Mardi 13 octobre 2020

- Présidence de Mme Sophie Primas, présidente -

La réunion est ouverte à 15 h 45.

Mme Sophie Primas, présidente. - En accord avec le conseil de questure et à la suite de la conférence des présidents du 7 octobre dernier, des aménagements ont été apportés aux conditions de déroulement de nos réunions de commission. Nous retrouvons, dès aujourd'hui, le fonctionnement qui a été le nôtre avant la suspension estivale de nos travaux, à savoir le respect d'une jauge d'un sénateur sur deux en réunion afin de respecter les règles de distanciation, dans le respect strict de la proportionnalité des groupes politiques de notre assemblée. Il revient aux groupes politiques d'organiser les présences en commission.

Pour les sénateurs présents, le port du masque est obligatoire dans l'ensemble de nos salles de réunion, y compris pour les orateurs. Pour les autres, nous recourons à la visioconférence afin de leur permettre de participer à la réunion.

Je rappelle enfin qu'en cas de délibération sur un texte législatif, seuls les sénateurs physiquement présents en commission pourront exprimer leur vote, les délégations de vote étant autorisées dans la limite d'une délégation par sénateur, en application de l'article 15 de notre règlement.

Nous examinons d'abord le rapport pour avis de Jean-Pierre Moga sur le projet de loi de programmation de la recherche pour les années 2021 à 2030 et portant diverses dispositions relatives à la recherche et à l'enseignement supérieur. Nous examinerons ensuite le rapport au fond d'Anne-Catherine Loisier sur la proposition de loi du président Laurent Lafon pour la mise en place d'une certification de cybersécurité des plateformes numériques destinée au grand public.

Projet de loi de programmation de la recherche pour les années 2021 à 2030 et portant diverses dispositions relatives à la recherche et à l'enseignement supérieur - Examen du rapport pour avis

M. Jean-Pierre Moga, rapporteur. - Il y a quelques jours, nous nous sommes tous réjouis qu'une Française obtienne le prix Nobel de chimie. Mais on oublie de dire qu'elle a fait l'essentiel de sa carrière hors de France, faute de moyens ! C'est une très bonne illustration de la nécessité, pour notre pays, de redonner des moyens à la recherche publique. C'est pourquoi le projet de loi que nous examinons est essentiel.

La situation est grave. L'effort de recherche et développement dans notre pays stagne autour de 2,2 % du PIB depuis les années 1990. Or, l'objectif fixé au niveau européen depuis les années 2000 s'élève à 3 % du PIB ! Nous en sommes bien loin, alors que d'autres pays, comme l'Allemagne par exemple, y sont déjà. La recherche et développement (R&D) publique n'atteint pas les 0,8 % du PIB, quand elle devrait être à 1 %. Dans la recherche publique, nos chercheurs sont payés 37 % de moins que les chercheurs des pays comparables.

Bref, le constat est très largement partagé qu'il convient de passer à la vitesse supérieure. Et ce d'autant plus que la concurrence est rude ! Résultat, nous ne sommes classés que dixième en Europe pour l'innovation, et douzième au niveau mondial, loin de notre place dans le monde au regard du PIB !

Voici pour le constat global. J'en viens maintenant au projet de loi. Je souhaite débuter mon propos par ce qu'il n'y a pas, ou pas assez, dans ce projet de loi.

Ce projet de loi, et en particulier sa trajectoire budgétaire, est centré sur la recherche publique rattachée au ministère de la recherche. Aucune trajectoire n'est prévue pour la recherche rattachée à d'autres ministères. Rien donc pour la recherche industrielle et la recherche environnementale, alors qu'il s'agit pourtant, nous dit-on, des priorités du plan de relance ! Rien non plus pour la recherche privée : le Gouvernement ne donne pas de trajectoire sur les dépenses fiscales. Rien non plus, enfin, sur les liens avec les collectivités territoriales.

Aucune articulation n'est garantie avec le plan de relance et les autres guichets publics de soutien à la R&D. En somme, le Gouvernement manque ici une occasion d'impulser un grand chantier pour en finir avec le morcellement des politiques de recherche et développement. Il fournit une information lacunaire au Parlement, aux citoyens et aux principaux destinataires de la loi, qui sont contraints à un jeu d'addition de l'ensemble des dispositifs et se heurtent à une complexité accrue du fait de leur portage par des instances différentes et de leur pilotage selon des modalités diverses.

Le premier apport de ce projet de loi, c'est une trajectoire budgétaire pluriannuelle, pour mettre fin au sous-financement de la recherche publique et lui donner de la visibilité, pour atteindre une augmentation de 5 milliards d'euros par an en 2030. De cette façon, les laboratoires pourront à nouveau mener une véritable politique scientifique et l'Agence nationale de la recherche (ANR) pourra à nouveau financer les projets.

De nombreux acteurs considèrent que cette trajectoire est trop longue, et donc peu crédible, et insuffisante dans les premières années. C'est pourquoi je vous proposerai, en lien avec mes collègues rapporteurs de la commission de la culture et de la commission des finances, de raccourcir l'horizon de la trajectoire à 2027, avec deux premières marches pour les années 2021 et 2022 à plus d'un milliard d'euros d'augmentation. De cette façon, nous serons en mesure de poursuivre l'objectif de 1 % du PIB consacré à la recherche publique d'ici à 2027.

Un point me semble particulièrement choquant : les opérateurs de recherche sont contraints d'appliquer une norme comptable inadaptée, les obligeant à garder en trésorerie des centaines de millions d'euros : autant d'argent qui n'est pas fléché vers les laboratoires ! J'ai interpellé la ministre sur le sujet. Elle en a conscience et regarde si elle peut faire évoluer les choses. J'y serai vigilant.

Le projet de loi s'intéresse également au rapprochement des liens entre la recherche publique et les entreprises. On trouve ainsi plusieurs dispositifs d'ordre technique et qui sont bienvenus en ce sens, notamment aux articles 13 et 14.

L'article 14 bis ressuscite un congé pour enseignement ou recherche qui avait été créé en 2007 et supprimé en 2018, apparemment par erreur. L'objectif est bienvenu : il s'agit de permettre aux chercheurs du privé de faire une mobilité dans le public. Mais le dispositif est trop contraignant et, en l'état, pas assez souple pour les entreprises : un salarié pourrait prendre un congé d'un an après n'avoir passé qu'un an dans les effectifs de l'entreprise. Il faut laisser plus de place à la négociation, c'est le sens d'un amendement que je vous soumettrai.

En ce qui concerne les liens avec les entreprises, le Gouvernement envoie deux messages absolument contradictoires. D'un côté, on souhaite inciter les laboratoires à développer des relations avec les entreprises. De l'autre, on ôte le principal outil d'incitation des entreprises à se tourner vers la recherche publique, à savoir le doublement d'assiette du crédit d'impôt recherche (CIR) en cas de recours à un laboratoire public. Cette mesure, qui figure en projet de loi de finances pour 2021, risque d'anéantir les efforts du Gouvernement en la matière. Je serai vigilant sur ce point lors de l'examen du projet de loi de finances.

J'en viens aux dispositions diverses de ce texte. Je pense aux articles 22 et 23, qui portent sur des secteurs qui relèvent de notre commission, à savoir l'agriculture et le spatial.

S'agissant des aspects agricoles, le Gouvernement sollicite du Parlement trois habilitations à légiférer par ordonnance sur les sujets de biotechnologies. C'est la conséquence des arrêts successifs de la Cour de justice de l'Union européenne (CJUE) et du Conseil d'État de 2018 et 2020, qui assimilent les nouvelles techniques de mutagenèse à des organismes génétiquement modifiés (OGM). Dès lors qu'ils sont considérés comme des OGM, les procédures d'autorisation et de contrôle applicables aux OGM deviennent applicables également aux organismes issus d'une mutagenèse.

Je veux le dire franchement : cette décision nourrira, j'en suis sûr, un débat politique et philosophique ici comme en séance publique, sur l'articulation complexe à trouver entre principe de précaution et principe d'innovation. Toutefois, ces jurisprudences relatives à des textes européens sont directement applicables. Le Parlement ne dispose donc pas de marges de manoeuvre en ce qui concerne ces textes européens. La décision de la CJUE s'applique à la France et le Gouvernement est enjoint par le Conseil d'État à mettre en oeuvre le cadre européen sur le sujet.

Si des précisions doivent être apportées, elles doivent l'être au niveau européen. J'en appelle, à cet égard, à l'édiction d'une réglementation européenne claire et adaptée sur le sujet des biotechnologies : les techniques évoluent et il convient d'adapter la réglementation à l'évolution du monde. Mais il n'est pas en notre pouvoir de prendre des dispositions législatives contraires au droit européen.

Je vous propose donc d'accepter les ordonnances techniques sur ces volets tant qu'elles entendent tirer uniquement les conséquences des arrêts susmentionnés. C'est le cas des ordonnances sur les procédures de déclaration des utilisations d'OGM aux risques faibles et sur la traçabilité et les conditions d'utilisation des variétés rendues tolérantes aux herbicides.

Ce n'est pas le cas, en revanche, de l'ordonnance prévoyant une redéfinition des procédures d'édiction d'avis relatifs aux biotechnologies. L'habilitation est très large et donne un chèque en blanc au Gouvernement en la matière. Le Haut Conseil des biotechnologies, chargé de cette mission depuis 2008, a fait preuve, il est vrai, de dysfonctionnements, compte tenu des tensions entre le comité scientifique et le comité éthique. Il faut y remédier en présentant une nouvelle architecture, le Gouvernement allant même jusqu'à envisager la suppression de ce conseil. Mais par quoi le remplacer ? Comment s'assurer que la rigueur scientifique demeure la garantie d'un débat apaisé sur ces sujets difficiles ? Comment prendre en compte les réflexions éthiques des parties prenantes ? Qui devra rendre ces avis ? L'Agence nationale de sécurité sanitaire de l'alimentation, de l'environnement et du travail (Anses) ? Le Ministère ? Le Conseil économique, social et environnemental (CESE) ? Un nouveau comité ? Nous avons eu le droit à une loi bioéthique qui est toujours en discussion sur des sujets similaires. Pourquoi passer ici par ordonnance et éviter tout pouvoir de contrôle du Parlement sur le sujet ? À défaut d'informations supplémentaires sur le contenu de l'ordonnance, je vous propose de la supprimer du texte, attendant des éclaircissements du Gouvernement en séance publique.

Enfin, l'article 23 propose de réformer Agreenium, organisme créé en 2014 pour favoriser la coopération entre établissements de recherche et établissements d'enseignement, par exemple en créant une plateforme de cours en ligne, des Mooc. Il est vrai que son statut d'établissement public alourdit les procédures : le projet de loi propose de lui retirer ce statut pour transformer Agreenium en « Alliance Agreenium », appuyée sur une convention de coordination territoriale entre différents établissements d'enseignement supérieur et de recherche agronomiques, sous l'égide de l'Institut national de recherche pour l'agriculture, l'alimentation et l'environnement, l'Inrae. Les emplois seront conservés voire renforcés au sein de cette Alliance, le budget de l'Inrae faisant effet levier. Je crois que c'est une bonne mesure.

Quant au volet spatial, le Gouvernement a introduit par un amendement, et donc sans étude d'impact, une habilitation à légiférer par ordonnance pour réformer la loi sur les opérations spatiales de 2008. C'est la seule loi existante sur le sujet depuis l'existence des programmes spatiaux en France. Elle a déjà douze ans, il faut manifestement la réformer. Mais ce ne sont pas de petits sujets : comment encadrer les mégaconstellations de satellites ? Comment traiter des questions d'industrie dans l'espace ? Ces sujets sont loin d'être techniques. Nous avons demandé davantage d'informations au Gouvernement, nous n'avons pas obtenu grand-chose. C'est pourquoi il est proposé de supprimer cette habilitation.

En conclusion, ce projet de loi envoie un signal positif en ce qu'il rehausse le niveau des moyens affectés à la recherche. Nous proposons de le muscler. Je vous proposerai donc d'émettre un avis favorable sous réserve de l'adoption de nos amendements.

M. Alain Chatillon. - Je suis surpris que ce texte n'évoque pas les pôles de compétitivité, qui existent pourtant depuis plusieurs années, comme Aerospace Valley, dans le Sud-Ouest, ou Agri Sud-Ouest Innovation, que j'ai créé en 2007 et qui comporte plus de 400 entreprises et 60 pôles de recherche en Midi-Pyrénées et en Aquitaine : pourquoi ne pas associer ces structures ?

Voilà quatorze mois que l'Assemblée nationale a voté le Comprehensive Economic and Trade Agreement (CETA), mais nous n'avons toujours pas eu à l'examiner. Pourtant, on importe des produits d'Amérique du Nord qui contiennent des OGM et font une concurrence aux productions de nos agriculteurs. Il n'est pas normal qu'une loi qui n'a pas été votée par le Sénat soit appliquée !

M. Franck Montaugé. - Nous sommes surpris par la présentation insolite de cette programmation, où n'apparaissent pas des chiffres globaux mais des variations de crédits d'une année sur l'autre, ce qui est inédit. L'accent est mis sur la contractualisation, avec pourtant une certaine précarisation des contrats de recherche. Nous serons vigilants sur ce point en séance.

Mme Sophie Primas, présidente. - Je suis très favorable à l'amendement qui supprime l'habilitation à légiférer par ordonnance sur les opérations spatiales. Celle-ci a été introduite par voie d'amendement, entre deux discussions : c'est un peu désinvolte à l'égard du Parlement, alors même que nous n'avons pas eu de grand débat sur ce sujet depuis douze ans.

M. Jean-Pierre Moga, rapporteur. - Je partage la remarque de M. Chatillon : le problème est que cette loi concerne uniquement le ministère de la recherche et que les autres, comme le ministère de l'économie, ne sont pas concernés.

EXAMEN DES AMENDEMENTS

Article 1er

M. Jean-Pierre Moga, rapporteur. - Les amendements AFFECO-1 et AFFECO-2 vont ensemble, quoiqu'ils portent respectivement sur l'article 1er et sur l'article 2 ; je vous propose donc de les présenter ensemble. L'amendement AFFECO-1 fixe à la Nation l'objectif d'atteindre un effort de recherche de 3 % du PIB et un effort de recherche publique de 1 % du PIB d'ici à 2027. Ce sont des objectifs fixés au niveau européen depuis les années 2000 !

Pour ce faire, l'amendement AFFECO-2 réduit la durée de la trajectoire budgétaire, en fixant 2027 comme horizon. La programmation ne s'étendra que sur deux quinquennats, elle sera donc plus crédible, et 2027 est également l'échéance du programme-cadre de R&D européen et des contrats de plan État-région. Surtout, ce raccourcissement permet de lancer un signal fort en faveur de la revalorisation des salaires et des moyens mis à disposition des chercheurs dès 2021 et 2022. L'effort budgétaire serait ainsi de plus d'1 milliard d'euros par an sur ces deux années, alors que le projet de loi prévoit respectivement un effort de 350 et de 550 millions. Mes collègues rapporteurs de la commission de la culture et de la commission des finances sont d'accord pour réduire la durée de la trajectoire et fixer l'échéance à 2027.

M. Fabien Gay. - Je ne sais pas si 2027 est la bonne échéance, mais nous sommes d'accord pour réduire la durée. En l'état, ce texte est une mascarade. Il affiche un effort de 25 milliards d'euros, mais l'effort est surtout concentré entre 2027 et 2030. Le calcul est simple : on espère enchaîner deux quinquennats, et après, advienne que pourra ! C'est la même logique avec le Ségur de la santé, dans la mesure où les professionnels de santé seront augmentés de 180 euros par mois, mais en deux fois, ou avec la hausse des salaires des enseignants étalée sur dix ans. Il faut donc réduire et aller fort ! De plus, 25 milliards, c'est peu. L'Office parlementaire d'évaluation des choix scientifiques et technologiques évalue les besoins entre 3,5 et 5 milliards par an. On en est loin !

Il ne faut pas oublier non plus l'industrie. Pendant la discussion de la loi Pacte, M. Le Maire nous a expliqué à l'envi qu'il fallait investir sur les industries du futur - la 5G, l'automobile connectée, etc. - justifiant ainsi la nécessité de vendre les parts de l'État dans Aéroports de Paris, Engie ou la Française des Jeux pour pouvoir créer un grand fonds pour l'innovation de rupture. Ce fonds a été créé et est doté de plusieurs centaines de millions d'euros. Mais que produit-il ? Mme Pannier-Runacher avait promis, lors du budget, un investissement de 150 millions cet été en faveur de l'innovation technologique. Comment cet argent a-t-il été investi ? Nous interpellerons le Gouvernement sur ce sujet. Et je n'évoque pas le démantèlement de Nokia, preuve que nous sommes en retard sur la 5G...

M. Franck Montaugé. - Oui, il faut réduire ce calendrier : on ne peut pas attendre 2027. Le numérique, et en particulier la nécessité de former des data scientists, me paraissent insuffisamment pris en compte, alors que l'économie se fait à partir de la donnée, ce qui nécessite davantage de recherche que ce que nous faisons actuellement - comme l'avait souligné la commission d'enquête sur la souveraineté numérique il y a moins d'un an. Pour rattraper le temps perdu, il faut engager rapidement les moyens nécessaires.

M. Jean-Pierre Moga, rapporteur. - Avec l'amendement, nous raccourcissons l'horizon, donc 25 milliards d'euros seront injectés en sept ans, avec deux marches budgétaires d'un milliard d'euros par an dès 2021 et 2022.

La recherche industrielle est renvoyée au plan de relance et au fonds d'innovation pour l'industrie. Le Gouvernement a perdu une occasion de clarifier son action.

Par ailleurs, il n'y a pas de priorités dans cette loi, qui refuse la hiérarchisation stratégique, ce que je trouve assez contestable.

Les amendements AFFECO-1 et AFFECO-2 sont adoptés.

Article 14 bis

M. Jean-Pierre Moga, rapporteur. - L'amendement AFFECO-3 porte sur le congé pour enseignement ou recherche, réintroduit par les députés, alors qu'il avait été supprimé - par erreur, semble-t-il - en 2018. C'est une bonne mesure, qui permet de favoriser la mobilité du privé vers le public, comme d'autres dispositions du projet de loi permettent de favoriser la mobilité du public vers le privé. Mais les modalités proposées par le projet de loi apparaissent trop contraignantes pour les entreprises, surtout compte tenu du contexte économique auquel nous faisons face. Quelle que soit la taille de l'entreprise, le salarié aurait droit à ce congé au bout d'un an d'ancienneté seulement. Aucune place n'est laissée à la négociation collective. Et l'employeur n'a pas de moyen de refuser le départ, quand bien même cela nuirait à la bonne marche de l'entreprise. C'est pourquoi je propose d'aligner davantage le dispositif prévu sur celui applicable aux congés pour création ou reprise d'entreprise. Dans les entreprises de moins de 300 salariés, l'employeur pourrait s'opposer au congé si cela compromet la bonne marche de l'entreprise. La durée d'ancienneté requise, ainsi que d'autres conditions d'application du dispositif, seraient renvoyées à des accords de branche.

M. Laurent Duplomb. - Voulez-vous dire que le délai passerait de un à deux ans ?

M. Jean-Pierre Moga, rapporteur. - Tout dépendrait de l'accord de branche. Dans une grande entreprise, cela ne pose pas de problème. Il n'en va pas de même d'une PME qui aurait embauché et formé un ingénieur, et verrait celui-ci solliciter ce congé... Il ne faut pas pénaliser les entreprises, surtout dans le contexte actuel.

Mme Sophie Primas, présidente. - Cet amendement préfère les accords de branche à un dispositif imposé depuis le ministère...

L'amendement AFFECO-3 est adopté.

Article 22

M. Jean-Pierre Moga, rapporteur. - L'amendement AFFECO-4 est le premier de deux amendements visant à supprimer des habilitations à légiférer par ordonnances. Il supprime l'habilitation à « redéfinir les modalités selon lesquelles les avis et recommandations relatifs aux biotechnologies sont élaborés », car une telle habilitation permet au Gouvernement de modifier profondément l'équilibre de la loi de 2008 sur les OGM, sans contrôle suffisant du Parlement sur ces questions essentielles. Au Sénat, nous n'aimons guère les ordonnances...

Mme Sophie Primas, présidente. - Ce Haut conseil ne fonctionne pas bien, certes, mais de là à le supprimer sans débat...

L'amendement AFFECO-4 est adopté.

M. Jean-Pierre Moga, rapporteur. - L'amendement AFFECO-5 supprime l'habilitation à légiférer par ordonnance pour modifier la loi relative aux opérations spatiales. C'est encore un sujet à propos duquel nous ne pouvons pas nous permettre de donner un blanc-seing au Gouvernement. J'ai interrogé la ministre à ce propos, par oral et par écrit, sans recevoir à ce jour de réponse satisfaisante.

M. Fabien Gay. - Oui, il faut un débat, et au Parlement ! Chaque groupe politique doit pouvoir exprimer son avis. La concurrence entre Arianespace et SpaceX est faussée par les abondantes subventions octroyées par le Gouvernement américain. Puis, la nouvelle course à l'espace, avec l'abondance des nanosatellites, posera de vrais problèmes. Enfin, notre pas de tir, à Kourou, est menacé : il y a quelques années, nous y faisions dix à douze tirs par an, et ce chiffre a diminué de moitié. Si cela continue, nous pourrions perdre notre souveraineté européenne dans ce domaine. Le Sénat avait un groupe d'études sur ce thème, qu'il faudrait réactiver. Quant à l'habilitation à légiférer par ordonnances, vous savez que j'y suis opposé !

Mme Sophie Primas, présidente. - Le groupe de travail faisait suite à la dissolution du groupe des parlementaires de l'espace (GPE), qui a disparu après la loi Sapin. Vous avez raison : le dernier débat sur l'espace remonte à douze ans... On ne sait si ces dispositions viennent de Mme Vidal ou de Mme Parly, mais nous voudrions en débattre.

L'amendement AFFECO-5 est adopté.

Mme Sophie Primas, présidente. - Compte tenu de l'adoption des amendements du rapporteur, je vous propose d'entériner son avis favorable.

Il en est ainsi décidé.

Proposition de loi pour la mise en place d'une certification de cybersécurité des plateformes numériques destinée au grand public - Examen du rapport et du texte de la commission

Mme Sophie Primas, présidente. - Nous examinons à présent la proposition de loi, déposée par M. Laurent Lafon, pour la mise en place d'une certification de cybersécurité des plateformes numériques destinée au grand public. Il me faut procéder à un rappel concernant la procédure d'examen d'une proposition de loi issue d'un groupe minoritaire. Celle-ci est régie par un accord entre les groupes politiques, dont le principe est le suivant : afin de préserver l'initiative sénatoriale, les groupes minoritaires ont le droit à l'examen de leurs textes, inscrits dans leurs espaces réservés, jusqu'à leur terme, et ces textes ne peuvent être modifiés par la commission sans leur accord. Ainsi, aucun amendement ne peut être adopté aujourd'hui s'il ne reçoit pas l'accord du groupe UC. Bien entendu, des amendements pourront être librement déposés en vue de la séance publique.

Mme Anne-Catherine Loisier, rapporteure. - Vu les délais, j'ai préparé mon rapport sans procéder à des auditions, mais en me fondant sur de rapides consultations écrites.

Cette proposition de loi appelle notre attention sur un sujet crucial, qui monte en puissance mais reste insuffisamment pris en compte par nos concitoyens, qu'il s'agisse des acheteurs publics ou des entreprises : la cybersécurité. La cybersécurité recouvre l'ensemble des dispositifs techniques permettant de préserver la disponibilité, l'intégrité et la confidentialité des données et des services numériques. La sécurité des données peut aussi être menacée par les pratiques des Gafam (Google, Apple, Facebook, Amazon et Microsoft), ou par des lois à portée extraterritoriale, comme le Cloud Act qui, en 2018, a créé une sorte de droit d'ingérence américain.

Le cyber envahit notre quotidien, en tous cas pour ceux qui ont la chance d'accéder à des réseaux performants et de maîtriser les outils numériques. Le Gouvernement ambitionne de dématérialiser 100 % des 250 démarches les plus utilisées par les citoyens d'ici à mai 2022. La crise de la Covid a, paradoxalement, à la fois amplifié la fracture numérique et vu exploser certains usages : on a ainsi observé une hausse significative des commandes en ligne et des visioconférences, qu'elles soient utilisées à des fins professionnelles ou personnelles.

Malheureusement, cet usage accru du numérique ne va pas de pair avec les précautions nécessaires. Les scandales et les failles de sécurité à répétition qui ont pu, depuis l'affaire Cambridge Analytica, affecter de grandes entreprises du numérique, ont certes eu un effet de sensibilisation de nos concitoyens aux enjeux de cybersécurité : selon un sondage, 90 % des Français considèrent que les données personnelles sont précieuses, qu'elles devraient être davantage protégées et qu'elles sont convoitées par les géants du Net. Cependant, cette prise de conscience n'amène pas forcément un changement dans les habitudes de consommation. Or, en recourant à des plateformes non sécurisées, les consommateurs s'exposent à de nombreux risques : enregistrement vidéo à l'insu des participants, utilisation de la reconnaissance vocale pour attribution pérenne de propos qu'on pense oubliés à l'issue de la conversation, espionnage...

Les pouvoirs publics sont également la cible de nombreuses attaques, en particulier les collectivités territoriales et le secteur de la santé. Au-delà des cyberattaques, la question de savoir si les entreprises auxquelles les pouvoirs publics décident de recourir pour opérer certains de leurs services présentent des garanties suffisantes quant à la sécurité des données qu'elles traitent est régulièrement posée, comme l'illustre la polémique relative au contrat passé par l'État avec Microsoft pour prendre en charge la plateforme des données de santé « Health Data Hub », qui centralise les données de santé des Français en vue de favoriser la recherche et l'innovation - ou, il y a quelques années, le recours de la DGSI à Palantir Technologies.

Enfin, les entreprises sont aussi particulièrement exposées aux risques pesant sur la sécurité de leurs données : selon une enquête de la Confédération des petites et moyennes entreprises, en 2019, 40 % des PME déclaraient avoir déjà subi une attaque ou une tentative d'attaque. Selon un sondage, seules 39 % des entreprises se disent suffisamment préparées en cas de cyberattaques de grande ampleur. La question est donc de savoir si les prestataires choisis présentent des garanties suffisantes quant à la sécurité de leurs données stratégiques, lesquelles ne sont pas protégées par un règlement général de protection des données (RGPD), contrairement à celles des personnes physiques.

La proposition de loi que nous examinons a un double objectif : mieux sensibiliser les consommateurs et les acheteurs publics aux impératifs de la cybersécurité. Elle comporte deux articles. Le premier concerne les consommateurs, le second concerne les acheteurs publics. L'article 1er propose que les consommateurs soient mieux informés sur la sécurisation des données lorsqu'ils utilisent des solutions numériques. De nombreux textes régissent déjà la cybersécurité, à commencer par le RGPD, qui impose aux responsables de traitement d'utiliser des systèmes d'information suffisamment sécurisés. Mais les textes en vigueur sont assez peu tournés vers l'information du consommateur. Cela apparaît comme un vrai manque, que l'article 1er propose de combler. Cela passerait par un diagnostic de cybersécurité obligatoire, dont les modalités exactes sont renvoyées à un décret.

En accord avec M. Laurent Lafon, je vous propose un amendement pour préciser ce dispositif, afin d'en faire un véritable nutriscore de la cybersécurité, autrement dit un cyberscore. Il s'agirait essentiellement d'améliorations d'ordre technique, notamment quant au champ d'application du dispositif, qui ne serait obligatoire que pour les services les plus utilisés et inclurait tous les services numériques, et pas seulement les plateformes au sens du code de la consommation - ce qui permettrait d'inclure les solutions de visioconférence.

L'article 2 propose que les acheteurs publics prennent en compte « les impératifs de cybersécurité » dans la détermination des besoins des marchés publics. Cet article a le mérite d'appeler les acheteurs publics à mieux considérer cet aspect de leurs achats, de plus en plus important, puisqu'on voit se multiplier les applications utilisées par les collectivités territoriales. Il est essentiel d'assurer cette sécurité, à la fois pour garantir la confiance des citoyens dans les services publics numérisés et pour soutenir les acteurs vertueux en la matière.

Cependant, le code de la commande publique a vocation à s'appliquer à tous les marchés publics, et pas seulement à ceux concernés par les enjeux de cybersécurité. Insérer la prise en compte d'un impératif particulier dans un dispositif à vocation générale serait inapproprié et ouvrirait la porte à la prise en compte de nombreux autres impératifs particuliers. Malgré ces réserves, en application de l'accord entre groupes politiques sur les propositions de loi de groupes minoritaires, je ne proposerai pas d'évolution au stade de la commission.

En ce qui concerne les entreprises, qui ne sont pas concernées par la proposition de loi à ce stade, je rappelle que, afin de favoriser l'utilisation, par les TPE-PME, de solutions de cybersécurité, nous avions proposé, avec plusieurs de nos collègues, lors de l'examen d'un amendement au troisième projet de loi de finances pour 2020, la création d'un crédit d'impôt à la numérisation des entreprises qui aurait pris en compte les dépenses exposées par celles-ci pour assurer leur sécurité informatique. Ce dispositif est cependant à ce jour écarté par le Gouvernement. Il mériterait d'être repris.

Au-delà de l'incitation financière des entreprises à se sécuriser informatiquement, et face à la nécessité pour les entreprises de stocker leurs données auprès de prestataires de confiance, je souhaite mener un travail de réflexion pour aboutir à un dispositif d'ici à la séance, qui permettrait de mieux informer les entreprises lorsqu'un prestataire est soumis à une loi extraterritoriale pouvant menacer la sécurité de ses données.

Pour terminer, un point d'ordre technique à propos de l'application de l'article 45 de la Constitution, comme prévu par le vade-mecum applicable en la matière : je vous propose de considérer qu'entrent dans le champ des dispositions présentant un lien direct ou indirect avec le texte les mesures tendant à renforcer l'information du public sur les enjeux de cybersécurité et de sécurisation des données posés par les services numériques.

En somme, cette proposition de loi arrive très à propos. Je vous proposerai donc de la voter, malgré mes réserves sur l'article 2. En accord avec son auteur et son groupe politique, je proposerai un amendement visant à améliorer l'article 1er.

Mme Sophie Primas, présidente. - Je rappelle que l'article 45 interdit les amendements ne portant pas sur le champ du texte en discussion.

M. Franck Montaugé. - Comment ce texte - dont je partage les objectifs - s'articule-t-il avec le Cybersecurity Act, règlement européen datant de 2019 ? L'Agence nationale de sécurité des systèmes d'information (Anssi) propose déjà des certifications de premier niveau. Le texte en tient-il compte ?

Mme Anne-Catherine Loisier, rapporteure. - Nous avons tenu compte du fait qu'un Cybersecurity Act doit être mise en oeuvre, semble-t-il début 2021. La certification promue par ce texte lui est complémentaire. Surtout, il s'agit de mieux informer le consommateur sur le niveau de sécurité proposé.

M. Franck Montaugé. - Et sur les prestations de l'Anssi ?

Mme Anne-Catherine Loisier, rapporteure. - C'est un domaine différent de celui de l'information du consommateur : il s'agit du dispositif de sécurité demandé par les entreprises dont la vocation première n'est pas d'informer le consommateur. L'Anssi n'est pas oubliée : mon amendement propose qu'elle puisse habiliter les organismes à délivrer les diagnostics de cybersécurité.

M. Franck Montaugé. - J'avais compris que l'Anssi certifiait aussi des processus, outre les organisations d'entreprises. Cela concerne donc les plateformes...

EXAMEN DES ARTICLES

Article 1er

Mme Anne-Catherine Loisier, rapporteure. - Mon unique amendement, COM-1, propose quelques modifications pour compléter et préciser le dispositif. Il étend son champ d'application à tous les services numériques : non seulement les sites internet, logiciels en ligne et autres applications, mais aussi les logiciels de visioconférences - d'ailleurs cités par l'exposé des motifs - ce qui va plus loin que la seule notion de « plateformes en ligne » au sens du code de la consommation. Il limite le champ d'application du dispositif aux services numériques les plus utilisés, selon des seuils à définir. Cela évitera d'imposer de trop fortes contraintes à des petites structures. Il prévoit que la validité du diagnostic soit déterminée par arrêté, qui aurait vocation à être réexaminé régulièrement. La désignation des organismes habilités à effectuer des diagnostics reviendrait à l'Anssi, qui dispose d'une vision globale sur les dispositifs de cybersécurité, et non à un décret. Enfin, l'amendement précise que le diagnostic devrait être présenté de façon intelligible pour le consommateur et que cela pourrait se traduire par un logo de type nutriscore : c'est l'idée du cyberscore. De cette façon, le consommateur pourrait tout de suite voir s'il fait face à un service sécurisé, moyennement sécurisé ou pas sécurisé du tout.

L'amendement COM-1 est adopté.

L'article 1er est adopté dans la rédaction issue des travaux de la commission.

Article 2

L'article 2 est adopté sans modification.

La commission adopte le texte de la proposition de loi dans la rédaction issue de ses travaux.

Les sorts de la commission sont repris dans le tableau ci-dessous :

Article 1er

Auteur

Objet

Sort de l'amendement

Mme LOISIER, rapporteure

1

Amendement de réécriture

Adopté

Mission flash « Action Logement » - Nomination de rapporteurs

Mme Sophie Primas, présidente. - Mme Valérie Létard, du groupe UC, avait souhaité mener une mission d'information sur Action Logement en raison de la non application des dispositions votées au Sénat dans le cadre de la loi Élan et visant à faciliter la gestion du groupe paritaire tout en y associant les élus et le mouvement HLM. Le comité des partenaires, prévu par cette loi, n'a toujours pas été mis en place... Le confinement et la crise sanitaire ne lui ont pas permis de mener ces travaux mais, à l'occasion du rapport sur l'application des lois, le Gouvernement a indiqué qu'il ne mettrait pas en oeuvre ces articles de la loi Élan. Incroyable ! Par ailleurs, depuis plusieurs mois, le Gouvernement poursuit une stratégie d'empêchement et de déstabilisation du 1 % logement. Dans le projet de loi de finances, il va non seulement procéder à une ponction très importante sur sa trésorerie à hauteur de 1,3 milliard d'euros, mais il est également question que, via un amendement d'habilitation, soit décidée une diminution, voire une suppression, de la participation des employeurs à l'effort de construction (PEEC) et peut-être un démantèlement du groupe Action Logement. C'est dans ce contexte marqué à la fois par l'importance des enjeux et par la brièveté des délais que je vous propose de créer une mission flash sur l'avenir de la PEEC et la réforme d'Action Logement, afin de préparer nos débats et de formuler des contre-propositions. Dans ce but, je vous propose de nommer quatre rapporteurs : Mme Valérie Létard, comme chef de file, et Mmes Dominique Estrosi Sassone, Viviane Artigalas et Marie-Noëlle Lienemann, issues des différentes sensibilités de notre commission.

Il en est ainsi décidé.

La réunion est close à 16 h 50.

Mercredi 14 octobre 2020

- Présidence de Mme Sophie Primas, présidente -

La réunion est ouverte à 9 heures.

Audition, en application de l'article 13 de la Constitution, de M. Philippe Mauguin, candidat proposé aux fonctions de président de l'Institut national de recherche pour l'agriculture, l'alimentation et l'environnement et vote

Mme Sophie Primas, présidente. - En accord avec le Conseil de questure et à la suite de la Conférence des présidents du 7 octobre dernier, des aménagements ont été apportés aux conditions de déroulement de nos réunions de commission. Nous retrouvons, dès aujourd'hui, le fonctionnement qui a été le nôtre avant la suspension estivale de nos travaux à savoir une jauge d'un sénateur sur deux en réunion afin de respecter les règles de distanciation, dans le cadre strict de la proportionnalité des groupes politiques de notre assemblée.

Pour les sénateurs présents, le port du masque est obligatoire dans l'ensemble de nos salles de réunion, y compris pour les orateurs. Pour les autres, nous recourons à la visioconférence pour permettre aux absents de participer à la réunion. Priorité sera donnée aux prises de parole résultant d'une inscription préalable.

Je rappelle qu'en cas d'avis émis sur une désignation proposée par l'exécutif au titre de l'article 13 de la Constitution, comme c'est le cas ce matin, la règle est qu'aucune délégation de vote n'est autorisée. Ce sont les termes de l'article 3 de la loi organique n° 2010-837 du 23 juillet 2010 relative à l'application du cinquième alinéa de l'article 13 de la Constitution.

Ces règles de procédure étant rappelées, notre commission doit rendre un avis préalable à une nomination envisagée par le Président de la République. Nous auditionnons aujourd'hui M. Philippe Mauguin, personnalité pressentie pour occuper les fonctions de président-directeur général de l'Institut national de la recherche pour l'agriculture, l'alimentation et l'environnement (Inrae). Cette audition est publique et fait l'objet d'une retransmission en direct sur le site internet du Sénat.

L'article 13 de la Constitution dispose que « le Président de la République ne peut procéder à une nomination, lorsque l'addition des votes négatifs dans chaque commission représente au moins trois cinquièmes des suffrages exprimés au sein des deux commissions » compétentes, c'est-à-dire celle de l'Assemblée nationale et celle du Sénat.

La commission des affaires économiques de l'Assemblée nationale vous ayant déjà auditionné, nous procéderons au dépouillement immédiatement à l'issue du vote. Le dépouillement sera effectué par deux scrutateurs et aura lieu simultanément à l'Assemblée nationale et au Sénat, conformément à l'article 5 de l'ordonnance du 17 novembre 1958.

Cette nomination est valable pour une durée de quatre ans.

Monsieur Mauguin, vous êtes ingénieur général des ponts, des eaux et des forêts, avec une formation d'ingénieur agronome. Après avoir été directeur de l'agriculture et des bioénergies à l'Agence de l'environnement et de la maîtrise de l'énergie (Ademe), vous êtes devenu directeur de l'Institut national des appellations d'origine (Inao), puis directeur régional et interdépartemental de l'alimentation, de l'agriculture et de la forêt d'Île-de-France avant de devenir directeur des pêches maritimes et de l'aquaculture. Votre carrière a été, bien entendu, enrichie d'expériences au sein de cabinets ministériels : conseiller technique au cabinet d'Hubert Curien, ministre de la recherche et de l'espace, en 1992-1993 ; conseiller technique pour les questions agricoles au cabinet du Premier ministre, Lionel Jospin, entre 1997 et 2002 ; et enfin directeur de cabinet de Stéphane Le Foll de 2012 à 2016.

En 2016, recueillant l'aval des deux commissions permanentes compétentes en matière agricole, vous avez succédé à M. François Houllier à la tête de l'INRA. Depuis, cet établissement public à caractère scientifique et technologique, premier institut de recherche agronomique en Europe et deuxième dans le monde, a fusionné avec l'Institut national de recherche en sciences et technologies pour l'environnement et l'agriculture (Irstea) que certains connaissent encore sous le nom de Cemagref.

La structure qui en résulte rassemble plus de 10 000 agents, 18 centres de recherche, 14 départements scientifiques et 166 projets de recherche européens avec un budget de plus de 1 milliard d'euros. Cette nouvelle architecture permet de créer un organisme de référence qui a développé de nombreux partenariats avec les entreprises et le monde agricole.

Cette fusion a donné naissance non plus à l'Institut national de la recherche agronomique, autrement dit Inra, mais à l'Inrae, l'Institut national de recherche pour l'agriculture, l'alimentation et l'environnement. Cette évolution sémantique du nom de la structure est, sans aucun doute, porteuse d'un changement de stratégie que vous nous présenterez, replaçant la recherche publique davantage au service de l'agriculture, tout en l'orientant vers les attentes de la société en matière d'alimentation et d'environnement. Nous estimons, au sein de la commission, que la recherche est la clé pour réussir à relever les défis écologiques, tout en conservant la place de notre agriculture dans notre société. L'Inrae aura un rôle essentiel à jouer.

À cet égard, pouvez-vous, monsieur Mauguin, premièrement, nous présenter rapidement le bilan de votre dernier mandat ? Quelles sont les réalisations dont vous êtes fier et les points sur lesquels vous pensez avoir encore du travail à accomplir ? Deuxièmement, quels sont les sujets sur lesquels vous souhaiteriez vous investir lors d'un éventuel deuxième mandat, autrement dit quel est votre projet pour l'Inrae au cours des quatre prochaines années ?

Au-delà de la recherche fondamentale sur les systèmes agricoles se pose la question de l'articulation entre vos travaux et ceux des instituts techniques notamment, principalement dans la recherche d'alternatives à des produits phytopharmaceutiques, qu'elles soient chimiques, naturelles, génétiques ou agronomiques.

J'insiste sur ce point, tant l'actualité législative offre l'occasion d'une séance de « travaux pratiques » - je pense bien sûr aux dérogations proposées par le Gouvernement pour l'utilisation de néonicotinoïdes. Quelle vision l'Inrae porte-t-elle sur ce sujet, notamment au travers du plan que vous avez mis en place avec l'Institut technique de la betterave ? Comment expliquez-vous l'absence d'apparition d'alternatives à ces substances depuis l'annonce de leur interdiction en 2016 ? Pouvez-vous nous présenter les différentes alternatives crédibles à ce stade ? Pensez-vous qu'en 2023 l'une d'entre elles sera opérationnelle ?

Je vous laisse la parole, Monsieur Mauguin, et, au terme de votre propos, je laisserai les commissaires vous poser des questions de deux minutes, en donnant la priorité aux membres s'étant inscrits préalablement.

M. Philippe Mauguin, candidat proposé aux fonctions de président de l'Institut national de recherche pour l'agriculture, l'alimentation et l'environnement. - Madame la présidente, mesdames, messieurs les sénateurs, je suis très honoré d'être devant vous pour solliciter votre soutien. Mme la présidente a très bien tracé le cadre de mon intervention. J'évoquerai tout d'abord le bilan de mes années passées à la tête de l'Inra, puis les grandes orientations que je propose pour les années à venir.

Pour la période 2016-2020, j'avais proposé des priorités que j'ai essayé de déployer avec l'ensemble de la communauté de travail de l'Inra.

Premièrement, conforter la qualité et la visibilité scientifiques de l'Institut. Pendant cette période, l'Inrae est resté au premier plan de la recherche mondiale : le nombre des publications a progressé de 25 % et celles réalisées avec des auteurs étrangers représentent près de 60 % du total. Nous avons renouvelé l'animation scientifique interne et les défis de recherche pour favoriser l'interdisciplinarité.

Deuxièmement, renforcer et renouveler l'innovation. Nous avons fixé des domaines prioritaires, nous avons soutenu des instituts Carnot, qui sont des lieux privilégiés pour les relations entre la recherche publique et les entreprises, et nous avons mis en place des outils pour accélérer le transfert des résultats de la recherche vers les agriculteurs, en particulier en matière de pesticides, de protéines végétales et de changement climatique. Nous avons aussi développé nos partenariats avec les PME et suscité la création de start-up - onze ont récemment vu le jour.

Troisièmement, développer les partenariats avec l'enseignement supérieur - il s'agit à la fois des écoles d'agronomie et vétérinaires et des universités. L'Institut travaille ainsi sur trente sites universitaires et d'écoles.

Quatrièmement, déployer une stratégie internationale plus visible et ambitieuse. L'Inra avait un rayonnement international, mais il ne disposait pas véritablement d'outils forts dans ce domaine. Au niveau européen, nous avons renforcé notre présence dans le programme-cadre de recherche et les financements communautaires de nos laboratoires ont augmenté de 15 %. Hors Union européenne, nous avons multiplié les associations avec des laboratoires étrangers ; nous sommes dorénavant associés à 17 laboratoires contre 3 auparavant, notamment dans de grands pays (États-Unis, Chine, Inde, Brésil, Argentine, Australie...).

Cinquièmement, développer des partenariats avec d'autres organismes et instituts techniques - cette priorité fera la transition avec le rapprochement qui a eu lieu avec l'Irstea.

L'Inra et l'Irstea étaient deux établissements sous tutelle des ministères de l'agriculture et de la recherche travaillant dans le secteur de l'agriculture, dont les missions étaient complémentaires. Il n'existait pas vraiment de chevauchements, mais il était possible de faire mieux. Par exemple, l'Irstea était excellent sur les agroéquipements, les pulvérisateurs ou les capteurs ; l'Inra l'était sur l'agronomie, la génétique ou la résistance aux maladies. Nos forces étaient également complémentaires sur l'eau et la forêt. Mais il existait finalement peu de synergies et de partenariats.

Nous avons donc engagé, en 2016, une réflexion scientifique sur un éventuel rapprochement et nous avons décidé d'avancer. Il faut dire que la France n'avait jamais fusionné deux organismes de recherche de cette taille. Nous n'avions pas pour but de faire des économies de bout de chandelle, mais de répondre encore mieux aux défis contemporains du développement durable. Nos deux maisons se sont mobilisées à tous les niveaux, elles ont engagé un travail commun assis sur le dialogue social et scientifique ; la fusion est effective depuis le 1er janvier 2020 et je pense qu'elle est réussie.

Aujourd'hui, le nouvel établissement est encore plus visible : au niveau mondial, nous sommes classés parmi les quatre ou cinq premiers organismes de recherche en agriculture et alimentation et au dixième rang en matière d'environnement. Nous sommes de fait le premier organisme de recherche spécialisé en matière d'agriculture, d'alimentation et d'environnement.

Ce résultat est évidemment une fierté, mais c'est aussi une responsabilité, et l'objectif de ma candidature est de transformer l'essai. Ainsi, nous devons déployer notre stratégie de recherche dans le cadre du périmètre du nouvel institut, pas seulement additionner les deux stratégies précédentes. Nous devons répondre aux attentes de notre société et conforter la communauté de recherche, en particulier dans le contexte actuel du covid-19. Je salue d'ailleurs la mobilisation des équipes, alors même que l'épidémie est apparue quelques semaines après la fusion. Près de 80 % des agents ont basculé en télétravail, en maintenant les activités scientifiques, et la reprise de nos activités est progressive depuis le mois de mai.

Les priorités pour mon nouveau mandat, si vous m'accordez votre confiance, s'orientent autour de quatre grandes orientations.

Premièrement, concevoir et déployer une stratégie de recherche ambitieuse. Pour cela, nous avons déjà engagé des travaux, ainsi qu'une concertation auprès de l'ensemble des agents pour que chacun puisse participer à l'élaboration des choix collectifs. Cinq grands défis scientifiques ont déjà émergé.

Il nous faut d'abord répondre aux grands changements globaux, que ce soit le dérèglement climatique ou la crise de la biodiversité, ce qui inclut les impacts de ces phénomènes sur l'agriculture, l'alimentation et la forêt et les risques naturels dans les territoires - l'Irstea avait une compétence forte en matière de prévention des inondations, de feux de forêt ou d'avalanche et nous ne l'oublierons pas. Nous devrons traduire les scénarios climatiques du GIEC en scénarios de transition pour notre agriculture et nos forêts. Nous devons rassembler nos forces sur la base de ces scénarios qui sont scientifiquement établis. Nous avons commencé ce travail, très fécond, avec le secteur viticole et nous devons le généraliser à l'ensemble des secteurs agricoles.

Deuxième grand défi scientifique, l'accélération de la transition agroécologique, en tenant compte de la compétitivité des filières et des revenus des acteurs. J'insiste d'ailleurs sur ce point : si nous n'intégrons pas d'éléments socio-économiques dans la transition, elle restera au niveau de projet. Nous devons donc changer d'échelle et réfléchir à la manière de passer de quelques milliers d'agriculteurs qui se sont engagés dans la transition agroécologique à plusieurs centaines de milliers. Les questions de recherche constituent l'un des éléments de ce changement d'échelle et, pour réussir, nous devons embarquer toutes les filières et les systèmes alimentaires de manière globale. Nous devons être capables d'aligner les attentes des consommateurs et les besoins des agriculteurs. Cette transition ne concerne pas seulement les filières végétales, mais aussi l'élevage. Nous avons besoin d'élevage - nous ne ferons pas d'agriculture durable sans élevage -, mais les filières doivent évoluer dans le sens du bien-être animal, d'une meilleure autonomie protéique, etc. C'est pourquoi, de la même manière que nous travaillons sur les alternatives aux phytosanitaires, nous étudions des alternatives aux antibiotiques.

Troisième défi, penser la bioéconomie de façon circulaire et durable. En effet, nous allons connaître des tensions croissantes sur des ressources naturelles - le carbone, l'azote, le phosphore et l'eau - qui sont critiques au niveau mondial. Nous devons donc imaginer des filières bioéconomiques adaptées. On parle souvent du défi de nourrir dix milliards d'habitants à l'horizon 2050, alors que les sols sont dégradés et en tension, mais nous ne devons pas oublier le défi de décarboner l'économie, c'est-à-dire se passer du carbone issu de la pétrochimie. Il y aura donc une compétition entre les usages. Le cycle de l'eau est l'un des points critiques du développement durable des prochaines années et nos compétences nous permettent désormais de suivre l'ensemble de ce cycle - économiser l'irrigation, diminuer les pertes liées à l'évapotranspiration, améliorer la réutilisation des eaux usées. Gérer au mieux la ressource en eau est un enjeu majeur.

Quatrième défi, favoriser une approche globale de la santé. La pandémie qui affecte actuellement la planète a remis au premier plan l'importance des zoonoses et les risques de transmission de maladies des animaux aux humains - d'ailleurs, il a été montré que la baisse de la biodiversité pouvait accélérer de tels phénomènes. Nous devons donc développer une approche plus globale de la santé à l'échelle des écosystèmes et améliorer la détection précoce des nouveaux risques. Nos équipes sont très bien positionnées sur ces sujets, mais nous devrons travailler avec d'autres organismes - je pense notamment à l'Inserm, au Centre de coopération internationale en recherche agronomique pour le développement (Cirad) et à l'Institut de recherche pour le développement (IRD).

Le lien entre santé globale et agriculture ne se limite pas à la prévention des crises sanitaires. Il passe aussi par la nutrition préventive. On connaît de mieux en mieux le rôle de l'alimentation sur notre santé, notamment grâce à d'excellentes recherches menées au sein de l'Inrae, par exemple sur la compréhension du rôle du microbiote et de son lien avec la santé. Nous devons donc aller vers ce qu'on pourrait appeler une nutrition préventive. Il s'agit de concevoir des régimes alimentaires qui sont à la fois sains pour l'homme et durables, en prenant en compte, dans la conception des aliments et des régimes alimentaires, l'impact sur la santé et sur l'environnement.

Cinquième et dernier défi, le numérique et l'intelligence artificielle. Il s'agit d'ailleurs d'un défi scientifique transversal qui concerne toute la recherche mondiale. Je m'efforcerai de mobiliser le numérique au mieux, au service de toutes ces transitions. L'intelligence artificielle aidera à traiter les masses de données énormes qui arrivent dans nos laboratoires, mais aussi chez les agriculteurs : données climatiques, données liées aux bio-agresseurs ou au pilotage fin des systèmes de production... Nous devons investir ce champ, y compris au profit du secteur des agroéquipements, stratégique pour la réussite de la transition agroécologique.

Je souhaite aussi poursuivre, dans les prochaines années, le travail engagé par l'Inrae sur les partenariats avec l'enseignement supérieur, en France comme au niveau mondial. En France, nous pouvons franchir un nouveau cap. La loi de programmation de la recherche doit nous donner une meilleure visibilité, pluriannuelle, sur nos moyens. Dès lors, nous pourrons programmer des investissements stratégiques avec les universités et les écoles, ce qu'on ne faisait pas vraiment jusqu'à présent. Quelle stratégie de recrutement des chercheurs et des enseignants-chercheurs à dix ans pour anticiper les départs et favoriser les nouvelles compétences ? Quels investissements dans les équipements stratégiques de recherche qui doivent être partagés ?

En ce qui concerne la stratégie internationale, nous continuerons à conforter notre réseau de partenariats. Nous souhaitons aussi, avec humilité et détermination, mettre en place une alliance mondiale de la recherche pour l'agriculture, l'alimentation et l'environnement avec nos grands homologues des différents continents - Europe, Amérique du Nord, Amérique latine, Asie, Afrique - pour essayer de partager au moins une programmation des grands sujets de recherche. De tels lieux de coordination manquent actuellement, même s'il existe des lieux de rencontre.

Il y a aussi un nouveau virage que l'Inrae doit prendre, qui est de s'investir en Afrique. Traditionnellement, l'Inrae représentait la recherche pour les pays du Nord et le Cirad et l'IRD s'occupaient de la recherche pour les pays du Sud. Pour autant, certains sujets, comme la séquestration du carbone dans les sols, la lutte contre le dérèglement climatique ou la question de l'alimentation, sont transversaux. Avec le Cirad, nous avons décidé de travailler encore davantage ensemble, en proposant un programme de recherche ambitieux pour la transition des agricultures en Afrique. C'est une priorité de la politique de développement française, comme vous le savez. Nous ferons donc des propositions prochainement dans ce domaine.

Troisième orientation, l'innovation, encore et toujours ! Nous souhaitons notamment développer de nouvelles approches dans les territoires. Certains d'entre vous connaissent les territoires d'innovation. L'Inrae est le premier organisme de recherche français impliqué dans ces projets. L'appel d'offres a été lancé par le Premier ministre, et 24 projets ont été retenus dans tous les secteurs. Sept de ces projets associent l'Inrae et touchent les grands sujets qui vous préoccupent : alternatives aux phytosanitaires, bien-être animal dans les filières d'élevage, forêt... Nous aurons autour de la table, dès la conception du projet, l'ensemble des acteurs, et non les seuls chercheurs. Ceux-ci seront mis en interaction avec les entreprises, avec les collectivités locales, bref avec toutes les parties prenantes. Je pense que cela produira des résultats intéressants.

Nous allons aussi accentuer notre engagement sur la création de start-up. Nous venons de remporter un label de la French Tech et nous pilotons le consortium Agri'Eau, qui va favoriser le développement des start-up dans ce qu'on appelle les Food Tech. Nous nous engagerons davantage dans l'expertise et l'appui aux politiques publiques. Beaucoup de questions traitées par l'Inrae, en effet, sont à l'interface entre la science et les politiques publiques. L'une de nos directions leur sera consacrée. Tout en garantissant l'indépendance des chercheurs, nous essayons de favoriser l'interface entre les questions que la société pose et les données issues de la science, ce qui est un travail compliqué, qui diffère de l'activité normale et naturelle de recherche.

La quatrième et dernière orientation concerne la cohésion du nouvel établissement. Je propose de lancer une démarche mobilisatrice en matière de responsabilité sociétale et environnementale. Nous avons déjà beaucoup oeuvré ces dernières années dans le domaine de la qualité de vie au travail, de la lutte contre les discriminations ou pour l'égalité des chances et la diversité. Nous sommes le premier organisme de recherche français à avoir été labellisé en la matière - c'était début 2020. Nous devons passer encore une étape, en intégrant la responsabilité environnementale, ce qui fait l'objet d'une forte attente dans notre communauté de travail : réduire l'impact carbone des activités de recherche, c'est possible, et les agents, pour la plupart d'entre eux, ont envie de s'y engager.

L'Inrae est une chance pour notre pays, pour notre agriculture, pour notre secteur alimentaire, pour notre forêt. C'est une chance aussi, plus globalement, pour nos concitoyens. Je souhaite accompagner le déploiement et l'épanouissement de ce nouvel établissement dans les prochaines années avec une exigence de qualité scientifique qui est la base de la crédibilité et une exigence sur l'impact et l'utilité des travaux au service de la société.

Sur la question des néonicotinoïdes, je rappelle que nous avons eu un hiver 2020 exceptionnellement doux, notamment au mois de mars, avec de forts vents de sud, ce qui a occasionné des infestations de pucerons porteurs de virose sur les betteraves, en tout cas dans la partie méridionale de la zone de production. L'impact a été très significatif, ce qui a conduit le Gouvernement à proposer ce projet de loi portant dérogation à la loi sur la biodiversité. J'ai entendu dire beaucoup de choses, et notamment mettre en cause la recherche. Par esprit de transparence, et pour défendre le travail des chercheurs, aussi bien dans le secteur public que privé, je souhaite remettre un certain nombre de choses au clair. L'Inrae a été l'un des premiers organismes de recherche au monde à faire des publications sur l'impact des néonicotinoïdes sur les pollinisateurs. C'était avant qu'il y ait des lois en France sur le sujet. D'ailleurs, c'est sur la base des travaux de l'Inrae que les premières décisions ont été prises pour instaurer un moratoire sur l'utilisation des néonicotinoïdes sur les plantes oléoprotéagineuses. Nous avions discuté avec la profession et il y avait des éléments avérés qui ont conduit à cette suspension.

Pendant ce temps-là, les chercheurs de l'Inrae ont travaillé sur des alternatives. Je rappelle que l'Inrae est le premier organisme qui a publié, au niveau international, sur les viroses dans les betteraves, contribuant ainsi à la connaissance de la maladie et à la caractérisation des quatre virus impliqués. Nos chercheurs, avec ceux de l'Institut technique de la betterave, ont lancé le programme AKER, avant même les débats parlementaires, pour redonner de la diversité génétique à la betterave. Nous avons récemment rendu publics ses résultats dans un livre que je vous ai apporté. Ce programme a permis de mettre au point plus de 3 000 lignées de betteraves avec une diversité génétique qu'on n'avait jamais connue. Ces lignées comportent des variétés qui présentent des résistances.

Malheureusement, la jaunisse de la betterave est une maladie complexe qui implique quatre virus différents. Certaines lignées sont résistantes à l'un d'entre eux, voire à deux, mais nous n'avons pas encore toute la panoplie. Des recherches ont aussi été menées sur des pistes de réponse en termes de biocontrôle ou d'agronomie. Bref, la recherche n'a pas été inactive. En 2016, la loi est votée, pour application en 2018. Elle prévoit d'envisager des alternatives chimiques. Les chercheurs continuent à travailler, mais pas dans une urgence absolue. Malheureusement, comme il arrive souvent pour les alternatives aux phytosanitaires, des résistances se sont développées, avec des contournements des produits homologués. Nous nous en sommes assez rapidement rendu compte.

La première année sans néonicotinoïdes, le contexte climatique n'ayant pas été trop défavorable, les traitements par les molécules homologuées ont suffi et personne ne s'est ému. C'est cet hiver exceptionnel qui, tout d'un coup, sonne le branle-bas de combat. Mais, je le répète, beaucoup de travail a été fait, ce qui va nous permettre, grâce au plan recherche et innovation, de trouver des solutions.

Pourquoi allons-nous parvenir à trouver en trois ans des solutions qui n'ont pas été trouvées à un niveau opérationnel jusqu'à présent ? Comme je l'ai dit au ministre de l'agriculture, M. Julien Denormandie, avec le président de l'Institut technique de la betterave, M. Alexandre Quillet, nous n'avons pas la prétention de trouver en trois ans un équivalent, à 100 %, aux néonicotinoïdes. Mais nos chercheurs sont convaincus qu'ils vont progresser de façon significative. L'enjeu, en fait, est de réduire le risque à un niveau acceptable pour la filière betterave-sucre. Le risque de perte de récolte ne doit plus être, en cas d'hiver exceptionnel, supérieur à 40 %. Si nous le ramenons dans une marge plus raisonnable de 15 %, nous aurons fait le travail. Pour cela, nous allons accélérer le phénotypage de toutes les lignées que nous avons mises au point et rebalayer tout le catalogue des variétés de betteraves déjà homologuées qui n'étaient pas forcément sélectionnées à l'époque sur le critère de la résistance au virus, puisqu'il y avait les néonicotinoïdes. Je pense qu'en deux ans nous aurons identifié un certain nombre de variétés qui auront un meilleur profil de résistance.

Le deuxième axe sera de travailler sur l'écologie chimique et le biocontrôle. Il s'agit d'utiliser, y compris en co-culture, le fait que les plantes peuvent émettre des molécules répulsives pour les insectes. Nous avons des pistes intéressantes. On a signalé des expérimentations d'agriculteurs - nous travaillons aussi en direct avec eux - qui, en semant de l'avoine, ont observé une absence d'infestation des pucerons dans leurs champs et, après avoir récolté l'avoine, les ont vu revenir. Nous allons donc examiner toute une série de plantes en fonction de leur production de molécules pour chercher celles qui sont répulsives. Il semble aussi que des enfouissements de graminées ou de certaines cultures pouvaient aboutir à ce que la dégradation du sol émette des molécules ayant un impact sur les pucerons, comme la loline. Nous avons déjà des projets avec certaines entreprises sur ce point.

Enfin, la question des régulateurs naturels des pucerons est posée. Nous allons travailler, avec l'Institut technique de la betterave, à faire non des mosaïques paysagères, mais des alternances de bandes fleuries, utiles pour que les abeilles, qui sont des insectes opportunistes, aillent de préférence y butiner au lieu d'aller chercher des résidus de néonicotinoïdes au sol. Il convient aussi de favoriser le retour des régulateurs biologiques. Bref, il faut trouver un équilibre entre l'écologique et l'économique, qui soit soutenable pour les betteraviers.

Pour les expérimentations que nous allons conduire à l'Institut technique de la betterave, nous avons prévu de mobiliser jusqu'à 1 000 hectares de champs de betteraves pilotés par des agriculteurs. En tout cas, c'est en mobilisant une combinaison de solutions - des variétés plus résistantes, des solutions de biocontrôle, de l'agronomie et le retour des régulateurs biologiques - que nous allons ramener le risque à un niveau soutenable et acceptable.

M. Henri Cabanel. - Je voudrais tout d'abord vous remercier. Il y a quatre ans, je vous avais posé quelques questions sur la recherche, notamment sur les cépages résistants en matière viticole. Vous vous étiez engagé à ce que les recherches de l'Inrae soient communiquées aux professionnels, ce qui a été fait. Merci d'avoir tenu vos engagements ! Pensez-vous que l'appauvrissement des sols vienne d'un modèle agricole axé sur une agriculture intensive qui a impliqué, implique et impliquera la diminution des intrants et l'usage des produits phytosanitaires ? Ne faudrait-il pas expliquer aux professionnels et aux agriculteurs qu'il faut impérativement changer de modèle agricole ?

M. Laurent Duplomb. - Merci pour la clarté de vos propos. Je suis séduit par une très grosse partie de votre discours.

D'abord, j'entends quelqu'un qui ne pratique pas l'agriculture tous les jours, comme moi, prendre enfin en compte le critère essentiel de l'acceptabilité économique par le monde agricole. Vous n'êtes pas dans les incantations, vous n'êtes pas dans l'obscurantisme, ce qui vous démarque de tout ce qu'on peut entendre à longueur de journée. Vous êtes, et cela me plaît, un pragmatique. Vous n'avez pas non plus le regard fixé sur le rétroviseur. L'innovation, la recherche, le progrès ont toujours fait la force du monde agricole. Nous avons connu des famines, mais nous n'en connaissons plus aujourd'hui, parce que l'agriculture a progressé, a su se rénover, être inventive. L'agroécologie, l'intelligence embarquée seront demain, j'en suis sûr, les éléments qui permettront non pas d'interdire aveuglément certains produits phytosanitaires, mais de les utiliser le moins possible, avec les quantités les plus faibles possible. Voilà l'intelligence et le pragmatisme qu'on devrait mettre en avant plutôt que d'être dans les incantations et les interdictions !

Surtout, vous êtes l'un des seuls qui ne nous parlent pas uniquement du réchauffement climatique, de l'agroécologie et du changement de modèle, mais aussi des évolutions démographiques. La population mondiale est passée de 2,5 milliards d'habitants il n'y a que 50 ans à près de 7 milliards aujourd'hui et elle risque d'atteindre plus de 10 milliards demain.

Je vois dans cette évolution un parallèle avec ce que nous avons vécu pendant des décennies, dans la parole politique, à propos de la dette. Depuis trente ans, on nous répète chaque jour, en matière de décision publique, qu'il faut travailler sur notre dette, ce qui nous a poussés à prendre des décisions qui nous ont entraînés dans des situations difficiles, en particulier sur la diminution des lits de réanimation. Et voilà qu'en quelques mois, ce discours a complètement disparu à la suite d'une chose que nous n'avions pas prévue, la pandémie de covid-19. En clair, nous avons mis 40 ans pour constituer 2 300 milliards d'euros de dettes et en cinq mois nous en ajoutons 560 milliards, sans que nul ne s'en offusque !

Ainsi, nous pouvons être amenés à regarder uniquement une partie du problème, comme le réchauffement climatique ou l'évolution du système agricole, mais si nous ne prenons pas en compte l'évolution de la population, tous les efforts que nous aurons faits pendant des années peuvent s'écrouler du jour au lendemain, parce que des migrations forcées nous imposeraient une agriculture différente de celle que nous avons souhaité mettre en place.

Je veux bien vous apporter ma confiance, monsieur Mauguin, mais je veux que vous me fassiez une promesse : que les fonctionnaires de l'Inrae respectent tous la neutralité qui leur incombe. Je vois trop dans la fonction publique des gens qui, s'exprimant au nom de l'État, alors qu'ils devraient être neutres, laissent transpirer leur vision personnelle et leurs conceptions politiques.

Mme Anne-Catherine Loisier. - Je salue votre présentation globale et votre enthousiasme qui visiblement ont su convaincre. Le changement climatique pousse à une transformation accélérée des modèles agricoles et forestiers qui va beaucoup plus vite que ce qu'on a connu jusqu'à maintenant, en tout cas beaucoup plus vite que l'évolution naturelle. L'approche One Health implique la prise en compte d'attentes sociétales puissantes. La collaboration étroite avec les professionnels des différents secteurs d'activités sur lesquels vous travaillez est plus nécessaire que jamais.

En matière de changement climatique en forêt, sur quoi travaillez-vous ? Je suppose que vous adaptez des essences et développez des mélanges propices et vertueux. Vous avez évoqué la reconquête d'un certain nombre de territoires forestiers, notamment en montagne, pour éviter les risques. Abordez-vous la problématique des résineux ? S'ils ne suscitent pas l'enthousiasme ni l'intérêt de nos populations, ils sont nécessaires à notre économie ; or, nous en importons, ce qui n'est pas très bon en termes de stratégie globale pour la planète. Comment faire pour évoluer ?

Vos liens avec les écoles et les organisations professionnelles sont essentiels. Travaillez-vous avec les organismes professionnels sur les projets d'installation des jeunes agriculteurs ? Au-delà des néonicotinoïdes, d'autres grandes cultures sont dans l'impasse. Bourguignonne, je pense au colza ou à la moutarde de Bourgogne : nous allons bientôt importer de la moutarde du Canada ou des pays de l'Est ! Travaillez-vous aussi sur ce sujet ?

M. Franck Menonville. - Je salue vos propos porteurs de vision et d'avenir pour notre agriculture, basée sur l'innovation et le progrès. Que fait l'Inrae sur la question de notre trop grande dépendance aux protéines ? La fragilité de la France risque encore de s'accentuer dans ce domaine avec une impasse grandissante dans le domaine des oléagineux, notamment du colza. La durée de dérogation pour les néonicotinoïdes est-elle suffisante pour permettre des avancées significatives ? Certaines nouvelles technologies de semence ne sont pas autorisées en Europe, mais se développent. Quelles recherches menez-vous sur la question ? Quel est le risque de l'utilisation des néonicotinoïdes sur une plante non mellifère, qui ne fleurit pas, et sachant que le temps de persistance dans le sol est bien connu ? Ne pourrions-nous pas sécuriser l'utilisation des néonicotinoïdes sur la betterave, en assurant une succession de cultures non mellifères ?

Mme Sylviane Noël. - Vous avez parlé d'économie circulaire et de bioéconomie, mais vous n'avez pas évoqué la question de la méthanisation. La réglementation actuelle, qu'elle soit nationale ou européenne, tend à freiner des projets locaux ambitieux en interdisant, d'une part, de mélanger les boues des stations d'épuration urbaines avec des biodéchets triés à la source et, d'autre part, d'envoyer des effluents chargés en sous-produits animaux, tels que le lactosérum, dans les réseaux d'eaux usées. Les enjeux en termes de réduction de gaz à effet de serre sont pourtant réels. L'Inrae travaille-t-elle sur ces sujets ? Quelle est votre position ?

Mme Martine Berthet. - Merci pour le programme ambitieux que vous nous proposez. Mais quels sont les moyens correspondants ? Vous ne nous avez pas parlé de l'évolution de votre budget, notamment avec la loi de programmation de la recherche. Vous avez évoqué la prévention des risques. En ce qui concerne le pastoralisme, avez-vous envisagé une étude d'impact du renoncement des éleveurs face à la prédation ? Vous l'avez dit, nous avons besoin de l'élevage. Mais le phénomène de la prédation s'amplifie et se déploie sur une bonne partie du territoire national. En montagne, tout particulièrement, l'abandon du pastoralisme inquiète beaucoup, notamment pour ses impacts sur l'augmentation des risques naturels. Êtes-vous prêt à produire une étude sur ce sujet ? Cela permettrait enfin de mettre d'accord le ministère de l'agriculture et celui de l'environnement.

Mme Sophie Primas, présidente. - Vaste sujet !

M. Franck Montaugé. - Merci pour votre présentation et la qualité de votre travail au cours des quatre années passées. Je souhaite aborder les questions de politique territoriale agricole. Dans de grands pans du territoire national, par exemple dans le Gers, on se pose des questions sur l'avenir agricole de certains territoires mal dotés sur les plans agronomique, climatique, topographique... Une démarche a été conceptualisée par le Conseil général de l'alimentation, de l'agriculture et des espaces ruraux : celle des zones intermédiaires. L'Inrae procède-t-elle à des analyses et des réflexions sur ces questions ? Elles relèvent de la macroéconomie agricole. Laurent Duplomb parlait de la nécessité de nourrir plus de 7 milliards de personnes. Nous ne pouvons pas nous permettre de laisser des pans entiers de territoire agricole à l'abandon, même s'il est difficile de cultiver sur ces territoires.

Beaucoup d'agriculteurs vont partir à la retraite, souvent des éleveurs. Cela soulève la question de l'avenir des systèmes de polyculture-élevage. Les territoires sur lesquels ces personnes exerçaient vont revenir à la nature, avec davantage d'incendies, etc. Travaillez-vous sur ces questions ? Avec vos collaborateurs, j'ai eu l'occasion de travailler sur la question des prestations pour services environnementaux, qui nous avaient été presque promises pour 2019. Où en êtes-vous sur ce point ? Il est grand temps qu'à travers ce dispositif la société dans son ensemble reconnaisse ce que l'agriculture lui apporte. Le développement des outils de gestion des risques en agriculture, dont l'assurance fait partie, doit être poursuivi. Vous en préoccupez-vous ? Travaillez-vous aussi sur le volet pédagogique de l'acceptabilité et de l'acculturation des agriculteurs et de l'agriculture sur ces questions ?

M. Joël Labbé. - Merci de votre présentation. Je vais moi aussi attendre des engagements de votre part, qui ne sont pas tout à fait les mêmes que ceux de notre collègue Duplomb ! Depuis la loi sur l'avenir agricole, l'agroécologie doit être au coeur des futures perspectives. Dans votre présentation, vous avez trop peu parlé de l'agriculture biologique. Pourtant, l'agriculture biologique est le mode le plus abouti de l'agroécologie. Tous les pesticides chimiques actuels, qu'ils soient classés cancérigènes, mutagènes, toxiques pour la reproduction ou perturbateurs endocriniens, ne pourront pas durer. Il va bien falloir trouver des alternatives. Or pour moi, les alternatives ne seront pas chimiques ou, s'il y a de la chimie, celle-ci doit s'accompagner d'une remise en cause des systèmes.

Il y a quelques années, quelque 10 % du budget était consacré à l'agriculture biologique. Où on est-on ? Quelles sont les perspectives ? Nous avons besoin de recherche fondamentale en écologie sur le fonctionnement des écosystèmes et de recherches finalisées en lien avec le monde agricole, notamment biologique, qui démontrent qu'on peut travailler sans les pesticides. L'Institut technique de l'agriculture biologique doit être véritablement associé à vos travaux, et je sais qu'il l'a déjà été.

Enfin, pour ma part, je ne dirai pas que des chercheurs sortent de leur réserve. Il y a des chercheurs citoyens. Je suis en relation avec une association qui s'appelle Recherche citoyenne : ses membres n'ont pas de raison de ne pas partager leurs connaissances, tout en observant leur devoir de réserve.

M. Jean-Marc Boyer. - Quelle stratégie de communication et de vulgarisation envisagez-vous, au plus près des citoyens ? Ma région héberge l'un des sites les plus importants de l'Inrae en France, qui abrite une importante recherche sur l'alimentation et sur le recyclage des plastiques, avec en particulier des partenariats avec Limagrain sur les plastiques biodégradables ou encore sur les ennemis des cultures, sur l'eau... Outre les publications scientifiques qui en émanent, il y a des journées portes ouvertes, mais elles restent assez confidentielles. Certes, des agriculteurs viennent s'informer sur les résultats de cette recherche, mais le grand public n'est pas sensibilisé aux résultats. Un effort de vulgarisation et de communication vers les citoyens paraît absolument indispensable, surtout que nombre de résultats tordent le cou à certaines affirmations que l'on peut entendre sur les grands médias ou les réseaux sociaux.

M. Jean-Claude Tissot. - À mon tour de vous remercier pour le travail que vous avez effectué ces dernières années - nous vous avons d'ailleurs entendu à plusieurs reprises. La pandémie actuelle nous rappelle que la fonte du permafrost nous expose peut-être à des bactéries ou à des virus qui y sont conservés et attendent, pour ainsi dire, au garde-à-vous. Avez-vous une cellule de veille ? Y a-t-il une veille internationale pour prévenir cette éventualité et peut-être tordre le cou à des scénarios catastrophes ? On entend tout et son contraire, par exemple sur l'impact de cette fonte en termes de gaz à effet de serre.

M. Fabien Gay. - En matière budgétaire, il y a de nombreux défis. Sur les accords de libre-échange, un rapport vient d'être remis, auquel un certain nombre d'experts de l'Inrae ont contribué. Ce rapport est assez accablant et la protection de nos normes sociales et environnementales semble extrêmement fragile. Allons-nous, ou non, remettre en cause ces accords de libre-échange ? La lecture du rapport y incite. Jamais des normes sociales et environnementales de niveau assez élevé ne seront garanties. De plus, la crise montre bien le besoin de relocaliser notre agriculture et de la protéger.

M. Daniel Gremillet. - Assiste-t-on, ou non, à un appauvrissement des cerveaux dans la recherche de notre pays par rapport à d'autres pays plus ouverts à la mise en oeuvre des pratiques récemment découvertes ? L'existence de nombreux interdits en France donne-t-elle effectivement envie à des jeunes d'aller voir ailleurs ? Sur la forêt, on court après les solutions et on est pris de court. Estimez-vous nécessaire, utile, urgent de mettre en place une politique sanitaire sur la forêt, comme nous l'avons fait sur les productions et prophylaxies animales ? Cela nous permettrait d'être plus offensifs. Nous assistons à des conflits d'usage, non seulement avec l'urbanisation, mais comme me l'a bien montré la campagne sénatoriale, entre l'agriculture nourricière et l'agriculture productrice d'énergie. Je pense notamment à la méthanisation. Le débat a lieu dans nos territoires et nos campagnes. Existe-t-il une recherche qui permettrait de rendre compatibles les deux ? Où en êtes-vous sur l'acceptation sociétale de la recherche génétique ? Pensez à l'échec des OGM : aujourd'hui on nourrit les Français avec des productions non OGM, et le prix est le même que pour ceux qui alimentent les Français, sans le dire, avec des productions OGM...

Mme Micheline Jacques. - Je vous remercie de votre intervention pleine d'espoir. Je suis originaire des outre-mer et j'ai suivi avec attention votre discours : vous avez parlé de réchauffement climatique, d'ouverture sur la mondialisation... Avec ses outre-mer, la France est représentée dans tous les océans. Ceux-ci représentent 80 % de la biodiversité, ce qui donne matière à faire de la recherche ! Envisagez-vous de développer des pôles de recherche et d'innovation dans les outre-mer ?

Mme Sophie Primas, présidente. - Je vais poser une dernière question, à titre personnel. Il existe un certain nombre de productions orphelines, sur lesquelles il y a peu de volumes, des spécificités particulières et des dérogations qui ne sont plus possibles sur les néonicotinoïdes depuis quelques mois. Je pense aux navets, à la noisette, aux figues...

M. Laurent Duplomb. - À la lentille verte du Puy !

Mme Sophie Primas, présidente. -Les volumes n'ont rien à voir avec ceux du sucre, par exemple, mais il en va de la diversification de l'agriculture. Comment l'Inrae traite-t-il ces productions plus confidentielles ?

M. Philippe Mauguin. - Je ne pourrai malheureusement pas répondre à toutes vos questions dans le temps qui m'est imparti. Je répondrai à chacun d'entre vous au moins sur un sujet et je prends l'engagement de vous adresser des réponses écrites plus complètes pour prolonger le dialogue.

La question des cépages résistants est une formidable aventure scientifique, sociale et sociétale, portée par l'INRA depuis vingt ans et que nous sommes en train de diffuser. Les cépages résistants au mildiou et à l'oïdium permettent de réduire de 80 % l'apport en produits phytosanitaires. Nous diffusons ces cépages dans l'ensemble des bassins viticoles français - à Bordeaux, à Cognac, en Alsace, dans le Languedoc, etc. - afin de voir comment les croiser avec les cépages traditionnels. Nous devons bien entendu conserver la force de nos terroirs.

Sans jeter la pierre à nos prédécesseurs en recherche et en agriculture, durant les Trente Glorieuses de l'agriculture, l'augmentation de la production était le maître mot. L'apport en engrais se faisait à des coûts concurrentiels : il n'y avait donc pas le souci d'entretenir les sols. La matière organique, la couverture des sols, l'agriculture de conservation des sols sont des préoccupations qui se sont développées ces dernières années. L'Inrae est très active sur ces sujets, y compris sur des sujets sensibles comme le glyphosate afin d'améliorer notre capacité à enrichir les sols français, en se passant progressivement d'herbicides.

La question de la neutralité des fonctionnaires et des chercheurs est un sujet très important. Nos chercheurs doivent pouvoir présenter leurs travaux, sans censure, dans toutes les enceintes. Nous apportons parfois de mauvaises nouvelles - par exemple, l'effet cancinogène du dioxyde de titane, présent dans certains ingrédients alimentaires -, mais il faut que nos chercheurs puissent le dire, car cela fait partie de nos missions. Nous devons avoir le souci de l'intégrité scientifique et de la déontologie. En tant qu'expert scientifique, si je m'exprime dans l'enceinte publique, cela doit être dans le cadre de mes compétences. Mais le chercheur est aussi citoyen, il peut s'exprimer sur une cause, mais s'il sort de son domaine de compétence, il faut que cela soit clair. Nous travaillons sur ces sujets et l'Inrae est dotée d'une charte sur la déontologie et l'intégrité scientifique.

La question de l'adaptation des forêts au changement climatique est un sujet majeur. Nous avons eu longtemps l'impression que les arbres traversaient le temps et qu'ils avaient une capacité de résistance plus forte que les cultures annuelles. Ce n'est malheureusement pas le cas. Nous menons depuis plusieurs années des travaux pour étudier l'impact du changement climatique, du stress hydrique et des maladies sur la croissance des arbres. Nous avons investi le champ de la recherche sur toutes les espèces ligneuses, les feuillus comme les résineux. Nous avons une unité de recherche à Bordeaux qui travaille avec la profession à l'adaptation de notre production de résineux au stress hydrique et au changement climatique. Nous avons également une coopération internationale avec tous les pays de l'arc atlantique, mais aussi le Brésil et la Chine sur la question des forêts de plantation. Nous réfléchissons avec le Cirad à un programme prioritaire de recherche sur « forêt et changement climatique » pour les forêts tempérées, mais aussi les forêts tropicales outre-mer.

La dépendance aux protéines végétales est un sujet stratégique. Il s'agit de la souveraineté alimentaire de la France et de l'Europe. Les fruits et légumes, les agroéquipements, mais surtout les protéines végétales font partie des secteurs dans lesquels nous sommes dépendants. C'est pour nous une priorité en termes de recherche et cela concerne tout le continuum depuis l'amélioration variétale jusqu'à la transformation. L'Inrae a eu des résultats exceptionnels sur le colza. Mais les autres protéagineux ont été moins travaillés : il fallait faire des choix compte tenu du montant des investissements en génomique et le nombre d'espèces étudiées a donc été resserré. Cela pose la question des espèces dites mineures ou orphelines en recherche génétique. C'est ainsi que nous travaillons sur de nouvelles farines blé-pois qui sont optimales au plan nutritionnel et intéressantes pour les agriculteurs.

Nous sommes très engagés sur le sujet de la méthanisation. Notre laboratoire des biotechnologies de l'environnement situé à Narbonne est l'un des meilleurs laboratoires au monde sur ce sujet. Il fut inauguré en 1936 par le député Léon Blum et travaillait à l'époque sur les effluents vitivinicoles. Je vous transmettrai l'ensemble de ses axes de recherche actuels. Le traitement des boues et des effluents doit toujours tenir compte de la sécurité sanitaire, notamment du retour au sol du reliquat azoté, sans laisser de côté des volumes importants.

Les chercheurs ont tendance à dire qu'ils n'ont jamais assez de moyens. Comme tous les autres opérateurs publics, nous avons fait des efforts d'économies et d'efficacité. Cela s'est traduit pour l'INRA par la perte de 1 % de l'emploi scientifique par an pendant dix ans : nous avons donc perdu 10 % d'emplois. Cela a d'abord touché les fonctions supports, mais cela commence à atteindre nos laboratoires et les 42 unités expérimentales que nous comptons sur le territoire. Nous connaissons des tensions sur les ressources humaines. Mais faire des choix n'engage pas que l'Inrae, cela engage toute l'agriculture française.

J'espère que le projet de loi de programmation de la recherche et le projet de loi de finances nous donneront des moyens supplémentaires pour arrêter l'érosion de l'emploi scientifique dans notre pays - les défis que nous avons évoqués ne vont pas se réduire, ils vont augmenter - et pour mieux considérer nos chercheurs. J'étais co-rapporteur d'un des groupes de travail de préparation du projet de loi de programmation ; nous avons comparé les rémunérations des chercheurs dans le monde et les chercheurs français sont payés 30 % en dessous de la moyenne des pays de l'OCDE. Nous avons donc proposé à Édouard Philippe et Frédérique Vidal une augmentation très significative. Les chercheurs ne choisissent pas ce métier pour l'argent, mais moins de 1,5 SMIC à bac + 8, c'est parfois compliqué en région parisienne ou ailleurs... Un protocole signé entre les organismes de recherche, la ministre et les organisations syndicales prévoit une revalorisation.

Il faut aussi de l'argent pour faire tourner les laboratoires et financer les programmes de recherche. Les dotations de base devraient être revalorisées et l'Agence nationale de la recherche (ANR) devrait disposer également de crédits supplémentaires. Aujourd'hui, les chercheurs travaillent beaucoup, mais le taux d'espérance de réussite dans les appels d'offres est de 15 %. Beaucoup de bons projets ne passent pas la rampe ! Cela n'est plus soutenable. Avec le projet de loi de programmation, ce taux devrait remonter à 30 %, ce qui remotivera les chercheurs. Nous devons aussi avoir la capacité de donner des coups d'accélérateur sur des sujets prioritaires au niveau national, comme les alternatives aux produits phytosanitaires ou les forêts et le changement climatique. J'ai plusieurs idées de projets prioritaires de recherche à soumettre au Gouvernement.

Le pastoralisme est un sujet sensible et nous avons d'excellentes équipes qui étudient la situation des bergers et des troupeaux et qui évaluent de la manière la plus objective possible l'efficacité des techniques. Nous sommes dans une situation paradoxale : nous sommes un des pays dans lesquels on investit le plus dans les mesures de protection, mais qui connaît beaucoup de prédations. Nos chercheurs travaillent sur un sujet simple à énoncer, mais difficile à travailler : comment faire progresser la crainte de l'homme chez le loup ?

Les situations de handicap économique et de déprise de nos territoires agricoles sont bien documentées par nos chercheurs, mais nous avons besoin d'outils pour freiner ces évolutions. Cela peut être des perspectives de filières économiques. La piste des paiements pour services environnementaux (PSE) est à cet égard très intéressante. Nous avons fait nos propositions pour la réforme de la politique agricole commune (PAC) et je suis fier que les équipes de l'Inrae aient été sélectionnées pour conseiller le Parlement européen sur l'évaluation de la PAC. Nous allons donc pouvoir porter notre message sur les PSE.

Lorsque je parle d'agroécologie, je pense bien sûr au bio qui est au coeur de notre stratégie. Nous sommes très actifs sur le secteur du bio. Nous avons décidé de lancer un métaprogramme afin que nos chercheurs travaillent de manière transversale et interdisciplinaire. Comment réussir le changement d'échelle du bio ? Cela pose de nombreuses questions : écologiques, économiques, les paysages agricoles, la protection des plantes, etc. Le modèle économique tient-il si l'on augmente la part de marché ? J'ai travaillé sur les appellations d'origine protégée (AOP) et les indications géographiques protégées (IGP) et je sais qu'à partir d'une certaine part de marché, le consentement à payer des consommateurs se réduit. Il faut donc travailler à la fois sur l'écologique, le technique et l'économique.

Je pense que notre stratégie de communication est plutôt performante. Nous ne serons jamais à armes égales avec les réseaux sociaux. Nous essayons d'être extrêmement présents, d'abord avec des moyens classiques, mais utiles, comme la fête de la science, l'ouverture des laboratoires, le salon de l'agriculture - malheureusement reporté en 2021 -, etc. Ce sont des vitrines et des moments d'échanges fabuleux. Nous avons une stratégie volontariste avec la presse. Nos dossiers de presse font l'état de l'art de manière accessible sur de nombreux sujets : les produits phytosanitaires, le bien-être animal, la biodiversité, etc. Nos chercheurs sont présents à la télévision, à la radio, dans la presse. Je vous invite à vous abonner à notre compte Twitter.

A-t-on des moyens de veille sur les futurs risques bactériologiques ? Nous avons de bonnes coopérations dans le monde sur les impacts climatiques potentiels du dégel du permafrost. Mais nous avons une forme de carence internationale sur la question des risques sanitaires et des moyens de détection. Il y a des échanges scientifiques pour des publications, mais il n'existe pas de système d'épidémio-surveillance ou de détection précoce des risques émergents de type virologique. Je plaide pour que nous constitutions un réseau international. Le ministère de l'Europe et des affaires étrangères y réfléchit et la France pourrait porter une proposition au niveau des agences onusiennes. Nous sommes très volontaristes sur cette question.

Nos chercheurs ont éclairé les enjeux environnementaux et économiques du traité de libre-échange avec le Mercosur. Leurs travaux ont été rendus publics. Il revient désormais au politique de prendre des positions. À titre personnel, je considère qu'il ne serait pas raisonnable de souscrire à cet accord dans son état actuel. La position française sera probablement d'essayer de faire bouger la Commission européenne et le Mercosur pour qu'il y ait des réponses.

Y a-t-il une fuite des cerveaux en France ? Non, pas à ma connaissance. Nos chercheurs sont d'excellent niveau, très féconds et très engagés. Nous accueillons 30 % de chercheurs étrangers : nos laboratoires restent donc attractifs. Mais il y a aussi des chercheurs qui partent, comme nous l'avons vu dans le cas de notre récent prix Nobel. Il faut trouver le bon équilibre et rester attentifs. C'est pour cela que nous avons plaidé sur les rémunérations, les moyens des laboratoires et le cadre réglementaire.

Nous sommes présents à un bon niveau dans la recherche sur l'utilisation du CRISPR-Cas9 dans le secteur végétal. Nous l'avons utilisé en laboratoire, dans des serres, et nous avons participé à des essais en champs, pas en France, mais au Royaume-Uni. Comment ces techniques pourront-elles passer la barre de l'acceptation sociale ? Il faut avant tout viser le bien commun, c'est-à-dire une valeur ajoutée pour la société, au-delà de l'agriculteur. Il faut se demander ce qu'on apporte de plus par rapport aux techniques classiques de sélection génomique et comment on évalue le risque, dans un débat transparent. Nous avons des projets pour réduire les pesticides, apporter des facteurs nutritionnels supplémentaires aux plantes ou pour accélérer la transition agro-écologique.

Nous sommes aussi présents dans les outre-mer, notamment aux Antilles et en Guyane - La Réunion accueille nos collègues du Cirad. Notre centre de recherche sert de plateforme, pour les Caraïbes, sur la transition agroécologique, avec une activité très connectée aux filières locales pour promouvoir cette transition dans le contexte des Antilles, mais aussi en correspondance avec toutes les Caraïbes. En Guyane, nous avons une très belle unité de recherche forestière qui travaille sur le changement climatique et l'adaptation des forêts.

Concernant enfin votre question, madame la présidente, je m'engage à y apporter une réponse écrite, comme à l'ensemble des questions posées qui mériteraient des éclaircissements complémentaires.

Mme Sophie Primas, présidente. -Merci de nous avoir exposé votre vision stratégique sur un organisme qui fait la fierté française en matière de recherche. Au-delà de vos talents personnels, je souhaite témoigner notre reconnaissance à l'ensemble des chercheurs qui oeuvrent au sein de l'Inrae. Le salon de l'agriculture ayant été annulé, pourquoi n'irions-nous pas vous rendre visite dans l'un de vos centres, à Narbonne ou à Bordeaux par exemple ?

M. Philippe Mauguin. - Avec plaisir. Je me permets de reprendre la parole pour vous remercier chaleureusement, au nom de toutes les collaboratrices et de tous les collaborateurs de l'Inrae. C'est bien eux qu'il faut féliciter.

Mme Sophie Primas, présidente. - Nous avons procédé à l'audition de M. Philippe Mauguin, dont la nomination est envisagée par le Président de la République pour exercer les fonctions de président de l'Institut national de recherche pour l'agriculture, l'alimentation et l'environnement.

Nous allons à présent procéder au vote, qui se déroulera à bulletins secrets comme le prévoit l'article 19 bis de notre Règlement. En application de la loi du 23 juillet 2010, il ne peut y avoir de délégation de vote.

Nous procéderons ensuite au dépouillement ; nous sommes en contact avec la commission des affaires économiques de l'Assemblée nationale afin de procéder de manière simultanée.

L'article 13 de la Constitution dispose que le Président de la République ne pourrait procéder à cette nomination si l'addition des votes négatifs de chaque commission représentait au moins trois cinquièmes des suffrages exprimés dans les deux commissions.

La commission procède au vote puis au dépouillement du scrutin sur la proposition de nomination, par le Président de la République, de M. Philippe Mauguin aux fonctions de président de l'Institut national de recherche pour l'agriculture, l'alimentation et l'environnement.

Voici le résultat du scrutin :

- nombre de votants : 35

- pour : 33

- bulletins blancs : 2

La commission donne un avis favorable à la nomination de M. Philippe Mauguin aux fonctions de président de l'Institut national de recherche pour l'agriculture, l'alimentation et l'environnement.

Ce point de l'ordre du jour a fait l'objet d'une captation vidéo qui est disponible en ligne sur le site du Sénat.

- Présidence de Mme Sophie Primas, présidente, puis Mme Dominique Estrosi Sassone, vice-présidente de la commission des affaires économiques et de M. Didier Mandelli, vice-président de la commission de l'aménagement du territoire et du développement durable -

La réunion est ouverte à 11 h 10.

Audition, en commun avec la commission de l'aménagement du territoire et du développement durable, de M. Roger Genet, directeur général de l'Agence nationale de sécurité sanitaire de l'alimentation, de l'environnement et du travail (Anses)

Mme Sophie Primas, présidente. - Mes chers collègues, l'examen du projet de loi relatif aux conditions de mise sur le marché de certains produits phytopharmaceutiques en cas de danger sanitaire pour les betteraves sucrières nous amène à réunir nos deux commissions, l'une saisie au fond et l'autre pour avis, afin d'obtenir un éclairage scientifique neutre, indépendant et expert sur les questions posées par l'usage des néonicotinoïdes.

C'est pourquoi il nous a semblé naturel d'entendre M. Roger Genet, directeur général de l'Anses, qui travaille sur ces sujets depuis de nombreuses années.

Comme vous le savez, la France a interdit, dans la loi « biodiversité » de 2016, l'utilisation de produits phytopharmaceutiques contenant une ou des substances actives de la famille des néonicotinoïdes à compter du 1er septembre 2018, sauf dérogations accordées par arrêté pris sur la base d'un bilan établi par l'Anses qui compare les risques et les bénéfices liés aux usages de ces produits en France avec ceux liés aux usages de produits de substitution ou de méthodes alternatives.

Cette interdiction était nationale et non européenne, ces substances actives étant alors autorisées sur le continent. Depuis, les choses ont évolué. Fin 2020, quatre des cinq substances actives de la famille des néonicotinoïdes seront interdites au niveau européen, sauf l'acétamipride, dont l'autorisation de mise sur le marché (AMM) court jusqu'en 2033.

S'y ajoute depuis fin 2018 l'interdiction, en France, avec l'adoption de la loi Egalim, de deux substances actives ayant des modes d'action identiques à ceux des néonicotinoïdes, sans relever de leur famille, le sulfoxaflor et le flupyradifurone.

En mai 2018, l'Anses a rendu son avis, établissant que dans six cas, aucune alternative, chimique ou non, n'était disponible. Il s'agissait principalement des mouches sur le maïs, des insectes sur le cerisier et le framboisier, des pucerons sur le navet. Certaines cultures ont obtenu une dérogation par arrêté en mai 2018 : la noisette contre le balanin, les figuiers dans leur lutte contre la mouche et les pucerons du navet.

Depuis 2020, ces dérogations n'existent plus. Trouve-t-on désormais des alternatives pour ces filières ou les laisse-t-on sans solution ?

Concernant la betterave, l'Anses avait estimé qu'il n'existait qu'une seule alternative chimique efficace reposant sur l'association d'applications foliaires de pyréthrinoïde et de carbamate, familles de substances actives pour lesquelles le taux de résistance semble s'être considérablement accru. Il n'y avait en revanche pas d'alternatives suffisamment efficaces en matière de variétés résistantes issues de la génétique ou de différentes méthodes culturales. Malgré ces éléments, aucune dérogation n'a été accordée à la betterave.

J'avais, à titre personnel, alerté la secrétaire d'État de l'époque, Mme Pompili, lors de l'examen de la loi « biodiversité », sur le risque d'impasse technique rencontrée pour certaines filières, ce que l'avis de l'Anses a finalement confirmé.

Le projet de loi qui sera soumis la semaine prochaine à notre examen ne fait que confirmer ces craintes.

Ainsi, monsieur le directeur général, pourriez-vous rappeler les conclusions des avis de l'Anses sur le sujet des néonicotinoïdes depuis 2016 en dressant un bilan de l'ensemble des études scientifiques sur leurs effets ? Se pose, bien entendu, la question spécifique de l'impact de leur utilisation à la seule filière betterave.

D'autre part, depuis fin 2018, les betteraviers utilisent, en alternative à l'absence de néonicotinoïdes, du Tepeki et du Movento, deux produits phytopharmaceutiques. Pourriez-vous en préciser les conditions d'utilisation, l'efficacité de ces traitements dans la lutte contre les pucerons verts sur les betteraves et, bien sûr, nous faire prendre conscience des risques liés à l'utilisation de ces produits ?

J'espère que cette audition permettra avant tout de donner à tous les commissaires les mêmes éléments scientifiques incontestables afin de permettre un débat de meilleure qualité en temps voulu en séance publique.

Je passe la parole à Didier Mandelli, qui représente le président Longeot, empêché.

M. Didier Mandelli. - Merci, madame la présidente.

Monsieur le directeur général, nous sommes heureux de vous accueillir ce matin dans le cadre de l'examen au Sénat du projet de loi relatif à la mise sur le marché de certains produits phytopharmaceutiques en cas de danger pour les betteraves sucrières, dit projet de loi « néonicotinoïdes ».

En raison de leur caractère particulièrement nocif pour les milieux naturels et en particulier pour les pollinisateurs, ces substances ont été interdites par la loi sur la biodiversité examinée en 2016 par nos deux commissions.

À l'initiative du Sénat, le texte avait confié à l'Anses une mission d'évaluation des impacts des néonicotinoïdes sur l'environnement, particulièrement sur les pollinisateurs, ainsi que sur la santé publique.

L'Anses devait également évaluer l'efficacité et les impacts des éventuelles méthodes et substances alternatives.

Sur le fondement de ce bilan, des dérogations ponctuelles aux interdictions ont pu être accordées jusqu'au 1er juillet 2020 par les ministres chargés de l'agriculture, de l'environnement et de la santé.

En confiant à l'Anses le soin d'évaluer les coûts et les avantages induits par l'interdiction des néonicotinoïdes, notre assemblée a souhaité objectiver le débat en s'appuyant sur la connaissance scientifique. C'est cette même exigence qui nous amène aujourd'hui à vous entendre dans le cadre de l'examen de ce nouveau projet de loi visant à autoriser de manière dérogatoire, et jusqu'en 2023, l'utilisation de néonicotinoïdes pour les cultures de betteraves sucrières.

Comme en 2016, deux questions principales vous seront posées : d'une part, celle de l'impact des néonicotinoïdes sur l'environnement et la santé humaine et, d'autre part, celle de l'existence d'alternatives satisfaisantes aux néonicotinoïdes pour les cultures de betteraves sucrières.

En tant que vice-président de la commission compétente au titre de la santé environnementale et de la biodiversité, il me revient donc de vous demander de présenter l'état des connaissances scientifiques sur l'impact des néonicotinoïdes.

En quoi ces substances sont-elles particulièrement nocives pour les milieux naturels et, en particulier, pour les abeilles ? Pouvez-vous nous rappeler également le rôle essentiel joué par les abeilles, via la pollinisation, dans la préservation de la biodiversité et des rendements agricoles ?

M. Roger Genet, directeur général de l'Anses. - Madame la présidente, monsieur le président, mesdames et messieurs les sénateurs, merci infiniment de nous entendre sur ce sujet qui occupe l'Anses depuis très longtemps.

Vous le savez, les produits phytopharmaceutiques dont nous avons la charge de l'évaluation et, depuis 2015, de la délivrance des autorisations de mise sur le marché, sont soumis à des réévaluations très régulières sur la base des données scientifiques qui ne cessent de s'accroître. Des travaux sont donc conduits en permanence pour réévaluer la toxicité de ces produits et prendre les décisions qui s'imposent en termes d'adaptation de ces autorisations par rapport à ce que l'on connaît de leur efficacité, mais aussi des risques liés à leur utilisation.

L'Anses a, de façon générale, un rôle sur l'évaluation des risques auxquels nous sommes exposés quotidiennement : risques environnementaux, risques sur la santé, risques liés à l'alimentation. Je rappelle à cet égard qu'on retrouve des résidus de produits chimiques et des résidus de pesticides dans notre alimentation.

On retrouve les mêmes substances actives dans les produits phytopharmaceutiques, dans les produits biocides ou les médicaments vétérinaires. Nous évaluons donc et autorisons ces trois classes de composés que sont les médicaments vétérinaires, les produits biocides et les produits phytosanitaires.

L'Anses dispose également de laboratoires de recherche. Concernant la santé des abeilles, notre laboratoire de Sophia-Antipolis travaille de façon très étroite avec l'Inrae d'Avignon. Par ailleurs, l'Institut technique pour la santé des abeilles et des polinisateurs et nos trois institutions sont réunis au sein d'une unité mixte technologique, que nous avons rejoint il y a peu, et dont les travaux vous ont sûrement déjà été présentés.

Nous agissons en matière de surveillance de la mortalité des abeilles et de leur sensibilité aux facteurs de stress. Nous disposons d'un mécanisme de phytopharmacovigilance assis sur une taxe sur le chiffre d'affaires des producteurs de pesticides, auxquels un certain nombre d'entre vous ont contribué avec la création dans la loi d'avenir de l'agriculture de 2014. Ceci a permis à l'Anses de financer des travaux de recherche sur la santé humaine et les liens entre l'exposition aux pesticides et un certain nombre de pathologies, mais aussi de mettre en place des dispositifs de surveillance liés à la santé des pollinisateurs.

Ces travaux sont aujourd'hui conduits par notre laboratoire de Sophia-Antipolis, qui constitue la référence de l'Union européenne pour la santé des abeilles. Il dispose également du mandat national de référence sur la santé des abeilles qui couvre les risques liés aux maladies virales, parasitaires et bactériennes, aux pesticides et à l'interconnexion avec les synergies entre ces différents facteurs de risques qui affectent les pollinisateurs.

Avec mon adjointe, Caroline Semaille, ici présente, nous sommes allés plusieurs fois sur le terrain pour nous rendre compte des questions liées à la santé des abeilles. Il y a deux ans, nous avons visité dans les Landes les ruchers du vice-président de l'Institut technique et scientifique de l'apiculture et de la pollinisation (ITSAP). L'année dernière, nous sommes allés dans la Marne, où nous avons pu nous rendre compte d'expérimentations très intéressantes sur le terrain combinant apiculture et agriculture.

Tout ceci nous permet d'appréhender au mieux les bénéfices de ces produits et leurs risques pour les pollinisateurs.

Je sais que le projet de loi, tel que modifié à l'Assemblée nationale, prévoit un conseil de surveillance pour contrôler le suivi des engagements de la filière betterave en matière de protection des pollinisateurs et de recherche d'alternatives. Je veux insister sur la nécessité d'avoir une vision scientifique éclairée sur la mise en oeuvre de la loi, si elle est votée, notamment avec des observateurs qui ne se limitent pas à l'impact des néonicotinoïdes sur les abeilles. L'Office français de la biodiversité (OFB) mène par exemple des travaux très intéressants portant sur les oiseaux et les petits mammifères. Nous avons en effet besoin d'une vision systémique et globale pour observer la mise en oeuvre des mesures de protection des pollinisateurs.

Je voudrais en deux mots revenir sur les travaux sur les pollinisateurs menés par l'Anses durant les dix dernières années.

En avril 2014 déjà, nous avions rendu un premier avis pour le ministère de l'agriculture concernant la révision de l'arrêté de 2003 fixant les conditions de protection des pollinisateurs vis-à-vis de l'utilisation des produits phytosanitaires. En septembre 2015, nous avions remis un rapport d'expertise collective sur la co-exposition des abeilles aux différents facteurs de stress que j'ai mentionnés, puis, en janvier 2016, un avis relatif aux risques que présentent les insecticides à base de néonicotinoïdes pour les abeilles et autres pollinisateurs dans le cas des usages autorisés de ces produits.

Ces premières séries d'avis nous ont notamment permis de nous appuyer sur des travaux de l'Inrae partiellement financés dans le cadre du programme national de recherche environnement-santé-travail que pilote l'Anses. Ils ont permis de se rendre compte, notamment au travers de tests comme le retour à la ruche, de la déstabilisation des populations d'abeilles face à des facteurs de stress suffisamment importants pour affecter la bonne santé des colonies.

Des travaux qui sont encore en cours, auxquels participe notre laboratoire de Sophia-Antipolis, donnent par exemple le sentiment qu'en co-exposant les abeilles à certaines maladies virales et à des doses très faibles de certains néonicotinoïdes, on arrive à un abaissement de leurs défenses immunitaires. Des expositions à des doses subchroniques ou sublétales, combinées à d'autres facteurs de stress comme des maladies virales ou parasitaires, peuvent conduire à une mortalité importante de colonies dans certaines régions.

Ces travaux européens auxquels nous contribuons nous ont amenés à émettre un certain nombre de préconisations. En janvier 2016, nous avions mentionné que, du fait de quantités sublétales de résidus de néonicotinoïdes dans les nectars des cultures suivant les cultures traitées, un effet délétère pouvait avoir lieu sur les pollinisateurs, nécessitant que ces effets induits soient pris en compte dans l'évaluation des produits phytopharmaceutiques. Cela a été toute la question de la présence de métabolites dans les cultures suivantes.

Nous avons également été saisis, dans le cadre de la loi sur la biodiversité, d'une évaluation de la balance bénéfice-risque sur les alternatives chimiques et non chimiques des néonicotinoïdes. La secrétaire d'État à la biodiversité et la ministre de la santé de l'époque nous avaient saisis sur l'impact sur la santé humaine des néonicotinoïdes. Des rapports sont sortis en 2017 sur les alternatives et leur impact sur la santé humaine.

Notre rapport sur les alternatives est paru en mars 2018, avec un tome II sur l'évaluation bénéfice-risque des produits phytopharmaceutiques autorisés ou des méthodes non chimiques de prévention, et un tome III sur l'impact agronomique de ces alternatives.

C'est sur cette base que l'interdiction a été mise en oeuvre et les dérogations délivrées. Vous avez, madame la présidente, rappelé les principales conclusions de nos avis. Seules six situations d'impasse absolue sans alternative chimique ou non chimique ont été mises en évidence. Ce chiffre est très restreint par rapport au très large spectre d'utilisation de ces insecticides systémiques, qui se répandent dans la plante entière et touchent le système neurologique des insectes par action neurotoxique.

L'évaluation en termes de bénéfice-risque s'appuyait sur quatre critères permettant aux ministères d'étudier la base des dérogations à accorder. L'Anses n'a pas soumis aux ministères de liste d'interdictions ou de dérogations, mais a réalisé une évaluation des bénéfices et des risques s'appuyant sur une cible comportant quatre critères.

Le premier critère concernait l'efficacité de ces alternatives et était destiné à déterminer si celles-ci nécessitaient ou non des mesures complémentaires. De ce point de vue, le seul traitement sur le marché à l'époque pour la betterave autre que les néonicotinoïdes était une pyréthrinoïde et un carbamate - lambda-cyhalothrine et pyrimicarbe - avec une action insecticide sur la betterave. La magnitude de l'efficacité a été cotée à 3, estimant ce produit efficace à lui seul.

Le deuxième critère concernait la durabilité de cette efficacité et le risque d'apparition de résistance. Nous avions côté ce risque à 2, dans la catégorie faible à modéré.

Le troisième critère était celui de l'opérationnalité de la méthode de lutte : était-elle déjà applicable en France ou ailleurs dans le monde ? En était-elle à un stade de recherche et développement ? Le produit était sur le marché : il a été coté 3 maximum.

Enfin la praticité de mise en oeuvre, qui va de facile à inapplicable, a été cotée à 3, ce produit phytopharmaceutique étant facile à utiliser. Il existait une alternative, et nous avons bien rappelé dans notre avis, conformément à la réglementation européenne, qu'il s'agissait d'un facteur limitant très fort. Lorsque nous délivrons des autorisations de mise sur le marché, la réglementation nous oblige en effet à nous assurer qu'il existe au moins trois substances actives de familles différentes pour chaque usage autorisé, ceci pour éviter le risque d'apparition de résistance, qui peut survenir très vite sans qu'on puisse vraiment le modéliser, en fonction des conditions climatiques et des conditions de terrain.

C'est la base du troisième tome de notre avis où, par un amendement de la loi sur la biodiversité, on a demandé à l'Anses de faire ce qu'elle ne sait pas faire, c'est-à-dire de rendre un avis scientifique sur l'impact agronomique de ces alternatives. Notre tome III, qui est assez volumineux, explique pourquoi on ne sait pas le faire. Depuis, dans le cadre de notre contrat d'objectifs et de performance, nous avons rendu un rapport au ministère pour expliquer la nécessité pour l'Anses de se doter d'une compétence en analyses socio-économiques.

Aujourd'hui, sur 1 400 personnes, l'Anses compte deux économistes, un sociologue et une politologue. Nous nous sommes appuyés sur l'Inrae, FranceAgriMer et d'autres acteurs pour nous aider à déterminer pourquoi on ne peut aujourd'hui rendre un avis scientifique sur l'impact agronomique de ces alternatives.

Pour avoir une idée de l'efficacité des alternatives, il faut avoir une idée de la pression d'agresseurs, alors que ces cultures sont traitées depuis des décennies. Pour cela, il faut mener des expérimentations en champ et en laboratoire qui permettent de modéliser cette pression, qui va survenir en fonction des conditions climatiques. C'est bien ce qui nous manque aujourd'hui. Nous ne bénéficions pas de données permettant une modélisation pour dire si cette alternative répond à toutes les situations en fonction des conditions de pluviométrie, des températures ou des pressions d'agresseurs.

Il existe d'ailleurs une alternative, un autre produit ayant bénéficié d'une extension d'usage fin 2018.

L'Anses manque cruellement de données. Celles-ci doivent être scientifiquement accumulées sur un pas de temps suffisant, recueillies de façon neutre, l'Anses ne pouvant s'appuyer sur les seules données fournies par les professionnels.

Nous avons donc expliqué pourquoi tous ces éléments manquaient et les raisons pour lesquelles nous ne pouvions rendre un avis fiable. Si nous devons le faire, il nous faut mettre au point une méthodologie pour ce domaine comme pour beaucoup d'autres en matière d'évaluation de risques et de politiques publiques. Nous sommes en discussion avec nos ministères de tutelle pour que l'Anses se dote d'un comité d'experts socio-économiques dès 2021.

La même question se pose pour les biotechnologies et le Haut conseil des biotechnologies. Cela rejoint une problématique bien plus large, mais essentielle si l'on veut que l'Anses, au-delà de l'évaluation de risques qu'elle produit, soit en mesure d'éclairer les décisions publiques sur les bénéfices-risques.

On sait finalement plutôt bien le faire pour le médicament. En matière agroenvironnementale, il est évidemment très compliqué, notamment pour une agence sanitaire, de peser l'impact sur la biodiversité et la santé des abeilles vis-à-vis de l'impact sur les filières économiques.

La science ne répondra pas à tout. Il reste un espace très important de décision politique sur ces questions mais, si l'on veut éclairer ce sujet, il faut que nous disposions de compétences que nous n'avons pas aujourd'hui.

Quant au rapport de 2017 sur la santé humaine, nous avions, à la demande de la ministre de la santé et de la biodiversité, établi un rapport pour rappeler que les cinq néonicotinoïdes qui étaient sur le marché à cette époque présentaient, à part le thiaclopride, des risques très faibles ou quasi inexistants pour la santé humaine. Le thiaclopride est interdit totalement à la vente en France depuis janvier 2020.

En 2016, nous étions préoccupés, compte tenu du moratoire européen qui réservait trois de ces substances à un usage sous serres, par la très forte augmentation de la quantité de thiaclopride utilisée en France. Or, le thiaclopride est un produit cancérigène suspecté, reprotoxique et perturbateur endocrinien probable.

Le thiaclopride est aujourd'hui totalement interdit. Il reste sur le marché européen, l'acétamipride, approuvé jusqu'en 2033, et l'imidaclopride, approuvé jusqu'en 2022, avec une restriction depuis 2018 pour les usages sous serres. Il existe sur le marché européen deux nouvelles substances qui ne sont pas de la famille des néonicotinoïdes, mais qui ont un mode d'action neurotoxique similaire, le sulfoxaflor et le flupyradifurone.

Je reviens un instant sur la raison pour laquelle l'Anses avait autorisé le sulfoxaflor en 2018 : si j'ai pris cette décision, à une époque où les néonicotinoïdes n'étaient pas interdits, c'est parce que cette substance présentait beaucoup d'avantages par rapport aux cinq substances néonicotinoïdes, notamment une demi-vie très faible et le fait que ces métabolites ne sont absolument pas actifs contre les pollinisateurs. Il n'y avait donc pas d'effet sur les cultures suivantes, contrairement aux cinq néonicotinoïdes autorisés. Vous le savez, la justice en a décidé autrement. Aucun de ces produits n'est donc aujourd'hui autorisé en France.

Enfin, je ne serais pas complet si je ne mentionnais pas les travaux de 2019. Nous avons alors rendu deux avis. L'arrêté est en préparation au niveau des ministères afin de renforcer encore la protection des pollinisateurs, à partir d'études qui montrent que les abeilles ne sont pas les seules à pouvoir être affectées, puisqu'on compte également les bourdons et les autres pollinisateurs. On ne peut uniquement prendre en compte la culture traitée : il convient de considérer les bordures des champs et la flore sauvage, très riches en nectar.

Aujourd'hui, l'Anses recommande de considérer la protection des pollinisateurs non seulement par rapport aux insecticides, aux fongicides et aux herbicides, mais aussi par rapport à la période de la journée durant laquelle les abeilles ou les pollinisateurs butinent.

Nous soutenons d'ailleurs la révision du règlement européen de protection des pollinisateurs qui, vous le savez, depuis 2013, n'a jamais été adopté par la Commission européenne ni par les États membres. L'Autorité européenne de sécurité des aliments (EFSA) vient, en cours d'année, de réitérer sa proposition sur le règlement de 2013. On attend la décision de la Commission et des États membres pour adopter ce règlement.

Nous disposons aujourd'hui de toutes les données des pétitionnaires sur la toxicité chronique et aiguë des produits. Nous sommes capables de l'évaluer, mais le règlement européen ne prévoit pas d'aller jusque-là. C'est cette réglementation qu'il faut faire évoluer pour renforcer la protection des pollinisateurs.

Il reste à nos laboratoires énormément de travail, en lien avec l'Inrae et les centres techniques qui travaillent sur la santé des abeilles, en matière de réglementation, d'évaluation, de suivi des effets pour prendre les risques en compte et pouvoir autoriser l'usage des produits de traitement indispensables dans des conditions qui protègent correctement l'environnement et la santé humaine.

Mme Sophie Primas, présidente. - Merci beaucoup, monsieur le directeur général.

La parole est au rapporteur pour avis.

M. Bruno Belin, rapporteur pour avis. - Merci, madame la présidente.

Hier, les membres de notre commission ont conduit huit auditions sur le projet de loi dont nous sommes saisis. Un point a également été fait sur la recherche, les moyens alloués à celle-ci, les alternatives et le calendrier.

Enfin, on doit aussi porter une grande attention à la situation de la filière économique.

Mme Sophie Primas, présidente. - Merci, monsieur le rapporteur.

Ayant la lourde tâche d'être rapporteure sur le fond, j'aimerais poser quelques questions à M. Genet.

Ceux qui combattent ces dérogations parlent beaucoup de rémanence dans les sols. Il s'agit en général de quelques grammes par hectare mais on nous parle aussi d'écoulement dans les eaux, de rémanence de ces molécules à des profondeurs extrêmement importantes et sur les cultures qui pourrait être mellifères l'année suivante, mais également la seconde année, après la culture des betteraves. L'Anses a-t-elle sur ces sujets des éléments à partager ?

M. Roger Genet. - Nous répondrons par écrit de façon très précise aux questions que vous avez posées, ces sujets étant extrêmement techniques. Ces points font l'objet d'une saisine de l'Anses pour qu'elle émette des recommandations sur les mesures d'atténuation de l'usage de ces semences enrobées à base d'imidaclopride qui pourraient être autorisées par la loi, afin de préciser la durée de la période d'interdiction pour les cultures suivantes, dont les cultures mellifères.

D'autre part, comme je l'ai déjà indiqué, un arrêté sur la protection des pollinisateurs est en cours de préparation sur la base de nos avis. Il prend en compte les autres produits fongicides et herbicides, ainsi que la présence de plantes mellifères aux abords des cultures.

Aujourd'hui, il est prévu des semences enrobées à base d'imidaclopride. La substance imidaclopride était utilisée en grande quantité et présentait le défaut d'avoir une demi-vie de 118 jours. Une fois le produit épandu, il en reste 50 % trois mois après. Au bout de sept fois trois mois, il en reste 1 %, et 1 %o au bout de dix fois trois mois.

Je ne peux aujourd'hui faire de simulations, mais les produits et leurs métabolites restent actifs sur les pollinisateurs présents dans l'environnement à des concentrations qu'il faudra définir et surveiller en fonction des usages locaux qui seront faits de ces dérogations. Il faudra aussi les comparer à la présence d'imidaclopride ou de résidus d'imidaclopride dans l'environnement. Les quantités supplémentaires seront-elles significativement importantes par rapport à ce qu'il reste aujourd'hui ? Je ne peux vous le dire, car cela va dépendre des usages qui vont être faits de ces dérogations.

On a demandé à l'Anses s'il fallait préférer des semences enrobées ou des traitements foliaires. Scientifiquement, nous ne sommes pas aujourd'hui capables de faire de projections. Chacun a ses avantages et ses inconvénients. Les traitements foliaires permettent des applications plus localisées, mais peuvent contaminer des cultures aux abords. Tout dépend de l'usage, des quantités utilisées, des régions et des conditions climatiques. On ne peut aujourd'hui le modéliser.

On peut également dire que l'imidaclopride fait partie des composés qu'on retrouve le plus souvent dans les eaux de surface, comme le montrent régulièrement les contrôles des agences de l'eau. Les eaux des rivières et les eaux de surface reflètent très bien la pollution environnementale et les pratiques agricoles.

Ces dérogations, en fonction de leur étendue, vont-elles significativement changer ou prolonger la pollution liée à la présence de ces métabolites dans l'environnement ? C'est le rôle du comité de surveillance de dresser cet état des lieux. Je ne peux aller aujourd'hui au-delà de ce que je viens de dire.

Mme Sophie Primas, présidente. - La parole est aux commissaires.

M. Fabien Gay. - Dans ce débat, je pense qu'il faut éviter les anathèmes ou de tendre le bâton pour se faire battre, d'un côté comme de l'autre.

Je n'approuve pas la décision d'autoriser à nouveau l'emploi des néonicotinoïdes, mais j'entends le débat qui a lieu autour de leur emploi. Chacun cherche une solution.

Entre 2016 et 2020, on n'a pas trouvé d'alternatives - et on n'y a d'ailleurs pas travaillé. C'est là le problème. Les moyens n'ont pas été mis sur la table. C'est ce qui pose question.

Quelles sont les raisons précises qui, en 2016, nous ont conduits à voter cette loi ? La situation a-t-elle évolué depuis ? Disparition des abeilles, impact sur la santé en particulier humaine, appauvrissement des sols : aucune étude ne vient aujourd'hui prouver que ces produits seraient moins nocifs. S'ils le sont toujours autant, il nous faut travailler une alternative, même si je sais que c'est complexe.

C'est un débat politique que nous aurons dans l'hémicycle. Chacun fera valoir ses arguments.

M. Cyril Pellevat. - L'une des alternatives possibles aux néonicotinoïdes pourrait être l'utilisation de plantes de service qui libèrent dans le sol des toxines à effet insecticide. Que pouvez-vous nous dire sur l'efficacité de cette technique ? Pensez-vous que sa mise en place serait suffisante pour se passer des néonicotinoïdes ?

Dans le cas contraire, ne serait-il pas possible, en combinant cette méthode à l'utilisation d'insecticides moins nocifs pour l'environnement, de se passer des néonicotinoïdes dès cette année ?

M. Laurent Duplomb. - Monsieur le directeur général, madame la présidente, le sujet pose beaucoup de questions, mais il existe un sujet plus central que celui des néonicotinoïdes.

Je vous remercie, monsieur le directeur général, de rappeler que le principe de toutes ces études consiste à évaluer le bénéfice par rapport au risque.

À cet égard, monsieur le directeur général, selon vous, l'esprit critique, le comportement rationnel, l'intérêt du pays ne cèdent-ils pas progressivement la place à une paresse intellectuelle paralysante et, parfois, à des calculs électoraux à court terme ?

Tout ce que nous disons à ce sujet ne nous conduit-il pas à une forme de décroissance ?

Mme Sophie Primas, présidente. - Il faut poser à M. Genet des questions auxquelles il peut répondre d'un point de vue scientifique...

M. Pierre Médevielle. - Monsieur le directeur général, l'agriculture française est devenue importatrice depuis octobre 2019. Nous produisons plus que nous consommons ! Quand on voit le potentiel de notre agriculture, il faut se poser quelques questions ! Jusqu'où va-t-on aller ? Il n'existe pas d'autres solutions que les néonicotinoïdes pour lutter contre le jaunissement de la betterave.

Les producteurs de noisettes du Lot-et-Garonne ont un autre problème : ce département, qui est le premier producteur français, subit actuellement 40 % de pertes, et seuls les néonicotinoïdes y ont apporté une solution. On doit faire un choix de société, un choix agricole, et arrêter de démonter notre agriculture boulon par boulon !

Mme Sophie Primas, présidente. - Monsieur le directeur général, vous avez la parole pour répondre à cette première série de questions.

M. Roger Genet. - Je m'abstiendrai de me placer sur le terrain politique qui est le vôtre. Si, comme citoyen, il m'intéresse beaucoup, le directeur de l'Anses que je suis ne peut se permettre de répondre.

Pour une agence sanitaire, moins on expose la santé humaine, animale environnementale à des substances chimiques, et mieux on se porte. L'Anses est souvent accusée de ne pas aller assez vite ni assez loin, d'interdire des produits alors que nous n'avons pas de base scientifique pour le faire. Quand on en a, nous le faisons.

Il est vrai que la question du bénéfice-risque évolue en permanence en fonction des connaissances scientifiques qui s'accumulent. Quand on a substitué les néonicotinoïdes au dichlorodiphényltrichloroéthane et à des pesticides extrêmement toxiques pour l'homme, c'est parce que l'impact global et le bénéfice étaient très favorables. Aujourd'hui, par rapport à l'intensification de l'utilisation des néonicotinoïdeset à leur impact, qu'on connaît beaucoup mieux, sur la biodiversité, qui est complexe, on se rend compte qu'il faut réguler. On est probablement allés trop loin. Il faut trouver des méthodes vertueuses, qui résulteront forcément d'une combinaison et d'une adaptation des pratiques qui vont demander du temps.

D'une certaine façon, la réglementation européenne, qui est l'une des meilleures au monde en matière d'évaluation de ces produits, prend en compte ces adaptations. Elle ne le fait parfois pas assez vite pour certains. Décider à vingt-sept est compliqué, mais l'Anses prend en compte ces adaptations qui reposent sur l'évaluation scientifique.

Le principe de base que retient l'Anses est le principe dit « ALARA » : « As low as reasonably achievable » - aussi bas que raisonnablement possible. Ces produits sont des produits nocifs. C'est pour cela qu'on les utilise, comme les médicaments ou comme n'importe quelle substance. Ils sont toxiques par nature, et c'est cette toxicité qu'on recherche. L'idéal pour le scientifique que je suis serait de trouver des molécules si spécifiques qu'elles ne toucheraient qu'un type de tumeurs, de virus ou d'insectes, mais ce n'est pas possible. On est en effet face à des mécanismes qui établissent une différenciation entre les espèces, mais pas toujours suffisante.

C'est toute la gageure de trouver des molécules à la fois actives, efficaces et sans toxicité secondaire pour les cibles autres que celles que l'on recherche.

À quel niveau l'utilisation de ces produits est-elle acceptable ? Aussi bas que raisonnablement possible ! Si l'on peut combiner des méthodes de lutte contre les ravageurs et diminuer le recours à ces substances, diminuons-le ! Ne faisons pas, par confort ou cupidité, usage de ces produits quand ce n'est pas strictement nécessaire. Dans le cas contraire, cela risque d'avoir un effet sur notre environnement à tous, parfois - on l'a vu avec le chlordécone - pour des centaines d'années. Un choix à très court terme peut conduire à des risques à très long terme.

Si l'on a confié les décisions de mise sur le marché à une agence sanitaire, j'ose espérer que c'est parce qu'on a pris en considération le fait qu'on plaçait la santé humaine et environnementale avant le reste, ce qui n'empêche pas de donner ces autorisations quand elles nous paraissent avoir un niveau de risque acceptable.

Pour ce qui est de la recherche, elle a besoin d'un pas de temps pour progresser. Je ne peux pas laisser dire que rien n'a été fait. Beaucoup de travaux sont conduits autour des alternatives de lutte biologique, des améliorations variétales, en s'abstenant d'utiliser les nouvelles biotechnologies et les organismes génétiquement modifiés, de façon à offrir une palette de solutions. Je ne peux pas dire si les choses ont été suffisamment vite. Je ne suis pas là pour en juger et je ne le sais pas, mais beaucoup de projets sont aujourd'hui dans les tuyaux.

Si un produit était aujourd'hui efficace et sans risque, je pense qu'il serait utilisé. Nous n'avons pas à l'heure actuelle de solution pratique. C'est ce que disait notre rapport.

Nous sommes saisis par les ministères pour rendre en janvier une mise à jour de ces alternatives concernant la betterave. Nous vous en dirons plus alors. Nous allons reprendre tous les événements qui se sont déroulés depuis trois ans.

Lorsque nous avons été saisis en 2016 pour rendre un avis sur les néonicotinoïdes en vue d'accorder des dérogations pour deux ans, nous étions face à 3 200 situations différentes. On ne pouvait analyser les choses situation par situation, filière par filière, dans le temps qui nous était imparti. Nous ne disposions d'ailleurs pas des données.

Aujourd'hui, on se cantonne à l'usage de ces produits sur la betterave et nous allons essayer de constater les progrès qui ont été accomplis.

M. Stéphane Demilly. - La filière de la betterave à sucre représente un réel enjeu économique pour les territoires ruraux. Avec 445 000 hectares plantés et une production de 38 millions de tonnes de betteraves sucrières, la France est le premier producteur de sucre de betterave européen et le deuxième producteur mondial.

C'est une richesse et une fierté pour le sénateur de la Somme que je suis. L'amont agricole se compose d'environ 25 000 planteurs, le secteur industriel sucrier emploie près de 5 000 salariés et 2 000 saisonniers. Un emploi direct génère localement dix à quatorze emplois indirects. Vingt et une sucreries sont présentes sur le territoire national, en particulier dans le nord de la France. Voilà l'état des lieux, un état des lieux, qui est aujourd'hui ébranlé, car cette filière vecteur d'emplois et élément de souveraineté nationale énergétique française - je pense notamment au bioéthanol - traverse une crise sans précédent, à la fois structurelle avec la fin des quotas, mais également conjoncturelle avec ces attaques massives de pucerons verts, propagateurs du virus de la jaunisse.

Les pertes de rendement sont très importantes et mettent en péril la survie de l'ensemble de la filière, qui représente en tout 46 000 emplois. La France est le premier État de l'Union européenne à avoir interdit l'usage de néonicotinoïdes sur son territoire à compter du 1er septembre 2018 avec ce fameux article 125 de la loi pour la reconquête de la biodiversité.

Ce même article prévoyait jusqu'au 1er juillet 2020 la possibilité d'accorder des dérogations à cette interdiction. La date limite est donc passée, et l'utilisation de ces substances est aujourd'hui totalement prohibée. Or les alternatives à ces produits ont révélé leur inefficacité dans le cas d'une attaque massive. La filière se trouve donc confrontée à une impasse technique complète.

En mars 2018, l'Anses a été chargée d'identifier les alternatives aux usages autorisés aux néonicotinoïdes. Or aujourd'hui, il semblerait que rien ne soit aussi efficace que ces derniers, et les alternatives sont même parfois a priori plus nocives pour la santé.

Compte tenu de ces éléments, quelle est la position de l'Anses concernant l'évolution dans le temps de potentielles dérogations à l'interdiction de ces utilisations ?

M. Franck Menonville. - Monsieur le directeur général, ce qui nous réunit aujourd'hui, c'est l'impasse dans laquelle se trouve la filière de la betterave. La question qui se pose à nous, au travers de ces dérogations, est de savoir comment autoriser les néonicotinoïdes sur une durée déterminée, en prenant le moins de risques possible.

Ma question est la suivante : la betterave est une culture bisannuelle non pollinisatrice. On nous parle de rémanence, de risque de transfert à la culture suivante : pourriez-vous nous indiquer vos préconisations en matière d'assolement et de succession de cultures pour sécuriser l'utilisation de ces néonicotinoïdes dans la filière betterave ?

Je sais que vous travaillez aussi sur un axe complémentaire concernant les cultures attractives pour les pollinisateurs. Comment les intégrer sur une exploitation à l'échelle d'un assolement, et à quelle distance ?

Mme Angèle Préville. - Monsieur le directeur général, je voudrais avant tout rappeler un fait : la biodiversité s'effondre. La Cour des comptes a épinglé l'État, qui finance et subventionne ces actions pour éviter cette baisse. On est face à un impératif, et ces néonicotinoïdes qui ont une toxicité à large spectre, nous interrogent.

Vous nous avez parlé des abeilles. La recherche mesure-t-elle les effets des néonicotinoïdes sur les vers de terre, les batraciens, les invertébrés aquatiques, les oiseaux et les poissons ? Comment mesure-t-on l'impact global de l'utilisation de ces néonicotinoïdes sur un écosystème ?

Des solutions naturelles ont-elles réellement été envisagées par la recherche concernant les plantes associées, l'utilisation d'huiles essentielles ou autre alternative ? Où en est-on à ce sujet ?

Je m'interroge aussi, comme d'autres collègues, sur le fait que, depuis quatre ans, la filière ne s'est peut-être pas suffisamment intéressée à ces sujets. Certains agriculteurs bio qui font de la betterave ont peut-être des solutions à apporter. A-t-on vraiment étudié ce qu'ils proposent ?

Mme Anne Chain-Larché. - Monsieur le directeur général, la question de la reprise de l'utilisation des néonicotinoïdes et la crise sanitaire que nous vivons nous rappellent chaque jour l'importance des enjeux liés aux questions de santé publique. Nous avons besoin de toutes les énergies, de toutes les matières grises.

Pour y faire face, des entreprises mettent régulièrement au point de nouvelles solutions, notamment à base de substances actives et de produits biocides, dont la mise sur le marché est strictement contrôlée. Pour atténuer la longueur des procédures et obtenir un peu de souplesse, le règlement européen sur les produits biocides prévoit des simplifications afin de permettre la commercialisation des produits efficaces en l'absence d'autres moyens. Or, ces procédures d'autorisation requièrent le versement à l'autorité évaluatrice de montants importants, voire très importants.

En France, ils sont déterminés par l'arrêté du 22 novembre 2017 fixant le montant de la rémunération due au titre de l'approbation et de l'autorisation de mise sur le marché des substances et produits biocides. Ces sommes sont nécessaires pour garantir l'évaluation, mais peuvent aussi constituer un frein majeur et mettre en péril la capacité des entreprises à répondre aux crises sanitaires et aux enjeux.

L'Anses a déjà mis en place des procédures moins contraignantes pour certains produits particulièrement vertueux en matière environnementales, comme les produits de biocontrôle. Sans nuire aux impératifs d'évaluation, une déclinaison plus importante de cette politique de simplification et de réduction des coûts paraît donc nécessaire. Dans quelle mesure pensez-vous possible une adaptation des procédures de mise sur le marché auxquelles sont confrontées ces entreprises, et quelles seraient vos préconisations à ce sujet ?

M. Guillaume Chevrollier. - Monsieur le directeur général, dans ce débat compliqué autour de ce projet de loi, où on a besoin de retrouver un équilibre entre l'envie d'avoir une agriculture française forte et durable et la nécessité de reconquérir et de préserver notre biodiversité, la parole scientifique que vous nous apportez est essentielle et précieuse, surtout dans un contexte où les débats, d'une façon générale, tournent rapidement à l'irrationnel.

Comment réagissez-vous quand on parle des néonicotinoïdes, notamment dans la presse, comme d'insecticides ou de pesticides tueurs d'abeilles ? Comment contrer de façon très objective cette allégation avec des éléments scientifiques ? Comment mieux parler de ces produits phytosanitaires pour justifier un usage qui doit être raisonné et encadré ?

Comment, dans le débat public, éclairer l'opinion sur les garanties qui sont données, notamment en matière de rémanence dans les sols et d'eau ?

Vous avez parlé de la complexité du débat autour du produit nocif. Un indicateur des doses maximales admissibles est employé dans certains domaines. Disposer d'éléments objectifs pour rationaliser le débat serait intéressant. Pouvez-vous développer ce sujet ?

Enfin, avez-vous des échanges avec des agences sanitaires d'autres pays européens ? Quelle est leur approche sur cette question ?

Mme Dominique Estrosi Sassone, présidente. - Monsieur le directeur général, vous avez la parole.

M. Roger Genet. - Bien sûr, l'Anses communique en permanence avec les agences européennes. La question de l'usage des produits phytosanitaires est devenue un vrai débat de société. Elle donne lieu à de nombreuses auditions parlementaires. On parle peu du médicament vétérinaire ou du médicament humain, parce que le bénéfice est peut-être plus facile à percevoir par l'opinion publique.

Aujourd'hui, il existe une remise en cause de l'utilisation des produits de traitement des plantes liée à la façon dont nos concitoyens appréhendent le monde agricole et l'agriculture. C'est donc une question qui dépasse très largement l'Anses. Nous sommes bien sûr en relation avec tous nos partenaires européens au travers de consortiums autour de grands projets de recherche, mais également avec les agences communautaires, comme l'Autorité européenne de sécurité des aliments.

Être transparent en matière de doses journalières admissibles, de limites maximales de résidus et de constantes toxicologiques est forcément très complexe. Il faut que les autorités de contrôle et de surveillance retrouvent un certain niveau de confiance. C'est ce qu'on essaye de faire en communiquant et en étant le plus transparent possible, dans un contexte où s'affrontent des enjeux politiques au sens noble du terme, entre interdiction totale des pesticides revendiquée par certains et utilisation raisonnée.

Je ne prends pas part au débat. Quand on me demande d'interdire des classes de produits sur la base d'une absence de données scientifiques, je ne le fais pas. J'attends de disposer de tous les éléments scientifiques après qu'ils ont été pesés par nos comités d'experts. La France promeut une vision et des décisions extrêmement proactives pour protéger la santé et l'environnement. Au niveau européen, nous sommes parmi les pays qui font le plus dans ce domaine.

On le fait à chaque fois qu'on a des éléments scientifiques qui nous permettent de graduer le niveau de risques que l'on juge acceptable. C'est un débat en soi et un sujet compliqué.

S'agissant les questions plus techniques, notre avis de 2018 présente clairement l'impact des alternatives sur les oiseaux, les mammifères, les abeilles, les vers de terre, les organismes aquatiques, les eaux souterraines. Toutes ces données sont produites dans les dossiers qui sont exigés pour une autorisation de mise sur le marché, mais également dans la littérature. Nos comités d'experts, lorsqu'ils étudient une autorisation de mise sur le marché, prennent en compte l'effet pour l'utilisateur, l'environnement, les riverains, en étudiant la biodiversité des sols, l'écotoxicologie, les organismes aquatiques, les mammifères, que ce soit pour les biocides, les produits phytosanitaires ou les médicaments vétérinaires. Tout ceci fait partie des exigences réglementaires, limitées par les connaissances disponibles.

Lorsqu'une autorisation est donnée, elle l'est pour cinq ans ou dix ans. Il arrive que des données scientifiques montrent entre-temps des effets qui n'avaient pas été pris en compte. Si on les a bien identifiés, on a toute latitude pour revenir sur une autorisation. La France l'a souvent fait pour demander la réévaluation européenne en urgence en vue de retirer du marché des produits pour lesquels on avait des données scientifiques montrant un effet inattendu.

La phytopharmacovigilance (PPV) nous permet au travers d'un réseau d'acteurs de collecter des données de terrain qui permettent de prendre en compte des effets inattendus. C'est par exemple ce que fait le réseau SAGIR de l'Office français de la biodiversité, que nous finançons avec d'autres au travers de la PPV. Il permet de faire remonter des indications et des données et produit des travaux de recherche.

Je veux d'ailleurs mentionner que nous avons à l'heure actuelle une étude sur la biodiversité financée par la phytopharmacovigilance au muséum national d'histoire naturelle, qui vise à étudier l'association entre la pression d'utilisation des produits phytosanitaires et certains taxons - oiseaux, chauve-souris, pollinisateurs. Ce sont des travaux de recherche menés très en amont qui nous permettent de demander à des organismes de recherche ou des établissements d'enseignement supérieur de produire des recommandations que nous prenons en compte.

Quelle est ma perception vis-à-vis des néonicotinoïdes ? La France s'est révélée en avance dans ce domaine. Ces cinq substances tombent les unes après les autres au plan européen. Trois faisaient déjà l'objet d'un moratoire sous serres. Le renouvellement n'a pas été accordé aux autres et les pétitionnaires n'ont pas demandé la prolongation de leur autorisation. Compte tenu des données dont nous disposions de plus en plus, la réévaluation de ces substances au niveau communautaire amenait leur interdiction.

La réglementation européenne, en cas d'impasse, prévoit précisément ce système de dérogation. Le fait que la France ait voté une loi à ce sujet a pour effet de bloquer ce système de dérogation prévu au plan communautaire. Il a d'ailleurs ses avantages et ses inconvénients. Des dérogations sont prévues en cas d'impasse, mais on doit constater que les substances candidates à la substitution qui ne présentent pas un niveau de danger important en matière cancérigène, mutagène ou reprotoxique restent très longtemps sur la liste des candidats à la substitution - article 50 du règlement - sans qu'il n'y ait jamais substitution. La France a demandé que l'on revoie ces conditions, car dix ans après, les substances sont encore sur la liste et bénéficient toujours de dérogations.

Il est important, lorsqu'une substance est visée par rapport à son niveau de danger, qu'elle ne soit pas simplement inscrite sur la liste des candidats à la substitution mais qu'il existe des alternatives réelles sur le marché. On peut estimer que la recherche publique ne va pas assez vite, mais la solution repose avant tout sur l'innovation industrielle, qui va permettre de trouver des solutions.

S'agissant des préconisations relatives aux cultures non attractives, je rappelle que deux avis sont en cours d'élaboration. Ils vont éclairer ce point. Il s'agit d'un avis pour remettre à jour notre évaluation des alternatives concernant la betterave et, en second lieu, un avis sur les mesures d'atténuation. Je ne peux vous répondre pour le moment. Par exemple, pour l'imidaclopride en semences enrobées, les quantités varient de 13 à 117 grammes à l'hectare. La question est de savoir s'il faut une ou deux cultures suivantes pour tomber à un seuil suffisamment bas, sur des cultures bien évidemment non attractives.

Enfin, pour les autorisations de mise sur le marché, je pense que la situation actuelle est la pire, à l'exception de toutes les autres ! Le travail de l'Anses est financé par des redevances ou des taxes au dossier. Une nouvelle AMM nécessite environ 40 000 euros. Cela finance très directement le travail d'évaluation conduit par l'Anses. Nous avons obtenu un système dérogatoire depuis trois ans qui nous permet, en fonction du volume de taxes collectées, de recruter des collaborateurs au niveau requis.

On avait dans le passé des délais très exagérés de trois ans pour des dossiers qui nécessitent douze à dix-huit mois d'examen au niveau européen. De toute façon, en cas d'afflux de dossiers, étant sous plafond d'emplois, on ne pouvait recruter pour les traiter. On faisait donc du stock et on augmentait les délais.

Nous avons obtenu, sur la base de cet axe, de recruter à due proportion des taxes que nous collectons pour adapter notre effectif à la nécessité des dossiers. C'est un calcul très juste par rapport au prix de revient des dossiers. Le biocontrôle, dont la taxe est extrêmement réduite, coûte aujourd'hui à l'Anses environ 1,5 million d'euros en taxes non collectées. Cela signifie qu'il est payé sur la subvention pour charges de service public. Si on fait cela, on ne fait pas de PPV. Ce n'est donc pas l'industriel qui paye, mais la communauté.

Le choix de supprimer ces taxes et d'en faire peser le poids sur le contribuable vous appartient, mais ce n'est pas le conseil que je vous donnerais, pour deux raisons. En premier lieu, la plupart des firmes qui demandent une autorisation de mise sur le marché en France sont très majoritairement des firmes étrangères. La question est donc de savoir si nous finançons les sociétés étrangères qui viennent demander une AMM en France sur la base de nos impôts. Ce choix vous appartient.

En outre, le fait de collecter la taxe nous permet d'adapter notre dispositif au volume de demandes, à la hausse ou à la baisse. C'est un système qui est donc intéressant sur le plan économique.

Mme Dominique Estrosi Sassone, président. - Nous allons prendre la dernière série de questions.

M. Joël Labbé. - Monsieur le président, merci de votre présentation. J'ai apprécié certaines de vos affirmations, notamment à propos du fait que moins on utilise ce type de produit, mieux on se porte.

Exceptionnellement, je ne vous parlerai pas aujourd'hui des néonicotinoïdes. Tout le monde connaît ma position. Nous aurons un débat public à ce sujet.

Monsieur le président, un certain nombre d'acteurs du monde agricole ne parlent pas d'impasse technique : ce sont les agriculteurs qui travaillent en bio, même s'ils connaissent des difficultés. Ils essaient de se débrouiller avec les moyens qui sont les leurs, recourant à un modèle le plus souvent polyculture-élevage sur des surfaces qui ne sont pas excessivement grandes. Ils doivent cependant parfois utiliser des produits qualifiés de préparations naturelles peu préoccupantes (PNPP), produites à partir d'éléments naturels.

Vous connaissez ma position, monsieur le président. Nous allons souvent, avec les acteurs des PNPP, interpeller vos services par rapport à un cahier des charges considéré trop contraignant au regard des pesticides préoccupants en matière de délais entre le traitement et la mise sur le marché du produit, ou de questions tatillonnes sur l'étiquetage. Ce n'est pas un reproche : vous faites votre travail, mais cela nuit à cette catégorie d'agriculteurs qui utilisent un autre modèle.

Ces PNPP sont préparés à la ferme et utilisés, il faut le savoir, car ils en ont besoin. Je souhaitais connaître votre réaction à ce sujet.

M. Rémy Pointereau. - Monsieur le directeur général, vous avez dit que la France était proactive en matière d'interdiction d'un certain nombre de molécules, ce qui nous fait perdre de la compétitivité par rapport à nos partenaires européens. Cela signifie que nous faisons de la surtransposition européenne. C'est là où le bât blesse, puisque les agriculteurs français seraient prêts à aller vers une unité au niveau européen concernant les interdictions de produits phytosanitaires en général.

Nous connaissons malheureusement depuis des années des hivers doux. Or il faut 5 degrés en dessous de zéro pendant plusieurs jours pour éliminer les pucerons. On met aujourd'hui des filières entières à bas à cause de ces problèmes climatologiques.

Pensez-vous que pour supprimer les pucerons sur les céréales ou les betteraves, les pyréthrinoïdes soient moins polluants que des semences enrobées ? C'est la question qu'on doit se poser aujourd'hui, sans même parler des effets de gaz à effet de serre générés par les traitements.

Par ailleurs, dans les zones intermédiaires, les attaques de pucerons ont induit une baisse de production du blé, de l'orge et du colza comprise entre 40 % et 50 %. Si on ne peut plus faire pousser de colza dans le Centre, on se prive d'une filière dans laquelle la région était considérée comme premier producteur. La fleur de colza étant attractive pour les abeilles, il va donc falloir trouver des solutions alternatives pour essayer de résoudre ce problème.

On pourrait adopter une position européenne concernant les interdictions. La France ne peut continuer à interdire un certain nombre de produits pendant que nos partenaires européens produisent de la betterave à sucre avec des néonicotinoïdes et des céréales qui sont pénalisées chez nous !

M. Pierre Cuypers. - Monsieur le directeur général, j'apprécie l'honnêteté des propos que vous avez tenus par rapport à la réalité. En 2016, une décision politique a été prise avec des avis qui n'étaient pas sécurisés, vous l'avez dit clairement. L'Anses n'était pas capable d'affirmer un certain nombre de choses. C'est ce qui a permis d'adopter cette position politique. Nous sommes aujourd'hui en plein débat sur les néonicotinoïdes pour savoir comment sauver la filière betterave. Pensez-vous raisonnablement que l'État puisse prendre en 2020 une disposition qui garantisse une solution sous trois ans ?

M. Gilbert-Luc Devinaz. - Monsieur le directeur général, j'ai lu dans la presse que vous annonciez une restriction dans les six mois concernant l'utilisation du glyphosate pour la vigne, les fruits et les céréales, avant d'aller vers l'étape finale au terme de laquelle on se séparera de ce type d'herbicide. Comment s'organise le contrôle de cette limitation des conditions d'emploi et des doses par hectare ?

À l'article 1er du projet de loi sur les néonicotinoïdes, un conseil de surveillance est mis en place pour donner un avis sur les dérogations accordées. Dans ce schéma, que devient l'Anses ?

Par ailleurs, réintroduire des néonicotinoïdes ne risque-t-il de fragiliser le développement d'une filière qui se voudrait un peu plus biologique ?

Enfin, j'ai bien compris l'importance économique de la filière betterave, mais le diabète et l'obésité ne cessent d'augmenter. Or le sucre n'y est pas étranger. Existe-t-il des études qui établissent un lien entre le développement de cette filière et les coûts que cela peut engendrer sur le plan de la santé ?

Mme Nicole Bonnefoy. - Monsieur le directeur général, vous l'avez dit tout à l'heure, l'Anses a publié une étude en 2017 portant sur 130 usages autorisés des néonicotinoïdes. Ses conclusions étaient assez nettes : seuls six cas sur 130 n'ont pu trouver d'alternative, la betterave n'en faisant pas partie. J'en conclus que, dans 85 % des cas, des alternatives efficaces et mieux-disantes pour l'environnement existent.

Des alternatives étaient-elles donc possibles pour les betteraviers ? Les ont-ils utilisées et si ce n'est pas le cas, pourquoi ?

Vous avez indiqué que ce sont les industriels qui mettent ces alternatives en oeuvre. J'ai rencontré à plusieurs reprises des start-up travaillant sur ces sujets. Elles se trouvent souvent confrontées au coût des études dans le cadre des AMM. Je me souviens avoir déposé des amendements pour aider ces start-up à financer le coût de ces études. Malheureusement, ils n'ont pas été adoptés, et c'est un vrai problème.

Ce ne sont pas les gros industriels de la chimie, de mon point de vue, qui mettent en oeuvre les alternatives. Je me souviens du rapport réalisé en 2012 au Sénat sur les conséquences des pesticides sur la santé : les grands industriels de l'agrochimie devaient mettre en place nombre d'alternatives, y compris en matière de biocontrôle. Où sont-elles, alors que l'interdiction des néonicotinoïdes remonte à quatre ans ?

M. Étienne Blanc. - Connaît-on un prédateur naturel du puceron ? Des organismes spécialisés travaillent-ils sur le sujet ?

M. Roger Genet. - On a déjà vu des industriels et de grosses industries intégrer des solutions de développement biologique ou biotechnologique, comme dans le domaine du médicament. À partir du moment où les alternatives existent, qu'elles sont efficaces et qu'il existe un marché, je pense que les gros industriels seront prêts à s'y intéresser.

Malheureusement, en matière de biocontrôle, le nombre de dépôt de dossiers ne fait que baisser. Les produits qu'on trouve la plupart du temps existent déjà et sont commercialisés sous d'autres noms. Très peu de solutions nouvelles nous sont proposées en termes de biocontrôle. Il faut à la fois que la recherche promeuve des solutions de biocontrôle qui ne soit pas seulement bon marché, mais aussi efficaces. Notre pays tient compte de l'efficacité tout autant que de l'absence de toxicité. Il ne me paraîtrait pas convenable que l'Anses autorise la mise sur le marché d'un produit qui, certes, est sans risque toxicologique mais qui n'a démontré aucune efficacité.

Nous sommes souvent confrontés à cette situation. Je pense que le marché, la demande et l'efficacité de ces produits vont créer l'offre comme cela a été le cas dans les biotechnologies rouges ou blanches et dans le domaine du médicament. On n'en est pas là en termes de maturité. En dehors de l'industrie de la chimie de synthèse, il existe peu de solutions techniques.

Je rappelle que des produits comme le purin d'ortie ou des solutions qu'on a toujours utilisées ne sont pas sans risque, on le sait. Si l'on veut favoriser leur utilisation à grande échelle, il faut étudier leur impact sur l'environnement et la santé. Le contraire paraît contre-productif et contre-intuitif. On le voit avec les pyréthrinoïdes, notamment d'extraction végétale, qui sont aussi toxiques voire plus toxiques que les pyréthrinoïdes dits de synthèse. Quant aux PNPP, nous ne délivrons pas d'AMM.

Qui vérifie la mise en oeuvre de ces produits ? Il en va du glyphosate comme de tous les autres : six services de l'État parmi les services déconcentrés sont impliqués dans le contrôle de l'utilisation des produits phytopharmaceutiques - DDT, DREAL - et contrôlent par échantillonnage les agriculteurs qui doivent tenir un registre comportant des déclarations qualitatives et quantitatives sur les produits qu'ils utilisent. Ceci conditionne les aides de la PAC, même s'il n'existe pas un gendarme derrière chaque agriculteur.

Des contrôles sur la vente, l'utilisation et en matière de pollution environnementale ont par ailleurs lieu pour les produits phytosanitaires.

Je reviens sur la distorsion de concurrence et les alternatives. Ce n'est pas parce que nous avons identifié des alternatives qu'elles sont « mieux-disantes », tant sur le plan environnemental que sur celui de l'efficacité. Des alternatives ont été identifiées. Concernant le produit à base de pyréthrinoïdes et de carbamate, l'indicateur de risque était similaire aux néonicotinoïdes pour les oiseaux et les mammifères. Pour les abeilles, il était plus favorable, ainsi que pour les vers de terre. Il l'était moins pour les organismes aquatiques sur le plan de la toxicité, et à peu près équivalent pour les eaux souterraines. Ce n'est pas univoque.

Un réflexe de bon sens me fait dire que si ce produit avait été plus intéressant sur le plan économique, il aurait été utilisé. La solution existait donc, mais elle n'était pas mieux-disante ni plus favorable. En conclusion, nous disions n'avoir identifié qu'une seule alternative et attirions l'attention sur le risque de résistance.

Par ailleurs, on avait identifié des alternatives avec des efficacités prouvées mais insuffisantes et non disponibles immédiatement en France concernant des variétés génétiques en cours de développement.

Des méthodes culturales pouvaient être mises en oeuvre, comme l'augmentation des prédateurs, la réduction de la fréquence et de la profondeur des labours, et pouvaient accompagner un traitement chimique.

Enfin, des alternatives identifiées existaient pour la lutte biologique, en particulier des champignons entomopathogènes et des méthodes de stimulation. Cette lutte biologique, basée sur des micro-organismes ou des méthodes de stimulation de défense des plantes est en cours de développement. Elle n'était pas disponible sur le marché.

La seule méthode réellement disponible immédiatement était l'alternative chimique. Pour autant, on n'a pas dit qu'elle était aussi efficace et plus favorable pour tous les compartiments en termes de toxicité.

Concernant les distorsions de concurrence, cela fait quatre ans et demi que je dirige l'Anses. J'ai connu deux cas où nos décisions ont potentiellement été interprétées comme de la surréglementation ou de la distorsion de concurrence. Le premier concerne le diméthoate et le traitement des cerises. J'ai dû, dans chacune de mes interventions devant le Parlement, expliquer que ce n'était pas l'agence qui avait interdit l'usage du diméthoate sur les cerises, mais le pétitionnaire, qui n'a pas demandé le renouvellement de l'usage de ce produit sur les cerises.

Il y a eu distorsion de concurrence parce que, dans la zone sud, le pétitionnaire a estimé que son produit ne passerait pas et n'a pas demandé l'usage sur le traitement des cerises dans la zone. La distorsion de concurrence existe avec la Turquie mais, au niveau de la zone sud européenne, tout le monde était logé à la même enseigne. Ce produit n'a pas bénéficié d'autorisation.

Le deuxième cas concerne l'époxiconazole, un fongicide très utilisé en grande culture. J'ai décidé d'anticiper les mesures européennes et de l'interdire en France. Cela fait huit ans que la France demande que la substance active soit réévaluée au niveau européen, des éléments scientifiques montrant son caractère cancérigène, mutagène, reprotoxique et de perturbateur endocrinien.

Dès que l'Europe s'est mise d'accord sur les critères d'évaluation des perturbateurs endocriniens, nos services ont réalisé une évaluation en urgence de ces produits. Ils ont vérifié qu'il possédait tous les critères de perturbateurs endocriniens. Comme il fallait encore plus de deux ans pour que l'Europe, qui était d'accord avec notre évaluation, arrive à une interdiction, nous avons devancé les décisions et sorti ce produit de la liste, qui était dans le viseur depuis des années.

On peut certes donner une dérogation s'il n'existe pas d'alternative, mais si on ne met pas de limites dans le temps, l'expérience montre qu'il ne se passe rien. On le voit avec l'article 50 sur les candidats à la substitution au niveau européen : on a bien des substances fléchées, avec un niveau de danger élevé et une candidature à la substitution, mais quinze ans après, ils sont toujours candidats.

Il faut donc mettre les points sur les i. Les dérogations ne sont jamais accordées ad vitam aeternam. La question est de savoir jusqu'à quand on les autorise.

Enfin, s'agissant du conseil de surveillance, je voudrais répéter que l'Anses ne réalise pas seulement des évaluations de risques et ne délivre pas que des AMM. Elle a aussi des laboratoires de recherche, notamment le laboratoire de référence de l'Union européenne sur la santé des abeilles. À ce titre, s'il existe un comité scientifique dans le comité de surveillance sur la mise en oeuvre des dérogations, je suggère que l'Anses puisse en faire partie, non en tant qu'évaluateur des produits réglementés, car il pourrait y avoir des conflits d'intérêts, mais en tant que laboratoire de référence sur la santé des abeilles.

Mme Dominique Estrosi Sassone, présidente. - Merci de nous avoir consacré ce long moment et de vos réponses très précises. Je pense qu'elles seront utiles dans le débat que nous aurons la semaine prochaine.

Ce point de l'ordre du jour a fait l'objet d'une captation vidéo qui est disponible en ligne sur le site du Sénat.

La réunion est close à 12 heures 40.