Mercredi 26 février 2020

- Présidence de M. Vincent Éblé, président -

La réunion est ouverte à 9 h 40.

Contrôle budgétaire - Financement de la vie politique et rôle de la commission nationale de contrôle des comptes de campagne et des financements politiques - Communication

M. Vincent Éblé, président. - Nous entendons notre collègue Jacques Genest sur son contrôle budgétaire relatif à la Commission nationale de contrôle des comptes de campagne et des financements politiques (CNCCFP).

M. Jacques Genest, rapporteur spécial. - Je vais vous présenter les conclusions auxquelles je suis parvenu au terme de mon étude sur les crédits du programme 232 de la mission « Administration générale et territoriale de l'État », du moins des crédits de ce programme consacrés au financement de la vie politique.

Trois chefs de dépenses sont concernés : les crédits consacrés au financement public des campagnes électorales ; les crédits finançant l'aide publique aux partis politiques ; et, enfin, les moyens réservés à la CNCCFP, qui exerce des missions de régulateur financier des deux premiers types de crédits que je viens d'évoquer, avec un coup d'oeil sur l'institution nouvelle du médiateur du crédit aux candidats et aux partis politiques.

Si le rapport n'aborde pas les questions majeures liées à ce qui m'apparaît comme une crise de la condition matérielle réservée aux élus, en revanche, ce fut une démarche naturelle de ne pas éluder la crise des campagnes électorales, spectaculairement marquée par le rejet du compte de campagne d'un des principaux candidats à l'élection présidentielle de 2012, mais aussi par les incidents et les soupçons qui ont entouré la campagne de 2017. De la même manière, la crise des partis politiques ne pouvait guère être négligée.

Ces deux crises me semblent avoir eu leur prolongement dans une crise moins patente, mais menaçante, qui est celle des régulateurs de la vie politique, à commencer par la CNCCFP, qui est l'un des objets du rapport.

Énormément a été fait ces dernières années pour surmonter ces crises. La régulation des partis politiques a été tout particulièrement concernée par ce processus, mais ce fut le cas aussi pour les campagnes électorales. Dans ce contexte, l'amélioration des moyens de la CNCCFP a été moins notable, surtout si l'on considère l'alourdissement des charges qu'impliquent ses missions.

Tous les ferments des crises ont-ils pour autant été éliminés ? Je ne le crois pas et, sans esprit d'exhaustivité, je vais m'en expliquer. Je voudrais compléter cet avant-propos en resituant mes travaux dans leur cadre institutionnel. J'ai entendu agir dans le cadre de ma mission de rapporteur spécial de la commission des finances après que celle-ci a inscrit cette mission à son programme de contrôle.

J'ai eu pour constante préoccupation de ne pas empiéter sur les prérogatives de notre commission des lois et, bien entendu, en plein respect des attributions du Bureau du Sénat, auquel a été reconnu un pouvoir d'initiative dans ce domaine.

J'ai donc situé ma démarche autour des questions qu'il nous appartient ici de traiter, à savoir la justification des dépenses publiques qui matérialisent les autorisations budgétaires et fiscales sur lesquelles nous sommes appelés à statuer.

Les crédits du programme 232 sur l'utilisation desquels je me suis penché correspondent aux moyens d'une politique publique dont l'étendue a pris au fil du temps une ampleur de plus en plus vaste et qui répond à plusieurs types de justifications.

Pour aller à l'essentiel, il s'agit d'assurer la vitalité de notre démocratie en donnant aux partis politiques les moyens de leur expression, en les garantissant contre des dépendances troubles, à commencer par celle de l'État, mais aussi en prévoyant les moyens d'une expression libre, et j'allais dire non faussée, des candidats aux élections. Il s'agit également d'assurer la crédibilité des acteurs de la vie politique que sont les partis politiques et les candidats aux suffrages du corps électoral auprès de l'opinion publique, en permettant à cette dernière d'accéder à des informations sur tel ou tel point auxquels elle est présumée accorder un intérêt légitime. C'est ici tout le sujet compliqué de la transparence.

Ce long, mais nécessaire préambule ayant été exposé, j'en viens à mes conclusions. J'aborderai successivement la thématique des campagnes électorales, qui mobilisent une partie variable selon les années, mais souvent importante, des crédits du programme 232, celle du financement des partis politiques, puis trois thématiques transversales, l'accès au financement de la vie politique, la participation financière citoyenne et les conditions de fonctionnement et d'organisation de la CNCCFP que je n'aurais pas déjà abordées lors de la revue des différents thèmes que je viens de mentionner.

Les campagnes électorales sont abordées sous l'angle de la prise en charge par l'aide publique des frais de campagne des candidats et du rôle de la CNCCFP. Celle-ci arrête les comptes de campagne, ce qui implique une vérification approfondie de ces comptes, et joue un rôle de quasi-ordonnateur des deniers publics, en déterminant le montant du remboursement forfaire public accessible aux candidats. Les crédits mobilisés varient selon le calendrier électoral, avec des années de forte intensité et d'autres de moindre actualité électorale. Les prises en charge des frais de campagne ont atteint, pour les élections présidentielles de 2017, 41,1 millions d'euros, et pour les législatives de la même année 45,56 millions d'euros. Par comparaison, les frais de campagne des candidats aux élections sénatoriales ont coûté 2,3 millions d'euros. La campagne sénatoriale est économe. Les élections municipales de 2014 avaient donné lieu à un remboursement forfaitaire de l'État de 62,9 millions d'euros.

Ces chiffres étant rappelés, il faut en dégager les principales caractéristiques. Je me contenterai ici d'en évoquer quelques-unes.

Les candidats ne « saturent » généralement pas le plafond des dépenses électorales, le plafonnement de ces dépenses étant l'une des principales régulations à l'oeuvre. Ils tendent à optimiser la gestion de leurs engagements financiers afin de pouvoir bénéficier du montant maximal de la prise en charge publique, mais il arrive qu'ils n'y parviennent pas.

Les partis politiques apportent un soutien important aux candidats, mais qui peut prendre des formes différentes, soit qu'ils accroissent l'apport personnel du candidat, soit qu'ils interviennent directement. Cette dualité n'est pas sans lien avec la question de l'optimisation des retours publics vers chaque candidat.

Il existe enfin une forte différenciation des ressources engagées par les candidats et des dépenses qu'ils supportent, en particulier pour l'élection présidentielle. Je rappelle que le plafond de dépenses est de 16,8 millions d'euros pour les candidats du premier tour et qu'il passe à 22,5 millions d'euros pour les deux candidats présents au second tour. Dans les faits, les cinq premiers comptes de campagne de l'élection présidentielle de 2017 ont mobilisé 93 % des dépenses de campagne des onze candidats et 46,1 % du total des dépenses des candidats aux élections présidentielles et législatives de 2017.

Un mot sur les recettes pour faire ressortir la part importante des emprunts bancaires - 35,3 % des ressources des candidats à la présidentielle de 2017 - ou auprès des partis - 21 % des ressources. Quant aux dépenses, pour l'élection présidentielle, les réunions publiques ont absorbé 40 % du total, ce qui est moins qu'en 2012 - le taux était de 48 % -, mais reste le premier poste de dépense.

Enfin, les conditions de la prise en charge publique des frais de campagne varient fortement selon les résultats électoraux, avec une pénalisation très forte des candidats qui ne réunissent pas 5 % des suffrages, donc des candidats qui ayant passé le filtre des parrainages représentent des courants d'idées modestement appréciés du corps électoral.

Les frais de campagne pris en charge sur crédits publics auxquels il faudrait ajouter les engagements liés à la réduction fiscale de l'article 200 du code général des impôts sont déterminés individuellement par la CNCCFP après un contrôle dont j'analyse les résultats et les qualités dans le rapport.

Pour le dire d'un mot, les décisions de la commission portant sur les comptes apparaissent à la fois nombreuses et de peu d'effets globaux sur les conditions du remboursement forfaitaire. Il n'empêche qu'elles exercent sur les candidats une assez forte charge sinon financière, sauf dans certaines situations ponctuelles, du moins psychologiques. J'y reviendrai.

Quant à la question de la qualité des interventions de la CNCCFP, force est de la juger fort variable.

J'insiste tout particulièrement sur les difficultés que la commission paraît éprouver dans son contrôle des comptes de candidats à l'élection présidentielle. Ces difficultés, déjà non négligeables quand il s'agit de processus relevant de l'Ancien monde des campagnes électorales, paraissent insurmontables lorsqu'il est question d'affronter le Nouveau monde, c'est-à-dire celui de la globalisation et du numérique.

Pour ce qui est de l'Ancien monde, je dois m'interroger sur les capacités de la commission à contrôler les éléments des comptes de campagne liés aux réunions publiques et à certains aspects de la propagande. On peut rencontrer dans ces domaines tout et son contraire : des sous-facturations qui laissent présumer des avantages conférés par des personnes morales et des surfacturations qui laissent entrevoir la concrétisation d'opportunité de divertir l'aide publique à des fins plus ou moins personnelles.

Or, la CNCCFP, si elle a pu intervenir dans certaines situations, paraît quelque peu dépourvue des moyens d'un contrôle à la fois efficace et systématique.

Mais, évidemment, lorsque le Nouveau monde est en cause, ces problèmes s'accentuent. Je voudrais citer deux ou trois exemples. En premier lieu, le Nouveau monde, ce peut être l'Union européenne elle-même. À cet égard, l'avis rendu par le Conseil d'État le 19 mars 2019, qui a reconnu aux partis politiques européens la faculté de financer par des dons la campagne européenne des partis nationaux, pose un réel problème au vu de la diversité des règles encadrant le financement des partis politiques dans l'Union européenne. Mais d'autres difficultés plus « obliques » peuvent être mentionnées. Par exemple, la contribution de sites internet basés à l'étranger à la propagande ciblée d'un candidat. Je n'ai pas le sentiment que la CNCCFP serait en mesure de la détecter davantage que le CSA. Quant à l'intégration de ces contributions dans les comptes de campagne, je vous laisse juges.

Je déduis de ces analyses plusieurs recommandations. Les unes portent sur les conditions dans lesquelles la CNCCFP devrait suivre l'élection présidentielle ; les autres sur le plafond des dépenses électorales pour cette élection ; certaines, enfin, sont relatives à l'encadrement des sanctions prononcées par la CNCCFP.

Sur le premier point, le contrôle doit se rapprocher de la campagne pour l'élection présidentielle. Jusqu'à présent, il s'agit d'un contrôle tardif qui porte sur les comptes déposés à la fin de la campagne, ce qui pose de sérieuses difficultés. Pour l'élection présidentielle, il est impératif de prévenir puisqu'on ne peut pas totalement guérir. La campagne devrait être mieux suivie au jour le jour par des délégués de la commission et les comptes de campagne devraient être présentés sur des bases actualisées en continu. Il est, en outre, nécessaire que la commission s'assure que les canaux de contributions extérieures aux campagnes des candidats ne permettent pas de contourner les règles financières. On pourrait suggérer l'instauration d'un devoir de signalement des experts-comptables ou d'autres intervenants auprès de la commission.

En ce qui concerne le plafond des dépenses électorales, j'observe qu'il est régulièrement supérieur aux dépenses des candidats. Celles-ci sont cependant fréquemment élevées et il y a certainement un lien entre le volume des dépenses et la possibilité pour la commission d'en assurer la vérification de la conformité. Par ailleurs, les moyens nouveaux de communication assurent des possibilités de propagande électorale à moindre coût.

Je propose de baisser le plafond des dépenses de campagne en laissant ouverte la question du taux de remboursement des frais de campagne, qui pourrait être moins sélectif.

Enfin, en ce qui concerne les sanctions, je relève que, s'il est heureux que la commission soit désormais dotée d'un plus fort pouvoir de modulation, il est souhaitable que, dans ce cadre, elle puisse développer une démarche de minimis relative à ses décisions de rejet, et de structuration plus systématique de sa doctrine. Cela m'apparaît d'autant plus nécessaire que si le juge peut intervenir, il le fait inégalement et parfois avec beaucoup de retard, tandis que la capacité des candidats à défendre leur point de vue devant la commission n'est à ce jour pas également distribuée.

J'en viens aux partis politiques avec deux problématiques différentes : l'encadrement financier des partis et le rôle de la CNCCFP comme régulateur ; le niveau et la distribution de l'aide publique. Sur le premier point, je n'ai pas besoin de vous rappeler que beaucoup a été fait pour encadrer la vie financière des partis. Si la CNCCFP avait traditionnellement une mission limitée de publication des comptes, le renforcement des exigences comptables imposées aux partis a modifié les conditions d'une intervention qui peut se faire de plus en plus profonde.

À cet égard, un événement majeur est intervenu avec l'adoption d'un premier règlement comptable complet des partis politiques doté d'une valeur obligatoire, le règlement de l'autorité des normes comptables du 12 octobre 2018. Une analyse de ce règlement en révèle deux caractéristiques : d'abord, sa fragilité juridique dans la mesure où il n'est pas certain qu'il soit tout à fait à l'abri d'une inconstitutionnalité ; ensuite, les progrès, cependant perfectibles, dont il témoigne. Deux exemples de perfectibilité : les modalités d'intégration comptable des entités liées, la définition du périmètre d'intégration. Néanmoins, avec cet outil, la publication des comptes sera certainement l'occasion d'un travail plus profond de la CNCCFP et d'une plus forte transparence des partis. Sur le second sujet, le niveau de l'aide publique, je ne vous ferai part que de constats objectifs. Chacun en fera ce que bon lui semble. Est-il vraiment satisfaisant que le niveau de l'aide publique soit gelé depuis 2014 ? Est-il réellement satisfaisant que la « prime présidentielle » doublée de la « prime majoritaire » aux élections législatives aboutisse à une répartition plus ou moins fortement déséquilibrée de l'aide ? Qu'une prime majoritaire puisse exister et que la distribution de l'aide ne soit pas strictement proportionnelle à l'influence électorale ne me semble pas choquant, mais il me paraît utile de réduire certains déséquilibres trop manifestes pour être compatibles avec l'objectif de pluralisme poursuivi.

Enfin, est-il vraiment satisfaisant que ni les élections européennes ni surtout les élections territoriales, qui, pour ces dernières tout particulièrement, représentent une partie importante de l'expression démocratique, ne soient prises en compte ? Vous l'avez compris, il s'agit ici de l'adéquation des instruments d'une politique publique avec ses objectifs. Moins de déséquilibres et davantage de considération pour la démocratie locale dans la distribution de l'aide publique.

Comme le problème se situe surtout dans le coefficient multiplicateur des résultats électoraux de la présidentielle en distribution de l'aide au titre des élections législatives, il me semblerait justifié qu'on modère quelque peu le rendement des primes présidentielle et majoritaire en droits sur l'aide publique aux partis.

Deux mots sur le financement « citoyen » et l'accès aux services bancaires pour vous indiquer que l'exercice du droit au compte considéré comme « à peine acceptable » par le médiateur du crédit mérite d'être renforcé et que l'accès au crédit bancaire est promis, en l'état, à ne pas trouver de solution. Le Gouvernement considère qu'il n'y a pas de problème et le médiateur du crédit, s'il admet des difficultés qu'il a d'ailleurs pu constater lors du scrutin européen, n'a pas avancé de solutions décisives dans son premier rapport. Contrairement au Gouvernement, je pense que le financement de la vie politique se heurte à certaines imperfections de marché qui ne sont pas d'ailleurs sans lien avec les déséquilibres sur la distribution de l'aide publique que je viens d'exposer. La résolution partielle de ces déséquilibres et la limitation des dépenses de campagne électorale pour l'élection présidentielle pourraient contribuer à atténuer la difficulté liée à l'accès au crédit. Mais d'autres dispositifs seront sans doute nécessaires. Il ne faut pas fermer le dossier de la banque de la démocratie.

Sur le financement citoyen de la vie politique, qui passe par la réduction fiscale de l'article 200 du code général des impôts, je veux d'abord indiquer qu'il est anormal que la dépense fiscale correspondante ne soit pas systématiquement évaluée. Les concours publics correspondants sont à peu près analogues à ceux octroyés sur crédits publics. Cela vient surtout des cotisations des adhérents et, parmi ces dernières, des cotisations d'élus. Certaines propositions visent à substituer un crédit d'impôt à la réduction fiscale pour les dons et cotisations. Cela permettrait, peut-être, d'élargir la contribution citoyenne au financement de la vie politique. Pour ma part, si je suis plutôt enclin à préconiser cette modification pour les cotisations aux partis politiques, je suis beaucoup plus réservé s'il s'agit de l'étendre aux dons. Nous devons pondérer l'élargissement de la capacité de financement des citoyens avec leur protection contre des démarchages qui présentent des risques évidents.

Vous avez senti que la CNCFFP avait vu ses missions considérablement renforcées. J'estime qu'elle n'en a, globalement, ni suffisamment les moyens humains, ni suffisamment les moyens informatiques, ni suffisamment les moyens juridiques. Le dialogue entre la commission et certaines autorités administratives indépendantes semble trop réduit, alors que des coordinations paraissent s'imposer. Une seule demande, semble-t-il, a été présentée au CSA dans le cadre des récents rendez-vous électoraux.

Au-delà de ce constat, j'observe que les procédures mises en oeuvre par la commission, de définition largement prétorienne, sont perfectibles malgré certaines améliorations notables. En particulier, le contradictoire devrait être mieux formalisé et un second degré de délibération devrait pouvoir être plus systématiquement mobilisé. La commission gagnerait sans doute à disposer de la possibilité de demander des avis à un conseil de sages ayant eu l'expérience de la vie politique. Elle pourrait également mieux accompagner les candidats. Une procédure de rescrit pourrait être envisagée en ce sens.

La commission rend un très grand nombre de décisions qui n'ont souvent aucun impact financier sur la prise en charge publique des frais de campagne. Cependant, elle rend un grand nombre de décisions de réformations souvent mineures. Un de minimis serait utile et justifié.

Enfin, la commission doit être plus performante dans sa relation avec son environnement. La publication des comptes des partis politiques intervient au bout de plus d'un an. Quant aux comptes de campagne, les délais selon lesquels ils sont arrêtés varient, mais, s'ils peuvent sembler trop brefs dans le cas de l'élection présidentielle ou lorsque l'élection est contestée devant le juge, ils peuvent être excessifs dans d'autres situations. Enfin, la commission doit pouvoir mieux répondre aux demandes de communication formulées par des tiers.

Le bilan de ce travail, c'est que la régulation financière de la vie politique a fait des progrès considérables. Certaines avancées devront être confirmées par l'expérience. D'autres pourraient encore intervenir pour renforcer les points faibles du dispositif.

La CNCCFP joue incontestablement un rôle positif, mais qui pourrait l'être davantage encore si certaines capacités d'instruction lui étaient données et si elle disposait de davantage de moyens pour suivre les campagnes électorales, en particulier celle de l'élection présidentielle. En outre, la commission gagnerait à être encore plus « accompagnante ».

Quant au financement de la vie politique, je crois qu'il faut vraiment prendre au sérieux l'impératif de résolution des déséquilibres les plus manifestes.

M. Vincent Éblé, président. - Merci pour cet exposé complet.

M. Roger Karoutchi. - Je ne suis pas d'accord avec certains points évoqués par le rapporteur.

Baisser le plafond de dépenses de la campagne présidentielle, alors qu'il n'a pas bougé depuis des années, n'a pas grand sens. On parle d'une dépense de 22 millions d'euros pour un pays de 67 millions d'habitants, avec des territoires ultramarins... Le « politique bashing » empêche toute évocation des dépenses liées à la vie publique. Baisser encore ces dernières reviendrait à demander aux politiques de faire du mieux qu'ils peuvent, de ne rien faire ou de contourner les règles.

Nous avions proposé avant l'élection de 2017 que la CNCCFP délègue des envoyés auprès de chaque candidat. Une campagne présidentielle génère un nombre considérable de factures et de dépenses : un délégué pourrait donner des conseils aux candidats et les contrôles a posteriori avec les experts-comptables seraient facilités.

La vie publique en France est peu coûteuse, comparée à celle de certains de nos voisins européens. Mais la démagogie ambiante ne permet pas d'expliquer qu'il faudrait mieux ou davantage rembourser.

Un problème vient du fait que la CNCCFP ne s'engage pas par écrit lorsqu'un candidat l'interroge sur un point précis avant l'élection. Elle devrait apporter des réponses plus claires et elle devrait répondre par écrit.

M. Didier Rambaud. - Je prends acte de ce rapport, dont je ne partage pas les trois quarts des conclusions ! La démocratie a un coût, qui doit être assumé.

J'ai reçu une publication de la Fondation Jean-Jaurès sur le financement de la vie politique, dont certaines propositions sont très intéressantes. S'agissant du financement des élections sénatoriales, le rapport évoque la possibilité de prendre en compte, pour le plafonnement des dépenses, le nombre des grands électeurs à la place du nombre d'habitants, ce qui me paraît très intéressant.

Il est également proposé de créer une banque de la démocratie. Il est difficile d'obtenir des prêts pour financer une campagne. Quand on est un élu sortant, les choses sont plus aisées ; mais lorsque j'ai voulu emprunter pour me présenter aux législatives en 2012, il m'a fallu négocier deux mois avec une banque.

La CNCCFP s'est beaucoup améliorée depuis dix ans. Une jurisprudence s'élabore ; un rapport annuel est publié, ce qui permet de prendre connaissance de ce qu'il est possible de faire et de ce qu'il ne faut pas faire. Néanmoins, comme l'a dit Roger. Karoutchi, nous n'obtenons que des réponses orales à nos interrogations.

M. Marc Laménie. - Je félicite le rapporteur pour sa présentation. Malheureusement, j'ai eu affaire à la CNCCFP. Je m'interroge sur l'utilité du questionnaire que nous recevons, sur la gouvernance et le fonctionnement, technocratique, de cette commission, ainsi que sur les moyens humains dont elle dispose.

M. Philippe Dallier. - Je partage un certain nombre de points de vue qui ont été exprimés. Je m'interroge moi aussi sur le fonctionnement de la commission : certains candidats ont failli être inéligibles pour quelques achats de timbres. La méthodologie devrait être revue.

Sur le financement, je ne partage pas l'avis du rapporteur. Comment envisager une baisse du plafond des dépenses électorales ? Pour l'élection présidentielle, il faudrait plutôt se demander jusqu'où le remonter. Pour les élections locales, le plafond n'est pas très élevé, notamment pour des communes moyennes de 20 000 à 40 000 habitants. De nombreux maires font, six mois avant la fin de leur mandat, un bilan de mandat payé par la collectivité locale. Je considère, pour ma part, qu'il devrait être intégré dans le compte de campagne, ce qui réduirait d'autant le montant restant disponible.

Il faudrait avoir le courage de dire que la démocratie a un coût et que les plafonds devraient être rehaussés.

M. Claude Raynal. - La méthodologie employée pour le contrôle des élections sénatoriales m'a beaucoup choqué. Un jeune stagiaire m'a posé des questions hallucinantes. L'analyse des comptes des candidats élus devrait être faite par des personnes expérimentées, avec davantage de sérieux.

Le rescrit est quasi indispensable. Les réponses que nous obtenons n'engagent que celui qui les donne... La règle doit être fixée par écrit et engager l'institution. Cela permettrait de s'assurer que l'instruction est la même pour tous.

Par ailleurs, je veux évoquer une question particulière : un élu doit démissionner de ses mandats précédents dans le mois qui suit son élection. En cas d'annulation de l'élection consécutive à un recours administratif de la CNCCFP, on perd tout ! En revanche, si un citoyen a fait un recours contre l'élection, l'élu garde ses mandats jusqu'à la fin du recours. Les deux situations ne sont pas équilibrées ; il faudrait examiner ce point.

Mme Christine Lavarde. - Dans les communes de moins de 9 000 habitants, l'État ne participe pas aux frais de campagne municipale. Dans les communes dont la population est inférieure à 2 500 habitants, cela va encore plus loin : la mise sous pli n'est pas financée par l'État. Alors même que nous sommes confrontés à un manque de candidats dans les petites communes, j'estime que c'est scandaleux.

M. Vincent Capo-Canellas. - Il faudrait que nous sachions à partir de quel moment on peut considérer que la jurisprudence de la CNCCPF est gravée dans le marbre. Les avis préalables nous sont communiqués par téléphone, voire par mail. Mais il arrive que la commission retienne in fine une position qui n'est pas celle qui est exprimée par ses services. Ces avis devraient, par ailleurs, être rendus de façon claire et publiés après avoir été délibérés par la commission, peut-être en les anonymisant.

Quand un candidat est-il considéré comme étant en campagne ? Pour les sénatoriales, il est possible de n'ouvrir son compte de campagne qu'en juin ou juillet. Ne risque-t-on pas de nous opposer que des rencontres avec des grands électeurs en mai ou en juin, qui relèvent de notre travail normal de sénateur, font en réalité partie de la campagne électorale ? C'est un véritable problème. Il faudrait disposer de règles claires sur la question.

La CNCCFP, la HATVP, les obligations qui sont les nôtres : le corpus est écrasant, tout en n'étant pas cohérent ! Il faut rendre les règles plus lisibles pour les élus.

S'agissant des réfactions, la commission consacre quelquefois beaucoup de temps et d'énergie à contester des sommes minimes. On est passé d'un excès à un autre...

Enfin, sur la banque de la démocratie, les banques rechignent parfois à financer des formations politiques en décroissance ou certains candidats. Les candidats doivent pouvoir avoir accès au crédit.

M. Éric Bocquet. - Didier Rambaud a dit qu'il était plus facile d'obtenir un prêt quand on est sortant : j'ai vécu le contraire en 2017. Client depuis trente-sept années d'une banque qui avait autrefois du bon sens près de chez nous, je me suis vu refuser un prêt de 18 000 euros. J'ai contacté une autre banque distributrice de courrier dans le pays, qui m'a apporté la même réponse. J'ai évoqué cette mésaventure auprès du directeur régional d'une banque mutualiste que j'ai rencontré par hasard lors d'un concert et qui a réglé l'affaire en quelques minutes...

M. Bernard Delcros. - Je partage l'avis de Roger Karoutchi : il ne faut pas tomber dans la démagogie en baissant les dépenses de campagne. Cela ne servirait pas la démocratie, qui a un coût, lequel n'est pas très élevé dans notre pays.

Pour les élections sénatoriales, on pourrait aussi tenir compte du nombre de communes, au lieu du nombre d'habitants ou de grands électeurs.

Je suis d'accord avec Christine Lavarde : pourquoi rembourser les dépenses de campagne uniquement dans les communes de plus de 9 000 habitants ?

Je veux insister sur la frontière floue et peu lisible, évoquée par Vincent Capo-Canellas, entre ce qui relève, à partir du 1er mars, de l'action du mandat de sénateur et ce qui relève de la campagne électorale pour les sortants qui sont candidats. Nous n'avons pas de réponse précise sur le sujet.

M. Patrice Joly. - Je remercie le rapporteur pour son travail intéressant dans un contexte de forte défiance à l'égard de nos institutions et des élus.

Il faut faire de la pédagogie sur le coût de la démocratie : le Sénat, même s'il peut toujours faire des efforts pour être le plus économe possible, coûte moins de 5 euros par habitant et par an.

Les financements favorisent le statu quo, même si l'élection de 2017 a donné l'impression de modifier la donne. Les dons renvoient à la notion de catégorie sociale, à celle de capacité contributive. Les aides publiques figent une photo de la vie politique à un moment donné et permettent de disposer de moyens importants sur l'ensemble d'un mandat. L'accès au crédit est difficile : dans mon département, certaines listes rencontrent des difficultés pour contracter les financements nécessaires à leur campagne.

L'enjeu du financement doit être d'éviter le statu quo que je viens d'évoquer, d'empêcher que le jeu démocratique soit capté par les intérêts privés, et de renouer avec l'égalité démocratique - un citoyen vaut une voix, ce qui n'est pas le cas aujourd'hui.

Julia Cagé a proposé l'année dernière d'instaurer des bons pour l'égalité démocratique dans son livre intitulé Le prix de la démocratie. Chaque citoyen se verrait remettre un bon pour permettre le financement des partis, des campagnes électorales et du débat démocratique. Il faut pouvoir trouver des moments d'échange partagés.

M. Sébastien Meurant. - Je remercie le rapporteur pour son travail.

La liberté est la règle, et l'interdiction l'exception. Plus le temps passe, et plus les contraintes s'accumulent. Il est tout de même incroyable que ceux qui font la loi ignorent ce qui est permis et ce qui ne l'est pas ! Il faut raviver l'égalité démocratique, la liberté, et le bon sens. Il faut sortir de la démagogie : la démocratie a un coût, qui est minime par rapport à bien d'autres dépenses inutiles.

Dans mon département, une candidate a recueilli une quarantaine de voix en 2017, après avoir dépensé quelques centaines d'euros. Elle s'est cassé les deux bras avant de rendre son compte de campagne, et a été déclarée inéligible pour trois ans par le Conseil constitutionnel. Quelle énergie dépensée par la collectivité nationale pour une dépense minime...

M. Jean-François Rapin. - Le droit à l'erreur devrait s'appliquer.

M. Alain Houpert. - Un rapport du Sénat permet de poser les bonnes questions. Sébastien Meurant a évoqué le principe de liberté ; pour ma part, je parlerai du principe d'égalité. Il y a en effet rupture d'égalité entre le candidat sortant et l'outsider. Un sénateur qui veut se représenter se pose de nombreuses questions, notamment sur la date à laquelle il doit ouvrir son compte de campagne. Car on est déjà présumé coupable ! En 2014, plusieurs de nos collègues ont été invalidés pour quelques euros.

Il faut remettre le bon sens au milieu de la France, comme l'église au milieu du village !

M. Pascal Savoldelli. - Notre débat soulève la question des mécanismes électoraux : le mandat présidentiel à cinq ans et les législatives organisées dans la foulée de la présidentielle posent problème. Je suis attaché à ce que le financement des campagnes électorales relève de l'aide publique.

On assiste à un basculement : des moyens publics et privés sont consacrés à la transparence de la vie publique. Les médias, les réseaux sociaux, s'intéressent à la question. Et on est au centime près ! Les groupes politiques, les élus, ne parviennent plus à ouvrir un compte bancaire.

Ce sujet relève-t-il d'un rapport spécial de l'un ou l'autre d'entre nous ? Il faudrait plutôt un rapport collégial, dont le rapporteur pourrait être M. Genest... Cela nous permettrait d'être force de proposition.

M. Charles Guené. - Nous serions bien inspirés, plutôt que de faire entrer de plus en plus d'élus dans des contraintes, de mettre un plafond en dessous duquel le candidat n'est pas obligé de déclarer son compte de campagne. Ce serait utile dans les petites communes. Ainsi, un conseiller général de mon département, élu depuis trente ans, avait choisi de ne pas faire campagne ; il n'avait rien dépensé, et donc n'avait pas déposé de compte de campagne, malgré la demande de la préfecture. Son élection a été invalidée... Arrêtons de dépenser une énergie folle pour de tels contrôles !

M. Albéric de Montgolfier, rapporteur général. - Vous êtes nombreux à intervenir, ce sujet intéresse beaucoup ! Je m'interroge sur l'utilisation de moyens publics pour contrôler des dépenses de quelques euros... La CNCCFP invaliderait-elle un candidat à l'élection présidentielle, élu par plus de 50 % des voix, quand bien même il aurait explosé son compte de campagne ? Dans la pratique, non, alors qu'elle n'hésiterait pas à annuler pour quelques dizaines d'euros un sénateur ou un conseiller départemental... Le système est hypocrite.

Permettez-moi de vous livrer une anecdote : j'ai reçu le 19 décembre 2014, après les élections sénatoriales, un courrier recommandé ; je devais indiquer avant le 26 décembre - date particulièrement opportune - quels étaient les convives qui avaient bu chacune des quelques bouteilles de cidre qui avaient été servies lors d'une réception...

Autant une violation délibérée des règles doit être sanctionnée, autant dans ce cas, c'est exagéré.

Nous sommes régulièrement sollicités par les banques et la Fédération bancaire française sur les sujets qui les concernent. Ils doivent aussi nous écouter sur le droit au compte pour les élus. Nous sommes parfois dans une situation plus défavorable que les autres citoyens. Il serait utile d'engager des démarches auprès des banques et de la Banque de France sur le droit au compte, afin d'arrêter de perdre du temps à rechercher une agence qui accepte de nous ouvrir un compte...

M. Jacques Genest, rapporteur spécial. - Merci pour ces nombreuses remarques. Le compte rendu de cette réunion sera, je l'espère, très utile à l'opinion publique ainsi qu'à la commission des lois. Je me félicite que ces échanges à propos de mon rapport enclenchent déjà ce qui pourrait être à l'avenir un travail collectif.

J'ai interrogé M. François Logerot, président de la CNCCFP, pour savoir si la commission, qui peut contribuer à invalider un sénateur ou un maire de grande ville pour un dépassement de 20 euros, se sent également capable de contribuer à la destitution d'un président de la République élu au suffrage universel... Vous vous doutez de la réponse.

Roger Karoutchi, vous croyez que je veux assassiner la démocratie en réduisant le plafond des dépenses pour les élections présidentielles ? Certes, la démocratie a un coût. Lors de la dernière présidentielle, Marine Le Pen a dépensé 12,4 millions d'euros, Emmanuel Macron 16,7 millions d'euros, pour un plafond de 22,5 millions d'euros. Ils étaient donc très éloignés du plafond. C'est ce qui m'a autorisé à suggérer, à titre personnel, la réduction du plafond des dépenses électorales mais pour la seule élection présidentielle. Par ailleurs, je n'ai pas suggéré qu'il faudrait réduire la prise en charge publique des dépenses des candidats. L'élection présidentielle a changé. Les meetings ne représentent que 40 % des coûts, contre 48 % auparavant. L'élection se joue désormais davantage dans les médias. Certes, nous devons toujours faire des meetings, qui coûtent cher, mais ce ne sont pas eux qui font avancer la démocratie.

Merci, Christine Lavarde, d'avoir évoqué les petites communes. Ancien maire d'une commune de 800 habitants, je préférais payer moi-même certains documents plutôt que de remplir des tonnes de papier pour me les faire rembourser. Il n'empêche que la situation que vous avez décrite doit évoluer.

Oui, Roger Karoutchi, il faut revaloriser les moyens des partis politiques.

Le rescrit est un sujet important : les citoyens qui s'engagent doivent savoir où ils vont.

Nous avons reçu le médiateur du crédit aux candidats et aux partis politiques, qui en était encore au début de la définition concrète de son rôle. Didier Rambaud, M. Castaner a déjà répondu au président Hervé Marseille sur la banque de la démocratie et, ainsi, semble-t-il, à vous même : il n'en est pas question.

J'ai voulu ouvrir un compte d'avances, et me suis rendu à la Banque postale au Sénat. J'aurais eu besoin d'un avocat pour remplir tous les documents ! Nous sommes présumés coupables. Pour ouvrir un compte de campagne, c'est encore plus compliqué. Lorsque « le bon sens près de chez vous » n'en a plus... Mais ce problème se retrouve aussi pour tout prêt ou assurance dans le cadre privé. Nous frisons l'ostracisme.

Vincent Capo-Canellas, les problèmes que vous évoquez sont en effet très sérieux : quand commence la campagne électorale pour un élu déjà en fonction ? Le compte de campagne doit être ouvert longtemps à l'avance. Un sénateur doit-il occuper ses fonctions jusqu'au bout ? Si oui, on va l'accuser de faire campagne pendant son mandat ? Il en est de même pour un conseiller départemental qui veut se présenter au Sénat. Certes, le cas est rare du fait du non-cumul des mandats.

J'ai reçu une fin de non-recevoir à ma demande de rencontre de la HATVP. Je le regrette.

La démocratie n'a pas de coût, mais pas de temps non plus... Claude Raynal, il faudrait former les employés de la CNCCFP, afin qu'ils connaissent mieux la vie politique. Merci de votre soutien sur les rescrits.

Éric Bocquet, c'est effectivement un scandale qu'une personne ne puisse se présenter à une élection en l'absence d'ouverture d'un compte de campagne. S'il se lance, il risque d'être sanctionné par la CNCCFP. C'est grave !

Sébastien Meurant, il y a effectivement trop de contraintes qui pèsent sur les élus, sans justification.

Alain Houpert, il faut assurer une égalité entre les candidats sortants et les entrants. Les premiers ont peut-être un avantage politique, mais ils sont en situation très inconfortable du point de vue de la régulation financière.

Pascal Savoldelli, oui la transparence finit par poser problème et par produire son contraire : l'opacité. Je suis pour la liberté dans les règles. Nous sommes arrivés à cette situation parce que certains élus ont commis des fautes graves. Nous hésitons parfois à dire que nous sommes parlementaires, mais la démocratie a un prix. Elle doit être faite par des gens honnêtes et respectés - ce n'est plus toujours le cas -, même si nous sommes respectables.

M. Vincent Éblé, président. - Merci à vous.

La commission autorise la publication de la communication de M. Jacques Genest sous la forme d'un rapport d'information.

Compte rendu de la Conférence interparlementaire sur la stabilité, la coordination économique et la gouvernance au sein de l'Union européenne, prévue à l'article 13 du traité sur la stabilité, la coordination et la gouvernance (TSCG) et de la semaine parlementaire du semestre européen

M. Vincent Éblé, président. - Nous en venons au compte rendu de la Conférence interparlementaire sur la stabilité, la coordination économique et la gouvernance au sein de l'Union européenne, prévue à l'article 13 du traité sur la stabilité, la coordination et la gouvernance (TSCG) et de la semaine parlementaire du semestre européen qui s'est tenue les 18 et 19 février 2020 à Bruxelles.

M. Claude Raynal, rapporteur. - Le 18 février dernier, une délégation de la commission des finances s'est rendue à Bruxelles à l'occasion de la conférence interparlementaire semestrielle, dite « conférence de l'article 13 » sur la stabilité, la coordination et la gouvernance (TSCG) au sein de l'Union européenne. Notre délégation était composée de MM. Jean-François Rapin, Éric Bocquet et moi-même, et nous avons été rejoints par M. Claude Kern, membre de la commission des affaires européennes.

La présidence croate avait inscrit à l'ordre du jour l'élargissement et l'approfondissement de la gouvernance de l'Union économique et monétaire, puis deux réunions simultanées des commissions du Parlement européen, celle des affaires économiques et monétaires et celle des budgets, traitant respectivement de la mise en place d'un système fiscal international et du prochain cadre financier pluriannuel (CFP).

En marge du programme officiel, nous avons eu un déjeuner de travail avec M. Luc Tholoniat, conseiller principal du directeur général Affaires économiques et financières, M. Paolo Gentiloni, et auparavant conseiller social de M. Jean-Claude Juncker, ancien président de la Commission européenne. Selon lui, l'agenda de la nouvelle Commission européenne est davantage tourné vers les projets de longue durée que celui de la précédente Commission, dont l'action a été morcelée par plusieurs crises sans précédent, telles que les suites de la crise économique et financière de 2008, la crise migratoire de 2015 ou encore le Brexit. L'installation de la nouvelle Commission européenne s'inscrit dans un contexte de croissance économique la plus longue depuis la création de l'euro. Si cette croissance résulte principalement de la dynamique positive des salaires et des créations d'emplois - 15 millions d'emplois créés depuis 2015 au sein de l'Union européenne -, la Commission européenne relève néanmoins un ralentissement dans ses dernières prévisions. Le taux de croissance de l'Union européenne serait de 1,4 % en 2020 contre 1,5 % en 2019, mais notre interlocuteur s'est montré plutôt rassurant sur ces perspectives économiques, en dépit du risque que fait peser l'épidémie de coronavirus sur la croissance mondiale.

Nous avons abordé les implications budgétaires du « pacte vert pour l'Europe » - ou Green Deal - présenté par la Commission européenne en décembre dernier, qui mobilisera 1 000 milliards d'euros d'investissements au cours des dix prochaines années en faveur de la transition énergétique. La moitié de ce montant devrait provenir du budget européen, dont les contours restent encore indéterminés pour les années 2021 à 2027. De plus, 114 milliards d'euros devraient provenir des cofinancements nationaux, sur le modèle des fonds structurels européens ; 280 milliards d'euros seront mobilisés via Invest EU, grâce à un mécanisme de garantie de prêts apportée aux banques nationales et à la Banque européenne d'investissement (BEI). Enfin, le mécanisme de transition juste, visant à apporter une aide spécifique aux États membres qui seront le plus économiquement pénalisés par la transition énergétique, devrait permettre de générer 100 milliards d'euros d'investissements, également en partenariat avec la BEI. Ce mécanisme hébergera le nouveau fonds pour une transition juste, dont les principaux bénéficiaires devraient être la Pologne, la Roumanie et l'Allemagne. L'architecture du financement de ce plan vert s'appuie très largement sur l'expérimentation initiale du Plan Juncker, dont les fonds ont été mobilisés pour garantir des investissements. Dans le cadre de la mise en oeuvre du pacte vert européen, les collectivités territoriales bénéficiaires de ces fonds devraient être encouragées à recourir davantage au mécanisme de garantie de prêts plutôt qu'aux subventions. Nous nous sommes interrogés sur la capacité opérationnelle des petites collectivités à se tourner vers cette nouvelle culture du financement, au regard des difficultés déjà bien connues de gestion des crédits européens.

Enfin, nos échanges ont permis d'aborder deux autres points qui intéressent notre commission : la flexibilité des règles budgétaires issues du traité sur la stabilité, la coordination et la gouvernance (TSCG), qui sont devenues illisibles, et les négociations entre l'Union européenne et le Royaume-Uni quant à leur future relation, qui s'annoncent encore plus périlleuses que celles qui ont précédé le retrait.

La conférence « article 13 » s'est ouverte par une session plénière relative à l'approfondissement de l'Union économique et monétaire, thème abordé à chaque conférence semestrielle. Sans surprise, dans leurs interventions liminaires, les orateurs se sont contentés de répéter des objectifs bien connus de l'Eurogroupe et de la Commission européenne. Ainsi, Valdis Dombrovskis, vice-président de la Commission, a appelé à poursuivre l'union des marchés de capitaux. Mario Centeno, président de l'Eurogroupe, a rappelé qu'un accord rapide sur la mise en place de l'instrument budgétaire pour la convergence et la compétitivité était souhaitable pour la stabilité budgétaire de la zone euro, mais a aussi habilement indiqué que « la politique revient à trouver un équilibre entre ambition et pragmatisme », allusion à peine voilée aux objectifs progressivement réduits de cet instrument budgétaire. Paolo Gentiloni, commissaire chargé des affaires économiques, et Zdravko Maric, président du Conseil Écofin, ont tous les deux souligné la nécessité d'adapter les règles budgétaires de l'UR pour offrir plus de flexibilité aux États membres et faire face aux défis futurs, tels que le financement de la transition énergétique.

J'émets en conclusion des réserves sur la portée de cette conférence, dans la lignée des critiques plusieurs fois formulées par le président de notre commission, Vincent Éblé. L'ambition de ces conférences semestrielles est de permettre à des représentants de parlements nationaux de débattre des politiques budgétaires et d'autres questions régies par le TSCG, et ainsi d'apporter une expertise parlementaire sur la coordination des politiques budgétaires au sein de l'Union européenne, domaine qui ne peut être contrôlé ni par le seul Parlement européen ni exclusivement par les parlements nationaux. En outre, ces rendez-vous devraient permettre, a priori, d'échanger avec nos homologues des autres États membres, issus d'horizons politiques variés.

Or l'ordre du jour très édulcoré de cette conférence et l'organisation des débats n'ont permis ni une réelle confrontation entre groupes politiques ni la présentation de positions affirmées sur la gouvernance de l'Union européenne. Dans la perspective de la présidence française de l'Union, prévue pour le premier semestre de 2022, il conviendrait de mener une réflexion sur l'amélioration du fonctionnement de cette conférence, d'autant que le règlement intérieur permet à la présidence de présenter des conclusions sur le contenu des débats. De fait, cette conférence a plutôt été une succession d'interventions en silo que l'occasion de véritables débats !

M. Jean-François Rapin. - À la suite de la session plénière, notre délégation s'est répartie entre la réunion des commissions aux affaires économiques, d'une part, et celle des commissions des budgets d'autre part. J'ai assisté à cette dernière, qui portait sur le prochain cadre financier pluriannuel de l'Union ; j'y ai présenté la résolution européenne adoptée par le Sénat le 11 février dernier, que notre commission avait examinée.

Le président de la commission des budgets du Parlement européen, Johan Van Overtveldt, a introduit le débat en rappelant la position du Parlement européen : les défis du futur nécessitent une augmentation de la taille du budget européen, qui bénéficierait à l'ensemble des États membres, y compris les contributeurs nets, dans la mesure où tous tirent profit de la valeur ajoutée européenne. Selon lui, à l'issue de sept années de croissance économique continue, il serait incompréhensible pour les citoyens européens que la capacité budgétaire de l'Union européenne soit réduite.

Plusieurs interventions, notamment de la part de nos collègues portugais, ont relayé nos propos sur la nécessité de préserver la politique agricole commune et la politique de cohésion. En revanche, d'autres orateurs ont mis l'accent sur le besoin de mobiliser davantage de crédits pour soutenir les PME, la recherche et l'innovation. Nos craintes demeurent vives quant à la politique agricole commune (PAC) : il n'y a pas d'unanimité sur ce sujet !

S'agissant des ressources propres, les parlementaires présents ont, dans leur majorité, salué les réflexions entamées par la Commission européenne pour introduire un panier de nouvelles ressources propres, mais plusieurs orateurs se sont montrés plus critiques. Ainsi, nos collègues italiens craignent que de nouvelles ressources propres alimentent l'euroscepticisme ; selon eux, les contributeurs nets devraient d'abord augmenter leur contribution s'ils veulent accroître la capacité budgétaire de l'Union européenne.

En conclusion, ce débat a fait apparaître un relatif consensus en faveur d'une augmentation du budget pluriannuel de l'Union européenne, sans pour autant que soit trouvé un accord unanime sur les priorités à financer : il faudrait augmenter tous les postes de dépenses sans augmenter les contributions nationales. L'équation est clairement insoluble, et cet échange ne laissait pas beaucoup de doute quant à l'issue du sommet des 20 et 21 février.

Notre délégation s'est également entretenue avec notre ancienne collègue Fabienne Keller, désormais députée européenne, qui est très mobilisée sur le cadre financier pluriannuel.

M. Éric Bocquet. - J'ai trouvé très intéressants les échanges informels que nous avons eus, notamment au sujet du Brexit, avec Luc Tholoniat, ancien membre du cabinet de Jean-Claude Juncker.

La séance plénière rassemblait plusieurs centaines de parlementaires. Vous connaissez nos réserves sur le TSCG ; les positions exprimées lors de cette séance ont été sans surprise et je mentirais si je disais avoir passé un grand moment. Les interventions se succédaient sans réel débat.

J'ai assisté à la réunion des commissions des affaires économiques, où a notamment été évoquée la fiscalité du numérique. On parle de convergence et de coordination, mais on sent une grande diversité des approches, entre Malte et l'Irlande d'une part, la France et l'Allemagne d'autre part. Les progrès sont donc lents. J'ai apprécié la qualité des réponses de Paolo Gentiloni, en dépit de nos désaccords : il était soucieux de répondre à toutes nos interpellations.

M. Jean Bizet. - Il faut considérer le Green Deal comme un nouveau filtre financier auquel les politiques existantes devront être soumises plus que comme une nouvelle politique dotée de ses propres lignes budgétaires. Cette initiative a du moins le mérite d'envoyer certains messages.

Il convient de réfléchir aux infrastructures de marché à la suite du départ de nos amis britanniques. L'union bancaire et l'union des marchés de capitaux restent cruciales. Nous avons réussi à faire du marché unique le premier marché économique mondial, mais tant que les capitaux seront morcelés au niveau des États, voire des régions, on n'aura pas le véritable marché unique que nous voulons. Tant que la position de l'Allemagne en la matière n'évoluera pas, il y aura une très grande fragilité. L'euro n'est pas assez considéré comme une monnaie internationale. Tant que ce ne sera pas le cas, on ne pourra pas peser, notamment contre les ambitions extraterritoriales américaines. Attendons de voir qui sera le nouveau président de la CDU en Allemagne. Nos amis allemands sont ouverts à un mouvement au sujet des marchés de capitaux, mais rien ne bouge concrètement.

Concernant le cadre financier pluriannuel, il ne faut pas se faire d'illusions. Aboutir à une décision sur la PAC pendant le Salon de l'agriculture aurait été une forme de provocation : on sait de toute façon que les montants alloués à cette politique baisseront, sans doute de 14 % environ. On en saura plus dans les jours qui viennent. Il faudra une autre approche, moins financière et plus inventive, pour la politique agricole commune. C'est désolant au moment où d'autres États du continent augmentent leurs concours publics à l'agriculture.

On élabore le cadre financier pluriannuel le plus critique depuis une vingtaine d'années. Les ressources propres sont une sorte d'arlésienne, aucune avancée concrète n'a abouti depuis la publication du rapport Monti : on ne parvient jamais à obtenir quoi que ce soit de tangible sur ce point, quelle que soit l'idée considérée. La taxe sur les transactions financières a produit ce que l'on sait ; maintenant, on projette une taxe sur les activités numériques. Tant que les États n'auront pas conscience de la nécessité d'une participation accrue, on n'aura rien. Le Parlement européen s'est montré très courageux en proposant un budget à hauteur de 1,3 % du PIB communautaire, alors que les États proposent seulement 1 % et la Commission 1,1 %. Il est choquant que cinq États membres ne veuillent pas même réfléchir à la suppression de la politique des rabais. C'est absolument inconvenable !

Projet de loi portant diverses dispositions d'adaptation au droit de l'Union européenne en matière économique et financière - Désignation d'un rapporteur et délégation de l'examen d'articles

M. Vincent Éblé, président. - Notre commission des finances a été saisie du projet de loi n° 314 (2019-2020) portant diverses dispositions d'adaptation au droit de l'Union européenne en matière économique et financière. Il vous est proposé de nommer rapporteur notre collègue Jean Bizet.

La commission désigne M. Jean Bizet rapporteur sur le projet de loi n° 314 (2019-2020) portant diverses dispositions d'adaptation au droit de l'Union européenne en matière économique et financière.

M. Vincent Éblé, président. - Ce texte comportant plusieurs dispositions relatives à la protection des consommateurs, aux pratiques commerciales et au fonctionnement du marché intérieur, qui ressortent plus directement de la compétence de la commission des affaires économiques, il vous est également proposé de lui déléguer l'examen au fond des articles 1er à 7 et 18 à 20 du projet de loi.

La commission décide de déléguer au fond à la commission des affaires économiques les articles 1er à 7 et 18 à 20 du projet de loi n° 314 (2019-2020) portant diverses dispositions d'adaptation au droit de l'Union européenne en matière économique et financière.

Avis public sur la nomination par le président du Sénat de M. Jean-Yves Perrot et de Mme Évelyne Ratte à la commission de surveillance de la Caisse des dépôts et consignations

M. Vincent Éblé, président. - Le président du Sénat m'a informé qu'il envisageait de nommer à la commission de surveillance de la Caisse des dépôts et consignations deux personnalités qualifiées, M. Jean-Yves Perrot, qui y siégeait déjà, et Mme Évelyne Ratte.

En application de l'article L. 518-4 du code monétaire et financier, il revient en effet au Président du Sénat de désigner deux membres à la commission de surveillance de la Caisse des dépôts, « en raison de leurs compétences dans les domaines financier, comptable ou économique ou dans celui de la gestion ». Cette nomination ne peut avoir lieu qu'après avis public de la commission permanente du Sénat chargée des finances.

Y a-t-il des observations ou des objections ?...

Mme Christine Lavarde. - Compte tenu de mes activités professionnelles antérieures, je m'abstiendrai de prendre part à cet avis.

M. Claude Raynal. - M. Perrot connaît parfaitement la Caisse des dépôts et consignations et dispose de toute l'expérience requise ; je me réjouis de sa reconduction à ce poste.

La commission émet un avis favorable sur la nomination de M. Jean-Yves Perrot et de Mme Évelyne Ratte à la commission de surveillance de la Caisse des dépôts et consignations.

Audition de M. Thierry Lambert, délégué interministériel à la transformation publique

M. Vincent Éblé, président. - Nous avons le plaisir de recevoir M. Thierry Lambert, qui occupe depuis novembre dernier la fonction de délégué interministériel à la transformation publique.

Membre de l'Inspection générale des finances, vous avez également travaillé près de douze ans au sein de l'entreprise Saint-Gobain. Nous serons intéressés d'entendre dans quelle mesure cette double expérience du public et du privé vous permet d'enrichir votre appréciation de notre administration et inspire votre vision de la transformation publique. L'équilibre à trouver entre expertise et absence de conflit d'intérêts est toujours délicat.

La direction interministérielle de la transformation publique a été créée par un décret du 20 novembre 2017. Elle a notamment pour mission de suivre l'exécution des plans de transformation ministériels et d'accompagner les projets de simplification, de transparence et de numérisation. Ces chantiers transversaux sont indispensables pour simplifier les relations de l'administration avec les usagers, renforcer la transparence de l'action administrative et numériser certains services publics, tout en garantissant l'accès de l'ensemble de nos concitoyens à ces services. Vous nous indiquerez également les projets sur lesquels vous travaillez actuellement.

Comité action publique 2022, comité interministériel de la transformation publique, Fonds pour la transformation de l'action publique (FTAP), expérimentation « carte blanche » : les initiatives visant à porter des réformes structurelles et à réaliser des économies à long terme se sont multipliées ces dernières années. Si nous avons bien relevé la multiplicité des outils, il nous semble pourtant difficile d'en percevoir encore les effets. Vos éclairages sur la portée de chacune de ces initiatives et sur les actions menées seront par conséquent bienvenus. Les deux rapporteurs spéciaux de la mission « Action et transformation publiques », MM. Claude Nougein et Thierry Carcenac, auront certainement d'autres questions à vous poser, ainsi que Mme Christine Lavarde, qui a été membre du Comité action publique 2022.

M. Thierry Lambert, délégué interministériel à la transformation publique. - Le programme de transformation publique s'est consolidé au fil du temps. Le Comité action publique 2022 et les comités interministériels de la transformation publique (CITP) ont permis de clarifier les objectifs du Gouvernement dans ce domaine. Il s'agit de proposer des services publics plus proches, plus simples et plus efficaces pour les Français et en lien avec les agents. La volonté de créer une symétrie entre les usagers et les agents est très nette et nous portons d'ailleurs une attention particulière à ces derniers.

Après le lancement du programme Action publique 2022, les ministères ont travaillé sur des plans de transformation ministérielle, qui ont été publiés à l'issue d'un CITP. Le président de la République et le Gouvernement ont ensuite décidé de donner une plus forte intensité aux actions ayant une incidence concrète pour les Français. Il s'agit d'une approche nouvelle : les ministres eux-mêmes pilotent des actions prioritaires ayant un impact fort sur le quotidien des Français - en langage technocratique, on parle des « objets de la vie quotidienne », au nombre de 66.

Toutes les six semaines a lieu à Matignon une réunion interministérielle présidée par le cabinet du Premier ministre et le Secrétaire général du Gouvernement, avec l'assistance de la direction interministérielle de la transformation publique (DITP), pour revoir les points d'avancement et de déploiement de ces objets. Par ailleurs, deux fois par an est organisée à l'Élysée une réunion présidée par le directeur de cabinet du Premier ministre et le Secrétaire général de l'Élysée pour revoir l'avancement des plans de transformation et des objets de la vie quotidienne pour chaque ministère. C'est un immense défi, qui oblige à s'interroger sur la façon dont les services publics sont organisés. L'État n'est pas tout seul : atteindre cet objectif suppose une coordination à l'échelon interministériel, mais aussi avec les collectivités locales, les opérateurs de l'État ou les opérateurs de sécurité sociale.

Mettre les citoyens au coeur de l'action publique, c'est aussi notre programme « Usagers au coeur ». Nous travaillons avec les grands réseaux chargés des services publics au contact des citoyens à une révision de la charte Marianne, pour intégrer les dispositions de la loi pour un État au service d'une société de confiance (ESSOC).

Par ailleurs, le Gouvernement a décidé de rendre transparents les résultats de cette politique. Ainsi, un site internet permet à tous les citoyens de consulter les résultats de chaque service public dans sa commune de résidence. Il faut également développer l'écoute des usagers pour mesurer notre qualité de service. Cela passe par la mesure de la satisfaction, mais également par la mise en place d'un dispositif expérimental, voxusagers.gouv.fr, offrant à chaque Français la possibilité de partager son expérience du service public, qu'elle soit bonne ou mauvaise.

Le programme du nouveau référentiel Marianne intégrera un nouvel engagement, celui d'un service public écoresponsable, action décidée à la suite du conseil de défense écologique présidé par le président de la République voilà quinze jours.

Le programme est donc lancé ; tout l'enjeu pour nous est de le rendre opérationnel.

Le programme Usagers au coeur vise à faire converger des services publics vers de meilleures pratiques - les guichets, le numérique, mais aussi le téléphone, outil de communication qui a été négligé et qui doit être renforcé.

Par ailleurs, nous devons aussi nous consacrer à la transformation interne des services publics. Cela suppose d'abord d'associer davantage les usagers à la conception des politiques publiques, mais aussi d'utiliser des méthodes beaucoup plus innovantes, inspirées des industries de service - le design, les sciences cognitives ou comportementales.

Cela suppose également un travail sur l'organisation. L'un des grands axes d'Action publique 2022 et des CITP a été de prendre conscience que, pour mieux servir l'usager, il fallait prendre les décisions et mettre les moyens au plus près de lui. Le Gouvernement a donc décidé de déconcentrer davantage les décisions individuelles, les décisions des ressources humaines (RH) et les décisions budgétaires. Il s'agit de développer des modèles managériaux où les agents de terrain ont plus d'initiatives.

Le dernier volet concerne la symétrie des attentions entre l'usager et les agents. Les stratégies d'orientation client mises en oeuvre dans les entreprises montrent que l'on ne peut pas offrir un bon service aux clients si les employés ne sont pas mobilisés et ne se sentent pas importants dans la mise en oeuvre de ces services. Un certain nombre d'initiatives ont donc été prises pour simplifier la vie des agents, leur donner de meilleures conditions de travail et valoriser leur action.

Tels sont les deux grands objectifs fixés pour rendre les services publics plus proches, plus simples et plus efficaces. S'y ajoutent la transformation numérique, qui nécessite des moyens et une attention particulière, et la volonté d'être de plus en plus redevable vis-à-vis des usagers, mais aussi des contribuables, pour que nos services soient gérés le plus efficacement possible.

M. Claude Nougein. - Thierry Carcenac et moi-même sommes les rapporteurs spéciaux de la mission « Action et transformation publiques ». Nous conduisons un contrôle sur l'exécution de cette mission, qui a vocation à s'éteindre en 2022. En 2020, il nous a semblé plus que temps de faire un bilan de cette mission, qui se veut la traduction budgétaire d'Action publique 2022. Pourtant, année après année, nous constatons sous-exécution sur sous-exécution. Les fonds destinés à financer la transformation de nos administrations et à accompagner les agents ne semblent pas fonctionner.

Quels éléments d'explication pouvez-vous nous fournir sur ces difficultés ?

Vous parlez beaucoup d'expérimentations, que ce soit auprès des agents ou au sein des administrations. Avez-vous des exemples concrets d'expérimentations devenues pérennes et durables ?

M. Thierry Carcenac. - Vous êtes délégué interministériel à la transformation publique, mais il existe également la direction interministérielle du numérique (DINUM) et la direction de l'immobilier de l'État (DIE), qui a des conséquences concrètes sur les agents. En matière interministérielle, comment tout cela s'articule-t-il ?

Le quatrième comité interministériel de la transformation publique vient d'avoir lieu. Il est beaucoup question de démétropolisation des services publics. Le ministère des comptes publics a ainsi fait le choix de transférer 6 000 à 7 000 agents. Les cinquante premières villes ont été sélectionnées. Comment la DITP intervient-elle pour accompagner ce processus ?

Vous avez insisté sur la modernisation de l'administration et le rôle que doivent jouer les agents publics dans ce processus. Quels sont les moyens budgétaires dont vous disposez et comment intégrez-vous les agents à cette transformation ?

M. Thierry Lambert. La sous-exécution des crédits concerne surtout le Fonds pour la transformation de l'action publique (FTAP). À la moitié de l'exercice, seuls 350 millions d'euros ont été consommés en autorisations d'engagement, sur une enveloppe de 700 millions d'euros. Comme vous le savez, il s'agit surtout de projets longs, certains d'entre eux étant très structurants. On se heurte à la réticence des administrations à mettre en oeuvre les projets qu'elles ont choisis : certains projets n'ont d'ailleurs pas démarré. C'est pourquoi, à la prochaine commission, un screening sera fait pour s'assurer que les crédits votés par le Parlement ne sont pas mobilisés inutilement.

Par ailleurs, l'argent doit être investi dans une perspective d'économie. Cette règle très stricte prévue par le FTAP décourage parfois certains ministères, qui ont des projets, mais qui hésitent à saisir le bénéfice du financement interministériel afin de garder l'information sur leur marge de manoeuvre. Il y a là une question de confiance sur laquelle nous devons travailler.

Reste que certains ministères ont été très ambitieux dans leurs projets. Ainsi, le ministère de la justice fait beaucoup sur le numérique et l'administration fiscale est très allante - beaucoup de ses projets sont en place, et nous en voyons davantage les résultats.

Les expérimentations sont très importantes ; elles font partie du mandat que m'a donné Gérald Darmanin. Elles doivent conduire à des transformations plus vastes. C'est déjà le cas. Je pense notamment à France Services, outil très cher au Sénat.

M. Jérôme Bascher. - Oui, c'est très cher !

M. Thierry Lambert. - L'expérimentation opérationnelle a été conduite sur le terrain avec nos partenaires puis généralisée. Le passage à l'échelle est un vrai défi pour nous. On m'a demandé de développer une culture de l'exécution beaucoup plus forte, c'est-à-dire de trouver des leviers pour que la transformation connaisse une plus grande ampleur.

J'en viens à l'organisation. Je suis délégué interministériel rapportant au Premier ministre et, à ce titre, secrétaire du CITP. Par ailleurs, la DITP, que je dirige aussi, est en maîtrise d'ouvrage sur certains dossiers. Cela suppose une organisation à plusieurs acteurs, donc un travail d'une manière nouvelle, qui s'affranchisse un peu des hiérarchies.

Je fais un point au moins tous les quinze jours avec M. Nadi Bou Hanna, le directeur de la Dinum, sur nos projets communs. L'expérience de l'usager, que ce soit au guichet, au téléphone ou dans le domaine numérique, est au coeur de la méthode de conception des nouveaux services publics. On ne peut pas les séparer. La question est ensuite de savoir comment l'administration, en mobilisant l'ensemble des canaux, peut rendre le service le plus efficace aux Français. Nous travaillons de manière collégiale sur ces questions.

Concernant la DIE, il me revient cette citation de Winston Churchill : « They shape our buildings; thereafter they shape us » - « on conçoit des bâtiments, ce sont ensuite eux qui nous font. ». Il est très important que, dans les départements et dans les régions où l'on réorganise l'État, on conçoive des espaces de travail qui soient adaptés à l'ensemble des réformes numériques et qui favorisent également la collaboration, le bien-être au travail, etc.

En matière de démétropolisation, nous avons pris une décision de principe très forte en juin 2019. Le ministère de l'action et des comptes publics est le premier à avoir annoncé un plan concret : 3 000 emplois, dont 2 000 de la direction générale des finances publiques (DGFiP), seront délocalisés entre 2020 et 2025, soit la moitié de l'effort qui a été promis. Il s'agit là de mouvements importants, en particulier pour les agents.

M. Thierry Carcenac. - On a choisi les villes avant d'avoir choisi les services que l'on veut démétropoliser.

M. Thierry Lambert. - De manière générale, le cabinet du Premier ministre veille à ce que les choix de réorganisation conduisent à renforcer les effectifs en dehors des métropoles. Les villes choisies ne sont donc pas des métropoles.

Les réformes n'auront d'effets que si elles sont portées par les agents qui sont au contact des usagers. Selon le baromètre de la qualité des services publics effectué par l'Institut Paul Delouvrier, un Français sur deux n'est pas satisfait des services publics. Or, lorsque l'on interroge nos concitoyens en particulier sur les policiers, les gendarmes, les hôpitaux ou encore les enseignants, ils s'en déclarent très satisfaits. Il y a un décalage de vingt-cinq points entre la perception générale des services publics et le service public incarné. L'un des objectifs de la généralisation du référentiel Marianne est de faire converger ces deux aspects.

Vous m'avez interrogé sur les expériences qui m'ont frappé et sur ce que je pouvais apporter. L'humain a toujours été au coeur de mon action au cours de mes expériences passées, dans le secteur militaire comme dans le secteur privé. Les agents publics ont en commun avec les élus leur engagement au service des Français. Cela étant, quels outils managériaux utiliser pour orienter cette énergie quasiment innée vers les objectifs de qualité de service ? Chez Saint-Gobain, il y avait un rituel en matière de sécurité. Chaque manager effectuait un audit de sécurité avec un employé afin d'identifier, ensemble, les améliorations possibles. De même, tous les indicateurs de l'usine figuraient dans une salle de réunion, ce qui permettait aux employés de discuter des performances en termes de consommation de ressources, de vitesse de production, de gestion des stocks, de délais de livraison, etc. De même, on doit s'assurer dans le service public que les services sont rendus à temps, qu'ils sont de bonne qualité et que l'usager est satisfait.

La charte Marianne doit être accompagnée d'un mécanisme managérial associant les agents pour que chacun puisse savoir où il en est en matière de respect des engagements. Il s'agit de mesurer la perception qu'ont les usagers des services et de définir en conséquence des points d'amélioration, avec eux. Il faut mettre en place un véritable outil d'administration afin d'apporter la preuve que des évolutions sont en cours en s'appuyant sur les agents, et non pas simplement sur des circulaires, des décrets, des lois. On a beaucoup piloté par la norme et l'évaluation des politiques publiques, ce qui est important, mais il ne faut pas oublier qu'une politique publique se pilote et qu'il faut mobiliser les agents sur les priorités.

M. Vincent Capo-Canellas. - Le sentiment d'abandon des services publics est fort. Il faut améliorer la perception et l'efficacité des services publics tout en réformant l'État et en baissant la dépense publique. Comment résoudre cette contradiction difficile et combien de temps faudra-t-il pour y parvenir ? Quelle est la cible financière ? Pouvez-vous dire plus clairement quelles doivent être les missions de l'État, quelles sont celles qui doivent être déléguées, celles qui ne seront plus assumées ?

Les importantes réfactions territoriales et suppressions de postes consenties au cours de ces trois ou quatre dernières années finissent par peser et sont antinomiques avec les objectifs que vous avez décrits. Par ailleurs, on s'habitue à bâtir des budgets avec des crédits de transformation, destinés à faciliter la reconversion des agents déplacés. Ces deux points ne sont-ils pas des sujets d'inquiétude ?

Mme Christine Lavarde. - Ma question porte sur la mise en oeuvre du programme « Dites-le-nous une fois ». Un usager effectuant une démarche sur internet doit remplir entièrement un formulaire à chaque nouvelle demande, ses données étant effacées. Dans les conclusions du 4ème CITP, vous annoncez un plan d'accélération de ce programme, l'objectif étant que le préremplissage soit étendu d'ici au 31 décembre 2020 à l'ensemble des démarches dématérialisées. Or les règles de la Commission nationale de l'informatique et des libertés (CNIL) interdisent la communication des données. En utilisant notre numéro de sécurité sociale, on pourrait pourtant permettre aux différentes bases de données de communiquer entre elles. Une solution a-t-elle été trouvée ?

M. Jérôme Bascher. - Peut-être sommes-nous allés trop loin avec la révision générale des politiques publiques (RGPP) ? Elle était portée par le président de la République lui-même et les ministres lui répondaient directement. Peut-être est-ce parce que nous avons abandonné l'objectif budgétaire du siècle dernier que la transformation est aujourd'hui difficile ? Les ministres, qui sont là pour des temps courts et qui ont des objectifs politiques, ne peuvent pas vous aider à transformer leur administration, sachant en outre qu'ils n'ont pas d'horizon budgétaire à long terme. Quel rendu budgétaire attendez-vous de la direction du budget pour que les administrations soient intéressées à cette transformation ?

Nous avons tous créé des établissements publics indépendants, lesquels sont budgétivores. Ne serait-il pas souhaitable d'exercer une pression sur leurs dirigeants, qui sont révocables chaque mercredi, afin qu'ils transforment leur établissement ?

M. Michel Canevet. - Les maisons France Services vont se déployer dans les cantons, l'approche territoriale choisie. Or le bassin de vie ou sous-bassin de vie paraît plus adapté dans ce cas que le canton. Les élus locaux considèrent que l'aide allouée par l'État est insuffisante, les collectivités se voyant transférer la charge de missions relevant de l'État. Qu'en pensez-vous ? L'ensemble des services de l'État seront-ils vraiment impliqués dans les maisons France Services ?

La révolution numérique est une préoccupation constante de la commission des finances. La Cour des comptes a rappelé hier les échecs et les coûts des projets informatiques. Des mesures ont-elles été prises pour s'assurer de l'efficience des dispositifs informatiques et numériques ? Je pense par exemple à l'accès difficile au service des cartes grises, particulièrement pour les véhicules d'occasion, sans passer par un intermédiaire.

Enfin, les services de l'État, pour ce qui concerne leurs statuts, fonctionnent par silos. Je pense au regroupement d'administrations au sein des directions départementales des territoires et de la mer (DDTM) ou des directions départementales de la cohésion sociale (DDCS), où travaillent des personnels de statuts différents. Il faudrait un statut correspondant à la réalité des missions effectuées et pas à une logique de corps révolue. Une évolution est-elle envisagée sur le sujet ?

M. Julien Bargeton. - Ma question porte sur la stratégie politique globale de transformation de l'État qui est en oeuvre. Un pays comme l'Estonie, certes moins peuplé que la France, a organisé la transformation de l'État à partir du numérique et de la donnée.

L'intelligence artificielle et la numérisation des tâches doivent permettre de libérer les agents afin qu'ils accompagnent le public et aident au montage de projets. Pour cela, il faut une stratégie.

Comment envisagez-vous les conséquences sur les structures existantes des services offerts sur des plateformes numériques ? Je pense notamment au compte personnel de formation et à ses effets sur Pôle emploi ou sur la formation professionnelle. Comment les services rendus directement aux citoyens transforment-ils les services et structures de l'administration ?

M. Didier Rambaud. - Ma question concerne le taux de recouvrement. En 2019, les recettes issues du contrôle fiscal furent exceptionnelles grâce à l'utilisation renforcée du data-mining. Qu'en est-il du calendrier de mise en oeuvre du traitement automatisé pour les données transmises par les plateformes collaboratives ?

M. Bernard Delcros. - La transformation numérique ouvre de nouvelles perspectives en matière de développement de services, mais elle est source de nouvelles fractures sociales, et pas seulement générationnelles. Quelles actions concrètes prévoyez-vous de mettre en place pour les éviter ?

M. Jean-François Husson. - J'apprécie la démarche de suivi de l'application d'un texte. J'espère un changement de pratique et de culture pour remettre les Français au coeur du dispositif. Je souhaite attirer l'attention sur la contradiction entre l'intention et les moyens mis en oeuvre quand on organise différemment l'accueil et les prestations servies dans les trésoreries dans les départements. On nous dit que c'est parce qu'il y a peu d'usagers. Si l'argument de la faible activité n'est pas toujours avéré, se pose la question plus globale de la réorganisation des services au public. Pour ce faire, l'État doit définir la stratégie, la partager avec ensemble des acteurs institutionnels et publics, puis répartir le plus intelligemment possible les tâches, les charges et les coûts, dans la durée.

Les départements ont élaboré des schémas d'accessibilité des services au public, mais sans cadre contraignant. Pour passer de la parole aux actes, il faudrait un pacte de confiance fondateur entre les grands acteurs institutionnels, les collectivités et l'État.

Pour illustrer mon propos, je prendrai l'exemple de la transformation de l'organisation des services de gendarmerie, un domaine régalien. La gendarmerie s'est redéployée sur le terrain, à la satisfaction des élus, et les statistiques de lutte contre la délinquance ont progressé. Il faut donc de l'efficacité, de l'organisation et de la rigueur dans les ordres, puis un déploiement.

M. Charles Guené. - En ce qui concerne la transformation numérique, vous êtes-vous intéressé à l'Agence nationale de la cohésion des territoires (ANCT), dont c'est l'une des missions ?

Par ailleurs, je suis frappé par la pesanteur de la transformation de notre fonction publique par rapport au Canada, où les fonctionnaires que nous avons observés se sont immédiatement fondus dans cette culture. En témoignent les difficultés, culturelles et fonctionnelles, rencontrées par France Services. Quelles dispositions comptez-vous prendre à ce sujet ?

M. Thierry Lambert. - Pour ce qui est de France Services, sous la responsabilité de l'ANCT, l'enjeu de l'accueil par une personne capable de répondre à de très nombreuses questions est crucial. La compréhension de la transformation de la mission est essentielle. Le comité de pilotage (Copil) sur la loi Éssoc a relevé la difficulté de passer d'une administration de contrôle, de guichet, à une administration de confiance, de conseil. Il ne faut pas la minimiser. Un tel changement prend du temps, demande de la formation, du suivi. Nous sommes au milieu du chemin, il faut continuer.

Pour ce qui est des objets de la vie quotidienne (OVQ), le nombre de collectivités publiques qui doivent être associées pour avoir un effet concret pour les Français est parfois important. La rénovation énergétique en est un exemple : comment faire travailler les différents acteurs pour que les citoyens accèdent à l'aide ? Nous sommes confrontés à une organisation complexe, qui n'a pas été conçue en fonction de l'expérience de l'usager. Pour redéfinir notre organisation, il faut dépasser les silos. Les OVQ sont un enjeu de transformation. Les préfets ont des objectifs pour mettre en oeuvre cette expérience améliorée centrée sur l'impact sur l'usager, ce qui conduit à inventer de nouveaux modèles, que ce soit pour les aides agricoles, les coeurs de ville, etc.

La gendarmerie est un bon exemple de service public qui, du management au dernier kilomètre, se saisit de la transformation.

M. Jean-François Husson. - D'autant que la gendarmerie n'intervient pas en zone urbaine...

M. Thierry Lambert. - On relève plusieurs leviers, dont celui de la mobilisation de l'ensemble des gendarmes sur le processus d'innovation et de transformation.

Dans les Vosges, le projet R-Mes, consiste à utiliser des supports du quotidien -fourreaux à baguette de pain, sachets de pharmacie - pour faire passer des messages de prévention. Dans une organisation régalienne, la capacité donnée aux agents de terrain d'innover est notre principale source de création.

Les outils numériques sont également un levier, comme l'utilisation de l'intelligence artificielle pour optimiser la planification des patrouilles. Dans la même logique, la direction générale de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes (DGCCRF) met en place le site Signal Conso, pour utiliser l'information disponible sur les réseaux sociaux pour cibler les contrôles en matière agricole et alimentaire. Tous ces projets sont encourageants.

Le numérique transforme la façon de travailler des impôts, mais aussi des organisations de contrôle. La police déploie ainsi des groupes de partenariat opérationnel (GPO) mettant autour de la table les acteurs de la sécurité du quotidien : bailleurs sociaux, mairies, polices municipales, pour décider l'intensité de la surveillance et de l'action. Il nous faut avancer en ce sens.

Au-delà de la technologie, des données, des algorithmes, le numérique suppose aussi un changement de la société, une évolution des pratiques. L'Estonie et le Danemark sont des pays où la maturité numérique est beaucoup plus forte. Quand j'ai quitté le Danemark, avec le nemID, je n'ai transmis mon changement de situation qu'une seule fois.

Le CITP s'est engagé à aller beaucoup plus loin. Il y a des sujets techniques, notamment la mise en place d'interfaces de programmation d'application (API), et des sujets de structures de données. Tous nos systèmes d'information ont été développés du fait de leur réglementation et de l'histoire, avec des références différentes. Il y a également des sujets liés au règlement général sur la protection des données (RGPD). Des Danois me confiaient récemment qu'il serait difficile de faire le nemID aujourd'hui. Mais je suis convaincu que nous trouverons des solutions techniques pour isoler les process, tout en permettant de mieux utiliser les mêmes données. Un compte rendu du CITP détaille l'ensemble des actions liées au « Dites-le-nous une fois ». M. Nadi Bou Hanna m'a confirmé que nous étions dans la cible.

La transformation numérique est un changement des comportements. Le risque est effectivement de laisser à l'écart certains de nos concitoyens. Nous avons mis en place des expérimentations, mais ce ne sont évidemment pas les usagers que nous voulons interroger qui vont répondre à des appels à projets ou venir dans des labs ou des tiers-lieux. L'État doit avoir une responsabilité différente et ne pas se limiter à un canal numérique.

L'inclusion numérique est un objet de la vie quotidienne choisi par le président de la République. Le « pass numérique » doit permettre à ceux qui souhaitent être formés de l'être. Nous voulons aussi permettre à des tiers d'aider les personnes devant avoir accès à des procédures numérisées, via France Services ou des dispositifs particuliers.

Une étude que nous avons réalisée à la demande du CITP montre, par ailleurs, que le téléphone restera un canal très privilégié de contact avec le public, notamment - c'est très intéressant - chez les jeunes. Le numérique donne accès à des choses standardisées. Mais, face à une question complexe, on a besoin de réassurance et d'information. Gérald Darmanin et Cédric O ont placé la nécessaire combinaison omnicanale entre numérique, téléphone et guichet pour que l'expérience client soit vue de manière globale en haut de l'agenda.

Olivier Dussopt me rapportait que le service des impôts d'Annonay avait décidé de rendre obligatoire la prise de rendez-vous avant toute venue au guichet, avec un contact téléphonique préalable. Et l'on s'est aperçu que 60 % des problèmes étaient réglés par téléphone. L'agent peut donc effectuer sa mission de conseil auprès des usagers qui en ont le plus besoin. C'est, me semble-t-il, très encourageant. Au lieu de raisonner en silos, avec le guichet, les courriers, le numérique, il faut vraiment replacer les besoins de l'usager au centre, afin de pouvoir optimiser son expérience en fonction de ses choix préférentiels.

L'ANCT et la ministre de la cohésion des territoires et des relations avec les collectivités territoriales, Mme Gourault, sont chargées de France Services. Je pense que ce projet est très prometteur, mais c'est un exercice d'exécution difficile. Cela ne se fera pas sans les collectivités locales. Pour un citoyen, le contact avec les services, ce n'est pas seulement l'État ou ses opérateurs ; ce sont aussi les communes.

Nous avons une mission de soutien sur les aidants aînés, qui sont parfois seuls pour assister des personnes handicapées à domicile. Les dispositifs se sont empilés. Comment faire retravailler tout le monde ensemble ? C'est aussi cela, le service public de demain.

Les établissements publics ne sont pas à l'écart de la transformation. J'ai d'ailleurs fait, dans le cadre de l'Inspection générale des finances (IGF), une mission sur l'Agence française de développement (AFD), qui a programmé un effort de même nature, voire un petit peu supérieur à l'effort de réduction des coûts du service public.

J'insiste sur l'importance de l'organisation territoriale de l'État (OTE). Nous nous retrouvons avec des silos. Notre structure est celle des ministères ; c'est aussi celle des missions et des programmes. Il y a une réflexion avec les préfets - je pense qu'elle ne pourra pas se faire sans le Parlement - sur le décloisonnement et la liberté d'organisation des agents locaux, sur le terrain. On a travaillé sur la déconcentration budgétaire. Nous les avons rencontrés avec Amélie Verdier pour analyser tous les irritants. Nous avons mis en place un plan, dont une partie consiste à voir avec le Parlement comment nous pouvons apporter un peu de souplesse, dans le cadre de la LOLF.

L'ère numérique, c'est aussi l'industrialisation de la personnalisation. On ne peut pas tout faire, et les besoins ne sont pas partout les mêmes. Il faut offrir des marges de manoeuvre aux agents locaux pour cibler les efforts sur les priorités en fonction des territoires.

Sur les RH, il est compliqué de ne faire qu'un corps. D'abord, les effectifs sont votés par programmes ; d'où la difficulté d'affecter à une action des crédits autorisés pour une autre. Ensuite, il faut réfléchir à ce que la notion de corps signifie pour les agents : certains ont rejoint l'administration pour faire carrière dans des métiers parfois très typés quand d'autres ont choisi de consacrer leur vie au service public en général. Nous travaillons avec la direction générale de l'administration et de la fonction publique (DGAFP). Nous nous rendrons dans quatre régions pour rencontrer les agents et les gestionnaires, afin d'essayer d'identifier les irritants et de revenir avec des solutions.

Nous ne sommes pas chargés du budget de l'État. Mais l'objectif est de rendre les services publics plus efficaces. Nous travaillons avec les administrations sur la productivité et l'efficacité. Comment utiliser les systèmes d'information, les données et l'intelligence artificielle ? Comment choisir les activités pour qu'elles correspondent aux besoins les plus importants ? En revanche, les choix budgétaires relèvent bien du Gouvernement.

Je sens l'implication forte du président de la République sur le programme des OVQ. Les discussions en conseil des ministres sur le sujet sont très régulières. Venant d'un autre environnement, je trouve que le processus est extrêmement rythmé et que cela fait bouger les administrations.

M. Thierry Carcenac. - En tant que député - je suis de l'Ancien monde ! -, j'avais remis en 2001 un rapport intitulé Pour une administration électronique citoyenne.

M. Thierry Lambert. - Les transformations ne doivent pas s'arrêter à l'arbitrage et aux décrets d'application. Il faut travailler sur le fond avec les agents.

M. Vincent Éblé, président. - Monsieur le délégué interministériel, nous vous remercions de ces éclairages passionnants, qui montrent bien le lien entre les objectifs politiques de transformation et les petites conquêtes très minutieuses à mettre en oeuvre.

La réunion est close à 12 h 30.

Ce point de l'ordre du jour a fait l'objet d'une captation vidéo qui est disponible en ligne sur le site du Sénat.