Mercredi 11 avril 2018

- Présidence de Mme Catherine Morin-Desailly, présidente -

La réunion est ouverte à 10 h 05.

Audition de M. Thierry Damerval, président-directeur général de l'Agence nationale de la recherche

Mme Catherine Morin-Desailly, présidente. - Nous accueillons ce matin M. Thierry Damerval, président-directeur général de l'Agence nationale de la recherche, l'ANR, depuis quatre mois. Je remercie notre rapporteur, Laure Darcos, de nous avoir suggéré cette audition. Compte tenu de la prise de fonction récente de M. Damerval, il était tout à fait opportun de le convier à s'exprimer devant nous.

La vocation de l'Agence nationale de la recherche, créée en 2005 d'après les pratiques observées dans les autres grandes nations scientifiques, est le financement de la recherche sur projets. Sa mise en place avait ému la communauté scientifique, inquiète du processus de sélection retenu et d'une possible remise en cause de la liberté du chercheur.

Dans un premier temps, l'augmentation des crédits de l'agence avait permis de réduire ces critiques, sans pour autant les supprimer. Toutefois, la diminution massive de la dotation de l'agence entre 2009 et 2015 a bien failli remettre en cause le bien-fondé de celle-ci, la chute en dessous de 10 % des taux de sélection pour les appels à projets génériques décourageant de nombreux chercheurs et semant la suspicion sur le processus de sélection.

Depuis 2016, les crédits de l'ANR sont en hausse, mais les réponses aux appels à projets également, ce qui pèse sur le taux de réussite.

Par ailleurs, la démission du comité d'évaluation scientifique en mathématiques et en informatique en 2016 et les tensions croissantes entre votre prédécesseur et certains présidents de grand institut de recherche, ainsi que la récente polémique sur l'absence de financement ANR des travaux du géologue Adberrazak El Albani, sont autant de signes des difficultés que rencontre votre agence pour asseoir sa crédibilité.

Dans ce contexte, comment comptez-vous relancer la dynamique de l'ANR ?

M. Thierry Damerval, président-directeur général de l'Agence nationale de la recherche. - L'ANR met en oeuvre la programmation arrêtée par son ministère de tutelle, le ministère de la recherche. Dans le décret revu en 2014, il est bien écrit « arrêtée », et non plus « définie ». Ce changement n'est pas seulement sémantique : il signifie que la programmation doit être élaborée dans une large concertation.

Ensuite, l'agence procède à l'évaluation et à la sélection des projets. En la matière, on attend d'elle le « zéro défaut ». Nous pourrons revenir sur le cas récent que vous avez évoqué, madame la présidente, pour en tirer des enseignements plus larges.

Nous assurons également le suivi administratif et scientifique des projets, dans une logique de service aux bénéficiaires.

Enfin, nous évaluons les projets ex post - c'est une dimension un peu nouvelle de notre action. Les 17 000 projets financés par l'ANR depuis sa création représentent une somme d'informations considérable. Cette évaluation porte sur les publications scientifiques - l'output, comme disent les Anglo-saxons - mais aussi, de façon plus complète, sur l'impact des projets.

S'agissant de la programmation, on a pu reprocher à l'ANR de ne pas suffisamment interagir avec les opérateurs. Pour être moi-même chercheur, j'ai vécu l'époque où elle avait tendance à définir des axes de recherche avec le ministère sans qu'ils soient toujours compris.

Par ailleurs, à partir de 2015, la stratégie nationale de recherche a conduit à organiser l'appel à projets génériques, auquel l'agence consacre environ 80 % de son budget, selon des défis sociétaux, ce qui n'était pas bien compris par les communautés scientifiques, d'autant que l'adéquation à ces défis constituait un des critères d'évaluation. Autant il peut être légitime, dans l'évaluation ex post, d'examiner en quoi les projets financés contribuent à répondre à ce type de défis, autant il est peu légitime de demander aux laboratoires de justifier leurs projets en fonction de défis sociétaux.

Le ministère et le conseil d'administration de l'agence ont donc décidé que l'appel à projets serait désormais organisé par axes scientifiques et que les laboratoires n'auraient plus à expliquer en quoi leurs recherches répondent à tel ou tel défi sociétal. Cela se traduit en pratique par une évolution de la comitologie : la programmation est discutée dans le cadre non plus de comités de pilotage scientifique des défis, mais de comités de pilotage organisés selon les grands axes de la science - sciences de la vie, numérique, énergie et matériaux, sciences humaines et sociales, environnement. Deux comités spécifiques ont été constitués pour la physique fondamentale et les mathématiques.

La programmation ne consiste pas à définir des appels à projets très ciblés, mais à identifier les domaines scientifiques - il y en a une quarantaine - autour desquels s'organisera le plan d'action. Un laboratoire qui dépose un projet dans un domaine sera évalué par le comité correspondant. Ce système est plus clair pour les déposants.

En ce qui concerne l'évaluation, on a dit, au sujet du chercheur de Poitiers, que les bureaucrates parisiens de l'ANR méconnaissaient la science... Je tiens à préciser que l'ANR n'intervient pas dans l'évaluation, non plus que le ministère. Si la programmation revêt une dimension institutionnelle, la sélection des projets repose sur les comités d'évaluation scientifique.

Mme la présidente a rappelé que le taux de sélection approchait les 10 % en 2014-2015, avec un budget tombé à 500 millions d'euros. Aujourd'hui, notre budget est d'un peu plus de 700 millions d'euros et le taux de sélection est de l'ordre de 14 %. C'est un progrès, mais cela ne suffit pas. En effet, un peu plus de 20 % des projets sont classés A+ ou A par les comités d'évaluation, et l'expérience montre que, là où le taux est inférieur à 20 % - ce qui est le cas à la Commission européenne et au Conseil européen de la recherche -, il est extrêmement difficile d'opérer des choix entre les très bons projets. La Fondation allemande pour la recherche présente un taux de succès de 30 %. Au Royaume-Uni, ce taux est de 25 %.

Un autre problème tient au conformisme dont les commissions tendent à faire preuve. Ce phénomène, naturel et que l'on constate partout, entraîne une moindre prise de risque.

Les Britanniques ont décidé qu'un projet non retenu une année ne pourrait pas être redéposé l'année suivante ; ce n'est pas forcément la meilleure approche, mais elle permet de répondre en partie à la problématique du taux de sélection. En Allemagne, la fondation pour la recherche dispose d'un budget de 3 milliards d'euros... Certes, ses missions ne recouvrent pas exactement les nôtres, mais il y a évidemment un sujet budgétaire, comme l'a souligné dans son rapport sur l'ANR votre ancien collègue Michel Berson.

Pour ce qui est du service aux utilisateurs dans la réalisation des projets, des évolutions récentes sont intervenues. Par exemple, le conseil d'administration de l'ANR vient de décider que le préciput de 11 % destiné à favoriser l'acquisition ou la maintenance d'équipements ou à optimiser les fonctions support ne serait plus versé sur justificatifs, ce qui dispensera les établissements du travail de justification et l'agence de celui de vérification, qui conduisait rarement, pour ne pas dire jamais, à supprimer des versements. Nous essayons également de simplifier les démarches en matière de conventionnement.

Si l'appel à projets génériques représente 80 % de nos moyens, nous menons aussi d'autres actions, en particulier dans la recherche partenariale : les chaires industrielles, les laboratoires communs, les instituts Carnot.

Nous oeuvrons également aux niveaux européen et international, pour favoriser la participation des équipes françaises aux projets de recherche menés à ces échelles.

Enfin, depuis 2010, l'ANR opère pour le compte de l'État la mise en oeuvre des investissements d'avenir. En la matière, les modifications intervenues avec le Grand plan d'investissement et la transformation du Commissariat général aux investissements en Secrétariat général pour l'investissement ne changent rien à nos responsabilités.

Mme Laure Darcos, rapporteure des crédits de la recherche. - S'agissant de votre budget, qui est encore trop faible, pouvez-vous estimer le montant qui vous serait nécessaire pour porter le taux de réussite des projets à 25 ou 30 % ?

Par ailleurs, le contrat d'objectifs et de performance de l'ANR fait une place importante à l'optimisation des actions de coopération européenne et internationale. Pouvez-vous nous en dire davantage à ce sujet ?

De même, il serait intéressant que vous nous présentiez votre action en matière de développement de l'open data et de l'open access.

Les démarches pour répondre aux appels à projets sont complexes, et les scientifiques souvent livrés à eux-mêmes. Comment impliquer davantage les établissements pour qu'ils aident leurs scientifiques à monter les projets ? D'autre part, la manière de présenter le projet ne tend-elle pas à devenir plus importante que le projet lui-même, au risque de voir une logique de marketing se développer de façon un peu dangereuse ?

Vous avez parlé du conformisme des commissions : le ministère ne devrait-il pas faire évoluer les choses pour encourager les novations ?

S'agissant du plateau de Saclay, les équipes de NeuroSpin - une infrastructure de recherche remarquable que j'espère avoir un jour l'occasion de vous faire découvrir, mes chers collègues ! - m'ont interrogée sur les mécanismes par lesquels l'ANR pourrait soutenir les structures comme la leur. L'ANR ne pourrait-elle pas déléguer à ces infrastructures l'organisation d'appels à projets, comme cela se fait en astrophysique ?

Enfin, avez-vous l'intention de travailler dans le domaine de l'enfance et de l'éducation ? Des collaborations pourraient être nouées avec le ministère de l'éducation nationale, l'Institut national de la santé et de la recherche médicale ou le CNRS, sur ce sujet important du point de vue la santé publique comme de la lutte contre les inégalités sociales.

M. Thierry Damerval. - À la création de l'ANR, l'objectif était d'atteindre un budget de 1 milliard d'euros. Cet ordre de grandeur reste d'actualité. Pour financer tous les projets classés A+ et A, il nous manque environ 300 millions d'euros.

En matière de coopération européenne et internationale, nous agissons, d'abord, pour aider nos chercheurs à monter des projets européens. Les chercheurs français ont un bon taux de succès aux programmes-cadres européens, mais ce sont les moins nombreux à postuler. Un dispositif d'aide a été mis en place en 2015 et le taux de succès des projets maturés soutenus dans ce cadre est supérieur à 20 %, contre 10,6 % en moyenne en Europe.

Nous avons mis en place l'année dernière le dispositif « Tremplin ERC », pour aider nos chercheurs à accéder aux financements, très sélectifs, du Conseil européen de la recherche. Il bénéficie en particulier à de jeunes chercheurs classés, mais non retenus, auxquels l'ANR permet de développer leur projet et de postuler à nouveau ; à la deuxième tentative, beaucoup passent la barre au niveau européen.

En dehors des réseaux financés par le programme-cadre, des réseaux existent qui sont financés, en partie par l'Europe pour certains, mais surtout par les agences de financement des différents pays : les réseaux de programmation conjointe et les réseaux ERA-NET. L'ANR permet la participation d'équipes françaises à une trentaine de ces réseaux.

Au plan international, nous cherchons à conclure des accords avec d'autres agences de financement pour permettre à des équipes de chercheurs de développer des projets de coopération. Des discussions auront lieu à l'automne prochain dans les comités de préparation de la programmation pour dresser un état des lieux sur ce sujet et identifier les priorités de façon conjointe, car nous avons tout intérêt à avoir des stratégies convergentes.

L'open data et l'open access sont des sujets extrêmement importants et d'actualité. Jusqu'ici, la mise en archives ouvertes des publications résultant des travaux financés par l'ANR était une incitation ; la loi pour une République numérique et le contexte européen nous engagent à en faire une obligation. Il faut pour cela que les laboratoires aient le support nécessaire. Pour les archives ouvertes, il existe HAL (Hyper articles en ligne).

S'agissant plus globalement de l'open data, nous avons vocation à rendre accessibles tous les projets que nous avons financés depuis 2005. Il reste à bien définir avec les établissements la nature des données qui peuvent être rendues accessibles. Il faut aussi que nos bases de données soient bien organisées. C'est un gros chantier, auquel nous travaillons.

En ce qui concerne l'aide au montage de projets, l'ANR a eu tendance - je l'ai vécu en tant que bénéficiaire - à interagir un peu trop directement avec les laboratoires et pas suffisamment avec les institutions. Nous devons apporter toute l'aide nécessaire en amont, sans nous impliquer dans le montage lui-même, ce qui serait incompatible avec notre fonction d'évaluateur. En particulier, les formulaires doivent être simplifiés autant que possible. Par ailleurs, nous devons être connectés au système d'informations que le ministère est en train de développer.

Le conformisme est une réalité, en réponse à laquelle l'ANR a lancé il y a deux ans une initiative intéressante : un appel à projets spécifique, « OH Risque », ouvert à des projets qui n'avaient pas, ou très peu, de résultats préliminaires. Dix-neuf projets ont été sélectionnés dans ce cadre. Je trouve que cette formule mériterait d'être relancée.

Du fait de mon passé au CEA, NeuroSpin ne m'est pas inconnu... La difficulté qu'il y avait pour les laboratoires à financer des infrastructures sur la base de leur dotation ANR a été levée. D'autre part, les infrastructures nationales en biologie-santé ont bénéficié de financements dans le cadre des investissements d'avenir ; NeuroSpin est inclus dans France Life Imaging, qui a reçu 37 millions d'euros. Ces financements arrivent à échéance, mais un axe « Équipements structurants pour la recherche » figure dans le PIA 3.

Je comprends la question qui vous a été posée par les responsables de NeuroSpin, mais il serait compliqué de confier des appels à projets à différentes infrastructures... En revanche, des partenariats peuvent être mis en place avec d'autres financeurs. Ainsi, la Direction générale de l'armement nous confie l'organisation de ses appels à projets. Cette collaboration fonctionne bien et pourrait être étendue à d'autres domaines, avec d'autres ministères.

Pour ce qui est de l'enfance et de l'éducation, parmi la quarantaine d'axes que j'ai évoqués au début de mon intervention, l'un s'intitule : « Cognition, éducation et formation tout au long de la vie ». Dans ce cadre, quatre lignes sont ouvertes : « Capacités cognitives aux divers âges de la vie », « Innovation et pratiques pédagogiques », « Lutte contre l'échec scolaire » et « Mutations de l'enseignement supérieur ». Nous suivons tous ces sujets touchant à l'enfance et à l'éducation.

Mme Catherine Morin-Desailly, présidente. - S'agissant des capacités cognitives, un coup d'accélérateur a-t-il été donné en faveur d'études sur les effets du numérique sur le développement ?

M. Thierry Damerval. - À ce stade, les projets n'ont pas encore été sélectionnés, mais il s'agit évidemment d'un axe de travail, sous un double rapport : les sciences humaines et sociales d'une part, les sciences cognitives d'autre part.

M. André Gattolin. - Merci d'avoir parlé d'Europe. Enfin ! Vos prédécesseurs oubliaient toujours un peu la complémentarité entre l'ANR et les moyens disponibles au niveau européen. Dès 2012, comme rapporteur sur la préparation du cadre financier pluriannuel 2014-2020, j'avais souligné que l'émergence de l'ANR avait entraîné, par effet de substitution, une baisse du nombre de dossiers déposés auprès des instances européennes - lesquels sont encore plus lourds que les dossiers ANR. Je me félicite donc du dispositif mis en place en 2015.

En matière d'aide à la recherche, tous les pays disposent en quelque sorte d'un droit de tirage - une proportion des fonds. Comme nous présentons peu de projets, nous ne bénéficions pas de tous les financements dont nous pourrions disposer au niveau européen. Que l'ANR aide au montage de projets européens est donc important. À la même époque, on a eu la volonté de regrouper la représentation de nos grands centres de recherche à Bruxelles, pour faciliter la coordination des projets français.

Je me demande toutefois si nous ne pourrions pas renforcer encore notre présence européenne, comme l'ont fait les Britanniques, dont le un taux de sélection est élevé. Quand un projet britannique soutenu par le Gouvernement n'est pas retenu, mais qu'il arrive dans les premiers, il est automatiquement recyclé dans le cadre de l'agence nationale, ce qui dispense les équipes de recherche de constituer un nouveau dossier.

Un pas en avant a été franchi depuis 2015, mais il faut aller au-delà pour bénéficier pleinement de notre droit de tirage européen et jouer la complémentarité entre niveaux européen et national.

M. Jacques Grosperrin. - Comme rapporteur pour avis des crédits de l'enseignement supérieur, je souhaite vous interroger sur le rôle d'opérateur d'État joué par l'ANR pour certaines actions du programme d'investissements d'avenir.

Dans le cadre du PIA 3, trois actions sont particulièrement intéressantes : « Nouveaux cursus d'université », « Soutien des grandes universités de recherche » et « Constitution d'écoles universitaires de recherche ». Pouvez-vous nous indiquer les objectifs de ces trois actions, leur état d'avancement et les universités déjà sélectionnées pour en bénéficier ? Certaines de ces universités ont-elles développé des initiatives remarquables à vos yeux ?

Subsidiairement, notre ancien collègue Michel Berson recommandait, dans son rapport de juillet dernier, de réduire le nombre d'instruments financiers pour renforcer la lisibilité de l'offre. L'ANR a-t-elle commencé à travailler en ce sens ?

Mme Maryvonne Blondin. - Quelle est la place des appels à projets concernant les femmes dans le milieu de la recherche ? Encouragez-vous spécifiquement ces projets ? La nouvelle composition du conseil d'administration montre que sur seize membres, il n'y a que trois femmes, et elles ne sont que suppléantes.

M. Pierre Ouzoulias. - Mon équipe d'archéologie a déposé trois ans de suite auprès de l'ANR un dossier concernant un projet dont le montage lui avait demandé énormément de travail. Elle a essuyé trois refus successifs. Avec un dossier beaucoup plus léger, elle a obtenu 2 millions d'euros pour le même projet auprès de l'ERC. Cependant, l'institution gestionnaire a été incapable de gérer ces fonds, faute de moyens. Cela montre la nécessité d'avoir une répartition optimale entre les crédits de fonctionnement et ceux des appels à projets. En Allemagne, on consacre des budgets récurrents à la vie des équipes de recherche. En France, il faut solliciter l'ANR pour obtenir des crédits permettant de faire fonctionner les laboratoires. Il ne faut pas opposer recherche vertueuse et recherche opportuniste, mais combiner les deux types de crédits. Comment y parvenir ?

Toutes les agences d'évaluation lancent des appels à projets, car elles ne souhaitent plus travailler avec l'ANR. Je le sais car je suis rapporteur d'une mission de l'Office parlementaire des choix scientifiques et technologiques. Existe-t-il encore une coordination nationale des appels à projets ?

Hier soir, la France a signé un très gros contrat avec l'Arabie Saoudite pour un montant de 50 milliards d'euros qui permettront à financer des chantiers archéologiques jusque-là dotés de montants miséreux. Les sciences humaines offrent un immense potentiel de développement. L'Arabie Saoudite, dans sa magnificence, apportera aussi des fonds destinés au patrimoine français. Ils seront certainement plus efficaces que la « loterie Bern ». Il faut accorder aux sciences humaines l'importance qu'elles méritent, au-delà d'un intérêt purement opportuniste.

Mme Annick Billon. - Vous avez mentionné une hausse du budget consacré aux projets sélectionnés, en précisant qu'elle n'était pas suffisante. A-t-elle contribué à augmenter le nombre de projets subventionnés ?

Le taux de sélection des projets reste faible, à 14 %. Que deviennent les projets qui ne sont pas sélectionnés ? Trouvent-ils d'autres moyens d'aboutir, via l'ERC ou le mécénat, par exemple ?

Quelle est la durée moyenne d'un projet ? Le développement des nouvelles technologies a-t-il eu pour effet de l'allonger ou de la raccourcir ?

Enfin, je suis d'accord avec Mme Blondin : on lutterait contre le conformisme en donnant plus de place aux femmes.

M. Antoine Karam. - L'ANR doit sortir des frontières hexagonales. La Guyane est un territoire immensément riche en matière de recherche. Tous les grands organismes de recherche y sont présents, à commencer par l'Institut Pasteur depuis 1940, mais aussi le Cirad, l'Inra, l'Ifremer, le CNRS, le CNES et aussi une université de plein exercice fraîchement installée. Nous travaillons avec le Brésil, le Surinam, le Plateau des Guyanes, et la Caraïbe. Envisagez-vous de venir faire une évaluation de la recherche sur notre territoire ? Ce serait inédit pour un président de l'ANR. Nous avons la canopée de la science et nous vous invitons à venir la contempler de façon horizontale à 200 mètres d'altitude et même à 50 mètres dans le camp des Nouragues.

Mme Sonia de la Provôté. - La recherche est devenue de plus en plus fragmentaire. Il faut que des pôles cohérents de recherche s'installent dans le temps. Les études de cohorte se font sur une longue durée. Comment l'ANR favorise-t-elle le développement de ce regard permanent et continu dans le temps sur les grandes questions sociétales, médicales ou de recherche ?

Mme Catherine Morin-Desailly, présidente. - L'intelligence artificielle est un sujet stratégique. Quel pourcentage de crédits est accordé à ce secteur ? Comment incitez-vous l'investissement dans ce domaine ?

M. Thierry Damerval. - Monsieur Gattolin, toutes les actions européennes de l'ANR ont été lancées avant que j'arrive. Le recyclage que vous mentionnez a été mis en oeuvre l'an dernier sur les ERC. Quant aux projets non retenus dans le programme cadre de recherche et développement (PCRD), il faut être vigilant. Dans mes fonctions antérieures, j'ai constaté que les équipes de l'Inserm avaient un taux de succès important au niveau européen, mais que les difficultés demeuraient sur des sujets de recherche plus fondamentaux comme ceux que traite l'Institut des sciences biologiques (INSB).

M. André Gattolin. - La qualité des équipes de l'Inserm, particulièrement performantes, explique leur succès.

M. Thierry Damerval. - Il faudra veiller à préserver la place de la recherche fondamentale dans le neuvième PCRD.

L'ANR n'est qu'un opérateur en matière d'investissements d'avenir. Elle n'a qu'un pouvoir consultatif sur le PIA dont les actions sont décidées par l'État. Nous savons qu'un nouveau cursus universitaire est en cours d'évaluation. Le jury examine les 48 projets déposés et rendra sa sélection en juin. Je ne dispose pas d'information sur les initiatives d'excellence (Idex) qui concernent les grandes universités de recherche. Je n'ai pas non plus d'élément d'évaluation sur les écoles universitaires de recherche (EUR).

Les appels à projets étaient jusqu'à présent complétés par une documentation de 250 pages développant tous les défis sociétaux. Le format changera en septembre prochain, avec une documentation de moins de 100 pages, organisée par axe scientifique.

En 2014, grâce à l'évolution de la procédure en deux temps, le nombre de projets déposés a augmenté de 8 000 à 10 000. Depuis, nous sommes revenus à 7 500 ou 8 000 projets génériques déposés.

La hausse des budgets a permis d'augmenter le nombre de projets retenus. Nous veillons à ce que le financement par projet ne diminue pas.

Le conseil d'administration est composé de six membres représentant les administrations. Les directeurs d'administration centrale sont plutôt masculins, à l'exception de Mme Brigitte Plateau, directrice générale de l'enseignement supérieur et de l'insertion professionnelle. Parmi les six représentants des grands domaines scientifiques, il n'y a que des présidents. L'arrêté, daté du 7 mars, a fait bien peu cas de la journée du 8 mars... Quant aux quatre personnalités qualifiées du monde industriel et économique, elles sont nommées à parité.

Le 8 mars, j'ai fait venir à l'agence des porteurs de projets consacrés aux femmes. Les sujets balayaient un spectre large, de la femme au Néanderthal jusqu'au biais dans la sélection lié à la composition des comités. Certaines communautés ont hurlé lorsque nous avons choisi de préciser dans la charte déontologique qu'il fallait veiller à la parité. Nous soutenons également un projet sur la sélection dans les orchestres et un autre sur l'analyse de la place des femmes dans le management en Suède, au Royaume-Uni, en Allemagne et en France. Je ne peux qu'espérer qu'il y aura des présidentes d'alliances dans l'avenir.

La répartition entre les financements sur projet et les crédits récurrents est un vrai problème. Il faut un certain taux de succès pour que le dispositif garde son efficience. L'impossibilité dans laquelle se trouvent les comités de faire évoluer le montant imposé par l'ANR pose problème. Il faudra y revenir.

Monsieur Ouzoulias, nous pourrons faire un bilan plus complet concernant le plan consacré aux sciences humaines.

Nous n'avons pas une vision claire de ce que deviennent les projets non financés. Nous travaillons avec l'École d'économie de Toulouse à ce sujet, notamment dans le champ des nanotechnologies.

Je remercie M. Karam pour son invitation. Nous avons réalisé un bilan sur les organismes de recherche outremer. Le Conseil régional de Guadeloupe nous confie la sélection des projets financés par le Fonds européen de développement régional (Feder) dont il dispose. Ce partenariat fonctionne bien.

Je suis prêt à rencontrer les agences qui ne voudraient plus travailler avec l'ANR. À ma connaissance, aucune agence ne s'est désengagée d'un partenariat avec l'ANR. Cependant, j'ai conscience que notre image n'est pas forcément positive.

Les projets sont en général prévus sur trois ans. Les demandes de prolongation n'ont pas beaucoup évolué sur ce point. Les investissements d'avenir ont permis de financer des projets sur dix ans. Dans mes fonctions précédentes, je suivais les cohortes financées dans ce cadre. Ce mode de financement qui a remplacé le multi financement est très efficace.

Mme Sonia de la Provôté. - On a parfois besoin de financer des cohortes sur 20 ans.

M. Thierry Damerval. - D'où la structuration qui a été réalisée. Les cohortes donnent leurs premiers résultats au bout de huit à dix ans.

Nous consacrons 17 millions d'euros par an à l'intelligence artificielle et 60 millions d'euros au numérique. Nous engagerons prochainement des actions complémentaires.

Le budget que vous votez représente 705,9 millions d'euros en 2018 avec une mise en réserve de 51,5 millions d'euros, un peu moins importante que l'an dernier. Le financement de l'Institut national du cancer (INCa) se fait via l'ANR qui lui transfère 38 millions d'euros. L'appel à projets génériques représente 420 millions d'euros. Nos actions au niveau européen représentent 50 millions d'euros. Le programme Carnot représente 60 millions d'euros d'investissements. Il repose sur une logique de financement à la performance, mesurée en termes de transfert de technologies et de partenariats industriels. Pas moins de 16 % des laboratoires académiques et 50 % des contrats industriels de la recherche publique bénéficient du label Carnot. Le programme représente 550 millions d'euros d'investissements industriels.

Mme Laure Darcos, rapporteure des crédits de la recherche. - Quelles sont les règles de financement des coûts indirects ? Comment mieux financer ces coûts ?

M. Thierry Damerval. - Ces coûts se décomposent entre les frais de gestion qui sont passés de 4 % à 8 % et le préciput destiné à faciliter le financement de matériel et à optimiser les fonctions support, passé de 5 % à 11 %. Nous sommes désormais à 19 %. La question qui se pose est celle d'une globalisation. Nous y travaillons avec le ministère.

Mme Catherine Morin-Desailly, présidente. - Nous vous remercions. Vous avez pris vos fonctions il y a seulement quatre mois. Les défis à relever sont nombreux. Nous vous souhaitons une belle réussite. La France a besoin de la recherche. Notre commission est très mobilisée sur ce point.

Communications diverses

Mme Catherine Morin-Desailly, présidente. - Le bureau de la commission se réunira à l'issue de notre prochaine réunion.

La réunion est close à 11 h 15.