Mardi 27 juin 2017

- Présidence de M. Jean Bizet, président -

La réunion est ouverte à 17 heures.

Institutions européennes - Audition de Mme Nathalie Loiseau, ministre auprès du ministre de l'Europe et des Affaires étrangères, chargée des Affaires européennes, sur les conclusions du Conseil européen des 22 et 23 juin 2017

M. Jean Bizet, président. - En votre nom à tous, je veux saluer Mme Nathalie Loiseau, ministre en charge des Affaires européennes. Nous vous félicitons pour votre nomination et vous souhaitons un plein succès dans vos nouvelles fonctions.

Je suis sûr que nous aurons avec vous un dialogue approfondi et régulier : c'est l'esprit dans lequel nous travaillons au Sénat. Les parlements nationaux doivent jouer tout leur rôle dans la construction européenne. Par ses travaux, le Sénat entend contribuer à la nécessaire relance du projet européen et à l'affirmation du rôle de la France.

Ma première question portera sur le Brexit. À la demande du président du Sénat, nous avions créé avec Jean-Pierre Raffarin un groupe de suivi, composé d'une vingtaine de membres de nos deux commissions, qui a formulé des recommandations en vue d'un sursaut européen dans un contexte difficile pour l'Union. Nous regrettons tous dans cette commission le résultat du référendum britannique que nous considérons comme un « non-sens géostratégique », pour reprendre une expression de Jean-Pierre Raffarin : à une époque où les États sont plutôt des États continents, il n'est pas pertinent de vouloir faire revivre le grand empire. Cependant, nous respectons la démocratie. Au Sénat, nous avons exprimé quelques convictions fortes et défini des lignes rouges : un échec des négociations du Brexit est possible ; nous devons préserver l'unité et la cohésion des 27 États membres ; les parlements nationaux, qui ratifieront le futur accord, devront être informés régulièrement et consultés ; un État ne peut prétendre obtenir plus d'avantages en étant en dehors de l'Union européenne qu'en dedans ; les quatre libertés sont indissociables. Comment se présente la négociation qui s'est ouverte le 19 juin ? Le Royaume-Uni a-t-il donné des assurances satisfaisantes sur la situation des ressortissants européens résidant sur son territoire ?

Mon interrogation suivante porte sur la sécurité intérieure et la lutte contre le terrorisme. Les dramatiques attentats de Londres rappellent une nouvelle fois la menace qui pèse sur nos pays. Ici, au Sénat, sans remettre en cause le rôle premier des États en matière de sécurité, nous avons plaidé à de nombreuses reprises pour une action européenne beaucoup plus résolue. Parmi les enjeux, je veux souligner celui de l'échange d'informations entre les services spécialisés et le contrôle des entrées et des sorties de l'espace Schengen. Nos collègues se sont penchés sur le sujet, Simon Sutour sur le fichier PNR ou André Reichardt sur Schengen. Nous avons aussi bien noté la récente initiative franco-britannique pour lutter contre la radicalisation sur Internet. Le Conseil européen a-t-il manifesté sa détermination sur ces enjeux cruciaux pour la sécurité de nos concitoyens ?

L'Union européenne demeure confrontée à la crise des migrants. Nous voulons une réponse humaine, conforme aux valeurs de l'Union mais qui soit aussi réaliste. On met de plus en plus l'accent sur l'immigration illégale et les conclusions du sommet de La Valette n'ont jamais été autant d'actualité. Il nous faut également réformer le système européen du droit d'asile pour parvenir à un bon équilibre entre responsabilité et solidarité. Quels enseignements peut-on tirer des discussions au Conseil européen sur cette question ?

L'approfondissement du marché unique est un autre enjeu majeur, car son fonctionnement est loin d'être optimal : les échanges entre les 52 États américains sont trois fois plus importants que ceux entre les 27 États membres. La feuille de route européenne reste à écrire sur le numérique. La coopération franco-allemande doit jouer tout son rôle.

Je veux aussi appeler votre attention sur le défi de l'intelligence artificielle. J'ai rencontré à ce sujet M. Charles-Edouard Bouée, directeur du think tank Roland Berger. La feuille de route est encore blanche. L'intelligence artificielle est au coeur de beaucoup de politiques stratégiques de l'Union : cyber-sécurité pour lutter contre le terrorisme, digitalisation et mutation de nos économies. J'en appelle à l'expertise de nos collègues André Gattolin et Colette Mélot : cessons de courir après les Gafa, car la course est perdue face aux États-Unis et à l'Asie qui se partagent leur capitalisation boursière à hauteur de 98 % pour l'un, de 2 % pour l'autre. En matière d'intelligence artificielle, nous ne sommes pas encore en retard, mais c'est une question de mois. Le Président de la République a un intérêt particulier pour ces sujets. Peut-être pourriez-vous lui faire part de nos préoccupations ? Et pourquoi ne pas profiter des compétences de l'un des nouveaux députés, Cédric Villani ? Les déclinaisons du développement de l'intelligence artificielle sur les économies nationales et européenne seront majeures.

Nous sommes favorables au développement des échanges commerciaux avec le reste du monde par la conclusion d'accords dans ce sens. Mais nous voulons que ces accords soient équitables et bénéfiques pour tous. Notre collègue Philippe Bonnecarrère a travaillé sur l'extra-territorialité des lois américaines, notamment au sujet du Partenariat transatlantique de commerce et d'investissement (TTIP).

Nous souhaiterions aussi que vous nous en disiez plus sur le dossier concernant l'accord de Paris sur le climat.

L'Europe de la défense était au coeur du Conseil européen, avec la création d'un fonds spécifique, outil tout à fait pertinent pour financer tant la recherche et le développement que le matériel militaire.

Quelle appréciation peut-on porter sur les recommandations par pays dans le cadre du semestre européen, y compris sur la situation délicate de notre pays au regard de ses engagements européens ? La Cour des comptes publiera dans quelques jours un document confirmant les conclusions de la commission des finances du Sénat sur une impasse budgétaire chiffrée à 9 ou 10 milliards d'euros. Comment remédier, dans un esprit constructif, à cette insincérité du dernier budget ?

Enfin, lorsque nous nous étions rendus à Londres avec Jean-Pierre Raffarin, il était clair que les chambres de compensation devaient revenir en zone européenne. Je constate avec amertume que Bruxelles ne semble pas tenir cette position puisque, sous couvert d'un organisme de supervision, ces chambres de compensation pourraient finalement se maintenir à Londres. Mieux vaudrait revenir à ce que souhaitait la Banque centrale européenne et, indirectement, à la première analyse de la Cour de Justice de l'Union : ce genre de structure doit être implanté dans un pays de l'Union européenne en zone euro.

Mme Nathalie Loiseau, ministre chargée des Affaires européennes. - Je tenais d'abord à vous remercier pour votre accueil et pour l'organisation de ce débat sur les résultats du Conseil européen. Je me réjouis d'y participer moins d'une semaine après ma prise de fonction, d'autant qu'il s'agit pour moi de ma première intervention devant la représentation nationale. D'abord parce que ce débat permet au Sénat d'exercer sa mission de contrôle de la politique européenne du Gouvernement. Ces rencontres régulières, qui précèdent ou suivent le Conseil européen, participent au bon fonctionnement de notre démocratie et contribuent sans aucun doute à consolider nos positions dans les négociations à Bruxelles. J'y attache un prix tout particulier.

Mais ces débats seront surtout pour moi un moment privilégié d'échange avec vous sur les priorités que la France porte dans les négociations européennes.

Je sais pouvoir compter sur la grande qualité de votre expertise et sur votre engagement en faveur de la relance du projet européen. Je pense, par exemple, au récent rapport du groupe de suivi sur le retrait du Royaume-Uni et la refondation de l'Union européenne, écrit avec la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées. Vous pourrez compter sur mon engagement, sur mes convictions européennes et sur ma volonté de ne négliger aucun effort pour que la voix de la France pèse davantage dans l'Union.

Le 7 mai dernier, les Français ont élu un président profondément engagé en faveur du projet européen ; un président qui a eu le courage de défendre, tout au long de la campagne, une vision ambitieuse de l'Europe. La large victoire du président Macron, mais aussi le nombre très élevé de suffrages qui se sont portés sur des candidats eurosceptiques, ont montré à la fois l'adhésion profonde des Français à l'Union européenne, et la désaffection croissante du nombre de nos compatriotes par rapport à une construction européenne souvent perçue comme trop lointaine et trop technocratique. On pourrait résumer la situation actuelle à une formule : les Français aiment l'Europe mais craignent que l'Europe ne les aime pas.

L'ambition que porte le Gouvernement, c'est de travailler à une autre Europe et d'agir pour réconcilier les Français avec l'idée européenne. Nous pensons qu'un sursaut est possible car c'est dans le cadre européen, avec le poids de tout le continent, que nous pourrons mieux relever les grands défis qui s'imposent à nous : défi du terrorisme, du changement climatique, des migrations, de la croissance et de l'emploi.

Le Président de la République a marqué, tout le long du Conseil européen, la vision qui était la sienne : celle d'une Europe qui protège efficacement les Européens, leurs valeurs et leurs intérêts, quels que soient les domaines, de la sécurité au commerce. Cette Europe n'est pas pour autant une Europe défensive, au contraire. C'est une Europe qui ose assumer le leadership qui lui revient dans de nombreux domaines, de l'économie au climat. L'Europe a beaucoup de raisons d'être fière d'elle-même, et nous, Français, avons beaucoup de raisons d'être fiers de ce que l'Europe a permis d'obtenir, et d'abord d'un modèle de société unique au monde, celui qui concilie la démocratie, l'économie de marché et la justice sociale.

Le Président de la République était très attendu par les chefs d'État et de gouvernement et par les responsables des institutions, qui lui sont reconnaissants de son engagement pro-européen et qui s'interrogeaient sur sa détermination à aller de façon concrète vers une Europe qui protège. La question du détachement des travailleurs, en particulier, était dans tous les esprits même si elle n'était pas à l'ordre du jour. C'est à ce sujet que le Président de la République a consacré l'essentiel de sa rencontre avec les représentants du groupe de Visegrád (Hongrie, Pologne, République tchèque, Slovaquie). Cette discussion aura été très utile pour les convaincre que nous souhaitions travailler avec eux. Il ne s'agit pas d'opposer l'Est et l'Ouest de l'Europe mais de travailler à une convergence par le haut qui bénéficiera à tous. Cette approche a été entendue et comprise, même si elle n'a pas choisi la facilité de la complaisance.

En méthode, le Président de la République et la Chancelière ont marqué de façon très forte leur attachement au couple franco-allemand tout au long de ce conseil : nous avons passé des messages concertés au président Tusk et aux autres partenaires, et le Président et la Chancelière ont veillé à la cohérence de leurs interventions. L'organisation d'une conférence de presse commune, en fin de Conseil, a achevé de renforcer ce signal d'unité.

J'en viens maintenant aux débats du Conseil européen proprement dits. Le premier thème que le Conseil européen a abordé est celui de la sécurité et de la défense. La lutte contre le terrorisme est au coeur des préoccupations en Europe et au coeur de l'actualité après les récents attentats de Manchester et Londres. Les discussions en cours sur le paquet « frontières intelligentes » nous permettront de mieux contrôler nos frontières pour repérer les éventuels retours de combattants étrangers. Mais nous devons aller plus loin pour lutter contre l'utilisation d'Internet par les réseaux terroristes. Les retraits de contenus illicites en ligne, par exemple, se font dans des délais trop longs, même si des progrès ont été réalisés en travaillant avec les acteurs de l'Internet.

C'est la raison pour laquelle le Président de la République et Theresa May ont adopté, le 13 juin dernier, un plan qui demande le retrait immédiat des contenus incitant à la haine ou au terrorisme, avec un code de conduite renforcé. Les conclusions du Conseil européen constituent un progrès puisqu'elles demandent à la Commission d'examiner le recours éventuel à de nouvelles mesures législatives pour permettre la détection automatique et le retrait des contenus illicites, une législation qui serait donc applicable sur tout le territoire de l'Union.

Le Conseil européen a également invité la Commission à présenter une proposition législative sur l'interopérabilité des différentes bases de données, que vous avez à juste titre identifiée dans votre rapport de février dernier comme un enjeu majeur.

Enfin, le chiffrement constitue à l'heure actuelle un réel obstacle pour l'accès des enquêteurs aux communications. Le Conseil européen s'est penché sur cet enjeu, avec comme objectif que les services de lutte contre le terrorisme puissent disposer, dans le respect des libertés individuelles, des métadonnées de celles et ceux qui utilisent des messageries cryptées.

Les chefs d'État ou de gouvernement ont par ailleurs marqué une nouvelle étape significative dans le renforcement de la coopération européenne sur la sécurité extérieure et la défense. Le Conseil européen de décembre 2016 avait fixé des lignes communes, en particulier le principe d'autonomie stratégique de l'Union européenne. Le Conseil européen de la semaine dernière a permis d'avancer sur les outils dont nous avons besoin. Nous avons trouvé avec nos partenaires allemands un équilibre précis dans le texte sur deux grands sujets. Il s'agit d'abord du renforcement de nos efforts de recherche et de développement de capacités militaires en commun. Les conclusions marquent le soutien du Conseil européen au projet de fonds européen de défense, qui est une priorité de la France, au Programme de développement industriel en matière de défense européenne, qui mobilisera des outils financiers innovants, ou encore les encouragements du Conseil européen à ce que la Banque européenne d'investissement s'investisse plus dans le domaine de la défense. Je tiens à souligner le rôle très constructif de la Commission et de son président dans cette avancée substantielle.

Par ailleurs, les conclusions mentionnent aussi le projet de coopération structurée permanente. Comme nous le souhaitions, et dans l'esprit du traité, elles précisent que cette coopération structurée permanente devra être « ambitieuse » et rappellent que la première étape consiste à définir, dans les trois mois, des critères communs et à ce que les États qui le souhaitent prennent ensemble des engagements. Nous avons été attentifs à ce que les deux sujets, le fonds européen de défense et la coopération structurée permanente, avancent au même rythme.

Enfin, le Conseil européen a ouvert la voie à un financement par le mécanisme européen Athéna, et non plus majoritairement par les États membres concernés, du déploiement des Groupements tactiques de l'Union européenne.

Au total, il s'agit d'avancées majeures et inédites pour le développement en commun de capacités militaires et pour une interopérabilité accrue des forces armées.

Le deuxième thème à l'ordre du jour était l'emploi, la croissance et la compétitivité. Le travail engagé lors du Conseil européen de juin 2016 pour l'approfondissement du marché intérieur a d'ores et déjà porté ses fruits. C'est le cas sur le marché unique du numérique, avec la suppression des frais d'itinérance dont tous les Européens bénéficient depuis le 15 juin, ou encore de la portabilité des contenus. Plusieurs défis restent à relever, y compris dans le secteur du numérique, comme l'a souligné la Commission dans sa revue à mi-parcours du marché unique numérique, mais aussi s'agissant de l'union des marchés de capitaux, de l'union de l'énergie, ou encore de l'industrie.

C'est sur la réciprocité des échanges, des marchés publics et du traitement des investissements dans les secteurs sensibles, que la discussion a été la plus vive. L'Union est la première puissance commerciale au monde. Personne ne le remet en cause, pas plus que sa volonté de promouvoir un système commercial multilatéral ouvert et fondé sur des règles. Mais l'Union doit aussi défendre ses intérêts plus clairement et s'assurer que les conditions de concurrence internationale soient équitables. L'ouverture est souhaitable, mais à condition qu'elle soit réciproque et que les règles du jeu soient respectées. C'est pourquoi les conclusions appellent, à notre initiative, à accélérer la modernisation des instruments de défense commerciale et à mettre en oeuvre des mesures pour rendre notre défense commerciale plus réactive et efficace.

La question de la réciprocité se pose aussi sur les marchés publics : nos marchés publics ne peuvent rester totalement ouverts à des États tiers si ceux-ci n'ouvrent pas les leurs. Là aussi, le Conseil européen a donné une impulsion politique.

Enfin, nous devons mieux contrôler les investissements étrangers dans les secteurs stratégiques en Europe. Sur ce dernier point, nous aurions préféré des conclusions plus ambitieuses, mais le texte actuel pose le principe de la réciprocité et soutient l'idée que la Commission « analyse » ces investissements. C'est une première étape importante qui a été franchie.

Le Conseil européen a également discuté de la façon dont l'Union peut agir vis-à-vis de la question des migrations. Confrontée à l'été 2015 à une pression migratoire sans précédent, l'Union européenne a rapidement su apporter des réponses d'urgence. L'agence dédiée à la gestion des frontières, FRONTEX, a vu ses moyens tripler et s'est transformée en agence européenne des gardes-frontières et des garde-côtes ; un accord a été conclu avec la Turquie le 18 mars 2016 ; deux décisions de relocalisation et un programme de réinstallation ont été lancés. Toutes ces mesures ont permis une réduction importante des flux migratoires d'ensemble.

Ces mesures d'urgence ne règlent toutefois pas les problèmes de fond, et il nous faut encore avancer sur des réformes plus structurelles qui sont actuellement en cours de discussion. C'est le cas du contrôle des frontières extérieures de l'Union, qui doit être systématique, c'est-à-dire viser aussi les bénéficiaires de la libre-circulation, y compris les citoyens européens, pour être pleinement efficace. C'est aussi le cas de la réforme du régime européen d'asile, qui doit reposer sur un équilibre entre responsabilité et solidarité. Enfin, être efficace suppose une action renforcée vers les pays d'origine et de transit des migrants. Nous devons renforcer notre engagement en Libye, même si les conditions de sécurité limitent fortement nos possibilités d'action, et soutenir activement les pays voisins, la Tunisie et l'Égypte mais aussi le G5 Sahel et la force conjointe qu'ils constituent. C'est ce qu'a souligné le Conseil européen dans ses conclusions qui trouvent le bon équilibre entre engagement auprès des pays tiers et efforts accrus de politique de retour, avec la notion de « pays tiers sûr », dans le respect de la convention de Genève et du droit primaire de l'Union.

Le Conseil européen a aussi permis aux chefs d'État et de gouvernement d'aborder les grands sujets d'actualité internationale, et notamment la lutte contre le changement climatique. La décision de Donald Trump de désengager les États-Unis de l'Accord de Paris est une faute pour l'avenir de notre planète. Face à cette décision, le Conseil européen a réaffirmé, à notre initiative, le caractère non négociable de l'Accord de Paris et l'engagement de l'Union et de ses États membres à le mettre en oeuvre.

Le langage a été renforcé à la demande du Président de la République, malgré les tentatives de certains partenaires. Il appelle également au renforcement de la coopération avec les partenaires internationaux.

Par ailleurs, le Président et la Chancelière ont présenté conjointement l'état du processus de Minsk. Le président chypriote Anastasiades a évoqué pour sa part la reprise des négociations inter-chypriotes.

Enfin, sur la question du retrait du Royaume-Uni de l'Union européenne, les Vingt-Sept ont entendu Mme May qui leur a présenté les grandes lignes d'une première proposition sur les droits des citoyens. Cette proposition a été développée hier dans un rapport présenté au Parlement britannique que nous devrons examiner plus en détail. En tout état de cause, l'accord de retrait devra assurer la symétrie des droits garantis aux citoyens britanniques résidant dans l'un des 27 États membres et des droits des citoyens européens résidant au Royaume-Uni.

Après son départ, les Vingt-Sept ont fait le point sur le lancement de la négociation et ont souligné l'importance de respecter la séquence de négociation décidée par les Européens et acceptée par le Royaume-Uni. Celle-ci prévoit de se concentrer d'abord sur le droit des citoyens, sur les frontières et sur les modalités de calcul du règlement financier du départ du Royaume-Uni. C'est seulement dans un second temps, lorsque des progrès suffisants auront été constatés et normalement à l'automne, que les autres sujets seront ouverts et que le négociateur pourra commencer à évoquer l'avenir des relations entre l'Union européenne et le Royaume-Uni.

Les Vingt-Sept se sont très rapidement mis d'accord sur une procédure qui permet le transfert ordonné de l'Agence européenne du médicament et de l'Autorité bancaire européenne sur le continent. Vous le savez, les villes de Lille et de Paris sont candidates respectivement à l'accueil de chacune de ces agences. La procédure décidée par le Conseil européen permettra au Conseil Affaires générales de novembre 2017 de prendre une décision sur la base de critères objectifs évalués par la Commission, qui comprendront entre autres la continuité de l'activité de l'agence et l'accessibilité.

Tels sont les sujets qui ont été abordés lors de ce Conseil européen, qui aura permis de progresser sur les priorités définies par le Président de la République. C'est en avançant dans tous ces domaines par des mesures concrètes et efficaces que nous ferons de l'Europe une véritable puissance et que nous réconcilierons les citoyens avec le projet européen.

M. André Gattolin. - Je vous adresse mes félicitations pour votre nomination à ce poste qui reflète l'engagement européen du président Macron. Voilà longtemps que notre commission est attachée à un renforcement de la coopération entre la France et l'Allemagne. Nous commençons à en constater les effets. On me disait encore la semaine dernière, au Salon du Bourget, qu'une semaine après l'élection du Président, des projets de travaux communs en matière de recherche et d'armement avaient pu voir le jour alors que l'Allemagne les bloquait depuis longtemps. Cette dynamique retrouvée du couple franco-allemand est de bon augure.

Je suis plus modéré en ce qui concerne l'industrie du numérique. Nous devons pouvoir développer une industrie européenne du numérique. La Chancelière Merkel l'avait déjà annoncé il y a trois ans. Une commission était allée consulter les quatre ou cinq ministères allemands en charge du numérique sans rien obtenir de concret. Si l'intelligence artificielle est un domaine prometteur, la cyber-sécurité n'est pas moins importante. En dépendent notre défense économique mais aussi notre sécurité intérieure et extérieure. Il serait dangereux que l'Union européenne considère ces questions « en silo » sans tenir compte de leur transversalité. Nous nous sommes concentrés sur la cyber-sécurité pour faire face au risque terroriste. De même que nous disposons d'un espace commun, l'Union européenne, fonctionnant avec une monnaie unique, l'euro, nous sommes confrontés à un mélange de toutes les nouvelles criminalités dans un espace commun, le « darknet », disposant d'une monnaie commune, le bitcoin. La cyber attaque qui a eu lieu pas plus tard que cet après-midi en témoigne : plusieurs États, dont l'Ukraine, mais aussi de grandes entreprises françaises comme Saint-Gobain sont touchés.

Le nouveau secrétaire d'État en charge du numérique, M. Mounir Mahjoubi, m'a assuré que la cyber-sécurité était une priorité du Gouvernement. Ce type d'attaque pourrait être contenu si l'on incitait chaque internaute à mettre à jour les pages de sécurité qui le concernent. Les cyber attaques ont coûté 450 milliards d'euros, l'an dernier, à l'échelle mondiale. Une étude menée par le groupe de recherche Juniper chiffre leur coût à 2 100 milliards de dollars en 2019. Ces escroqueries alimentent des États voyous, voire des réseaux terroristes. Il est urgent que nous développions une vision beaucoup plus globale de la cyber-sécurité pour réduire le risque d'une déstabilisation complète de nos économies.

Mme Fabienne Keller. - Je tiens à vous féliciter pour votre nomination et à vous remercier pour l'honneur que vous nous faites de cette première intervention dans une assemblée parlementaire. Notre commission apprécie beaucoup la proximité d'échange qu'elle peut avoir avec le ministre des Affaires européennes.

Pourriez-vous nous préciser la manière dont la France pourrait encore approfondir sa relation avec l'Allemagne ? En tant que Strasbourgeoise comme vous, je souhaiterais dire combien nous sommes heureux d'accueillir samedi prochain, à Strasbourg, un événement européen et même mondial avec la cérémonie d'hommage à Helmut Kohl au Parlement européen.

M. Jean Bizet, président. - Je précise que notre commission se rend une fois par an à Strasbourg pour marquer la dimension européenne de cette ville.

Mme Fabienne Keller. - En matière de défense et de sécurité, nous allons fêter le quinzième anniversaire de l'Eurocorps, dont la création avait été rendue possible par l'engagement allemand. La Pologne a manifesté sa volonté de se retirer. Peut-être pourriez-vous prévoir une visite symbolique de l'Eurocorps lors d'un de vos déplacements à Strasbourg ?

Où en sont les négociations du Brexit après les élections législatives qui ont affaibli Mme May ? La voie choisie par l'Union européenne qui consiste à commencer par fixer le coût n'est pas la plus facile.

M. Jean Bizet, président. - Je donne la parole à M. Bonnecarrère qui a beaucoup travaillé sur l'extraterritorialité des lois américaines, sujet indissociable des relations commerciales internationales. Il avait d'ailleurs été repris dans le rapport d'Édouard Balladur sur le TTIP.

M. Philippe Bonnecarrère. - Je vous souhaite beaucoup de succès dans votre nouvelle fonction. J'ai été heureux de vous entendre rappeler que la qualité du dialogue parlementaire et gouvernemental contribuait à notre efficacité à Bruxelles. Je remercie le président Bizet d'avoir introduit le sujet de l'extraterritorialité et des accords commerciaux. Ces questions, très vastes, risquent cependant de nous éloigner des conclusions du Conseil européen.

Pourriez-vous nous expliquer ce que seront les missions et les moyens du Fonds européen de défense ? Bénéficiera-t-il d'euros budgétés ou sera-t-il financé par des instruments financiers ? Quel rôle jouera la Banque européenne d'investissement ? Bref, quelle sera la nature financière de ce fonds ?

Notre commission a toujours été très soucieuse en matière de budget, consciente du décalage entre les attentes des populations vis-à-vis de l'Europe et l'extrême faiblesse des moyens mis à disposition à travers la contribution des pays. S'il faut envisager des redéploiements pour financer le Fonds européen de défense, à quel niveau se situeraient-ils ? Les mathématiques sont incontournables et le budget européen est consacré pour moitié à la PAC et pour près de 40 % au fonds de cohésion.

Mme Nathalie Loiseau, ministre. - L'Union européenne dispose de tous les atouts industriels et économiques pour tirer profit de la révolution numérique. Peut-être tardons-nous trop ou allons-nous trop lentement ? La Commission européenne a présenté, le 19 avril, un plan d'investissement de 500 millions d'euros consacré au développement d'un réseau paneuropéen de hubs digitaux et à la préparation d'un nuage européen. Cet effort vient en complément de la stratégie numérique de 2015 qui n'était sans doute pas assez tournée vers l'industrie.

L'Union européenne doit se positionner rapidement dans la compétition internationale et fixer ses propres normes. La Commission a annoncé en avril qu'elle travaillait à l'élaboration de normes communes dans le domaine de la 5G, de la cyber-sécurité et de la modernisation des services publics.

En tant qu'ancienne diplomate, j'ai été frappée de voir les mentalités évoluer aussi rapidement en matière de cyber-sécurité. Sans doute est-ce dû au fait que les attaques ont frappé des intérêts économiques, mais aussi politiques, comme lors des dernières campagnes électorales, aux États-Unis, mais aussi en France. Les décideurs ont beaucoup plus conscience du danger qu'auparavant. L'an dernier, lorsque j'ai introduit un module de formation à la cyber-sécurité dans le programme de l'ENA, on a cru à une lubie étrange de ma part. La question ne se pose plus, désormais.

L'Union européenne fonctionne effectivement « en silo ». Certains interlocuteurs sont plus ouverts que d'autres, comme Julian King que j'ai reçu hier. La pédagogie est essentielle, et elle doit faire oeuvre auprès des citoyens, car la cyber-sécurité dépend d'abord du comportement des utilisateurs d'Internet. Il ne s'agit pas d'empiler des couches législatives supplémentaires, mais de faciliter la compréhension des enjeux.

Si le développement de l'intelligence artificielle offre beaucoup d'opportunités, il a aussi des conséquences sociales. Les nouvelles technologies créent des emplois très qualifiés et détruisent des emplois peu qualifiés. La régulation n'est pas un gros mot en matière de numérique. Les Gafa se comportent déjà comme des acteurs étatiques. À nous de leur faire face au niveau européen. Plus largement, nous devons porter des valeurs européennes en matière de révolution numérique et faire entendre notre voix qui n'est pas forcément à l'unisson de celle de la Silicon Valley. La croyance en un transhumanisme idéal ne va pas de soi.

Le premier président de la Cours des comptes s'exprimera prochainement sur l'état des comptes publics. C'est à lui qu'il revient d'en faire l'analyse. Mon rôle est de rappeler l'importance des engagements que nous avons pris au niveau européen et celle de les tenir pour garantir la crédibilité de notre agenda au sein de l'Union européenne. Nous avons la chance de bénéficier d'un contexte exceptionnel où l'on nous écoute, mais où l'on attend aussi que nous tenions nos engagements. Le Président de la République ne dit pas autre chose : pour être crédibles, nous devons tenir nos engagements.

Fabienne Keller, je peux vous assurer de mon attachement à Strasbourg, capitale européenne. J'assisterai, samedi prochain, aux cérémonies à la mémoire d'Helmut Kohl. Toute l'Europe et le monde entier y seront. Je m'acquitterai volontiers d'une visite à l'Eurocorps. Je mesure pleinement l'engagement nuancé de nos partenaires polonais, et ce n'est pas le seul sujet sur lequel ils restent difficiles à convaincre : qu'il s'agisse des travailleurs détachés, de la lutte contre le dérèglement climatique ou des investissements stratégiques, il nous faut être fermes avec les Polonais et sans ambiguïté. Le Président de la République a commencé, il poursuivra son effort.

Quant à nos relations avec l'Allemagne, les images du Conseil européen parlent d'elles-mêmes. La proximité entre la Chancelière et le Président de la République n'était pas que devant les caméras. Un travail de concertation a été mené en marge du Conseil pour produire un agenda commun. Notre partenaire allemand n'a pas ménagé ses efforts pour examiner avec intérêt les positions françaises sur l'avenir de l'Union européenne, même lorsque les sujets étaient délicats. Nous devons continuer à travailler étroitement ensemble, en veillant à ne pas mettre les Allemands en difficulté, notamment pour leurs élections. Et nous devons apprendre à faire de notre côté des pas en avant pour comprendre les préoccupations allemandes.

Le prochain Conseil des ministres franco-allemand se tiendra le 13 juillet. Nous souhaitons que les mesures qui seront annoncées soient concrètes, que leurs résultats soient palpables, et qu'elles soient en ligne avec nos ambitions européennes. Nous aurons tout intérêt à travailler en commun sur l'harmonisation fiscale pour montrer à l'échelon européen qu'il s'agit d'un processus souhaitable, mais aussi réalisable. Nous installerons également, à cette occasion, le Conseil franco-allemand de l'intégration, concrétisant une initiative prise il y a quelques mois. Nos deux pays bénéficieront ainsi d'un échange de bonnes pratiques et d'une recherche de solutions communes en matière d'immigration.

Les avancées sur l'Europe de la défense sont une illustration très concrète de la force de l'impulsion franco-allemande. Sans cette impulsion, il ne se passerait pas grand-chose ; s'il n'y a que cette impulsion, nous risquons de froisser nos partenaires. Cela reste néanmoins un soulagement européen de voir le moteur franco-allemand redémarrer.

Nous soutenons la démarche de Michel Barnier consistant à séquencer la négociation du Brexit, en commençant par définir les conditions du retrait, avant de négocier les conditions de la future relation. Le fait que les Britanniques aient accepté cette démarche témoigne de leur affaiblissement. Les élections anticipées sont passées par là. Le séquençage est désormais acté par les Britanniques et assumé par les Vingt-Sept. Nous devons veiller à maintenir cette unité jusqu'au bout. Il faut aussi éviter de céder à la tentation britannique de parler d'abord et beaucoup de la situation des ressortissants européens résidant au Royaume-Uni ou bien des frontières, tout en restant silencieux sur les conditions financières du retrait. Les trois sujets doivent être traités en même temps.

Le système de communication avec le négociateur européen et son équipe est satisfaisant. Le mandat de négociation est transparent et Michel Barnier est venu rendre compte aux Vingt-Sept pendant le Conseil européen de la première séquence de négociation. Des points d'étape réguliers se tiennent avec les membres du Conseil européen. Nous veillerons à ce que la représentation nationale soit informée de l'évolution des négociations. Sera-t-il possible de tenir le calendrier de la négociation ? Je n'ai pas de boule de cristal. Les sujets à traiter sont extraordinairement complexes.

La communication de la Commission relative à un fonds européen de défense est une avancée qui mérite d'être saluée. La France a activement participé à l'élaboration de ce fonds avec l'ambition de donner à l'Union européenne les moyens de maîtriser les technologies de défense essentielles pour l'avenir et d'investir dans des domaines d'innovation stratégique. Le programme-pilote pour le développement conjoint de capacités militaires qui sera mis en place dès juillet 2019 devrait pouvoir bénéficier d'une mobilisation inédite du budget de l'Union. Le financement du fonds sera d'abord assuré par les contributions des États membres. Le Conseil européen a aussi sollicité la BEI pour qu'elle participe au financement du projet de défense européenne. C'est une approche nouvelle. La BEI, initialement réticente, s'affirme désormais favorable. Je vous donnerai davantage d'informations au fur et à mesure que cette avancée se concrétisera. Cela intéresse beaucoup nos industriels, comme j'ai pu le constater au Salon du Bourget.

M. Alain Vasselle. - Quelle position adoptera la France sur les perturbateurs endocriniens ? Vous concertez-vous avec Nicolas Hulot pour défendre une position française ? Si j'en crois les échanges que nous avons eus avec le cabinet de M. Hulot, ses positions sont en harmonie avec les conclusions de notre commission des affaires européennes.

La profession agricole m'a fait part de son inquiétude face à la récente interdiction d'utiliser des produits phytosanitaires sur les surfaces d'intérêt écologique (SIE) ainsi que sur les cultures intermédiaires pièges à nitrates (Cipan). Dans la mesure où les cultures protéagineuses entrent dans la classification des SIE, elles risquent de disparaître du territoire français, si l'on ne peut plus utiliser de produits phytosanitaires. La France deviendra dépendante des États-Unis et d'autres pays producteurs de soja. Il faudrait protester et ne pas laisser adopter au niveau européen des mesures contre productives qui mettraient en difficulté notre agriculture.

Mme Pascale Gruny. - Il n'y a pas que les grandes entreprises qui sont victimes de cyberattaques. Les PME sont également touchées et se protègent beaucoup moins bien. Elles auraient besoin d'un accompagnement de proximité. Il ne faudrait pas les négliger car le tissu des PME est très important pour notre économie.

Quelles sont les grandes orientations du Gouvernement en matière de politique agricole commune ? On nous dit que la date butoir de 2020 risque d'être repoussée à cause des perspectives financières difficiles et du Brexit. Nos agriculteurs sont inquiets. Ils ont besoin d'avoir un cap et d'être rassurés. C'est un sujet prioritaire pour les agriculteurs et la ruralité dont vous avez certainement entendu la détresse.

Mme Gisèle Jourda. - Bien avant le Brexit, nous avions obtenu, en juin 2016, avec mon collègue Pozzo di Borgo, que le Sénat vote une résolution pour activer les coopérations structurées permanentes dans la ligne de ce que permet le traité de Lisbonne.

Je m'étonne qu'en matière de défense, vous n'ayez pas mentionné l'articulation avec l'OTAN. Eu égard aux déclarations intempestives de M. Trump et à la politique menée par la Russie, il n'est pas possible que le risque d'alignement n'ait pas été discuté lors du Conseil européen. Les Vingt-Sept se retrouvent-ils sur un consensus mou ou y a-t-il un véritable alignement ? Que dire de l'approche de la Pologne ? Le couple franco-allemand défend-il une position commune ?

M. Alain Richard. - Quand on parle d'intervention de l'Union européenne, le terme « financer » suscite toujours en moi une petite inquiétude. Dans le dialecte des relations entre les pays membres et l'Union européenne, ce terme a deux sens différents. Ce que le fonds européen de défense financera, c'est du cash, autrement dit des crédits budgétaires d'intervention. En revanche, lorsque la BEI finance, c'est du prêt qu'il faut rembourser. Bien sûr, c'est une évolution positive que la BEI engage des investissements dans la défense. Cela signifie aussi qu'il y a un retour attendu.

Le contenu de l'accord qui aboutirait à la création de la coopération structurée permanente doit être préparé pour mars. Faut-il supposer que l'accord de ceux qui n'en font pas partie sera au programme du prochain Conseil européen ou basculera-t-il sur 2018 ? Le cadre de cette coopération structurée permanente impliquerait-il des engagements des partenaires en matière d'investissements dans leur défense ?

En ce qui concerne la révision de la directive sur les travailleurs détachés, il est de bonne méthode d'engager la discussion avec le groupe de Visegràd. Voyez-vous dès maintenant l'équilibre d'un potentiel accord, ou bien faut-il renforcer la mobilisation des pays qui partagent la position de la France ?

M. Daniel Raoul. - Je souhaite que nos échanges soient aussi fréquents qu'avec votre prédécesseur, car ils sont toujours très riches. En ce qui concerne la cyber-sécurité, la pédagogie est essentielle car le maillon faible se situe souvent entre la chaise et l'écran. Nos concitoyens peuvent être victimes d'une cyberattaque, avant qu'elle ne s'étende aux entreprises.

Je suis déçu par les conclusions sur la politique commerciale commune : le terme de « réciprocité » devrait être un des maîtres-mots dans nos négociations, au même titre que celui de « transparence ». On laisse à la Commission le soin d'analyser les situations « au cas par cas », ce qui n'est guère rassurant.

Enfin, comment avancer sur la directive des travailleurs détachés ? Rien n'a été débloqué, malgré les propositions maltaises.

M. René Danesi. - Le Fonds européen de défense est un premier pas dans une très longue marche où surgiront quatre obstacles au moins.

Mme Fabienne Keller. - Tout ce qui est en marche...

M. René Danesi. - L'échec de la CED a eu pour conséquence la constitution d'industries nationales puissantes, concurrentes et influentes. Je ne suis pas convaincu que ces industries jouent un rôle moteur dans une politique européenne de la défense. La Constitution de l'Allemagne interdit à toute force opérationnelle, quel que soit son périmètre, de quitter l'Allemagne sans une autorisation spécifique du Parlement.

M. André Gattolin. - C'est aussi le cas au Royaume-Uni.

M. René Danesi. - Ce n'est pas la même chose en France. Je me garderai bien de suggérer une révision de la Constitution allemande. Cependant, alors que la France creuse son déficit en partie par l'effort qu'elle fournit pour assurer la défense européenne, l'Allemagne ne peut se contenter de nous faire la leçon, et il serait souhaitable qu'elle nous aide financièrement. Les pays d'Europe centrale sont plus confiants dans l'OTAN que dans l'Union européenne pour assurer leur défense. Enfin, quel périmètre donner à l'Europe de la défense ? Faut-il en rester aux Vingt-Sept ou faut-il réduire le nombre des États concernés ? Je ne vois pas bien ce qu'un pays comme le Montenegro pourrait apporter. Sans compter le problème de l'Angleterre qui dispose de l'arme atomique. Voulons-nous coopérer avec elle ? On connaît la cordiale mésentente historique entre les marines française et anglaise : il n'est pas besoin de remonter jusqu'à Trafalgar.

Mme Nathalie Loiseau, ministre. - La Commission a publié une proposition de définition des perturbateurs endocriniens et la France a souhaité rehausser l'ambition de ce texte pour qu'il garantisse davantage la protection de la santé et de l'environnement. L'objectif est de couvrir les perturbateurs non seulement prouvés mais présumés, ou encore de définir le lien avec les conséquences négatives plausibles. Une réunion technique est prévue à ce sujet prochainement. Nous restons mobilisés. Sans vous en dire davantage, nous avons demandé une amélioration de la proposition qui irait dans le sens de nos préoccupations.

Aucune décision n'a été prise au sujet de l'interdiction des produits phytosanitaires sur les SIE. Le Parlement européen a voté l'interdiction en séance plénière contre l'avis de la commission de l'Agriculture. Je tiendrai compte de votre inquiétude. La France devra arrêter une position.

Les cyberattaques impactent non seulement les services publics et les grands groupes, mais aussi les PME. Vous avez parfaitement résumé ce qu'il convient de faire, à savoir renforcer la prise de conscience de nos concitoyens sur les risques encourus s'ils ne se protègent pas suffisamment.

La PAC n'était pas à l'ordre du jour du Conseil européen, mais elle est bien évidemment au centre des préoccupations du Gouvernement. La réforme de 2013 est toujours valide : politique plus équitable pour les exploitants, agriculture plus verte et plus simple, mise en place de filets de sécurité pour mieux gérer les crises. Il faut aller plus loin en développant des dispositifs qui encouragent la compétitivité des filières, l'agro-écologie et la bio-économie, en valorisant la sécurité alimentaire, l'ambition climatique et l'aménagement du territoire. Enfin, il faut se doter d'instruments plus efficaces pour faire face aux aléas, qu'ils soient sanitaires, climatiques ou économiques, réfléchir à un système de stabilisation des revenus destiné à couvrir les aléas économiques, en augmentant notamment l'épargne de précaution. Le débat s'engagera dans les mois qui viennent. La France a l'intention de peser de tout son poids pour défendre les intérêts de nos agriculteurs.

Même si nous sommes loin d'un accord sur les travailleurs détachés, nous avons tracé les lignes rouges : un régime limité dans le temps, de meilleurs contrôles contre les fraudes, le respect du principe « à travail égal, salaire égal », la pleine inclusion du secteur du transport routier dans la directive. Le Président de la République a demandé à l'ensemble de ses interlocuteurs, qu'il s'agisse du groupe de Visegràd, du président roumain ou de nos partenaires portugais ou espagnols, qu'on accélère les discussions d'experts pour fixer un point d'étape à la fin de l'été. Le maintien du statu quo est tout aussi inacceptable pour nos concitoyens que pour les travailleurs détachés. Personne n'est gagnant.

En matière de politique commerciale, la difficulté que nous avons à maintenir l'ambition de la réciprocité est réelle. Il n'y a pas d'unanimité dans l'Union européenne sur ces questions. Nous resterons vigilants. Le terme de « réciprocité » figure dans les conclusions du Conseil, notamment au sujet de l'accès aux marchés publics. Nos partenaires ne témoignent pas toujours du même engagement que le nôtre, et il nous faut rester vigilants.

Quant à l'Europe de la défense, nous n'avons pas oublié que notre partenariat avec la Grande-Bretagne est essentiel. Il a prospéré depuis quelques années sans passer par l'Europe de la défense. Même si les Britanniques restent les meilleurs ennemis de l'Europe de la défense, nous avons besoin de leur partenariat.

M. Alain Richard. - Eux aussi.

Mme Nathalie Loiseau, ministre. - Bien sûr. N'hésitons pas à être allants et ambitieux sur l'Europe de la défense, maintenant que l'obstacle anglais est levé.

Une partie de l'Union européenne ne penserait-elle qu'à l'OTAN ? Ne considérons pas ces sujets comme immuables : nous ne sommes pas forcément handicapés par une Allemagne limitée par sa Constitution et par des pays de l'Est qui ne penseraient qu'à l'OTAN. La coopération structurée permanente permet à l'Allemagne de faire évoluer ses positions, notamment en politique intérieure, d'augmenter ses dépenses de défense jusqu'à 2 % de son PIB. La coopération structurée permanente est un moyen d'avoir les Allemands à bord. Nous devons l'encourager avec lucidité, exigence et ambition. Le Conseil européen a fixé que les États membres devront établir, dans un délai de trois mois, une liste commune de critères et d'engagements contraignants. Nous commencerons par là. Notre volonté n'est pas d'exclure certains États, mais d'encourager un effort collectif important sur le long terme. Évitons que la coopération structurée permanente devienne un « machin » de plus qu'on n'utilisera pas davantage.

Échanger avec vous est un exercice particulièrement utile au moment où je prends mes fonctions. Je vous remercie d'y avoir consacré du temps et je vous assure de ma disponibilité pour le renouveler au même rythme que mon prédécesseur, et sur tous les sujets que vous souhaiterez.

M. Jean Bizet, président. - Nous vous remercions d'avoir pris le temps de répondre à chacun d'entre nous. Au Sénat, nous tenons à nous montrer constructifs et attentifs lorsqu'il s'agit de l'Union européenne. Nous ne souhaitons pas polémiquer, mais nous tenons à obtenir des résultats dans une période difficile. Bien entendu, il appartient à M. Didier Migaud d'apporter son éclairage sur l'impasse financière que nous avons mentionnée. L'important est que nous récupérions de la crédibilité auprès des institutions européennes et de nos partenaires. Nous bénéficions du regard positif de la Chancelière. Il pourrait s'assombrir si nous ne tenons pas nos engagements.

La réunion est close à 18h45.

Jeudi 29 juin 2017

- Présidence de M. Jean Bizet, président -

La réunion est ouverte à 9 h 05.

Justice et affaires intérieures - Coopération européenne en matière de renseignement : communication de Mme Joëlle Garriaud-Maylam

M. Jean Bizet, président. - L'ordre du jour appelle la communication de Mme Joëlle Garriaud-Maylam sur la coopération européenne en matière de renseignement.

Avec les tragiques attentats commis au Royaume-Uni, l'Europe a une nouvelle fois été durement frappée par le terrorisme islamique. Nous nous inclinons devant la mémoire des victimes, souvent très jeunes, et partageons la douleur de leurs familles. Les événements récents ont démontré que la menace demeurait très forte dans notre pays.

Cela pose à nouveau la question cruciale de la coopération policière européenne. Nous avons beaucoup travaillé sur cette question au sein de notre commission. Nous avons appelé à plusieurs reprises à un renforcement de la coopération européenne. Je veux saluer en particulier les travaux conduits par Michel Delebarre et Joëlle Garriaud-Maylam.

Face à la gravité de la menace terroriste, il est donc important de refaire un point sur l'état de la coopération policière européenne, singulièrement dans le domaine du renseignement. Michel Delebarre ne pouvant malheureusement pas être parmi nous ce matin, c'est Joëlle Garriaud-Maylam qui va nous présenter le fruit de leurs réflexions.

Mme Joëlle Garriaud-Maylam - Alors que la sécurité intérieure de l'Union européenne est durement mise à l'épreuve par de multiples attaques terroristes dont les attentats de Manchester et de Londres constituent les derniers épisodes en date, la coopération policière constitue un enjeu majeur.

Pour plus de détails, je vous renvoie à notre réunion du 1er décembre dernier, au cours de laquelle notre commission avait adopté une proposition de résolution européenne et un avis politique sur la réforme d'Europol et la coopération policière européenne que j'avais présentés avec notre collègue Michel Delebarre.

Le Conseil européen des 22 et 23 juin derniers porte des conclusions sur la sécurité intérieure et la lutte contre le terrorisme. Les chefs d'État ou de gouvernement ont ainsi réaffirmé leur détermination à coopérer au niveau de l'Union européenne en vue d'accroître la sécurité intérieure. Ils ont plus particulièrement pris des engagements pour faciliter des échanges rapides et ciblés d'informations entre les services répressifs, y compris avec des partenaires de confiance.

En vertu des dispositions du traité de Lisbonne relatives à la coopération policière, le renseignement demeure au coeur des compétences régaliennes des États. La sécurité nationale reste, aux termes des traités, de la seule responsabilité de chaque État membre.

Pour autant, le traité de Lisbonne a aussi posé les bases d'une coopération policière opérationnelle. Il prévoit ainsi la mise en place de mesures de coordination et de coopération entre autorités policières et judiciaires. La coopération policière peut notamment porter sur la collecte, l'échange et le traitement d'informations, la formation des personnels et les techniques communes d'enquête. Sur décision du Conseil européen statuant à l'unanimité, l'intervention des autorités de police ou de douanes d'un État membre sur le territoire d'un autre État membre est autorisée.

Le traité de Lisbonne a également officialisé le comité permanent de sécurité intérieure (COSI) chargé de renforcer la coopération opérationnelle et la coordination. Il donne une base juridique pour des mesures destinées à combattre le financement du terrorisme. Enfin, la clause de solidarité prévoit la possibilité pour l'Union européenne et ses États membres de porter assistance à un autre État membre victime d'une attaque terroriste.

Europol a pour mission d'appuyer et de renforcer l'action des autorités policières et des autres services répressifs des États membres ainsi que leur collaboration mutuelle dans la prévention, notamment du terrorisme, et la lutte contre ce phénomène. Il s'agit cependant d'une agence de soutien, mais en aucun cas d'un FBI européen !

Europol dispose d'unités nationales implantées dans les États membres servant de relais de transmission entre l'agence et les autorités nationales compétentes. Elle constitue un espace d'échange d'informations, d'analyse du renseignement et d'expertise. Elle effectue chaque année plus de 18 000 enquêtes transfrontalières. Collectant des millions de données, elle est surtout un gigantesque moteur de recherche. Dans la période récente, certaines de ses compétences se sont étoffées et, en janvier 2016, un Centre européen de lutte contre le terrorisme a été mis en place en son sein.

L'implication des États membres dans Europol demeure cependant inégale. En 2015, plus de 90 % des contributions aux bases de données d'Europol n'ont émané que de cinq États membres. La France est un des principaux contributeurs au système d'information d'Europol, en particulier dans le domaine du contre-terrorisme, notamment en ce qui concerne les combattants étrangers en Syrie et en Irak.

C'est aussi le cas du Royaume-Uni. Son retrait de l'Union devrait cependant entraîner aussi son retrait d'Europol et donc, sans doute, la suppression des données britanniques. Nous devrons veiller à ce que ce ne soit pas tout à fait le cas, car le Royaume-Uni deviendrait alors un État tiers avec lequel la coopération avec Europol demeurerait certes possible, mais, dans le cadre actuel, de façon moins approfondie qu'avec les États membres.

Les moyens d'Europol, dont le directeur est un Britannique, seraient aussi impactés par le Brexit. La coopération policière devrait donc constituer un aspect important de la négociation des relations futures avec l'Union européenne.

Actuellement, le renseignement relève de la sécurité nationale qui demeure de la compétence des États membres, en particulier pour préserver le secret sur les méthodes opérationnelles. Cela n'empêche pas une coopération multilatérale des services antiterroristes par exemple, mais en dehors des traités et donc sans la présence du Conseil et de la Commission.

Cette coopération se fait dans un cadre informel, et la France y tient pour l'instant. D'ailleurs, notre pays ne reconnaît pas à Europol de fonction de renseignement. Cette fonction s'exerce plutôt dans le cadre du groupe antiterroriste (GAT) institué après les attentats du 11 septembre 2001. Le GAT réunit tous les services de renseignement de sécurité intérieure de l'Union, ainsi que les services norvégien et suisse. Il est doté d'un système de communication chiffrée qui permet de relier de manière permanente et sécurisée l'ensemble des membres du réseau.

Le GAT est chargé d'alimenter le centre de situation et de renseignement de l'Union européenne (IntCen) créé à la suite des attentats de Madrid de mars 2004. Alimenté par les services de sécurité et de renseignement intérieurs et extérieurs des États membres, il a permis la production d'études à caractère thématique ou géographique. Il est rattaché au service européen d'action extérieure (SEAE) depuis 2010 et ne relève plus exclusivement du Conseil. La contribution des États membres à l'IntCen n'est pas obligatoire. Les productions de l'IntCen alimentent le SEAE, la Commission et les États membres. Europol, Frontex et Eurojust reçoivent également les productions qui les concernent.

Néanmoins, les services de renseignement ont généralement une tendance naturelle à préférer les coopérations bilatérales ou dans des instances ad hoc dont ils maîtrisent le format et les modalités de travail. Interrogé sur la perspective d'une agence européenne du renseignement, le directeur général de la sécurité intérieure, M. Patrick Calvar, a indiqué devant la commission d'enquête « Schengen » le 22 février dernier qu'il ne croyait « absolument pas à une agence européenne [...] tant que l'on ne sera pas dans une Europe fédérale ».

J'en viens à l'arrêt Tele2 de la Cour de justice de l'Union européenne (CJUE) du 21 décembre 2016. Le 21 décembre dernier, la CJUE a rendu un arrêt, dit Tele2, qui, selon le rapport de la délégation parlementaire au renseignement (DPR), « introduit des incertitudes nouvelles dans l'application de la loi du 24 juillet 2015 » relative au renseignement. Je rappelle que cette loi précise les conditions d'utilisation de certaines techniques de renseignement en l'absence de procédure judiciaire sur les mêmes faits et fixe la procédure d'autorisation pour leur mise en oeuvre.

L'activité des opérateurs de téléphonie et des fournisseurs d'accès à internet est régie notamment par une directive de 2002, modifiée en 2009, relative au traitement des données à caractère personnel et à la protection de la vie privée dans le secteur des communications électroniques. Actuellement, les opérateurs européens sont soumis à des obligations de conservation des données - un an en France par exemple - qui sont indifférenciées. Ils constituent ainsi des bases de données qui peuvent être utilisées, à la demande du juge judiciaire ou des services de renseignement, à l'occasion d'une enquête.

Or l'arrêt Tele2 juge que la directive de 2002 ne permet pas aux législations nationales d'imposer aux opérateurs de télécommunications et aux fournisseurs d'accès à internet à des fins de lutte contre la criminalité une obligation générale et indifférenciée de conservation des données d'identification et de connexion de leurs utilisateurs.

Comme le souligne la DPR, cet arrêt « pose problème. Il empiète sur la compétence des États, telle qu'elle résulte de l'application du principe de subsidiarité, et ne tient manifestement aucun compte des impératifs et des finalités qui s'attachent à l'action des services de renseignement ». La DPR appelle ainsi le Gouvernement à exiger du Conseil une révision de la directive de 2002.

En effet, cet arrêt pourrait rendre plus difficile la lutte contre le terrorisme. Il reste difficile à interpréter, et plus encore à mettre en oeuvre. Certains le considèrent comme un appel à un coup d'arrêt à la surveillance de masse par une collecte généralisée et indifférenciée de données. Quoi qu'il en soit, nous devons rester vigilants sur ses conséquences opérationnelles. Le sujet a déjà été abordé trois fois au niveau ministériel. Plusieurs pistes de travail sont envisagées au niveau technique, mais aucune conclusion n'a pour l'instant été arrêtée. De même, la Commission a annoncé les lignes directrices sur les conséquences à tirer de cet arrêt sans toutefois fixer de date précise.

Au niveau national, une réflexion interministérielle est en cours. Elle est cependant largement dépendante des travaux menés au niveau européen.

De manière générale, il convient de garder présent à l'esprit que l'obligation de conservation des données de connexion obéit à certaines finalités, la sécurité nationale en particulier. Je remercie le président de notre commission d'avoir mis ce sujet majeur à l'ordre du jour.

M. Jean Bizet, président. - C'est effectivement un sujet majeur.

Tant que nous n'aurons pas de structure fédérale, ce qui est loin d'être le cas, les échanges d'informations au sein d'Europol demeureront imparfaits. Par ailleurs, la coopération bilatérale ne sera pas facilitée par la sortie du Royaume-Uni de l'Union européenne. Or ce pays a une très grande expertise en matière de renseignement. Il reste à voir comment nous pourrons, au-delà du Brexit, conserver des accords bilatéraux sur le renseignement.

Par ailleurs, l'arrêt Tele2 me chiffonne. Au risque de choquer les juristes distingués qu'il y a parmi nous, je privilégie l'efficacité de la lutte contre la criminalité. Il me semble essentiel de nous protéger contre les individus les plus désaxés que compte la société.

M. Alain Richard- Je vous ferai part de deux brèves réflexions.

Premièrement, je pense qu'il ne faut pas surestimer les effets du Brexit. La coopération en matière de renseignement a toujours reposé sur l'accord de chaque gouvernement. C'est pourquoi j'écoute avec un peu d'amusement certain commentateurs et même certains membres du gouvernement britannique qui pensent tenir un argument de négociation. Les Britanniques ont autant besoin de coopérer avec un certain nombre de partenaires continentaux que l'inverse.

Deuxièmement, je rappelle que la mission de la CJUE est d'abord de faire du droit du libre-échange et de régulation des activités économiques. L'arrêt Tele2 se contente de dire qu'une législation nationale ne peut pas instaurer une obligation de maintien en mémoire de données individuelles par les opérateurs. Il s'agit donc d'un arrêt plus consumériste que « droit-de-l'hommiste ». Du reste, il n'est pas certain qu'il soit définitif, bien qu'un appel ne me semble pas la manière la plus expédiente de traiter le sujet.

Quoi qu'il en soit, les praticiens estiment que la réutilisation de données de communications électroniques au bout d'un an ou deux ne présente pas un grand intérêt. On devrait donc parvenir à fixer le curseur de manière non conflictuelle à un ou deux ans, ce qui ne serait pas attentatoire au regard des obligations commerciales des opérateurs vis-à-vis de leurs clients.

M. Jean Bizet, président. - En effet, en la matière, l'immédiateté est primordiale.

M. André Gattolin. - Je félicite notre rapporteur pour son travail.

Je partage le point de vue d' Alain Richard. La coopération n'a jamais cessé et n'est pas prête de cesser, que ce soit au niveau intergouvernemental ou même privé. Au regard des événements récents au Royaume-Uni, je crois qu'il ne faut pas surestimer le poids de l'argument du Brexit.

Il faut toutefois faire preuve de prudence car comme l'a dit Alain Richard, les données anciennes ne sont pas toujours pertinentes. Et plus les données recueillies sont nombreuses, plus nous rencontrons de difficultés de traitement. Des données de bonne qualité, récentes et bien croisées sont plus utiles qu'une bibliothèque mondiale inutilisable.

Colette Mélot et moi-même avons eu la chance que la commission nous confie une réflexion sur les réseaux sociaux djihadistes. Les spécialistes du renseignement que nous avons auditionnés nous ont bien dit qu'il n'y avait rien de mieux que le qualitatif. Ma formation de statisticien m'a convaincu que plus on dispose de données, plus on en écrase. Il faudrait développer l'intelligence artificielle à un niveau incroyable pour remplacer la qualité de l'analyse et du renseignement humains.

L'arrêt Tele2 s'inscrit tout à fait dans la logique de la construction européenne et d'une vision à la fois de marché et de défense du consommateur.

Nous débattrons bientôt, au sein de notre commission, d'un texte sur les données privées. Il me semble que 56 points de ce texte relèvent d'une discussion nationale. Si nous parvenons à nous mettre d'accord avec nos partenaires, notamment Allemands, sur 40 de ces points, nous aurons un effet d'entraînement sur tout le reste de l'Europe. C'est aussi de cette façon qu'il faut repenser la construction de l'Europe parce que dans un système à 27, le moindre État peut devenir une sorte d'îlot de protection pour des activités qui peuvent être tout à fait louables du point de vue de la liberté d'expression mais contestables du point de vue de la sécurité publique ou même de la compétition économique.

Mme Joëlle Garriaud-Maylam. - Je ne partage pas tout à fait l'optimisme raisonné de nos collègues.

En tant que rapporteur général à l'Assemblée parlementaire de l'OTAN, j'ai beaucoup travaillé ces questions de terrorisme. Or je crois que nous ne pouvons pas nous priver délibérément des moyens d'appréhender le radicalisme en profondeur. Il est vrai qu'il y a eu une accélération de l'histoire et que nous observons notamment des phénomènes de radicalisation extrêmement rapides, mais cela ne doit pas nous faire oublier le principe de taqiya, de dissimulation. Je ne voudrais pas que dans plusieurs années un accident terroriste majeur ne survienne et que l'on découvre qu'il aurait pu être évité si nous avions conservé des données remontant à plusieurs années.

Certes, il y a une masse de données considérable et nous ne disposons pas des ressources humaines suffisantes pour les traiter. C'est un problème majeur, mais nous y travaillons et la situation s'améliore. Compte tenu du développement considérable des capacités d'analyse logicielle, j'espère que nous pourrons traiter beaucoup plus facilement toutes ces données à brève échéance. Je crois qu'il n'est pas du tout dans notre intérêt d'accepter les conséquences de cet arrêt et que nous devons au contraire nous y opposer avec nos alliés.

J'ajoute que nous devons également entreprendre des actions de formation au profit de certains États, notamment de certains petits État d'Asie centrale qui sont totalement dépourvus de moyens. Lors d'une visite de l'OTAN dans son pays, le Président du Tadjikistan me l'a demandé.

Concernant les effets du Brexit, je pense que nous continuerons à travailler avec les Britanniques, comme du reste avec les Américains. Nous avons besoin de le faire encore davantage, sur des bases solides, en élargissant la coopération à d'autres États qui n'ont pas encore pris pleinement conscience du danger.

M. Jean Bizet, président. - Je vous remercie pour la qualité de votre réflexion sur ce sujet important.

Institutions européennes - Observation des élections législatives en Bulgarie : communication de Mme Nicole Duranton

M. Jean Bizet, président. - Nous allons maintenant entendre la communication de Nicole Duranton sur les élections législatives qui se sont déroulées en Bulgarie le 26 mars dernier. Notre collègue a en effet participé, à cette occasion, à une mission d'observation électorale dans le cadre de l'Assemblée parlementaire du Conseil de l'Europe.

Nous avons souhaité renforcer les synergies avec notre délégation à l'APCE. Avoir un retour de notre collègue sur la situation politique dans un État membre est, à ce titre, très intéressant pour le travail de notre commission.

Je donne la parole à notre collègue.

Mme Nicole Duranton. - En tant que membre de l'Assemblée parlementaire du Conseil de l'Europe, j'ai participé à la mission d'observation des élections législatives anticipées le 26 mars dernier en Bulgarie.

Je rappelle que le parlement bulgare est monocaméral et que l'Assemblée nationale comprend 240 députés élus pour quatre ans au sein de 31 circonscriptions correspondant aux départements du pays ; 31 députés sont élus au scrutin majoritaire et 209 le sont au scrutin proportionnel. Un seuil de 4 % est nécessaire pour obtenir une représentation au parlement.

Ces élections étaient consécutives à la dissolution de l'Assemblée nationale décidée par le Président Rumen Radev, élu le 13 novembre 2016 face à la candidate du GERB, le parti des citoyens pour le développement européen de la Bulgarie, d'une sensibilité de gauche et majoritaire en Bulgarie. Le Premier ministre, Boris Borisov, avait alors présenté la démission de son gouvernement, précipitant la dissolution.

Il convient de rappeler que les enjeux de ces élections étaient de deux sortes. Il y avait tout d'abord un enjeu de développement économique et social ; la Bulgarie est le pays le plus pauvre de l'Union européenne et a perdu environ un million d'habitants en vingt ans - d'ailleurs, d'ici à 2050, sa population pourrait continuer de décroître sensiblement et les minorités, en particulier roms et turcophones, pourraient représenter 30 % des habitants. La campagne électorale a d'ailleurs été centrée sur des questions d'éducation et de protection sociale.

Il y avait ensuite des enjeux de renouveau démocratique : les citoyens bulgares n'ont été que 54 % à participer à ces élections législatives, le sixième scrutin depuis 2013. Ce chiffre, bien qu'il soit en hausse de trois points par rapport aux élections de 2014, traduit la désillusion et la lassitude des électeurs, confrontés à une corruption qui reste très élevée et à des médias sans doute encore trop sensibles aux intérêts privés. La corruption électorale demeure en effet une réalité ; elle est favorisée par la pauvreté persistante, le poids de l'économie souterraine et les discriminations qui affectent plus particulièrement les minorités ethniques.

Enfin, la vie politique bulgare demeure à la fois atone et instable et elle souffre d'un manque de renouvellement ; les faibles résultats du bloc réformateur l'attestent une fois de plus.

Pour autant, nous avons pu constater que ces élections législatives anticipées se sont déroulées dans des conditions globalement satisfaisantes, ce qui a permis à notre mission d'observation de conclure à leur caractère démocratique.

Le code électoral et la législation bulgares sont globalement conformes aux recommandations de la Commission de Venise et permettent la tenue d'élections démocratiques. De même, l'administration électorale fonctionne de façon neutre et impartiale et son travail a été professionnel et transparent.

En revanche, des améliorations restent attendues sur plusieurs aspects. Je pense en particulier à une plus grande transparence de la propriété des médias, au financement des partis politiques et des campagnes électorales et à une plus grande intégration des minorités au processus électoral - d'après le recensement de 2011, la population bulgare compte 8,8 % de personnes d'origine turque et 4,9 % de Roms.

Si la Bulgarie bénéficie d'un environnement médiatique pluraliste assurant la liberté d'expression, les médias publics ont porté peu d'intérêt à ces élections, tandis que les chaînes de télévision privées ont assuré une couverture privilégiant les deux grands partis, le GERB et le Parti socialiste bulgare (PSB). De même, il existe des réserves sur l'indépendance des médias vis-à-vis de toute influence politique et économique.

Surtout, la campagne électorale a été dominée par des tensions avec la Turquie, dont les autorités sont soupçonnées d'avoir cherché à interférer dans le processus électoral. Ankara soutient ouvertement le parti Dost et aurait organisé le transport en bus d'expatriés bulgares en Turquie pour qu'ils puissent voter pour ce parti.

Le scrutin s'est bien déroulé. Le vote a été transparent et bien organisé, malgré certaines lacunes, en particulier le manque d'accessibilité des personnes handicapées aux bureaux de vote. Au total, néanmoins, les citoyens bulgares ont pu faire leur choix librement.

Les résultats s'établissent de la manière suivante : cinq partis politiques et coalitions ont franchi le seuil de 4 % - 32,65 % pour le GERB qui obtient 95 députés, 27,20 % pour le PSB, soit 80 députés, 9,07 % pour le Front patriotique, une alliance de trois partis nationalistes dont Ataka, soit 27 députés, 8,99 % pour le Mouvement pour les droits et les libertés (MDL), qui représente la minorité turque, soit 26 députés, et 4,15 % pour Volya, parti créé par un homme d'affaires qui se présente comme le « Trump bulgare » et qui avait échoué à l'élection présidentielle, soit 12 sièges. Dost, en dépit de suffrages importants obtenus à l'étranger, n'a pas franchi le seuil de 4 %. M. Dimitar Glavchev, du GERB, a été élu président du parlement.

Ainsi, pour la quatrième fois après 2009, 2013 et 2014, le GERB du Premier ministre sortant, Boïko Borisov, remporte les élections. Ancien garde du corps du dirigeant de la Bulgarie communiste, Todor Jivkov, puis maire de Sofia, il est apparu comme un facteur de stabilité.

Le 27 avril dernier, le président de la République a demandé à Boïko Borisov de former le gouvernement et celui-ci a été investi Premier ministre le 4 mai par la majorité constituée du GERB, des nationalistes et de Volya, le PSB et le MDL formant l'opposition. Le Premier ministre, premier chef de gouvernement bulgare à revenir une deuxième fois au pouvoir depuis 1989, a mis en avant trois priorités dans son discours d'investiture : la hausse du pouvoir d'achat, la poursuite de la réforme judiciaire, en particulier dans le cadre du mécanisme de coopération et de vérification mis en place par l'Union européenne, et la lutte contre la corruption.

Dans le nouveau gouvernement, les nationalistes obtiennent certes le portefeuille de la défense, mais leur place paraît en réalité plutôt réduite.

Sans doute conviendra-t-il d'observer l'action réformatrice du nouveau gouvernement bulgare, en particulier au prisme de son engagement européen. Je rappelle que la Bulgarie doit, pour la première fois depuis son adhésion, il y a dix ans, exercer la présidence de l'Union européenne au premier semestre 2018.

À cet égard, s'il convient de se réjouir que l'opinion publique bulgare soit très largement favorable à l'intégration européenne, il n'en demeure pas moins que l'Europe a été très peu présente dans la campagne électorale, même si les fonds européens font vivre l'économie. Les autorités sont certes elles aussi pro-européennes, mais semblent plus soucieuses de stabilité que portées aux réformes indispensables induites par l'appartenance à l'Union européenne.

Enfin, les autorités entretiennent des relations pragmatiques et historiques avec la Russie. Le Président de la République, prorusse, considère que la Crimée est devenue russe de facto depuis son annexion. Il s'est ainsi prononcé pour la levée des sanctions européennes contre la Russie. Il considère que l'adhésion bulgare à l'Union européenne et à l'OTAN ne fait pas de son pays un ennemi de la Russie. Par ailleurs, Sofia a intérêt à entretenir des relations équilibrées avec Ankara. La frontière bulgaro-turque symbolise en effet le rôle de protection des frontières européennes que joue la Bulgarie.

M. Jean Bizet, président. - Merci de cette présentation d'un pays important, situé aux marges de l'Union européenne mais crucial pour la stabilité de cette région proche des Balkans. Les élections sont toujours difficiles dans ce genre de pays, où la corruption est importante.

On se souvient d'ailleurs des pressions incessantes des ambassadeurs bulgare et roumain à Paris pour que l'on favorise leur adhésion à Schengen.

M. Simon Sutour. - Ce compte rendu de mission est opportun, cela donne l'occasion de faire le point sur ce pays. Une délégation s'y était rendue voilà quelques années, quand je présidais la commission. La Roumanie et la Bulgarie voulaient adhérer à l'accord de Schengen. Nous avions examiné les frontières et les équipements financés par l'Union européenne. Nous pensions que cette adhésion serait assez rapide mais cela n'a pu se faire, parce que les standards européens ne sont pas atteints. On avait donc mis, avec ces deux pays, la charrue avant les boeufs.

Pour les pays des Balkans, au contraire, les réformes et l'absorption de l'acquis communautaire doivent avoir lieu avant, ce qui rend ensuite l'adhésion possible. Cela a été le cas de la Croatie, de la Slovénie, ou encore du Monténégro. Les cas roumain et bulgare démontrent qu'il est très difficile de le faire a posteriori.

Le fait que ces pays ne puissent assumer correctement la frontière de Schengen est un véritable problème, sans même parler de l'État de droit et de la corruption.

Enfin, la Bulgarie bénéficie de fonds dans le cadre de la politique régionale de l'Union européenne, mais ceux-ci ne sont pas toujours consommés. L'Union européenne est donc diverse et il faut épauler ces pays parce que leur remise à niveau n'est pas rapide. Cette région, pourtant magnifique, perd de sa population et le salaire moyen y est très faible.

Mme Nicole Duranton. - Oui, il s'élève à 180 euros par mois.

M. Simon Sutour. - Enfin, il faut ajouter à cela le multiculturalisme et le voisinage de la Turquie.

Mme Joëlle Garriaud-Maylam. - Je veux pour ma part mentionner la francophonie. Elle était fondamentale dans ces pays, il y a une vieille génération qui parle un français parfait, mais cela se perd. Il faudrait faire des efforts en ce sens.

M. Claude Kern. - Merci de cette communication très intéressante. Dans le cadre de la commission d'enquête sur les frontières européennes et l'avenir de Schengen, j'ai pu me rendre en Bulgarie, où nous avons vu les installations frontalières et l'utilisation des fonds européens. C'est une réussite.

M. Simon Sutour. - Je suis rassuré.

M. Claude Kern. - Et il ne s'agissait pas d'une frontière modèle, nous avons choisi notre lieu de destination, où nous avons rencontré des gardes-frontières allemands.

Nous y avons ainsi vu les mêmes installations qu'à Calais, pour le contrôle des poids lourds - cabines isolées avec ultrasons, rayons X -, et les attentes à la frontière sont d'ailleurs très longues, que ce soit en provenance de la Turquie ou vers elle. Le jour où nous y étions, les douaniers ont d'ailleurs arrêté de jeunes Turcs venant d'Allemagne avec des voitures très luxueuses, dans lesquelles ils ont trouvé ce qu'ils cherchaient...

Autre point, la corruption électorale. Avez-vous eu vent de cette corruption, qui a souvent lieu avant, voire pendant le vote ? On voit des équipes d'hommes politiques qui amènent les électeurs au bureau de vote.

Mme Patricia Schillinger. - Cela existe aussi chez nous, quand on va chercher les personnes âgées dans les maisons de retraite.

M. Claude Kern. - Là-bas, cela se fait par autobus.

M. André Gattolin. - On peut avoir un très bon contrôle aux frontières sur les migrations de masse terrestres mais, on l'a vu en Grèce, qui a connu ce problème pendant longtemps, ce sont la sécurité et l'incorruptibilité des autorités portuaires qui comptent. Et à ce sujet, j'ai des doutes...

Nous retrouvons là le problème de la transition d'un État autoritaire vers la démocratie. On conserve les administrations pour assurer la continuité de l'État mais les pratiques n'évoluent pas...

Mme Nicole Duranton. - Je vous remercie de vos précisions.

Le refus de l'espace Schengen d'intégrer la Bulgarie a entraîné une forte déception chez nos interlocuteurs.

Par ailleurs, si nous n'avons nous-mêmes pas vu d'autobus remplis d'électeurs, nos collègues qui ont observé les frontières turques ont vu des autobus immatriculés en Turquie convoyer, de manière organisée, des électeurs bulgares expatriés, lesquels étaient accompagnés par les maires des localités.

En outre, si l'on a observé quelques irrégularités dans le dépouillement de certains bureaux de vote, cela n'a pu affecter le résultat.

Au cours de la campagne, les candidats ont pu s'adresser librement aux électeurs.

Pour ce qui concerne la corruption, qui constitue un thème de campagne de tous les partis politiques, nous n'avons pas pu en observer directement les manifestations, car chacun est plus prudent quand arrive la délégation du Conseil de l'Europe...

Dans le rapport de la délégation au Conseil de l'Europe, nous avons préconisé de renforcer la transparence relative à la détention des médias et le contrôle des comptes de campagne, d'établir des critères clairs d'ouverture des bureaux de vote à l'étranger, d'améliorer l'éducation des citoyens des ethnies autres que bulgares dans le domaine des élections et, enfin, de garantir la libre expression des citoyens pendant la campagne.

Mme Joëlle Garriaud-Maylam. - Comment les expatriés bulgares votaient-ils ? Par correspondance ? Dans les ambassades ?

Mme Nicole Duranton. - Dans les ambassades, uniquement.

M. Jean Bizet, président. - Merci de cette analyse et de cette approche globale.

Questions diverses

1. Procédure de notification en matière de services

M. Jean Bizet, président. - Passons aux questions diverses en commençant par la question des procédures de notification en matière de services.

En février dernier, sur le rapport de nos collègues Didier Marie et Jean-Paul Émorine, notre commission avait estimé que le renforcement de la procédure de notification préalable des régimes d'autorisation et des exigences en matière de services n'était pas conforme au principe de subsidiarité. Cette procédure conduisait en effet à ce que la Commission européenne « et, à travers elle, potentiellement, les autres États membres, s'immiscent dans la procédure législative nationale ».

Nos collègues de l'Assemblée nationale ont d'ailleurs pareillement estimé que « la procédure de notification proposée entrave l'exercice du pouvoir législatif » et « contraint excessivement les capacités d'intervention des États membres ».

Soutenu par la délégation française, ce point de vue a été partagé au Conseil par plusieurs délégations nationales. La fermeté des réserves ainsi affichées et réaffirmées avec constance a conduit le Conseil à revoir la nature et le calendrier du contrôle exercé par la Commission sur les dispositifs nationaux, afin que les prérogatives des parlements nationaux soient respectées.

Une solution de compromis a finalement été élaborée lors de la réunion du Comité des représentants permanents, le COREPER, solution qui réduit fortement les pouvoirs de la Commission. Validée par le Conseil Compétitivité du 29 mai 2017, elle permet à l'État membre de poursuivre son processus interne d'adoption, nonobstant un avis négatif de la Commission, et prive les recommandations finales de celle-ci de tout caractère coercitif.

Le Sénat était aux avant-postes de cette démarche de défense de la subsidiarité.

Par ailleurs, l'urgence de la situation est dorénavant prise en compte, la procédure de notification préalable étant écartée en pareil cas au profit d'une notification a posteriori.

Le communiqué publié à l'issue de la réunion du Conseil Compétitivité s'inscrit dans la droite ligne des préoccupations formulées par notre commission ; il indique en effet que la proposition de directive prend désormais en compte la nécessité de respecter les principes de proportionnalité et de subsidiarité, « en particulier les prérogatives des parlements nationaux ».

Nous ne pouvons donc que nous réjouir du résultat de notre démarche, qui a conduit à une décision du Conseil. C'est un motif de satisfaction pour nous, dont vous pouvez faire part à vos électeurs. Cela démontre bien que, depuis le traité de Lisbonne, s'ils s'en donnent la peine, les parlements nationaux peuvent interférer dans les orientations communautaires. Nous pouvons d'ailleurs remercier nos services d'être très attentifs et de décortiquer la législation européenne, qui peut être complexe.

Je vous fais distribuer la résolution du Sénat portant avis motivé sur la subsidiarité.

2. Audit des finances publiques et engagements européens de la France

J'en viens à la seconde question que je souhaite aborder au titre des points divers.

La Cour des comptes dévoilera cet après-midi son audit sur l'état de nos finances nationales, et, comme je tiens à ce que nous soyons toujours en phase avec l'actualité, je me suis permis de préparer, en toute courtoisie mais clarté, cette communication.

Elle est, du reste, dans le droit fil de ce qu'a fait la commission des finances. Il ne s'agit pas de tomber à bras raccourcis sur quiconque, mais d'être constructif - je suis obligé d'employer ce terme, même s'il a pris récemment une dimension un peu particulière... Bref, nous voulons que la France réussisse les réformes qu'elle doit mener, d'abord pour elle-même, ensuite pour conserver son crédit vis-à-vis de ses partenaires.

Le Premier président de la Cour des comptes rendra publiques dans quelques heures les conclusions de l'audit commandé par le nouveau gouvernement sur la situation budgétaire de notre pays. Ces conclusions devraient mettre en avant un écart notable entre la trajectoire budgétaire annoncée par le précédent gouvernement et la réalité des comptes publics. La France s'était engagée auprès de nos partenaires européens à atteindre un déficit public équivalant à 2,8 % du PIB à la fin de cette année. Elle devait ainsi sortir enfin du volet correctif du Pacte de stabilité et de croissance. Je vous rappelle que, avec l'Espagne, notre pays est aujourd'hui le seul État membre de l'Eurozone concerné par ce dispositif.

De sources concordantes, il apparaît qu'il manquerait aujourd'hui 8 milliards d'euros dans les caisses de l'État pour atteindre l'objectif fixé pour 2017 et près de 17 milliards d'euros pour respecter la trajectoire budgétaire fixée pour 2018. Des sommes tout de même loin d'être négligeables !

Comme M. Le Foll l'a tout récemment expliqué, le précédent gouvernement a été appelé à réaliser des opérations urgentes, notamment pour faire face à la grippe aviaire. Reste que, tout additionné, on aboutit à un trou de 8 milliards d'euros... Cet écart ne m'étonne guère, compte tenu des dépenses annoncées depuis le vote du budget, que le Sénat avait déjà jugé insincère. Ces dernières années, nous avions relevé au sein de cette commission le décalage entre les annonces du gouvernement précédent et la réalité de la situation budgétaire du pays.

Nos collègues Fabienne Keller et François Marc vous ont présenté à plusieurs reprises les observations critiques de la Commission européenne sur nos comptes publics. Nous nous étions alors inquiétés de la volonté du gouvernement de l'époque de répondre à des problèmes structurels par des mesures conjoncturelles. Comme je m'en étais ouvert auprès de Michel Sapin lors d'une audition commune avec la commission des finances, le ministre m'avait répondu, certes avec courtoisie mais en survolant le sujet, que la trajectoire budgétaire annoncée était « un schéma exigeant, mais réaliste et considéré par tous comme crédible », et que la France était pour « la première fois depuis longtemps en situation de respecter ses engagements ». Je vous avoue que je ne l'avais pas cru... Malheureusement, la preuve est aujourd'hui faite que la réalité n'était pas celle-là.

L'audit de la Cour des comptes rejoint en tout état de cause les conclusions de la Commission européenne en ce qui concerne le programme de stabilité de la France pour 2017. En effet, le projet de recommandation qu'elle a transmis au Conseil le 22 mai dernier tablait sur un déficit public d'au moins 3 % du PIB en 2017, puis de 3,2 % en 2018.

Ce décalage fragilise la position de notre pays sur la scène européenne. La ministre déléguée aux affaires européennes, Nathalie Loiseau, nous a rappelé avant-hier que nous étions à un moment exceptionnel, où la France était de nouveau écoutée. À ma question sur les conclusions à venir de la Cour des comptes, elle a répondu que c'était à M. Migaud de s'exprimer sur ces sujets...

Or, comme le Président de la République l'a indiqué à plusieurs reprises depuis sa prise de fonction, cette crédibilité retrouvée ne durera que si nous respectons nos engagements auprès de nos partenaires européens.

M. Philippe Bonnecarrère. - C'est évident !

M. Jean Bizet, président. - Je me réjouis beaucoup du renouveau annoncé du couple franco-allemand et du regard qu'Angela Merkel porte sur Emmanuel Macron... Mais ce regard peut s'assombrir si la France ne corrige pas sa copie !

Nous devons donc tous tirer dans le même sens pour sortir de façon urgente de la procédure pour déficit excessif en menant rapidement les réformes structurelles indispensables. Il s'agit d'un préalable pour pouvoir peser au Conseil sur les grands sujets : approfondissement de la zone euro, financement de la défense européenne, défense commerciale, modernisation de la politique de la concurrence, promotion de l'Europe sociale.

Notre crédibilité va de pair avec le principe de sincérité budgétaire, ce qui n'a pas été le cas sous le précédent quinquennat, comme nos collègues François Marc et Fabienne Keller l'ont plusieurs fois souligné.

M. Simon Sutour. - En disant « les précédents quinquennats » vous auriez été dans la vérité aussi !

M. Jean Bizet, président. - En bon normand, je dirai que ce n'est pas tout à fait faux...

3. Relations entre l'Union européenne et la Russie

M. Simon Sutour. - Au titre des questions diverses, j'informe notre commission que le rapport d'information « Union européenne/Russie : les sanctions et après ? », que Yves Pozzo di Borgo et moi-même avons rédigé au nom de notre commission, a été remarqué à Bruxelles. Nous avons rencontré M. Juncker. Je crois qu'il s'agit d'une première.

M. Jean Bizet, président. - Ce rapport était attendu et il a été remarqué à juste titre, compte tenu de sa grande qualité.

M. Simon Sutour. - Compte tenu surtout de la période, car il est paru juste après que le Président de la République eut reçu le président russe à Versailles. Le chef de l'État vient de recevoir aussi le président ukrainien. Les choses bougent donc au niveau des accords de Minsk, et on peut espérer des avancées. Certes, les sanctions contre la Russie ont été reconduites lors du dernier Conseil, mais il était trop tôt pour un changement à ce niveau. En tout cas, sans vouloir faire parler M. Juncker, il me semble que tout le monde souhaite voir le dialogue stratégique reprendre avec ce grand pays qu'est la Russie, dans l'intérêt général.

M. Jean Bizet, président. - J'ai moi-même toujours prêté une attention particulière à ce grand pays, que je qualifie généralement d'un peu turbulent, mais avec lequel nous devons entretenir des rapports constructifs et attentifs. Son comportement en Ukraine, dans le Donbass et en Crimée, nous savons ce qu'il est. Mais ce n'est pas en maintenant des sanctions surtout personnelles que l'on résoudra les problèmes.

Hier, à l'ambassade de Russie où je m'étais rendu pour le départ du conseiller agricole, j'ai insisté de nouveau sur le travail de notre commission et de nos deux rapporteurs, notamment auprès de l'ambassadeur, M. Orlov, et du conseiller sur le départ, qui monte en grade à Moscou dans le domaine agricole et agroalimentaire ; il est essentiel que nous puissions continuer le dialogue sur ce sujet.

4. Révision de la directive sur le détachement des travailleurs

M. Jean Bizet, président. - Avant que notre réunion ne s'achève, je voudrais, alors que nous entrons dans une période un peu délicate pour certains d'entre nous, revenir quelques instants sur un sujet à propos duquel nous sommes de plus en plus interpellés : la directive « détachement des travailleurs ».

Le président Macron avait annoncé qu'il reviendrait de Bruxelles avec des avancées, mais il n'est pas facile de faire bouger les pays d'Europe de l'Est sur cette question qui est malgré tout au coeur du marché unique. J'ai demandé aux services de préparer une note qui vous sera communiquée, et que je souhaite diffuser au-delà de notre commission, car en la matière il y a beaucoup de désinformation. Pour ma part, je trouve que la directive d'application de décembre 2014 a marqué un progrès. D'ailleurs, lorsque, à la mi-2015, j'ai rencontré les représentants du BTP, il est apparu que cette directive d'application et les mesures de surveillance prises par les DIRECCTE portaient leurs fruits, et que les professionnels étaient satisfaits.

5. Union interparlementaire

Mme Patricia Schillinger. - En vue de la prochaine élection à la présidence de l'Union interparlementaire, j'ai été approchée par une sénatrice mexicaine, Gabriela Cuevas, qui se porte candidate.

Mme Joëlle Garriaud-Maylam. - Il s'agit d'une femme remarquable, francophone de surcroît !

M. Jean Bizet, président. - Les questions relatives à l'Union interparlementaire ne relèvent pas de notre champ de compétences.

M. Simon Sutour. - Ces questions sont prises en charge par la délégation du Bureau aux activités internationales.

6. Situation des mineurs étrangers isolés

Mme Patricia Schillinger. - Je vous signale enfin que, hier, la commission des affaires sociales a examiné un rapport sur la prise en charge des mineurs isolés étrangers. J'ai pensé que, en la matière, notre commission pourrait entreprendre quelque chose au niveau européen.

M. Jean Bizet, président. - Nous entendrons le 27 juillet prochain une communication de nos collègues Jean-Yves Leconte et Alain Richard sur le paquet « Asile ». Ce sera l'occasion d'évoquer cette question.

Mme Patricia Schillinger. - En France, je constate que beaucoup de choses se font partout, mais que la coordination est insuffisante, de même que l'information et la formation des maires. Peut-être pourrions-nous inciter la Commission européenne à reprendre en main ce sujet avec force et avec des moyens financiers ?

M. Jean Bizet, président. - Notre collègue Michel Billout avait présenté une communication sur ce sujet voilà un an ou deux. Nos rapporteurs feront à nouveau le point sur la question.

Mme Joëlle Garriaud-Maylam. - La situation est très différente d'un pays à l'autre. En France, 85 % des mineurs isolés étrangers viennent de Roumanie. Un accord franco-roumain avait été signé, mais le Conseil constitutionnel s'est opposé à son approbation pour une raison de droit sur laquelle j'avais d'ailleurs attiré l'attention : les enfants auraient été renvoyés en Roumanie sans passer par un juge des enfants, le gouvernement ayant demandé que ce renvoi soit confié au parquet.

Peu de temps après, notre collègue Isabelle Debré a été chargée d'un rapport sur les mineurs isolés étrangers.

Ces différents travaux pourraient servir de base pour reprendre la réflexion.

M. Jean Bizet, président. - Par ailleurs, madame Schillinger, il serait bon que, à la rentrée, vous travailliez sur l'« Erasmus des apprentis », qui correspond à une demande extrêmement forte. Mme Loiseau, à qui j'en ai parlé, est tout à fait attentive à cette question.

La réunion est close à 10 h 20.