Mardi 29 avril 2014

- Présidence de Mme Marie-Christine Blandin, présidente -

La réunion est ouverte à 16 h 45.

Rapport public pour l'année 2013 - Audition de M. Olivier Schrameck, président du Conseil supérieur de l'audiovisuel (CSA)

La commission entend M. Olivier Schrameck, président du Conseil supérieur de l'audiovisuel (CSA) sur le rapport public pour l'année 2013.

Mme Marie-Christine Blandin, présidente. - Nous sommes réunis aujourd'hui pour procéder à l'audition de M. Olivier Schrameck, président du CSA, qui est venu nous présenter le rapport public du Conseil supérieur de l'audiovisuel.

Cette audition publique est une application directe de la loi du 15 novembre 2013 relative à l'indépendance de l'audiovisuel public qui a modifié l'article 18 de la loi du 30 septembre 1986. Elle nous fournit également l'occasion de dresser un premier bilan de votre action à la tête du CSA.

Avant de vous inviter à nous présenter votre rapport, je rappellerai très rapidement quelques éléments de contexte.

Sur le plan économique, la dégradation de la conjoncture a des conséquences sur les diffuseurs audiovisuels à travers la baisse des recettes publicitaires. Nous avions longuement débattu de ce sujet lors de l'examen du projet de loi. Il est d'une actualité brûlante, puisque, si j'en crois la presse, le CSA doit procéder d'ici quelques jours à l'audition d'une des chaînes directement intéressées par le passage du payant au gratuit.

Autre sujet important, la convergence à laquelle on assiste entre la télévision et le numérique et ses conséquences pour la production française. Il est fondamental que les éditeurs et les chaînes s'approprient ces nouveaux usages afin de répondre au mieux aux attentes du « citoyen-téléspectateur-internaute ».

J'en viens maintenant plus précisément à votre rapport, monsieur le président. Il ne comprend pas moins de 23 propositions pour rénover profondément la régulation de l'audiovisuel à l'heure du numérique. Nous respectons l'indépendance de l'autorité indépendante que vous présidez... Mais vous vous êtes livré à un travail de législateur déconcertant... Je serais tentée de vous demander quelles sont les compétences du Parlement que vous revendiquez.

Et puis, si la régulation économique du secteur est fondamentale, la question des contenus, notamment culturels, et de la place des femmes au sein des programmes ne l'est pas moins.

Législateurs nous avons une fine connaissance de l'espace hertzien et des règles de concurrence. Mais élus de terrain nous sommes aussi porte-parole des spectateurs déçus, déçus de chaînes privées diffusant des heures durant des émissions du niveau du Nouveau Détective, déçus de jeux abêtissants et télé-réalité, déçus d'une vision de l'histoire, y compris sur les chaînes du groupe France Télévisions, plus inspirée de la ligne éditoriale de Gala que de la culture des peuples des siècles passés.

Mais je ne veux pas anticiper sur les questions que mes collègues ne manqueront pas de vous poser et je vous laisse tout de suite la parole.

M. Olivier Schrameck, président du Conseil supérieur de l'audiovisuel (CSA). - C'est pour moi un honneur de vous présenter pour la première fois au nom du Conseil supérieur de l'audiovisuel son rapport annuel, adopté le 12 mars dernier et envoyé au Président de la République, au Gouvernement et au Parlement. C'est d'abord un rapport d'activité même si nous suggérons également cette année, comme nous y invite l'article 18 de la loi du 30 septembre 1986, une série de propositions d'ordre législatif et réglementaire pour améliorer la régulation de l'audiovisuel. Ce lien qu'exprime la présentation du rapport annuel devant les commissions des deux chambres est pour nous tout à fait essentiel. Je vois dans cette présentation et dans l'échange qui suivra une des manifestations importantes de la relation régulière, confiante et dense que nous avons avec le Parlement. Ce lien s'est d'ailleurs concrètement traduit tout au long de l'année 2013 par de nombreuses auditions, de moi-même et de mes collègues, devant les parlementaires. Nous sommes très sensibles, de manière générale, à ce que le législateur ait multiplié les dispositions qui nous conduisent à vous rendre compte de notre activité.

Le contenu même de ce rapport annuel a été nettement enrichi par la loi du 15 novembre 2013, en particulier par l'accent porté sur les incidences économiques des décisions du CSA et sur l'état de la concurrence et de la concentration au sein du secteur. Nous avons souhaité qu'il reflète également le renforcement, voulu par le législateur, de notre mission d'accompagnement du service public audiovisuel ; le rapport y consacre désormais une partie spécifique, rendant compte non seulement du respect par France Télévisions, Radio France, France Médias Monde et l'Institut national de l'audiovisuel (INA) de leurs obligations, mais également des avis rendus sur les contrats d'objectifs et de moyens, ainsi que des nominations des administrateurs selon les nouvelles exigences de parité et de représentativité.

Les dispositions issues de la loi du 15 novembre 2013 étant appliquées à partir de cette année, c'est seulement notre rapport de l'an prochain qui rendra compte de leur application et qui traduira l'effet du nouveau statut du CSA, devenu une autorité publique indépendante dotée de la personnalité morale.

De façon générale, le législateur a renforcé les missions de régulation du Conseil ainsi que son rôle économique, tout en l'incitant à établir une convergence avec les autorités de régulation européennes. Mon propos rendra successivement compte de l'activité du Conseil sous ces trois angles.

En premier lieu, l'année 2013 a été celle d'une action résolue en faveur des valeurs et des principes fondamentaux dont vous nous avez confié la garde, selon des méthodes privilégiant la concertation avec les opérateurs et la prise en compte des attentes du public.

Dans l'exercice de ses missions de suivi et de contrôle, le Conseil organise désormais, systématiquement, un échange préalable et contradictoire, en recherchant l'adhésion de ses partenaires. En attestent les concertations menées en 2013 sur le témoignage des mineurs, la diffusion des images de guerre et des actes de terrorisme ou encore sur les brefs extraits sportifs, cette dernière ayant été poursuivie cette année.

La démarche ouverte et collaborative du CSA s'illustre également dans les actions collectives mises en oeuvre pour promouvoir les valeurs et objectifs qui sont au coeur de nos missions.

Les médias ont été associés, également, à plusieurs campagnes de sensibilisation, organisées par le CSA, comme celle - récurrente - sur la signalétique jeunesse, ou proposées par lui, ainsi de la mobilisation inédite des chaînes en faveur de la diversité à l'occasion du 14 juillet, sous le titre « Nous sommes la France ».

Dans ce même esprit, la préparation de plusieurs grandes manifestations a marqué l'année. Les Assises de la radio, d'abord, que nous avons organisées en novembre en collaboration avec le ministère de la culture et de la communication ; ou encore le colloque sur la langue française dans les médias audiovisuels que nous avons tenu au Collège de France en décembre ; mais également les 24 heures du sport féminin dans les médias, le 1er février dernier.

Sur le plan de notre action normative, la signature de chartes impliquant les ministères, l'ensemble des acteurs audiovisuels et le monde associatif exprime notre souci de privilégier des modes de régulation fondés sur le volontariat, le partenariat et la compréhension mutuelle des enjeux.

La charte connue sous le nom de « charte alimentaire » a pour objectif de promouvoir, dans les programmes comme dans la publicité, la bonne alimentation et l'activité physique, notamment des plus jeunes ; sa reconduction en novembre a été l'occasion d'en amplifier les engagements et d'accroître le nombre des signataires : six ministères, trente-six chaînes et quinze grands acteurs professionnels et associatifs. Celle qui a été préparée à la fin de l'année dernière avec les administrations, les écoles de formation et les chaînes vise à favoriser l'insertion professionnelle des personnes handicapées dans les entreprises de l'audiovisuel. Ces chartes entendent unir et responsabiliser, valoriser et promouvoir, sans contraindre ni stigmatiser.

La démarche conventionnelle s'illustre aussi dans le registre de la coopération institutionnelle. Nous avons travaillé à un partenariat avec le Défenseur des droits pour assurer une plus étroite collaboration sur les champs qui nous sont communs, en particulier celui de la lutte contre les discriminations. Sa signature était prévue en janvier dernier. Cette mention est naturellement pour moi l'occasion de rendre hommage à la mémoire de Dominique Baudis dont la présidence a fortement marqué notre institution.

Dans l'exercice de nos missions fondatrices, l'information et la transparence sont, au même titre que la concertation et la coopération, des exigences de la régulation. C'est ainsi que le baromètre sur la diversité, celui sur la qualité des programmes, ou encore l'étude sur la place des femmes dans les médias - dont le thème correspond à l'une des priorités du Conseil affirmées cette année - concourent à une prise de conscience collective et traduisent notre attention constante aux préoccupations des téléspectateurs et des auditeurs, illustrées par leurs nombreux courriers, et dont vous nous saisissez fréquemment.

Les outils numériques sont tout particulièrement adaptés au renforcement de cette relation étroite entre le CSA et le public. Notre nouveau site « Éducation et Médias », ouvert le 7 novembre dernier, regroupe ainsi les contributions de partenaires publics et privés sur le thème de l'éducation aux médias qui a été un second thème prioritaire engagé dès le début de l'année 2013.

C'est donc inspirés par cette conception de la régulation, incitative, itérative et collaborative, que nous exerçons nos missions tenant à la défense des principes de l'État de droit et de ses valeurs sociales et culturelles. Mais celles-ci ne concernent pas uniquement les programmes. Elles dépendent également, et de manière aussi cruciale, de la santé économique du secteur et du bon fonctionnement des marchés de l'audiovisuel, qui sont des conditions essentielles de la liberté de communication comme de la sauvegarde du pluralisme et de la promotion de la diversité culturelle.

Cette dimension économique fondamentale de la régulation audiovisuelle, présente dès l'origine, est plus que jamais nécessaire. La loi du 15 novembre 2013 a, comme je l'ai souligné d'emblée, ouvert la voie de son renforcement. En 2013, ce rôle économique s'est illustré de multiples façons.

J'évoquerai d'abord l'offre de services en radio et télévision hertzienne.

S'agissant de la télévision, le Conseil a poursuivi en cinq étapes successives le déploiement des six nouvelles chaînes nationales gratuites de la télévision numérique terrestre (TNT) lancées en décembre 2012. Je me suis attaché à vous en informer préalablement et précisément. Un premier bilan de cet élargissement de l'offre, évoqué dans le rapport, devra être dressé dès cette année. Parallèlement, le secteur de la télévision locale a fait l'objet d'une attention particulière : le rapport présente cette année un premier panorama de son développement et de ses moyens de financement, comme le prescrit la loi du 15 novembre 2013.

Je tiens à rappeler à quel point l'utilisation du spectre hertzien demeure cruciale pour la communication audiovisuelle. A l'occasion des premières réflexions sur l'avenir de la bande de fréquences dite des 700 MHz, le Conseil a souligné le caractère structurant de la plateforme TNT. Ce mode de diffusion simple, gratuit, anonyme et accessible sur l'ensemble du territoire doit pouvoir intégralement accéder à la haute définition, et même à l'ultra haute définition. Le Conseil est naturellement disponible pour contribuer aux travaux de la commission de modernisation de la diffusion audiovisuelle, créée par la loi du 15 novembre 2013, qui doit être saisie préalablement à toute réaffectation de fréquences audiovisuelles.

S'agissant de la radio, la recherche constante d'une meilleure utilisation de la bande FM s'est d'ores et déjà traduite par l'identification de quelque 150 fréquences supplémentaires dont l'allocation est en cours. Nous avons conscience que, par un renouvellement des méthodes, les perspectives d'une densification doivent être ouvertes.

Plus largement, et comme nous l'avons souligné lors des Assises de la radio, c'est la configuration générale du marché de la radio qui préoccupe le CSA. C'est ce qui nous a conduits à engager une réflexion de fond sur la régulation de la concentration du secteur. Nous avons pris le parti, pour éclairer au mieux le Parlement, de soumettre nos pistes de réflexion à la concertation, qui s'est déroulée de manière ouverte et constructive depuis deux mois et nous serons ainsi en mesure de vous adresser notre rapport final dans les tout prochains jours.

En 2013, la fonction économique du Conseil s'est également traduite par une activité très soutenue d'observation, d'expertise et d'analyse, à travers notamment des avis à l'Autorité de la concurrence ou la publication de plusieurs études sur l'économie des médias. Ce sont au total plus de vingt avis et plus de trente études que le CSA a adoptés cette année.

Cette activité témoigne de l'attachement porté par le Conseil au soutien à la création culturelle, son financement et son exposition dans les médias. Un tel enjeu se situe au confluent des aspects socio-culturels et économiques de la régulation, dont il illustre le caractère indissociable. À cet égard, en 2013, nous avons par exemple analysé l'exposition de la musique à la radio, la fiction de journée et d'avant-soirée à la télévision, ainsi que la mise en oeuvre du décret sur les services de médias audiovisuels à la demande (SMAD). Sur ce dernier point, dont l'émoi suscité par l'arrivée prochaine du service américain Netflix sur le marché français démontre l'importance cruciale, notre bilan fait ressortir que la réglementation soulève, notamment par sa complexité, de réelles difficultés d'application, tant pour les éditeurs que pour le régulateur.

La loi du 15 novembre 2013 a significativement ouvert la voie à une approche plus réactive et plus éclairée économiquement, notamment en développant le recours aux études d'impact préalables à nos décisions. Nous croyons nécessaire, dans son prolongement, que le CSA accomplisse pleinement sa mutation en devenant un véritable régulateur économique, dans une triple perspective.

La première est celle du fonctionnement des marchés de l'audiovisuel, qu'il s'agisse de l'acquisition des droits, de la distribution ou encore de la publicité. Nous souhaitons que soit affirmée par le législateur notre nécessaire mission d'analyse de ces marchés, consistant à les identifier, les délimiter, en apprécier le fonctionnement concurrentiel, préfigurer et anticiper leurs évolutions, afin de fournir aux opérateurs les indications claires et transparentes indispensables à la conduite de leurs projets. Ces analyses régulières et systématiques, complémentaires des études d'impact par nature plus ponctuelles, nous permettraient en outre d'éclairer les pouvoirs publics et de mieux étayer l'exercice de nos autres compétences.

Le deuxième aspect est celui des relations entre les acteurs de l'audiovisuel, que le Conseil peut contribuer à faciliter et faire fructifier. La mission de règlement des différends et de conciliation qui incombe au CSA est encore partielle, dès lors que tous n'y ont pas accès. Nous proposons la généralisation de cette compétence, conforme à notre vocation d'accueil et de dialogue.

Notre troisième préoccupation afférente à nos responsabilités économiques est celle de l'affirmation explicite d'une mission de gestion optimale du spectre. Au-delà de la faculté qui vient d'être ouverte de différer le lancement d'un appel à candidatures, nous devons garantir aux acteurs de l'audiovisuel la meilleure utilisation possible de cette ressource rare et de très grande valeur du domaine public.

Cette reconnaissance pleine et entière de la fonction de régulation économique incombant au CSA est aussi indispensable à l'accompagnement de la transition numérique. En effet, la diversification des canaux de communication est un facteur d'émulation, mais porte en elle des effets potentiellement déstabilisants, notamment pour le financement de la création, du fait de l'asymétrie des contraintes. Il importe d'appréhender l'économie de l'audiovisuel dans sa globalité, y compris dans ses ramifications numériques, conformément au principe de neutralité technologique.

Pour autant, il ne s'agit pas de transposer aux nouveaux services numériques les modes de régulation aujourd'hui applicables aux télévisions et aux radios, ni de conférer au CSA un quelconque pouvoir de censure à leur égard. Parce que l'audiovisuel est complexe et diversifié, la régulation doit être graduée. Les spécificités et apports de l'Internet, son caractère éminemment interactif et décentralisé, son indifférence naturelle aux frontières nationales, sa culture empreinte de liberté, justifient une approche particulière, reposant sur la libre adhésion, l'incitation et l'encouragement des bonnes pratiques.

C'est le sens du dispositif de conventionnement volontaire que nous proposons. L'atout majeur de ce système réside dans sa souplesse, c'est-à-dire dans la variété des engagements qui peuvent être souscrits et des avantages qui peuvent être concédés en contrepartie. Cela permettrait d'associer aux objectifs de la régulation la plus grande variété d'entreprises, internationales ou locales, quelle que soit leur taille.

Dans le même esprit d'incitation, le Conseil rappelle dans son rapport annuel ses préconisations en faveur d'une simplification du régime applicable aux SMAD. Un assouplissement de son cadre réglementaire permettrait de stimuler le développement des services numériques et d'encourager leur installation sur le territoire français. Il serait, à nos yeux, complémentaire du dispositif préconisé de conventionnement, dès lors que celui-ci inciterait les opérateurs à prendre, au-delà de leurs obligations minimales, des engagements en faveur du financement et de l'exposition de la création française et européenne.

La modernisation de la régulation audiovisuelle passe aussi par une démarche coordonnée au niveau européen. À cette fin le Conseil s'est engagé dans la préfiguration d'un groupe des régulateurs européens des services de médias audiovisuels, qui faisait défaut au secteur jusqu'à présent, en réunissant plusieurs de ses homologues européens à Paris en septembre 2013. Des travaux préparatoires ont été conduits en novembre et décembre. À leur suite, la Commission européenne a décidé, le 3 février 2014, d'instituer ce groupe, connu maintenant sous l'acronyme ERGA, et dont j'assurerai la présidence jusqu'en 2015 et la vice-présidence en 2016. Un mois après sa création, l'ERGA s'est déjà réuni pour fixer le cadre d'un programme d'action que nous sommes actuellement en train d'élaborer.

Nous devrons nécessairement travailler à l'adaptation des directives : celle de 2010 sur les services de médias audiovisuels qui constitue le cadre commun du secteur au sein de l'Union, mais aussi celle de 2000 sur le commerce électronique, car la convergence numérique a considérablement renforcé la nécessité d'une actualisation et d'une plus grande articulation entre elles deux. C'est notamment ce que nous avons souligné en juillet 2013, dans notre réponse au Livre vert de la Commission justement intitulé : « Se préparer à un audiovisuel totalement convergent ».

Mais sans attendre la révision de la directive sur les services de médias audiovisuels (SMA), notre propre dispositif de régulation peut déjà progresser. D'abord parce que le droit européen offre d'importantes marges de manoeuvre qui n'ont pas toutes été pleinement exploitées. Ensuite parce que la France peut jouer un rôle de référence, en adoptant des modes de régulation innovants dont elle pourra ensuite proposer l'extension à l'échelle européenne.

Tels sont les faits et les enseignements marquants de cette année 2013 pour le Conseil supérieur de l'audiovisuel. Ils dessinent un secteur audiovisuel marqué par des changements profonds et accélérés des technologies, des usages et des équilibres économiques. Ces bouleversements appellent de la part du régulateur un effort d'accompagnement accru et une capacité d'anticipation renforcée. Au-delà de notre échange, dont j'attends beaucoup, soyez assurés que le Conseil restera tout au long de l'année à votre disposition pour contribuer aux travaux que vous pourriez être amenés à conduire pour adapter à cet environnement profondément renouvelé les principes et les règles de notre droit.

M. David Assouline. - Ce rapport dense démontre l'importance de l'activité du CSA et propose une réforme, de nouvelles règles pour la régulation de l'audiovisuel ; vous soulignez le caractère inédit de propositions d'une telle ampleur, en précisant que vous utilisez-là une faculté que la loi reconnaît au CSA. Si vous êtes certainement dans votre rôle à le faire, il ne faudrait pas que vos propositions législatives et réglementaires, par leur nombre et leur détail, en viennent à changer le dialogue avec le Parlement, à laisser penser aux parlementaires que vous les déposséderiez de leur rôle - ce d'autant que vos propositions avaient déjà cours dans notre débat sur la loi de novembre dernier et que nous avons décidé d'en reporter l'initiative à un cadre plus idoine, celui de la loi sur la création, que nous pourrions examiner à l'automne.

Cette remarque, empreinte de critique, ne vaut que pour la forme. Sur le fond, les extensions de compétences que vous proposez pour le CSA me paraissent largement justifiées, elles prolongent celles que la loi vous a récemment reconnues. L'extension de la régulation aux distributeurs, en particulier, est nécessaire : à l'ère du numérique, qui a bouleversé les modes de production et de consommation des images, des contenus, on ne saurait continuer d'asseoir la régulation sur des règles définies pour l'hertzien, qui laissent en dehors de son champ un nombre très important et grandissant de l'audiovisuel contemporain.

Cela dit, je reste en attente d'une analyse approfondie - que le CSA livrerait utilement - de l'évolution du paysage audiovisuel dans cinq ou dix ans. Vous nous proposez de rattraper notre retard législatif et réglementaire sur l'évolution des techniques, mais ne prendrons-nous pas encore du retard, si nous n'anticipons pas ? Nous avons besoin de votre expertise, de votre vision de ce que sera l'audiovisuel dans une décennie, pour nous aider à non pas seulement combler notre retard, mais à éviter d'en prendre encore.

Enfin, je suis en désaccord sur votre proposition d'attribuer au CSA un pouvoir de régulation ex ante du marché de la télévision, des SMAD et de la distribution. Si le CSA est dans son rôle en analysant ce marché, en menant à bien une veille anti-dumping, il n'a pas à émettre de directive sur le marché audiovisuel : c'est à l'Autorité de la concurrence de le faire, rien ne justifie un pouvoir spécifique du régulateur sur ce secteur ouvert, par contraste avec celui des transports ou de l'énergie, par exemple.

Je suis favorable à une régulation de la diffusion audiovisuelle sur Internet - les règles de droit existent et il s'agit de les appliquer - et non pas, comme on a entendu dire, de confier le réseau à Big Brother... Dans les règles actuelles, cependant, si certains domaines paraissent suffisamment balisés, d'autres contiennent des zones d'incertitudes, laissent une grande marge d'interprétation, je pense par exemple à l'affaire Dieudonné - et c'est ici, aussi, qu'on attend du CSA qu'il donne son analyse, voire qu'il fasse des rappels à l'ordre quand il l'estime nécessaire.

Deux questions, maintenant.

Où en est la mission sur la concentration dans la radio ? Pourquoi son rapport, annoncé pour janvier, est-il en retard ? En décembre dernier, vous avez changé la méthode de calcul, ce qui a relevé de facto le plafond de la concentration ; je m'en suis alerté, c'est un problème pour bien des radios indépendantes, elles vous ont posé des questions auxquelles vous n'avez pas répondu : est-ce parce que ces questions n'ont pas lieu d'être ? Nous serons très attentifs à vos réponses, parce que cette question de la concentration est très sensible et parce que nous tenons aux radios indépendantes.

Quels sont, ensuite, les différents modèles de régulation en Europe, au-delà de celui que nous connaissons bien ? Vous présidez un groupe de réflexion entre régulateurs européens : quelles sont les lignes communes, les meilleures voies pour une régulation concordante à l'échelle du continent ?

Vous aurez compris le sens de mon propos : merci pour votre travail important, nous tenons à un CSA indépendant et actif - mais également à ce que le Parlement garde la pleine initiative de la loi.

Mme Claudine Lepage. - Quel regard portez-vous sur l'évolution de France Médias Monde ? Comment comptez-vous faciliter son développement, la meilleure présence de ses antennes dans l'Hexagone ?

Les Français établis hors de France veulent accéder à la même offre audiovisuelle que celle accessible dans l'Hexagone : comment renforcer l'offre et la visibilité de l'audiovisuel français à l'étranger ?

M. Olivier Schrameck. - Le CSA n'a jamais eu à l'esprit de se substituer à l'initiative parlementaire. Nous avons été invités à présenter des suggestions et chacun de nous a bien compris que la représentation nationale avait décidé, à l'automne dernier, lors des discussions sur la loi du 15 novembre 2013, de reporter certaines questions à un débat de fond, quel que soit l'intitulé utilisé alors pour la future loi qui en serait le vecteur. C'est précisément pour cela que nous avons saisi l'occasion cette année de vous faire part de notre expérience de ce que nous inspiraient nos travaux : nos 23 propositions ont pour seule ambition d'aider le législateur. Ensuite, nous ne revendiquions pas davantage de pouvoirs, ni une redistribution des compétences entre les institutions, mais plutôt, comme l'indique M. Assouline, d'assumer des fonctions et des missions qui sont encore en gestation, du fait de l'évolution des techniques et des pratiques - et nous le faisons parce que nous avons l'expérience de l'audiovisuel, y compris dans ses développements numériques. Nous nous soucions d'accompagner les efforts des opérateurs classiques - certains sont même qualifiés d'historiques - qui se projettent dans le numérique par le biais notamment des services à la demande, mais nous voulons également prendre en compte la diversification de l'offre et une concurrence internationale qui, faute de règles, ne manquerait pas de faire prospérer le moins-disant législatif et réglementaire.

Je crois que ce que vous avez qualifié de désaccord sur la régulation ex ante est très largement formel, car nous ne proposons rien d'autre que d'indiquer au secteur audiovisuel la direction d'un futur qui le promeuve, au bénéfice de la création et de l'emploi, y compris dans sa projection internationale et européenne. Nous rejoignons-là votre voeu d'une analyse de marché globale, au-delà des études d'impact que nous faisons déjà pour l'autorisation ou le renouvellement de fréquences - où nous en sommes réduits à une analyse de type « marginaliste », faute d'une vision d'ensemble sur l'offre télévisuelle et radiophonique, y compris numérique. Quel que soit le nom qu'on lui donne, c'est le fond qui nous motive et il nous est commun : celui d'éclairer l'économie de l'audiovisuel et non de l'administrer.

Vous confortez notre vision d'une régulation qui ne se contente pas de la perspective économique du secteur, mais qui défende également des principes et des valeurs spécifiques à l'audiovisuel. Cela passe par des débats très nombreux, avec des implications économiques, sociales et culturelles - quelle place, par exemple, pour la télévision payante ? Quelle répartition entre les chaînes généralistes et les chaînes thématiques ? Quel type de services faut-il développer ? Je fais ici référence au rapport que nous rendrons sur la radio numérique terrestre.

Je souscris parfaitement à vos propos sur la fonction qui pourrait être celle du CSA sur Internet : il ne s'agit nullement de nous ériger en régulateur du Net, mais, constatant que s'y développent des services audiovisuels et sonores qui, de fait, prolongent la télévision et la radio dans l'univers numérique, il s'agit d'y assurer le respect des valeurs et des principes qui régissent les services audiovisuels traditionnels. À quoi servirait-il de veiller au respect de la dignité humaine, du pluralisme, à la lutte contre les discriminations, si ces valeurs n'étaient pas respectées dans l'univers numérique ?

S'agissant du rapport sur la concentration dans le secteur de la radio, le CSA devrait être en mesure de vous le faire parvenir dès vendredi prochain - et s'il ne l'a pas été dès janvier, c'est parce qu'il nous est apparu souhaitable de consulter les acteurs de l'audiovisuel sur son contenu, ce qui en favorisera la bonne compréhension. Cette concertation s'est déroulée en mars et en avril, de manière sereine.

Le changement de mode de calcul, proposé en 2012 et adopté en 2013, n'entend en rien abaisser les exigences en matière de concentration ; en fait, les paramètres qui comptent sont entre vos mains, qu'il s'agisse du plafond national, de son évolution, ou des nombreuses mesures législatives qui ont une incidence sur la concentration - et qui sont finalement les garantes de la liberté de communication.

Sur la démarche européenne, je me suis effectivement rapproché des autres régulateurs audiovisuels européens et j'ai été surpris d'emblée par l'absence d'un groupe des régulateurs européens et de véritables échanges sur les méthodes de la régulation. J'ai proposé, dans le cadre de la confection du programme de travail 2014-2015, de s'attacher à des échanges sur les perspectives de la régulation. Les situations sont très inégales, - certains organismes ont beaucoup de pouvoirs, comme l'OFCOM (Office of Communications) en Grande-Bretagne, d'autres sont taillés sur un modèle traditionnel et n'ont que peu d'indépendance par rapport à l'exécutif. C'est pourquoi j'ai suggéré, pour l'an prochain, d'élaborer une déclaration de principes sur la régulation audiovisuelle et la liberté de communication, ainsi que des propositions sur la révision de la directive de 2010 relative aux services de médias audiovisuels - qui ne prend pas en compte toutes les technologies actuelles, mais celles de la décennie précédente.

Le législateur, comme vous le dites, doit adapter l'environnement juridique aux besoins, mais aussi anticiper, pour n'être pas condamné à toujours rattraper son retard : notre ambition, c'est bien d'aider à ce que les nouvelles règles soient pertinentes pour une décennie au moins.

Dans le bilan annuel sur les obligations de France Médias Monde, le Conseil a constaté que le groupe s'est rétabli sur le plan financier, social et programmatique : c'est une très bonne chose. Ensuite, l'attribution complète d'une fréquence TNT pour France 24 en Ile-de-France est en cours d'examen, avec la ferme volonté d'aboutir. La diffusion, à titre expérimental, de radio France internationale (RFI) à Marseille a permis la prise de conscience par nos concitoyens des réalités de l'étranger. Dans le cadre de la recherche des fréquences, nous donnerons un accent prioritaire au développement de ce service. L'audiovisuel français est très important pour les Français établis hors de France. Comment développer davantage son offre dans le monde ? Je crois que les nouvelles technologies apportent une réponse importante : une diffusion des programmes en direct est assurée sur Internet, c'est un relais très important.

M. André Gattolin. - Dans son avis du 11 septembre 2013 sur l'avenant du contrat d'objectifs et de moyens (COM) de France Télévisions, le CSA a formulé 14 recommandations sur les programmes et le fonctionnement de l'entreprise, en particulier pour renforcer la place des programmes musicaux aux heures de grande écoute et pour développer le numérique. France Télévisions a fourni un accueil quelque peu aigre-doux de ces recommandations. Vous nous dites travailler en étroite concertation avec l'entreprise : êtes-vous parvenu à lui faire au moins reconnaître le bien-fondé de vos recommandations, sinon à leur donner une suite ?

Je m'inquiète, ensuite, de ce que France Télévisions ait décidé de ne pas retransmettre le débat du 15 mai prochain entre les têtes de listes aux élections européennes. L'entreprise se défend en affirmant qu'Internet serait un mode de diffusion plus approprié, étant donné le caractère international du débat et nous savons que le débat sera retransmis sur Public-Sénat et sur LCP-Assemblée nationale. On ne peut se satisfaire, cependant, de voir France Télévisions accorder une place si réduite au débat européen, alors que la retransmission des sujets politiques fait partie de ses missions de service public et que la ministre de la culture et de la communication s'est exprimée pour renforcer cette fonction : qu'en pensez-vous ?

M. Bruno Retailleau. - Je vous remercie, madame la présidente, d'avoir ouvert cette audition aux membres des autres commissions, cela devrait inspirer vos collègues présidents, sur tous les enjeux transversaux comme celui qui nous intéresse aujourd'hui.

On ne peut faire grief au CSA de faire des propositions de réforme quand notre modèle de régulation est littéralement bousculé par la diffusion de services audiovisuels sur Internet : ce que ce nouveau mode de diffusion contourne, c'est le fondement même de notre organisation audiovisuelle publique, qui voit l'État accorder gratuitement des fréquences en l'échange de missions de service public - ce qui abonde toute une économie de la création et de la diffusion, à laquelle nous sommes en droit d'être attachés, et que nous sommes légitimes à vouloir défendre.

Une question sur la délimitation du champ de la régulation des services audiovisuels numériques : inclut-il les plateformes dites UGC - pour User generated content -, où les internautes postent des contenus ?

La question du champ se pose également pour les distributeurs, que vous proposez de réguler : y incluez-vous les fournisseurs d'accès ? Les opérateurs CDN - les Content delivery network ? C'est très important, parce que la neutralité d'Internet, donc le pluralisme d'expression qu'on y trouve, reposent sur la distinction stricte entre les éditeurs et les hébergeurs de services ; or, les distributeurs en sont venus à éditer des contenus, ce qui est une source d'atteinte au pluralisme.

Enfin, comment votre action s'articule-t-elle avec les autres autorités administratives indépendantes comme l'Autorité de la concurrence et l'Autorité de régulation des communications électroniques et des postes (ARCEP) ?

M. Jean Boyer. - Un élu est d'abord un généraliste et il se trouve qu'il peut encore venir du monde rural. Or, ce qu'on dit dans cette « France d'en bas » que je représente, c'est que le petit monde de l'audiovisuel subit les évolutions sociales plutôt qu'il ne cherche à les modeler, qu'il se complaît dans le négatif plutôt que de diffuser du positif. Monsieur le président du CSA, vous êtes le véritable ministre de la communication : ne pensez-vous pas que vous pourriez avoir un rôle plus constructif, pour que l'audiovisuel soit plus positif envers notre société ?

Je déplore, ensuite, que ce qui relevait hier du service public, que ce qui représente un authentique service au public, devienne payant, partout : je suis « footeux » et je peux vous dire qu'aujourd'hui, pour regarder un match, il faut payer ! Qu'en sera-t-il demain ? Devra-t-on payer pour tout ?

M. Jacques Legendre. - Je félicite le CSA pour avoir organisé récemment un colloque sur la langue française - je souhaite que cette initiative très intéressante soit plus régulière.

Comme Bruno Retailleau, je m'interroge sur la place que le CSA entend occuper vis-à-vis des autres autorités de régulation que sont l'Autorité de la concurrence et l'ARCEP : comment éviter les chevauchements, qui peuvent être une source d'incohérence dans l'application du droit ?

Vous voulez, enfin, conventionner avec les opérateurs en matière de déontologie, de financement de la création et en matière de diversité : est-ce à dire que les opérateurs ne font rien aujourd'hui ? Et comment s'assurer qu'ils respecteront demain les engagements qu'ils auront pris ?

M. Jean-Pierre Leleux. - J'ai apprécié ce rapport d'activité, qui montre combien le CSA veut aller de l'avant. Comment, cependant, anticiper sur une convergence accélérée qui fabrique un paysage audiovisuel où les écrans connectés auront, très rapidement, remplacé les téléviseurs ?

Quelle veille effectuez-vous sur le pluralisme ? Vos outils de mesure sont principalement quantitatifs or, comme le souligne Jean Boyer, ce qu'on nous dit sur le terrain, c'est que la télévision contribue à la « morosité » ambiante, c'est qu'elle met le moral de nos compatriotes en berne - alors qu'il y a tant de belles choses à montrer et que notre pays a tant d'atouts. Je veux également souligner une dimension peut-être plus pernicieuse : c'est cette façon qu'ont certains animateurs, et même certains journalistes, à disqualifier des pans entiers de l'opinion, de la société, par une ironie ou des mimiques qui en disent long et qui marginalisent, ou tentent de marginaliser, ceux qu'elles épinglent - notamment les élus. C'est du qualitatif, que chacun ressent dans son corps social personnel : comment mesurer ces atteintes effectives au pluralisme ?

Une question, enfin, sur l'avenir de France 3 et la mission que la ministre de la culture a confiée à Anne Brucy sur le sujet. L'idée court, en particulier, d'inverser l'architecture de la chaîne : au lieu que l'échelon national « décroche » quelques heures par jour pour diffuser des programmes régionaux, France 3 placerait les antennes régionales en position de produire des programmes coïncidant avec des enjeux régionaux et locaux, avec une diffusion qui deviendrait ainsi principalement régionale en « décrochant » quelques heures pour diffuser des programmes nationaux : que pensez-vous de cette option ?

Mme Marie-Christine Blandin, présidente. - Votre rapport d'activité ne manque pas de rappeler que le CSA veille à « la cohésion sociale et à l'égalité des droits » : que dire, à cette aune, des émissions quasi quotidiennes diffusées par des chaînes privées, qui ne cessent de stigmatiser des jeunes d'origine étrangère, des Roms, des enquêtes qui frôlent la discrimination, l'incitation à la haine ? Le CSA n'a-t-il pas un rôle majeur à jouer face à ces émissions dont l'objectif ne paraît autre que de fracturer notre société ?

M. Olivier Schrameck. - Je vous remercie pour toutes ces questions importantes - c'est une gageure d'y répondre en quelques minutes.

Du point de vue de la procédure, la loi du 15 novembre dernier a confié la mission au CSA de donner annuellement un avis sur le contrat d'objectif et de moyens de France Télévisions, ce que nous avons fait en 2013 en formulant 14 propositions. Nous sommes également conduits à donner un avis sur l'application du cahier des charges, à dresser un bilan annuel de chaque société publique de l'audiovisuel, ainsi qu'un bilan au bout de quatre ans de responsabilité des dirigeants de l'audiovisuel public. Nous avons également une compétence de nomination des administrateurs. Nous suivons donc de près le service public. France Télévisions comprend bien les nouvelles procédures et les auditions conduites entre novembre 2013 et fin février 2014 se sont déroulées dans un climat serein et ont été satisfaisantes. Elles se poursuivront, je crois que le pli est pris dans les relations avec le groupe et que France Télévisions ne gagnerait pas à limiter son dialogue avec sa tutelle, qu'il est dans son intérêt de discuter également avec nous.

France Télévisions fait des efforts, dans le sens de nos recommandations. France 4 a redéfini sa grille de programmes, la place de la musique doit être revue pour être plus présente aux heures de grande écoute. L'entreprise développe le numérique, mais je crois qu'il lui faudrait mieux fédérer les initiatives et opérer une véritable mutation pour le numérique - non pas seulement créer des équipes nouvelles sur le numérique, mais former toutes les équipes pour que chacun y soit bivalent et que tous les programmes trouvent leur version numérique.

Pour France 3, je sais qu'Anne Brucy s'achemine vers le terme de sa mission et que la question de l'architecture de la chaîne, entre les échelons national et régional, est déterminante - mais aussi qu'elle est liée à celle de la complémentarité de cette chaîne avec France 2. Il faut valoriser l'activité et le patrimoine des régions, c'est un objectif partagé, mais comment y parvenir au mieux ? C'est une question d'équilibre et de réalisme : il faut, en particulier, tenir compte de l'hétérogénéité des antennes régionales de France 3 ; je crois également qu'une meilleure coopération avec les télévisions locales est un facteur de réussite. Sachez que le collège du CSA a délibéré sur ce sujet mais n'a pas rendu publique sa délibération pour respecter la liberté d'appréciation d'Anne Brucy dans sa mission.

Le CSA est très attentif au maintien du modèle hertzien comme élément structurant du paysage audiovisuel et qui vient d'être modernisé : il est essentiel, en particulier, dans le financement de la création et la diffusion du service public audiovisuel. Il nous faut également prendre en compte les nouveaux modes de diffusion, c'est-à-dire, dans les faits, une véritable substitution qui est en train d'opérer avec la diffusion par l'Asymmetric Digital Subscriber Line (ADSL), le câble, le satellite et Internet - si les deux-tiers des foyers ont au moins un récepteur TNT, un tiers n'en n'ont qu'un seul. Or, notre modèle de promotion de la création, qui est un des piliers de l'exception culturelle, repose sur un équilibre entre la gratuité des fréquences hertziennes et la contribution des opérateurs à l'exposition et au financement de cette création. Nous devons donc adapter notre système aux réalités technologiques, avec le poids de cette équation : la base se rétrécit, mais les besoins s'accroissent.

Sur le champ de la régulation, quelle articulation avons-nous avec l'Autorité de la concurrence ? Nous entretenons une relation très étroite et féconde, il ne se passe pas un mois, parfois une semaine, sans que l'une des deux autorités ne demande son avis à l'autre. Nos compétences ne se recouvrent pas : l'Autorité de la concurrence sanctionne les atteintes à la concurrence et les abus de position dominante, ex post, avec des délais assez longs - ce qui ne va pas sans poser de problèmes techniques, on l'a vu lors du rachat des chaînes D8 et D17 par Canal+, où l'intervention ne peut se produire que plusieurs mois, voire plus d'une année après les faits, avec certains effets liés à des mutations économiques et technologiques qui ne sont pas rattrapables, ce que le Conseil d'État a reconnu lui-même. En fait, nos compétences sont tout à fait complémentaires : l'Autorité de la concurrence intervient en généraliste et ex post, tandis que le CSA intervient sur un secteur délimité, qui n'empiète pas sur celui de l'ARCEP.

Les plateformes dites UGC, qui sont générées par les utilisateurs, ne font pas partie du champ de régulation de l'audiovisuel numérique - nous avons tranché dans ce sens - parce qu'elles procèdent de l'échange social, qu'elles n'ont pas de finalité économique et qu'elles ne sont pas substituables aux services audiovisuels.

S'agissant de la distribution, maillon où les évolutions les plus fortes se sont produites, nous sommes très attachés à ce que la numérotation des chaînes soit la plus simple et logique possible et que l'accès soit le plus équitable, transparent et non-discriminatoire : c'est l'intérêt de l'éditeur et du téléspectateur. Le 31 mars dernier, le Conseil d'État a annulé une décision du CSA de 2011 qui refusait la demande de France Télévisions que France 5 soit numérotée 5 sur Numericable, qui la plaçait en treizième position.

Jusqu'où border le champ de la régulation ? Nous proposons d'y inclure les plateformes vidéo uniquement si elles ont une activité de distribution. C'est bien une analyse par l'activité qu'il faut privilégier, parce que les plateformes ont effectivement diversifié leur activité et font une concurrence directe aux contenus régulés. Je crois que les services peuvent être régulés sur Internet, y compris ceux des OTT - Over the top -, ce qui se justifie ne serait-ce que par les problèmes de bande passante que leur activité peut provoquer.

L'ARCEP a une compétence claire de règlement des différends et nous n'avons aucune demande en la matière. Cependant, sur tous les autres modes de règlement de différends, le CSA comme « Maison de l'audiovisuel », comme lieu d'échange, peut avoir son rôle à jouer pour rapprocher les parties en conflit sur des questions de droits, sans contrainte. On ne peut que s'inquiéter de voir les contentieux se multiplier dans l'audiovisuel, alors que face à la concurrence internationale toujours plus vive, il vaudrait mieux fédérer nos forces : le CSA est dans son rôle en y encourageant.

Nous sommes très attentifs au contenu et à la qualité des programmes - nous avons, par exemple, révisé pour 2014 la réglementation sur la diffusion, aux heures de grande écoute, de films déconseillés aux moins de douze ans. Nous avons également mis en place un groupe de travail « Droit des femmes » mais aussi un groupe « Éducation et Médias », pour promouvoir l'éducation aux médias et par les médias. Nous nous rapprochons de l'Académie des sciences pour renforcer le caractère éducatif des programmes, montrer davantage ce qui peut être une source d'espoir. Cependant, nous ne pouvons pas imposer aux éditeurs de diffuser tel programme - on nous reproche parfois d'aller trop loin dans la prescription. Nous recherchons donc un équilibre dans les échanges que nous avons avec les diffuseurs.

Le caractère payant de la diffusion de certains sports professionnels, au premier chef du football, pose effectivement des questions auxquelles nous sommes attentifs. Nous nous efforçons à ce que la diffusion gratuite garde sa place - les négociations difficiles qui viennent de se dérouler sur l'attribution des droits portant sur les internationaux de Roland-Garros, en portent témoignage -, à travers la liste établie par décret en Conseil d'État des événements d'importance majeure, et nous nous félicitons de l'initiative du ministère des sports d'étendre ces événements au sport féminin. Nous sommes également en discussion sur les brefs extraits, qui offrent gratuitement aux téléspectateurs des moments significatifs de rencontres sportives.

En matière de conventionnement, il faut souligner que sa logique est bien que les signataires d'un contrat acceptent de s'engager, dès lors que suffisamment d'avantages les incitent à consentir à des obligations ; c'est l'intérêt commercial bien compris des opérateurs que de s'intégrer dans le milieu socio-culturel où l'on veut assurer sa présence : l'entreprise Netflix l'a bien compris, en adaptant son offre pour pouvoir s'implanter en France, même si elle s'établit dans un autre État membre.

Pour anticiper la convergence, nous travaillons sur la télévision connectée et nous avons constaté le bond des consultations vidéos, en particulier chez les jeunes. La démultiplication des canaux de diffusion pose des problèmes évidents, en particulier de contrôle de l'accès des jeunes publics aux images, ce qui nous a conduit à multiplier l'an passé les mises en demeure auprès d'opérateurs, en utilisant les nouvelles sanctions que le législateur nous a confiées.

Comment faisons-nous respecter le pluralisme ? Notre veille est d'abord quantitative, parce que sur le plan qualitatif, on se verrait très vite reprocher de s'immiscer dans la vie politique et sociale de notre pays. Cependant, il est vrai qu'un problème se pose pour la retransmission du débat aux prochaines élections européennes - j'en ai parlé hier avec la représentante de la Commission européenne. Le contrat d'objectif et de moyens de France Télévisions prévoit l'obligation de faire connaître les institutions et les réalités européennes. Des efforts ont été entrepris mais la présentation des grands courants politiques concourants pour les élections européennes est largement perfectible, je vous le concède volontiers. Ceci est d'autant plus essentiel que les textes ont été modifiés : pour la première fois s'applique la disposition de l'article 17 du Traité sur l'Union européenne qui donne au Parlement européen compétence pour élire, sur la proposition du Conseil européen, le président de la Commission. Il y aurait éventuellement une modification législative à envisager pour que le respect du pluralisme intègre mieux la dimension européenne.

Enfin, et pour finir sur une note optimiste, je soulignerai que la télévision publique se détache d'une certaine morosité ambiante, en particulier lorsqu'elle affiche en bonne place dans sa grille - je le dis sans vouloir de publicité pour une émission particulière -, qu'elle est plus belle, la vie !

Mme Marie-Christine Blandin, présidente. - Nous vous remercions pour ces précisions et cette note d'espoir.

La réunion est levée à 18 h 40.