'écotaxe ?

M. Frédéric Cuvillier. - L'État n'a pas formulé d'exigences supplémentaires, je le répète ; il a entendu appliquer le contrat signé. La survenue d'erreurs majeures était perturbante. D'où la décision de report de juillet à octobre : nous ne pouvions pas laisser planer le doute en l'absence de garanties d'Écomouv'.

Les professionnels, dans leur grande majorité, ont abordé la discussion de manière constructive après l'annulation du décret du 6 mai 2012. Leurs inquiétudes étaient justifiées ; je le savais, ayant eu un père routier à son compte. Ils ont compris notre volonté de ne pas pénaliser leur activité économique. Ensuite seulement, cela s'est délité ; des messages fort éloignés de la réalité ont été lancés par des personnes qui, souvent, n'étaient même pas soumises à l'écotaxe. Et la question s'est fondue dans un mouvement général de protestation : l'écotaxe arrivait au mauvais moment. Loin de moi l'idée d'affirmer que le dispositif était parfait ; j'avais du reste demandé aux observatoires régionaux de dresser la liste des difficultés. Nous aurions pu, au fil du temps, procéder aux ajustements nécessaires, mais cela n'a pas été entendu.

Mme Marie-Hélène Des Esgaulx, présidente. - Concrètement, le retard qu'a pris Écomouv' est de l'ordre de six mois, neuf mois ?

M. Frédéric Cuvillier. - Je pense que lorsque nous avons décidé un nouveau report le 20 octobre, il était clair que la solidité de l'écotaxe allait poser problème.

Mme Marie-Hélène Des Esgaulx, présidente. - Écomouv' n'était pas prête en juillet, l'était-elle en octobre ?

M. Frédéric Cuvillier. - Non plus, il restait des imperfections. Mais je vous parle d'acceptabilité...

Mme Marie-Hélène Des Esgaulx, présidente. - Ils ont été prêts plutôt fin novembre, les défauts majeurs étaient alors à peu près corrigés ?

M. Frédéric Cuvillier. - Oui.

Mme Marie-Hélène Des Esgaulx, présidente. - Ce qui compte pour nous, c'est de savoir si la mise à disposition va ou non intervenir, car les coûts ne seront pas les mêmes. La question fait-elle partie de vos discussions ? D'après Capgemini, conseil de l'État, un retard de six mois pour un projet aussi complexe n'a rien d'étonnant. Je le répète, l'application du contrat n'est pas identique selon que la mise à disposition est acquise ou non... Pardonnez-moi d'insister là-dessus, mais la question n'est pas neutre pour les finances de l'État.

Mme Virginie Klès, rapporteur. - L'État devait se prononcer sur la mise à disposition le 20 mars, il ne l'a pas fait. Cela est-il dû à des éléments techniques non élucidés ou cela représente-t-il pour vous un levier de négociation ? Écomouv', contrairement à ce qu'elle avait déclaré, a fini par accepter de négocier sans cette garantie...

M. Frédéric Cuvillier. - Il m'est difficile de vous répondre, moi-même me trouvant, comme ministre, dans une situation de suspension... Au 20 janvier, le retard était de six mois, durant lesquels les anomalies ont été progressivement résorbées. Durant cette période, je demandais une marche à blanc, or celle-ci s'est traduite par des « flops ». À partir du 20 janvier, nous avions deux mois pour vérifier l'ensemble des données d'Écomouv'. Depuis le 20 mars, nous nous trouvons dans une phase de discussion sur un protocole d'accord ; elles ne sont pas achevées car nous ne pouvons pas brader les intérêts de l'État. D'autant que le contrat prévoit des pénalités en cas de retards dus à des anomalies du système.

Mme Marie-Hélène Des Esgaulx, présidente. - Soit, mais nous sommes maintenant dans le cadre de la suspension... Et les banques, alors ?

M. Frédéric Cuvillier. - Pour le retard dans la mise à disposition, qui relève de la responsabilité d'Écomouv', l'État ne doit pas être tenu de payer, il faut le prévoir par un avenant au contrat. La suspension est un autre problème ; notre responsabilité est de faire en sorte qu'Écomouv' ne soit pas pénalisée en raison de la suspension. Le protocole vise à assurer la solidité des relations entre l'État et le co-contractant.

Mme Marie-Hélène Des Esgaulx, présidente. - Les banques vous ont laissé jusqu'au 15 avril, est-ce bien cela ?

M. Frédéric Cuvillier. - Plutôt le 31 mars lorsque j'ai quitté le ministère, mais elles ont sans doute accepté un délai supplémentaire.

M. Vincent Capo-Canellas. - Merci, monsieur le ministre, de venir nous apporter ces explications dans la situation suspendue qui est la vôtre... Finalement, si je comprends bien, vous n'avez reçu aucune alerte technique ou juridique sur le choix d'Écomouv' lors de votre arrivée au ministère. L'enchaînement des reports s'explique-t-il par un problème de conception de l'appel d'offres ou par les seules difficultés techniques d'Écomouv' ? Quel est votre point de vue sur la suspension actuelle : est-elle entièrement imputable à l'État ou Écomouv' a-t-elle sa part de responsabilité ?

M. Roland Ries. - Je suis très heureux d'assister à ces travaux que j'aurais aimé suivre avec plus d'assiduité, madame la présidente ; les élections municipales m'en ont empêché. Ce sujet me passionne. L'enjeu me paraît moins de déterminer des responsabilités
- une procédure judiciaire est en cours - que d'examiner comment nous pouvons sortir de l'impasse. Je suis un partisan convaincu de l'écotaxe, qui faisait d'ailleurs l'objet d'un large consensus entre la gauche et la droite.

Mme Marie-Hélène Des Esgaulx, présidente. - C'est toujours le cas !

M. Roland Ries. - Globalement... Comme souvent dans ce pays, nous avons tergiversé, perdu du temps. Le cahier des charges était difficile à mettre en oeuvre. Résultat, la première version du dispositif a suscité un tollé ; la deuxième a rencontré des difficultés techniques en raison d'un perfectionnisme excessif.

Mme Marie-Hélène Des Esgaulx, présidente. - Pour sûr !

M. Roland Ries. - Nous aurions mieux fait d'accepter un taux de fraude de l'ordre de 3 à 5 % plutôt que de monter une usine à gaz coûteuse en visant un recouvrement de 100 %.

Mme Marie-Hélène Des Esgaulx, présidente. - Effectivement, l'Allemagne et la Slovaquie ont fait un autre choix que nous.

M. Roland Ries. - Mais il ne sert à rien de se complaire dans l'irréel du passé, pour reprendre un terme de grammaire latine. La ministre nouvellement nommée demande du temps, une remise à plat. Soit, mais à condition de ne pas repartir de zéro et que le délai de réflexion reste acceptable : deux mois, oui ; un an, non. La sortie de crise passe par une perspective régionale. Voyez l'Alsace, elle est demandeuse, et prête, depuis 2005.

M. Francis Grignon. - Oui !

Mme Marie-Hélène Des Esgaulx, présidente. - Les représentants des douanes nous ont indiqué que toute modification dans le système actuel exigerait de revoir tout l'édifice juridique, soit six mois de travail au minimum. Mais n'empiétons pas sur le champ d'investigation des députés ; notre commission d'enquête porte sur les conditions contractuelles.

M. Roland Ries. - Hors-sujet ou pas, je suis hostile au PPP, il fut une erreur...

Mme Marie-Hélène Des Esgaulx, présidente. - Nous y reviendrons dans le rapport...

M. Roland Ries. - Le dire ne fait pas avancer le dossier. Esquisser la sortie de crise, voilà l'intérêt de nos travaux.

Mme Marie-Hélène Des Esgaulx, présidente. - Nous devons rendre notre rapport le 27 mai, je ne doute pas que nous y parviendrons. Si nous ne disposons pas alors de tous les éléments, rien ne nous empêchera de créer une autre commission d'enquête, car les conséquences pour les finances publiques sont considérables. En attendant, nous avons besoin de savoir s'il y aura un protocole d'accord car les sommes à verser le 15 avril sont colossales.

M. Ronan Dantec. - Question essentielle à laquelle vous ne pourrez peut-être pas répondre librement : avec le recul politique, la délégation complète de la mise en oeuvre de l'écotaxe au moyen d'un PPP vous paraît-elle une bonne idée ? L'administration avait-elle la capacité de suivre complètement le processus ? Avec un autre montage, l'État n'aurait-il pas été mieux armé et l'acceptabilité politique n'aurait-elle pas été meilleure ?

M. Frédéric Cuvillier. - Lors de mon arrivée au ministère, je n'ai pas été alerté sur d'éventuelles difficultés techniques. Je ne l'ai été que plusieurs mois plus tard. Je n'étais pas initialement sensibilisé au risque de remise en cause du choix d'Écomouv' ni à des irrégularités. Il me fallait mettre en place un dispositif pensé par d'autres, attribué à une entreprise privée par un contrat auquel on ne pouvait toucher. Nous devions honorer la signature de l'État au nom du principe de continuité, et mettre en oeuvre le système le plus efficacement possible.

Le décret du 6 mai a été un point de fixation, à juste titre. J'ai voulu tout de suite le modifier, car le dispositif qu'il traçait était beaucoup trop sophistiqué - contrôle par client, palette par palette ! - et il allait plonger les professionnels dans des difficultés administratives et comptables sans fin. À force de rechercher un rendement maximal, on a abouti à un système incroyablement compliqué, qui ne souffrait aucune exonération. Plus de souplesse aurait sans doute permis une meilleure acceptabilité.

On aurait effectivement pu confier les contrôles aux douanes. Ce n'a pas été le choix de mon prédécesseur, il n'y avait pas à y revenir. Certes, les professionnels ont très tôt vu les difficultés d'application du système et les ont dénoncées ; certes, le contrat a suscité des polémiques au sein même du précédent gouvernement. Mais la justice était passée et je n'avais pas de jugement d'opportunité à avoir sur ces questions.

Mme Royal a parlé d'une remise à plat de l'écotaxe, ce qui a du sens. Je souligne que les députés eux-mêmes ont engagé le mouvement avec une mission d'information qui étudie divers scénarios de sortie par le haut. Repartons des fondamentaux : à quoi sert cette écotaxe ? Ce n'est pas un impôt mais une redevance, justifiée : plutôt que faire payer les nouvelles infrastructures par les seuls contribuables, il est légitime de demander une contribution aux utilisateurs.

Mme Marie-Hélène Des Esgaulx, présidente. - Je vous confirme que les élus locaux sont sensibilisés à cette question : les préfets ont annoncé que sans recettes de l'écotaxe, les contrats de plan État-région ne seront pas financés.

M. Frédéric Cuvillier. - C'est vrai. Le gouvernement n'a jamais voulu faire payer l'écotaxe aux transporteurs routiers : il considérait que la contribution à la modernisation des infrastructures de transport était un élément du prix de transport demandé aux chargeurs.

Mme Marie-Hélène Des Esgaulx, présidente. - Nous auditionnerons Mme Royal le 29 avril. Quoi qu'il arrive, le contrat doit être géré. Merci pour votre témoignage.

La réunion est suspendue à 15 h 39

La réunion est ouverte à 15 h 45

Audition de M. Jean-Paul Faugère, conseiller d'État, directeur de cabinet du Premier ministre du 25 mai 2007 au 10 mai 2012

Mme Marie-Hélène Des Esgaulx, présidente. - Nous auditionnons à présent M. Jean-Paul Faugère qui a été le directeur de cabinet de M. François Fillon, Premier ministre, entre mai 2007 et mai 2012. Nous souhaitons comprendre quel a été le processus décisionnel qui a conduit à la mise en place de l'écotaxe poids lourds et comment ce projet a été piloté.

Nous avons auditionné hier M. Jean-François Carenco, qui était le directeur de cabinet de M. Jean-Louis Borloo et qui nous a indiqué avoir rendu compte à votre cabinet tout au long de la période. Quel a été le rôle du Premier ministre ? Comment s'est faite la répartition des compétences avec les ministères de l'écologie et du budget ? La question de l'inclusion du recouvrement de l'écotaxe dans le périmètre du contrat de partenariat a-t-elle fait l'objet de réflexions particulières au sein du gouvernement ?

Cette audition est ouverte au public et à la presse et fait l'objet d'une captation vidéo, ainsi que d'un compte rendu publié.

Conformément à la procédure applicable aux commissions d'enquête, M. Jean-Paul Faugère prête serment.

M. Jean-Paul Faugère, conseiller d'État, ancien directeur de cabinet du Premier ministre. - Je vais vous présenter les souvenirs personnels que j'ai de ce dossier, même si je ne suis pas le plus compétent pour répondre à vos questions. Car de ce dossier très technique, je n'ai vu que les grandes lignes - à Matignon, il était sur le fond suivi par le conseiller en charge du développement durable et par celui en charge du budget. Je me réfèrerai plus à mes impressions personnelles qu'à des données formelles et administratives.

Avant mon arrivée à Matignon, j'ai été préfet de la région Alsace de 2005 à 2007. À l'époque commençait à s'appliquer la LKW-Maut en Allemagne : je me souviens des réactions des Alsaciens, quand ils ont, du jour au lendemain, vu défiler les camions étrangers sur les autoroutes alsaciennes - gratuites. Celles-ci étaient déjà saturées. Les problèmes se sont accumulés, de sécurité routière, de qualité de l'air - d'autant que l'autoroute A35 traverse presque Strasbourg - ainsi que de nuisances sonores et de dégradation des chaussées.

Les élus alsaciens ont très vite voulu une fiscalité dédiée. Comme préfet, j'ai dû expliquer qu'il était très difficile de ne taxer que les étrangers... Les autorités européennes y auraient vu une provocation ! Les élus locaux prétendaient en outre au produit intégral de la taxe pour leurs collectivités. Là encore, j'ai dû tempérer les enthousiasmes. Quoi qu'il en soit, fin 2005, un amendement a été présenté par les parlementaires alsaciens et voté.

Durant toute l'année 2006, l'administration n'a rien fait car elle ne savait comment s'y prendre pour mettre en oeuvre cette initiative parlementaire qu'elle n'avait pas anticipée : plus elle creusait le sujet, moins elle était à même de répondre. Avec le nouveau quinquennat, le Grenelle a été lancé et le ministère en charge du développement durable a repris l'idée d'une fiscalité écologique - qui comporte fondamentalement une ambiguïté entre l'objectif de rendement et celui d'évolution des comportements.

À l'issue du Grenelle, trois mesures concrètes ont été prises : le bonus-malus automobile, que le ministère aurait voulu étendre à d'autres biens de consommation ; la contribution climat-énergie, à savoir la taxe carbone qui a eu le devenir que l'on sait ; enfin, l'écotaxe poids-lourds. Il y avait donc une logique politique, confortée par les conclusions du Grenelle. À quoi s'ajoutait l'impasse budgétaire concernant le financement des infrastructures : cette taxe offrait une solution merveilleuse !

La réflexion sur les modalités, marché classique ou PPP, a été rapide : l'administration, perplexe face à l'ampleur et la complexité du projet, ne se sentait pas à même de le mener à bien dans un délai suffisamment court pour alimenter le budget de l'agence de financement des infrastructures de transport de France (Afitf), gravement déficitaire.

Compte tenu de l'avis favorable du Conseil d'État sur la possibilité d'externaliser la perception et la mise en oeuvre de l'écotaxe, la décision a été assez rapide : la Mappp a souligné que la complexité du projet, l'incertitude sur les choix technologiques, l'ampleur du système informatique, justifiaient naturellement un PPP. Une contrainte juridique a également pesé : compte tenu des directives européennes qui interdisent toute entrave à la libre circulation des marchandises, le système utilisé par les poids lourds devait être interopérable. Enfin, la procédure de PPP comporte une phase de dialogue compétitif, grâce auquel l'administration pourrait comprendre les technologies proposées et décider en toute connaissance de cause. Les expériences des autres pays démontraient la complexité d'une telle écotaxe : son installation en l'Allemagne et l'Autriche avait été laborieuse.

Au-delà des aspects techniques, l'administration ne disposait pas d'un budget d'investissement suffisant ; les PPP ont un coût, mais la charge est étalée dans le temps. En outre, l'administration n'avait pas les moyens humains pour mener à bien un tel projet, ni pour en assurer la maintenance.

Malheureusement, il y eut bien des avatars dans la gestion de ce dossier. D'abord, il s'agissait bien d'un impôt et non d'une redevance puisque les sommes perçues n'étaient pas affectées au réseau autoroutier visé. La loi devait être extrêmement précise, nous avons dû y revenir à plusieurs reprises. Et il y a eu le problème breton : certains des élus de la majorité d'alors se sont montrés particulièrement présents, des négociations à répétition ont eu lieu avec eux et nous avons dû procéder à deux ajustements pour arriver à un compromis, à 40 % puis 50 %. Il fallait leur faire comprendre qu'une exonération totale était impensable sauf à méconnaître le principe d'égalité devant l'impôt. En outre, la variation devait s'inscrire dans les limites autorisées par le droit communautaire au titre des régions périphériques.

Enfin, nous avons dû traiter de la répercussion du coût en pied de facture : on ne pouvait imposer à des transporteurs ayant déjà signé des contrats de supporter un coût supplémentaire. Il a fallu recourir à des dispositions législatives. Puis nous avons dû faire face à un contentieux : le tribunal administratif s'est prononcé en notre défaveur, mais sa position a été infirmée par le Conseil d'État.

Quel a été le rôle de Matignon ? Je n'ai pas suivi ce dossier au jour le jour mais des réunions interministérielles ont régulièrement eu lieu à Matignon sous la présidence des conseillers au développement durable et au budget. Il s'agissait de suivre la mise en oeuvre d'une décision politique actée dans le cadre du Grenelle, vérifier que la procédure se déroulait normalement, sans faille juridique - c'était une obsession alors. Une rumeur s'est répandue quand Médiapart s'est interrogé sur d'éventuelles influences lors du choix du co-contractant. Le Premier ministre a reçu une lettre de la Sanef l'alertant sur le déroulement de la procédure. Matignon n'était pas en charge de l'attribution du contrat, mais le doute véhiculé par ces rumeurs était une musique désagréable aux oreilles du Premier ministre. Pour y mettre un terme, j'ai reçu les représentants de la Sanef pour entendre ce qu'ils avaient à dire : ils m'ont seulement présenté un plaidoyer classique en faveur de leur dossier et ont fait valoir une sorte de préférence nationale. Je les ai renvoyés vers le ministre qui était leur interlocuteur naturel.

Je me suis ensuite assuré que la procédure avait été strictement respectée - à ma demande, le Secrétariat général du Gouvernement a présenté son appréciation juridique. J'avais le sentiment que ce dossier avait trop traîné, j'ai demandé des résultats rapides aux cabinets des ministres concernés. Notre plan de financement pour l'Afitf incluait une recette d'écotaxe à partir de 2011 ou 2012. Cette recette allait manifestement manquer, ce n'était pas satisfaisant...

La question du coût a été régulièrement évoquée. La formule du PPP est nominalement coûteuse, le partenaire privé prélevant sa marge bénéficiaire. Dans le cadre juridique choisi, aurait-on pu faire mieux ? La comparaison avec les autres offres et les autres pays m'a démontré qu'il n'en était rien. Soit dit en passant, la comparaison avec l'Allemagne doit prendre en compte les différences de système entre nos deux pays : le tarif au kilomètre n'est pas le même ; le système français est interopérable ; l'amortissement des coûts fixes en Allemagne porte sur une masse bien plus importante ; et tandis nous taxons des nationales, des départementales et quelques autoroutes gratuites, l'écotaxe allemande touche l'ensemble des autoroutes.

Mme Virginie Klès, rapporteur. - Certes, le projet était techniquement complexe et l'état des finances publiques délicat. Un PPP était sans doute une bonne solution, mais fallait-il y inclure le recouvrement et le contrôle ? Cela n'avait jamais été fait ! Les exigences ne sont-elles pas cause de la complexité du système, donc des retards et des incompréhensions qui finalement ont explosé en émeutes ? Y a-t-il eu dérive des exigences, notamment de la part des douanes ?

M. Jean-Paul Faugère. - Ces questions ne sont pas remontées jusqu'à moi. À titre personnel, je pense qu'il n'est pas illogique que l'État ait souhaité déléguer la totalité du projet, car tous les aspects sont imbriqués. La révolte contre l'écotaxe est-elle liée à ces retards ? Je ne le crois pas. Une forme d'hésitation a permis aux mécontentements de se coaguler. Je ne sais si Écomouv' a alerté la puissance publique - ses responsables ne sont pas venus à Matignon. Le contrôle demandé par les douanes excédait-il le raisonnable ? Je ne le sais pas. En revanche, il est clair que les douanes n'ont pas voulu porter ce projet et préféraient une délégation.

Mme Marie-Hélène Des Esgaulx, présidente. - L'écotaxe n'est-elle pas devenue une taxe douanière ?

M. Jean-Paul Faugère. - On peut l'analyser ainsi !

Mme Virginie Klès, rapporteur. - En Allemagne, le taux de recouvrement demandé est de 99 %. En France, de 99,75 % : la différence est considérable, d'autant qu'il était exigé que la détection à tort ne dépasse pas un pour un million ! Les douanes ont voulu un impôt à 100 % de perception et à 0 % d'erreur, mais à quel coût !

Mme Marie-Hélène Des Esgaulx, présidente. - Peut-être ne s'est-on guère posé la question du coût dans la mesure où l'écotaxe allait rapporter de l'argent. Souvent un PPP se conclut par une subvention publique d'équilibre : ici, le système devait rapporter un milliard. Cela change le point de vue...

M. Jean-Paul Faugère. - Le ministre compétent avait fixé, d'entrée de jeu, un objectif de un milliard d'euros de recettes. Du reste, le taux au kilomètre a été abaissé pour parvenir à ce montant. Dire que le coût n'a pas été pris en considération est excessif : il était un des éléments d'appréciation pour l'attribution du contrat.

Mme Virginie Klès, rapporteur. - Peut-être a-t-on jugé qu'Écomouv', société qui inclut des entreprises françaises, gagnerait une vitrine technologique précieuse si elle parvenait à mettre au point un système parfait, exportable ?

M. Jean-Paul Faugère. - Je ne sais ce qui se passe dans le cerveau des hauts responsables des douanes ou de Thales...

Mme Marie-Hélène Des Esgaulx, présidente. - Pourquoi avoir publié un décret le 6 mai 2012 ?

M. Jean-Paul Faugère. - C'était bien tard. Tous les gouvernements ont connu de ces périodes un peu équivoques. En tant que fonctionnaire, je regrette que les choses se soient passées ainsi mais souvent, un ministre sur le départ souhaite rendre ce service à l'État et à son successeur, en endossant une responsabilité au lieu de la laisser au suivant. Le dossier était bouclé à la fin du quinquennat.

Mme Marie-Hélène Des Esgaulx, présidente. - Il était très intéressant d'être revenu sur ces différentes étapes. Je vous remercie d'avoir confirmé le souci de percevoir un milliard d'euros : ce montant était donc une cause, non une conséquence.

M. Éric Doligé. - Pour une fois, il n'y a pas eu d'attaque contre les PPP : je n'ai donc pas besoin de les défendre. Je vous remercie pour cet exposé très clair sur tous les points abordés.

Mme Marie-Hélène Des Esgaulx, présidente. - Pourriez-vous revenir sur le rôle de la Mappp ?

M. Vincent Capo-Canellas. - En portant un regard critique sur l'écotaxe, quelle leçon tireriez-vous de sa mise en oeuvre ? Aurait-on pu mieux défendre l'intérêt général ? Emprunter d'autres chemins ?

M. Jean-Paul Faugère. - La première question me place en léger porte-à-faux. Tout le monde a suivi une courbe d'expérience ! Nous n'avions jamais connu d'affaire d'une telle nature auparavant. La Mappp s'est perfectionnée petit à petit. Aujourd'hui, elle réagirait sans doute différemment, mais je ne jetterais pas la pierre à ses membres, qui sont des personnalités très estimables.

J'ai regretté pour ma part que l'on ne passe pas par l'étape de la taxe expérimentale en Alsace, mais je ne l'ai pas défendue outre-mesure car je n'étais pas le représentant de l'Alsace au cabinet du Premier ministre... Le gouvernement avait choisi un dispositif national et en faisait un objectif politique. En pratique, cependant, je crois que ce fut une erreur de ne pas débuter la mise en oeuvre dans une région qui attendait la taxe avec impatience.

Mme Marie-Hélène Des Esgaulx, présidente. - Merci pour votre témoignage.

La réunion est levée à 16 h 19