Mercredi 1er février 2017

- Présidence de M. Alain Milon, président -

La réunion est ouverte à 9 h 35

Table ronde sur la problématique de la qualité de vie au travail des personnels hospitaliers avec des représentants des syndicats infirmiers

M. Alain Milon, président. - Nous consacrons la première partie de notre réunion de ce matin à la question de la qualité de vie au travail des personnels hospitaliers. Nous avons entendu la semaine dernière les représentants du ministère de la santé, de la Fédération hospitalière de France, de l'AP-HP et de la Haute Autorité de santé. Nous accueillons aujourd'hui les représentants des syndicats infirmiers. Je les remercie d'avoir répondu à notre invitation.

La semaine dernière, nous avons rappelé les raisons pour lesquelles la question de la qualité de vie au travail à l'hôpital a suscité, ces derniers mois, une attention accrue. Certaines tiennent au contexte général dans lequel évoluent les établissements hospitaliers, d'autres à ses modes de fonctionnement et d'organisation interne, y compris à l'échelle des services et des équipes soignantes. Nos interlocuteurs ont évoqué des pistes d'amélioration ainsi que des initiatives ou de bonnes pratiques qu'il faudrait amplifier et généraliser. Le représentant de la direction générale de l'offre de soins a, quant à lui, évoqué les orientations que la ministre de la santé a regroupées dans une stratégie nationale présentée au mois de décembre. Je pense que vous avez pu prendre connaissance de ces échanges, dont le compte rendu vous a été adressé.

Mme Claudine Villain, secrétaire nationale de la CFDT santé-sociaux. - L'hôpital va mal. Toutes les professions qu'il rassemble souffrent et ce, depuis un certain temps. Dès 2010, nous avons fait une enquête sur les conditions de travail à l'hôpital, qui a recueilli 60 000 réponses. Ses conclusions ont été remises au ministère de la santé, ainsi qu'au Parlement. Depuis, nous réclamons que la santé au travail devienne une thématique de réflexion. Nous n'avons guère eu d'autre résultat que le pacte de confiance pour l'hôpital instauré par Mme Touraine. Certes, des groupes de travail se penchent sur le dialogue social. Et nous avons remplacé l'expression « santé au travail » par « qualité de vie au travail » pour nous adapter au vocabulaire des négociations nationales. Mais pour l'heure, aucun résultat concret. Le 5 décembre dernier, la ministre a présenté une stratégie nationale d'amélioration de la qualité de vie au travail des professionnels de santé. Nous espérons ardemment qu'il ne s'agira pas de simples déclarations. Le groupe de travail de la commission d'hygiène, de sécurité et des conditions de travail (CHSCT) du Conseil supérieur de la fonction publique hospitalière (CSFPH) a travaillé à un projet d'instruction pour rendre la parole aux salariés. Tant mieux : même si une instruction n'est pas opposable à un établissement, c'est un premier pas. Sur ce thème, le travail doit être mené entreprise par entreprise, établissement par établissement, et même service par service.

Mme Catherine Génisson. - Absolument.

Mme Nathalie Depoire, présidente de la coordination nationale infirmière. - Les conditions de travail à l'hôpital se sont fortement dégradées, et pas uniquement pour les infirmiers, même si c'est sans doute la profession la plus atteinte : depuis l'ouverture d'une plateforme d'accueil téléphonique en novembre dernier, par l'association « soins aux professionnels de santé », plus de 350 appels de détresse ont été comptabilisés - et les suicides de l'été dernier ont mis en lumière nos difficultés. Voilà des années que nous interpellons les pouvoirs publics. Dès 2004, une grande étude européenne montrait les insatisfactions et la difficulté à communiquer au sein des établissements. Une étude sur les médecins parvenait aux mêmes conclusions. Et rien n'a été fait, sinon des réformes successives - loi hôpital, patients, santé et territoires, loi santé - pour faire monter les chiffres sans tenir compte de l'humain. Or nous sommes des professionnels de santé, et nous voulons prodiguer des soins de qualité. La logique budgétaire et la tarification à l'activité (T2A) n'intègrent pas la pertinence et l'efficience des soins, ce qui nous pose problème. Et l'adaptation promise des moyens en cas de forte activité n'a pas été effectuée.

Il faut réfléchir à l'adéquation des effectifs à la charge de travail réelle au lieu de réorganiser l'hôpital selon une logique budgétaire : un lit n'en vaut pas un autre ! Selon les types de soins et les charges de travail annexes, un service de vingt lits peut être plus lourd qu'un service de trente lits. Et souvent, pour 30 lits, on ne laisse qu'une infirmière et une aide-soignante. Résultat : impossible de suivre les patients comme on le voudrait. Par exemple, faute de pouvoir les accompagner aux toilettes, on impose le port de couches, ce qui s'assimile à de la maltraitance. Les professionnels culpabilisent, souffrent et s'épuisent dans de telles conditions. Ils se sentent souvent seuls au chevet du patient dont ils sont seuls à recevoir les doléances - même si ceux-ci commencent à écrire aux directeurs d'hôpitaux. Quand j'ai commencé, il y a vingt ans, il y avait des réunions de service. Pourquoi celles-ci ont-elles disparu ? Parce que le temps de travail est désormais décompté, minuté, chiffré. Pour économiser, on diminue le temps de transmission d'une équipe à l'autre. Au total, cela dégage des postes supplémentaires. Mais dans ces conditions, comment restaurer le dialogue ?

M. Thierry Amouroux, secrétaire général du Syndicat national des professionnels infirmiers (CFE-CGC). - Le Syndicat national des professionnels infirmiers représente des professionnels de l'hôpital, des cliniques et des entreprises. Qualité de vie ? Je parlerais plutôt de souffrance au travail, car tel est notre quotidien.

Les avancées que sont, pour les patients, la baisse de la durée moyenne du séjour et le développement de l'ambulatoire, résultent pour les soignants en un doublement de la charge de travail, puisque seuls les patients les plus gravement affectés restent à l'hôpital. À nombre de lits égal, l'intensité des soins est plus élevée.

Mme Catherine Génisson. - Sans parler de la coordination des soins...

M. Thierry Amouroux. - De plus, l'Ondam est contraint. Quand l'hôpital aurait besoin de 4 %, il n'en représente que la moitié. Les plans de retour à l'équilibre sont dès lors inévitables, tout comme la fermeture de lits ou la suppression de postes puisque la masse salariale représente 70 % des dépenses totales. Résultat : mutualisations forcées et polyvalence imposée. Le suicide récent d'une infirmière en Normandie en est un triste exemple. Alors qu'elle était spécialisée en pédiatrie, cette infirmière a été mutée en réanimation, domaine dans lequel elle ne connaissait ni les pathologies, ni le matériel. Le sentiment d'être dangereux pour les patients peut conduire au pire.

La T2A n'est pas adaptée aux pathologies chroniques ni au vieillissement. La logique de standardisation, qui consiste à traiter des groupes homogènes de malades, est aux antipodes de nos valeurs : notre formation nous a appris à considérer chaque personne comme unique. Et voilà qu'on demande de nous d'être des techniciens spécialisés pour des usines à soins ! Notre travail est bien plutôt de prêter attention au patient, de décoder pour lui le discours médical et de l'accompagner dans sa souffrance. L'arrivée d'une logique industrielle à l'hôpital en fait une institution qui maltraite ceux dont le métier est de prendre soin, par exemple en les soumettant à des injonctions paradoxales - accroître l'activité avec moins d'agents - ou en les sommant de rechercher une rentabilité maximale.

Il existe d'ailleurs une vraie maltraitance institutionnelle. Ainsi, l'AP-HP a décidé, en septembre, que tous ses agents devraient alterner, par quinzaine, entre service du matin et service du soir. Pour une infirmière qui élève seul un enfant et qui habite en banlieue - c'est le cas de plus des deux tiers d'entre elles -, comment expliquer à la personne qui garde son bébé qu'elle doit commencer à six heures pendant quinze jours puis finir à 23 heures la quinzaine suivante ? Et l'administration répond qu'elle n'a qu'à embaucher une deuxième personne ! C'est considérer les agents hospitaliers comme des pions dans le cadre d'un management sans ménagement. En les contraignant, de surcroît, à revenir pendant leurs jours de repos ou à enchaîner des gardes, on les pousse à la faute. Du coup, le nombre d'erreurs de soin a augmenté de 48 % en quatre ans et celui des événements indésirables graves double chaque année.

J'en viens enfin à la violence à l'hôpital. Chaque jour, quinze infirmières se font agresser. En effet, en fermant partout de petits services, on engorge ceux qui restent et l'attente aux urgences ne fait que croître. Comme ce sont les infirmières qui trient les patients selon le degré de gravité de leur pathologie, elles sont en première ligne face à leur colère - car il n'est jamais facile d'accepter qu'on vous passe devant, surtout lorsqu'on souffre physiquement. Le nombre et la gravité des agressions augmentent. On passe des insultes aux coups. Or les agents ne sont pas soutenus par leur direction : seules 2 224 des 11 835 agressions enregistrées l'an dernier ont donné lieu à des dépôts de plainte. Scandaleux !

M. Christian Cumin, de la CFTC santé-sociaux. - Pour que notre système de santé public reste l'un des meilleurs au monde, il nous faut prendre rapidement la mesure de la détérioration des conditions de travail à l'hôpital public. Les suicides de professionnels de santé, les burn-out à répétition, le mal-être, le stress, les troubles musculo-squelettiques, les arrêts maladie en sont autant de signes. Voilà de nombreuses années que la CFTC alerte les ministères concernés. Cette détérioration concerne tous les personnels hospitaliers et surtout celles et ceux qui sont au plus près du patient : les personnels soignants et médico-techniques.

L'hôpital public est devenu une fabrique de soins, complètement déshumanisée, où seule compte la rentabilité économique avec un système de facturation à l'acte - la T2A - qui n'a fait qu'aggraver une situation déjà préoccupante. Rappelons-nous aussi la mise en place des 35 heures sans moyens humains supplémentaires pour compenser le temps de travail passé auprès du patient. Ce temps indispensable passé à écouter, conseiller, expliquer, n'existe plus. Les personnels soignants se cantonnent désormais à des actes techniques et à des tâches administratives.

Pourtant, des mesures ont été prises ces dernières années pour corriger la situation, par exemple la création de contrats locaux d'amélioration des conditions de travail (CLACT) ou le travail d'enquête des CHSCT. Mais lorsque la logique économique prime tout le reste, les efforts consentis deviennent vains et l'on se concentre sur l'essentiel : faire tourner la boutique avec le personnel disponible et corvéable à merci, et engendrer des bénéfices afin de combler les déficits des années antérieures ou à venir.

Trop de tâches administratives prennent le dessus sur le coeur de métier des soignants. Trop de contraintes normatives sont chronophages : certifications, indicateurs, informatique... Trop de réformes hospitalières, depuis vingt ans, ont modifié en profondeur l'activité soignante et ce n'est pas la mise en place des groupements hospitaliers de territoire (GHT) qui va améliorer la situation des professionnels de santé à qui l'on demande d'aller aider dans le service de l'hôpital d'à côté.

Bref, le soignant ne se retrouve plus dans son travail journalier. Il ne se retrouve plus dans sa vie personnelle et familiale : rappel sur congés, heures supplémentaires non rémunérées, congés imposés... Comment voulez-vous qu'un soignant stressé, fatigué, incompris, mal rémunéré, se sente bien, épanoui dans son travail et fournisse des soins de qualité ? De fait, la cohabitation entre vie personnelle et vie professionnelle n'est pas simple pour les agents hospitaliers et engendre régulièrement un mal-être au travail.

Les petits maux de la vie courante sont souvent source de contraintes dans l'exercice de la profession de soignant : éloignement du lieu d'habitation, temps de transport, garde d'enfants, enfants malades, horaires des écoles... Il en va de même de simples changements d'organisation du service : changement de planning inopiné, rappel sur congés, formation annulée pour pallier le manque de personnel, changement de service, remise en cause des acquis, travail de nuit, en douze heures, fermeture de lits, chirurgie ambulatoire - qui réduit la relation avec les patients à la portion congrue - ou nouveaux modes de soins à domicile. Tous les jours, c'est la même rengaine : manque de linge, de matériels, de tenues...

L'encadrement est de moins en moins au contact de ses équipes car il doit s'occuper de plusieurs services à la fois et il s'épuise à trouver des solutions impossibles afin de boucler ses plannings, ou à des tâches administratives subalternes. Les glissements de tâche prennent le dessus sur un fonctionnement normal et normé du fait du manque de personnel ou de la suractivité. Personne n'est satisfait, tout le monde se plaint, chacun souffre - et surtout, in fine, le patient. Les soignants nient trop souvent leur mal-être et n'en parlent pas ou peu. Ils s'occupent des autres avant de s'occuper d'eux, trop souvent au détriment de leur santé et de leur vie personnelle. Les soignants soignent ; mais qui soigne les soignants ?

M. Alain Milon, président. - Je vous remercie. Chers collègues, je vous informe que M. Patrick Bourdillon, représentant de la CGT santé-sociaux, vient de nous informer qu'un impondérable l'empêche d'être présent ce matin. Il vous prie de bien vouloir l'en excuser.

Mme Laurence Cohen. - Merci pour vos interventions qui font entrer la vie dans notre hémicycle, quitte à choquer certains. C'est le groupe CRC qui a pris l'initiative d'un débat sur l'hôpital, au cours duquel nous y avons dénoncé la mauvaise qualité de vie au travail. Nos propos ont été largement mis en doute par le ministère et par nombre de nos collègues. D'où l'importance de cette audition. Pour ma part, je me rends souvent dans les hôpitaux pour savoir ce qui s'y passe. Et je déplore la contradiction entre les propos de la ministre, qui prône le dialogue social, et ses actes, qui font tout pour le casser. Vous avez dénoncé la contrainte pesant sur l'Ondam. Sachez que c'est au Parlement qu'est organisée cette pénurie ! Notre groupe s'y oppose chaque année et formule des propositions alternatives qui ne sont pas retenues. Nous devons prendre conscience des souffrances au travail car celles-ci se répercutent forcément sur les patients. Souvent, on impute la désorganisation de l'hôpital aux 35 heures mais celles-ci y sont-elles bien effectives ? Certes, la loi les impose mais, comme vous l'avez dit, entre rappels de personnel en congé et heures supplémentaires payées plus ou moins exactement...

La T2A est un vrai problème. Lors des auditions de la semaine dernière, il a beaucoup été question de « management ». Nous pensons que l'hôpital n'est pas une entreprise comme les autres et que le vocabulaire compte. Trop de directeurs pensent « management » et oublient leur mission de service public. Enfin, vous n'avez pas évoqué la question de la reconnaissance de vos métiers. Leur exercice est de plus en plus difficile. Quid de l'évolution des salaires et de la formation ?

M. Alain Milon, président. - Nous avons en effet eu un débat sur l'hôpital mais les doutes exprimés n'ont pas été si nombreux que le dit Mme Cohen, puisque nous avons décidé d'organiser la présente série d'auditions... Quant à l'Ondam, cela fait six ans que le Sénat n'a pas voté un PLFSS.

Mme Annie David. - Vous vouliez le contraindre encore plus !

Mme Catherine Génisson. - Inutile de polémiquer, surtout après de tels témoignages. Ayant longtemps exercé à l'hôpital, je continue à m'y rendre régulièrement. La satisfaction des patients est grande, en général, car vous dispensez des soins d'une qualité remarquable. Certes, la situation des urgences se détériore depuis des années, mais vos qualités et vos compétences sont des atouts réels qu'il faut aussi savoir mettre en valeur. Il est vrai que dans l'organisation du travail, cela fait des années que l'on dissocie trop la direction du travail de proximité. Mais il faut aussi admettre que la direction a la responsabilité d'une gestion comptable dont la nécessité s'impose à tous - et pèse, il est vrai, sur l'ensemble de la communauté soignante. Le sentiment de communauté s'estompe dans les services. Certes, la T2A a ses limites et les tâches qu'elle impose prennent beaucoup de temps à l'administration. L'organisation de l'ambulatoire est lourde pour les soignants mais elle plaît aux soignés. Quelles sont, exactement, vos revendications ? Quelles sont vos propositions pour alléger le malaise de l'hôpital ? Les dysfonctionnements des urgences sont un exemple de ceux de tout notre service de santé. La médecine libérale a aussi un rôle à jouer.

Mme Aline Archimbaud. - Quelles sont vos préconisations en matière de formation continue ? Doivent-elles porter sur les nouvelles pathologies ? Les nouveaux traitements ? Certaines formations valorisent l'expérience et débouchent sur des promotions. Que pensez-vous de la proposition faite par certains parlementaires et visant à permettre aux infirmières ayant de l'expérience de prendre davantage de responsabilités ? Comment valoriser les savoir-faire accumulés dans vos métiers ? La médiation sanitaire et sociale doit être reconnue par de vrais statuts professionnels. Quelques phrases dans la loi ne suffisent pas. J'observe qu'on a du mal à la faire reconnaître.

M. Gérard Roche. - Dans la vie, hors la santé, tout est détail. Que celle-ci vienne à flancher et tout bascule. On le voit bien à l'hôpital. L'espace de dialogue avec le patient fait partie du soin. Or la T2A l'a fait disparaître. Les chefs multiplient les actes techniques, sont harassés de travail et n'ont plus le temps de mettre un pied dans leur service. Et les contraintes financières imposent des rotations de personnel. Pensez-vous qu'il faudrait revenir sur la T2A ? Il faut ré-humaniser l'hôpital.

M. Daniel Chasseing. - Merci pour vos explications. Nous avons bien conscience des difficultés et des dysfonctionnements de l'hôpital. Qu'une infirmière passe de pédiatrie à un service de réanimation sans y être formée en est le témoignage. Il est évident que son stress n'en pouvait qu'être accru. Les chefs de service sont de plus en plus absorbés par les tâches administratives et ne prennent plus le temps d'échanger avec leurs équipes. De même, le dialogue avec les malades n'est plus suffisant alors qu'il fait partie du traitement. Évidemment, la mise en place des 35 heures a ôté, d'un coup, 10 % de la force de travail - comme si l'on avait supprimé 80 000 des 800 000 postes de l'Assistance publique. Progrès social ? Si l'État n'avait pas les moyens de compenser, il ne fallait pas le faire. Le résultat est une embolisation des urgences. Quant aux GHT, n'en faisons pas le procès avant qu'ils soient mis en place. Avec le GHT, des chefs de clinique devront peut-être aller régulièrement dans des établissements secondaires pour maintenir le service. Ce n'est pas une mauvaise chose.

M. Jean-Marie Vanlerenberghe. - Merci pour vos témoignages. Certes, l'hôpital a subi l'instauration de la T2A, des 35 heures, des GHT ou du virage ambulatoire - qui est peut-être la mutation la plus profonde car elle réduit considérablement la relation humaine avec le patient. Quels changements préconisez-vous ? Le management interne de l'hôpital dépend aussi beaucoup des qualités humaines du directeur et de son équipe. Et celles-ci font parfois cruellement défaut. Pourtant, l'humanité est la source même de l'engagement dans ce métier. La formation des directeurs doit en tenir compte.

Mme Claudine Villain. - Cela fait trop longtemps qu'on se borne à constater que tout va mal. Il y a urgence à mettre en place une action véritable pour changer les choses. Voilà cinq ou six ans que nous y appelons. Les outils pour améliorer la qualité de vie au travail des personnels hospitaliers existent. Il ne manque qu'une volonté politique, au plus haut niveau, c'est-à-dire, pour le dire clairement, des décrets, car une instruction, nous l'avons dit, ne s'impose à personne. Sa mise en oeuvre dépend du bon vouloir de la direction d'un établissement.

Il y a un problème de management mais pas seulement à la direction ; l'encadrement de proximité est aussi très mis à mal. Vu tout le travail administratif qu'on leur demande, quel temps leur reste-t-il pour s'occuper des équipes ?

Je ne crois pas que les 35 heures soient le problème. Ce n'est pas la réduction du temps de travail qui est problématique, c'est le fait qu'il n'y ait pas eu d'aménagement de l'organisation. Quand on fait l'un sans l'autre, l'effet est celui que nous connaissons : des heures supplémentaires en pagaille ou pire, une annualisation du temps de travail qui permet de faire disparaître des heures supplémentaires et de ne pas les payer.

La CFDT est pour la reconnaissance des compétences, qui améliorerait le parcours professionnel de bien des salariés sans passer forcément par des diplômes ou des concours. Nous avons réussi à obtenir la validation des acquis de l'expérience mais cela passe, là encore, par un diplôme. Inspirons-nous de ce qui se passe ailleurs en Europe.

Mme Nathalie Depoire. - Avec le sentiment d'abandon que ressentent les soignants, cela fait du bien de percevoir de l'intérêt et une volonté de changement dans vos questions.

Revenir sur les 35 heures ? Cela ne me semble pas à l'ordre du jour. Aujourd'hui, l'hôpital, totalement déstructuré, est obligé de rappeler des agents pendant leurs congés sans respecter les règles. On nous rappelle mais nous ne récupérons jamais. Dans le meilleur des cas, c'est payé en heures supplémentaires. Des soignants en arrivent à avoir 300 heures au compteur à la fin de l'année. Au bout d'un moment, c'est l'épuisement. Pour des raisons évidentes de difficultés financières, il y aura toujours des volontaires. Mais il faut y mettre un terme, si nous ne voulons pas voir encore plus de personnes absentes pour cause de maladie... L'équilibre entre la vie professionnelle et vie familiale n'est pas pris en compte.

Quelles seraient nos propositions ? Rechercher l'adéquation des effectifs aux besoins réels et non pas, comme aujourd'hui, au nombre de lits. Il faut prendre en compte les soins. L'encadrement des étudiants fait aujourd'hui partie des missions mais n'est pas pris en compte financièrement. Si nous devons remplacer une collègue malade, nous ne pouvons plus l'assurer. Le résultat, c'est que nous perdons ce compagnonnage si important, comme le lien avec les centres de formation. Les étudiants sont hypersollicités, par exemple pour remplacer un aide-soignant malade, et insuffisamment accompagnés. C'est ce qui explique le taux d'abandon très élevé, comme celui des infirmiers qui quittent la profession après deux ans d'exercice.

Le management est important : le cadre est le moteur de l'équipe. Dans chaque formation des professionnels de santé, des modules sur la qualité de vie au travail et les risques psychosociaux devraient être ajoutés - c'est bien. Mais demeure une question de fond : le management est-il seulement une gestion des effectifs ou veut-on un cadre très présent qui supervise aussi la qualité des soins ? Nous tenons à une formation complète, au niveau master. Nous avons aussi des attentes sur la reconnaissance des compétences : aujourd'hui, une formation ou un diplôme universitaire ne sont pas reconnus.

Il faudrait revenir à une formation spécialisée en psychiatrie : la formation polyvalente depuis 1992 ne convient pas. Les infirmiers généralistes, au niveau licence, pourraient se spécialiser en psychiatrie au niveau master.

Nous sommes favorables à l'exercice en pratique avancée. Il est essentiel de reconnaître une autonomie infirmière et un droit de prescription... Mais on pourrait parler de cela pendant des heures.

Il ne suffit pas de convoquer les syndicats pour faire du dialogue social. Il arrive qu'un projet fasse l'unanimité des syndicats contre lui. La loi prévoit, dans ce cas, qu'il faille revoir la copie ; mais il n'en est rien, on nous présente le même texte ! On peut parler d'esprit contestataire. Mais cela ne devrait plus arriver.

La mutualisation des moyens médicaux au sein des GHT n'est pas une sinécure. Courir d'un établissement à l'autre, assumer de plus en plus de charges médicales, tout cela engendre une fatigue importante qui joue sur la santé et les relations dans les équipes courant après le médecin pour obtenir prescription...

Passer à l'ambulatoire nécessite une formation : lorsqu'un patient est pris en charge sur une seule journée, on ne peut pas imaginer qu'il reparte avec ses questions et sans éducation aux soins ! Autre point, souvent oublié : l'ambulatoire aspire les patients les plus autonomes qui ne sont plus, dès lors, en hospitalisation traditionnelle où se concentrent les plus dépendants. Or, au lieu de renforcer les effectifs, on les diminue. Cherchez l'erreur !

M. Thierry Amouroux. - Nous souhaitons un moratoire sur les plans de retour à l'équilibre. Les fermetures de lits ont concerné pas moins de 12 % de la capacité française ! Nous sommes la cinquième puissance mondiale. Une épidémie de grippe survient et la ministre annonce que les opérations non urgentes seront suspendues. La même semaine, elle annonce la fermeture de 16 000 lits de plus cette année !

Il faut faire le lien entre une stratégie macroéconomique et la situation sur le terrain. Oui, nous sommes des professionnels et nous faisons au mieux pour soigner les patients. Mais enfin, nous lisons les études internationales : selon des études publiées dans le British medical journal ou dans le Lancet : sur 19 millions d'hospitalisations en Angleterre, la mortalité augmente de 7 % pour chaque patient supplémentaire dans un service ; une autre étude établit que chaque remplacement d'infirmière augmente le taux de décès de 21 %.

Autrefois, lorsqu'une personne âgée avait besoin d'être requinquée à l'hôpital, on la prenait une semaine à l'hôpital local et elle pouvait revenir chez elle. Maintenant, l'établissement le plus proche est à 50 kilomètres. Ses proches, ses amis, son conjoint ne peuvent pas venir la voir. La personne âgée déprime, reste dans le circuit et passe en long séjour.

Il y a des économies qui tuent des patients. La mortalité a augmenté de 7 % récemment - c'est la première fois depuis l'après-guerre qu'on a de tels chiffres. D'après l'Insee, l'espérance de vie a baissé d'un trimestre pour les hommes et de 4 mois pour les femmes ; ce n'est pas normal !

Il y a des endroits - Australie, Californie - où l'on a augmenté le ratio entre soignants et patients, et pas pour des raisons sociales. Plus de soignants auprès des patients, cela coûte plus cher au départ mais à la fin, on y gagne, avec la diminution des durées de séjour, du turn-over, de la morbidité et des réadmissions. C'est vrai que cela demande quelques années - plus que les cinq ans d'une mandature. Ce n'est pas dans le court terme que veulent les politiques, mais c'est dans un moyen terme assez rapide, puisqu'on observe aujourd'hui les retombées d'une mise en place en 2004-2005.

Nous réclamons une reconnaissance de la pénibilité de la profession. L'espérance de vie d'une infirmière, c'est 78 ans, contre 85 ans pour toutes les Françaises, selon la CNRACL. Le taux d'invalidité, à l'âge de partir à la retraite, est de 30 %, au lieu de 20 %.

Il faut reconnaître à nouveau la pénibilité de notre travail. La réforme des retraites de François Fillon en 2003 avait établi une bonification d'un an tous les 10 ans, qui a été ensuite supprimée par Roselyne Bachelot lors du passage en catégorie A : puisque nous étions mieux payés, notre travail n'était plus pénible... Nous ne vous demandons pas de rétablir des droits datant de l'époque des machines à vapeur pour les conducteurs de TGV, mais bien une mesure de 2003.

Autre revendication, la concordance des temps. Il faut synchroniser les organisations médicales et paramédicales ; cela engendrerait de vrais gains.

La T2A est sans doute adaptée à la chirurgie mais pas aux soins chroniques et à la gérontologie - soit la plus grande part des soins. Il y a plein d'hôpitaux où l'activité augmente, mais à qui on demande de rendre des postes, car il faut bien répartir les diminutions globales qui ont été décidées. Cela n'a pas de sens !

Il faudrait établir une seconde partie de carrière pour les soignants : un jour par semaine, l'infirmier senior serait sorti de l'effectif pour des tâches de tutorat des nouveaux professionnels, des infirmières de suppléance qui arrivent et des étudiants. Il y a aujourd'hui un turn-over si important que cela occasionne des problèmes de transmission des connaissances. Parfois, la plus ancienne infirmière d'un service a deux ans de diplôme ! Ce jour-là, l'infirmier senior pourrait aussi se consacrer à l'accompagnement des patients et des cas complexes.

Il faut revoir le rôle du cadre de proximité ; il doit être avant tout un animateur d'équipe. Le turn-over est de 20 % par an à l'AP-HP ; 30 % des nouvelles diplômées quittent leur métier dans les cinq ans. C'est un véritable gâchis ! Mais, se sentant incapables de tenir 42 ans à ce rythme, elles préfèrent repartir en formation pour devenir assistantes sociales ou professeurs des écoles.

Les budgets de formation existent mais ils sont monopolisés par les formations éloignées du coeur de métier, comme pour l'utilisation d'un nouveau système informatique. Il arrive de surcroît de plus en plus que l'on se voie accorder une formation mais qu'elle soit annulée, faute d'effectifs disponibles suffisants.

Nous réclamons enfin le statut d'infirmière de pratique avancée, au niveau master, qui existe déjà dans 24 pays depuis les années 1960. On en compte 330 000 au total dans le monde. Ces infirmières pourraient prendre en charge les consultations de routine pour les maladies chroniques, ce qui libère du temps médical. Cela représenterait un gain pour l'assurance maladie et une possibilité de progression pour les infirmières. Ce statut resterait minoritaire : cinquante ans après sa création, elles ne représentent que 5 % des effectifs aux États-Unis, soit autant que les infirmières de bloc opératoire, les infirmières anesthésistes ou en puériculture.

- Présidence de M. Gilbert Barbier, vice-président -

M. Christian Cumin. - Vous avez mis en avant la contradiction entre la satisfaction des patients de l'hôpital public et les conditions déplorables dans lesquelles il vit. C'est que nous faisons tout pour soulager les maux des patients mais le hic, c'est que personne ne s'occupe de nous. La France a le meilleur personnel soignant en Europe, voire dans le monde. J'habite épisodiquement dans l'Ain ; les professions de santé sont pillées par la Suisse qui est très demandeuse de nos qualifications d'infirmières et d'aides-soignantes. Celle qui part double son salaire : c'est vite vu ! On nous prend aussi nos secrétaires médicales. C'est un peu dommage lorsqu'on pense à l'argent qu'on met dans la formation.

Le nerf de la guerre, ce sont les budgets hospitaliers. Si les soignants ne sont pas payés à hauteur de ce qu'ils méritent - parce qu'il faut être blindé pour faire ce métier-là -, ils iront tous voir ailleurs. Les cliniques privées en France nous prennent, elles aussi, de plus en plus de personnel ! Une des solutions serait de réduire la charge de travail à l'hôpital, ce qui n'est pas facile car il est ouvert à tous. Aujourd'hui les urgences sont embolisées. Il n'est pas normal de soigner des patients pour la grippe dans des services d'urgence. Mais certains n'ont pas les moyens de se soigner, ni d'aller chez un généraliste. C'est pourquoi nous étions favorables au tiers payant.

Il faut redéfinir qui fait quoi dans les territoires de santé. Multiplier les maisons médicales pour libérer les services d'urgence. Il faudrait remettre en place des réunions de service qui ont eu tendance à être oubliées. Infirmier devenu cadre de santé, je vois les avantages que cela représente des deux côtés. Il faut redonner la parole aux soignants, reconnaître les compétences et les diplômes de chacun ; ainsi les orthophonistes, dont le diplôme est de niveau master, ont une rémunération de niveau licence. Il faut des revalorisations salariales, redéfinir et augmenter les quotas de personnel. La pénurie de médecins et de psychologues du travail à l'hôpital pose d'énormes problèmes. La T2A doit être adaptée en fonction des activités des hôpitaux. Dans les services de médecine, dans les EHPAD ou en soins de suite, elle n'a pas de sens. Il faudrait revenir à un système plus simple d'enveloppe globale, en parallèle.

Mme Patricia Schillinger. - J'ai travaillé vingt ans en Suisse, étant frontalière de la Suisse alémanique. On ne double pas le salaire en pouvoir d'achat, c'est le change qui avantage les frontaliers ; les salaires sont plus élevés en Suisse, mais le coût de la vie, et notamment les loyers, l'est également.

M. Christian Cumin. - Mais les frontaliers n'habitent pas en Suisse !

Mme Patricia Schillinger. - Certes, mais les contrats de travail sont aussi différents : il n'y a que quatre semaines de vacances et il faut 43 annuités pour la retraite. Il est vrai aussi que les relations avec les médecins sont différentes. À Genève, les recrutements de frontaliers se font bien. C'est moins le cas dans la région de Bâle à cause de la langue.

Mme Nathalie Depoire. - Nous avons parlé des violences que nous subissons de la part des patients, mais il faut en effet aussi parler de celles qui existent entre soignants, ou entre médecins et soignants. Ce que vit l'hôpital public est tellement fort que dans des situations d'épuisement, d'énervement, naissent des conflits qui peuvent être violents.

M. Gilbert Barbier, président. - Nous vous remercions.

Projet de loi ratifiant l'ordonnance n° 2016-1519 du 10 novembre 2016 portant création au sein du service public de l'emploi de l'établissement public chargé de la formation professionnelle des adultes - Examen du rapport et du texte de la commission

M. Michel Forissier, rapporteur. - Le texte que nous examinons aujourd'hui marque l'aboutissement d'un processus enclenché formellement par la loi « Rebsamen » du 17 août 2015, mais dont il faut chercher les origines à la fin des années 2000 : la transformation de l'association nationale pour la formation professionnelle des adultes (Afpa) en établissement public à caractère industriel et commercial (Epic) afin de lui donner des fondations solides et de pérenniser ses missions de service public.

Le législateur avait habilité le Gouvernement, à l'article 39 de cette loi, à procéder à la création de cet Epic par ordonnance. Celle-ci a été prise le 10 novembre 2016 et il nous appartient de nous prononcer sur sa ratification. La complexité de cette tâche avait sans doute été sous-estimée et l'élaboration de ce texte a buté sur des questions juridiques d'une grande complexité, au regard notamment du droit communautaire de la concurrence. Elles ont été résolues de manière satisfaisante.

Le savant équilibre atteint est toutefois fragile. Il ne satisfait ni les tenants d'une banalisation de l'Afpa en tant que simple organisme de formation parmi les dizaines de milliers d'autres que compte notre pays ni ceux qui souhaitent un retour au quasi-monopole dont a longtemps bénéficié cette association, sous l'égide de l'État, en matière de formation des demandeurs d'emploi. Face à ces deux points de vue inconciliables, l'essentiel est de préserver la place de cet opérateur au sein du service public de l'emploi tout en évitant des distorsions de concurrence à son avantage.

Quelles sont les justifications du changement de statut de l'Afpa ? Créée au lendemain de la Libération, à une époque où il fallait améliorer la qualification de la main-d'oeuvre pour faire face au défi urgent de la reconstruction, cette association régie par la loi de 1901 est devenue, avec l'avènement de la formation professionnelle tout au long de la vie, un acteur majeur de ce champ, présent sur tout le territoire. À la fin des années 1990, elle était même l'association la plus subventionnée de France, bénéficiant d'un budget supérieur à celui du ministère de l'environnement.

Un tel niveau de dépenses publiques n'était toutefois pas injustifié : l'Afpa était alors chargée de la formation de la très grande majorité des demandeurs d'emploi, dont le financement était à l'époque directement assuré par l'État, hors de tout cadre concurrentiel. En lien avec l'ANPE, l'Afpa assurait également l'orientation des demandeurs d'emploi, évaluant leurs besoins de formation.

Les évolutions du cadre juridique de la formation professionnelle, et en particulier sa décentralisation, ont eu raison de cette organisation. Le transfert aux régions des financements consacrés par l'État aux formations assurées par l'Afpa par la loi du 13 août 2004, effectif au 1er janvier 2009, a bouleversé l'activité de l'association. À une subvention d'État se sont substitués des appels d'offres régionaux soumis au code des marchés publics et ouverts à l'ensemble des organismes de formation. Du fait de ses charges de structure très importantes, liées à son implantation territoriale, mais aussi aux prestations annexes - hébergement ou restauration - qu'elle offre, l'Afpa s'est révélée très peu compétitive face à ses concurrents.

De plus, ce changement aurait dû entraîner une véritable révolution culturelle et organisationnelle au sein de l'association qui, en raison de résistances internes et d'un pilotage stratégique défaillant, n'a jamais abouti. Dans le même temps, le Conseil de la concurrence a confirmé en 2008 le caractère concurrentiel de la majorité des activités de formation professionnelle et a estimé que l'organisation de l'Afpa n'était pas conforme aux règles communautaires en la matière, entraînant le transfert de plus de 900 psychologues du travail vers Pôle emploi.

En conséquence, entre 2007 et 2012, le nombre de demandeurs d'emploi formés par l'Afpa a diminué de 25 %, de 119 000 à 89 000, et son chiffre d'affaires de près de 20 %, passant d'un milliard à 800 millions d'euros, pour trois raisons principales, identifiées par la Cour des comptes dans un rapport qu'elle a réalisé en 2013 à la demande de notre commission : la diminution des subventions d'État, la réduction des achats de formation par Pôle emploi et la baisse du chiffre d'affaires régional.

Cette situation a abouti en 2012 à une profonde crise financière qui a vu l'Afpa, avec une perte d'exploitation de près de 90 millions d'euros, frôler la cessation de paiement. La nouvelle direction, nommée par le Gouvernement, a alors élaboré un plan de refondation ambitieux visant à ramener l'activité à l'équilibre, en développant notamment l'offre de formation à destination des salariés, en s'adaptant davantage pour répondre aux appels d'offres régionaux et en réduisant les charges internes. L'État y avait apporté son soutien en souscrivant à des obligations associatives émises par l'Afpa, pour un montant total de 200 millions d'euros, afin de renforcer ses fonds propres.

Dès 2013, la Cour des comptes avait signalé que les perspectives d'exécution du plan de refondation étaient inférieures aux objectifs affichés, trop optimistes. Le retour à l'équilibre, initialement envisagé pour 2015, n'a jamais eu lieu et les pertes financières se sont même aggravées, atteignant 152 millions d'euros cette même année. La question du patrimoine immobilier mis à la disposition de l'association n'était toujours pas réglée. Il s'est donc avéré nécessaire de réfléchir à une transformation plus profonde de l'Afpa et notamment à une modification de son statut associatif. Cet héritage historique de l'après-guerre n'est pas adapté à un opérateur national du service public qui demeure, malgré ses difficultés, le principal acteur du champ de la formation professionnelle continue.

Conformément aux dispositions de l'ordonnance du 10 novembre 2016, la dissolution de l'association a été prononcée fin 2016 afin de permettre le 1er janvier dernier sa transformation en un Epic, dénommé Agence nationale pour la formation professionnelle des adultes.

À la suite des observations de la Commission européenne et du Conseil d'État, qui ont effectué un travail approfondi sur le projet d'ordonnance, les missions de la nouvelle Agence peuvent être regroupées en trois blocs. Le premier bloc reprend les missions jusqu'alors remplies par l'association : la participation à la qualification des personnes les plus éloignées de l'emploi, l'élaboration des titres professionnels du ministère du travail - on en comptait 250 en 2016 - et la contribution à un égal accès à la formation professionnelle des femmes et des hommes sur l'ensemble du territoire.

Le deuxième bloc liste les nouvelles missions qui s'inscrivent dans le prolongement des premières. L'Agence devra ainsi expérimenter de nouveaux titres professionnels pour des métiers émergents, aider les autres ministères à élaborer leurs propres titres compte tenu de l'expertise largement reconnue à l'Afpa dans ce domaine, analyser les besoins en compétences dans les bassins d'emploi ou encore fournir un appui aux opérateurs du conseil en évolution professionnelle.

Le dernier bloc de missions concerne la formation des demandeurs d'emploi et des salariés. Afin d'éviter des subventions croisées et des entorses aux règles de la concurrence, l'ordonnance oblige l'Agence à créer deux filiales spécifiques et indépendantes pour assurer la formation de ces publics, qui représentent plus de 80 % de l'activité de l'Afpa. À ce dernier bloc se rattache également la contribution de l'Agence au développement des actions de formation en matière de développement durable et de transition écologique.

Toutes les missions relevant des deux premiers blocs sont qualifiées par l'ordonnance de missions de service public, l'Agence voyant ainsi son rôle conforté au sein du service public de l'emploi. À l'exception de son rôle en matière de certification qui relève d'un service d'intérêt général non économique, et reconnu par le droit européen, toutes ses missions sont assimilables à des services d'intérêt économique général (SIEG) et pourraient en théorie également être confiées à d'autres acteurs, même si cette probabilité demeure très faible.

Si la Commission européenne et la Cour de justice de l'Union européenne accordent une grande latitude aux autorités nationales pour définir un SIEG, sauf erreur manifeste d'appréciation de ces dernières, les compensations versées par une personne publique aux organismes qui sont chargés de ces missions, en contrepartie des sujétions qui leur sont imposées, sont strictement encadrées.

Toutefois, les compensations versées à un organisme mettant en oeuvre un SIEG concernant l'accès et la réinsertion sur le marché du travail, quels que soient leurs montants, ne sont pas soumises à l'obligation d'une notification préalable à la Commission européenne si elles remplissent les conditions fixées par sa décision du 20 décembre 2011, qui impose aux autorités nationales de définir très précisément le mandat de l'organisme chargé d'un SIEG, les critères pour calculer la compensation et les moyens d'éviter une surcompensation.

Le Gouvernement devra définir dans les mois qui viennent, et notamment dans le cadre du futur contrat d'objectifs et de performance conclu avec l'Agence, des critères précis, objectifs et publics pour calculer les compensations afférentes à chaque SIEG. Le choix des critères sera capital : si la dotation est trop faible, elle affaiblira l'Agence, mais si elle est trop élevée, elle sera assimilée à une surcompensation et la Commission européenne pourrait alors exiger le remboursement du surplus. Actuellement de l'ordre de 110 millions par an, la dotation de l'État devrait être d'un niveau équivalent l'an prochain puis baisser régulièrement les années suivantes.

En revanche, la Commission européenne a été très claire sur la formation des demandeurs d'emploi et des salariés : il ne s'agit pas d'un SIEG, mais d'une activité concurrentielle, qui ne saurait donc faire l'objet d'une aide publique. Elle considère que les établissements publics de l'État bénéficient par construction d'une garantie financière implicite et illimitée de ce dernier et s'est donc opposée à ce que cette activité de formation soit exercée directement par l'Agence. Elle a suggéré la création de filiales dédiées, estimant que la simple mise en place d'une comptabilité analytique était insuffisante, en raison de la perméabilité des crédits.

L'Afpa a créé fin 2016 deux filiales, qui auront le statut de sociétés par actions simplifiées unipersonnelles (SASU) et dont l'Epic sera l'unique actionnaire. Elles n'emploient actuellement aucun salarié et n'ont pas été dotées en capital : ce sont pour l'heure des coquilles vides. Toutefois, à partir de mars prochain, la filiale assurant la formation des demandeurs d'emploi devrait compter quatre cents salariés en charge uniquement des relations commerciales et juridiques, tandis que celle dédiée à la formation des salariés en regroupera deux cents. Dans les deux cas, ces salariés seront transférés par l'Epic aux filiales. En revanche les formateurs, qui peuvent travailler aussi bien avec des demandeurs d'emploi que des salariés, resteront au sein de l'Epic. Les filiales contractualiseront avec l'Agence pour disposer d'eux en fonction des marchés remportés.

La pérennité de ce montage complexe dépendra du climat social au sein de l'Epic et des critères de facturation retenus pour les mises à disposition du personnel et des locaux, qui devront respecter les règles de la concurrence, comme l'ont souligné avec raison les représentants de la Fédération de la formation professionnelle que j'ai rencontrés.

Pour garantir une concurrence libre et non faussée, l'ordonnance reconnaît aux autres organismes participant au service public régional de la formation professionnelle un droit d'utilisation des plateaux techniques de l'Agence, dans des conditions objectives, transparentes et non discriminatoires.

La gouvernance de l'Agence est par ailleurs rationalisée par rapport à l'association : le conseil d'orientation est supprimé et l'État devient le principal acteur du conseil d'administration, compte tenu du droit de vote double accordé à ses neuf représentants. Ce droit est également accordé aux quatre représentants élus des conseils régionaux, comme le réclamait l'Association des régions de France. La nouvelle directrice générale de l'Agence, Pascale d'Artois, devrait apporter à l'Agence un regard neuf : elle a notamment dirigé l'Organisme paritaire collecteur agréé (Opca) du travail temporaire.

La création de l'Epic règle définitivement l'imbroglio juridique qui entourait jusqu'à présent le statut des biens immobiliers mis à la disposition de l'Afpa par l'État. Depuis sa création, l'association occupait en effet des sites appartenant dans leur très grande majorité à l'État, sur la base de conventions d'occupation temporaire et dans des conditions financières extrêmement favorables, puisqu'elle devait seulement s'acquitter d'une redevance de 15 euros par an et par site. Une première tentative de céder les 181 biens concernés à l'époque directement à l'Afpa, à titre gratuit, a été prévue par l'article 54 de la loi du 24 novembre 2009. Saisi d'une question prioritaire de constitutionnalité par deux régions, le Conseil constitutionnel a censuré cette disposition en raison de l'absence de garantie du maintien de leur affectation aux missions de service public de l'association.

Diverses solutions ont ensuite été envisagées à la suite de nombreux rapports des inspections générales. La signature de baux emphytéotiques administratifs n'a au final concerné que deux sites. Ensuite, le transfert à titre gratuit aux régions, autorisé par la loi du 5 mars 2014, n'a été mis en oeuvre que dans une seule région - en Bourgogne-Franche-Comté, et pour deux sites seulement.

La création de l'Epic lève les difficultés liées au transfert à une personne privée de biens de l'État et à la censure du Conseil constitutionnel. Depuis cette date, France Domaine a cherché à augmenter le montant des redevances dues par l'Afpa. Celle-ci aurait refusé de les acquitter, entraînant, à l'expiration des conventions d'occupation temporaire antérieures, l'occupation sans titre de certains sites.

L'article 2 de l'ordonnance prévoit le transfert à l'Epic des biens mobiliers et immobiliers mis à la disposition de l'Afpa par l'État et nécessaires à l'exercice de ses missions de service public. Leur liste a été fixée par arrêté : 116 centres sont concernés, pour une valorisation de 403 millions d'euros. D'importants travaux de mise aux normes et de rénovation de ce patrimoine sont indispensables. Son entretien a été jusqu'à présent négligé, le propriétaire et l'occupant se renvoyant la responsabilité à ce sujet. L'Epic va par ailleurs conclure des conventions d'utilisation avec l'État pour 21 sites supplémentaires, qui vont rester la propriété de ce dernier.

Les modalités de cession des biens transférés à l'Epic sont encadrées par l'ordonnance. Afin que ceux-ci ne constituent pas une aide d'État, le produit de la cession d'un de ces biens ne pourra qu'être réinvesti pour garantir une implantation équilibrée de l'Agence sur le territoire et un égal accès à la formation professionnelle pour tous nos concitoyens. À défaut, il sera affecté au budget de l'État. La rationalisation de ses implantations immobilières n'en reste pas moins un impératif.

L'ensemble des droits et des obligations de l'association sont transférés à l'Agence en application de l'article 3 de l'ordonnance. Ainsi, l'Epic accueille tous les salariés qui travaillaient avant le 1er janvier 2017 dans l'association. En revanche, des négociations difficiles sur ses dettes fiscales et sociales sont toujours en cours pour savoir si elles seront rééchelonnées ou en partie apurées.

Cette ordonnance respecte le cadre de l'habilitation accordée par la loi du 17 août 2015 et elle ne méconnaît pas les règles européennes en matière d'aide d'État et de concurrence. La transformation de l'Afpa en Epic est un témoignage supplémentaire du soutien du Gouvernement à son opérateur historique. Elle est réalisée dans des conditions qui préservent l'utilité sociale de son activité, à laquelle ses salariés sont viscéralement attachés. L'ordonnance devrait lever les ambiguïtés, voire le flou, qui caractérisaient la gestion de l'association. Des personnes publiques délèguent trop souvent des missions de service public à des associations sans disposer des leviers suffisants pour assurer leur pilotage.

Cette transformation ne constitue toutefois qu'une condition nécessaire, mais non suffisante, pour assurer la pérennité de l'activité de formation de l'Agence. La nouvelle direction doit mettre en place très rapidement une stratégie de développement ambitieuse pour répondre aux besoins des entreprises et des régions et rassurer ainsi un personnel échaudé par des années d'incertitude et de tentatives avortées de réforme. Faute d'une telle stratégie, l'Epic et ses filiales continueront de perdre des parts de marché et de voir diminuer leur nombre de salariés, en dépit des actions nationales engagées ces dernières années en faveur de la formation des demandeurs d'emploi.

C'est pourquoi je vous propose aujourd'hui d'adopter sans modification le présent projet de loi de ratification de l'ordonnance du 10 novembre 2016.

Mme Nicole Bricq. - Je n'ai rien à redire. Vous avez bien fait de prendre le temps nécessaire pour nous présenter votre rapport ; la lecture de l'ordonnance est complexe. Vous avez parfaitement retracé l'historique compliqué de l'Afpa, qui a subi un double choc : la décentralisation de 2004 et l'ouverture à la concurrence de 2008. Fin 2011, l'association était au bord de la cessation de paiement. L'État n'a pas assumé son rôle de 2003 à 2011. Le nouveau gouvernement a recapitalisé l'Afpa petit à petit, mais des modifications de structure étaient nécessaires.

Vous avez fort bien décrit les différentes filiales et les missions de service public du nouvel établissement public. Il connaîtra une forte contrainte immobilière en raison de la cession par l'État d'un patrimoine qui n'est pas en très bon état, même si son implantation en région est un atout : il doit être au plus près des bassins d'emploi pour s'adapter aux mutations économiques et sociales de la formation professionnelle.

Nous récoltons le fruit de nos actes pour les missions de service public. Lors de l'examen du projet de loi « Rebsamen », mon groupe avait déposé un amendement pour que l'Afpa joue un rôle en faveur de la question de la mixité entre les femmes et les hommes. Nous avions réussi à trouver une majorité, et je suis heureuse que ce travail sénatorial transpartisan soit repris dans l'ordonnance.

Vous avez rappelé la dimension juridique de l'ordonnance ; c'est une condition nécessaire, mais pas suffisante. La France dépense beaucoup d'argent - 34 milliards d'euros par an - pour la formation professionnelle, une somme qui bénéficie surtout à ceux qui sont déjà à l'intérieur de ce système très complexe car seul un chômeur sur cinq bénéficie d'une formation.

Ce n'est pas seulement une question de coût - voyez l'Autriche qui dépense trois fois plus que nous -, mais d'efficacité. Le Gouvernement pourra nous informer en séance publique sur la mise en oeuvre du plan de 500 000 formations supplémentaires pour les demandeurs d'emploi, dont la pérennisation intéresse les personnels de l'Afpa. La loi de finances pour 2017 prévoit une dotation de 500 millions d'euros pour financer ce plan.

Les régions, qui doivent déjà digérer les conséquences de la loi portant sur la nouvelle organisation territoriale de la République (NOTRe), fournissent peu de stagiaires. Le contingent des stagiaires de l'Afpa provient principalement de Pôle emploi. L'évolution à la baisse des demandes nécessite une reconfiguration de l'organisation de l'Epic et un aménagement des effectifs. Je comprends l'inquiétude du personnel de l'Afpa. Cette ordonnance règle les problèmes sur un plan juridique, mais comment l'Epic prendra-t-il sa place dans les mutations en cours ? Le plan de 500 000 formations longues doit être cohérent avec la loi Travail, qui prévoit un capital-formation qu'on garde toute sa vie à travers le compte personnel d'activité (CPA).

Ayons un vrai débat en séance publique sur la formation professionnelle, trop peu abordée dans le débat politique : c'est essentiel pour l'avenir de la France.

M. Philippe Mouiller. - Bravo, monsieur le rapporteur, pour votre travail sur ce sujet complexe. Nous sommes très inquiets de l'évolution financière de l'Afpa, en raison des observations de la Cour des comptes dans son rapport de 2013. Le patrimoine immobilier se trouve dans un très mauvais état. Le transfert est-il une bonne ou une mauvaise opération ? N'est-ce pas un cadeau empoisonné ?

Je m'étonne de l'absence de décision de l'État sur les dettes fiscale et sociale, qui laisse une épée de Damoclès de plusieurs dizaines de millions d'euros. Comment bâtir un plan de redressement sans disposer de tous les éléments pour estimer la situation financière de l'Epic ?

Qu'en est-il des contrats de partenariat noués avec les autres ministères, comme celui sur la reconversion des militaires de carrière ? Les inquiétudes sont fortes sur le terrain.

Le niveau des dépenses de personnel de l'Afpa est pointé du doigt par la Cour des comptes. Ce sujet a-t-il été évoqué lors de vos auditions ? Le problème juridique a été réglé mais il reste encore des choses à faire.

Mme Nicole Bricq. - Il y a eu des progrès !

M. Philippe Mouiller. - Oui, mais attention à la façon dont on obtient le chiffre d'affaires. Tout n'est pas calé dans le plan de redressement, notamment la maîtrise des charges.

M. Dominique Watrin. - Le groupe communiste républicain et citoyen s'est abstenu lors du vote de l'article de la loi Rebsamen habilitant le Gouvernement à légiférer par ordonnances sur l'Afpa et il adoptera la même position sur ce texte. Le rapporteur a mené un travail approfondi grâce à ses nombreuses auditions et il a clarifié des points juridiques complexes. Nous saluons les avancées de ce projet de loi qui contraste avec l'attentisme de la majorité précédente, qui a failli mettre en faillite l'Afpa : la dévolution du patrimoine immobilier est désormais sécurisée juridiquement ; les aides financières ont empêché la liquidation de la structure. L'Afpa est un opérateur historique aux atouts nombreux, qui fournit des services spécifiques sur l'ensemble du territoire national.

Mais sa pérennité est loin d'être assurée. Son modèle économique a été bousculé par la décentralisation de la commande publique, désormais dévolue à la région, et à l'ouverture à la concurrence du « marché » de la formation. Le projet de loi consacre une interprétation très restrictive des « publics éloignés de l'emploi ». Les chômeurs de longue durée continuent à relever du marché concurrentiel, alors que leurs besoins ne sont pas fondamentalement très différents de ceux des publics très éloignés de l'emploi. Ce périmètre trop étroit risque de compromettre le devenir de l'Afpa. L'Autorité de la concurrence et le Conseil d'État ont imposé une interprétation trop libérale des règles européennes de la concurrence. Notre groupe ne peut l'accepter, d'autant que de nombreux points ne sont pas réglés. Dans le cadre du plan 500 000 formations supplémentaires, l'Afpa n'a bénéficié que de 18 000 stagiaires, dont seulement un millier provenait des régions, le reste de Pôle emploi. Cela prouve le faible enthousiasme des régions.

Les problèmes financiers ne sont pas réglés : qu'en est-il des dizaines de millions d'euros de dette fiscale et sociale et des arriérés de loyer demandés par France Domaine ? L'ordonnance ne règle pas ces problèmes qui pèseront fortement sur l'avenir de l'Afpa. Des suppressions d'emplois ont été mises en oeuvre et d'autres devraient être annoncées.

Notre abstention devrait inciter le Gouvernement à poursuivre la négociation avec les représentants du personnel de l'Afpa, qui ont voté contre ce projet et posent des questions vitales restant toujours sans réponse.

Mme Catherine Procaccia. - En tant que rapporteur de la loi Rebsamen, je peux vous assurer que l'objet de ce texte est conforme à ce que nous avons voté il y a un an et demi, contrairement à ce qu'affirment certains courriels que nous avons reçus, et même si l'ordonnance est complexe. J'espère que celle-ci règlera les problèmes juridiques de l'Afpa.

Déjà en 2009, alors que je présidais la commission spéciale chargée d'examiner le projet de loi relatif à l'orientation et à la formation professionnelle tout au long de la vie, les problèmes immobiliers et de respect de la concurrence se posaient. Durant toutes ces années, l'Afpa et d'autres acteurs ont refusé de reconnaître les règles de concurrence européennes. J'espère que le statut d'Epic et les dispositions prises règleront définitivement ces questions.

M. Jean-Marc Gabouty. - Nous ne connaissons pas les chiffres les plus récents, même si l'on nous assure que la situation s'est améliorée. Mais la situation de toute entreprise peut s'améliorer lorsqu'elle ne paie pas ses charges fiscales et sociales ! On parle de rééchelonnement de la dette. Est-ce le nouvel organisme qui devrait la reprendre ou est-ce l'ancienne structure qui doit l'assumer avec l'aide de l'État ? Voyez ce gâchis : le statut associatif n'était manifestement plus viable. En 2012, malgré 83 000 demandeurs d'emploi formés, le déficit était considérable par personne formée - entre 10 % et 12 % -, qui pouvait être compensé par l'État. Le changement de statut ne règlera pas ce problème.

Cette transformation en Epic répond-elle aux impératifs d'un appareil de formation qui doit évoluer dans un monde concurrentiel ? Non. Nous retrouverons ce dossier de l'Afpa dans trois à quatre ans puisque son changement de statut, même s'il entraîne une nouvelle organisation interne, n'améliorera pas les choses. L'Afpa devra assumer ses charges immobilières et investir dans la plupart de ses bâtiments, qui sont excessivement vétustes. Dans le champ concurrentiel actuel, cette nouvelle structure est un gage d'échec.

La solution, c'est de décentraliser. Auparavant, on avait déconcentré au lieu de décentraliser. Nous avons décentralisé les politiques de l'emploi et du logement ; faisons-le pour la formation ! Nous devons avoir une organisation à dimension régionale, dirigée par les conseils régionaux, et des structures qui évoluent de manière adaptée à chaque région. Or, le fonctionnement actuel de l'Afpa est administratif, lourd et peu réactif. Les contrats d'objectifs sont négociés durant trois à six mois, alors que les concurrents privés sont organisés différemment. Je ne réclame pas la privatisation de l'Afpa, mais si on ne va pas vers plus de régionalisation tout en conservant le caractère public de l'Afpa, on restera jacobin et on renforcera la politique menée depuis dix ans...

M. Georges Labazée. - Merci, monsieur le rapporteur, pour la qualité de votre rapport. Longtemps conseiller régional, j'ai pu observer que la formation, partagée entre les compétences de l'État et celles des régions, est un éternel sujet de questionnement. Les débats sur la décentralisation lors de la loi NOTRe ont montré que chaque camp comptait des partisans. Tant que cette répartition des missions n'aura pas été tranchée au niveau législatif, l'Afpa restera dans une situation difficile. Le péché originel, c'est qu'elle devrait se calquer sur le calendrier des réformes successives des régions.

Mme Hermeline Malherbe. - Merci pour cet exposé, qui clarifie une ordonnance un peu confuse pour les non-spécialistes. Durant dix ans, le sujet de l'Afpa n'a pas réellement été traité par le Gouvernement dans les lois de 2004 et 2009. En 2011-2012, le Gouvernement s'est trouvé au pied du mur, ce qui l'a obligé à prendre le taureau par les cornes pour ne pas laisser mourir l'Afpa.

Mme Nicole Bricq. - Elle était condamnée...

Mme Hermeline Malherbe. - L'Afpa poursuit un certain nombre de missions spécifiques, qui ne sont pas remplie par d'autres organismes. Une solution, certes perfectible, a été trouvée aujourd'hui après quatre ans de réflexion.

L'ordonnance permet d'avancer a minima et d'avoir une solution d'avenir. Le dossier n'est pas clos et devra être retravaillé pour trouver des solutions juridiques et patrimoniales.

Dans les collectivités locales, nous avons l'habitude de récupérer le patrimoine non entretenu de l'État - comme les digues ou les barrages -. Les plateaux techniques de l'Afpa ont évolué en fonction des besoins : les mettre à disposition d'autres structures est intéressant. Accompagnons le plus possible le dispositif pour qu'il bénéficie aux salariés de l'Afpa et à la formation. Actuellement, ceux qui auraient le plus besoin de formation n'en bénéficient pas.

La formation doit bénéficier à ceux qui en ont le plus besoin au moment où ils en ont besoin. L'Afpa doit trouver des solutions spécifiques pour ces publics.

M. Jean-Marie Vanlerenberghe, rapporteur général. - Monsieur le rapporteur, ne craignez-vous pas que la mission de l'Agence portant sur l'évaluation des besoins en compétence dans les bassins d'emploi soit redondante avec celle du Centre d'études et de recherches sur les qualifications professionnelles (Cereq) ?

M. Jean Desessard. - Selon vous, quatre cents salariés seraient uniquement en charge des relations commerciales et juridiques. Pourquoi un tel nombre, alors que la formation est le coeur de métier de l'Afpa ?

M. Olivier Cadic. - A-t-on évoqué la possibilité de franchir une autre étape, à savoir de confier complètement au secteur privé la formation continue pour se dégager de cette situation ?

Mme Hermeline Malherbe. - L'Afpa était une association privée à but non lucratif.

M. Michel Forissier, rapporteur. - Je constate avec satisfaction que ce texte suscite beaucoup de questions de la part de nos collègues, alors que ce sujet est technique.

La partie concurrentielle des missions de l'Agence sera réalisée par des filiales, au statut de SASU, sans perméabilité possible avec elle. Les filiales ne sont pas à l'abri d'une faillite.

En outre, l'Agence ne recevra pas automatiquement des crédits de l'État : la garantie illimitée de l'État n'est pas automatique, Bercy n'ouvrira pas les vannes.

La dette sociale de l'Afpa - vis-à-vis de l'Urssaf et du fisc - atteint plus de 80 millions d'euros. Ce problème devra être traité au niveau interministériel et en respectant les procédures requises. Il peut y avoir un échelonnement, voire un apurement d'une partie de la dette par l'État, en partie responsable de la situation actuelle. Je pense qu'il y aura un partage du fardeau entre l'Agence et ses créanciers.

Les filiales ont besoin de beaucoup de personnels compétents pour répondre aux appels d'offres dont la technicité s'accroît sans cesse.

Si l'ensemble des sites est transféré à l'Afpa, leur entretien prévisionnel lui coûterait, selon certaines sources, entre 1,2 et 1,4 milliard d'euros. Ce cadeau empoisonné représente cependant une garantie capitalistique pour les banques.

Seule une région s'est portée volontaire pour devenir propriétaire de deux sites mis à la disposition de l'Afpa. Le discours de Régions de France diffère de celui tenu par les présidents de région. Certaines régions, plus pauvres ou en récession économique, sont incapables de financer la formation. C'est pourquoi le statut d'Epic relevant de l'État conféré à l'Agence est une sage solution.

C'est pour répondre aux règles de la concurrence qu'ont été créées les deux filiales. La nouvelle direction générale devra élaborer un nouveau modèle économique pour assurer la pérennité des filiales.

M. Jean-Marc Gabouty. - Avec cette organisation, c'est sûr qu'elles vont péricliter...

Mme Nicole Bricq. - Le pire n'est jamais certain. Donnons-leur une chance.

M. Olivier Cadic. - Nous allons la leur payer !

Mme Hermeline Malherbe. - Arrêtons de polémiquer...

M. Michel Forissier, rapporteur. - La solution choisie est la meilleure à court terme, même si elle ne garantit pas la pérennité de l'Agence et de ses filiales à long terme. Si la structure est bien gérée, elle perdurera. Notre pays compte une multitude de plateaux techniques dans des lycées professionnels, les maisons familiales rurales, les CFA, mais ils sont, pour la plupart, obsolètes et sous-utilisés.

Mme Hermeline Malherbe. - Certaines régions agissent.

M. Michel Forissier, rapporteur. - Il faut mutualiser les plateaux techniques, mais ce sujet dépasse le cadre de l'ordonnance.

L'Afpa a bénéficié des retombées du plan 500 000 formations. Après un premier trimestre en baisse puis une stabilité globale au premier trimestre, l'activité de l'Afpa s'est fortement accrue à partir de septembre 2016. Le nombre de stages pour les demandeurs d'emploi a progressé de manière très importante dans les centres de formation de l'Afpa, concomitamment à l'activité de formation des salariés. Beaucoup a été fait sur onze mois ; 28 % des entrées de stagiaires proviennent de la commande publique ; 83 577 chômeurs ont été formés en novembre 2016, contre 60 000 en novembre 2015. Nous attendons avec impatience les décisions de la nouvelle direction et du conseil d'administration.

Le Cereq a une approche générale sur l'évolution des compétences alors que l'Afpa travaille sur des opérations concrètes dans les territoires.

L'Agence doit donner plus d'autonomie à ses directions régionales qui doivent nouer des liens étroits avec les organisations professionnelles. Tout le monde doit travailler ensemble.

À la Libération, l'Afpa répondait à l'objectif de redressement de la France. Ces valeurs doivent perdurer, mais la France du XXIe siècle ne peut conserver la même organisation. Adaptons-nous ! Prévoir des formations d'avenir nous fera d'abord perdre beaucoup d'argent, car cela nécessite d'investir dans des machines onéreuses et de former des formateurs. Tout ne peut pas être traité par le secteur concurrentiel. Dans quelques années, la représentation nationale devra tirer un bilan de l'ordonnance et l'ajuster, le cas échéant.

Mme Nicole Bricq. - Pouvez-vous nous rappeler la place des régions dans le conseil d'administration de l'Agence ? S'agissant du devenir de ses sites, rappelons-nous que la question du patrimoine immobilier des universités, centrale lors de l'examen parlementaire de la loi sur l'autonomie des universités, n'est plus un problème aujourd'hui. Cet exemple devrait nous inspirer sur le dossier de l'Afpa pour avoir une vision d'avenir.

Il y a dix ans, lorsque la majorité d'alors avait pris ses marques, la première loi votée fut celle sur la réforme et l'autonomie des universités. On avait beaucoup débattu sur leur patrimoine immobilier : allaient-elles être capables de gérer ce transfert ? Dix ans après, la réforme n'a jamais été remise en question... J'ai une vision d'avenir. Rappelons-nous que la question du patrimoine immobilier des universités, centrale lors de l'examen parlementaire de la loi sur l'autonomie des universités, n'est pas un problème aujourd'hui. Cet exemple devrait nous inspirer sur le dossier de l'Afpa.

M. Michel Forissier, rapporteur. - Les représentants de l'État ont neuf voix comptant double, et ceux des régions, désignés par Régions de France, ont quatre voix comptant double également, soit un poids bien plus important que ce que prévoyait le projet d'ordonnance.

M. Olivier Cadic. - Je m'abstiens sur ce texte.

M. Jean Desessard. - De même pour moi.

Le projet de loi est adopté sans modification.

La réunion est close à 12 h 20.