Mercredi 25 mars 2015

- Présidence de M. Jean Bizet, président, et de M. Jérôme Lambert, vice-président de la commission des affaires européennes de l'Assemblée nationale -

La réunion est ouverte à 16 h 50.

Institutions européennes - Audition, conjointe avec la commission des affaires européennes de l'Assemblée nationale, de M. Harlem Désir, secrétaire d'État aux affaires européennes, sur les résultats du Conseil européen des 19 et 20 mars 2015

M. Jean Bizet, président. - Je veux d'abord vous remercier M. le Secrétaire d'État d'avoir répondu à notre invitation. Il nous paraît, en effet, essentiel d'avoir ce dialogue régulier avec le Gouvernement au lendemain des réunions du Conseil européen. Le 17 février, nous avions organisé une audition conjointe à l'Assemblée nationale pour échanger avec vous sur les résultats du Conseil européen du 12 février consacré à la lutte contre le terrorisme. Notre commission a d'ailleurs voté à l'unanimité moins une abstention une proposition de résolution sur l'ensemble des mesures nécessaires pour lutter efficacement contre le terrorisme. Mais nous vous recevons aujourd'hui au Sénat pour que vous nous fassiez part des résultats du Conseil européen des 19 et 20 mars. Nous sommes heureux d'accueillir au Sénat nos collègues députés.

J'indique que notre collègue Danielle Auroi ne peut malheureusement être présente parmi nous aujourd'hui. C'est Jérôme Lambert, vice-président, qui la représentera. Qu'il en soit remercié.

Le Conseil européen des 19 et 20 mars était principalement consacré à l'Union de l'énergie. Une énergie sécurisée, bon marché et bénéficiant de larges interconnexions sur le territoire européen, est indispensable. C'est la condition pour une réindustrialisation. L'Union européenne est en pointe dans la lutte contre le changement climatique. Elle doit aussi veiller à ne pas se fragiliser de manière unilatérale. L'objectif de la transition énergétique est consensuel. Mais cette transition rencontre des difficultés qui tirent leur origine de l'intermittence subie. La question de son financement est aussi posée. Les faibles prix de revient de la filière électronucléaire sont de ce point de vue un atout que l'on ne peut ignorer. Vous nous direz quelles sont les grandes orientations dégagées par le Conseil européen.

Le semestre européen, la croissance et l'emploi ont aussi été débattus. La situation économique de l'Europe semble amorcer une timide amélioration. Mais le chemin est encore long pour obtenir des résultats tangibles, notamment dans la lutte contre le chômage. Le Conseil a adopté récemment une recommandation pour la France dont la situation préoccupe nos partenaires. Nous en avons débattu avec le vice-président Dombrovskis, le 11 mars, et avec Pierre Moscovici que nous avons rencontré hier à Bruxelles. Quels enseignements peut-on tirer du Conseil européen sur ces questions économiques ?

Nous vous interrogerons sur l'Ukraine et les relations avec la Russie. L'Union européenne a pu commettre quelques petites maladresses et oublié de ménager la culture et la sensibilité de nos voisins russes, mais aujourd'hui le couple franco-allemand s'est retrouvé et nous devons saluer son action et les accords de Minsk qui permettent de renouer le dialogue. Quant à notre parlement, il peut offrir son expertise à l'Ukraine pour ce qui touche à la décentralisation.

Cette situation en Ukraine et les relations avec la Russie demeurent au coeur des préoccupations. Le sommet du Partenariat oriental se tiendra par ailleurs à Riga au mois de mai. Quelles ont été les conclusions du Conseil européen dans ces domaines ?

M. Jérôme Lambert, vice-président de la commission des affaires européennes de l'Assemblée nationale. - Je tiens à excuser Danielle Auroi que je remplace aujourd'hui pour cette audition commune. Les points qui nous semblent importants sont les suivants : pour l'union de l'énergie, le Conseil reprend les cinq axes prioritaires, mais pouvez-vous nous préciser tout ce qui concerne la sécurité énergétique. Il faut sur cette question une solidarité européenne. L'exemple du fournisseur russe dans ce domaine est éclairant. Il nous faut une mutualisation. Mais quelle est la position récente de l'Allemagne sur ce point ? Et celle de la France ? À propos du plan Juncker, permettra-t-il de renforcer suffisamment les infrastructures énergétiques et de soutenir la transition énergétique ? Avons-nous suffisamment progressé sur la question climatique pour que la Conférence de Paris débouche sur un résultat ambitieux ? Pouvons-nous offrir un financement satisfaisant aux pays en développement et progresser sur les transferts de technologie ?

S'agissant de la mise en oeuvre du paquet énergie climat, peut-on espérer que l'on progresse enfin vers l'adoption du projet de réforme du marché européen du carbone ?

S'agissant des questions économiques, nous serions heureux de savoir comment le dossier grec a évolué et si l'on va sortir de la crise et éviter la faillite.

Enfin, sur le projet de traité avec les États-Unis, le Conseil a annoncé qu'il espérait aboutir avant la fin de 2015, ce qui pourrait être considéré comme irréaliste. Que peut-on dire, selon vous ?

M. Harlem Désir, secrétaire d'État aux affaires européennes. - En ouverture de cette audition, je veux naturellement d'abord témoigner de ma solidarité à l'égard de nos amis allemands, espagnols et de tous les autres pays concernés par le crash aérien qui s'est produit hier. Je veux adresser toutes mes condoléances aux familles et aux proches des victimes. Ce drame nous a tous plongés, en France et en Europe, dans une profonde tristesse. Nous l'avons appris au moment où débutait la visite d'État du Roi d'Espagne qui avait choisi la France pour sa première visite.

C'est le message que j'ai naturellement porté auprès de mes homologues, comme l'ont fait le Président de la République, le Premier ministre et le ministre des affaires étrangères. C'est aussi dans ces épreuves que la solidarité européenne doit s'exprimer. Et la présence aujourd'hui même sur place du Président de la République, de la Chancelière et du Président du gouvernement espagnol témoigne une fois encore de notre unité.

C'est aujourd'hui la deuxième fois que nous nous retrouvons dans ce format pour une audition conjointe par les commissions des affaires européennes de l'Assemblée nationale et du Sénat, à l'issue d'un Conseil européen dont l'agenda était dense : Union de l'énergie, semestre européen, croissance et emploi, Ukraine, des sujets importants étaient soumis aux chefs d'État ou de gouvernement.

Mais, comme souvent lors des Conseils européens, l'actualité est venue bousculer, enrichir cet agenda.

Avec la situation en Grèce qui a donné lieu à une réunion entre le Premier ministre grec, le Président de la République, la Chancelière ainsi que les présidents de la Commission européenne, du Conseil européen, de la Banque centrale européenne et de l'Eurogroupe.

Avec aussi la situation en Libye et le soutien aux actions conduites par le représentant spécial du Secrétaire général des Nations unies, Bernardino Léon, pour permettre de reconstruire l'unité nationale, d'éviter la déstabilisation de la région et d'endiguer le risque sécuritaire et migratoire.

Avec la solidarité européenne à l'égard de la Tunisie, frappée à son tour par un effroyable attentat, et notre disponibilité bien sûr à intensifier notre aide technique, financière et économique à ce pays engagé dans une transition démocratique sans équivalent.

Le Conseil européen a lancé l'Union de l'énergie qui est une nouvelle étape de la construction européenne.

L'Union de l'énergie, c'est un vrai projet politique, une nouvelle ambition pour davantage d'intégration et de solidarité au sein de l'Union européenne.

C'est le sens du cadre stratégique proposé par la Commission européenne le 25 février dernier. Il repose sur cinq piliers : la sécurité énergétique, le marché intérieur, l'efficacité énergétique, la décarbonisation de l'économie, et la politique de recherche et d'innovation.

Ces piliers ont une cohérence. Ils sont interdépendants, se renforcent mutuellement. Nous tenions à ce que cette idée soit affirmée avec force. Elle l'a été. Et le Conseil européen a demandé au Conseil de faire avancer les travaux sur chacune de ces dimensions et de lui faire rapport avant décembre.

Lors de cette réunion, l'accent a été mis principalement sur la sécurité énergétique, avec :

- l'accélération des projets d'infrastructure pour l'électricité et le gaz, y compris les interconnexions, sujet sur lequel la France, l'Espagne et le Portugal ont réalisé des avancées lors du sommet du 4 mars tenu avec les présidents de la Commission européenne et de la Banque européenne d'investissement ;

- la nécessité de renforcer notre sécurité énergétique, grâce à des réseaux robustes, à davantage d'efficacité énergétique et au recours aux énergies dites autochtones, comme les renouvelables ou le nucléaire ;

- la nécessité de réexaminer et d'étoffer la législation existante en matière de réduction d'émissions, de renouvelables et d'efficacité énergétique afin d'atteindre les objectifs que nous nous sommes fixés en octobre dernier pour 2030. Nous devons également nous concentrer sur des secteurs comme le logement et les transports qui peuvent permettre de réaliser des économies d'énergie importantes ;

- l'élaboration d'une stratégie en matière de recherche et développement, sur la prochaine génération d'énergies renouvelables, sur le stockage de l'électricité ou le captage et le stockage du C0;

- l'établissement de partenariats stratégiques avec les pays producteurs et de transit.

Une dynamique a donc été initiée. Nous devons maintenant l'entretenir, en veillant à ne pas perdre de vue l'équilibre d'ensemble de la proposition initiale de la Commission, auquel nous souscrivons largement.

Il était pour nous essentiel que ce Conseil européen soit aussi un jalon important dans la perspective de la COP 21. C'était loin d'être acquis, mais là aussi le résultat est très satisfaisant. Nous sommes en train de voir émerger une véritable diplomatie climatique européenne, en soutien des efforts que déploie la France pour obtenir un accord ambitieux et contraignant sur le climat qui engage tous les pays à agir dans la lutte contre le dérèglement climatique.

D'abord parce que le Conseil européen a salué, comme il se doit, la présentation de la contribution européenne à la Convention climat des Nations unies au terme de l'accord qui a été trouvé lors du Conseil environnement.

Ensuite, parce que le Conseil européen a appelé les autres États parties à présenter leurs propres contributions d'ici la fin du mois de mars 2015.

Enfin, parce qu'il a demandé une intensification des travaux, au sein de l'Union européenne, sur les questions de financement, de transfert de technologie et de renforcement de capacités qui seront des enjeux clés dans le cadre de la préparation de la Conférence de Paris.

Le deuxième sujet à l'ordre du jour du Conseil européen était le semestre européen, et plus généralement les enjeux de croissance et d'emploi.

Comme tous les ans au mois de mars, le Conseil européen a eu un échange sur la situation économique, la situation budgétaire et la mise en oeuvre des réformes structurelles dans les États membres. Il a ainsi endossé les priorités présentées par la Commission dans l'examen annuel de la croissance pour le semestre européen 2015 - l'investissement, les réformes structurelles et un assainissement budgétaire axé sur la croissance - et appelé les États membres à en tenir compte dans l'élaboration de leurs programmes nationaux de réforme et leurs programmes de stabilité ou de convergence.

Ces priorités sont bien sûr partagées par la France. Lors de son déplacement à Bruxelles la veille du Conseil européen, le Premier ministre a d'ailleurs réaffirmé avec force que nous tiendrons nos engagements budgétaires : 0,5 % d'effort structurel en 2015 et un déficit revenant sous la barre des 3 % du PIB en 2017. C'est la trajectoire que vous avez vous-mêmes approuvée. Elle est convergente avec la recommandation approuvée par le Conseil Ecofin du 10 mars. Elle est surtout compatible avec notre objectif : ne rien faire qui puisse enrayer la reprise, dont les derniers indicateurs montrent qu'elle est à portée de main.

Avec la même force, le Premier ministre a porté un deuxième message : l'élan des réformes ne s'interrompra pas. Non pas pour satisfaire à des demandes qui nous seraient adressées, mais parce que la France en a besoin pour consolider la croissance et favoriser les créations d'emplois.

Cet effort de mise en perspective de ce que nous sommes en train de faire a été accueilli très positivement par la Commission européenne.

Le deuxième point abordé par le Conseil européen, c'est le plan d'investissement de 315 milliards d'euros proposé par la Commission. Le Conseil européen a ainsi salué l'adoption par le Conseil de son orientation générale sur le règlement relatif au Fonds européen pour les investissements stratégiques, et invité le Parlement européen et le Conseil à trouver un accord sur ce texte d'ici juin 2015.

La France est pleinement engagée dans la mise en oeuvre de ce plan.

D'abord, avec l'annonce par le Président de la République que la Caisse des dépôts et consignations et la Banque publique d'investissement se mobiliseraient à hauteur de 8 milliards d'euros en cofinancement, ce qui nous place au même niveau que l'Allemagne.

Ensuite, avec l'identification, en lien avec les collectivités territoriales et en particulier les régions, des projets susceptibles d'être financés. Et ce travail doit aller vite car la Banque européenne devrait, dans les prochaines semaines, commencer à financer des projets labellisés « plan Juncker » sur ses fonds propres.

Enfin, avec notre mobilisation pour convaincre les parlementaires européens de tenir l'échéance de juin 2015, de manière à ce que ce Fonds soit le plus rapidement possible opérationnel au second semestre de cette année.

Un mot enfin sur la Grèce, car la réunion tenue en marge du Conseil européen a permis de créer les conditions du dialogue, ce qui est un objectif de la France depuis la prise de fonction d'Alexis Tsipras. La visite du Premier ministre grec à Berlin y a d'ailleurs également contribué. Elle a été utile pour surmonter les désaccords qui peuvent exister.

Et les lignes sont en train de bouger. Une première liste de mesures proposée par le gouvernement grec le 24 février avait été validée par l'Eurogroupe, notamment en matière de réforme de l'administration publique et de lutte contre la corruption et la fraude fiscale. Ces mesures doivent maintenant être mises en oeuvre de manière effective. Les travaux techniques doivent donc s'accélérer. C'est la voie sur laquelle les autorités grecques ont accepté de s'engager. C'est essentiel pour conclure le plus rapidement possible les négociations de l'actuel programme d'assistance.

En matière de politique étrangère, j'ai évoqué en introduction de mon propos la Libye et la Tunisie. Je voudrais revenir rapidement en conclusion sur l'Ukraine.

La discussion a été centrée sur la question des sanctions : le Conseil européen a établi un lien entre la mise en oeuvre intégrale de l'accord de Minsk et la durée des sanctions sectorielles (dont l'échéance normale est le 31 juillet) en renvoyant la décision formelle de renouvellement au Conseil européen de juin.

Or, on assiste depuis quelques jours à une dégradation de la situation sur le terrain. Les combats s'intensifient à l'est de Marioupol.

Une réunion des directeurs politiques se tient aujourd'hui même à Paris. De nouveaux contacts auront lieu entre les chefs d'État et de gouvernement en « format Normandie ».

Le processus de Minsk reste notre feuille de route. Il n'y en a pas d'autres. Les Russes comme les Ukrainiens doivent en prendre en conscience. Pour éviter le scénario du pire, il leur revient de faire la démonstration de leur volonté de continuer à s'investir dans le processus de Minsk.

Le sommet du Partenariat oriental aura lieu au mois de mai. Nous souhaitons maintenir la nécessaire distinction entre la politique de voisinage et la politique d'élargissement. Il faut aussi permettre une différenciation entre les pays concernés qui ne sont pas dans des situations identiques.

Voilà, Messieurs les Présidents, Mesdames et Messieurs les Députés et Sénateurs, ce que l'on peut retenir de ce Conseil européen.

M. André Gattolin. - Je voudrais évoquer le semestre européen et la polémique sur le délai de deux ans accordé à la France, selon laquelle les « gros pays » seraient mieux traités que les petits. Il faut mettre les choses au clair : oui, la considération portée à un grand pays ne peut être la même qu'à l'égard d'un petit pays.

En second lieu, je veux bien comprendre les règles communes concernant l'investissement ou les réformes structurelles, mais il manque la cohérence fiscale. Nous sommes dans la divergence fiscale ! Certains pays sont certes vertueux sur le déficit, la dette, la politique structurelle, mais ils pratiquent le « dumping » fiscal ! Il faut que la France ait le courage de mettre ce sujet de l'harmonisation fiscale sur la table.

Sur le projet de traité transatlantique (TTIP), nous avons, avec le président Bizet et d'autres collègues sénateurs, rencontré M. Mullaney, le négociateur américain, qui s'interrogeait sur la position de l'opinion et des parlementaires sur le projet de traité. De fait, même si le dispositif de règlement des différends Investisseur/État reste pour l'heure en suspens dans la négociation, en Allemagne, en France, les interrogations sont de plus en plus fortes.

L'ancienne commissaire Mme Viviane Reding a d'ailleurs critiqué ce dispositif et plaidé pour un tribunal public qui garantirait la légitimité et l'indépendance des jugements. Mme Cecilia Malmström, la nouvelle commissaire au commerce, semble soutenir cette position. Quelle est la position de la France ?

Nous savons par ailleurs que le peu de ressources propres de l'Union européenne provient des droits de douane. Des problèmes sont donc à prévoir si, par-delà les avantages économiques du traité, les réductions des tarifs douaniers qu'il prévoit devaient affecter le financement structurel de l'Union européenne !

Enfin, s'agissant de l'Ukraine, le Conseil européen a décidé de contrer les actions de désinformation de la Russie sur la crise. Qu'en est-il précisément ?

M. André Schneider, député. - En tant que co-rapporteur sur le bilan de la politique énergétique européenne, je me félicite des conclusions du dernier Conseil européen. Ma question porte sur l'absence, depuis des années, d'une Europe de l'énergie, d'une organisation européenne de l'énergie. Cette fois-ci, aboutira-t-elle ?

Qu'en est-il du projet de séparation patrimoniale entre producteurs et transporteurs d'énergie ? De même, chaque pays a son régulateur national de l'énergie, quel rôle pour un régulateur européen ?

Par ailleurs, des collègues d'autres parlements nationaux avaient évoqué l'idée d'une détention de réserves obligatoires d'énergie, à concurrence de 2-3 mois d'autonomie, mais personne n'a donné suite... Qu'en est-il, Monsieur le Ministre, d'une organisation européenne du secteur de l'énergie ?

M. Daniel Raoul. - Ma question porte sur la prochaine ratification du traité de libre-échange entre l'Union européenne et la Canada, l'AECG : il comporte le dispositif ISDS de règlement des différends Investisseur/État. Comment les parlements nationaux pourront-ils accepter de le ratifier ? Un mode de règlement des différends sur le modèle de celui de l'OMC ne serait-il pas mieux adapté ? Pourrait-il être intégré dans l'accord avec le Canada ?

Par ailleurs, l'Europe de l'énergie est, en effet, un enjeu majeur, en particulier dans le contexte de tension géopolitique lié à la crise entre l'Ukraine et la Russie... Pourquoi ne s'engage-t-on pas surtout dans une mise en commun des moyens au niveau de la défense ? N'y a-t-il pas mieux à faire que la seule coordination des polices ?

Sur le plan Juncker, je dois avouer qu'après l'audition du commissaire général à l'investissement je me perds un peu dans les calculs. La France ajoute, semble-t-il, 8 milliards d'euros d'investissement. Sous quelle forme ? S'agit-il d'un nouvel emprunt ? D'un élément du PIA 3 (programme d'investissements d'avenir 3) ?

Enfin, j'entends parler d'harmonisation fiscale. Certes, mais avant, il est nécessaire d'harmoniser les assiettes...

Mme Patricia Schillinger. - Depuis quelques mois, la question de l'immigration en Europe prend une acuité particulière. Quelle action est conduite dans le cadre européen sur cette question qui inquiète beaucoup de pays ?

M. Harlem Désir, secrétaire d'État aux affaires européennes. - Pour ce qui est du délai de deux ans accordé à la France lors du « semestre européen », la réalité est que les solutions sont différentes pour plusieurs pays : certains affichent un déficit supérieur à 5 % et il en est tenu compte. Il n'y a pas de différence de traitement entre grands et petits pays, mais lorsque des réformes sont reconnues, que la réduction progressive du déficit est reconnue, la situation de la croissance est prise en compte. L'Union européenne a d'ailleurs récemment modifié sa doctrine en intégrant la notion de flexibilité dans le pacte de stabilité et de croissance. Il n'y a donc pas de distinction par rapport à la taille du pays mais on prend en compte les éléments pertinents, notamment les réformes engagées et le nécessaire soutien à l'investissement. Il ne s'agit pas d'une faveur faite à la France, mais c'est l'intérêt même de la zone euro que la croissance ne soit pas freinée.

En effet, la convergence fiscale manque, comme d'ailleurs manque également la convergence sociale... Oui, on ne peut accepter de l'optimisation fiscale basée sur l'opacité. C'est une priorité pour la Commission qui veut, par exemple, la transparence sur les rescrits fiscaux. Cela étant, des règles communes ont été établies à l'unanimité sur la TVA. De même prend forme l'idée d'une assiette commune consolidée pour l'impôt sur les sociétés (l'« ACCIS »). Il ne faut pas de « niche » fiscale. On gagnerait à l'établissement d'un « serpent » fiscal européen et la zone euro y travaille car la concurrence fiscale n'est pas saine.

Le mécanisme ISDS de règlement des différends Investisseur/État prévu au TTIP est en effet un sujet sensible. Le mécanisme public de règlement prévu pour l'OMC est adapté au cadre multilatéral mais là, comme avec le Canada, il s'agit d'accords bilatéraux. La France a un principe : que rien ne remette en cause le droit des États à réguler, qu'il s'agisse de la sécurité sanitaire, la viande aux hormones, ou d'autres sujets. Par ailleurs, l'accord se négocie entre l'Union européenne et ses 28 États membres, d'une part, et les États-Unis, de l'autre ; c'est-à-dire entre des pays qui ont tous des systèmes juridiques solides et fiables. Doit-on dès lors créer un dispositif supplémentaire ? Quant à l'accord économique et commercial global avec le Canada (AECG), il est désormais conclu et ne revêt pas la même ampleur économique. Il faut le ratifier. Les négociations sur le TTIP, en revanche, viennent de commencer, il faut continuer à négocier sur l'ISDS.

Les ressources propres ne risquent pas d'être impactées par le TTIP, qui porte davantage sur les normes, la convergence réglementaire ou encore l'accès aux marchés publics que sur les réductions tarifaires. Les droits de douane entre les États-Unis et l'Union européenne sont au demeurant déjà très bas pour l'essentiel. En revanche, le Parlement européen travaille sur la question des ressources propres, en attendant une possible coopération renforcée sur une taxe sur les transactions financières, même si celle-ci serait plus orientée vers l'aide aux actions pour le climat.

Mandat a en effet été donné à la Haute représentante de l'Union européenne, Mme  Federica Mogherini, pour qu'elle fasse des propositions sur la meilleure manière de répondre aux fausses informations lancées par les médias russes autour du conflit ukrainien.

Il est difficile de faire avancer la cohérence et l'intégration européenne dans le dossier de l'Union de l'énergie. On progresse vers une meilleure coordination européenne des régulateurs nationaux. Par ailleurs, la logique d'un marché intérieur de l'énergie va de pair avec l'interconnexion des réseaux. De même, des progrès se font sur les « flux inversés », en particulier pour les pays d'Europe centrale et orientale, très dépendants de la Russie. L'alternative à court terme, ce sont des gazoducs sud-nord ou de l'ouest vers l'est. Le Portugal et l'Espagne ont une capacité en matière de GNL notamment par le pipeline Medgaz qui part d'Algérie vers l'Espagne. Le fonds Juncker pourrait contribuer à développer de telles infrastructures.

Les 8 milliards d'euros que la France va apporter en appui au fonds Juncker se décomposent en 5 milliards d'euros de la Caisse des dépôts et 3 milliards d'euros de la Banque publique d'investissement (BPI). Ils prennent la forme de prêts ou de prises de participation en fonds propres, soit pour financer des projets d'infrastructures, soit pour financer des projets plus réduits et séparés. Ils pourraient favoriser des aménagements portuaires comme Calais ou Marseille.

M. Jean Bizet, président. - Ce sont 8 milliards d'euros qui viennent en plus du plan Juncker ?

M. Harlem Désir, secrétaire d'État aux affaires européennes. - C'est 8 milliards d'euros en plus. Dans le fonds Juncker, l'Union européenne apporte 21 milliards en garantie sur des projets sélectionnés et la BEI prêtera pour ces projets (à hauteur d'environ 60 milliards d'euros de prêts avec la garantie du budget de l'Union), afin aussi d'attirer les investissements privés. En plus, plusieurs États - dont la France, l'Allemagne - apportent d'autres contributions : 8 milliards d'euros en ce qui concerne la France. La Caisse des Dépôts et Consignations vise plutôt les infrastructures et la BPI les entreprises. Ces 8 milliards d'euros en prêts ou prises de participation interviennent dans le cadre du plan Juncker car ils bénéficient de la garantie des 21 milliards du budget européen. L'idée générale est de faire venir les partenaires privés. Le plan Juncker se met en place, il reste à finaliser le cadre juridique.

La question de l'immigration a fait l'objet de travaux des ministres de l'intérieur de l'Union européenne du fait de la situation en Libye. Leurs décisions ont aussi concerné le renforcement de Frontex, où l'opération européenne Triton succède à l'action italienne « Mare Nostrum ». Ils ont acté le besoin d'un renforcement des moyens de surveillance des frontières ainsi que de secours. Il convient aussi d'accroître la coopération au profit des pays de départ et de transit. Cela relève directement de la politique de développement avec les pays du Sahel ou d'Afrique centrale notamment. Notre gestion des crises dans ces régions a aussi pour objectif de contribuer à stabiliser les populations. En la matière, l'harmonisation est nécessaire. Il n'est pas possible de conduire 28 politiques d'immigration différentes. Il s'agit d'un enjeu vital pour l'Europe et c'est aussi une réponse aux populismes.

M. Jean Bizet, président. - J'ai une question, une remarque et une demande.

Ma question porte sur le principe d'achats groupés dans le domaine de l'énergie. Qu'en est-il ? Est-ce compatible avec les règles de l'OMC ?

Ma remarque porte sur le partenariat oriental. Je crois qu'il est essentiel d'avoir marqué le distinguo entre élargissement, d'une part, et voisinage, d'autre part. Dans un tel contexte, l'idée d'un marché économique eurasien ne serait d'ailleurs pas antinomique avec des relations de voisinage.

J'ai enfin une demande, liée aux travaux que nos deux collègues Jean-Paul Emorine et Didier Marie conduisent sur le plan Juncker. Nos territoires ont besoin d'investissements et c'est ce qui justifie les plateformes régionales sur les fonds structurels. Nos collègues souhaiteraient progresser sur la mise en forme de ces plateformes, en liaison avec l'association des maires de France, l'association des régions de France, pour que, en particulier, nos communautés de communes soient parties prenantes des investissements du plan Juncker. Pourriez-vous aider nos co-rapporteurs dans cette démarche ?

M. Harlem Désir, secrétaire d'État aux affaires européennes. - La Commission va étudier la stratégie d'achats groupés. Il faut savoir cependant que nous sommes là dans un marché où des contrats pluriannuels sont en cours. Ce qui importe est que si un pays subit une pression de la part d'un fournisseur, il doit avoir une alternative. C'est l'enjeu de l'implantation de terminaux GNL et de liaisons sud-nord. Cela démontre aussi la nécessité d'une interconnexion et d'une Europe des réseaux.

Pour les investissements du plan Juncker, des plateformes différentes seront mises en place. Certaines au plan européen ou régional, d'autres sur un plan plus thématique : par exemple, dans le domaine des énergies renouvelables pour financer un parc d'éoliennes... Les investisseurs privés sont invités à s'associer à ces projets. Quant aux plateformes plus géographiques, le Commissaire général aux investissements est chargé d'aider à coordonner les projets, avec la Caisse des dépôts et la BPI. Il faut veiller à ce que les projets des territoires puissent bénéficier du fonds Juncker.

M. Jean Bizet, président. - Peut-on envisager une réunion de travail avec votre ministère sur cette question ?

M. Harlem Désir, secrétaire d'État aux affaires européennes. - C'est possible, en liaison avec les institutions qui sont chargées de la mise en oeuvre du plan d'investissement.

M. Jérôme Lambert, vice-président de la commission des affaires européennes de l'Assemblée nationale. - Je tiens à vous remercier, Monsieur le Ministre, d'être ainsi à l'écoute des parlementaires de nos deux commissions des affaires européennes. Vous avez su convaincre sur la volonté de la France de s'engager pour une politique européenne dynamique.

La réunion est levée à 18 h 20.