Mardi 1er juillet 2014

- Présidence de M Daniel Raoul, président -

Audition de M. Louis Schweitzer, commissaire général à l'investissement

La séance est ouverte à 15h10.

M. Daniel Raoul, président. - Nous sommes heureux d'accueillir Louis Schweitzer, troisième commissaire général à l'investissement - nous avions entendu ses prédécesseurs René Ricol et Louis Gallois -, afin de suivre la mise en oeuvre du programme d'investissements d'avenir (PIA). Le programme initial, décidé en 2010, représentait 35 milliards d'euros ; le deuxième, décidé cette année, porte sur 12 milliards d'euros.

Monsieur Schweitzer, quelles sont vos priorités dans la mise en oeuvre et le suivi du PIA ? Vous placez-vous en continuité ou en rupture avec vos prédécesseurs ? Vous évoquerez également les évolutions institutionnelles du commissariat général à l'investissement (CGI) et nous direz si son autonomie pourrait en être affectée. Vous préciserez l'articulation de vos interventions avec celles de la Banque publique d'investissement (BPI), de l'Agence de l'environnement et de la maîtrise de l'énergie (Ademe), de la Caisse des dépôts, ainsi que de l'Agence des participations de l'État. Enfin, vous nous indiquerez les filières privilégiées par le CGI - télécommunications, transition énergétique, programmes de renouveau industriel... - et les modalités de votre intervention.

M. Louis Schweitzer, commissaire général à l'investissement. - Mon action s'inscrit dans la continuité de celle de mes prédécesseurs. MM. Alain Juppé et Michel Rocard, dans le cadre de la mission que leur a confiée le président Nicolas Sarkozy, ont élaboré un programme clair : lutter contre la tentation, naturelle en période d'austérité budgétaire, de sacrifier l'investissement, et donc l'avenir. Ce projet n'a rien perdu de sa pertinence. MM. Alain Juppé et Michel Rocard avaient en outre proposé la création d'une structure de portage de ces investissements, le CGI, doté d'un comité de surveillance dont ils ont été nommés membres - ce qu'ils n'avaient pas proposé.

M. Daniel Raoul, président. - Ils l'ont néanmoins accepté !

M. Louis Schweitzer. - En tant que troisième commissaire général, je poursuis l'action de mes prédécesseurs, fidèle aux intentions originelles, dont les résultats sont positifs. Le haut niveau d'exigence des projets soutenus a été et sera maintenu. Tous doivent être de grande qualité et portés par des bénéficiaires solides. Cela exclut tout soutien aux actions qui auraient été de toute façon financées par le budget de l'État. Nos moyens d'action spécifiques - avances remboursables, prêts, subventions - sont destinées à préparer l'avenir.

Nos interventions obéissent à des règles de procédure spécifiques, dérogatoires aux règles budgétaires de droit commun : nous bénéficions de dotations où les autorisations d'engagement égalent les crédits de paiement ; nous ne sommes pas soumis à la régulation budgétaire, ni au principe de spécialité : des redéploiements de crédits sont possibles par décision du Premier ministre et sous réserve que le Parlement en soit informé.

Le CGI est une toute petite administration, qui fonctionne grâce à une trentaine de personnes de grande qualité. C'est qu'il n'agit pas directement, mais au moyen d'opérateurs spécialisés dotés, eux, de moyens plus importants : l'Agence nationale de la recherche (ANR), l'Ademe, la Caisse des dépôts et consignations, la BPI, l'Agence nationale de la rénovation urbaine, l'Agence nationale de l'habitat... Bref, le personnel du CGI n'est qu'une petite partie de celui placé au service des PIA. Nous concluons des conventions avec ces opérateurs. Après instruction des dossiers, ils font des propositions au commissariat général, qui lui-même en fait au Premier ministre.

Deux marges de progrès sont à notre disposition : la célérité et la simplicité. La qualité des projets n'est pas remise en cause : nous faisons appel à des experts et à des jurys internationaux pour nous prémunir de la tentation de répartir les crédits trop largement et de manière indifférenciée. Toutefois, nos procédures peuvent être accélérées. Les crédits sont d'abord affectés par le législateur à différents domaines ; nous passons ensuite des conventions avec des organismes répartiteurs ; puis les crédits sont engagés ; nous contractualisons avec les bénéficiaires ; nos actions sont enfin mises en paiement. Au total, dix-huit mois peuvent s'écouler entre le dépôt d'un dossier de projet par un bénéficiaire potentiel et le paiement du premier acompte. Mes prédécesseurs ont déjà engagé le travail nécessaire pour réduire les délais de trois à six mois. Simplicité, ensuite : nos procédures imposent la validation d'une quantité déraisonnable de papiers.

Sur le fond, je ne puis, au bout de deux mois à la tête du CGI, indiquer s'il faut réorienter nos actions vers tel ou tel secteur. Des réaffectations de crédits ont déjà eu lieu en 2013, lorsque le deuxième PIA a réparti 12 milliards d'euros de crédits supplémentaires. Le projet de loi de finances rectificative procède à des modifications d'affectations, mais celles-ci ne proviennent pas de l'initiative du CGI.

Vous m'interrogez sur le rattachement institutionnel du Commissariat général. MM. Alain Juppé et Michel Rocard ont souhaité qu'il soit placé auprès du Premier ministre. Le gouvernement actuel l'a rangé sous l'autorité de M. Arnaud Montebourg, ainsi que de M. Benoît Hamon pour ce qui concerne l'enseignement supérieur et la recherche. Cette décision a suscité l'inquiétude des deux anciens Premiers ministres, qui ont démissionné de son comité de surveillance. Il apparaît désormais que leurs craintes n'étaient pas fondées : le pouvoir décisionnaire du Premier ministre, que le législateur a autorisé à déléguer au Commissaire général, n'a pas été remis en cause. Les procédures d'instruction interministérielles n'ont pas non plus été affectées. L'esprit d'autonomie, voire d'indépendance du Commissaire général n'a pas davantage été atteint. Notez que celui-ci exerce sa fonction à titre bénévole - ce qui constitue une garantie supplémentaire de son indépendance d'esprit...Convaincus, MM. Alain Juppé et Michel Rocard ont accepté de reprendre leur fonction au sein du comité de surveillance qui se réunira au cours du mois de juillet, et auquel nous rendrons compte de notre action et solliciterons leurs avis, conseils et orientations.

Un mot sur les relations que nous entretenons avec nos partenaires. Avec l'Ademe : nous avons la compétence technique mais les délais d'instruction des dossiers demeurent déraisonnables ; nous nous sommes engagés à les réduire. Avec la BPI, les relations de travail sont excellentes ; elle apporte de fortes garanties financières, et perçoit à ce titre une rémunération ; nous avons également le souci d'accélérer nos procédures, sans remettre en cause leur rigueur. Nous intervenons dans certains des 34 plans industriels présentés par M. Arnaud Montebourg, selon les procédures normales, c'est-à-dire après comité de pilotage interministériel et décision du Premier ministre, ou du Commissaire général lorsque le bénéficiaire ne reçoit pas plus de 5 millions d'euros.

M. Daniel Raoul, président. - Les délais d'instruction des dossiers sont-ils aussi longs devant l'ANR que devant l'Ademe ?

M. Louis Schweitzer. - Nous n'avons pas encore traité avec l'ANR, car le gouvernement n'a pas encore nommé son directeur général. Son mode d'intervention est en outre particulier, qui fait appel aux initiatives d'excellence (Idex) et aux laboratoires d'excellence (Labex). L'ANR octroie d'abord des crédits sous forme de dotations non consommables ; le PIA 2 prévoit ensuite, au cours de l'été, une phase d'appels à projets. Ceux-ci sont jugés sur le fond, ainsi que sur la gouvernance proposée. On sait que la mise en place des Comue (communautés d'universités et d'établissements) n'est pas sans complexité. Rares sont les universités qui, comme Strasbourg ou Bordeaux, ont choisi la fusion, hypothèse simple et efficace. Jury international, sélection à deux tours... Le rythme d'instruction des dossiers dépend davantage des interlocuteurs de l'ANR que d'elle-même.

M. Daniel Raoul, président. - En effet. Le problème se pose entre la Bretagne et les Pays-de-la-Loire. Le temps qu'elles prendront à se mettre d'accord sur la gouvernance de la Comue en fera perdre au passage de leur dossier devant l'ANR. J'ignore d'ailleurs laquelle des deux régions portera le dossier.

M. Louis Schweitzer. - En la matière, simplicité et célérité ne sont pas de notre ressort...

M. Daniel Raoul, président. - Et l'on peut faire confiance aux universitaires pour rendre les choses plus complexes...

M. Louis Schweitzer. - Notre métier ne se limite pas à la distribution d'argent. Nous suivons la mise en oeuvre des programmes et évaluons leur efficacité. Les dotations non consommables versées aux universités sont déposées sur un compte rémunéré au Trésor public - donc non comptabilisées dans le déficit maastrichtien -, aujourd'hui à presque 3,5 %. Dans la seconde phase, ce taux sera plus proche de 2,5 %. Mais cette dotation n'est pas permanente : en juillet 2016, le jury pourra soit confirmer son choix, soit prolonger la période probatoire de l'établissement, soit supprimer ou diminuer le montant de l'allocation versée.

En 2013, le CGI a reçu, à la demande du Parlement, la mission d'évaluer les grands investissements de l'État. Le mécanisme en a été précisé par décret : nous recensons tous les projets d'investissement que l'État ou un organisme public finance à hauteur de 20 millions d'euros au moins. Une contre-expertise systématique est réalisée pour les investissements faisant l'objet d'une participation de l'État ou d'un organisme public à hauteur de 100 millions d'euros, et transmise aux deux assemblées. Cela concerne par exemple les investissements ferroviaires majeurs dans le Sud-Ouest, ainsi que les grands hôpitaux ou les grands établissements universitaires.

M. Daniel Raoul, président. - Où en est la consommation des 35 milliards d'euros de crédits initiaux, auxquels s'ajoutent les 12 milliards d'euros complémentaires ?

M. Louis Schweitzer. - Les crédits initiaux s'élevaient exactement à 34,7 milliards d'euros. Le total avoisine en effet les 47 milliards d'euros. La première tranche a été consommée à hauteur de 29,6 milliards d'euros, dont la moitié en dotations consommables, l'autre en dotations non consommables.

Mme Marie-Noëlle Lienemann. - Quel est le mécanisme des dotations non consommables ?

M. Louis Schweitzer. - Leur bénéficiaire ne peut utiliser que les intérêts qu'elles produisent.

M. Daniel Raoul, président. - Elles ne concernent que les investissements universitaires.

M. Louis Schweitzer. - Oui. Elles répondent à trois considérations. D'abord, elles sont un engagement de l'État dans la durée, mais sans décaissement. La dotation en capital dont seul l'intérêt est consommé est ensuite une technique financière utilisée par les plus grandes universités internationales ; songez que la première d'entre elles, Harvard, dispose ainsi de 30 milliards d'euros qui, investis ailleurs qu'en bons du Trésor, lui rapportent 10 % par an... Enfin, elles ne financent pas du bâtiment et des travaux publics, mais des dépenses supplémentaires, affectées à l'excellence. Dans la plupart de nos universités, une telle allocation, de 25 à 30 millions d'euros par an, correspondent aux besoins de consommation dans la durée, sachant que d'autres dispositifs, comme Labex, Equipex (établissements d'excellence) peuvent répondre aux besoins de dépenses uniques.

Quant au PIA 2, doté de 12 milliards d'euros en décembre 2013, 1,5 milliards ont été engagés, et 0,78 milliard effectivement versés. Ces versements étaient principalement destinés au Commissariat à l'énergie atomique (CEA), opérateur et utilisateur final des crédits, qui sait les consommer rapidement...Jusqu'en 2015 inclus, nous engagerons plus de crédits que nous en consommerons. À compter de 2016, nous en paierons plus que nous en engagerons.

M. Jean-Claude Lenoir. - A sa création, j'ai craint, malgré la qualité de ses fondateurs et la pertinence de ses principes, que le CGI ne finance que de gros projets. Je puis témoigner que ce ne fut pas le cas. Je tiens aujourd'hui à remercier vos services, qui se sont intéressés à des projets modestes dans l'Orne, qui me tenaient à coeur.

Avez-vous identifié des domaines dans lesquels il faut à tout prix investir, ainsi que les leviers d'action pertinents ? En clair : avez-vous une stratégie ? Louis Gallois, que nous avons auditionné, avait manifesté son intérêt pour deux domaines : l'énergie nucléaire et le gaz de schiste. Ceux-ci n'entrent pas forcément dans vos attributions, mais avez-vous des idées sur la question ? Le CGI pourrait-il entretenir certaines filières comme celles-ci ?

M. Daniel Raoul, président. - Plus généralement, que peut le CGI en matière de transition énergétique, dans la perspective du sommet international de 2015 sur le climat à Paris ?

Le numérique est un autre domaine majeur, dans le cadre des négociations relatives au futur traité transatlantique.

Mme Marie-Noëlle Lienemann. - J'ai du mal à discerner l'articulation des différentes actions de redressement économique et industriel. Des contrats de filières ont été annoncés : où en sont-ils ? De même, il existe des comités stratégiques de filières : combien de filières concernent-ils ? Quel lien y a-t-il entre les contrats de filières, le Conseil national de l'industrie, et le CGI ? Dans le cadre des PIA et des contrats de filières, quel est le rôle de la BPI ? Que deviennent les acteurs qui ne se rattachent à aucune filière ? Il faut une vision politique à tout cela : pour mobiliser les citoyens, et pour aider ceux qui en ont besoin.

Dans le PIA, de l'argent a été prévu pour l'économie sociale et solidaire. Or peu a été dépensé. Les critères ne sont-ils pas élaborés sans prise en compte du terrain, ce qui les rend insusceptibles d'être remplis ? Je me souviens des fonds européens promis au Nord-Pas-de-Calais, qui n'ont pu être entièrement versés, faute de projets en nombre suffisant. J'espère voir les projets éligibles à l'aide du CGI foisonner, quitte à submerger ses capacités d'intervention, plutôt que l'hypothèse inverse...Ne peut-on déployer de nouvelles méthodes, s'il en est besoin, pour attirer de nouveaux projets ?

Vous avez été sibyllin sur le projet de loi de finances rectificative : si les modifications qu'il contient n'ont pas été proposées par vos services, il faut regarder du côté de Bercy... Pouvez-vous nous en dire davantage ?

M. Daniel Raoul, président. - L'audition de M. Arnaud Montebourg est prévue le 15 juillet : nous évoquerons notamment l'organisation des filières industrielles.

M. Gérard Bailly. - Nous avons mis en place des programmes plus ambitieux que nos capacités de financement, au risque d'en reporter la mise en oeuvre aux calendes grecques. Les grands investissements pourraient être portés par les très grandes entreprises, comme Vinci ou Eiffage... Vous avez entendu la demande de notre collègue des Hautes-Alpes s'agissant des autoroutes.

L'État et les collectivités territoriales sont dans une situation budgétaire difficile, ce qui freine les possibilités d'investissement. Où trouver les marges de manoeuvre nécessaires ? Certaines techniques, comme les partenariats public-privé (PPP), ont montré leurs limites. L'investissement est bon pour l'emploi, et entraîne des recettes de TVA. Comment progresser dans ce domaine ?

L'écotaxe était censée apporter de l'oxygène. Elle a été réduite à peau de chagrin. Certes, elle n'était pas populaire, mais elle aurait permis aux conseils généraux de financer des investissements utiles.

La France a pris du retard en matière de très haut débit, qui requiert des investissements lourds. Je n'en fais pas le reproche à la seule majorité actuelle : la responsabilité politique est partagée. Comment investir plus rapidement, pour améliorer notre compétitivité dans la guerre économique mondiale ?

M. Louis Schweitzer. - Nous versons parfois de grosses sommes pour d'importants projets, mais nous remplissons également une fonction de guichet, en accordant des subventions à de petits projets, de quelques dizaines de milliers d'euros, dans le cadre du PIA.

Louis Gallois est favorable à l'expérimentation et à la recherche sur le gaz de schiste. À titre personnel, je partage son point de vue, mais cela n'entre pas dans les attributions du CGI. Avec le CEA, nous intervenons en revanche dans le nucléaire. Non pas directement pour le domaine militaire, mais nous participons au financement des investissements d'avenir, comme la construction du réacteur à neutrons rapides Jules Horowitz. Les grands projets de nouveaux réacteurs d'EDF, davantage de nature industrielle, ne nous concernent pas.

Dans le cadre du grand emprunt, le CGI avait une stratégie sectorielle. Je ne vois pas de raisons de remettre en cause les orientations du rapport Juppé / Rocard. Des domaines qui sont toujours prioritaires ont été définis, qui couvrent une large part des activités industrielles et de services de notre pays, davantage dans certains secteurs que dans d'autres. Je ne vois aucune raison valable de revenir sur la stratégie déterminée en 2010. Au reste, pour porter ses fruits, une stratégie industrielle ne devrait pas être redéfinie tous les trois ou quatre ans : c'est la meilleure façon de faire des bêtises. Les 34 plans industriels de M. Arnaud Montebourg ne sont pas comparables aux plans stratégiques de l'ère pompidolienne, qui dirigeaient les investissements de l'État, sans limite, vers un secteur donné. Le cadre juridique européen ne le permettrait pas. Sauf, peut-être, en matière de numérique, nous avons abandonné ce mode de fonctionnement.

Le numérique est un enjeu majeur des PIA. Nous n'intervenons pas dans les négociations internationales, mais considérons à bon droit la maîtrise de ce secteur comme nécessaire à notre indépendance nationale. La création d'un cloud souverain est fondamentale pour la conservation et la protection des données personnelles des utilisateurs.

Quelle est l'articulation des contrats de filières et du Conseil national de l'industrie avec le CGI ? Je suis en coopération constante avec Jean-François Dehecq et le conseil national de l'industrie. Nous discutons régulièrement des 34 plans et nous sommes souvent sur la même ligne : nos domaines de compétences sont différents, mais nos visions de l'avenir industriel de la France se ressemblent.

Le CGI a développé des projets labellisés « filières » : 580 millions d'euros y sont consacrés, dont 540 millions d'euros sont déjà engagés. Je suis convaincu depuis longtemps que l'Allemagne et l'Italie ont pour avantage, par rapport à nous, leur conception des filières et de la solidarité inter-entreprises. Nous sommes le seul pays au monde où les petites entreprises font crédit aux grandes, et non l'inverse ! J'avoue toutefois que lorsque je dirigeais une grande entreprise, remettre en cause cela n'allait pas de soi, mais c'est une aberration.

Nous faisons en sorte que les actions que nous mettons en oeuvre n'engagent pas seulement le donneur d'ordre principal, mais aussi l'ensemble de la filière. De même que nous cherchons à rassembler les universités vers l'excellence, nous nous efforçons de rassembler une filière autour d'une dynamique d'avenir. La visibilité sectorielle de la politique industrielle est assurée par les 34 plans. La création de la BPI a rendu plus visible la capacité d'intervention en matière de crédits en faveur des PME. Elle offre aussi à ces entreprises l'accès à une expertise financière et économique.

Un programme de 100 millions d'euros est consacré à l'économie sociale et solidaire : 65 millions d'euros sont déjà engagés, et 90 millions d'euros le seront d'ici la fin de l'année. Dans ce domaine, la difficulté n'est pas de faire le tri entre les projets mais d'en trouver qui aient à la fois une viabilité économique et un intérêt social. Nous nous y efforçons.

Dans certains domaines, les projets abondent. Ainsi, le concours mondial d'innovation, que j'appelle le « concours Lauvergeon », et qui invite des start-up, dans sept domaines, à soumettre des projets, a sélectionné, en deux premières vagues de candidatures, cent projets. Trois mois ne sont pas écoulés entre le dépôt des projets et le versement des subventions de cent mille euros aux lauréats. Ceux-ci pourront bénéficier dans un deuxième temps d'une aide publique de deux millions d'euros et, dans un troisième temps, de vingt millions d'euros - mais pas sous forme de subventions. Ainsi, nous accompagnons le développement de ces nouvelles entreprises, pour qu'il ne soit pas dit qu'elles ne peuvent trouver de financement qu'à l'étranger. Les lauréats avec qui j'ai discuté considéraient que la procédure avait été légère, efficace, et qu'elle n'avait pas d'équivalent ailleurs. Les candidats ont été beaucoup plus nombreux dans certains domaines - médecine individualisée, numérique - que dans d'autres, comme l'économie circulaire. La plupart des candidatures étaient françaises. C'est un bon exemple de méthode nouvelle, pour attirer des projets.

Marie-Noëlle Lienemann, vous avez relevé dans mon introduction un propos sibyllin. Lorsque l'État est pauvre, toute poche d'argent public crée des tentations. Ainsi, certaines dépenses qui sont dans le PIA pourraient figurer dans le budget de certains ministères. Les avances à Airbus, qui autrefois figuraient au budget du ministère des transports, font à présent partie du PIA. La part des programmes du PIA qui concernaient le CEA a été augmentée de 250 millions d'euros en loi de finances rectificative. Ces arbitrages ne sont pas liés à la présence de M. Arnaud Montebourg à Bercy...

Mme Marie-Noëlle Lienemann. - Quel étage du ministère est en cause ?

M. Louis Schweitzer. - Ces décisions sont prises dans d'autres palais nationaux.

Gérard Bailly a évoqué l'écotaxe. Je ne puis que constater avec lui que c'est une ressource d'investissement qui manquera. Les réseaux d'infrastructures ne sont pas dans le champ du PIA. Les PPP qui portent sur des infrastructures dont la rentabilité financière est insuffisante posent problème : leurs mécanismes de financement accroissent les coûts, et les péages découragent les usagers. À titre personnel, j'estime que ces mécanismes me semblent devoir être utilisés avec prudence.

Le PIA prévoit la couverture de 100 % du territoire par le très haut débit (THD) en 2022. Les parties les plus densément peuplées peuvent être couvertes par des opérateurs privés, qui y trouvent leur intérêt. Pour les autres, le plan THD prévoit un financement de plus de trois milliards d'euros réparti entre des subventions - les 900 millions d'euros prévus sont presque intégralement engagés -, des prêts - même si ce type de financement ne répond pas parfaitement aux besoins - et l'apport d'une ressource affectée issue des télécommunications. Nous attendons l'achèvement du mouvement actuel de regroupement des opérateurs de télécommunications pour relancer ce plan, dont le gouvernement a récemment réaffirmé le caractère prioritaire. Comment assurer la couverture effective de tout le territoire ? Le choix est entre fibre optique et couverture par satellite, qui offre aussi un débit élevé à un coût plus faible.

M. Daniel Raoul, président. - Le satellite peut-il se substituer à la fibre ? Je ne le crois pas. Le débit qu'il procure est peut-être acceptable pour la voie descendante, mais il est insuffisant pour la voie ascendante. Je suggère plutôt l'utilisation de la 4G, voire de la 5G lorsqu'elle sera disponible, pour couvrir les zones blanches et réduire la fracture numérique. Je l'ai dit à tous les opérateurs, ainsi qu'à l'Arcep. Cette solution est réalisable techniquement dans des délais rapides. Elle résoudra à la fois les problèmes de réseau téléphonique et la question de la couverture par le haut débit, à un coût raisonnable.

M. Louis Schweitzer. - En ce domaine, votre compétence scientifique est supérieure à la mienne. Nous finançons des activités de recherche et de développement à hauteur de 70 millions d'euros sur le débit ascendant. Nous prendrons position, comme je l'ai dit, dans les semaines à venir. Je tiendrai compte, alors, de vos réflexions.

M. Daniel Raoul, président. - La vitesse de la lumière est une constante dans l'univers : le temps mis par l'information à monter et à redescendre pose problème en termes d'interactivité.

M. Jean-Claude Lenoir. - Je suis pour ma part de l'avis du commissaire général à l'investissement sur la couverture par satellite. Dans un département rural comme le mien, l'Orne, nous sommes las d'attendre la 2G, la 3G, la 4G... La couverture par satellite apporte beaucoup aux populations qui n'ont pas d'autre solution, à un prix raisonnable. Un débit de 15 à 20 Mo est un progrès appréciable : continuez !

M. Louis Schweitzer. - Je vais m'efforcer de développer ma compétence sur ce sujet, n'ayant pas une formation initiale scientifique mais littéraire...

Mme Marie-Noëlle Lienemann. - Vous vous êtes bien rattrapé depuis !

M. Daniel Raoul, président. - La couverture par satellite pose différents problèmes : d'une part, le débit de la voie ascendante est insuffisant, d'autre part, un nombre d'abonnés trop important conduit à une saturation.

M. Jean-Claude Lenoir. - Un nouveau satellite a été lancé par Eutelsat, qui devrait régler ce problème.

M. Daniel Raoul, président. - Et que se passera-t-il quand tous les pays utiliseront cette solution ?

M. Jean-Claude Lenoir. - Pour ceux qui n'ont rien, elle est providentielle.

M. Daniel Raoul, président. - Nous en reparlerons. Il me reste à remercier M. le commissaire général à l'investissement. Il est exact que les filières sont un atout précieux. Nous l'avions vu en Italie lors d'une mission portant sur le thème de l'organisation des filières.

M. Louis Schweitzer. - Merci pour votre accueil.

La réunion est levée à 16h20.

Mercredi 2 juillet 2014

- Présidence de M Daniel Raoul, président -

Transition énergétique - Audition de M. Gérard Mestrallet, président-directeur général de GDF Suez

La réunion est ouverte à 10 h 30.

M. Daniel Raoul, président. - Je suis heureux d'accueillir le président-directeur général de GDF Suez pour une audition qui s'inscrit dans un cycle de réunions consacré à la transition énergétique et aux enjeux du futur projet de loi dont nous aurons à débattre à la rentrée. Après avoir reçu les principaux opérateurs du secteur, je rappelle que nous organisons le 9 juillet une table ronde sur les enjeux des industries électrointensives au regard de la transition énergétique.

Peut-être pourriez-vous dans votre propos liminaire, Monsieur le Président-directeur général, resituer votre groupe à travers quelques chiffres, un aperçu de ses différents métiers et les sujets d'actualité qui le concernent, comme l'éolien en mer, votre projet nucléaire en Angleterre ou encore l'impact de la révision de la loi allemande sur les énergies renouvelables ?

Nous souhaiterions également recueillir vos observations sur les points particuliers suivants :

- tout d'abord, le renouvellement des concessions hydrauliques pour lesquelles le Gouvernement propose la constitution de sociétés d'économie mixte à majorité publique ; je me demande, à ce sujet, si ce processus aboutira à créer des entités se rapprochant de la Compagnie nationale du Rhône (CNR) et je me félicite en tous cas de l'accord quasi unanime ayant abouti à créer un nouvel outil à gouvernance publique grâce à la toute récente loi du 1er juillet 2014 permettant la création de sociétés d'économie mixte à opération unique (Semop) ;

- ensuite, les solutions pour pallier le caractère intermittent des énergies renouvelables : faut-il mettre plus particulièrement l'accent sur les centrales au gaz couplées au parc éolien ou sur les recherches destinées à améliorer le stockage de l'électricité ?

- enfin, quelle place attribuez-vous au nucléaire dans le mix énergétique en France et en Europe et avec quelle technologie ? Je regrette le retard pris par la France dans le domaine des réacteurs de quatrième génération - à neutrons rapides - qui facilitent le traitement des déchets.

Enfin, quelles sont vos prévisions en matière d'approvisionnement en gaz, compte tenu des tensions entre l'Ukraine et la Russie ?

M. Gérard Mestrallet, président-directeur général de GDF SUEZ. - Merci pour votre accueil.

Je vous présenterai d'abord brièvement GDF Suez, qui, dans sa configuration actuelle, est un acteur relativement récent dans le paysage énergétique international et procède de la décision du groupe bancaire Suez de se tourner vers les activités industrielles. Notre groupe est aujourd'hui concentré, à peu près à parts égales, sur trois activités : le gaz, l'électricité et les services à l'énergie. Le groupe rassemble 150 000 salariés dans l'énergie et 80 000 dans l'environnement avec un chiffre d'affaires qui avoisine 80 milliards d'euros. Premier mondial par sa capitalisation dans le secteur des « utilities » que sont l'électricité et le gaz, GDF Suez conserve une présence importante en France, avec 75 000 salariés dans l'énergie. Il est le premier recruteur du CAC 40 avec 10 000 embauches annuelles, et un plan de recrutement de 45 000 personnes au cours des cinq prochaines années, dont les deux tiers en CDI. Nos investissements en France s'établissent en moyenne à 3 milliards d'euros par an sur un total de 9 à 10 au niveau mondial. On peut noter, s'agissant du poids relatif des effectifs et des investissements localisés en France que nos services à l'énergie, assez peu capitalistiques mais riches en emplois et en croissance, sont très présents en France.

Notre stratégie se décompose en deux grands volets : être, d'une part, l'énergéticien de référence dans les pays émergents et, d'autre part, leader de la transition énergétique en Europe.

Le premier axe consiste à poursuivre une stratégie définie depuis 15 ans, en nous appuyant sur deux piliers. Le premier est la production indépendante d'électricité. Dans ce domaine, nous avons construit une position de leader mondial et sommes particulièrement présents au Brésil, au Chili ou au Pérou, au Moyen-Orient où nous occupons la première place, à Singapour, en Indonésie, en Thaïlande et en Chine. Nous avons construit en 15 ans des capacités qui avoisinent au total celle du parc nucléaire français.

Le second pilier est celui du gaz, en particulier naturel liquéfié : nous y occupons la troisième place mondiale, Gaz de France ayant été un pionnier dans ce domaine avec le gaz algérien. Le centre de gravité traditionnellement localisé dans le bassin atlantique est en train de se déplacer vers l'Asie où la demande est la plus forte. Nous construisons également aux Etats-Unis une entité de liquéfaction du gaz de schiste afin que celui-ci puisse être exporté.

Notre conseil d'administration vient de décider de compléter ce développement réussi en l'élargissant désormais aux infrastructures gazières et aux services d'efficacité énergétique sur lesquels nous avons des positions fortes, essentiellement en Europe.

En France et en Europe, notre ambition est d'être leader de la transition énergétique, ce qui implique de tenir compte des transformations majeures en cours. Le monde énergétique ancien, hérité des monopoles, était structuré techniquement autour de grandes centrales thermiques, nucléaires, à gaz ou au charbon, articulées avec de grosses lignes à haute tension. Ces installations subsistent mais nous sommes en train de migrer vers un monde énergétique nouveau, à la fois, décarbonné, décentralisé, connecté, digitalisé et miniaturisé. Les échelles de grandeur changent : l'unité de mesure, pour les centrales que j'évoquais est le millier de mégawatts ; pour les éoliennes c'est quelques mégawatts soit mille fois moins, et, pour les panneaux solaires, il faut encore diviser ces mégawatts par mille. On a donc diminué d'un facteur d'un million la dimension des unités de production d'électricité, ce qui les rend plus accessibles aux consommateurs, les rapproche des territoires et légitime la volonté des collectivités territoriales de s'impliquer dans les stratégies énergétiques.

Nous avons pris acte de ces changements, qui amènent plusieurs nouvelles orientations pour notre groupe. Tout d'abord, nous conservons les anciennes centrales qui représentent environ 40 000 mégawatts - ou 40 gigawatts (un gigawatt correspondant à la capacité d'une centrale nucléaire), dont un quart en France, un quart en Belgique, où nous gérons sept centrales nucléaires et le solde dans le reste de l'Europe. Je fais observer que les centrales classiques sont à présent marginalisées : GDF SUEZ a fermé plus de 10 gigawatts de centrales à gaz en Europe (sur un total de 50 fermés en Europe en prenant en compte tous les opérateurs) et ces entités ont été massivement dépréciées dans nos comptes à la fin de 2013.

Dans un contexte de décroissance de la consommation d'énergie, les services d'efficacité énergétique sont, en revanche, une activité en progression d'environ 2,5 %.

La transition énergétique comporte, pour GDF-Suez, trois principaux volets. Il s'agit, tout d'abord, de l'énergie renouvelable, qui ne se limite pas à l'électricité renouvelable, laquelle ne représente que moins de 20 % du total. Dans ce domaine, GDF Suez est cependant numéro un dans l'éolien terrestre, il investit dans des opérations d'éolien offshore, et est également présent dans le solaire photovoltaïque ainsi que dans le solaire à concentration. La chaleur renouvelable est ensuite un segment très important : nous sommes leader européen dans l'utilisation de la biomasse et très présents dans la géothermie à haute température, par exemple en Indonésie, ainsi que dans la géothermie dite douce, à Paris ou à Bruxelles. Je signale au passage que la chaleur se stocke plus facilement que l'électricité. Enfin, nous sommes très favorables au développement du gaz renouvelable - biogaz ou bio-méthane - et nous nous engageons très fortement dans la méthanisation en France ; nous avons d'ailleurs signé plusieurs accords avec les organisations et institutions agricoles sur ce point. En France, il nous semble qu'un seuil de 10 % - voire 20 % en étant très volontariste - de bio-méthane à l'horizon 2030 devrait figurer dans la loi sur la transition énergétique. Nous produirions ainsi 10 % du gaz que nous consommons.

GDF Suez est également leader en matière d'efficacité énergétique, qui est le deuxième pilier de notre stratégie de transition énergétique, et nous employons 90 000 personnes, essentiellement en Europe, avec une présence encore modeste aux Etats-Unis ainsi que dans les pays émergents qui constituent des marchés d'avenir.

Enfin, nous développons le volet digital. Nous allons, par exemple, installer des compteurs communicants chez tous les consommateurs d'ici une dizaine d'années. J'ajoute que les technologies numériques et énergétiques sont en train de converger et vont à terme transformer le paysage.

Nous avons ainsi une stratégie de leadership qui se réoriente vers la transition énergétique, particulièrement en Europe.

Je répondrai dès à présent aux questions posées par le Président Daniel Raoul.

S'agissant des appels d'offres sur les concessions hydroélectriques, nous sommes bien entendu favorables à l'ouverture de la concurrence car le marché français de la production d'électricité est aujourd'hui très concentré. Or nous estimons avoir un rôle à jouer dans le potentiel d'expansion en France de cette activité : nous construisons d'ores et déjà des grands barrages, par exemple au Brésil, et institutionnellement, nous avons expérimenté un schéma - similaire à celui de la Compagnie nationale du Rhône (CNR) - dans lequel nous avons 49 % du capital, les autres 51 % étant détenus par la Caisse des dépôts et consignations et les collectivités publiques. Je souligne ici la nécessité de règles équitables. Or, aujourd'hui, elles ne le sont pas suffisamment puisque la CNR est la seule à payer une redevance sur son chiffre d'affaires (24 % sur chacun de ses 17 barrages). En revanche, les opérateurs, comme EDF, détenant d'autres barrages ne sont pas soumis à une telle charge. Cette distorsion de concurrence mérite, à notre sens, d'être corrigée. Il conviendrait, dans le même esprit, d'accorder à la CNR une durée de concession de 75 ans à partir de la mise en place des barrages.

En ce qui concerne votre deuxième question, l'intermittence des énergies renouvelables suscite effectivement de très grandes difficultés dont on ne mesure pas toute l'ampleur en France et en tous cas moins qu'en Allemagne où les ENR représentent 70 gigawatts, c'est-à-dire dix fois plus que dans notre pays.

Cette intermittence fait planer un grave risque de sécurité de l'approvisionnement en Europe. En effet, le meilleur complément aux ENR intermittentes est le gaz, en raison de sa flexibilité - le recours au charbon, certes utilisé en Allemagne, étant, pour sa part, moins conforme aux normes environnementales bien que son prix soit attractif - grâce aux exportations américaines. Or techniquement, un bon système énergétique est celui qui combine une production de base complétée par des énergies renouvelables, elles-mêmes complétées par des centrales fonctionnant de façon flexible et à la commande quand il n'y a ni vent, ni soleil.

Enfin le stockage, à l'heure actuelle, n'est pas en mesure de répondre au défi de l'intermittence. Nous travaillons cependant au développement de petites entités de batteries et surtout sur un mécanisme de « Power to gas», c'est-à-dire le stockage de l'électricité excédentaire grâce à sa transformation en hydrogène. Nous expérimentons ce procédé à Dunkerque en mélangeant l'hydrogène avec du gaz naturel pour faire fonctionner des autobus et distribuer de l'énergie dans un éco-quartier. L'étape suivante consiste à produire du méthane (CH4), ce qui est un système vertueux qui détruit du gaz carbonique, mais s'accompagne d'une certaine perte énergétique.

Le nucléaire a sa place dans le mix énergétique, à condition qu'il soit à un niveau maximal de sûreté. Il représente chez nous un peu moins de 10 % de la production totale, contre un peu moins de 15 % dans le monde. Nous avons sept centrales nucléaires, avec une capacité totale de 6 GW, c'est-à-dire entre 4 et 4,5 % de notre parc installé en puissance.

Sur nos sept centrales en Belgique, deux seront arrêtées l'année prochaine, conformément à la loi, car elles atteindront 40 ans d'existence. Mais par accord avec le gouvernement, une sera prolongée à 50 ans, après un investissement de 600 millions d'euros.

Nous avons de vrais savoir-faire d'exploitant, d'ingénieriste ... Nous avons participé à deux projets internationaux : l'un en Turquie, avec le Japon, où nous l'avons emporté sur les Coréens et les Chinois, pour quatre centrales de réacteurs de 1 100 MW chacun, d'un modèle que j'avais proposé - sans être suivi - d'implanter dans la vallée du Rhône ; l'autre en Grande-Bretagne, pour trois centrales.

La recherche sur les réacteurs de quatrième génération, qui permettent de mieux détruire les déchets, doit être poursuivie ; cela prendra du temps avant d'aboutir à la production d'électricité.

La crise russo-ukrainienne, s'agissant de nos approvisionnements énergétiques, ne nous préoccupe pas outre mesure, sauf en cas d'extension du conflit à l'Europe. La Russie a un intérêt vital à nous vendre son gaz : sa situation économique et financière n'est pas très bonne ; 70 % de ses exportations sont constituées d'hydrocarbure, notamment de gaz ; l'Europe est de très loin son premier acheteur ... Les Russes vendront du gaz aux Chinois, entend-on dire ; mais il leur faudrait d'abord faire 80 milliards d'investissements ! Et ce sont des productions situées dans l'Est de la Russie. Nous considérons donc cette dernière comme un partenaire très fiable depuis une trentaine d'années, avec une seule interruption de son fait, en 2009, lors du conflit avec l'Ukraine ; depuis, une deuxième canalisation a été construite, le Nord Stream, dont nous sommes actionnaires, qui relie directement la Russie à l'Allemagne par le fond de la mer Baltique.

En outre, des capacités alternatives voient le jour : le gaz d'Azerbaïdjan, qui passera par le Sud de l'Europe et la Turquie, qui représente d'énormes réserves ; le gaz liquéfié, qui pourra venir du monde entier ... Aujourd'hui, il est attiré par l'Asie, où les prix sont deux fois plus élevés qu'en Europe ; mais les productions supplémentaires attendues de par le monde - aux États-Unis notamment, par l'intermédiaire entre autres d'opérateurs européens - devraient venir rééquilibrer un marché particulièrement abondant.

Des solutions de diversification seront la base de la sécurité d'approvisionnement. J'ajoute qu'en 2009, lorsque l'approvisionnement en gaz russe a été interrompu, nous étions au coeur d'un hiver très rigoureux, et aucun consommateur français, ni belge, n'a manqué de gaz. Le gaz russe représente 17 % de nos contrats à long terme, et moins de 15 % de nos approvisionnements globaux ; grâce au stockage, au gaz venant de Norvège et au gaz liquéfié, nous avons su y faire face. Certains pays, comme l'Allemagne ou l'Italie, sont certes plus dépendants de la Russie ; mais encore une fois, il faut bien distinguer la crise actuelle entre la Russie et l'Ukraine d'une crise potentielle entre la Russie et l'Europe.

M. Roland Courteau. - L'objectif de réduction de 30 % de la consommation d'énergie fossile à l'horizon 2030 doit-il s'appliquer de façon différenciée selon les énergies considérées ? Je pense notamment au gaz, qui présente des atouts environnementaux le distinguant des autres énergies fossiles.

On parle de plus en plus des nouvelles filières d'avenir. Le gaz peut profiter de leur développement : méthanisation, gazéification de biomasse ligneuse, production d'hydrogène par électrolyse ou de méthane de synthèse ... En 2050, le gaz pourrait compter jusqu'à 100 % d'énergie renouvelable : cela vous semble-t-il réalisable, et à quelles conditions cet objectif pourrait être atteint ?

Vous n'avez pas évoqué, Monsieur le Président, les biocarburants de deuxième et troisième génération, fabriqués à partir de la lignocellulose et de microalgues ; envisagez-vous de réaliser des recherches en ce domaine ?

M. Jean-Claude Lenoir. - Merci Monsieur le Président pour votre exposé, très complet et intéressant.

Vous avez évoqué la transition énergétique : est-ce nécessaire de recourir à une loi pour l'organiser, alors que ce sont les entreprises qui en sont les acteurs ?

Vous avez insisté sur la sécurité d'approvisionnement : où en êtes-vous des stockages, et des méthaniers, qui y participent ?

La question du biométhane, que vous avez abordée, me paraît essentielle, notamment dans nos territoires ruraux.

En matière de gaz de schiste, quelles initiatives avez-vous prises ? J'ai cru comprendre que cela ne figurait pas dans vos priorités ...

Enfin, lorsque vous donnez comme objectif à l'Europe d'être leader de la transition énergétique, êtes-vous prêts à convaincre l'Allemagne de changer complètement de politique en ce domaine ?

M. Yannick Vaugrenard. - Merci pour votre très intéressant propos Monsieur le Président.

Vous avez dit vouloir créer 45 000 postes dans les années à venir ; éprouvez-vous des difficultés de recrutement ?

Dans le domaine de la recherche, investissez-vous dans l'hydraulique, énergie renouvelable qui ne pose pas de problèmes de stockage ?

Est-il selon vous réaliste de réduire à 50 % la part du nucléaire d'ici 2025 ? Cela peut-il porter atteinte à l'indépendance énergétique de la France ?

M. Bruno Retailleau. - Je peux témoigner de l'implication de GDF Suez et des collectivités sur le territoire vendéen, car l'un des deux projets que votre groupe a remporté concerne les deux îles, Noirmoutier et L'Île-d'Yeu. Notre plan départemental nous fixe un objectif de 50 % d'énergies renouvelables d'ici dix ans. Nous allons l'atteindre. Grâce à vos technologies, mais aussi aux expérimentations des collectivités, nous avons inauguré la première unité de fabrication de biogaz dans le Grand Ouest avec le ministre Stéphane Le Foll il y a quinze jours. Je compte bien, à terme, faire circuler les transports scolaires avec ce type d'énergie.

Les collectivités sont d'extraordinaires sources de production d'énergie renouvelables ; elles nous permettront d'exploiter au mieux la croissance verte. Nous comptons sur vous pour que nos PME, par l'intermédiaire de la sous-traitance, puissent profiter de vos travaux sur la plateforme d'éoliennes offshore vendéenne.

Les énergies renouvelables sont régulièrement critiquées pour leur coût. Or, celui-ci baisse constamment, quand celui de l'énergie nucléaire ne cesse d'augmenter. À quel horizon voyez-vous les deux courbes se croiser ?

M. Bruno Sido. - Lors d'un déplacement récent à Maule avec l'Office parlementaire d'évaluation des choix scientifiques et technologiques (OPECST), j'ai appris que la Belgique allait renoncer à terme au nucléaire ; renoncent-ils, plus précisément, à l'électricité d'origine nucléaire ?

De même que si la France renonce au gaz de schiste, renonce-t-elle également à utiliser du gaz de schiste provenant de pays tiers ?

Vous êtes très « allant » sur la transition énergétique. Mais vous n'êtes pas sans savoir ce qui se passe en Allemagne à ce propos. L'OPECST va d'ailleurs organiser une audition sur ce sujet le 18 septembre, à laquelle vous serez invité Monsieur le Président.

Vous n'avez pas abordé le coût de l'électricité, et le fait que nos concitoyens sont incapables de réellement le supporter. A contrario, en Allemagne, les consommateurs paient l'électricité plus cher qu'ils ne devraient pour subventionner les industriels, ce qui devrait d'ailleurs susciter des procès.

La sécurité d'approvisionnement est un sujet important. La commission des affaires économiques a rédigé un rapport, en 2006, sur ce thème. L'intermittence pose un réel problème : l'éolien doit être relayé par d'autres sources d'énergie - du gaz - les deux-tiers du temps.

Que se passe-t-il donc en Allemagne ? 1 000 milliards d'euros ont été dépensés, et l'on court à la catastrophe. Les producteurs d'électricité se ruinent, brûlent du charbon provenant des États-Unis ... Quel est l'intérêt de cette stratégie pour l'environnement ?

M. Jean-Pierre Vial. - En parlant tout à l'heure de la CNR, Monsieur le Président, vous avez suscité l'émotion d'un élu de la région Rhône-Alpes, qui est actionnaire de cette société. L'hydraulicité y a fait venir beaucoup d'industries, à une époque où le coût de l'énergie était bas. Représentant 100 000 emplois, dans une filière qui en compte au total 400 000 à 600 000, elles disparaissent cependant les unes après les autres du fait du prix trop élevé de l'énergie désormais.

Incidemment, en parlant de la loi sur la nouvelle organisation du marché de l'énergie (NOME), je fais un rapprochement avec le rapport de mon collègue Bruno Sido évoquant l'effacement, repris dans le texte. Aujourd'hui plus rien ne nous manque sur le plan législatif : nous avons, outre cette loi, la loi « Brottes ». En 2013, nous avons mobilisé le moins le marché capacitaire, à hauteur d'un peu moins de 50 millions d'euros. Cela à un moment où tous les pays intensifient leurs investissements dans l'effacement, afin de pourvoir aux besoins de l'industrie et à l'équilibre des réseaux. Les États-Unis, notamment, sont dans ce domaine depuis au moins quinze ans et doivent effacer pour au moins 15 % de leurs capacités.

Nous disposons d'une énergie surabondante 7 à 8 mois de l'année, voire gratuite parfois, mais certains de nos industriels quittent notre pays car ils ne peuvent s'approvisionner à un prix satisfaisant. Le prix de 30 euros est aujourd'hui considéré comme un prix de référence sur le marché international pour investir ; je crois que c'est le prix auquel vous parvenez dans un rapport sur le prix de l'énergie, dans lequel vous estimez que le nucléaire aurait pu être valorisé à ce niveau. Les rapports Gallois, Lauvergeon ... disent l'importance de pouvoir mobiliser l'énergie au profit de l'industrie. Ne pensez-vous pas que nous sommes en mesure d'établir un nouveau modèle permettant d'assurer la transition énergétique, à même notamment d'offrir aux industriels une énergie à bas coût ?

M. Jean Bizet. - Merci Monsieur le Président d'avoir souligné l'incohérence de certains pays européens en matière énergétique. Vous avez dénoncé, à cet égard, les conséquences de l'intermittence provoquée par l'engagement brutal de l'Allemagne vers les énergies renouvelables après la catastrophe de Fukushima. Lorsque l'on voit les investissements américains dans le gaz de schiste, il est à craindre une deuxième vague de délocalisations vers les États-Unis, après une première vers l'Asie due au coût du travail horaire.

Avez-vous résolu les dégâts occasionnés sur les réseaux électriques des pays voisins par l'afflux de courant d'Allemagne du Nord ? Quelle serait votre vision idéale de l'Europe de l'énergie ?

M. Marcel Deneux. - On réfléchit encore trop souvent sur les modèles énergétiques anciens : que proposez-vous pour passer réellement au modèle énergétique de demain ? S'agissant des services, comment pouvez-vous agir pour réduire la consommation dans le bâtiment ? On nous propose d'ailleurs des réseaux intelligents, mais la pédagogie est essentielle : que faire lorsque, comme c'est souvent le cas pour le gaz, le compteur est situé en dehors du logement ? Je souhaiterais enfin connaître vos actions dans le domaine de l'hydrogène, ainsi que votre opinion sur la nécessité éventuelle de développer les interconnexions internationales pour le transport du gaz.

M. Gérard Mestrallet.- Concernant le rôle du gaz dans la transition énergétique, certains y voient une énergie propre et lui attribuent une large place, tandis que d'autres le limitent à une énergie de transition pendant les quarante années à venir. Je constate que les réserves de gaz sont abondantes et qu'il s'agit du moyen le plus rapide, à l'échelle du globe, pour remplacer le charbon et réduire ainsi les émissions de CO2. C'est le cas aux États-Unis qui, par le simple effet du marché, ont vu leurs émissions baisser.

S'il est important de réduire les émissions de gaz à effet de serre, il convient de souligner la différence de situation entre les différents carburants fossiles. En effet, le gaz, contrairement au pétrole et au charbon, n'émet pas de particules et ne contribue donc pas à la pollution de l'air qui constitue un problème majeur dans nos villes à cause du diesel, ainsi qu'en Chine en raison de l'utilisation massive de charbon. De plus, le gaz peut être d'origine renouvelable sous la forme du biogaz. Il constituera enfin une offre de secours indispensable lors des périodes de non-production des énergies renouvelables intermittentes.

L'objectif de porter à 80 % la part du gaz d'origine renouvelable dans les réseaux en 2050 paraît ainsi atteignable, mais il faut surtout fixer des objectifs intermédiaires, tels que 5 % en 2020 et 10 % en 2030. Ces objectifs devraient être inscrits dans la loi.

Il est nécessaire de faire une loi, car il s'agit d'une question d'intérêt général. Sans une réglementation spécifique, la transition n'aurait pas lieu aussi vite. Ainsi, la diminution spectaculaire des coûts du solaire photovoltaïque n'aurait peut-être pas eu lieu sans l'attribution de subventions au démarrage, même si le niveau de celles-ci a été très élevé en Europe. Le développement a été moins rapide en France que dans d'autres pays, mais c'est peut-être le résultat de la lourdeur administrative des processus.

La politique allemande a échoué et les pouvoirs publics le reconnaissent. Comme l'a recommandé la Commission européenne, l'Allemagne a décidé de mettre fin aux tarifs d'achat de l'électricité, qui représentent un coût de 25 milliards d'euros par an pendant vingt ans, soit un coût supérieur à celui de la réunification.

Nous conduisons des recherches sur la biomasse, mais pas sur les biocarburants. Le biométhane offre un complément de revenu très utile à l'agriculture française et notamment à l'élevage. Nous sommes engagés dans les recherches sur les hydroliennes et nous avons répondu, en association avec Alstom, à l'appel à projets lancé par l'État sur le raz Blanchard.

Le stockage est un enjeu essentiel pour la sécurité d'approvisionnement. Aux sites de stockage, il faut y ajouter les canalisations elles-mêmes, ainsi que notre flotte de méthaniers. Il y a toutefois un débat avec les pouvoirs publics pour renforcer les obligations de stockage. Il serait intéressant, en Allemagne, de transformer en gaz l'électricité produite de manière surabondante au nord pour l'acheminer, par les réseaux de gaz déjà existants, vers le sud du pays.

Concernant l'emploi, nous avons parfois des difficultés à trouver des spécialistes dans certains métiers, notamment des femmes.

Le gaz de schiste a eu pour effet de porter à deux siècles les réserves mondiales de gaz, qui n'étaient que de soixante ans avec les gaz conventionnels. Nous ne sommes pas producteurs de gaz de schiste, mais nous avons acheté des licences en Grande-Bretagne. Nous portons également notre attention sur l'Allemagne, la Pologne, le Brésil, l'Algérie, la Chine. Nous avons décidé, avec un partenaire américain, de construire une usine de liquéfaction en Louisiane ; le gaz produit sera exporté plutôt vers l'Asie, car c'est là que se situe la principale demande aujourd'hui.

Concernant le nucléaire, la Belgique a décidé en 2003 que les centrales nucléaires s'arrêteraient après quarante ans de fonctionnement. Comme cela allait poser des difficultés pour la sécurité d'approvisionnement, nous avons négocié par la suite un allongement à cinquante ans de la durée de vie de ces réacteurs ; en contrepartie, nous devions verser 250 millions d'euros par an au budget de l'État. Ce compromis n'a toutefois pas pu passer au niveau législatif avec les difficultés qu'a connues la Belgique pour constituer un gouvernement. Actuellement, la nouvelle coalition a prévu que deux des trois réacteurs qui arriveront à l'âge de quarante ans l'an prochain seront fermés et que le troisième verra sa vie prolongée à cinquante ans. Enfin, la Belgique importera bien sûr de l'électricité d'origine nucléaire, car les électrons n'affichent pas leur origine une fois qu'ils sont injectés dans le réseau.

Nous avons surtout besoin de visibilité, aussi bien dans le secteur nucléaire que pour le marché du carbone. Il faudrait par exemple connaître les objectifs de réduction des émissions de CO2, ainsi que les modalités d'évolution du nombre de certificats en fonction de la croissance économique.

Je vous remercie d'avoir évoqué notre initiative Terr'innov : elle a pour objet d'aider les collectivités territoriales de tous niveaux, et jusqu'aux États, à élaborer leur stratégie énergétique.

Les coûts de production des énergies d'origine renouvelable ont en effet baissé, mais ils ne comprennent pas le coût causé par leur caractère intermittent. A l'inverse, la production nucléaire est de plus en plus chère, mais elle présente une bonne visibilité sur la production à long terme d'une centrale, car les variations du prix de l'uranium ne constituent qu'une composante limitée du coût total. Le coût de production de l'électricité à partir du gaz et du charbon dépend, lui, de l'évolution des prix de ces ressources, ainsi que du prix du CO2 : ce dernier se répercute directement dans le prix de l'électricité produite pour le charbon, de sorte qu'un prix élevé du CO2 pourrait éliminer le recours à celui-ci.

Les industries électro-intensives allemandes, traditionnellement favorisées par le gouvernement, bénéficient aujourd'hui d'une électricité moins chère que leurs homologues françaises. Je suis solidaire de ces industriels qui, en France, demandent un traitement privilégié : le projet de loi fait un premier pas en prévoyant un régime spécifique du tarif de transport pour ces industriels. Nous préconisons également la mise en place de marchés de capacité afin de garantir le financement des unités de production de pointe, tels que celui qui va être mis en place en France, mais ils devraient être coordonnés au niveau européen. Les risques de délocalisation liés au prix de l'énergie sont considérables : les États-Unis disposent aujourd'hui de la plus grande compétitivité énergétique.

L'Europe de l'énergie doit être construite. L'énergie devrait être un thème central pour la nouvelle Commission européenne et le nouveau Parlement européen, en prenant en compte notamment la précarité énergétique ainsi que le renforcement des infrastructures.

S'agissant du bâtiment, nous avons proposé dans le débat national sur la transition énergétique la mise en place d'un passeport énergétique, qui a été retenu sous une autre forme dans le projet de loi : il s'agit de réaliser des diagnostics et des recommandations énergétiques pour les habitants dont les logements consomment beaucoup d'énergie. Je suis également d'accord pour souligner l'importance de la pédagogie dans la mise en place des réseaux intelligents : les habitants doivent apprendre à utiliser les données produites et il faudra donc qu'ils aient accès aux informations produites par le compteur.

Enfin, concernant l'hydrogène, nous en produisons mais nous n'avons pas prévu de mettre en place des réseaux de distribution.

La réunion est levée à 12 h 30 .

Audition de Mme Sylvia Pinel, ministre du logement et de l'égalité des territoires

La réunion est ouverte à 14 h 40.

M. Daniel Raoul, président. - Nous sommes heureux de vous accueillir aujourd'hui, madame la ministre, pour votre première audition devant notre commission en tant que ministre du logement et de l'égalité des territoires. Vous avez tout récemment présenté un plan d'actions de relance de la construction de logements. Notre commission a beaucoup travaillé au cours des deux dernières années sur ce sujet majeur pour nos concitoyens. Je signale que notre collègue Dilain, président de l'Agence nationale de l'habitat (Anah), est présent pour vous entendre. Nous avons notamment examiné une loi de mobilisation du foncier public et de renforcement des obligations de construction de logement social. Soit dit en passant, je m'étonne que l'on ne puisse mobiliser les sommes qui dorment à la Caisse des Dépôts et Consignations (CDC) et qui sont théoriquement affectés au logement. Je l'avais proposé à Jean-Pierre Jouyet à une époque où il dirigeait la CDC. Je comprends l'attitude de France Domaines, relativement aux prix de cession ; utiliser ces fonds pour débloquer du foncier de l'État ou de certains de ses satellites aurait le double avantage de permettre des opérations immobilières et d'accroître les recettes de l'État.

Nous avons également examiné la loi habilitant le gouvernement à adopter des mesures de nature législative pour accélérer les projets de construction. Enfin, nous avons voté la loi pour l'accès au logement et un urbanisme rénové (Alur). Quel avenir pour la garantie universelle des loyers (GUL) ? Notre commission avait constitué, entre les deux lectures, un groupe de travail sur cette question, que j'ai eu l'honneur de présider et dont notre collègue le président Jacques Mézard était le rapporteur, et qui avait conclu au caractère indispensable de cet outil pour faciliter l'accès au parc privé.

J'en viens à votre plan de relance de la construction de logements. Nous nous réjouissons de votre volonté de favoriser l'accession à la propriété, en panne depuis plusieurs années. Marie-Noëlle Lienemann, rapporteure pour avis sur les crédits de la mission « Égalite des territoires et logement » a appelé à une réforme du PTZ que vous engagez aujourd'hui. Nous nous réjouissons également que notre collègue Thierry Repentin préside la Commission nationale de l'aménagement, de l'urbanisme et du foncier, instance chargée de piloter la mobilisation du foncier public. Pour autant, je ne peux vous cacher notre relative déception quant aux décrets d'application de la loi de mobilisation du foncier public qui ont limité à 30 % le montant de la décote pour les terrains de Réseau Ferré de France (RFF), bien loin de ce que souhaitait le législateur, et singulièrement notre rapporteur, Claude Bérit-Débat. J'espère donc que vos mesures renforceront l'efficacité du dispositif.

S'agissant du financement de ce plan de relance, j'attire enfin votre attention sur les inquiétudes de partenaires comme Action Logement : pour eux, les prélèvements supplémentaires envisagés par l'État fragilisent leur équilibre financier et remettent en cause la construction de logements sociaux. Qu'en est-il exactement ?

Mme Sylvia Pinel, ministre du logement et de l'égalité des territoires. - Vous connaissez tous la situation actuelle : une baisse de plus de 8 % des mises en chantiers sur les douze derniers mois et une réduction de 20 % du nombre des permis de construire. Nous devons d'urgence relancer la construction afin de créer des emplois, résorber le déficit de logements et leur inadéquation aux besoins. Nous voulons offrir des logements variés pour fluidifier les parcours résidentiels.

Nous encouragerons la rénovation énergétique, dans l'intérêt des TPE et les PME et pour améliorer le pouvoir d'achat des ménages. Les mesures que j'ai présentées la semaine dernière redonneront confiance aux professionnels et relanceront la construction. Mes quatre priorités s'inscrivent dans la continuité des mesures annoncées par le président de la République en mars 2013, avec le plan d'investissement pour le logement et le plan de rénovation énergétique de l'habitat.

Ma première priorité est de favoriser l'accession à la propriété, en renforçant l'efficacité du financement de l'accession, notamment du prêt à taux zéro (PTZ). Il sera élargi aux zones un peu moins tendues ; les primo-accédants seront éligibles en plus grand nombre. Le nombre de PTZ passerait ainsi de 44 000 à 70 000, soit une augmentation de plus de 60 %, grâce aussi au relèvement de la part du montant de l'achat pris en compte, à l'élargissement du plafond de revenu et à l'allongement du différé de remboursement. Nous allons également ouvrir le PTZ aux logements anciens dans certains territoires ruraux : il sera conditionné à des travaux de rénovation, ce qui complètera le programme de revitalisation des centre-bourgs que j'ai lancé.

Ma deuxième priorité consiste à simplifier les règles de construction pour abaisser les coûts. Avec les professionnels, nous avons défini 50 mesures de simplification, concernant des règlementations aussi variées que l'accessibilité, les ascenseurs, les normes sismiques ou électriques. Les décrets et arrêtés seront pris dans les mois à venir. Ces mesures complètent l'ordonnance relative à la reconstruction de la ville sur la ville, qui encourage la construction en évitant l'étalement urbain et en respectant l'architecture propre à chaque ville. Les professionnels pourront à tout moment nous signaler les blocages ou faire des propositions de simplification sur un site Internet dédié. J'installerai en juillet le Conseil supérieur de la construction, réunissant l'ensemble des professionnels, qui évaluera l'impact économique de toute nouvelle règle.

Pour renforcer l'innovation, l'Agence de l'environnement et de la maîtrise de l'énergie (Ademe) lancera un appel à manifestation d'intérêt (AMI) pour développer de nouvelles solutions en faveur de la rénovation énergétique. Des plateformes de l'innovation pour le bâtiment seront créées, comme l'a fait l'Alsace avec le centre scientifique et technique du bâtiment. J'ai nommé M. Bertrand Delcambre ambassadeur du numérique dans le bâtiment pour diffuser les innovations dans le secteur et pour faciliter le travail collaboratif entre professions.

Il convient également d'accélérer et de moderniser les procédures d'aménagement et d'urbanisme, pour réduire les délais : trois ordonnances ont été prises en 2013 pour limiter les recours malveillants, favoriser la reconstruction de la ville sur la ville et raccourcir certains délais de procédure. Ces ordonnances ont été bien accueillies par les acteurs de la construction et par les collectivités.

Un projet de loi d'habilitation va modifier les modalités de participation du public aux décisions d'urbanisme et plafonner, pour certaines catégories de logement comme les résidences étudiantes ou sociales, les obligations de places de stationnement imposées par les PLU.

Troisième priorité : le soutien de l'État à la construction de logements sociaux et une nouvelle offre de logements intermédiaires en zones très tendues. S'agissant du logement social, un pacte d'objectifs et de moyens, pour la mise en oeuvre du plan d'investissement pour le logement, a été signé le 8 juillet 2013 par l'État et le mouvement HLM. Le gouvernement y favorise la production de logements sociaux en abaissant à 5,5 % le taux de TVA pour la construction et la rénovation des logements sociaux, en réduisant le taux de l'éco-prêt pour financer les réhabilitations, en relevant le plafond du livret A et en renforçant l'obligation de production de logements sociaux dans les communes. Ces signaux étaient nécessaires pour faire face à l'urgence sociale des demandeurs (1,7 million de personnes en attente) et pour relancer les projets de construction après les dernières élections municipales. Nous avons mis en place un suivi opérationnel, via les préfets, pour suivre la progression des projets sociaux.

Nous évaluerons les efforts de rattrapage des communes, à l'occasion des bilans triennaux de l'application de la loi SRU. Le gouvernement fera preuve de vigilance et de fermeté face à celles qui n'auront pas rempli leurs obligations de solidarité. Nous voulons aussi accompagner les élus qui rencontrent des difficultés pour réaliser des équipements structurants lorsque leur population augmente.

Nous avons lancé le deuxième appel à projets pour les prêts locatifs aidés d'intégration (PLAI) destinés aux ménages très modestes et financés par les pénalités versées par les communes déficitaires. Concernant la gestion locative, nous avons proposé au mouvement HLM la signature d'un accord d'engagement sur la qualité de service dans le parc social : ces mesures touchent à la vie concrète des habitants. L'accord sera décliné au niveau territorial.

Nous développerons une offre de logements intermédiaires dans les zones très tendues, car les loyers du parc social et ceux du parc privé sont trop éloignés. Un prochain projet de loi prévoira notamment la possibilité d'augmenter dans les documents d'urbanisme la constructibilité en cas de réalisation de logements intermédiaires. Nous réviserons aussi le zonage de l'investissement locatif, notamment dans les métropoles comme Lille, Lyon ou Marseille. Nous inciterons les investisseurs à poursuivre la location au-delà de neuf ans en contrepartie d'une réduction d'impôt supplémentaire.

Ma quatrième priorité est de renforcer la mobilisation du foncier public. Souvent, des terrains libres ne sont pas utilisés parce qu'ils sont pollués ou encombrés, ce qui impose des travaux de libération et d'aménagement. Sur 300 sites représentants près de 8 millions de mètres carrés, trop peu ont trouvé preneurs. Les projets de construction ou d'aménagement prennent trop de temps. Un nouvel élan est nécessaire pour améliorer l'efficacité de cet outil et éviter les injonctions contradictoires, qui placent les préfets en difficulté face à des opérateurs de l'État ou à des ministères qui souhaitent obtenir le meilleur prix. Thierry Repentin, à la Commission nationale de l'aménagement, de l'urbanisme et du foncier, suivra les projets ciblés par les préfets, pour lever les blocages ; il proposera également des améliorations réglementaires. Le gouvernement s'attache à créer un environnement juridique stable, afin de restaurer la confiance des acteurs.

C'est dans le même état d'esprit que nous mettons en oeuvre la loi Alur, qui exige plus de 200 mesures d'applications, regroupées dans une centaine de décrets. Nous avons dû établir des priorités. Ainsi, nous travaillons sur l'encadrement des honoraires de locations, le décret sera publié à la rentrée. La création du Conseil national de la transaction et de la gestion immobilière nous offrira une instance de concertation avec les professionnels et les consommateurs. Je travaille aussi avec Christiane Taubira sur l'encadrement des activités de syndic. L'encadrement des loyers sera mis en oeuvre avant la fin 2014 pour l'agglomération parisienne, plus tard dans les autres agglomérations, car il faut attendre l'homologation puis l'installation des observatoires des loyers.

Le coût de la GUL sera de 400 à 500 millions d'euros en année pleine. Le gouvernement est en train d'expertiser le dossier pour voir comment le financement en sera assuré : cette question fait partie de la concertation que nous menons avec Action Logement.

M. Daniel Raoul, président. - Vous avez évoqué les délais dus aux normes.

Un seul exemple : pourquoi sommes-nous obligés de mettre toutes les chambres des cités universitaires aux normes handicapés ? Aux Pays-Bas, seuls les rez-de-chaussée sont aux normes et prioritairement réservés aux handicapés.

M. Jean-Claude Lenoir. - C'est de la ségrégation !

M. Daniel Raoul, président. - Non ! Nous pouvons donner satisfaction aux associations sans augmenter le coût de la construction de 20 % !

M. Claude Dilain. - La situation est alarmante. Je vous félicite d'avoir pris des mesures dont certaines sont d'application immédiate - et négociées avec les professionnels. On observe un frein nouveau : le refus de maires nouvellement élus de mener à bien les programmes immobiliers de leurs prédécesseurs. Ne dit-on pas, du reste, « maire bâtisseur, maire battu » ? Vous allez sanctionner, mais aussi aider ceux qui veulent construire des logements ou des équipements publics. Je m'en réjouis. Sur certains territoires, le décalage entre l'offre et la demande est énorme.

Vos déclarations touchant la loi Alur ont mis fin aux rumeurs sur sa mise en oeuvre. Quels sont les décrets, après ceux que vous avez cités, sur lesquels vous travaillerez en priorité ? Certains accusent cette loi d'avoir fait chuter les permis de construire, mais elle n'est même pas encore entrée en application !

M. Michel Bécot. - Comme vous, je souhaite que la construction de logements reprenne du dynamisme, puisque l'objectif de 500 000 n'a pas été atteint : seulement 300 000 constructions en 2013. La simplification est indispensable. Les normes tuent le bâtiment. Un exemple : le stockage de la terre, très compliqué. Les sites de stockage sont si rares dans les Deux-Sèvres que de nombreux projets - je pense à une maison de retraite par exemple - sont arrêtés. J'ai voté le Grenelle de l'environnement. Mais j'avoue que je n'en avais pas perçu toutes les conséquences ! Vous annoncez 50 mesures de simplification : quid du désamiantage ? À titre d'exemple, la colle à moquette contenant des soupçons d'amiante cela coûte une fortune de l'enlever. Il faut aussi s'attaquer à ce genre de choses.

Mme Valérie Létard. - Je remercie Mme la ministre de prendre des mesures pragmatiques pour relancer la construction de logements. Les simplifications sont indispensables. Nous subissons aujourd'hui le syndrome de l'entonnoir : des normes individuellement justifiées bloquent tout lorsqu'elles sont additionnées. Un document unique serait nécessaire pour recenser les diverses normes applicables. En outre, il faciliterait le calcul du coût final des opérations.

Aujourd'hui, Action Logement alerte les parlementaires : dans un premier temps, le gouvernement lui avait demandé de mobiliser 3 milliards d'euros pour construire des logements. En retour, l'État cessait de prélever 1,5 milliard par an sur ses fonds à partir de 2015. Or, le prélèvement aura bien lieu jusqu'en 2018. Si nous ne trouvons pas comment résoudre cette équation, Action Logement ne pourra plus assumer sa mission de construction.

Comment sécuriser les ressources financières de l'Anah qui dépendent des quotas carbone ? Présidente d'une agglomération ayant pris la compétence logement, j'ai déjà consommé l'intégralité de l'enveloppe Anah. Comment faire ? L'agence, qui fait un travail formidable, doit disposer de ressources supplémentaires. Les objectifs fixés par l'État en matière de constructions de logements sociaux ne cadrent pas avec les enveloppes qui nous sont attribuées.

Mme Marie-Noëlle Lienemann. - Nous rencontrons un immense problème d'amiante dans les HLM, notamment lorsqu'il s'agit de rénover des immeubles en présence des locataires. Les inspecteurs du travail arrêtent souvent les chantiers car ils considèrent que les salariés sont exposés à l'amiante. Cela sème la confusion, et la rénovation thermique s'en trouve extrêmement ralentie. Dès que le mot amiante est prononcé, l'inquiétude gagne les habitants. Transparence, travail collectif et plan amiante dans le bâtiment sont indispensables.

Je vous félicite pour vos mesures en faveur de l'accession à la propriété : si les banques jouent le jeu, les différés de PTZ devraient rendre possibles des opérations d'accession sociale jusqu'à présent bloquées par le plafond de prêt.

Merci aussi pour votre politique en matière de normes : désormais, nous disposerons d'un guide concret, lisible et compréhensible. Non, Claude Dilain, les maires bâtisseurs ne sont pas systématiquement battus. J'en connais beaucoup qui n'ont rien construit et qui n'ont pas été réélus !

À moyen terme, nous devrons nous attaquer à la rente foncière, handicap majeur pour notre économie ; la fiscalité foncière devra être revue, mais comme cela ne semble pas être la priorité, je préfère parler de mobilisation du foncier à court terme. En Île-de-France ou en région Paca, l'État doit prendre ses responsabilités et il conviendrait de décréter des opérations d'intérêt national (OIN) multi-sites, notamment sur les terrains détenus par un établissement public foncier (EPF) : dans ce cas, nul besoin de permis de construire ni d'autorisation du maire. On pourrait agir plus vite. Qu'en pensez-vous ? Si le gouvernement s'y refuse, les délais de construction vont encore aggraver la crise du logement.

Autour des gares du Grand Paris, des contrats de développement territorial (CDT) ont été prévu et des prévisions de constructions de logement arrêtées. Or, les CDT que le préfet signe sont 20 à 30 % en-dessous des prévisions tandis que le nombre de bureaux est supérieur à ce qui était prévu. Pourquoi ? Il faudra revenir sur ces décisions préfectorales.

Valérie Létard a eu raison d'attirer votre attention sur Action Logement. Les acteurs du 1 % se sentent floués. La loi Alur avait sanctuarisé le 1 % et supprimé le prélèvement. Or, Bercy, comme à son habitude, est revenu sur sa parole. Ce qui confirme qu'il ne faut jamais croire Bercy. Le mensonge y est permanent. Au-delà, je préfèrerais qu'Action Logement arrête de capitaliser de l'argent dans les entreprises sociales pour l'habitat (ESH) et qu'elle le consacre plutôt à construire des HLM. L'État est fondé à le rappeler.

Quelles sont vos intentions sur le 1 % ? Il devrait être géré de façon totalement paritaire. Ce n'est pas le cas : deux-tiers des sièges aux entreprises et au patronat, un tiers aux syndicats. Le paritarisme et la négociation sociale sont de vieilles idées auxquelles j'ose encore croire.

M. Daniel Raoul, président. - Vous n'avez pas toujours affiché ces convictions... Mais il y a « plusieurs demeures dans la maison du père ». Cela vaut aussi pour Bercy, qui compte plusieurs étages.

Je le redis, une mesure simple consisterait à débloquer les sommes qui dorment à la CDC. On aurait les moyens de redynamiser le foncier public, ce qui créerait des recettes pour le budget de l'État.

M. Jean-Claude Lenoir. - Nous avons adopté la loi Alur, il y a quelques mois. Un an avant, nous adoptions une autre loi sur le logement. Les mesures que vous annoncez ressemblent fort à une nouvelle loi qui ferait table rase des précédentes. Ne serait-il pas plus simple de reconnaître que la loi Alur a été un échec ? Je parle au nom des professionnels de ma région : le secteur du bâtiment est sinistré, celui du logement est en panne. La loi a créé des mécanismes qu'elle n'a pas réussi à appliquer. Ils n'ont fait qu'inquiéter les professionnels - propriétaires, investisseurs ou locataires. Les ventes ont chuté.

Mme Marie-Noëlle Lienemann. - Cela a commencé en 2009, avec l'arrêt de l'investissement Scellier.

M. Jean-Claude Lenoir. - Le plan ambitieux du président de la République s'est révélé décevant : 300 000 nouveaux logements ont été construits seulement sur les 500 000 prévus. N'accusons pas la seule conjoncture. Des mesures ont été annoncées sans être finalisées. C'est un vrai marasme. Les chiffres sont incontestables puisqu'ils figurent dans un rapport qui nous a été présenté par l'un des vôtres en octobre 2011. C'est une fatalité : quand la gauche est au pouvoir, le logement ne va pas bien. Toutes les mesures prises posent problème - celles sur le régime des plus-values, l'idée de la réquisition des logements...

Mme Marie-Noëlle Lienemann. - Et la spéculation, ce n'est pas un problème ?

M. Jean-Claude Lenoir. - Gardons de la mesure, ma chère collègue. Nous avons en France un déficit de 800 000 logements. Les 50 mesures ne suffiront pas à rétablir la situation. Au contraire, elles aggraveront la confusion. Les lois que vous présentez comme les monuments du quinquennat ne sont pas abouties.

M. Gérard Bailly. - La semaine dernière, j'ai assisté à l'assemblée générale de la Chambre des métiers de mon département qui réunissait les artisans du bâtiment. Le constat est inquiétant : dans le département du Jura, la préfecture a délivré 28 % de permis de construire en moins par rapport à l'année précédente, qui ne fut pourtant pas fameuse. Dans le milieu rural, tout le secteur du bâtiment souffre. Il faudrait le redynamiser en allégeant les normes, traiter en priorité les nombreux logements vides, trop délabrés pour être habités. Il y a quelques mois, nous étions sceptiques face à la ministre du logement d'alors qui nous annonçait la création de 500 000 logements. Nous avions raison hélas. En milieu rural, les permis de construire sont parfois difficiles à obtenir du fait de l'exploitation agricole des terrains. Les schémas de cohérence territoriale (SCoT) devraient faciliter le repérage des surfaces sans valeur agricole, disponibles à la construction.

Madame, vous êtes également ministre de l'égalité des territoires. Je viens d'un département rural, où contrairement à ce que souhaite le président de la République, les programmes tardent à se mettre en place. Nous subissons depuis longtemps des écarts importants : les territoires ruraux n'obtiennent pas les mêmes dotations globales de fonctionnement (DGF) que les villes, alors que leurs besoins d'aménagement sont plus importants - longueur des voies de circulation, assainissement, adduction d'eau, etc. Un rééquilibrage est nécessaire pour éviter que les territoires ruraux ne soient relégués, oubliés. La baisse des dotations de l'État ne fera que renforcer les inégalités. Dans certaines campagnes, les besoins de présence médicale sont criants. C'est un grand chantier. Nous devons nous y attaquer.

M. Alain Bertrand. - J'ai fait de l'hyper-ruralité mon domaine de prédilection. Je remettrai bientôt à Mme la ministre un rapport proposant dix mesures pour redresser la situation dans les territoires ruraux et hyper-ruraux, qui font partie intégrante de la République. En matière de logement, le décalage est flagrant entre les objectifs annoncés et les résultats. La crise a commencé en 2008 ; sachant que la réalisation d'un programme prend environ quatre ans, ses effets se font logiquement sentir en 2013-2014 dans le secteur du bâtiment. La ministre ne saurait être tenue pour responsable de la situation actuelle...

Dans ma commune, nous avons aménagé deux lotissements mixtes, terrains à bâtir à la vente, logements locatifs, participation de bailleurs sociaux et de propriétaires privés. J'ai été surpris du nombre de renoncements de la part d'acquéreurs potentiels qui n'avaient pas obtenu leur prêt. C'est un scandale. Les banques rechignent à prêter 150 000 euros à un couple dont la femme travaille à l'hôpital et le mari est maçon, sans CDI mais toujours occupé !

Mme Marie-Noëlle Lienemann. -Et pourtant elles ont des milliards d'euros à employer.

M. Alain Bertrand. - Elles s'en tirent en présentant des comptes consolidés qui laissent croire que le volume de prêts a augmenté. En tout cas, pas les prêts logements ! Nous ne pouvons plus reculer : madame la ministre, parlez aux banquiers, imposez-leur des objectifs.

Le secteur du bâtiment est important dans la gestion d'une ville, tant pour son développement économique que pour sa politique sociale. Pour favoriser la construction, le gouvernement a choisi de faire de nouvelles lois. Cependant les services déconcentrés de l'État préfèrent ouvrir le parapluie - imposant des conditions, ouvrant une enquête lorsqu'il s'agit seulement de donner une autorisation. J'ai été obligé de rappeler à la préfecture que je délivre légalement les permis de construire ! L'État doit faire passer un message clair et ferme dans tous les départements de France : l'impératif national, c'est de construire plus.

Mme Marie-Noëlle Lienemann. - Quelles conséquences aura la suppression de la clause de compétence générale dans le financement du logement, notamment social ? Les aides à la pierre sont allouées à la fois par la région, le département et les agglomérations. Si les départements sont supprimés, les aides provenant des agglomérations de taille moyenne deviendront insuffisantes. Ce sera la panique à bord ! Les situations varient d'un département à l'autre. Les aides à la pierre relèvent tantôt de la région, tantôt du département. Ce financement croisé serait difficile à compenser pour une seule structure.

M. Daniel Raoul, président. - Je ne comprends pas. Mon agglomération a la délégation des aides à la pierre. Il n'y a pas d'aides croisées...

Mme Marie-Noëlle Lienemann. - Le monde HLM a étudié cela et a conclu que l'aide à l'accession associe souvent, pour une part, le département. Ce n'est pas partout pareil. Dans l'Essonne ou en Ille et Vilaine, le conseil général est délégataire, mais il aura besoin d'une aide de la région. En Île-de-France, la région, le département et l'agglomération participent aux aides à la pierre.

M. Daniel Raoul, président. - Chez moi, la région et le conseil général n'interviennent pas.

M. Michel Bécot. - Ma proposition vous surprendra car je suis, vous le savez, un libéral. Pourquoi ne pas vous adresser aux banques coopératives et négocier avec elles une enveloppe annuelle destinée à la construction ? Les banques nous trompent en nous faisant croire qu'elles prêtent.

Mme Marie-Noëlle Lienemann. - Et pendant ce temps la BNP n'a aucune difficulté à payer 6 milliards de dollars d'amende.

Mme Sylvia Pinel, ministre. - Je vous remercie de l'intérêt que vous portez à un sujet essentiel et salue le climat consensuel dans lequel se déroule cette audition. Monsieur le président, les fonds de la CDC ne peuvent pas alimenter directement le budget de l'État. Il est donc difficile de les mobiliser pour redynamiser les cessions de foncier. En revanche, nous réfléchissons à la possibilité de mobiliser les fonds du livret A pour relancer la construction. Concernant l'accessibilité des bâtiments, nous avons pris des mesures de simplification qui devraient répondre à vos préoccupations. Dans le cas de deux logements superposés, l'obligation d'aménager l'accès du logement à l'étage est supprimée ; dans les logements à occupation temporaire - une résidence universitaire, par exemple - l'obligation d'aménagement se limitera à des quotas de logements.

M. Michel Bécot. - Cela concerne aussi les résidences de tourisme ?

Mme Sylvia Pinel, ministre. - Oui. Ces 50 mesures sont techniques et précises. J'enverrai leur détail complet à l'ensemble des membres de votre commission. Pour remédier aux blocages évoqués par Claude Dilain, nous avons prévu un suivi opérationnel piloté par mon cabinet en collaboration avec l'USH, la fédération des promoteurs et les préfets. Certains élus se trouvent parfois en difficulté pour répondre aux besoins d'équipements et d'aménagements - crèches ou équipements sportifs, par exemple. J'ai été confrontée à cette situation dans mon département, qui a connu de profondes mutations démographiques. Je sais que les financements sont parfois difficiles à trouver. En développant un suivi opérationnel, nous pourrons solliciter divers acteurs et veiller à ce que les dotations de l'État accompagnent les projets. Ce suivi serait assuré par une équipe resserrée mais efficace. Les maires qui investissent dans la construction doivent être davantage soutenus. Nous y travaillons. Il est trop tôt pour dévoiler la nature des dispositions que nous souhaitons mettre en place.

Quant à la loi Alur, son volet social doit trouver une application le plus rapidement possible - maintien de l'aide personnelle au logement, réforme sur l'attribution des logements sociaux,... En matière de lutte contre l'habitat indigne et les copropriétés dégradées, la loi prévoit des mesures sur le périmètre, la conduite et le financement des opérations d'intérêt national (OIN) et des opérations de requalification des copropriétés dégradées comme à Clichy-sous-Bois. Ces mesures font l'objet de négociations depuis mai 2014. Nous travaillons à les mettre en oeuvre le plus rapidement possible.

M. Claude Dilain. - Merci !

Mme Sylvia Pinel, ministre. - Michel Bécot, les mesures de simplification que vous évoquez contribuent à réduire les coûts. J'ai donné l'exemple de l'accessibilité, j'aurais pu prendre celui de la simplification en matière de RT 2012, qui bloque certains travaux - je pense par exemple à l'extension des plus petits logements, pour lesquels on dépasse vite les 30 % de surface supplémentaire. Quant aux sites de stockage, c'est une question qui revient dans plusieurs territoires. Pour étendre l'exercice de simplification et trouver des solutions adaptées, j'ai souhaité que les professionnels puissent faire état des blocages sur la plateforme qui leur est réservée en ligne. Nous devons être concrets et efficaces. Telle règlementation conduisait à imposer de construire des portes coupe-feu sur des chemins piétonniers. Bel exemple d'incohérence entre un objectif louable et un champ d'application impossible ! Le Conseil supérieur de la construction aura aussi la charge importante d'identifier l'impact économique des règlementations législatives ou règlementaires de construction pour vérifier leur compatibilité et la proportionnalité de leur coût à l'avantage recherché.

L'amiante est un fléau pour la santé. Je suis consciente des surcoûts que la mise en oeuvre de la nouvelle règlementation occasionne. C'est un sujet interministériel. Nous y travaillons avec François Rebsamen et Marisol Touraine, pour mettre en place un plan d'action. Nous pourrions faire baisser les coûts en développant la recherche et l'innovation sur le désamiantage.

Quant à l'Anah, c'est un outil très efficace pour lutter contre l'habitat indigne et la précarité énergétique. Son financement est insuffisant. Il est trop tôt pour dévoiler les arbitrages budgétaires en cours. Ce qui est sûr, c'est que nous devons conforter l'action de l'Anah dans la durée.

Concernant les aides à la pierre, je voudrais rappeler que les crédits bancaires ne représentent qu'une petite partie des aides de l'État à la construction. Des aides fiscales existent aussi, TVA à taux réduit, prêts bonifiés de la CDC, par exemple. Grâce à ces aides, le secteur du logement social a résisté : il a été le seul segment dans ce cas. Il faut maintenir ces aides. Les bilans triennaux de la loi SRU seront l'occasion de cibler le soutien aux opérations, en identifiant précisément les besoins sur le territoire.

Les négociations sont en cours avec Action Logement. La loi Alur a prévu une convention quinquennale pour définir l'emploi des fonds issus de la participation des employeurs à l'effort de construction. Pour favoriser le financement des logements sociaux, le gouvernement a autorisé Action Logement à emprunter auprès de la CDC, à partir de 2013, 1,5 milliard d'euros par an sur trois ans. Les réflexions ont également porté sur la sécurisation des financements pour l'accès au logement et sur le lien entre emploi et logement. Le financement des politiques publiques, notamment de l'action de l'Agence nationale de rénovation urbaine, a fait l'objet d'un débat. En effet, le gouvernement Ayrault avait prévu de diminuer progressivement la contribution de l'État au financement de cette agence, dont l'action a pourtant un impact important sur la vie quotidienne des Français. Il s'agit là d'une adaptation aux contraintes économiques de la conjoncture, car nous devons honorer les attentes du Pacte de responsabilité. Le dialogue reste néanmoins ouvert avec Action Logement, et nous espérons trouver un accord avec les partenaires sociaux. La réussite de cette négociation est dans l'intérêt de tous.

Quant à la mobilisation du foncier, la situation est plus tendue qu'ailleurs en Île-de-France. Je sais votre intérêt pour les OIN multi-sites. Le gouvernement mobilisera les préfets pour identifier les sites relevant de la commission dirigée par Thierry Repentin, projets conçus mais gelés pour des raisons de coûts, d'accessibilité des sites, de pollution ou d'encombrement. J'insiste sur l'importance de développer un esprit partenarial pour que l'ensemble des acteurs puissent retrouver la confiance.

Jean-Claude Lenoir, vos remarques m'ont étonnée. La loi Alur contient seulement trois ou quatre mesures d'application immédiate. Laisser penser qu'elle a pu être un frein à la construction depuis dix ans alors qu'elle entre à peine en application serait caricatural. À moins que vous ne le fassiez par pur esprit polémique.

M. Jean-Claude Lenoir. - J'ai des chiffres.

Mme Sylvia Pinel, ministre. - Si je voulais entrer dans la polémique, je vous dirais que les normes élaborées par la précédente majorité ont augmenté les coûts de la construction de 57 % en dix ans. Mais telle n'est pas mon intention. Pour trouver des solutions, nous devons restaurer les marges de manoeuvre des professionnels. La simplification des normes, la mobilisation du foncier public, le soutien au logement social et au logement intermédiaire dans les zones tendues, telle est la palette d'outils dont nous disposons pour relancer ensemble le marché de la construction. Des élus de votre sensibilité nous le demandent. Je le répète, c'est ensemble que nous le ferons. Enfin, j'ajoute que l'encadrement des loyers a pour objectif d'éviter les abus, non de décourager les propriétaires honnêtes.

M. Jean-Claude Lenoir. - C'est pourtant ce qui se passe.

Mme Sylvia Pinel, ministre. - Les calculs indiquent que la mesure fonctionne. Un peu de pédagogie suffit à en montrer le bien-fondé. C'est à vous de mener ce travail dans vos territoires, car certaines idées véhiculées ne sont pas exactes.

M. Claude Dilain. - Absolument !

Mme Sylvia Pinel, ministre. - Gérard Bailly, le foncier privé est un enjeu essentiel dans les territoires ruraux, où les jeunes ménages cherchent à accéder à la propriété. Par deux fois, nous avons tenté de limiter les effets négatifs du système d'imposition des plus-values. Par deux fois, nous nous sommes heurtés à la censure du Conseil constitutionnel. Nous devons prendre l'avis des experts pour stabiliser le dispositif d'un point de vue juridique. Une autre mesure importante pour le milieu rural est l'élargissement à l'ancien du prêt à taux zéro. Nous avons tous dans nos territoires des logements anciens que le coût des travaux de rénovation rend invendables. Le PTZ aura ainsi un impact positif sur la revalorisation des territoires ruraux.

J'ajoute que le nouveau PTZ se substituera dès octobre à l'ancien dispositif, sans attendre la fin de l'année. Alain Bertrand, je reviendrai vous parler de l'égalité des territoires - j'y suis très attentive - mais ce n'est pas la question du jour.

Je suis consciente de la frilosité des banques à l'égard des ménages qui souhaitent accéder à la propriété. La solution est sans doute dans le dialogue. Avec Mme Ségolène Royal et M. Michel Sapin, nous avons tenu, il y a quelques semaines, une conférence bancaire consacrée au financement de la transition écologique. Nous travaillons avec les banques pour les informer sur le PTZ et pour les inciter à infléchir leur attitude à l'égard des demandeurs. Le relèvement du plafond du PTZ devrait faciliter l'accès au prêt immobilier classique, car cette partie est considérée par les banques comme apport personnel.

Mme Marie-Noëlle Lienemann. - De plus en plus rarement !

Mme Sylvia Pinel, ministre. - Quand un objectif a été défini par le gouvernement, les services déconcentrés de l'État doivent être des facilitateurs, non des contrôleurs tatillons. J'ai rencontré des préfets dans les départements, je leur ai demandé de faire passer le message. Au besoin, nous ferons une circulaire sur l'appréciation des normes. Un effort de diffusion et de pédagogie reste nécessaire pour tirer le meilleur parti des outils dont nous disposons. La procédure intégrée sur les logements est une mesure vertueuse, plus rapide ; elle est hélas mal connue sur le terrain. Personne ne m'interroge à ce sujet, lors de mes déplacements. Dans mon tour de France de la construction, j'ai bien l'intention d'en parler !

M. Daniel Raoul, président. - Madame la ministre, je vous remercie de toutes ces précisions. La pédagogie sera essentielle pour actionner les relais sur le terrain et mettre en oeuvre vos mesures, bienvenues, de simplification des normes.

La réunion est levée à 16 h 40.