Jeudi 26 janvier 2017

- Présidence de M. Jean Bizet, président -

La réunion est ouverte à 9 heures.

Institutions européennes - Suivi des résolutions européennes : Audition de M. Harlem Désir, secrétaire d'État aux affaires européennes

M. Jean Bizet, président. - Merci d'avoir répondu à notre invitation à cet échange sur le suivi des résolutions européennes que le Sénat a adoptées entre le 1er octobre 2015 et le 31 décembre 2016. Si elles ne lient pas juridiquement le Gouvernement, ces résolutions expriment une position politique de notre assemblée. Aussi nos collègues souhaitent-ils savoir ce qu'il en est advenu dans la négociation européenne. Dans le cadre de sa fonction de contrôle, le Sénat doit donc avoir un dialogue régulier avec le Gouvernement. C'est en quelque sorte, en matière européenne, le pendant du suivi de l'application des lois. J'avais présenté l'an passé un rapport d'information qui dressait un bilan assez positif du sort de nos résolutions : dans plus de la moitié des cas, elles sont suivies entièrement et dans le tiers, partiellement. Je remercie le secrétariat général aux affaires européennes (SGAE), qui nous apporte son concours à travers l'envoi de fiches de suivi. Je souhaite que cette collaboration soit poursuivie et approfondie, notamment en intégrant l'ensemble de nos résolutions, quel qu'en soit l'objet. Nous veillons parallèlement à obtenir des éléments comparatifs sur les pratiques des autres États membres.

Nous allons dans un premier temps vous entendre sur l'état d'avancement de quatre dossiers sensibles ayant fait l'objet de résolutions du Sénat. La lutte contre le terrorisme, tout d'abord, pour laquelle notre assemblée avait demandé un véritable acte pour la sécurité intérieure. Ce sont nos collègues Philippe Bonnecarrère et Simon Sutour qui suivent plus particulièrement ce dossier. Où en sommes-nous ? La réforme de Schengen et la réponse à la crise des réfugiés, ensuite. Nul besoin de rappeler l'urgence de ce dossier, sur lequel Jean-Yves Leconte et André Reichardt ont beaucoup travaillé, et qui fait l'objet d'une commission d'enquête présidée par Jean-Claude Requier, dont je salue la présence. Puis, le plan d'investissement pour l'Europe, qui a été examiné de près par Jean-Paul Emorine et Didier Marie. Nous saluons ses premiers résultats, mais nous demandons en particulier une meilleure implication des collectivités territoriales. Lors d'un échange téléphonique récent, le vice-président de la Banque européenne d'investissement (BEI), M. Ambroise Fayolle, m'a annoncé le lancement d'un plan Juncker de deuxième génération, dont un volet pourrait être consacré au monde agricole. Enfin, sur le détachement des travailleurs, qu'Eric Bocquet a suivi de près, le Sénat demande un renforcement des règles européennes, afin de mettre un terme au dumping social.

M. Harlem Désir, secrétaire d'État. - Merci de votre accueil. Cette audition participe du bon fonctionnement de notre démocratie en même temps que du renforcement de nos positions dans les négociations européennes. Elle met en exergue l'ampleur et la qualité du travail réalisé par votre commission. Elle montre également l'influence de vos travaux et leur convergence avec les positions défendues par le Gouvernement : de nombreuses idées et propositions formulées par la Haute Assemblée sont prises en compte dans les compromis adoptés par les institutions européennes. Les fiches de suivi du SGAE le montrent bien. Je voudrais également souligner la très grande convergence de vos travaux avec les priorités de l'agenda de relance de la construction européenne adopté à Bratislava en septembre 2016, qui sert de feuille de route à l'Union post-Brexit comme à la préparation du sommet qui marquera le soixantième anniversaire du Traité de Rome le 25 mars prochain.

La résolution n° 124, présentée par Simon Sutour et Philippe Bonnecarrère, insistait sur la nécessité de mieux contrôler les frontières extérieures de l'Union, de mettre en place un PNR européen et d'engager une réflexion sur la définition d'une politique commune des visas prenant en compte des indicateurs de risques liés à la menace terroriste. Nous partageons pleinement ces objectifs car la soutenabilité et la pérennité de l'espace Schengen impliquent que les frontières extérieures soient efficacement sécurisées et protégées.

Des avancées essentielles ont été obtenues. Le corps européen de garde-frontières et de garde-côtes, doté d'une réserve mobilisable de 1 500 agents fournis par les États membres, a été mis en place en octobre 2016. Reste à le déployer. Il va permettre de mieux assurer la mission de contrôle et de sécurisation que l'agence Frontex ne pouvait conduire pleinement faute de disposer du mandat ou des capacités nécessaires. L'adoption de la directive sur le PNR européen, en avril dernier, après de longues négociations, est une décision très importante car il s'agit d'un outil essentiel pour la prévention et la détection des infractions terroristes. Il faut à présent que les États membres la transposent.

Nous devons poursuivre notre action en faveur de la révision du code frontières Schengen, de l'interopérabilité de nos systèmes d'information et de la mise en place des contrôles à l'entrée et à la sortie dans le cadre du paquet « frontières intelligentes ». En particulier, un système européen d'information et d'autorisation des voyages (Etias), sur le modèle de l'Electronic System for Travel Authorization (ESTA) américain, a été présenté par la Commission européenne, notamment à la demande de la France. Il est encore peu connu, cependant.

Le Conseil européen de décembre a fixé sur ces dossiers des objectifs clairs. Un accord est attendu d'ici juin 2017 sur le système d'entrée et de sortie et, d'ici la fin de l'année 2017, sur le système Etias.

Outre le contrôle des frontières, vous insistiez sur la nécessité pour l'Union européenne de renforcer la coopération policière et judiciaire et la coopération en matière de renseignement, notamment par le biais d'Europol et d'Eurojust.

Sur ce plan également des progrès ont été faits. En décembre 2016, le Conseil et le Parlement sont parvenus à un accord sur la proposition de directive visant à renforcer le cadre juridique de l'Union pour la prévention des actes terroristes. Il s'agit notamment d'ériger en infraction certains actes comme l'entraînement au terrorisme ou l'organisation et la participation à des voyages à des fins de terrorisme. Le droit français traite ces cas, mais dans d'autres pays cela reste à organiser. C'est indispensable, afin que les personnes revenant des zones de combat soient traitées sur le plan judiciaire.

Il s'agit également de renforcer les règles concernant l'échange entre les États d'informations relatives à des infractions terroristes recueillies dans le cadre d'une procédure pénale, notamment par le biais d'Europol et Eurojust. Le Conseil des ministres de la justice et des affaires intérieures de décembre dernier a donné une véritable impulsion politique au projet de création d'un parquet européen. Des résistances perdurent chez certains États membres, qui craignent une remise en cause de leur souveraineté, mais nous devons poursuivre avec la majorité significative d'États membres qui souhaitent avancer.

La stratégie renouvelée de sécurité intérieure pour l'Union pour la période 2015-2020, que vous souteniez dans votre résolution, permet de tirer un bilan régulier des actions menées en matière de lutte contre le terrorisme et de sécurité intérieure.

Beaucoup reste à faire. En juin prochain, la Commission devrait ainsi formuler des propositions pour renforcer nos systèmes d'information afin de lutter plus efficacement contre le terrorisme sur Internet.

La résolution n° 130 du Sénat, présentée par Jean-Yves Leconte et André Reichardt, soulignait la nécessité de revoir la gouvernance de Schengen pour faire face à la crise migratoire, de renforcer le contrôle des frontières extérieures, de repenser le système d'asile au niveau européen, d'améliorer l'accueil et l'enregistrement des migrants et de lutter contre l'immigration illégale. Le Gouvernement a rappelé avec fermeté son attachement à la solidarité entre les pays de l'Union européenne : l'Italie et la Grèce ne peuvent pas être laissées seules face à l'arrivée des migrants.

Les Européens doivent oeuvrer collectivement pour renforcer leurs agences communes que sont Frontex et le Bureau européen d'appui à l'asile (EASO), dont il faut renforcer les moyens et le cadre d'action. À cet égard, la France est exemplaire, et le directeur exécutif m'en a remercié lors de la visite que j'ai effectuée au siège de l'EASO lundi à Malte avec mon homologue allemand. La France est aussi exemplaire dans les relocalisations : près de 40 % des relocalisations en provenance de Grèce ont été effectuées chez nous ! Avec l'Allemagne, nous assumons l'essentiel de cet effort.

La déclaration UE-Turquie de mars dernier et la fermeture de la route des Balkans ont permis une réduction massive des flux migratoires en Méditerranée orientale, et donc des naufrages aux large des îles grecques. C'est pourquoi nous devons continuer dans cette voie, en restant vigilants, car d'une semaine à l'autre les variations des flux peuvent être considérables.

Une politique migratoire efficace à l'échelle européenne passe aussi par le renforcement de la lutte contre les filières d'exploitation de l'immigration illégale en Méditerranée centrale. Il s'agit essentiellement des flux entre la Libye et l'Italie, qui ont atteint en 2016 un volume de 180 000 personnes. Cela s'explique par l'effondrement de l'État en Libye. Et des milliers de personnes perdent la vie dans ce trafic criminel et hautement lucratif pour ceux qui l'organisent.

Nous avons obtenu une extension du mandat de l'opération EUNAVFOR MED Sophia, qui comprend désormais la lutte contre le trafic des armes au large de la Libye, car il est organisé par les mêmes passeurs, et la formation des garde-côtes libyens. Nous sommes en discussions avec nos partenaires libyens pour que cette formation soit aussi rapide que possible. Ainsi, les eaux territoriales libyennes seront mieux contrôlées.

M. Yves Pozzo di Borgo. - Les navires de l'opération Sophia peuvent-ils y pénétrer ?

M. Harlem Désir, secrétaire d'État. - Pour l'instant, ils ne peuvent opérer que dans les eaux internationales. La formation des garde-côtes libyens doit remédier à cette lacune. Pour que nos navires puissent intervenir, il faudrait un mandat du Conseil de sécurité de l'ONU, ou bien un accord avec le Gouvernement libyen. Mais nous n'avons pas, pour l'instant, d'interlocuteur régalien suffisamment stable ou reconnu. Un processus politique soutenu par la France et les Nations unies, qui comporte un accord avec le général Haftar, devrait cependant aboutir à ce qu'un Gouvernement d'union nationale contrôle mieux le pays.

Il nous faut aussi agir sur les causes profondes des migrations. Notre conviction est qu'une politique de développement et de partenariat avec les pays d'origine est nécessaire pour réduire durablement les migrations vers l'Europe. Un travail a ainsi été engagé pour la mise en oeuvre de cadres de partenariats avec cinq pays d'Afrique. La Haute Représentante a rendu compte lors du dernier Conseil européen des avancées, notamment avec le Mali et le Niger, qui sont des points de passage essentiels vers la Libye.

L'Europe doit investir massivement dans le développement de l'Afrique. Il faut que le plan d'investissement extérieur y finance des projets innovants de développement, sur le modèle du plan Juncker et en lien avec les accords sur les migrations. Bien évidemment, et je sais qu'il s'agit d'une préoccupation du Sénat, la France sera vigilante sur les modalités de mise en oeuvre et d'évaluation des résultats de ce plan ainsi que sur sa bonne articulation avec les autres programmes extérieurs européens.

Dans la résolution n°46, portée par Jean-Paul Emorine et Didier Marie, vous avez salué les efforts déployés en 2015 pour la mise en oeuvre du Fonds européen pour les investissements stratégiques (FEIS). Vous avez également insisté sur le renforcement des relations entre la BEI et les banques nationales de développement, comme BPI France, ainsi que sur le rôle des plateformes d'investissement. Vous avez aussi rappelé la nécessité d'un environnement plus favorable aux investissements grâce à un allègement et à une harmonisation des réglementations européennes et nationales ainsi qu'à l'approfondissement de l'union des marchés de capitaux. Nous partageons ces objectifs.

La France a oeuvré pour que l'investissement soit remis au coeur de l'agenda européen. Ce n'était pas le cas avant 2012, car la priorité était alors d'assainir les comptes publics. Nous avons souhaité rééquilibrer l'agenda européen car nous considérions qu'il devait reposer sur trois piliers : assainissement des comptes, réformes structurelles et soutien à l'investissement. En effet, c'est en stimulant l'investissement que nous pourrons consolider la croissance et favoriser la création d'emplois. Et, en la matière, l'Europe n'a pas rattrapé le retard qu'elle a pris depuis la crise de 2008. Nous avons obtenu le prolongement et le quasi-doublement du plan Juncker. Ce plan a financé des secteurs porteurs de croissance comme le numérique, la transition énergétique, les transports, la recherche et l'innovation. Nous allons porter l'objectif de 315 milliards à 500 milliards d'euros, sur une durée qui dépassera les trois ans initialement prévus.

Au 16 décembre 2016, 422 projets avaient été approuvés dans 27 États membres pour un financement par le FEIS de 30,6 milliards d'euros, générant un investissement total de 164 milliards d'euros. La France est le deuxième bénéficiaire du plan Juncker après l'Italie avec, fin décembre 2016, 50 projets approuvés depuis son lancement pour un montant de garantie mobilisé de 4,1 milliards d'euros, conduisant à un montant total d'investissement de 21,3 milliards d'euros. Vous connaissez beaucoup de ces projets. Nous sommes nombreux, par exemple, à avoir visité les installations des Maîtres laitiers du Cotentin - qui exportent jusqu'en Chine ! Nous poursuivons nos efforts pour donner plus d'ampleur au plan Juncker et parvenir de ce fait à un environnement plus favorable à l'investissement, aussi bien au niveau national qu'européen, avec les projets de marché unique des capitaux, du numérique et de l'énergie.

Le détachement des travailleurs a fait l'objet de la résolution n° 169 présentée par Eric Bocquet. Vous y avez salué la volonté de la Commission de réviser la directive initiale de 1996 relative au détachement des travailleurs, tout en regrettant que les modifications soient insuffisantes pour assurer l'égalité de traitement des salariés pour un même travail au même endroit.

Comme vous, nous nous félicitons que la Commission européenne ait utilisé son droit d'initiative pour proposer une révision de cette directive. C'était une demande forte de notre part car ce texte datant de 1996 n'est plus adapté à l'Europe élargie que nous connaissons. Nous partageons les objectifs de cette révision, qui reprennent ceux défendus par le Sénat : la lutte contre les abus et fraudes à la législation actuelle, notamment par la lutte contre les entreprises boîtes aux lettres et la promotion du principe d'un salaire égal pour un travail égal sur un même lieu de travail.

Cependant, nous partageons votre conviction que cette révision n'est, pour le moment, pas assez ambitieuse. C'est pourquoi nous avons proposé une série d'amendements, qui reprennent les préconisations de la résolution sénatoriale, et proposent notamment une ancienneté de trois mois avant tout détachement, une activité minimale de 25 % dans le pays d'origine des entreprises, pour lutter contre les entreprises boîtes-aux-lettres, l'interdiction du double détachement, la limitation de la durée du détachement, la prise en charge par l'employeur des indemnités compensant les frais de mission et le renforcement de la coordination entre les inspections du travail et en matière de lutte contre les fraudes et les abus. Notre vigilance s'exerce particulièrement dans le domaine des transports, dans lequel les abus sont très nombreux. Il est par ailleurs essentiel que les règles de rémunération s'appliquent à l'ensemble de la chaîne de sous-traitance pour éviter les contournements actuellement trop nombreux.

Cette révision se heurte à une opposition d'un certain nombre d'États membres qui refusent de voir modifier les conditions du détachement. Les Parlements de onze États membres ont introduit une procédure de « carton jaune » au titre de la subsidiarité. Mais je veux vous assurer de l'absolue détermination du Gouvernement et de notre mobilisation dans la négociation. Il en va, de notre point de vue, de la conception même que nous nous faisons de la construction européenne. Nous récusons avec la plus grande fermeté toute forme de dumping social au sein de l'Union, à l'heure où la Commission européenne a engagé une large consultation sur le projet de socle européen du droit social.

Ces quatre dossiers majeurs permettent de mesurer la convergence entre vos résolutions, les positions que nous avons portées et défendues à l'échelle européenne et les avancées essentielles de la construction européenne. L'Europe est à un moment décisif de son histoire : face aux crises qui se multiplient, dans un contexte d'incertitudes à l'échelle internationale, elle doit prendre son destin en main et défendre elle-même ses valeurs, ses intérêts, ses citoyens. C'est cette dynamique de relance, initiée par la feuille de route élaborée à Bratislava, qui doit se traduire à Rome à la fin du mois de mars. Elle repose sur quelques États membres qui doivent être les moteurs d'une Europe forte arrimée à ses convictions, à sa volonté. La France et l'Allemagne ont un rôle singulier à jouer. La dynamique de nos deux pays, ouverte à nos partenaires, est cruciale. Et votre travail, mesdames et messieurs les sénateurs, contribue à doter la France d'une politique forte et volontariste sur les sujets européens, à même d'insuffler une dynamique capable de combattre les forces centrifuges qui minent la cohésion et l'unité du projet européen. Il contribue également au dialogue, indispensable, entre les Parlements.

M. Pascal Allizard. - Vous nous avez présenté des mesures renforçant l'étanchéité de nos frontières extérieures. Combien la France a-t-elle effectué en 2016 de reconductions à la frontière de migrants en situation irrégulière ? D'autres pays européens utilisent davantage les procédures de Frontex. En Libye, 400 ou 500 kilomètres de côtes ne sont pas sécurisées, d'où les flux migratoires que nous observons. On nous objecte depuis des mois qu'il faudrait un mandat des Nations unies. Je comprends bien, mais c'est insatisfaisant.

M. André Reichardt. - Vous dites que les flux en provenance de Turquie vers les côtes grecques varient de jour en jour. Quelle est l'amplitude de cette variation ? Vos propos ne correspondent pas à ce que nous dit l'ambassadeur turc, dans le cadre du travail qu'avec M. Leconte nous menons sur les relations entre l'Union européenne et la Turquie. Quant à l'Égypte, il s'agit d'un pays de 80 millions d'habitants...

M. Simon Sutour. - 90 millions !

M. André Reichardt. - Il connaît des difficultés, et sa population s'inquiète de son avenir sur place. S'il doit y avoir une vague migratoire, elle sera considérable. Quels sont les flux actuels au départ de ce pays ?

M. Yves Pozzo di Borgo. - L'amiral qui dirige l'opération Sophia nous a déclaré que le trafic des passeurs représente environ le tiers des ressources de la Libye. Les seigneurs de guerre en vivent tous - et la condition qui y est faite aux réfugiés est scandaleuse. Le droit international contraint nos possibilités d'action, puisqu'il empêche nos bateaux d'intervenir dans les eaux territoriales libyennes, mais ne devrions-nous pas faire preuve d'autorité ? Il n'y a pas de Gouvernement, la Russie commence à s'en mêler... Cette pagaille dure depuis le début de l'opération Sophia, et l'Union européenne est manifestement impuissante - ce que l'opinion publique perçoit parfaitement.

M. Jean Bizet, président. - Où en êtes-vous de la définition juridique du combattant étranger ? Un trilogue s'est récemment tenu sur la question, qui devient urgente avec le retour des personnes concernées sur le territoire de l'Union européenne. Lors de son audition devant le groupe de travail sur le Brexit, M. Jean-Claude Trichet s'était dit très inquiet de l'écart entre la France et l'Allemagne en termes d'investissement, qui atteint 13 %. À cet égard, les 21,3 milliards d'euros mobilisés par le FEIS sont perçus par certains comme un simple rattrapage - d'où l'intérêt d'un deuxième plan Juncker. Sera-t-il opérationnel bientôt ? Enfin, nous avons bien perçu lors d'un récent déplacement en Pologne la crispation de certains États d'Europe centrale sur la question des travailleurs détachés. S'est-elle calmée ? Il n'est pas question d'accepter le dumping social, notamment dans le transport routier.

M. Harlem Désir, secrétaire d'État. - Je demanderai au ministre de l'Intérieur le nombre exact de reconduites à la frontières effectuées en 2016. Je sais simplement qu'il était supérieur à ceux des années passées, et que l'essentiel des reconduites relève de procédures nationales. Sophia est une remarquable opération de coordination des marines européennes. Son état-major est basé à Rome, et j'ai eu plusieurs fois l'occasion de visiter des bâtiments français qui y participent. Dans le cadre du droit international de la mer, ces navires interceptent les bateaux affrétés par les passeurs et sauvent leurs passagers. S'ils arrêtent les responsables, ils les défèrent à la justice. Mais ceux-ci se sont adaptés, et ne sont plus que très rarement sur les bateaux. Ils font désormais embarquer les migrants sur des pneumatiques, ce qui accroît le risque de la traversée car ces embarcations, surchargées, ne sont pas adaptés à de longues traversées. Dès les eaux internationales atteintes, ils déclenchent l'alerte, en général en demandant aux passagers d'appeler les secours depuis leurs téléphones portables. Les bateaux de l'opération Sophia interviennent alors, mais ils peuvent mettre plusieurs heures à arriver sur place, et c'est dans cet intervalle de temps qu'ont lieu la plupart des drames. L'activité de ces passeurs est l'une des plus criminelles qui soit. Les témoignages recueillis par les agents de Frontex et par les ONG attestent de traitements inhumains dans les camps où les migrants sont regroupés avant d'embarquer. D'où l'importance de notre action au Nigéria et dans les autres pays de transit.

M. Yves Pozzo di Borgo. - Ne pourrions-nous invoquer le droit d'ingérence, dont M. Kouchner s'était fait le promoteur ?

M. Harlem Désir, secrétaire d'État. - Son exercice suppose un mandat du Conseil de sécurité, donc un accord de ses membres permanents. Or, après l'intervention de 2011, la Russie, suivie par la Chine, se montre réticente. De fait, une action dans les eaux territoriales libyennes impliquerait sans doute une intervention terrestre. Nous cherchons pour l'heure à pousser les autorités libyennes à assumer leurs responsabilités. La tâche est compliquée par le fait que le Gouvernement d'union nationale de M. Sarraj ne contrôle pas la totalité du territoire. Certaines portions de la côte et certaines villes ont été occupées par l'État islamique, Syrte a été reprise aux terroristes, qui se sont sans doute repliés ailleurs... Nous devons donc aider la Libye à se doter d'un Gouvernement stable au pouvoir effectif. La formation des garde-côtes est une première étape.

L'accord du 18 mars 2016 entre l'Union européenne et la Turquie a fait passer le flux quotidien d'arrivées en Grèce de 1 500 ou 2 000 à 80 ou 100 personnes. Il est vrai que la route des Balkans a été fermée au même moment, et qu'un cadre juridique a été mis en place pour que les arrivants soient renvoyés en Turquie. Et la Turquie a manifestement renforcé le contrôle de ses côtes : pour que près de 2 000 personnes partent chaque jour de quelques points bien précis, il fallait que règne un certain laisser-faire...

Après le coup d'État du mois de juillet, nous avons constaté une recrudescence des passages, parfois 200 personnes par jour, ce qui reste inférieur aux chiffres antérieurs à l'accord UE-Turquie, mais n'est pas sans poser problème. Les îles grecques, qui sont déjà en difficulté pour traiter les arrivées d'avant mars - s'il s'agit de réfugiés syriens, ils doivent être relocalisés ailleurs en Europe -, se trouvent de nouveau confrontées à un problème d'engorgement.

Il faut donc mettre en oeuvre l'accord UE-Turquie, qui consiste notamment à aider la Turquie par un fonds de 3 milliards d'euros destiné à l'accueil des réfugiés sur son sol - ce fonds peut d'ailleurs être abondé de nouveau. La discussion sur les visas est plus compliquée, parce qu'elle relève de critères qui dépassent le simple cadre de l'accord. En la matière, aujourd'hui, les conditions ne sont pas remplies, mais le dialogue doit continuer.

S'agissant de l'Égypte, l'ampleur des départs de migrants vers les côtes européennes n'y est pas du tout comparable, ce qui témoigne d'un engagement réel à empêcher un tel mouvement de se développer. Quelques cas ont néanmoins été recensés, par exemple celui d'un bateau échoué à Chypre. Nous entretenons un dialogue avec l'Égypte ; je me suis moi-même rendu au Caire à la fin de l'année dernière, dans le cadre d'une réunion entre l'Union européenne et la Ligue arabe. Les autorités égyptiennes sont tout à fait conscientes qu'elles ne doivent pas laisser se créer un trafic comparable à celui que connaît la Libye, mais l'Égypte a un État et un gouvernement qui agissent avec détermination ! Les immigrants qui viennent du sud de l'Égypte, du Soudan ou d'Afrique de l'Est, passent d'ailleurs, aujourd'hui, par la Libye.

Un débat est en cours sur les pactes migratoires, qui concernent aujourd'hui le Mali, le Niger, le Nigéria, le Sénégal et l'Éthiopie. Faut-il conclure un tel pacte avec l'Égypte, pays de plus de 90 millions d'habitants ? Nous devons d'abord nous assurer que l'Europe pourra suivre !

Par ailleurs, il existe une politique de coopération bilatérale avec l'Égypte, dont l'objectif est de soutenir le développement de l'économie égyptienne. L'Égypte a connu une instabilité politique et des problèmes de sécurité qui ont notamment affecté le secteur du tourisme, traditionnellement très pourvoyeur d'emplois. Mais la situation s'améliore progressivement : les investissements industriels repartent à la hausse, des champs gaziers sont en cours d'exploration. Le rôle de l'Égypte est crucial pour la stabilité de la région, y compris celle de la Libye, par laquelle passent la majorité des migrations venues d'Afrique.

Monsieur le président Bizet, le débat sur la définition des combattants étrangers a lieu dans le cadre de la directive relative à la lutte contre le terrorisme. Il s'agit d'incriminer les voyages en lien avec des activités terroristes. Les personnes visées sont celles qui se rendent sur les lieux de conflit, sont enrôlées dans les rangs de l'État islamique ou d'autres groupes terroristes et reviennent ensuite en Europe pour agir à des fins criminelles.

Nous discutons avec nos partenaires pour élaborer une définition commune. Les points de vue sont pour le moment un peu divergents ; nous souhaitons inclure les activités de recrutement, l'incitation publique et l'apologie du terrorisme, c'est-à-dire établir des critères larges, tout en veillant au respect de toutes les garanties de droit - nous sommes un État de droit, et tout doit se faire sous le contrôle des juges. Le terrorisme est intrinsèquement difficile à définir. Il existe un accord international et des plans d'action de lutte contre le terrorisme, mais jamais l'ONU, par exemple, n'a donné de définition du terrorisme. Qui entre dans cette catégorie ?

En Europe, nous disposons, via les listes d'organisations terroristes, de définitions harmonisées. L'inscription d'une organisation sur une de ces listes entraîne un certain nombre de conséquences : nous n'entretenons aucune relation avec elle, nous participons à la combattre, nous saisissons ses avoirs, nous pourchassons ses membres identifiés. Mais définir le terrorisme, en droit, est extrêmement compliqué. Le Parlement français a eu à travailler sur ces sujets à plusieurs reprises ; il est a fortiori difficile de mener un tel travail à 28, mais nous sommes déterminés et confiants sur notre capacité à y parvenir.

Pour ce qui concerne le FEIS, le Fonds européen pour les investissements stratégiques, le débat sur « l'additionnalité » est inévitable. Les projets financés dans le cadre du plan Juncker n'auraient-ils pas pu l'être par ailleurs, via des prêts de la Banque européenne d'investissement ou d'autres institutions ? Sans le plan Juncker, sans cette garantie sur le budget de l'Union et sans les 5 milliards d'euros de garanties supplémentaires prélevés sur son propre capital, la BEI - elle le dit elle-même - aurait été incapable de financer l'ensemble de ces projets.

Au total, il est incontestable que ce plan a accru le volume et amélioré la qualité des projets d'investissement financés. En particulier, critère essentiel de choix, il s'agit de projets pour lesquels le risque est tel que d'autres banques que la BEI, ou la BEI elle-même hors plan Juncker, n'accorderaient pas le prêt, ou en tout cas pas dans les mêmes conditions.

Les choix de projets, en France, sont très pertinents. En Allemagne, les premiers projets soutenus ont été des projets autoroutiers. Ce choix était sans doute tout à fait justifié du point de vue du retard de financement des grandes infrastructures allemandes de transport, mais il n'a pas aidé à la compréhension du plan par l'opinion publique et les parlementaires.

En France, les domaines privilégiés ont plutôt été ceux qui relèvent de la transition énergétique, isolation thermique des logements, énergies renouvelables, éco-mobilité, ainsi que de l'industrie. Le plan Juncker, en France, représente davantage qu'un simple rattrapage de retards d'investissements : de l'innovation, de la projection vers l'avenir. Le deuxième plan Juncker est en cours d'examen par le Parlement européen ; ce dernier doit accepter que de nouvelles garanties soient prises sur le budget de l'Union, ce qui est très compliqué - personne ne veut toucher à certains budgets, comme celui du programme Horizon 2020.

Sur le détachement, vous l'avez constaté en Pologne, mais aussi avec la Hongrie et avec beaucoup de pays d'Europe centrale et orientale, la discussion reste difficile. Je me rends moi-même en Roumanie la semaine prochaine ; le Président de la République avait mis ce problème au coeur de ses entretiens lorsqu'il s'est lui-même déplacé dans plusieurs pays d'Europe centrale. Nos partenaires comprennent qu'il s'agit d'une priorité absolue dans plusieurs États membres, en France, en Allemagne, en Belgique, aux Pays-Bas. Le principe, celui de la directive de 1996, est que le détachement doit se faire aux conditions du pays où le travail est accompli ; son détournement, c'est-à-dire l'application de la législation du pays d'origine via des boîtes aux lettres ou des sociétés d'intérim, est inacceptable.

Nos partenaires, donc, acceptent le principe. Mais ils sont tentés d'en excepter certains secteurs, notamment celui des transports. Or si le cabotage donne lieu à des conditions de rémunération et de contrôle différentes de celles qui s'appliquent aux transporteurs routiers français, des milliers d'emplois, en France, seront inévitablement mis à mal. Des règles doivent donc être édictées pour distinguer le transport international du cabotage. Il arrive souvent que les camions, à l'aller et au retour, ne s'arrêtent pas exactement aux mêmes endroits, ce qui obscurcit cette distinction. Nos propositions font actuellement l'objet de discussions, mais, sur ce dossier, nous ne cèderons pas. Les citoyens et les petits entrepreneurs ne peuvent accepter la concurrence déloyale.

M. Jean Bizet, président. - Nous allons maintenant passer au débat interactif sur d'autres résolutions du Sénat.

M. Simon Sutour. - Je voudrais d'abord me féliciter de cette matinée de travail sur le suivi de nos résolutions. C'est une première ; je remercie notre président d'en avoir pris l'initiative, et le secrétaire d'État d'y avoir répondu favorablement.

Je suis, avec le président Bizet, le coauteur d'une proposition de résolution européenne sur le programme de travail pour 2016 de la Commission européenne.

Nous avions, à cette occasion, mis en exergue un point sur lequel nous souhaitons recueillir l'avis du Gouvernement : les dispositions relatives à l'Union de l'énergie ne devront pas porter atteinte à la compétence reconnue à chaque État membre de déterminer le mix énergétique sur son territoire ; elles devront respecter scrupuleusement la répartition des compétences entre l'échelon de l'Union et l'échelon national. En effet, l'intervention de la Commission européenne ne doit pas dissuader les États membres qui souhaitent coordonner leurs politiques énergétiques de mettre en place une coopération renforcée et de promouvoir des projets industriels tels que Nord-Stream 2. Ce partage optimal des compétences fait-il l'objet d'un consensus au sein du Conseil ?

Deuxième question, qui n'a été abordée que partiellement : la politique européenne de voisinage. Je rappelle à notre collègue André Reichardt qu'avec Louis Nègre, nous sommes les coauteurs d'un rapport très développé sur l'Égypte, où nous nous sommes rendus au nom de la commission.

Avant d'évoquer l'Égypte, un mot de notre résolution européenne sur le volet méditerranéen de la politique européenne de voisinage révisée. Nous y apportions notre soutien à la révision de cette politique telle qu'annoncée par le Conseil le 14 décembre 2015, concernant en particulier son volet méditerranéen, mais s'agissant également du Partenariat oriental. Nous y saluions le caractère désormais plus pragmatique et stratégique de cette politique, l'Union européenne devant promouvoir la stabilité à ses frontières et élaborer une approche plus flexible et différenciée à l'égard de chacun de ses partenaires méditerranéens.

Nous avions spécifiquement mis en avant la nécessité de valoriser le rôle, dans ce processus, de l'Union pour la Méditerranée, quitte à élargir les missions de cette dernière. Ce projet trouve-t-il un écho au sein du Conseil ? Une réflexion a-t-elle par ailleurs été initiée sur la nécessaire rationalisation du paysage euro-méditerranéen, marqué par un trop grand nombre d'institutions et un manque de lisibilité ?

J'en viens aux relations entre l'Égypte et l'Union européenne. Nous avions souhaité qu'une relance de ces relations soit effectuée, tant nous avons besoin d'un partenaire fiable en matière de lutte contre le terrorisme et les migrations irrégulières. Le Gouvernement partageait, semble-t-il, cette volonté ; a-t-elle pu se traduire, au Conseil, par le déblocage des crédits gelés et l'adoption de nouvelles priorités de partenariat ? Depuis des années, les crédits de la politique de voisinage en Méditerranée sont gelés.

J'en profite, monsieur le Secrétaire d'État, pour vous demander de nous dire un mot de la réunion qui se tiendra samedi prochain à Lisbonne entre les pays méditerranéens de l'Union européenne. Une question sera abordée en coulisses par mon collègue Michel Vauzelle, qui participera à la délégation, à savoir le projet d'installation du siège de l'Assemblée parlementaire de la Méditerranée, qui se trouve pour le moment à Malte, à Marseille. Comment le Gouvernement compte-t-il appuyer ce projet ?

M. Jean Bizet, président de la commission. - Cela devrait faire plaisir à Jean-Claude Gaudin !

M. Harlem Désir, secrétaire d'État. - Concernant la résolution sur le programme de travail de la Commission, présentée en février dernier par M. Sutour et par M. le président Bizet, ses conclusions ont été très largement suivies. Conformément à vos préconisations, la France a été fer de lance sur le renforcement de la protection des frontières, la lutte contre le terrorisme, la construction d'un pilier de droits sociaux - nous attendons, sur ce point, les propositions de la Commission - et la lutte contre le dumping social et fiscal.

La Commission a désormais adopté son programme de travail pour 2017 ; il s'inscrit dans la continuité de la feuille de route de Bratislava, qui nous sert de boussole. Sécurité, défense, investissement, jeunesse, sont des priorités que la France porte avec insistance.

En outre, nous avons mis en place, en la matière, une nouvelle procédure : une déclaration des trois institutions, Conseil, Parlement, Commission européenne, met en avant nos priorités partagées pour 2017. Ce texte permet de gagner en lisibilité et surtout remet le Conseil au même niveau que le Parlement européen, aux côtés de la Commission, dans la préparation du programme de travail. En tant que membres du Gouvernement, donc du Conseil, nous vous représentons dans ces débats, mesdames, messieurs les sénateurs. D'une certaine façon, vous y avez donc aussi gagné !

Concernant le voisinage, monsieur Sutour, vous aviez présenté, avec Louis Nègre, une résolution sur la politique européenne de voisinage. Elle a été revue et adaptée à la nécessité de répondre aux causes profondes de l'instabilité, par la prise en compte des besoins de nos partenaires. Les piliers identifiés sont le développement économique et la création d'emplois, la coopération énergétique, la sécurité, les migrations. Comme vous le souhaitiez, les principes de cette politique sont confortés : unicité, avec deux sous-dimensions, Est et Sud, différenciation, réactivité, flexibilité, prise en compte des dimensions transversales, à savoir la sécurité, les migrations et la lutte contre le terrorisme. J'insiste sur les mécanismes de flexibilité, dont nous avons encouragé la promotion, et sur l'importance de la dimension régionale.

Nous travaillons aussi en lien avec l'Union pour la Méditerranée, via le dialogue 5+5. Nous nous efforçons de mettre en cohérence aides économiques et objectifs politiques, sécurité, lutte contre le terrorisme, stabilité, développement, droits de l'homme.

Nous avons soutenu la relance de la relation Union européenne-Égypte, qui se traduira, dans les prochaines semaines, par l'adoption de priorités de partenariat. Trois priorités, politique internationale, développement socio-économique, lutte contre le terrorisme dans le respect de l'État de droit, ont été conjointement identifiées par les institutions européennes et les autorités égyptiennes. Elles doivent permettre l'approfondissement de cette relation sur une base renouvelée. L'Égypte est un partenaire essentiel, notamment en matière de stabilité de la région et de lutte contre les migrations irrégulières. Nous voulons en même temps ouvrir un dialogue ouvert mais ferme sur les droits de l'homme.

La relance de cette coopération est une bonne chose : après le printemps arabe, le dialogue entre l'Union européenne et l'Égypte a connu une période d'interruption. Cette situation n'était pas viable ! L'Égypte est le plus grand pays arabe, l'un des plus grands pays méditerranéens, le plus peuplé pour longtemps encore, un pôle de stabilité, même s'il connaît des problèmes internes très importants. Pour ce qui est de la relation bilatérale entre la France et l'Égypte, vous savez qu'elle est excellente dans tous les domaines, y compris celui de la sécurité et de la défense.

En ce qui concerne les sept pays méditerranéens de l'Union européenne, le MED 7, la réunion de Lisbonne, qui vient après celle d'Athènes, marque une relance de notre processus de coopération. Nous ne considérons pas que nos pays, parce qu'ils ont beaucoup en commun, auraient à imposer un agenda au reste de l'Union européenne, ni à défendre certains intérêts contre les autres États membres ; dans notre esprit, c'est une nécessité pour l'Union européenne dans son ensemble d'être mieux sensibilisée aux enjeux méditerranéens.

La Méditerranée, ligne de front exposée à de nombreux risques et à une forte instabilité, du fait notamment des guerres au Moyen-Orient et de la situation en Afrique, spécialement en Libye, est aussi une opportunité d'investissement pour l'Europe, comme l'Égypte, dont nous venons de parler, l'illustre bien.

Une sensibilité existe aussi en matière économique, parce que, dans la zone euro, ce sont les pays du sud de l'Europe, la Grèce, le Portugal et l'Espagne, qui ont été le plus durement touchés par la crise. Le travail que nous menons en commun est également une contribution au débat sur la convergence économique.

La France joue un rôle singulier dans ce processus très important, que nous voulons continuer à animer afin d'aider l'Union européenne à mieux prendre en compte sa dimension méditerranéenne.

Quant à l'Assemblée parlementaire de la Méditerranée, c'est à ses membres qu'il appartient de décider où sera installé son siège. La France est évidemment prête à prendre toutes les dispositions nécessaires pour qu'elle puisse, si elle le souhaite, s'établir à Marseille.

M. Simon Sutour. - Le Bureau de l'APM, réuni à Rome, a fait le choix de Marseille à l'unanimité, et l'assemblée plénière le confirmera à l'unanimité à la fin de février. Un engagement matériel du Gouvernement français est néanmoins nécessaire. Avec Michel Vauzelle, j'ai sensibilisé le Président de la République à cette question.

M. Jean Bizet, président. - Avant que M. Bonnecarrère n'interroge M. le secrétaire d'État sur les pouvoirs et compétences des autorités nationales de concurrence, un sujet qui nous préoccupe de plus en plus, j'indique que, dans un échange épistolaire avec Phil Hogan au sujet des travaux de la task force sur la réforme de la PAC, j'ai souligné que la primauté de la politique agricole sur la politique de la concurrence était un principe essentiel.

M. Philippe Bonnecarrère. - Les grands sujets stratégiques ayant été abordés, je vous interrogerai, monsieur le Secrétaire d'État, sur l'harmonisation de l'application des règles européennes de concurrence par les autorités nationales, une question qui a inspiré à notre commission une résolution européenne, devenue résolution du Sénat.

Laissons de côté, quoiqu'elles passionnent les juristes, les mesures conservatoires et l'harmonisation statutaire des autorités nationales et de leurs procédures, pour en venir directement à la définition du marché pertinent. Le président de notre commission souligne assez souvent que l'Europe n'a pas une politique industrielle suffisamment forte, ayant historiquement privilégié le droit de la concurrence. De fait, à appliquer une définition trop stricte du marché pertinent, on risque de freiner la constitution de champions européens.

Monsieur le Secrétaire d'État, comment évoluent votre propre réflexion, ainsi que les discussions entre notre pays et la Commission européenne, sur cette question du marché pertinent ?

M. Harlem Désir, secrétaire d'État. - La politique européenne de concurrence est fondamentale pour assurer le bon fonctionnement du marché intérieur et y garantir aux entreprises une égalité de traitement, ainsi qu'un environnement sûr et stable. Les autorités nationales de concurrence jouent un rôle clé dans l'application des règles de la concurrence, aux côtés de la Commission européenne. Elles doivent donc disposer des moyens et instruments leur permettant de remplir ce rôle.

À cet égard, un problème d'harmonisation se pose, comme le Sénat l'a souligné dans la résolution européenne dont M. Bonnecarrère a parlé. Nous ne pensons pas que tout doive être traité par la seule direction générale de la concurrence de la Commission européenne : les autorités nationales doivent conserver un rôle, mais il faut qu'elles soient suffisamment bien équipées pour le faire.

De ce point de vue, la France dispose d'un cadre institutionnel de lutte contre les pratiques anticoncurrentielles abouti et efficace, reposant sur l'Autorité de la concurrence et la direction générale de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes. Tous les États membres n'ont pas forcément un dispositif aussi efficace, ce qui peut nuire à l'effectivité du droit européen de la concurrence et entraîner des inégalités de traitement entre entreprises.

M. Jean Bizet, président. - Notre autorité est trop efficace...

M. Harlem Désir, secrétaire d'État. - C'est possible, mais en tout cas elle fonctionne !

Il faut approfondir la coopération et les échanges de bonnes pratiques entre autorités nationales de concurrence et avec la Commission européenne, notamment au sein du réseau européen de la concurrence.

Dans le cadre d'une réponse à la consultation publique « Habiliter les autorités nationales de concurrence à appliquer les règles européennes de concurrence plus efficacement », la France a demandé à la Commission européenne d'émettre des recommandations incitant fortement les États membres à légiférer pour doter leur autorité de concurrence de tous les moyens nécessaires à une mise en oeuvre efficace du droit européen. Peut-être cette harmonisation pourra-t-elle aussi contribuer à alléger certaines procédures dans les États membres où celles-ci seraient jugées excessives.

Reste la question du marché pertinent, soulevée de longue date par, notamment, les entreprises de nouveaux secteurs. Ainsi, les entreprises des télécommunications ont fait remarquer que, aux États-Unis et en Chine, dont les marchés sont comparables au marché européen par la taille, il y a trois ou quatre opérateurs, quand, malgré les concentrations, il y en a vingt ou vingt-cinq en Europe, du fait du morcellement historique du marché. Or la compétition est internationale.

Ce qui est vrai dans ce domaine l'est aussi dans de nombreux autres. La question se pose donc : comment la politique de concurrence peut-elle ne pas empêcher l'émergence de champions européens, et comment pouvons-nous, au contraire, encourager des rapprochements industriels sur le modèle d'Airbus dans des domaines décisifs pour l'avenir, comme l'énergie ? Il faudrait sans doute que l'Europe se dote d'une grande entreprise capable de fabriquer des batteries électriques. De même, dans le domaine des transports ferroviaires, nous savons que la question se pose d'un rapprochement entre Alstom et Siemens.

Si l'on empêche les entreprises européennes de nouer les alliances industrielles nécessaires, certaines sont, en définitive, absorbées par des entreprises non européennes, ce qui peut conduire au départ de centres de décision ou d'innovation et à des pertes d'emplois.

Cette préoccupation est partagée par certains États membres, notamment l'Allemagne. J'ai été frappé, au cours des derniers mois, de voir l'évolution de l'état d'esprit sur ce sujet. Il faut maintenant que les institutions, à commencer par la Commission européenne et sa direction générale de la concurrence, fassent évoluer leur doctrine.

Qu'il existe des règles contre les monopoles, les oligopoles et les abus de position dominante sur le marché européen, cela est très bien. Au reste, l'Union européenne a montré qu'elle était capable de prendre des décisions parfois très spectaculaires, y compris vis-à-vis d'entreprises américaines : c'est ainsi qu'elle a empêché la fusion de telle multinationale américaine avec telle autre pour prévenir une position dominante sur le marché européen.

Toujours est-il que les entreprises européennes opèrent sur un marché mondial. D'où la nécessité de la réflexion sur le marché pertinent et sur la doctrine qui peut permettre à nos entreprises de faire face à leurs concurrents sur le marché mondial.

M. Yves Pozzo di Borgo. - Monsieur le Secrétaire d'État, vous venez de parler de doctrine. Le droit européen de la concurrence est-il une doctrine, ou bien est-ce du droit ? Les deux, je présume ?

M. Harlem Désir, secrétaire d'État. - Les principes régissant le droit de la concurrence figurent dans les traités, ainsi que dans divers directives et règlements. D'autre part, la direction générale de la concurrence s'est, au fil du temps, constitué une doctrine, c'est-à-dire une manière d'évaluer les situations. Cette doctrine peut évoluer sans qu'il soit nécessaire de modifier le droit.

Au demeurant, si certaines règles doivent être modifiées dans tel règlement ou telle directive - en général, on peut conserver le cadre fixé par les traités -, des propositions peuvent être soumises au Parlement européen et au Conseil des ministres.

Aujourd'hui, la question concerne essentiellement la doctrine de la Commission européenne, ou, pour le dire autrement, la manière dont elle apprécie les risques en faisant application des principes de concurrence.

M. Jean Bizet, président. - Nous en venons aux sanctions contre la Russie, un sujet sur lequel M. Pozzo di Borgo a beaucoup travaillé, de même que M. Sutour. Puis deux collègues vous interrogeront sur les questions de défense et sur le processus d'unification de Chypre.

M. Yves Pozzo di Borgo. - L'annexion de la Crimée et le conflit dans l'est de l'Ukraine ont altéré les relations de l'Union européenne avec la Russie. Le Sénat a bien entendu condamné cette annexion illégale, mais a aussi souhaité tracer des perspectives pour l'avenir des relations russo-européennes dans le cadre des accords de Minsk. Les sanctions européennes pourraient être progressivement et partiellement allégées si des progrès significatifs étaient constatés dans la mise en oeuvre des accords de Minsk, conclus selon le format Normandie, à condition que la Russie suive le même chemin pour les sanctions qu'elle a elle-même imposées.

Sur ce sujet particulièrement sensible, le Sénat a adopté le 8 juin 2016 une résolution européenne relative au régime de sanctions de l'Union européenne à l'encontre de la Fédération de Russie, que Simon Sutour et moi-même avions présentée.

Monsieur le Secrétaire d'État, où en est aujourd'hui l'application des accords de Minsk ? Quel peut être l'avenir de ces accords dans un contexte international qui a profondément évolué depuis leur conclusion en février 2015 ? Est-il vraiment réaliste d'imaginer une reconduction sans fin des sanctions ? Comment voyez-vous l'avenir des relations entre l'Union européenne et la Russie ?

Mme Gisèle Jourda. - Le 21 juin 2016, le Sénat a adopté une résolution européenne sur les perspectives de la politique de sécurité et de défense commune contenant un certain nombre de préconisations, dont plusieurs ont été reprises dans le cadre franco-allemand, dans le plan d'action pour la défense présenté par la Commission le 30 novembre 2016 ou encore dans les conclusions du Conseil européen du 15 décembre 2016.

La création d'un fonds européen de défense visant à mutualiser les investissements des États membres pour accroître les capacités européennes figure parmi les innovations importantes. Pour la première fois, de tels investissements nationaux seraient déduits des règles du pacte de stabilité. Mais ces engagements souscrits par les Vingt-Sept ne sont à ce stade que des voeux pieux. Il sera difficile d'avancer tous ensemble à la même vitesse.

Monsieur le Secrétaire d'État, le mécanisme de coopération structurée permanente constitue-t-il une option réaliste et crédible pour permettre à quelques États d'aller plus vite ? Cette procédure, mentionnée dans la proposition franco-allemande de septembre, ne figure plus dans les conclusions du Conseil de décembre.

Le processus d'examen annuel coordonné en matière de défense, évoqué dans les conclusions du Conseil, correspond-il au fameux semestre européen de défense que nous préconisions dans la résolution du Sénat ? Quels en seront le contenu et la portée ?

Enfin, eu égard à l'environnement géopolitique très mouvant, à l'élection de Donald Trump et au Brexit, où en sont les travaux en matière de politique de défense ? Il paraît en effet difficile d'avancer sans le Royaume-Uni, partenaire déterminant dans la conduite de la PSDC ces dernières années.

M. Didier Marie. - Le 8 juillet dernier, le Sénat a adopté une résolution européenne sur l'Union européenne et les négociations interchypriotes, et je souhaiterais vous poser trois questions à ce sujet, monsieur le Secrétaire d'État.

Premièrement, quelle est votre analyse des dernières négociations qui ont eu lieu à Genève ? En particulier, sur les deux sujets particulièrement prégnants que sont les propriétés et les compensations financières, l'Union européenne est-elle prête à abonder un fonds pour faciliter la négociation ?

Deuxièmement, sous l'impulsion de la Grèce, la levée du pacte de garantie prévu dans le traité de 1960 a été demandée lors du dernier sommet des pays méditerranéens. Quelle est la position de l'Union européenne et de la France sur cette question, et de quelle manière peut-on envisager la discussion avec la Turquie ?

Enfin, troisièmement, les moyens engagés par l'Union européenne pour préparer l'entrée du nord de l'île dans l'Union seront-ils pérennes ?

M. Harlem Désir, secrétaire d'État. - Sur les accords de Minsk, la France n'a pas ménagé ses efforts, dans le cadre du format Normandie, pour que les négociations puissent aboutir. Deux sommets, quinze rencontres ministérielles, de nombreux entretiens bilatéraux et des discussions techniques entre diplomates ont eu lieu.

N'oublions pas toutefois que le fait générateur de cette négociation et des sanctions réside dans le soutien de la Russie aux séparatistes et dans l'annexion de la Crimée.

Il revient avant tout aux deux partenaires de mettre en oeuvre les engagements qu'ils ont pris dans le cadre de l'accord de Minsk. Les sanctions constituent un levier pour inciter à la poursuite des négociations et au respect des engagements. La Russie doit faire pression sur les séparatistes et permettre l'amélioration des conditions de sécurité. De son côté, l'Ukraine doit progresser dans ses réformes politiques, en révisant sa constitution et en adoptant des lois de décentralisation.

En l'absence de progrès, nous avons décidé, lors du Conseil européen de décembre dernier, de reconduire les sanctions sectorielles pour six mois. Les points de vue des États membres divergent, mais tout le monde a accepté les préconisations de la France et de l'Allemagne. La durée des sanctions doit rester liée à la pleine mise en oeuvre des accords de Minsk, mais nous devons conserver la possibilité de moduler ces mesures restrictives pour encourager les parties à poursuivre leurs efforts en cas de progrès significatif. Les sanctions ne sont pas une fin en soi ; leur réversibilité est une condition de leur efficacité.

En ce qui concerne la résolution évoquée par Gisèle Jourda sur les perspectives de la politique de sécurité et de défense commune, le Conseil européen de décembre dernier et le plan européen de défense présenté par la Commission fin 2016 reprennent beaucoup des propositions avancées par le Sénat, qu'il s'agisse de la prise en compte des dépenses de défense dans le cadre du pacte de stabilité, de l'amélioration des opérations extérieures ou du soutien à l'industrie de défense.

L'idée de coopération structurée permanente, qui permet, aux termes des traités, à un tiers des États membres de progresser de leur côté, a été évoquée par le Président de la République comme un recours potentiel en cas de blocage, si certains États membres ne voulaient pas avancer sur cet agenda de renforcement de l'Europe de la défense. Pour l'instant, il n'y a pas eu de blocage, et nous essayons d'avancer tous ensemble. Il faut maintenant que nous mettions en oeuvre les décisions prises en décembre, et des rapports seront prochainement rendus tant par le service européen d'action extérieure que par la Commission.

Le semestre européen de défense a été repris sous la nouvelle appellation de revue permanente des besoins en termes de capacité et de coopération ; il doit permettre aux ministres de la défense de voir si chaque État membre remplit ses obligations en termes d'investissement - pour les États par ailleurs membres de l'OTAN, l'objectif a été fixé à 2 % du PIB consacré à la défense -, d'interopérabilité et de mise en place d'un centre de coordination et de planification, qui, sans doubler celui de l'OTAN, devra être propre aux membres de l'Union européenne.

Lorsque le Royaume-Uni aura quitté l'Union, il deviendra un État tiers, mais il restera membre de l'OTAN. La France a par ailleurs signé avec lui l'accord de Lancaster House, qui prévoit une coopération approfondie en matière d'équipement industriel, de nucléaire ou d'opérations extérieures. Il faudra toutefois négocier s'agissant du type de coopération que le Royaume-Uni et l'Union européenne veulent mettre en oeuvre en matière de PSDC. Lorsque l'Union européenne décidera de mener une opération civile ou militaire pour la stabilité ou la paix de telle ou telle région du monde, le Royaume-Uni souhaitera-t-il y participer seulement au cas par cas, ou conserver une relation particulière avec l'Europe ? Ce sujet reste devant nous.

Didier Marie a rappelé la résolution du Sénat sur Chypre. La France a continué à apporter son soutien au processus de réunification et aux négociations du Mont-Pèlerin, qui ont repris en janvier à Genève.

Sur la question des propriétés, l'Union européenne est prête à contribuer au financement, comme l'a affirmé Jean-Claude Juncker. La discussion sur les garants concerne principalement la Grèce, la Turquie et le Royaume-Uni, mais nous y participons en tant que membre permanent du Conseil de sécurité. Les Chypriotes grecs, la Grèce et le Royaume-Uni considèrent que ce système des garants doit cesser après la réunification de l'île, l'intervention d'un pays extérieur posant à Chypre un problème de souveraineté. Les Turcs souhaitent toutefois conserver une base militaire à Chypre-Nord. C'est le noeud du blocage actuel des discussions, mais il est de la responsabilité de tous, y compris des garants, de contribuer au succès de la négociation.

M. Jean Bizet, président. - Je crois que vous êtes attendu en séance publique, monsieur le Secrétaire d'État. Je vous remercie de votre présence parmi nous ce matin.

Nomination de rapporteurs

M. Jean Bizet, président. - Nous sommes saisis de quatre textes relatifs à la réglementation prudentielle en matière bancaire. Je vous propose de demander à Fabienne Keller et à Richard Yung de les examiner.

Le groupe de travail sur la subsidiarité, qui s'est réuni avant notre réunion de commission, a considéré que deux textes transmis par la Commission européenne pouvaient poser une difficulté au regard du principe de subsidiarité. Je vous propose de désigner :

- Eric Bocquet sur la coordination des régimes de sécurité sociale.

- Jean-Paul Emorine et Didier Marie sur la procédure de notification prévue par la directive dite « Services » de 2006.

Il en est ainsi décidé.

La réunion est close à 10 h 35.