Mardi 9 juin 2020

- Présidence de M. Arnaud Bazin, président -

La réunion est ouverte à 15 heures.

Audition de M. Dominique Bussereau, président de l'Assemblée des départements de France, président du département de Charente-Maritime

M. Arnaud Bazin, président. - Nous accueillons Dominique Bussereau, président de l'Assemblée des départements de France (ADF), pour évoquer le rôle, la place et les compétences des départements dans les régions fusionnées. Je salue mes collègues présents en téléconférence et vous prie d'excuser Mme la rapporteure, qui nous rejoindra dans quelques instants.

Nous avons envoyé à l'ADF un questionnaire nourri auquel il pourra nous être répondu par écrit. Monsieur le président Bussereau va nous extraire la substantifique moelle de cette réponse dans un propos liminaire, avant que nous l'interrogions plus avant.

M. Dominique Bussereau, président du conseil départemental de la Charente-Maritime, président de l'Assemblée des départements de France. - Les présidents des conseils départementaux de l'Aube, Philippe Pichery, et de la Somme, Laurent Somon, complèteront mes propos.

L'affaire de la fusion des régions a témoigné d'une grande improvisation. Au cours de la même nuit et au fur et à mesure des discussions élyséennes, la région Poitou-Charentes est ainsi passée de la région Pays-de-la-Loire au Centre-Val de Loire, avant d'être rattachée, comme nous le souhaitions, à la Nouvelle-Aquitaine, Bordeaux étant naturellement notre capitale économique, politique, médiatique et sportive. Le Limousin nous a rejoints sans que nous en ayons été préalablement informés.

L'instauration de très grandes régions a permis aux départements de s'affirmer et de se rapprocher. Comme dans la plupart des régions, nous avons mis en place des réunions des présidents de département, des directeurs généraux des services, des vice-présidents... Notre objectif est de travailler ensemble pour parvenir à des positions communes. À l'époque de la discussion de la loi de modernisation de l'action publique territoriale et d'affirmation des métropoles, dite loi MAPTAM, dont le rapporteur à l'Assemblée nationale était Olivier Dussopt, j'avais fondé de grands espoirs dans la création des conférences territoriales de l'action publique (CTAP). Force est de reconnaître que ces espoirs étaient infondés. Les CTAP réunissent trop de monde et, au bout de quelques réunions, plus personne ne vient. Elles n'ont pas joué le rôle de coordination qu'elles auraient dû. La loi du 27 décembre 2019 relative à l'engagement dans la vie locale et à la proximité de l'action publique, dite loi Engagement et proximité, a très peu modifié les choses, tous les amendements de bon sens du Sénat n'ayant pas été acceptés par le Gouvernement.

Le travail mené par Jean-Marie Bockel et la délégation sénatoriale aux collectivités territoriales, notamment le sondage récemment organisé par celle-ci, a montré que la place des départements s'est accrue. Nous avons eu des difficultés avec les métropoles - certaines voulant « absorber » les départements. Elles ont finalement, les unes après les autres, de Lille à Nice, renoncé à se lancer dans cette aventure.

La crise sanitaire a montré que les départements devraient obtenir de nouvelles attributions en matière médico-sociale et sanitaire. Nous finalisons actuellement avec l'Association des maires de France (AMF) et Régions de France un certain nombre de propositions communes que nous présenterons dans le cadre du Ségur de la santé. Nous voyons bien que la double tutelle des établissements d'hébergement pour personnes âgées dépendantes (Ehpad) a été source de difficultés durant la crise. Il faut revoir complètement le système de fonctionnement des agences régionales de santé (ARS), afin de redéfinir la place des autres services de l'État et des collectivités.

Nous espérons que le Gouvernement ira plus loin que ce qu'il avait prévu dans le cadre du projet de loi dit « 3D » - décentralisation, différenciation et déconcentration -, car l'avant-projet nous a semblé assez peu efficient et peu novateur. Nous préparons conjointement avec l'AMF et Régions de France, en lien avec le travail effectué par le Sénat, une série de propositions fortes en matière de décentralisation que nous présenterons en juillet prochain.

M. Arnaud Bazin, président. - Merci de votre propos liminaire.

M. Philippe Pichery, président du conseil départemental de l'Aube. - Sans étiquette, je suis parfaitement à l'aise à l'ADF, au sein de laquelle je partage de nombreuses visions communes avec mes collègues.

J'ai tiré beaucoup d'enseignements de la période que nous venons de vivre, dont je pourrais vous faire part lors du débat.

M. Laurent Somon, président du conseil départemental de la Somme. - Je suis, moi aussi, à votre disposition.

M. Arnaud Bazin, président. - Je laisse donc la parole à mes collègues pour leurs questions.

M. Bernard Bonne. - Monsieur Bussereau, quelle sera la position des départements sur le médico-social ? La loi « Grand âge » sera certainement présentée plus tôt que prévu, le Gouvernement ayant annoncé qu'il ferait des propositions avant le 30 septembre prochain.

La crise du covid-19 a mis en avant les difficultés entre les ARS et les départements. Le secteur médico-social souffre d'avoir de multiples financeurs. Il a été proposé un financeur unique - je souhaite que ce soit le département.

Il faut accepter que l'aide apportée par les départements aux personnes âgées dans le cadre de la dépendance ne soit pas uniforme ; néanmoins, des rapprochements doivent être faits pour éviter les disparités actuelles - je pense notamment à la grille Aggir.

M. Dominique Bussereau. - La question des politiques sociale et médico-sociale fait l'objet d'un travail en commun avec l'AMF et Régions de France. Nos concitoyens souhaitent que les politiques des départements en la matière soient aussi harmonisées que possible.

Nous demandons une pleine compétence pour la conception et la définition des politiques sociale et médico-sociale ainsi qu'un chef-de-filat en la matière, ou du moins une participation à la gouvernance des ARS. J'ai appris par la presse la semaine dernière qu'il y a eu 16 morts dans un Ehpad de mon département : ni le maire, ni le préfet, ni moi-même donc, n'en avions été informés. Ces situations sont inacceptables.

Dans le cadre d'une nouvelle décentralisation, nous souhaitons, à la suite des travaux sur ce sujet de Jean-Léonce Dupont et de Frédéric Bierry, la création d'agences départementales de la solidarité, la gestion exclusive des maisons de l'autonomie, la mise en place de tarifications uniques sociale et médico-sociale, la compétence pour recruter et nommer les directeurs d'Ehpad départementaux, la gestion des bâtiments des établissements sociaux et médico-sociaux, la généralisation du statut de fonctionnaire territorial pour le personnel de ces établissements, ainsi qu'un nouveau service départemental de la protection maternelle et infantile. Les départements pourraient également assurer la compétence en matière de médecine scolaire, actuellement en grande déshérence.

M. Arnaud Bazin, président. - Merci pour cette réponse pleine de détermination !

M. Bernard Bonne. - Quel rôle donner à la Caisse nationale de solidarité pour l'autonomie (CNSA) au niveau des départements ? La Caisse envisage de proposer une intervention départementale sur tout le médico-social.

M. Dominique Bussereau. - Nous travaillons en parfaite harmonie avec Marie-Anne Montchamp. Je ne peux entrer davantage dans les détails, mais il n'y a pas de compétition entre la CNSA et les départements dans la réflexion que nous menons actuellement.

M. Didier Rambaud. - Quelle est la relation entre les métropoles et les départements ? Vous avez abordé ce point de façon optimiste dans votre intervention liminaire. Or, dans le cadre du nouveau mandat qui débute, les métropoles risquent de vouloir monter en puissance et prendre des compétences aux départements. En Isère, la métropole grenobloise est située au centre du département, lequel pourrait devenir une sorte de patchwork avec des moyens financiers dilués, qui perdrait de son efficacité dans sa mission de garant des solidarités sociale et territoriale.

M. Dominique Bussereau. - Il y a eu une tentation des métropoles d'absorber les compétences des départements. Mon avis est que nous sommes allés trop loin dans la définition légale de ce qu'est une métropole. Dans la région Centre-Val de Loire, on trouve Tours et Orléans, mais si le débat parlementaire avait duré plus longtemps il y aurait eu Amboise, Châteauroux, Loches...

L'organisation actuelle des pouvoirs est correcte. Certains cas sont particuliers  - je pense à la coexistence, autour de Lyon, du département du Rhône et de la métropole lyonnaise, qui a les compétences d'un département, et à la situation de Paris, qui est à la fois une commune et un département.

Les liens entre métropoles et départements peuvent toujours être améliorés, mais nous n'avons constaté pour l'instant de réelles difficultés qu'à Dijon, entre le maire et le président du conseil départemental de la Côte-d'Or.

On attend des métropoles qu'elles assurent un rôle économique et d'aménagement du territoire. Car, en réalité, personne n'a envie d'exercer la compétence sociale. Quand les responsables métropolitains voient ce qui manque aux départements pour payer le revenu de solidarité active (RSA), l'allocation personnalisée d'autonomie (APA), la prestation de compensation du handicap (PCH), ils se montrent finalement assez peu intéressés par nos compétences en matière de solidarité sociale...

On constate que, dans les territoires qui entourent les grandes métropoles, si le département et les intercommunalités n'assurent pas la solidarité territoriale, la situation est mortifère pour les petites communes. Le débat a eu lieu, il a été tranché par le chef de l'État et le Gouvernement, et il n'est pas rouvert. Mais puisque de nouvelles autorités métropolitaines vont être élues au mois de juillet prochain, certains patrons de métropole ou leurs exécutifs risquent d'avoir envie de relancer le débat... Nous serons très attentifs au maintien de la situation actuelle, non par conservatisme, mais parce que la différenciation des rôles nous paraît saine en l'état actuel des choses.

Mme Cécile Cukierman, rapporteure. - Je vous prie d'excuser mon retard, lié justement à la « salade » lyonnaise que constituent là-bas les rapports entre la ville, la métropole, le département et la région...

Aujourd'hui, cinq ans après la fusion de certaines régions et l'absence de fusion d'autres, observez-vous des relations différentes entre les exécutifs départementaux et régionaux selon qu'il s'agit des très grandes régions « fusionnées » ou de celles qui ont gardé leur périmètre historique ?

Les difficultés qui peuvent se présenter dans les relations entre exécutifs départementaux et régionaux sont-elles avant tout liées à l'organisation des compétences entre ces deux échelons - aux transferts ou, diront-certains, à la clarification opérés par la loi NOTRe ? La similitude ou, au contraire, la différence de couleur politique entre région et département y ont-elles leur part ?

Dans cette période d'après-crise, on évoque beaucoup le besoin de solidarité. Quelle place les départements peuvent-ils jouer en termes de solidarité sociale - personne ne se bat pour prendre cette compétence - et de solidarité territoriale - compétence qui suscite davantage de jeux de coudes entre les exécutifs métropolitains et les exécutifs régionaux, les départements se retrouvant pris en étau ? Le mouvement des gilets jaunes a montré l'importance de la solidarité territoriale si l'on veut n'exclure personne.

M. Dominique Bussereau. - Je souhaite que Philippe Pichery et Laurent Somon puissent s'exprimer après moi pour partager leurs expériences, qui sont différentes de la mienne.

Les régions et les départements ont travaillé ensemble pendant cette période de crise - je pense notamment aux commandes de matériels médicaux, à la réflexion commune sur la relance économique. En Nouvelle-Aquitaine, nous faisions deux fois par semaine des téléconférences avec les douze départements et le président de la région. L'étiquette politique joue très peu, voire pas du tout, dans les prises de position des uns et des autres. Les choses sont plus faciles dans les régions ayant conservé leur périmètre historique que dans les très grandes régions, où il faut parfois faire des centaines de kilomètres pour assister à une réunion.

Certains présidents de région, qui peuvent par ailleurs avoir des ambitions nationales, ont voulu s'occuper des services départementaux d'incendie et de secours, des collèges ; on a assisté à des guerres d'ego... Tout cela est humain et sans gravité, à partir du moment où ces situations n'entraînent pas des dysfonctionnements dont souffriraient nos concitoyens.

En matière de transfert de compétences, deux domaines posent encore des difficultés.

Confier l'entière compétence du transport scolaire et routier aux régions n'a pas toujours produit de bons résultats. Nous avions mis en place des lignes d'aménagement du territoire et des dessertes fines que les régions n'ont pas toujours maintenues pour des raisons financières. Certains présidents de département estiment que le service rendu est aujourd'hui moins bon que par le passé.

En matière économique, les dispositifs tant de l'État que des régions, qui sont pourtant puissants, sont incomplets. Cela a amené certains départements à prendre quelques libertés avec la loi NOTRe, en dépit d'une circulaire - que nous avons jugée assez déplacée en pleine crise sanitaire - de Mme Jacqueline Gourault. Plusieurs départements ont donc pris des initiatives en matière économique. Jusqu'à présent, mis à part le cas spécifique de Marseille, les préfets ont laissé faire dans la mesure où ces dispositifs n'étaient pas claironnés et ne remettaient pas totalement en cause l'esprit de la loi NOTRe. Ces initiatives se déploient donc discrètement, mais avec une certaine efficacité, preuve que la loi NOTRe était allée trop loin en enlevant toute compétence économique au département. Certains de nos collègues, toutes obédiences politiques confondues, en profitent pour demander le retour à la clause de compétence générale.

Les départements sont à l'aise dans leur mission de garants des solidarités sociale et territoriale. En matière de solidarité sociale, nous pourrons aller encore plus loin après cette crise et, en matière de solidarité territoriale, nous avons bien vu, pendant cette période, que les petites communes ont eu besoin des départements pour l'approvisionnement en masques, pour la réouverture des écoles, etc. Les régions doivent être renforcées sur leurs compétences économiques et en matière d'emploi, les départements doivent être confortés sur leurs missions sociales et territoriales. Dans 99 % des cas, les relations entre départements, intercommunalités et communes sont harmonieuses.

M. Philippe Pichery. - J'ai connu la région Champagne-Ardenne dont j'étais le directeur général des services. Aujourd'hui, en tant que président du département de l'Aube, je peux constater les différences fondamentales avec la nouvelle région fusionnée Grand Est. Il ne s'agit ni d'une question politique ni d'une question d'hommes, car nous nous apprécions et avons la volonté de travailler ensemble. Mais la distance a rompu le lien de collaboration : il faut 4 h 30 en voiture pour aller de Troyes à Strasbourg... cet éloignement est préjudiciable à l'action collective.

Le retrait des transports scolaires des compétences départementales est une aberration. Leur gestion était en effet étroitement liée aux routes et aux établissements dont nous avons la charge. Nous avons conservé le transport des personnes en situation de handicap, mais cela engendre des surcoûts, car auparavant, dans une démarche d'inclusion, nous pouvions utiliser les mêmes moyens de transport.

Les régions fusionnées ont dû faire face au défi de l'harmonisation des politiques des anciennes régions pour redéfinir un cadre commun. Cela a été très long et cela n'a pas permis de prendre en compte les spécificités - atouts, handicaps - de chaque territoire. La région Grand Est a mis du temps à définir ses nouvelles politiques. Jean Rottner m'a récemment annoncé que nous allions désormais travailler, non plus dans le cadre d'une politique uniforme sur l'ensemble de la région, mais selon des contrats de territoire. Je m'en réjouis et j'espère que cette nouvelle phase permettra de consolider nos liens.

La solidarité, c'est faire plus pour ceux qui ont le plus besoin et mettre en oeuvre des discriminations positives. Il faut reconnaître que, pendant un temps, il a été très difficile aux grandes régions de s'engager dans cette voie, car elles avaient d'autres priorités.

Mon prédécesseur à la tête du département, Philippe Adnot, avait fait de l'économie et de l'enseignement supérieur les fers de lance de notre département. La disparition de la clause de compétence générale, et notamment de la compétence économique, a donc été vécue comme un véritable traumatisme. Nous avons transféré les moyens que nous consacrions à l'économie en direction des établissements publics de coopération intercommunale (EPCI), mais tout n'est pas couvert.

Deux exemples illustrent les conséquences de la perte de la compétence économique par le département.

Le cluster développé par le département de l'Aube - avec une université, un technopôle, une pépinière d'entreprises, etc. - a profondément modifié l'économie du département, mais aujourd'hui il tourne au ralenti. Ni l'EPCI - faute de moyens - ni la région n'ont pu prendre le relais. Or nous aurions besoin de construire des bâtiments pour accueillir de nouvelles start-up mais le département ne le peut pas, car la loi ne le permet pas. Nous pouvons conventionner avec l'EPCI pour apporter des aides à l'immobilier d'entreprise, mais ne pouvons pas lui confier la construction immobilière. Une superbe dynamique s'est arrêtée et des centaines d'emplois n'ont pas été créés.

Les EPCI de notre département sont de petite taille et ont peu de moyens. L'autre exemple concerne une entreprise qui devait s'installer et, pour ce faire, avait besoin d'une garantie ; or l'EPCI ne pouvait pas l'octroyer ; le département en aurait eu la capacité, mais c'était interdit par la loi... Nous devons absolument retrouver de la souplesse ! Nous n'assisterons probablement pas au grand soir du retour de la clause de compétence générale, mais il faut trouver le moyen de permettre à des départements, comme celui de l'Aube, de réaliser des interventions économiques de proximité.

Le département de l'Aube n'a plus la compétence économique. Et pourtant, il demeure l'acteur majeur du développement économique local, car il est propriétaire de terrains et d'immeubles qu'il met à la disposition des entreprises. L'État, qui, au départ, avait contesté la légalité des délibérations mettant en location ce patrimoine, a été débouté devant le tribunal administratif qui a considéré qu'il s'agissait d'une gestion de patrimoine en bon père de famille et non pas d'investissements nouveaux.

Les territoires sont tous différents : il faut intégrer leurs spécificités.

M. Laurent Somon. - Je partage les propos de Dominique Bussereau. La situation est différente selon que les régions sont issues ou non d'une fusion d'anciennes régions. Dans les Hauts-de-France, au départ, une certaine volonté hégémonique de la région était perceptible, mais, depuis, les choses se sont stabilisées. Ayant plus de difficultés à établir une relation de proximité compte tenu de leur étendue géographique, les régions se sont ensuite mieux appuyées sur les départements.

La notion de chef-de-filat doit être appliquée dans tous les domaines. En matière de solidarité sociale notamment, le département doit pouvoir être le maître du jeu sur son territoire départemental, y compris face à des métropoles ou des communautés d'agglomération qui ont des velléités de prendre la main sur certains pans de la politique sociale. Il faut donc bien repréciser ce qu'est la responsabilité de chef de file.

En matière économique, le chef-de-filat de la région n'est pas contesté. Dans les Hauts-de-France, la région a ainsi sollicité les départements sur des compétences qui ne sont pas les leurs. C'est le cas en ce qui concerne la réalisation du canal Seine-Nord Europe qui ne pourra se faire qu'avec l'implication financière des départements qui n'ont pourtant pas la compétence transports.

Il n'est nul besoin de rouvrir le débat sur la clause de compétence générale, mais la loi NOTRe doit s'adapter aux territoires. La région Hauts-de-France a pris une délibération générale qui permet à toute collectivité d'abonder son fonds en faveur des entreprises en difficulté.

La situation est plus compliquée s'agissant des compétences partagées - tourisme, agriculture, sport, etc. - dans le cadre des CTAP. Nous ne pouvons pas aider les entreprises du secteur de l'hôtellerie et de la restauration, car nous ne sommes pas titulaires de la compétence économique, alors que nous avons pourtant la compétence tourisme en partage ! Cela me semble incompréhensible et cela risque surtout de pénaliser les entreprises concernées.

Du temps des anciennes régions, la Picardie et le Nord-Pas-de-Calais avaient deux méthodes de contractualisation différentes : dans le Nord-Pas-de-Calais, les départements étaient associés à la négociation du contrat de plan État-région (CPER), alors que la région Picardie négociait un contrat avec chaque département, ce qui permettait d'apporter le soutien de la région aux priorités départementales. Aujourd'hui, la manière dont le futur CPER sera décliné est encore incertaine.

La loi NOTRe est trop monolithique : nous avons besoin de souplesse.

M. Éric Gold. - Je remercie le président Bussereau.

Les ARS n'ont pas beaucoup sollicité les laboratoires départementaux dans le contexte de la crise sanitaire : cela dénote un manque de collaboration, pourtant indispensable.

Les élus locaux sont souvent demandeurs de plus de décentralisation, mais certains pans de la compétence sociale sur lesquels le département n'a pas la main - je pense notamment à la gestion du revenu de solidarité active (RSA) - ne devraient-ils pas revenir à l'État ?

Les conseils départementaux jouent un rôle de proximité et ont noué des partenariats anciens avec les communes et les EPCI. Dans un souci de lisibilité et d'efficacité, ne serait-il pas plus opportun, a minima dans les territoires ruraux, de conventionner avec les EPCI qui ont la compétence économique plutôt qu'avec les régions ?

M. Hervé Gillé. - La question de la subsidiarité est insuffisamment approfondie. Les délégations de compétences nous permettraient d'aller beaucoup plus loin. Cela nous donnerait plus de souplesse et d'agilité dans nos politiques d'intervention.

Les départements sont diversement associés à l'élaboration des CPER. Mais bien souvent, les régions ont mis en place des contrats de coopération avec chacun des départements qui la composent. Cette pratique vertueuse permet de développer de la subsidiarité dans la mise en place de certaines politiques territoriales. Qu'en pensez-vous ?

M. André Reichardt. - Plusieurs questions relatives à la compétence économique ont déjà été posées.

J'ai voté contre le schéma régional d'aménagement, de développement durable et d'égalité des territoires (Sraddet) présenté par Jean Rottner pour la région Grand Est. En dépit des demandes des départements, il n'était pas suffisamment territorialisé. Quel est l'intérêt d'un tel schéma dans les grandes régions ?

La région Grand Est s'est dotée de douze maisons de la région, en plus des trois anciens hôtels de région et d'un appartement parisien : qu'en pensez-vous ? N'aurait-il pas mieux valu se rapprocher des départements ?

Un mot sur la coopération transfrontalière - avec le pays de Bade, le Luxembourg, le Palatinat, la Sarre - qui repose essentiellement sur les relations personnelles et humaines. Entre élus des deux rives du Rhin, nous avions noué des partenariats, fondés sur des relations interpersonnelles, qui seules rendent possible la coopération transfrontalière. Je crains que l'on ne fasse pas grand-chose en négligeant cette dimension.

Nous avons impérativement besoin d'une territorialisation départementale au sein des grandes régions fusionnées. Autrement, nous risquons d'être durement sanctionnés aux prochaines élections régionales. Il est patent que les habitants de la région Grand Est ne soient pas convaincus par cette nouvelle grande région.

M. Dominique Bussereau. - Nous nous sommes battus auprès d'Olivier Véran pour obtenir l'association des laboratoires départementaux et interdépartementaux aux campagnes de dépistage. Cela a été une longue bataille, avec un arbitrage au plus haut niveau de l'État, mais au final les résultats sont mitigés, car les ARS ne les ont pas, ou peu, sollicités.

La question de la recentralisation du versement du RSA n'est pas un débat droite-gauche. Nous avons demandé au Gouvernement d'ouvrir un débat sur le RSA, notamment sur la question du financement, car l'évolution du nombre de bénéficiaires est inquiétante depuis mars.

Les EPCI n'ont pas toujours les équipes suffisantes pour traiter certains dossiers. En matière de transports par exemple, certaines régions, souvent de grande taille, sont trop loin du terrain et ce sont finalement les petits EPCI qui se trouvent pénalisés. Nous avions fait valoir, en vain, ce point de vue au moment de la loi Borne.

Il est vrai que la subsidiarité pourrait être renforcée grâce aux délégations de compétences. En Nouvelle-Aquitaine des conventions ont été signées sur la forêt ou la conchyliculture.

Quand Mme Élisabeth Borne était préfète de région, nous avons discuté du CPER avec les départements et les communautés d'agglomération. Cela vaut mieux que de se tourner vers les départements une fois que les décisions sont prises au niveau régional

Je suis assez peu optimiste s'agissant des Sraddet. Ce sont de grands machins et je doute de leur efficacité réelle sur le terrain.

Mieux vaut implanter les maisons de la région au siège du département, plutôt que de créer de nouvelles implantations.

En matière de coopération transfrontalière dans le Grand Est, il est indéniable que certaines personnalités facilitent les échanges, nous l'avons bien vu au cours de la crise sanitaire. La coopération transfrontalière est sans doute plus aisée lorsqu'elle s'organise entre personnes ayant l'habitude de travailler ensemble qu'au niveau des grandes régions.

M. Philippe Pichery. - La crise sanitaire a démontré que les modalités de coopération varient considérablement d'un territoire à un autre en fonction de la volonté des dirigeants.

Le laboratoire départemental de l'Aube a travaillé en collaboration avec l'ARS pour déployer des installations supplémentaires. Il est aujourd'hui un pilier dans la réalisation des analyses.

En ce qui concerne nos relations avec les autres niveaux de collectivités, nous avons conventionné à la fois avec des EPCI en matière d'aides à l'immobilier d'entreprise et avec la région pour participer au fonds Résistance mis en place dans le contexte de la crise sanitaire. La répartition de la compétence économique entre ces deux niveaux de collectivités, fixée par la loi, permet une certaine complémentarité d'action par le biais des conventionnements. Toutefois, la loi ne permet pas aux départements de conventionner dans tous les domaines. Il nous est par exemple impossible de signer une convention avec un EPCI pour construire un incubateur de start-ups.

Je suis tout à fait favorable aux contrats de coopération pour tenir compte des spécificités des territoires, à condition que la loi le permette. L'État a fait preuve de clémence vis-à-vis de la gestion de la crise par les collectivités territoriales, mais, en l'état actuel du droit, il existe toujours un risque juridique lié au non-respect de la répartition des compétences.

Certains pensent que les départements ne devraient pas intervenir en matière économique afin de conserver des marges de manoeuvre financières pour faire face à l'augmentation attendue de leurs dépenses en matière sociale. Je considère cependant que notre priorité doit être la prévention. Or la prévention consiste à éviter d'augmenter le nombre d'allocataires des minima sociaux et donc à participer au soutien à l'économie.

En ce qui concerne les Sraddet, je suis très sceptique quant à l'utilité de ce genre de schémas. J'ai connu nombre de grands schémas d'urbanisme fondés sur des projections de long terme qui ne se sont jamais vérifiées. Le monde évolue trop vite pour que nous puissions mettre en place, dans ce domaine, des documents très précis.

Je ne saurais répondre à votre question sur la coopération transfrontalière car mon département n'est pas concerné.

Sur la question de l'utilité des maisons des régions, je considère qu'il est normal que la région cultive davantage de proximité avec le public. Je constate cependant que la maison de région située à Troyes ne tient pas un rôle essentiel dans le paysage local de l'Aube. Cette présence, avant tout symbolique, a un coût. Je précise toutefois qu'il s'agit d'une initiative récente et qu'il est encore trop tôt pour en dresser le bilan.

M. Laurent Somon. - La qualité de la coopération entre les départements et l'ARS varie considérablement selon les territoires. Dans les Hauts-de-France, nous entretenons de bonnes relations avec l'ARS. Je regrette cependant que seules 10 % des capacités des laboratoires départementaux aient été mobilisées pour la campagne de dépistage du covid-19, qui aurait pu être menée à plus grande échelle et plus tôt.

Des progrès restent à faire, notamment en ce qui concerne le projet One Health, « une seule santé », qui consiste à rapprocher la médecine vétérinaire et de la médecine humaine.

Pour compléter la réponse de M. Pichery sur les Sraddet, j'ajouterai que ces schémas mettent plusieurs années à être élaborés et ne sont souvent plus adaptés. Je rejoins la position de M. Reichardt sur la nécessité de territorialiser ces schémas car les problématiques varient considérablement selon le niveau d'urbanisation des territoires. De manière générale, la mise en application de ces grands schémas est tributaire de la volonté du président de région. Pour que ceux-ci soient respectés, il convient d'améliorer l'évaluation et le suivi de leur mise en oeuvre en collaboration avec les autres collectivités concernées.

Nous avons certes besoin de davantage de subsidiarité, mais cela n'est pas possible tant que la loi empêche le chef de file de déléguer certaines compétences comme l'économie.

Mme Cécile Cukierman, rapporteure. - Je rappelle que cette mission d'information a été créée avant le déclenchement de la crise sanitaire car la problématique du rapport entre les départements et les régions fusionnées n'est pas nouvelle et nous interroge en tant que parlementaires. Mais la crise a été un catalyseur du meilleur comme du pire.

Je vous trouve très silencieux s'agissant de vos rapports avec les conseils régionaux alors que vous avez évoqué de façon précise votre relation quasiment « tutélaire » avec les EPCI, bien qu'il n'y ait évidemment pas de hiérarchie entre collectivités. Nous sentons pourtant qu'il existe des tensions entre les départements et les régions, en ce qui concerne l'exercice de certaines compétences comme l'économie ou le tourisme, car les régions demandent aux départements de contribuer à des plans de relance alors même que ceux-ci font face à de graves difficultés financières. Ce sujet nécessitera peut-être de vous auditionner à nouveau.

Je souhaitais vous interroger sur la situation financière des départements. La commission des finances du Sénat ainsi que l'ADF ont déjà produit un certain nombre de documents avec des projections financières, à court, moyen et long terme. Les perspectives sont inquiétantes, pour 2020 et 2021. Les recettes fiscales sont déjà, et vont être encore plus fortement impactées d'ici la fin de l'année 2020. Comment réagissez-vous aux annonces gouvernementales visant à soutenir financièrement les départements ? Quel est l'avenir des contrats de Cahors, qui ont été des handicaps pour la construction budgétaire des départements ?

Indépendamment de la crise sanitaire, quelle est votre position sur un éventuel renforcement de la péréquation horizontale ?

Les suites de la réforme de la taxe d'habitation et l'évolution du produit de TVA désormais affecté aux départements nous préoccupent également.

Je vous rassure, nous n'avons pas la prétention de refondre la loi NOTRe. Mais en tant que parlementaire, nous sommes garants de l'égalité sociale et territoriale au sein de la République. La préparation du projet de loi « 3D » semble s'accélérer. La question est de savoir à quoi ressemblera cette nouvelle étape de la décentralisation : poursuivra-t-on sur le mode « napolénien », ou acceptera-t-on la territorialisation en respectant les réalités locales ?

M. Dominique Bussereau. - Sur l'aspect politique de votre question, nous avons choisi de travailler ensemble avec l'AMF et Régions de France au sein de Territoires unis, car il est facile pour le Gouvernement de jouer la carte de la désunion. Nous aurons des positions communes sur ce futur texte avec des propositions très proches du Sénat je l'espère, ainsi que sur le Ségur de la Santé. Les rapports entre élus locaux sont d'abord des rapports humains. Je n'ai, pour ma part, pas les mêmes opinions politiques que le président de la région Nouvelle-Aquitaine. Mais nous nous connaissons depuis très longtemps et nous travaillons donc naturellement dans l'intérêt du territoire.

Sur le plan financier, nous attendons une baisse de nos recettes, avec une perte de 4 milliards d'euros au moins sur le produit des DMTO. Nous attendons également une hausse de nos dépenses, liées aux RSA et plus directement à la crise sanitaire. Le système de soutien financier prévu par le Gouvernement ne nous satisfait guère. En lieu et place d'avances remboursables, nous souhaiterions une compensation des pertes, sur le modèle de ce qui est proposé au bloc communal.

L'État doit aider les départements à maintenir la péréquation horizontale mise en place à notre initiative en loi de finances pour 2020. Cette péréquation, dont le montant s'élève à 1,6 milliard d'euros, sera difficile à conserver en 2020, alors que les départements contributeurs vont connaître des difficultés.

Les contrats de Cahors ont vécu et il ne faut pas qu'ils reviennent. Nous avons tous regretté le caractère contraignant et bien peu décentralisateur de cette méthode.

Pour les départements, la compensation de la perte de la taxe sur le foncier bâti par une part de TVA n'est pas satisfaisante : la crise économique laisse augurer d'importantes difficultés.

Je partage votre position, Madame la rapporteure, en faveur d'un grand texte de décentralisation. Ce serait une folie de s'en abstenir, après une période où l'on a vu l'importance du niveau local dans une crise mondiale. Il ne faut pas de « mesurettes » mais un grand élan girondin. Il faut aussi poursuivre la déconcentration et renforcer les moyens des préfectures de département : on a vu, pendant la crise, que le départemental était un échelon d'administration efficace. Or certains préfets de département sont aujourd'hui dépourvus d'équipes et de cadres supérieurs en nombre suffisant. Les moyens ont été transférés à l'échelon régional, et il est vrai que le rôle des préfets de région est important, mais il ne suffit pas. J'ajouterai qu'une grande réorganisation des services déconcentrés est nécessaire, qui doit inclure les agences régionales de santé (ARS). Je ne mets pas en cause les hommes et les dirigeants, mais les ARS n'ont pas donné satisfaction pendant la crise. Il y a un souci né de la dichotomie entre le ministère de la santé et le ministère de l'intérieur.

M. Arnaud Bazin, président. - Les départements ont subi un certain nombre de réformes : la réforme de la taxe professionnelle, la loi NOTRe avec la perte de la compétence générale, maintenant la perte de tout pouvoir de taux avec la disparition de la part départementale de la taxe foncière, conduisant à une dépendance très lourde des départements aux DMTO. La diminution de 4 milliards d'euros de leur produit, évoquée par le président Bussereau, correspond à baisse de 30 % de baisse pour cette année. Pour l'année prochaine, la situation est encore incertaine et dépendra de l'état du marché immobilier.

Parallèlement à ces difficultés du côté des recettes, on constate une explosion des dépenses sociales dont celles liées au RSA. Ce constat me conduit à vous poser une question provocante, monsieur le président Bussereau : qu'est-ce qui va sauver les départements ?

M. Dominique Bussereau. - Eh bien... le Sénat, qui a toujours été à l'écoute des départements !

Encore une fois, la crise a montré que le département était le bon échelon de gestion pour distribuer les masques, gérer les services départementaux d'incendie et de secours... Le futur texte de décentralisation doit nous aider, car les départements sont aujourd'hui en difficulté et le manque d'autonomie fiscale peut nous gêner à terme. Il faudra ainsi, après ce texte de décentralisation, un grand texte fiscal. Il est anormal que les collectivités territoriales dépendent à ce point des dotations de l'État. En tant qu'ancien secrétaire d'État au budget, je sais que ce sujet est compliqué mais il ne peut pas y avoir de loi de décentralisation sans une révision de la fiscalité locale. Nous espérons le concours du Parlement et notamment du Sénat pour nous y aider.

M. Arnaud Bazin, président. - Le Sénat est bien sûr à l'écoute des départements. Cette mission en est la preuve.

Il est vrai que les départements ont subi un certain nombre d'attaques. Certains souhaitaient même les « dévitaliser », pour reprendre leurs propres termes. Au Sénat, nous sommes attentifs à préserver la vitalité des départements dont chacun ici connaît l'importance dans la vie quotidienne de nos concitoyens, même si ces derniers ont parfois du mal s'en rendre compte. Je vous remercie, en tout cas, messieurs les présidents, pour votre participation.

La réunion est close à 16 h 30.