Mercredi 20 janvier 2021

- Présidence de M. Christian Cambon, président -

La réunion est ouverte à 9 h 30.

Hommage aux gendarmes et soldats récemment morts dans l'exercice de leurs fonctions

M. Christian Cambon, président. - En ouverture de cette journée, je souhaiterais que nous rendions hommage aux huit valeureux militaires que nous avons perdus pendant la période de suspension de nos travaux.

Je pense tout d'abord aux trois gendarmes d'Ambert tués le 22 décembre : le lieutenant Cyrille Morel, l'adjudant Rémi Dupuis et le brigadier Arno Mavel.

Je pense ensuite aux cinq militaires de Barkhane : le maréchal des logis Tanerii Mauri, le brigadier Quentin Pauchet et le brigadier Dorian Issakhanian du 1er régiment de chasseurs de Thierville-sur-Meuse ; ainsi que le sergent-chef Yvonne Huynh et le brigadier-chef Loïc Risser du 2e régiment de hussards d'Haguenau.

Je vous propose que nous observions une minute de silence à leur mémoire.

Mmes les sénatrices et MM. les sénateurs se lèvent et observent une minute de silence.

Projet de loi autorisant la ratification du protocole portant amendement de la convention relative aux infractions et à certains autres actes survenant à bord des aéronefs - Examen du rapport et du texte proposé par la commission

M. Christian Cambon, président. - Nous examinons maintenant le projet de loi autorisant la ratification du protocole portant amendement de la convention relative aux infractions et à certains autres actes survenant à bord des aéronefs, sur le rapport de notre collègue Édouard Courtial.

M. Édouard Courtial, rapporteur. - Élaboré sous l'égide de l'Organisation de l'aviation civile internationale (OACI), le cadre juridique international s'est progressivement étoffé pour répondre aux menaces pesant sur la sûreté aérienne. La première convention, dite « convention de Tokyo », a été adoptée en 1963. Elle établit les mesures de contrainte, prises sous l'autorité du commandant de bord, destinées à lutter contre les comportements indisciplinés de passagers, qui peuvent, dans certains cas, compromettre la sécurité à bord.

Au début des années 1970, deux autres conventions ont complété ce dispositif, à la suite d'une vague d'attentats commis contre les avions et parfois accompagnés de prises d'otages. Ces conventions ont notamment imposé aux États d'ériger en infractions pénales la commission d'actes violents mettant en cause la sécurité d'un aéronef, ainsi que les détournements d'avions civils.

Au cours des vingt-cinq dernières années, nous avons assisté à une recrudescence des comportements perturbateurs à bord des avions. Ces incidents sont plus fréquents et plus graves qu'auparavant. Il s'agit d'infractions à l'interdiction de fumer à bord, d'agissements dus à l'absorption excessive d'alcool, de dégradations volontaires, ainsi que d'agressions verbales et physiques, voire de tentatives d'intrusion dans le poste de pilotage.

D'après un sondage réalisé par l'Association du transport aérien international (IATA), principal syndicat professionnel du secteur, le nombre de ces incidents a été multiplié par 5 en vingt ans.

Ce phénomène a mis en lumière les insuffisances de la convention de Tokyo de 1963. Pour y répondre, les États ont jugé nécessaire de réviser le cadre juridique international en matière de sûreté aérienne, en amendant cette convention. L'objet de cette révision est de rendre le cadre juridique suffisamment dissuasif pour prévenir les infractions, et le cas échéant, mieux sanctionner leurs auteurs.

Parallèlement, à la suite des attentats du 11 septembre 2001, les dispositions relatives à la répression des détournements d'avions ont été renforcées, et le champ des infractions à caractère terroriste a été étendu à l'usage d'armes nucléaires, bactériologiques et chimiques (NBC) à bord des avions, de même que l'usage de matières explosives ou radioactives.

Le protocole que nous examinons aujourd'hui, plus connu sous le nom de protocole de Montréal de 2014, porte amendement à la convention de Tokyo de 1963. Ce nouveau protocole vise à réprimer des actes que l'on pourrait majoritairement qualifier d'incivilités. Les conséquences de ces incivilités peuvent être graves dans certaines situations ; en effet, dans 40 % des cas, le commandant de bord est contraint de dérouter l'avion afin de débarquer le passager fautif, et dans 20 % des cas, l'intervention des forces de l'ordre s'avère nécessaire.

Plusieurs dispositions du protocole de Montréal méritent d'être soulignées.

Tout d'abord, le protocole de Tokyo prévoyait la compétence générale de l'État d'immatriculation de l'aéronef, ainsi que celle de l'État contractant, au titre de la compétence territoriale, si l'infraction compromet sa sécurité ou enfreint ses règles en matière de navigation. Le protocole de Montréal renforce ces règles de compétence et prévoit à cet égard l'extension de la compétence juridictionnelle à l'État exploitant et, dans une moindre mesure, à l'État d'atterrissage.

En outre, les États sont encouragés à engager des procédures pénales ou administratives contre les actes les plus graves, c'est-à-dire lorsqu'une personne à bord commet, ou menace de commettre, un acte de violence contre un membre d'équipage, ou lorsqu'elle refuse d'obéir à une instruction du commandant de bord.

Par ailleurs, sans préjudice de ses pouvoirs et de leur primauté, le commandant de bord pourra solliciter ou autoriser l'assistance des agents de sûreté en vol dans le but d'appliquer des mesures de contrainte contre les passagers indisciplinés ou perturbateurs. En cas d'intervention illicite, ces mêmes agents pourront également prendre, de leur propre initiative, toute mesure préventive visant à assurer la sécurité de l'aéronef et des personnes à bord. En cas de perpétration d'un acte grave, le commandant de bord pourra remettre le responsable aux autorités compétentes de tout État contractant sur le territoire duquel atterrit l'aéronef.

Enfin, dans l'hypothèse où un passager indiscipliné serait débarqué, les compagnies aériennes pourront recouvrer des dommages et intérêts auprès dudit passager au titre du préjudice subi. À l'inverse, ce passager ne pourra pas engager la responsabilité du personnel de bord ou de l'exploitant de l'avion en raison d'un préjudice qu'il aurait lui-même subi.

Pour conclure, ce protocole répond aux besoins de renforcement de la lutte contre les actes d'infraction à bord des aéronefs. À cet égard, il offre un cadre plus solide et une plus grande sécurité juridique, en donnant aux États les moyens nécessaires pour réprimer de manière plus systématique les actes d'indiscipline commis par les passagers.

Il convient de souligner que le protocole de Montréal de 2014 est entré en vigueur le 1er janvier 2020, puisqu'un nombre suffisant d'États l'a déjà ratifié.

En conséquence, je préconise l'adoption de ce projet de loi. Son examen en séance publique est prévu le jeudi 28 janvier, selon la procédure simplifiée, ce à quoi la conférence des présidents, de même que votre rapporteur, ont souscrit.

M. Pascal Allizard. - Au nom du groupe Les Républicains, je remercie notre rapporteur Édouard Courtial pour son travail sur ce protocole de Montréal. Il s'agit d'un sujet d'actualité et ce texte répond à un besoin concret. En effet, les personnels à bord des aéronefs font face à une insécurité croissante et à une recrudescence des incivilités, mais aussi des actes de piraterie. Vous l'avez rappelé : un sondage de l'IATA montre que le nombre d'incidents a été multiplié par 5 en vingt ans...

Nous avons donc besoin d'une législation dissuasive avec des sanctions proportionnées qui soient appliquées. Il faudra que le plus grand nombre de pays ratifient ce texte. Le groupe Les Républicains est donc favorable à son adoption.

L'article unique constituant l'ensemble du projet de loi est adopté sans modification.

Désignation de rapporteurs

La commission désigne M. Philippe Folliot rapporteur sur le projet de loi autorisant la ratification de l'accord portant extinction des traités bilatéraux d'investissement entre États membres de l'Union européenne.

Elle désigne également Mme Joëlle Garriaud-Maylam et M. Jean-Noël Guérini rapporteurs sur le projet de contrat d'objectifs et de moyens de France Médias Monde pour la période 2020-2022.

Audition de Mme Marie-Christine Saragosse, Présidente-directrice générale de France Médias Monde

M. Christian Cambon, président. - Nous accueillons aujourd'hui la Présidente-directrice générale de France Médias Monde (FMM), Mme Marie-Christine Saragosse. FMM est le principal opérateur de l'audiovisuel public extérieur et regroupe trois médias : la chaîne France 24, Radio France internationale (RFI) et MCD (radio Monte Carlo Doualiya).

Le projet de contrat d'objectifs et de moyens (COM) entre l'État et FMM a été transmis au Sénat juste avant la suspension des travaux parlementaires et nous sommes invités à nous prononcer dès la semaine prochaine. Sa durée est plus courte - 2020-2022 - que celle du précédent COM - 2016-2020 -, et il comporte à la fois cinq objectifs communs avec les autres entreprises de l'audiovisuel public et cinq objectifs propres à FMM.

Le COM de FMM est soumis au Sénat en même temps que ceux des autres sociétés de l'audiovisuel public, afin de mettre en oeuvre une politique de transformation du secteur de l'audiovisuel public à l'ère numérique qui devait initialement faire l'objet d'une loi. Ce projet de loi, abandonné l'année dernière, prévoyait d'intégrer FMM dans une holding rassemblant tous les opérateurs de l'audiovisuel public. Cette réforme nous inquiétait, car elle aurait pu conduire à remettre en cause son autonomie et ses spécificités. La solution retenue ici nous paraît donc préférable. Néanmoins, comment percevez-vous les objectifs communs avec les autres opérateurs ? Sont-ils bien adaptés à FMM ? Ses particularités en tant qu'opérateur de l'audiovisuel public extérieur sont-elles bien prises en compte dans ce COM ?

Le nombre d'objectifs affichés est important : n'a-t-on pas voulu, une fois encore, tout mettre dans ce COM ? Sur le fond, quels sont les éléments de continuité et de changement par rapport au précédent COM ? Avec quelles implications pour FMM ? Disposerez-vous des moyens suffisants pour mettre en oeuvre les objectifs assignés par ce contrat ? Je rappelle qu'à plusieurs reprises, la commission a usé de son droit d'amendement pour vous permettre d'obtenir plus de crédits. Je peux témoigner ici : ce que vous faites est admirable - un miracle - avec des moyens restreints.

Je rappelle que cette audition est filmée et retransmise en direct sur le site du Sénat.

Mme Marie-Christine Saragosse, Présidente-directrice générale de France Médias Monde. - Je suis heureuse de m'exprimer devant votre commission qui a toujours apporté son appui à nos développements.

Ce COM d'un genre nouveau a été établi dans un climat très constructif et dans une convergence de tout le secteur public ; cinq objectifs communs et une feuille de route commune vont permettre désormais d'affirmer l'essence d'un service public de l'audiovisuel. La rude période pandémique que nous vivons a montré toute l'importance de s'adosser à des médias de service public fiables qui permettent de lutter contre les fausses informations. FMM est également doté d'objectifs spécifiques et des chantiers prioritaires de coopération sont définis. Tout concourt à donner un élan collectif au service public, tout en respectant la spécificité de chaque entreprise. Notre spécificité est donc respectée et même reconnue : l'audiovisuel extérieur et les enjeux européens et internationaux font leur entrée dans les objectifs communs du service public de l'audiovisuel. C'est une belle reconnaissance pour notre groupe.

La trajectoire budgétaire et la durée du COM sont cohérentes : les moyens indiqués sont donc en principe sanctuarisés. Cela n'a pas toujours été le cas : en 2020, il nous a manqué 10 millions d'euros par rapport à la trajectoire initiale. Mais que se passera-t-il en 2023 ? Le véhicule de collecte de la redevance, la taxe d'habitation, va disparaître. En outre, 2022 sera une année électorale importante. Le service public disposera-t-il toujours d'une recette affectée ? Il ne s'agit pas d'une simple question de financement : c'est aussi une question de stature, car cette recette affectée contribue à l'indépendance du secteur, dans une période marquée par le soupçon, le complotisme et la manipulation de l'information. À l'international, cette indépendance est le gage de notre crédibilité et donc de notre influence. Toutes les études qualitatives que nous réalisons montrent que nous bénéficions d'une confiance forte. J'attire donc votre attention sur l'après-2022.

Les axes spécifiques de FMM s'inscrivent dans la continuité de notre stratégie. Nos audiences ont fortement augmenté en 2020 : 235 millions de contacts hebdomadaires en 2020 - contre 207 millions en 2019 - ; 2,4 milliards de vidéos vues en 2020 - contre 1,5 milliard en 2019 - ; 89 millions d'abonnés sur nos réseaux câblés ; 770 millions de visites sur nos sites propriétaires. L'année 2020 a été celle du dépassement des records historiques du groupe. En cette période de pandémie, celui-ci est apparu comme une valeur refuge.

Le coeur de notre mission n'a pas changé : il s'agit d'offrir quotidiennement une information vérifiée, honnête, équilibrée et indépendante, en luttant contre les manipulations de l'information à l'échelle du monde, en français, mais aussi dans les dix-huit autres langues du groupe. Vos rapporteurs ont indiqué dans leur rapport du printemps dernier que l'audiovisuel extérieur était une arme anti-infox dans la crise sanitaire mondiale : c'est vrai ; nous avons joué ce rôle, et continuons à le jouer avec les enjeux autour de la vaccination. C'est ainsi que France 24 et RFI ont été classés par le site indépendant NewsGuard parmi les dix sites francophones les plus fiables au monde. Nous sommes aussi porteurs des valeurs humanistes et démocratiques françaises : la laïcité, l'égalité entre les femmes et les hommes, le respect des droits humains, le pluralisme des points de vue. Notre pédagogie est donc essentielle.

La francophonie est la matrice de notre groupe, de notre pensée et de notre stratégie. Nous diffusons en langue française - en télévision, en radio, en numérique - sur tous les continents et dans tous les pays. Nous avons un rôle particulier en termes d'apprentissage du français à partir d'une vingtaine de langues étrangères. Nous diffusons les savoirs en français, grâce notamment à RFI Savoirs. Nous développons aussi le plurilinguisme qui nous permet de parler de la France et de la francophonie à des personnes qui ne sont pas encore francophones. Dans ce cadre-là, ce COM met l'accent sur les langues africaines : nous avons des rédactions en Afrique, à Dakar, à Lagos et à Nairobi. Grâce à votre soutien constant sur l'aide publique au développement, nous avons lancé la semaine dernière un magnifique projet avec Canal France international (CFI), financé par l'Agence française de développement (AFD), pour diffuser chaque jour deux heures en langue fulfulde et deux heures en mandingue. CFI va également opérer un grand transfert de compétences en direction de la société civile africaine. Nous espérons que ce rapprochement avec l'AFD, qui est une première, se perpétuera.

Le deuxième axe de notre action pour développer les langues étrangères s'articule autour de l'espagnol. La chaîne France 24 est passée de six à douze heures de diffusion en espagnol, à budget constant, par le biais de ses multidiffusions. Les répercussions sont fortes, puisque 55 % de foyers supplémentaires reçoivent désormais la chaîne, et que l'on a mesuré une audience de 3,2 millions de téléspectateurs dans trois pays, en augmentation de 50 % par rapport à 2019. La fréquentation du site en numérique a également été multipliée par trois.

Quant à RFI, elle « fait un tabac » en espagnol, grâce à ses émissions coproduites. La station compte 530 radios partenaires en Amérique latine, ce qui est extrêmement prometteur. L'impact de France 24 et de RFI devrait faire la différence dans ce territoire si francophile qui offre un beau marché à nos entreprises.

Notre troisième axe de développement d'une stratégie linguistique concerne l'arabe. Nous y consacrons une offre rénovée plurimédia. Nous avons renforcé les synergies entre France 24 en arabe et Monte Carlo Doualiya, à l'occasion, il est vrai, d'un plan de départs. La station, très connue, est leader aux Proche et Moyen-Orient, tandis que France 24 est numéro un au Maghreb. Les coproductions alimentent la notoriété réciproque des deux médias dans les zones concernées. Nous devrions lancer, au printemps prochain, une grille rénovée avec des synergies renforcées.

Le troisième objectif de France Médias Monde dans le cadre de ce COM porte sur la transformation numérique. Dans la continuité de notre action, nous développons une stratégie d'hyperdistribution sur les réseaux sociaux, dite « stratégie du coucou », car elle consiste à aller se nicher dans les carrefours d'audience les plus fréquentés pour lutter contre les fake news, les manipulations et le complotisme. Nous allons donc « au front », là où se trouve l'audience.

Nous développons un grand nombre de nouveaux formats. Nous travaillons sur le développement de l'intelligence artificielle, notamment dans le domaine de la traduction. Nous mettons également en place une « stratégie datas », en procédant à l'analyse des données qui remontent des audiences, pour être toujours plus pertinents, sans jamais trahir notre ligne éditoriale. Grâce à cela, nous avons atteint une production de 2,4 millions de vidéos et de sons en 2021.

Le développement de notre présence mondiale constitue le quatrième objectif spécifique que vise France Médias Monde. Il garantit en effet la reconnaissance de notre vocation à être présents dans tous les pays et sur tous les continents. Si l'Afrique reste au coeur de notre stratégie, tout comme le monde arabe, l'Europe représente aussi un enjeu majeur, à la veille de la présidence française de l'Union européenne, en 2022, et au moment où le Brexit vient changer la donne.

Nous travaillons beaucoup avec la Deutsche Welle. La Commission européenne vient de valider de nouveau notre site InfoMigrants qui a enregistré 76 millions de contacts numériques en 2020. Les financements ont donc été renouvelés pour 2021 et 2022. Nous avons également remporté, en novembre dernier, l'appel d'offres pour « Enter ! », projet à destination des jeunes européens, développé avec la Deutsche Welle. Il devrait être lancé au mois de mars prochain, en six langues. Dédié aux réseaux sociaux, il sera l'occasion pour les jeunes de parler de l'Europe. Le plurilinguisme favorisera l'élargissement de l'audience à ceux qui n'ont pas forcément poursuivi leurs études et qui, se sentant laissés pour compte, risquent d'être en proie à des manipulations. J'espère vous présenter le projet au printemps prochain.

Nous sommes également partenaires de la Deutsche Welle pour la chaîne YouTube en turc, qui s'appelle « +90 ». Même si elle est formidable, cette chaîne ne pratique pas de stratégie anti-infox : on peut y énoncer des contre-vérités totales sur la France, sans que nous ayons les moyens de les contrecarrer. Le sujet est préoccupant.

En France, nos tutelles ont soutenu l'idée que les médias, financés par la redevance audiovisuelle, devaient jouer un rôle de manière ciblée. France 24 est accessible en trois langues sur tout le territoire, sur le câble et par le satellite. RFI est accessible en FM à Paris et en radio numérique terrestre (DAB+), à Lille, Lyon, Strasbourg, Marseille, Bordeaux et Toulouse. À la suite de la préemption de la ministre de la culture, soutenue par le ministre de affaires étrangères, et bien accueillie par le CSA, nous lancerons à compter du mois de février prochain l'accès en DAB+ de Monte Carlo Doualiya, à Marseille et en Île-de-France. Nous aurons ainsi une radio arabophone républicaine, qui émettra à côté d'autres radios arabophones présentes sur le territoire, avec lesquelles nous pourrons développer des coopérations.

France 24 et RFI en espagnol devraient franchir de nouvelles étapes de développement en Amérique latine.

Quant aux États-Unis, il est vrai que notre présence a reculé en raison des coûts de la distribution payante. Toutefois, le pays est très mature sur le plan numérique. Nous avons donc misé sur l'over-the-top service (OTT), en y introduisant l'ensemble des langues pratiquées sur France 24, y compris l'espagnol. Nous comptons aussi sur le numérique, car les États-Unis représentent 10 % de la fréquentation de nos offres numériques, au deuxième rang après la France, notamment sur YouTube où la fréquentation américaine se caractérise par une durée longue, de huit minutes en moyenne par visite.

Nous sommes portés par le succès en Asie. Nous signons des contrats gratuits, en Inde, notamment, mais aussi en Thaïlande et au Vietnam. La France a une réputation très positive dans cette zone du monde.

Dans le contexte actuel de menaces et d'attaques contre la France et de boycott de ses produits, nous devons veiller à offrir un service après-vente quotidien pour maintenir notre présence mondiale. Il est important que le président de la République aille parler à Al Jazeera, car en s'adressant directement à une chaîne arabe, il ne donne pas le sentiment de privilégier uniquement France 24 en arabe, dans un entre-soi négatif. En revanche, il n'y a que sur France 24 que l'on peut parler en anglais et en arabe de la laïcité ou de la liberté d'expression, notamment au sujet de l'affaire des caricatures. Nous veillons à le faire sans ostentation et avec beaucoup de pédagogie.

C'est ainsi que nous construisons l'originalité de notre positionnement par rapport à la Deutsche Welle ou à la BBC, qui bénéficient de financements bien supérieurs aux nôtres, puisqu'elles reçoivent chacune 100 millions d'euros de plus que France Médias Monde. Nous espérons nous distinguer en portant la conscience profonde de la France.

Notre cinquième objectif spécifique consiste à développer des synergies avec les autres sociétés, grâce à des offres éditoriales. France 24 fournit ainsi plus du tiers des programmes de France Info. RFI Savoirs est très présente dans l'offre éducative de Lumni. Nous regroupons tous nos produits culturels dans Culture Prime. Enfin, nous mutualisons les moyens avec nos collègues du service public en matière de formation et d'achats groupés, ce qui réduit les coûts.

D'ici à l'été prochain, l'État devrait fixer une méthodologie pour que nous concluions des pactes avec les sociétés dont l'activité est en lien avec la jeunesse, la culture, la musique et l'outre-mer. Il s'agit là du dernier volet du contrat d'objectifs et de moyens.

Enfin, notre collaboration avec Arte est extrêmement fructueuse en matière de coproduction et de promotion croisée, notamment en espagnol.

Pour ce qui est des moyens, il faut prendre en compte la baisse de 3,5 millions d'euros de la redevance audiovisuelle, entre 2018 et 2022. Avec les glissements sur la masse salariale, les amortissements, les contrats de diffusion satellitaire, entres autres, l'impasse était de 16 millions d'euros. En 2018 et 2019, nous avons réalisé des économies à hauteur de 8 millions d'euros. Nous avons ciblé les 8 millions d'euros d'économies qu'il nous reste à réaliser entre 2020 et 2022 sur le coût des réseaux de diffusion, en veillant à ce que notre distribution continue de croître. Nous négocions des contrats importants comme le bail ou les prestations de production et nous faisons un effort sur les coûts de structure.

Enfin, dans la mesure où notre budget de programmes repose entièrement sur la masse salariale des journalistes qui produisent les programmes, nous avons dû mettre en place un plan de départs ciblé sur trente personnes. Il commence à avoir des répercussions en termes d'économies et ses effets en année pleine porteront en 2022.

Nous développons également des ressources propres, grâce aux recettes publicitaires numériques et aux aides de l'AFD et de l'Union européenne.

Le contrat d'objectifs et de moyens souligne le caractère d'exemplarité du secteur public, enjeu qui nous semble important. Ce que nous présentons sur nos antennes en matière d'égalité entre les hommes et les femmes, de respect de la diversité et du handicap, de lutte contre le réchauffement climatique doit trouver des applications concrètes dans notre manière de travailler.

En conclusion, ce contrat donne de l'élan aux activités de France Médias Monde. Il marque la reconnaissance de notre crédibilité. Il constitue un outil plus que jamais nécessaire pour porter une vision humaniste, des valeurs singulières et un art de vivre à la française dans un paysage audiovisuel marqué par une concurrence violente et par la prolifération des manipulations. Ma seule inquiétude porte sur l'après : que se passera-t-il en 2023 ?

M. Christian Cambon, président. - Merci de nous avoir présenté de manière synthétique les défis que vous devez relever, dans un contexte marqué par la pandémie, mais aussi par les crises qui mettent en cause notre pays sur les différents continents. La voix de la France doit rester forte et nous vous sommes reconnaissants pour le travail que vous accomplissez en ce sens, avec des moyens certainement insuffisants.

Mme Joëlle Garriaud-Maylam, co-rapporteur. - Je tiens également à vous remercier pour la qualité de votre implication et de celle de vos équipes au service de l'audiovisuel et du rayonnement français. Vos résultats sont remarquables, malgré les nécessaires contraintes et économies de fonctionnement.

J'aimerais insister sur les inquiétudes que nous nourrissons quant au financement de votre stratégie de marketing, qui doit être absolument confortée et sanctuarisée, comme j'avais eu l'occasion de le dire en tant que rapporteure du COM 2016-2020. Le contrat que vous nous présentez a une durée très courte de deux ans jusqu'en 2022, ce qui justifie votre question finale : « Et après ? »

Pourriez-vous nous en dire plus sur les perspectives de développement des ressources propres de France Médias Monde, nous préciser ce que représente l'apport des bailleurs de fonds et nous dire autour de quels projets cet apport pourrait progresser à l'avenir ?

Le développement des coopérations avec les autres acteurs de l'audiovisuel public est fortement encouragé par ce projet de COM tant en matière éditoriale que dans d'autres domaines. Que pensez-vous de cet objectif ?

Je dois aussi signaler les programmes que vous créez en collaboration avec Arte, car même si vous les avez mentionnés, ils n'apparaissent pas dans le COM. Il faudrait donc revoir la rédaction du contrat pour les y inclure. En effet, il est important de mesurer les conditions dans lesquelles le développement de ce type de coopération peut conduire à des gains d'efficacité et à des économies.

Enfin, comme vous l'avez dit au sujet de la Turquie, il est essentiel que la France investisse davantage dans les langues qui sont parlées sur le territoire national. On recense plus d'un million de Turcs en France. Ils ne partagent pas toujours nos objectifs et nos valeurs, parce qu'ils subissent l'influence d'une presse qui ne nous est pas toujours très favorable. Il est donc très utile de les prendre en compte dans le développement de nos médias.

M. Jean-Noël Guérini, co-rapporteur. - Nous avons eu l'occasion de vous dire à maintes reprises combien le travail que vous accomplissez est remarquable, avec parfois très peu de moyens.

Avant de présenter notre rapport, la semaine prochaine, je souhaiterais éclairer mes collègues sur certains points. Pouvez-vous nous expliquer pourquoi le projet de COM indique que la masse salariale de France Médias Monde va continuer de progresser, alors qu'il prévoit parallèlement une diminution des effectifs ? Actuellement, on recense 1 700 agents, dont 1 000 journalistes.

N'est-il pas contradictoire de promouvoir tout à la fois la francophonie et le plurilinguisme ?

Quels sont les actions et les programmes spécifiquement menés par France Médias Monde pour lutter contre les fake news, et pour développer l'éducation aux médias ? Quelle est leur audience et comment leur impact est-il mesuré ?

Quant à la francophonie, vous dites toujours qu'elle est « votre ADN ». Pourriez-vous nous préciser concrètement votre vision dans ce domaine qui est la matrice de votre groupe ?

Enfin, ne croyez-vous pas que la prochaine présidence française de l'Union européenne en 2022 encouragera la tutelle de France Médias Monde dans la mise en oeuvre du projet « Enter ! » ? L'enjeu est de taille.

M. Gilbert Roger. - Grâce à sa distribution mondiale, France Médias Monde est très suivi dans les outre-mer. Les pages d'actualités de RFI et de France 24 évoquent sans doute trop peu cette région, et il n'existe pas encore à ma connaissance d'émissions exclusivement consacrées au traitement des sujets ultra-marins. L'impact économique pourrait pourtant porter sur les régions qui les entourent. Prévoyez-vous de développer davantage la visibilité des outre-mer sur les antennes du groupe ?

Mme Hélène Conway-Mouret. - Vous faites en effet des miracles, avec un budget portant des économies récurrentes et des millions, voire des milliards, de contacts quotidiens à gérer.

Comment parvenez-vous à concilier une demande exponentielle avec une réduction de personnel - notamment de journalistes, j'imagine -, alors que vous avez l'obligation de vous inscrire dans une transformation numérique qui requiert sans doute l'emploi de techniciens ? Ce sont bien les journalistes, et les humains en général, qui font vivre nos réseaux.

Sur le multilinguisme européen, pouvez-vous préciser les langues que vous allez promouvoir, outre l'espagnol et l'arabe ?

M. Joël Guerriau. - Vous avez évoqué les partenariats nécessaires au développement de la structure que vous présidez ; la crise sanitaire a donné naissance à de nouvelles pratiques, avec un usage accru du numérique. Comment celles-ci affectent-elles les missions internationales et les axes de développement stratégique de FMM ?

Mme Vivette Lopez. - Vous avez mis en place en 2017, avec deux grands médias européens, la Deutsche Welle et ANSA, le site d'information InfoMigrants. À l'heure de la covid et de la pression migratoire, quelles en sont les perspectives ?

M. Ronan Le Gleut. - Lors d'une visioconférence en format DG7, avec les groupes audiovisuels internationaux de service public que sont ABC Australia, CBC Radio-Canada, la Deutsche Welle, NHK World-Japan, BBC World Service et la US Agency for Global Media, vous aviez évoqué l'idée de créer une chaîne anti fake news sur le thème de la covid-19. Avez-vous avancé sur ce projet ?

M. Guillaume Gontard. - J'ai entendu vos inquiétudes concernant la situation après 2022 et la fin de la collecte de la redevance. Une question sur l'évolution de la masse salariale : vous évoquez une baisse d'activité en 2020 liée à la crise, mais les indicateurs ne semblent pas montrer cela. Le plan de réduction de la masse salariale, qui doit être mis en place cette année et l'année prochaine, est-il toujours pertinent face à la nouvelle situation consécutive au covid et au développement souhaité des médias numériques ?

S'agissant du développement de l'emploi numérique, de quoi s'agit-il exactement ? Quelle est l'évolution de sa part dans la masse salariale ?

M. Mickaël Vallet. - Vous avez évoqué le plurilinguisme et la lutte contre les infox. Sur le premier point, vous portez un discours essentiel pour ne pas tomber dans le piège de la francophonie à usage unique. La langue française à travers le monde, c'est le plurilinguisme, alors que nous connaissons de sottes polémiques sur l'enseignement des langues étrangères en France, comme le débat hystérisé sur l'enseignement de l'arabe dans le cadre de l'éducation nationale. Avec cette diffusion, vous faites donc oeuvre très utile.

Cela est d'autant plus vrai que chacun prend conscience des ravages que peuvent causer les réseaux sociaux en matière d'infox, alors même que ceux-ci ne sont que le deuxième étage d'une fusée dont le premier est la médiocrité des contenus diffusés sur les chaînes privées de la TNT, pourtant déployée sur moyens publics. En dehors des chaînes publiques, les contenus diffusés entretiennent la nostalgie, l'abêtissement, la culture du clash, et sont anxiogènes. Il est donc fondamentalement important de disposer de médias comme ceux de FMM, qui portent une voix républicaine. Une de vos émissions phares s'appelle Merci professeur ; je dirais quant à moi : merci France Médias Monde !

S'agissant des moyens réduits dont vous disposez, qui en est responsable ? Il faut bien que quelqu'un décide des moyens qui vous sont affectés. Pour vous aider à pousser les feux sur ces questions, pourriez-vous nous faire part d'un projet qui vous semble essentiel, mais que vous ne pouvez pas développer faute de moyens ?

M. Yannick Vaugrenard. - Chacun sait que se déroule une guerre d'influence et de communication sur l'Afrique, menée en particulier par la Russie et par la Chine. Dans ce cadre, il importe souvent de rétablir la vérité ou, tout au moins, que vous vous fassiez votre propre vérité. Quels contacts entretenez-vous à cette fin avec les représentants des militaires français au Sahel ?

M. Pierre Laurent. - Il reviendra au Parlement de décider du devenir de la redevance. Existe-t-il un consensus entre les sociétés de l'audiovisuel public pour plaider pour le maintien d'une redevance, c'est-à-dire d'une ressource affectée, ou est-ce que tous les compteurs sont remis à zéro et toutes les options possibles ? Sur quelles bases la discussion se déroule-t-elle ?

M. André Gattolin. - On parle souvent de FMM et de France 24 comme d'un média africain, mais sur ce continent, nous sommes de plus en plus concurrencés par Chine Nouvelle, Sputnik ou RT News, dont la diffusion sur les réseaux sociaux est plus intense que la nôtre. Qu'en est-il de ces nouveaux canaux ? Dans certains pays, qui ne sont pas vraiment démocratiques, nous avons opté pour des fréquences FM, ce qui suppose que nous fassions preuve d'une certaine bienveillance envers les gouvernements en place ; or ces radios ne sont plus écoutées. Lors de la polémique sur le franc CFA lancée par le ministre des affaires étrangères italien, nous avons ainsi constaté que nous étions distancés parce que la jeunesse allait sur les réseaux sociaux écouter les messages en français de Chine Nouvelle ou de Sputnik. Quelle est la stratégie en matière de systèmes de diffusion au niveau du groupe ?

Mme Marie-Christine Saragosse. - Mme Joëlle Garriaud-Maylam, en effet, le COM est court - deux ou trois ans -, ainsi que la loi le permet. Le précédent était de cinq ans, celui d'avant de trois ans. La vraie question est toutefois l'avenir de la redevance, j'y reviendrai.

Nos perspectives de ressources propres augmentent : un des indicateurs montre qu'elles passent de 11,4 millions d'euros à 12,8 millions d'euros. C'est beaucoup, dans la mesure où il n'existe pas de marché publicitaire international, où nous sommes multilingues, où la problématique de chaque pays est spécifique. Il n'existe pas de régie internationale compétente en toutes langues et en tous territoires et les marques, très souvent, n'ont pas de stratégie mondiale ; c'est un marché difficile dans lequel le privé ne se risque pas, alors que les grands médias internationaux plurilingues sont souvent financés sur fonds publics. Pourtant, nos ressources propres augmentent.

Les subventions des bailleurs de fonds ont, elles, plus que doublé, en raison de l'impact de l'AFD sur le financement du projet Afri'Kibaaru et de l'Union européenne. Nous sommes allés chercher des ressources-relais pour ces projets, compte tenu de la baisse de la redevance. Toutefois, les financements par projet doivent sans cesse être renégociés, et ne nous permettent pas d'agir dans la sérénité.

Il en va de même s'agissant d'InfoMigrants, dont les budgets sont négociés tous les deux ans. Nous venons d'obtenir confirmation du soutien de la Commission européenne pour 2021-2022. Ce projet représente 76 millions de contacts annuels en 2020, dans une population mobile et difficile à toucher. La Commission européenne semble contente et nous a demandé de lancer un nouveau développement en bengali. Avec InfoMigrants, nous luttons contre les infox et contre les passeurs et nous faisons de la sensibilisation aux valeurs et aux modes de vie européens. Cependant, comme pour les autres projets, et contrairement à ce que finance la redevance, sa reconduction n'est jamais garantie.

En ce qui concerne Arte, la partie du COM relative aux coopérations prioritaires n'indique pas, c'est vrai, que nous coproduisons dix grands reportages. Arte apprécie que ses équipes soient arrimées à notre direction de la sûreté, et nous remportons des prix ensemble, ce n'est peut-être pas assez dit. La commission pourrait utilement suggérer une rédaction sur ce point.

Monsieur Guérini, s'agissant des coûts de structure et de la masse salariale, le premier élément à intégrer - ce n'est pas facile - est que la masse salariale ne constitue pas pour nous un coût de structure, car nous avons plus de 60 % de journalistes. Il s'agit donc d'un coût de programmes. La masse salariale représente 55 % des dépenses du groupe, mais pas 55 % des coûts de structure, car nous produisons directement nos contenus en multilingue. Sans masse salariale, il n'y aurait pas de contenu. C'est pourquoi l'État ne nous a pas attribué le même indicateur concernant l'allocation de nos ressources au contenu, mais un indicateur d'efficience qui rapporte les dépenses au nombre de contacts hebdomadaires et qui est en baisse, car nos dépenses diminuent alors que nos contacts hebdomadaires augmentent. D'autres médias rendront compte de leurs dépenses de programmes : Arte et France Télévisions achètent des programmes, mais ce n'est pas notre cas. Il y avait une contradiction à nous demander de diminuer notre masse salariale tout en augmentant nos dépenses de programmes, que l'État a levée en nous imposant d'autres indicateurs.

Il existe une autre contradiction apparente : les effectifs baissent en équivalents temps plein alors que la masse salariale augmente un peu en valeur, de 0,4 % par an. Précisons que, en 2020, nous avons créé un revenu de solidarité pour les non-permanents. Ainsi, les correspondants à l'étranger dont la situation était parfois très difficile durant la pandémie bénéficient d'un revenu de sécurité.

Nous avons joué un rôle d'anticorps social sur notre propre budget, sans faire appel au chômage partiel. Beaucoup d'intermittents n'ont pas travaillé en 2020, mais nous leur avons maintenu un revenu minimum.

Quelque 70 % de nos personnels sont des journalistes ; or la Convention collective nationale des journalistes prévoit qu'ils perçoivent une prime d'ancienneté qui représente 1 % de leur salaire de base par an. C'est une mesure réglementaire qui contribue au glissement de la masse salariale à effectifs constants. Notre masse salariale glisse cette année de 1,7 million d'euros, mais pour économiser 1,5 million d'euros, nous devrions supprimer quinze postes... Pendant le confinement, nos personnels ont peu posé de congés : nous avons donc dû provisionner et cela impacte aussi notre masse salariale. Nos effectifs baissent en raison du plan de départ, mais nous allons néanmoins créer des postes dans deux secteurs : d'abord, dans les fonctions support - technique, ressources humaines, achats - pour répondre à la demande de nos tutelles qui considèrent que nous avons trop sacrifié nos coûts administratifs au profit des coûts de contenus ; ensuite, dans le numérique en 2022 - community managers et développeurs. Il est difficile d'isoler les effectifs qui contribuent au numérique, car nous travaillons tous sur cette dimension et tous nos contenus se déclinent en numérique, dans un but éditorial cohérent et multilingue.

La francophonie est la matrice de notre stratégie. Depuis que je suis arrivée, nous ne tenons plus aucune conférence de rédaction en anglais...

M. Christian Cambon, président. - Très bien !

Mme Marie-Christine Saragosse. - Tous nos personnels - 60 nationalités, 18 langues - ont la possibilité d'apprendre le français, notamment en formation continue. C'est notre langue de communication interne. Les chaînes de France 24 en anglais et en arabe sont diffusées sur 24 heures, mais toutes les autres langues s'insèrent dans les programmes en français. Le français est accessible partout où nous sommes. L'un d'entre vous a affirmé que la langue de la France était le multilinguisme... C'est un peu provocateur, mais très beau et très intéressant. Aucune chaîne anglaise ou arabe ne montre de caricatures, ne défend la laïcité, ne parle de l'art de vivre à la française ou n'évoque ce lien particulier à la liberté qu'entretient cet enfant terrible du monde qu'est le peuple français.

Notre travail sur les langues africaines ne se fait pas contre le français : en Afrique, le français n'est pas toujours la langue maternelle ; il faut parler à ces populations dans leur langue, c'est une question de reconnaissance de leur identité et de leur culture et ils nous en remercient. FMM est très présent sur les réseaux sociaux. La moyenne d'âge des auditeurs francophones de RFI ou de France 24 est de 34 ans en Afrique, et 30 % des moins de 25 ans écoutent RFI tous les jours. Les langues africaines sont un outil pour toucher cette jeunesse et contrecarrer les manipulations contre la France. Nous interviewons les militaires et nous produisons une information qui respecte notre déontologie de grande démocratie : une information indépendante, honnête, vérifiée et équilibrée. La parole est donnée à ceux qui ne pensent pas comme nous. La démocratie, c'est aussi une dysharmonie, une cacophonie. C'est ainsi que nous aidons tous ceux qui sont victimes des manipulations malveillantes d'autres médias que je ne citerai pas.

La France doit faire entendre sa voix dans toutes les langues et tous les pays. Et ceux qui ne parlent pas le français ont aussi le droit d'avoir les clés de compréhension de notre pays.

Chaque jour, RFI dédie des pages entières d'information aux outre-mer, en lien avec les radios 1ère qui font partie de France Télévisions. Nous diffusons quotidiennement des journaux de l'outre-mer. France 24 a accès aussi aux contenus de France Télévisions sur l'outre-mer pour ses journaux. Nous avons le projet d'une émission hebdomadaire sur l'outre-mer sur France 24 : nous y travaillons, mais avons pris du retard en raison de la pandémie ; son lancement est prévu en 2021. C'est important de parler des outre-mer dans leurs grandes régions d'insertion et à l'international.

Pendant la présidence française de l'Union européenne, il faudra aller chercher les jeunes européens qui ont la chance de vivre sur des terres humanistes. Les langues parlées seront le polonais, le roumain, l'anglais, l'allemand, le portugais et le français. Nous travaillons avec des partenaires dans chaque pays - Konbini pour la France. Les thématiques seront celles qui intéressent le plus les jeunes : la tech, le réchauffement climatique, le monde du travail, les émotions et les peurs... Chaque jeune s'exprimera dans sa langue. Nous privilégions la traduction contre le monolinguisme. Ce sont des idées que nous portons avec la délégation générale à la langue française et aux langues de France (DGLFLF) et l'Organisation internationale de la francophonie (OIF).

Nos audiences sont en pleine expansion. Avec les mêmes moyens, nous sommes donc plus efficients : nous satisfaisons un nombre croissant de public, qui nous fait confiance. Il y a un très fort engagement de nos équipes : leur expertise et leur courage m'impressionnent. Je pense notamment à leur action dans les zones dangereuses du globe : ils refusent que le silence s'y installe. Pour eux, c'est plus qu'un métier.

L'intelligence artificielle ne se substitue jamais aux journalistes, mais si un excellent article sur l'Iran paraît en persan - avec un pitch accessible en français -, les journalistes qui travaillent dans d'autres langues pourront s'en saisir, grâce à une traduction automatique. Le journaliste fera alors son travail de contrôle éditorial, de contextualisation et de pédagogie. Ces techniques facilitent le travail des journalistes, mais le respectent aussi.

Un DG7 s'est tenu en mai dernier en vidéoconférence. Nous jouons notre rôle contre les fausses informations, mais n'envisageons pas de chaîne commune, car notre seule langue commune serait l'anglais - j'ai néanmoins imposé que les communiqués de presse soient également publiés en français. Dans quelle langue une telle chaîne commune serait-elle diffusée ? La lutte contre les fake news doit se faire au plus près des populations, linguistiquement, géographiquement, culturellement. Je suis prête à en reparler avec vous.

Nos audiences ont considérablement crû cette année. En mars-avril, nos audiences numériques ont ainsi été multipliées par 4. Mais, d'un autre côté, nous avons réalisé moins de missions, nous avons reporté des recrutements, nous avons fait moins de liaisons, de grands évènements - comme l'euro de football ou les jeux Olympiques (JO) - ont été reportés en 2021. Nous avons enregistré un résultat bénéficiaire de 5,4 millions d'euros en 2020, en dépit des surcoûts liés à la covid et de la baisse de nos recettes publicitaires. Nous avons donc connu une baisse d'activité et une explosion de l'audience : c'est paradoxal en cette année dramatique... FMM a rétabli sa situation financière et a pu reconstituer ses fonds propres, sur lesquels l'intégralité du plan de départ avait été provisionnée en 2019. Notre trajectoire financière est saine. Pour 2021, le COM prévoit un déficit prévisionnel, mais nous devrions pouvoir compter sur des ressources supplémentaires et de moindres dépenses. En outre, je crains que certains évènements reportés en 2021 n'aient pas lieu : l'euro de football, les JO, les festivals de Cannes ou d'Avignon. La Coupe d'Afrique des nations (CAN) est d'ores et déjà reportée à 2022...

Jusqu'en 2009, RFI avait une rédaction turque. J'aimerais pouvoir reconstituer une rédaction numérique en turc, mais aujourd'hui je n'ai pas les moyens de la financer.

Le consensus de nos sociétés publiques sur la redevance était manifeste lors de notre audition par la commission de la culture, de l'éducation et de la communication du Sénat la semaine dernière. Il y a une convergence sur l'idée de ne pas augmenter le taux, mais d'en élargir l'assiette en 2023, compte tenu des changements d'usages. Cela fait longtemps que ce sujet est pendant, mais la disparition de la taxe d'habitation lui redonne une actualité. Le Parlement devra avoir son mot à dire sur cette question.

Je vous remercie pour votre soutien constant et la pertinence de vos questions. Je serai très heureuse de vous accueillir à FMM dès que cela sera possible.

M. Christian Cambon, président. - Je souhaite aussi que nos collègues vous rendent visite dans vos locaux, afin de bien comprendre avec quels moyens réduits vous réussissez à faire un travail extraordinaire.

Je vous réitère la confiance de notre commission, sensible à la force des messages que vous portez. La voix de la France est audible et respectée. Vos propos ne plaisent pas toujours, mais il faut une diffusion objective de l'information. Et c'est votre règle d'or.

Vous l'avez rappelé : pour économiser 1,5 million d'euros, il faut supprimer quinze postes... Nous resterons attentifs à ce que les moyens vous soient donnés.

La semaine prochaine, nous entendrons l'avis de nos deux rapporteurs sur le COM et nous nous prononcerons sur celui-ci.

Merci d'être un élément essentiel du rayonnement de la France. La semaine dernière, le président du Parlement de Tobrouk, reçu par le président du Sénat, nous l'a rappelé. Ne relâchons pas nos efforts pour que cette francophonie reste vivante.

Ce point de l'ordre du jour a fait l'objet d'une captation vidéo qui est disponible en ligne sur le site du Sénat.

Déplacement en Guyane - Communication de MM. Christian Cambon et Cédric Perrin, Mme Hélène Conway-Mouret, MM. Jacques Le Nay et Richard Yung

M. Christian Cambon, président. - Avec nos collègues Cédric Perrin, Hélène Conway-Mouret, Jacques le Nay et Richard Yung, nous nous sommes rendus en Guyane du 11 au 15 décembre dernier.

Cette mission s'inscrit dans le cadre de nos déplacements auprès des unités françaises engagées en opérations. J'ai souhaité conduire cette mission conjointement avec la présidente Françoise Dumas et une délégation de nos collègues députés de la commission de la défense, ce qui lui a donné une grande force symbolique vis-à-vis de nos forces armées. C'est donc une délégation de 10 parlementaires, 5 sénateurs et 5 députés (Françoise Dumas, Josy Pouyeto, Jean-Marie Fievet, Claude de Ganay et André Chassaigne nous accompagnaient), qui se sont rendus auprès des forces armées en Guyane, les FAG.

Nous nous sommes rendus successivement à Cayenne, à Maripasoula, qui est un point de contrôle sur le fleuve Maroni, et une base avancée pour l'opération Harpie vers le coeur de la forêt équatoriale, et enfin à Kourou où se trouve le centre spatial guyanais.

Dans le cadre des attributions de notre commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées, nous poursuivions trois objectifs :

- évaluer la mise en oeuvre de l'opération « HARPIE » de lutte contre l'orpaillage clandestin ;

- évaluer le dispositif de sécurisation du centre spatial guyanais de Kourou, dans le cadre de l'opération « Titan » ;

- évaluer l'opération « Polpèche » de lutte contre le pillage de nos ressources halieutiques car nous avons là une zone économique très importante.

Nous nous sommes également intéressés au service militaire adapté, le SMA, qui produit en Guyane, comme dans les autres collectivités d'outre-mer, d'excellents résultats, et à la lutte contre le narcotrafic, dans la suite du rapport remarquable de nos collègues Antoine Karam et Olivier Cigolotti sur les « mules » qui transportent en quantité industrielle la cocaïne jusqu'aux marchés de consommation en Europe. On estime de 10 à 20 passagers de chaque vol Air France revenant de Guyane le nombre de « mules » qui reviennent sans être inquiétées.

La seule grande problématique de ce territoire que nous n'avons pas pu aborder est l'immigration illégale. Compte tenu de ses 1 500 km de frontières poreuses avec ses voisins, certains comparent la situation en Guyane à celle de Mayotte avec les Comores. Les gendarmes ont chiffré à 100 000 le nombre d'illégaux, pour 300 000 habitants. C'est donc un vrai sujet, mais nous avons logiquement concentré les 4 jours d'une visite déjà très dense sur l'action des forces armées, d'autant que la commission des lois a publié un rapport en 2020 sur la Guyane qui traite cet aspect.

Je vais laisser mes collègues développer chacun de ces points, me contentant de mettre en avant en introduction trois points saillants :

D'abord la spécificité géographique de la Guyane, qui est un département d'outre-mer mais pas une île. Cette réalité physique emporte plusieurs conséquences : la porosité avec les voisins, d'abord. Le territoire du département fait partie intégrante du plateau des Guyanes partagé, pour l'essentiel, avec le Brésil, le Surinam et le Guyana. Il est recouvert à 96 % par la forêt amazonienne qui est à la fois un milieu très difficilement pénétrable et contrôlable mais aussi un atout extraordinaire pour notre planète du fait de sa biodiversité. C'est le plus grand département français (82 000 km²). Il est relativement peu peuplé avec environ 300 000 habitants mais connait un très fort taux de progression démographique, qualifié de tsunami par nos interlocuteurs sur place, qui le met sous pression.

Ses « frontières » n'en sont pas vraiment. La Guyane est séparée des pays limitrophes à l'ouest par le fleuve Maroni, vers le Suriname, et à l'est par le fleuve Oyapok, vers le Brésil. Or ces fleuves ne sont pas des barrières naturelles, mais au contraire des axes essentiels de communication, dans un département grand comme le Portugal et où le réseau routier est limité à deux routes nationales en frange côtière. Le principal moyen de déplacement en Guyane est donc la pirogue sur les fleuves et rivières.

De ces contraintes naturelles, il ressort que l'aéromobilité des personnes, mais surtout des opérations, est essentielle. Partout, l'hélicoptère est la ressource rare, aussi bien pour les opérations que pour les évacuations sanitaires.

D'ailleurs les frontières ne sont pas totalement fixées : la frontière à l'est, sur le Maroni, entre la Guyane et le Suriname, fait depuis deux ans l'objet d'une négociation diplomatique menée par l'ambassadeur Antoine Joly, en poste au Suriname, à Paramaribo, en liaison avec le ministère des outre-mer, pour définir une délimitation conjointe. Cette mission entre dans sa phase finale et permettra de stabiliser le périmètre géographique de l'opération Harpie, s'agissant notamment des ilets sur le fleuve Maroni. Ainsi les populations du fleuve, les « Wayanas » et les « Marrons » en particulier, vivent sur les deux rives du Maroni. Bien plus que de partager une frontière, nous partageons avec le Suriname une population. Nos propres résidents français habitent parfois au Suriname, car la vie y est moins chère qu'en Guyane.

La délimitation résulte d'un arbitrage du Tsar Nicolas II de 1891 qui avait donné raison aux néerlandais, nos voisins d'alors. Il était urgent d'y voir clair, d'où ce très important travail diplomatique pour délimiter la frontière de façon concertée avec nos voisins surinamais.

Délimiter cette frontière est cruciale car le fleuve est l'objet d'une vive convoitise de la part des chercheurs d'or qui utilisent d'énormes barges (jusqu'à 40) et en empoisonnent les eaux au mercure. Or, ces parties du fleuve comptent 950 ilets, dont certains sont habités. C'est de l'ordre de 10 000 km2 de superficie qui sont en jeu entre la France et le Suriname.

Je précise qu'au vu de ses réserves en hydrocarbures, récemment découvertes, le Suriname sera demain une véritable puissance pétrolière, un « petit Koweit », suivant les mots du président de la collectivité territoriale de Guyane.

Deuxième point saillant, la Guyane se trouvant sur le territoire national, les opérations des forces armées sont des opérations intérieures, conduites avec la gendarmerie nationale. L'utilisation de la force est donc soumise à la légitime défense, bien que les difficultés du terrain et la dangerosité des actions qui sont menées soient comparables à celles d'une OPEX. Le coût humain de l'opération est d'ailleurs élevé : 7 militaires sont morts depuis le lancement de l'opération en 2008 : 3 sapeurs du 19e RG sont morts dans la fouille d'un puits le 17 juillet 2019 et 4 autres militaires sont morts entre 2012 et 2018, dont deux tués par des orpailleurs.

La collaboration très étroite avec les forces de gendarmerie est systématique : les gendarmes sont intégrés aux opérations. Ils font fonction d'OPJ, ce que ne peuvent pas faire les forces armées. De la même façon, l'action judiciaire est enserrée dans le cadre protecteur pour les libertés publiques qui est celui du territoire national, et c'est clairement une contrainte. Les textes français sont évidemment appliqués, mais il faudrait peut-être un peu de prise en compte des spécificités. Le Procureur de la République a souligné un point : c'est le seul territoire qui ne fait l'objet d'aucune disposition au sein du code de procédure pénale alors que tous les DOM TOM font l'objet de dispositions particulières. Ceci gêne évidemment les acteurs de la justice.

La contrepartie positive c'est une collaboration étroite entre tous les acteurs de l'État, qui nous ont donné le sentiment d'agir en grande synergie. Nous avons notamment eu une réunion sous co-présidence préfet-procureur qui nous a laissé un sentiment de grande fluidité entre tous les acteurs : gendarmerie, police aux frontières, douanes, justice, police nationale, préfecture.

Troisième point saillant : l'effort de l'État en Guyane est significatif, les moyens déployés sont importants.

Le ministère des armées à lui seul engage en Guyane 2 300 militaires et civils.

2 300 militaires et 600 gendarmes pour 300 000 habitants : c'est un ratio six fois plus important qu'en métropole ! Ces chiffres feraient rêver plus d'un maire de nos communes, mais les problématiques sont aussi assez différentes. Évidemment la croissance démographique, à l'ouest du pays principalement, et l'immigration illégale croissent plus vite que les services publics. La criminalité aussi, malheureusement, en particulier le trafic de drogue. Mais enfin l'État consacre quand même à la Guyane des moyens importants. Nous n'avons pas toujours trouvé dans la communication de tous les élus sur place une reconnaissance publique très aiguë de cet effort, aussi il est très important que le Sénat le dise.

A 7 000 km de la métropole, les Forces armées en Guyane, les FAG, ont une activité opérationnelle continue, et très élevée, très appréciée des militaires qui y participent, jusqu'aux actions de vive force, qui sont des actions « de guerre ». C'est une action interministérielle, conduite avec le Préfet, au service d'une stratégie globale, définie par l'État pour le département, qui comporte quatre volets. Au sein des forces armées elles-mêmes, du fait de l'éloignement d'avec la métropole, le COMSUP a la main sur les services de soutien des armées, ce qui est un gage d'efficacité.

Je précise que les forces armées n'ont évidemment pas vocation à conduire des missions d'ordre public ou de contrôle des frontières, mais que dans le cadre de l'opération « Résilience » lors de la crise sanitaire, des moyens des FAG ont été exceptionnellement engagés en appui de la police aux frontières pour le contrôle des frontières franco-surinamaise et franco-brésiliennes.

M. Cédric Perrin. - Ce déplacement fut extrêmement intéressant et enrichissant. L'orpaillage illégal constitue un véritable cancer économique et social que les forces armées en Guyane s'attachent, sinon à éradiquer, du moins à réduire.

Sur une surface, la Guyane, équivalente à la région Nouvelle Aquitaine, ou à celle du Portugal, la surface aurifère est grande comme la Suisse. Ce sont environ 400 militaires qui sont en permanence chargés de la contrôler, à pied, en pirogue ou, plus rarement, en hélicoptère, car il n'y a pas de route. Sauf exception, le matériel des orpailleurs, les Garimpeiros, est détruit sur place car il est trop couteux de l'extraire de la forêt.

On estime à 120 tonnes d'or primaire le stock d'or à exploiter en Guyane, sans compter l'or secondaire contenu dans les alluvions où les dépôts fluviaux. L'or a été projeté sur la terre par une collision de météorites. La quantité totale d'or présente sur terre est de 250 000 tonnes, dont 160 000 ont déjà été extraites. Compte tenu de l'amélioration du rythme d'extraction en raison d'une forte demande de la Chine, dans 16 ans, il pourrait ne plus y avoir d'or à extraire.

En conséquence, les cours montent, et n'ont pas fini de monter, rentabilisant l'extraction clandestine, même si l'action de nos soldats en alourdit le coût par destruction de matériel.

Les zones aurifères sont largement situées au coeur du parc amazonien de Guyane. Chaque année, on estime à une dizaine de tonnes d'or l'exploitation clandestine en Guyane, contre seulement deux tonnes légales. Ce sont environ 10 000 travailleurs clandestins qui sont dans la forêt Guyanaise, sur 400 sites actifs, pour l'essentiel d'origine brésilienne, et surinamaise. Le Brésil a quasiment complètement éradiqué l'orpaillage sur son territoire, d'où l'arrivée des Brésiliens en Guyane. Cette activité illégale génère, par ailleurs, une activité très importante en matière d'approvisionnement et de fournitures. On estime qu'il faut 10 000 litres de carburant pour extraire 1 kg d'or. 1 gramme d'or extrait en forêt se paye entre 18 et 27 euros, contre 50 pour le cours officiel, soit une recette de 100 000 euros tous les 20 jours, captée à 60 % par les commanditaires des orpailleurs.

Les Garimpeiros, sont pour la plupart miséreux et exploités, parfois soumis au travail forcé : ils sont donc également des victimes et présentent généralement un statut sanitaire précaire susceptible de contribuer à la propagation des maladies.

L'orpaillage clandestin entraîne une augmentation de la criminalité et de la délinquance. Autour des sites abritant les comptoirs logistiques mis en place par la filière minière clandestine - comme ceux que l'on peut observer sur la rive brésilienne de l'Oyapock ou sur la rive Surinamienne du Maroni - se développent des réseaux de drogue, de prostitution ainsi que des trafics d'armes. La violence, qui s'exerce également entre travailleurs clandestins, touche naturellement les populations locales. Cela se traduit, notamment, par des vols de moteurs de bateaux, mais également par des assassinats. Les communautés amérindiennes de Guyane sont très majoritairement opposées à ces activités illégales qui provoquent des conflits en occupant les terres, en dégradant un milieu naturel auquel ils sont particulièrement attachés et en exerçant des pressions sur les ressources de pêche et de chasse dont ils tirent leur subsistance.

Ce sont l'ensemble de ces conséquences qui permettent de dire que l'orpaillage clandestin est un véritable fléau qu'il convient d'éradiquer. C'est la raison pour laquelle l'État met en oeuvre des moyens importants pour lutter contre ce phénomène.

C'est donc l'opération « Harpie », lancée officiellement en février 2008, opération interministérielle de grande envergure qui vise à éradiquer l'orpaillage illégal. Elle est menée conjointement par les forces de l'ordre (police aux frontières, gendarmerie), les FAG et la justice.

Elle est placée sous l'autorité du préfet et du procureur de la République pour la partie judiciaire.

À partir d'octobre 2017, le dispositif Harpie a été rénové, complété et adapté afin qu'il ne soit pas uniquement une réponse sécuritaire, mais une approche globale mieux coordonnée et articulée selon trois axes : l'axe économique et environnemental, l'axe sécuritaire et judicaire, auquel contribuent les FAG, la police nationale, la gendarmerie nationale, les douanes, la justice, le parc amazonien guyanais (PAG), l'Office National des Forêts, et enfin l'axe diplomatique décrit par le Président Cambon.

Un état-major de lutte contre l'orpaillage illégal a été créé autour du préfet de région et du procureur de la République, avec un centre de commandement opérationnel de la Gendarmerie Nationale co-localisé avec l'état-major des FAG.

Harpie est mise en oeuvre par le 9Régiment d'Infanterie de Marine (RIMa) et le 3Régiment Etranger d'Infanterie (REI), renforcés par des compagnies tournantes en provenance de métropole. Lors de notre passage, il y avait, je crois, le 152RI de Colmar et le 19RG de Besançon.

En moyenne, 250 à 300 hommes sont déployés chaque jour, en permanence. Harpie vise à faire un cordon sanitaire sur le pourtour de la zone aurifère par des points de contrôle sur les rivières, et des opérations coup de poing en forêt. Les opérations sont conduites à partir de bases opérationnelles avancées dans la forêt, le long des grands fleuves, à l'Ouest Maripasula, sur le Maroni, à l'Est à Saint Georges et à Camopi, sur le fleuve Oyapok.

C'est une opération du « haut du spectre » : une opération de guerre menée en temps de paix sur le territoire national.

Les moyens aériens dont disposent les forces sont de 3 avions de transport Casa, 5 hélicoptères Puma, 4 hélicoptères Fennec, deux radars de contrôle aériens qui sont les seuls disponibles dans la sous-région.

Je relève plusieurs capacités originales, appelés « moyens spécialisés ». D'abord les chiens, très utiles : la compagnie cynophile aide à repérer les caches de carburant, d'explosifs et de mercure. 280 000 litres de carburant ont été saisis cette année.

Une compagnie de réservistes, composée de natifs de la région, est une aide très précieuse pour la connaissance du milieu équatorial.

Par ailleurs, les conducteurs de pirogues, qui sont en fait de véritables guides, ont le statut de personnels civils de la défense. Leur connaissance du fleuve est irremplaçable et conditionne la possibilité d'y naviguer.

Des unités d'action renforcées sont capables de mener des opérations commando et des plongeurs de combat du génie permettent des pénétrations fluviales en toute discrétion sur certains lieux. Les modes d'action de Harpie sont des patrouilles de plusieurs jours en forêt, du contrôle de zone, des barrages fluviaux, des embuscades. Les vecteurs de déplacement : à pied, en pirogue, en quad, en kayak, et, plus rarement, en hélicoptère.

En 2019, Harpie a réalisé 1 500 patrouilles, et le bilan est similaire à celui de 2018 : 1 824 grammes d'or ont été saisis, 3 135 « carbets » c'est-à-dire huttes ont été détruites, 45 concasseurs, 427 moteurs, 319 motopompes, 320 groupes électrogènes, 2 barges fluviales ont été saisies, 555 tables de levées qui servent à orpailler, 58 tonnes de vivres, 46 kilos de mercure ....

Les difficultés remontées par les forces sont les suivantes : les distances à couvrir sont immenses et induisent une forte dépendance aux vecteurs aériens, les transmissions sont difficiles, la nécessité d'être accompagnés en patrouille par des gendarmes et des médecins dimensionne, c'est-à-dire limite, les patrouilles. Un ajout récent de 6 nouveaux officiers de police judiciaire a levé un frein qui existait en la matière. Chaque patrouille doit être accompagnée d'un gendarme et d'un OPJ pour constater et mettre en oeuvre les actions judiciaires. Les moyens du Parquet ne sont pas dimensionnés pour permettre une réactivité suffisante notamment en matière de réutilisation après saisie. Les actions sur la frontière sont limitées par l'incertitude du tracé.

Le point noir est évidemment, cela n'étonnera personne dans la commission, la disponibilité des hélicoptères. L'âge moyen de la flotte est de 44 ans. Pour les Puma, il faut 18 heures de maintenance pour une heure de vol, et la disponibilité était de 38 % en 2018, 46 % en 2019, 47 % en 2020. Nous avons décortiqué les causes avec le commandant de la base aérienne et on retrouve toujours les mêmes causes : disponibilité des pièces de rechange, vétusté des matériels. On ne peut pas faire de miracles avec des appareils de 44 ans d'âge !

Les Casa c'est un peu mieux, la disponibilité oscille ces trois dernières années entre 50 et 70 %.

Cette faible disponibilité a évidemment des conséquences opérationnelles. Les évacuations sanitaires covid ou hors covid sont prioritaires, je rappelle qu'il n'y a ni service de cardiologie ni service de neurologie ni service de néo natalité en Guyane, il faut évacuer vers les Antilles ou la métropole, et donc les opérations militaires passent après s'il le faut. Le ravitaillement des soldats en forêt en souffre également. Nous avons rencontré des militaires du 3REI qui rentraient de la forêt équatoriale et qui étaient en forêt depuis 72 jours en autonomie totale parce qu'ils n'avaient pas pu être évacués par manque de disponibilité des hélicoptères.

Les Puma seront remplacés par des H225 Caracal entre 2023 et 2025 si tout va bien, et les Fennec par des HIL à compter de 2030.

Notre appréciation globale sur Harpie c'est que cette opération ne permet que de maintenir l'orpaillage à bas niveau, mais pas de l'éradiquer. Mais c'est déjà un résultat car sans Harpie la forêt amazonienne serait littéralement décimée en Guyane.

Le coût annuel de Harpie est de 55 millions d'euros par an.

Je termine en précisant que le système de rémunération des militaires est défavorable en Guyane où le taux de majoration des soldes n'est que de 25 % , contre 40 % pour les autres outre-mer, alors que le coût de la vie y est cher car tout est importé ; on parle de plus de 40 % de surcoût par rapport à la métropole. Les indemnités de service en campagne sont fiscalisées alors que Sentinelle, qui est aussi une mission intérieure, ne l'est pas.

L'absence de structures de garde d'enfants est pénalisante ; la ministre venait d'ailleurs de poser la première pierre d'une crèche pour les familles de militaires la semaine où nous sommes allés en Guyane.

Mme Hélène Conway-Mouret. - La première mission des forces armées en Guyane est de protéger Kourou. En 1964, le gouvernement français a décidé de se doter d'un centre de lancement d'engins spatiaux pour succéder à la base d'Hammaguir, implantée dans le Sud algérien. Le choix s'est porté sur la région de Kourou en Guyane, qui dispose d'atouts uniques pour mener des opérations de lancement en raison de sa proximité avec l'équateur, favorable pour les lancements vers l'Est des satellites géostationnaires, d'une vaste zone de savanes peu habitées, de conditions météorologiques favorables et d'une façade maritime largement ouverte sur l'Océan Atlantique, qui permet de réaliser des lancements sur toutes les inclinaisons et en toute sécurité.

Le CNES s'est vu confier la construction de l'ensemble du Centre Spatial Guyanais (CSG) ainsi que des principales infrastructures nécessaires au soutien de l'activité spatiale (logements, réseaux, installations portuaires, hôpital...) transformant ainsi le bourg de Kourou en une ville de plusieurs milliers d'habitants. Le CSG, que nous avons visité, s'étend sur 700 km², soit 1 % de la superficie de la Guyane et 40 km de bande côtière. Dès 1968, un premier lancement de fusée sonde y était effectué et en 1970, le premier lancement de satellites avait lieu avec un lanceur Diamant.

La contribution des armées à la sécurisation du site de Kourou remonte au 1er lancement de la fusée Ariane 1 le 24 décembre 1979. Cette contribution est dénommée « opération Titan » depuis 2008. Ce nom fait référence au plus gros coléoptère du monde, emblématique de la Guyane, le « Titanus Giganteus ».

Kourou est le « port spatial » de l'Europe et c'est donc un site stratégique. L'opération « Titan » rythme la cadence opérationnelle des forces armées en Guyane ; il s'agit de contrôler 700 km2 60 jours par an dans les trois dimensions. En 2019 le CSG a procédé au lancement de 9 fusées (4 ARIANE, 3 SOYOUZ et 2 VEGA). La cadence de déploiement va d'ailleurs augmenter avec Ariane 6.

En 2019, les FAG ont engagé en permanence 25 hommes/jour dans les trois milieux terrestre, aérien et maritime. Selon le calendrier des transferts et des lancements de fusée, les forces armées déploient en supplément environ 250 hommes pendant en moyenne 32 jours par an.

La protection terrestre du site est principalement assurée par les légionnaires du 3REI. Depuis octobre 2011 et la nette augmentation de la zone de protection terrestre liée au premier vol du lanceur russe Soyouz depuis la Guyane, le 9e RIMa contribue également à la protection du site.

La marine intervient à chaque lancement dans le cadre d'une zone maritime d'exclusion surveillée à la fois par une vedette côtière de surveillance maritime et un patrouilleur léger guyanais (PLG) ;

Pour le volet aérien, les deux radars du centre de contrôle militaire assurent en permanence la surveillance du ciel de manière à garantir la sécurité aérienne du centre spatial. La bulle de protection aérienne militaire du centre spatial doit permettre de faire face à tous types de menaces et être en mesure d'intercepter, de dérouter, voire de neutraliser, un appareil intrus.

Les déploiements TITAN sont un impératif : ils sont prioritaires. L'engagement sur les autres missions dépend de TITAN.

En fonction du niveau de menace et de la criticité de la charge utile, des renforts extérieurs venant de métropole peuvent être demandés, par exemple déploiement de capacités de surveillance aérienne, de police de l'air (Rafale), de ravitaillement (C135, MRTT) et d'avions Awacs. Le dernier déploiement de cette sorte a eu lieu en 2018.

La responsabilité de la lutte anti-drones a été attribuée par le CNES et par délégation aux forces de sécurité intérieures (la gendarmerie) dans leurs zones d'actions respectives. TITAN en est donc déchargé et ne possède pas d'équipements particuliers alloués à cette tâche. Le coût annuel est de 37 millions d'euros.

Par ailleurs, nous ne pouvions pas passer en Guyane sans aller voir le service militaire adapté (SMA).

Le SMA de Guyane a été créé en 1961. Il est dédié à l'insertion socio-professionnelle des jeunes Guyanais âgés de 18 à 25 ans. S'adressant à des jeunes en difficulté, en décrochage, à de très jeunes mères célibataires, il obtient un taux d'insertion dans l'emploi remarquable, supérieur à 75 %.

Je rappelle que les jeunes souffrent en Guyane - mais en métropole également - d'une réelle difficulté d'insertion dans l'emploi. Un jeune sur trois est au chômage, 43 % ne sont ni en emploi ni en formation.

Il propose 21 formations d'une durée de 6 à 12 mois réparties sur les sites de Cayenne et de Saint-Jean du Maroni. Nous avons visité la compagnie de Cayenne qui regroupe les formations relatives aux métiers du secteur tertiaire et aux permis de conduire. Le SMA de Guyane a un programme spécifique pour les Amérindiens des communes de l'intérieur qui sont frappés par un fort taux de suicide. Le régiment accueille une promotion d'Amérindiens par an (15 jeunes). Ces volontaires suivent un parcours de formation professionnelle multi technique de 10 mois.

Le SMA accueille 710 bénéficiaires chaque année, 570 en formation (volontaires stagiaires) auxquels s'ajoutent 140 cadres intermédiaires qui sont des volontaires techniciens, souvent d'anciens stagiaires du SMA, tous servant sous statut militaire. C'est une plate-forme qui a de multiples partenaires économiques et associatifs : Medef, entreprises, collectivités locales...

Le budget se décompose en 6,5 M€ en fonctionnement (qui est payé par les fonds européens), 1,9 M€ d'investissement et 16 M€ de masse salariale payés par le ministère des outre-mer. Les résultats du SMA sont remarquables et notre commission a déjà dit par le passé qu'elle serait vigilante, si le SNU est généralisé, à ne pas fragiliser le SMA ou d'autres services nationaux comme le SNV (service national volontaire).

M. Jacques Le Nay. - Je vais vous présenter maintenant l'action des forces armées, essentiellement de la Marine, en association avec les affaires maritimes, les douanes et la gendarmerie, pour lutter contre le pillage des ressources halieutiques en Guyane. C'est l'opération « Polpèche ».

À l'échelle mondiale, près de 20 % des poissons sont pêchés illégalement, ce qui représente pour l'économie mondiale des pertes estimées entre 26 et 50 milliards de dollars. La menace de prédation des pêcheurs illégaux sur les ressources halieutiques de Guyane vient des pêcheurs brésiliens et surinamiens.

Avec un chiffre vous allez tout de suite comprendre la situation : au Brésil il y a 30 pêcheurs par kilomètre de côte, au Suriname il y a 60 pêcheurs par kilomètre et en Guyane seulement un pêcheur par kilomètre de côte. Sachant que le linéaire des côtes de Guyane française représente 378 km. Par comparaison, le Suriname 386 km, le Brésil 7 367 km. La France en référence, c'est 19 193 km, la Chine 15 274 et le Royaume-Uni 15 910 km. Il est important de mettre ces chiffres en comparaison.

Les pêcheurs illégaux font preuve de capacités permanentes d'adaptation : dissimulation dans la mangrove des navires surinamais qui pêchent de nuit, invention de dispositifs « anti-équipes de visite » du côté des pêcheurs brésiliens, avec un niveau de violence élevé pour les plus déterminés.

A ces acteurs « traditionnels » de la pêche illicite sont venus s'ajouter les Vénézuéliens. En 2020, 45 navires vénézuéliens bénéficient d'une licence attribuée par l'UE, mais cette pêche légale vénézuélienne se double d'une pêche illégale (jusqu'à 10 pêcheurs vénézuéliens par jour dans la ZEE française).

Dans un avenir proche, la Guyane pourrait être confrontée à une pêche illégale chinoise. Un certain nombre de signaux faibles permettent d'envisager cette hypothèse, dont la présence de pêcheurs chinois dans les eaux du Suriname ou à quelques milles nautiques au-delà de la ZEE. La stratégie chinoise est globale et bien connue : déploiements de flottilles dans tous les océans, accompagnés d'investissements portuaires permettant le traitement et la distribution du produit de la pêche.

La mer est dangereuse et vaseuse en Guyane ; il n'y a pas chez les habitants de Guyane de culture de la pêche ; les quelques bateaux de pêche guyanais sont possédés par des armateurs, avec des équipages surinamais ou brésiliens, mal payés, ce qui n'est pas incitatif ; il n'y a donc pas de filière « pêche ».

Protéger nos ressources c'est un enjeu économique mais c'est aussi un enjeu de souveraineté. Car, suivant la phrase désormais bien connue : « ce qui n'est pas surveillé est pillé, ce qui est pillé finit toujours par être contesté. »

Le commerce des « vessies natatoires », en particulier, est une catastrophe pour la biodiversité. La vessie natatoire est un système de navigation des poissons, dont les asiatiques considèrent qu'il est aphrodisiaque. Il se négocie à Hong Kong à 1 000 € le kilo, contre 2-3 € le kilo de prix de vente du poisson en Guyane. Il faut 30 kg de poisson pour extraire 1 kg de vessie natatoire, sachant qu'après prélèvement de leur vessie natatoire, les poissons morts sont rejetés à l'eau.

La Marine défend donc un pré carré qui est sous-exploité par ses propres nationaux, et sur exploité par ses voisins. C'est une situation singulière. Je ne vous cache pas que je me suis interrogé, quand on voit la situation des pêcheurs français confrontés au Brexit, sur cette situation. J'en ai parlé au préfet du Morbihan qui est l'ancien préfet de Guyane : des filières pêches pourraient être structurées, à condition qu'il y ait une réelle volonté des responsables guyanais, ce qui n'est pas encore le cas.

L'action des forces armées est plus particulièrement centrée sur l'observation des activités de pêches, l'interrogation de navires de pêche, la vérification des journaux de bord, la vérification des engins de pêche et le contrôle des maillages, l'appréhension des navires, matériels et produits de la pêche.

Il y a deux types d'action : la surveillance quotidienne et des coups de poing, souvent par des fusiliers marins, car en face ils se heurtent à des actes violents, en particulier de la part des pêcheurs brésiliens, qui n'hésitent pas à utiliser des dispositifs anti-abordage (dont des tridents), des jets de matériel en tout genre (plombs, planches de bois, bouteille de gaz, etc.) sur les équipes de visite, à utiliser des sabres.

Les équipes de visite « traditionnelles » interviennent sur les embarcations ou « patouilles » coopératifs uniquement (principalement à la frontière du Suriname).

Seules les opérations de police des pêches renforcées par des unités aptes à l'assaut-mer (Opération MOKARRAN avec des commandos marine ou des fusiliers marins, Opération MAKO avec des gendarmes maritimes) permettent l'intervention sur des pêcheurs non coopératifs (brésiliens principalement).

Le nombre d'opérations renforcées vise à maintenir au juste besoin une pression permanente et dissuasive.

Dans une stratégie globale interministérielle de bout en bout, les opérations de POLPECHE aboutissent à un traitement judicaire, avec de lourdes peines qui sont prononcées (prison ferme dans certains cas).

Il faut toutefois veiller à ce que ces opérations n'engendrent pas des prises de risques démesurées au regard des enjeux.

Une nouvelle procédure, dite de « dissociation » est testée, qui vise à ne ramener à terre pour les judiciariser que les pêcheurs les plus violents. Le traitement est plus léger et c'est très dissuasif si les peines sont lourdes.

La coopération internationale avec le Brésil et le Suriname reste évidemment un axe d'effort permanent.

En 2019, ce sont au total sur l'ensemble de la ZEE française 20 000 heures de mer (soit plus de 839 journées de 24 h) et 578 heures de vol qui ont été consacrées par la Marine nationale à la police des pêches. 254 contrôles de pêche ont été réalisés outre-mer, dont 150 ont débouché sur une sanction, soit un taux d'infraction de 59 %.

En Guyane plus spécifiquement, le bilan de POLPECHE s'élève à 169 contrôles, 24 déroutements et 62 traitements administratifs, 27 raccompagnements à la frontière. 255 km de filets ont été saisis, qui sont remontés par une embarcation originale, dite « remonte filets ». 1 tonne de « vessies natatoires » et 80 tonnes de poissons ont été saisis.

En novembre 2020, les FAG ont mené une importante opération qui a permis de saisir plus de 37 tonnes de poissons et 209 kg de vessies natatoires.

Comme nous l'ont dit les marins sur place, cette action sans cesse recommencée est un « acte de foi ». Mais il est essentiel de défendre notre souveraineté.

M. Richard Yung. - Je présente le dernier volet de notre mission, celui de la lutte contre le narcotrafic.

En préambule, je rappellerai que le taux de criminalité de la Guyane est le plus élevé de France, on compte par exemple 144 vols à main armée par an.

La situation est bien connue depuis le rapport de nos collègues Olivier Cigolotti et Antoine Karam, en septembre dernier, sur les passeurs ou « mules » qui ramènent la cocaïne de Guyane vers la métropole. Le rapport s'est surtout intéressé au trafic de cocaïne par voie aérienne.

Les chiffres donnés à Cayenne par le Procureur de la République sont saisissants : la production mondiale de cocaïne en Colombie, au Pérou et en Bolivie a triplé en 10 ans. Les trafiquants ont une stratégie d'inondation des marchés et de saturation des dispositifs de contrôle. La Guyane est la porte d'entrée vers l'Europe.

Le trafic entre Cayenne et Orly est estimé à 4 tonnes par an soit 20 % des entrées de cocaïne en France. Dans chaque vol Cayenne-Paris il y aurait 20 à 30 passeurs, dissimulant en moyenne 2 kg de cocaïne, soit 40 à 60 kg de cocaïne par vol ! Il y a peu de temps, c'est même un militaire de Maripasoula qui a été attrapé à Orly.

Sur 800 comparutions immédiates en Guyane en 2020, 600 concernaient le trafic de drogue.

Comme l'a très bien décrit le rapport Cigolotti-Karam, outre l'enjeu qu'il représente en termes de santé publique, le trafic de cocaïne en provenance de Guyane pose des problèmes d'ordre public. Il gangrène tout le territoire métropolitain, avec une prédilection pour les villes de province, où il alimente la délinquance et l'économie parallèle.

En Guyane, ce trafic est très rentable : acheté 3 500 € le kilo, la cocaïne peut être revendue dix fois plus cher dans l'Hexagone. Les actes de violence liés au trafic se développent. L'Ouest du département est particulièrement touché et le Procureur de la République n'a pas caché le risque d'une dérive mafieuse.

Un détachement de l'office anti-stupéfiant, l'OFAST, a été créé à Cayenne et un plan interministériel a été mis en place. Il a permis une intensification des contrôles et une meilleure coordination entre les acteurs.

Sur le plan judiciaire, les acteurs ont mis en place une procédure simplifiée de plaider coupable et de déferrement, de telle sorte que seuls les récidivistes paraissent en comparution immédiate. 12 officiers de police judiciaire de l'OFAST se concentrent sur le traitement des filières logistiques ; les donneurs d'ordre sont au Suriname. Des arrêtés préfectoraux d'interdiction d'embarquer, procédure inventée à Cayenne, surnommée « arrêtés anti mules » s'est révélée particulièrement efficace (700 arrêtés ont été pris en 2019).

Sur le plan des moyens, en juin dernier, ont été installés à l'aéroport de Cayenne, deux scanners à ondes millimétriques permettant de mieux détecter la cocaïne dissimulée par les passeurs, qui ont permis la saisie de 22 kg de drogue.

Des saisies récentes - 600 kg saisis dans un véhicule en direction du port ; une saisie dans des containers sous un bâtiment ravitaillant le centre spatial - font craindre une massification et une diversification des flux logistiques. Le service des douanes a estimé que la voie postale était également utilisée.

En outre, les filières de soutien logistique sont communes à tous les trafics : drogue, or, migrants, etc. Ce sont les mêmes gangs qui mènent toutes ces activités illégales. Elles concentrent donc les efforts des services de lutte.

M. Christian Cambon, président. - Nous avons dégagé 7 pistes d'action que je vous présente brièvement.

D'abord les forces armées devraient mieux communiquer sur leur action pour préserver la biodiversité dans la forêt amazonienne. Qui a conscience que la France est une nation amazonienne ? Qui a conscience que nos légionnaires, nos marsouins se battent pour protéger la biodiversité ? Qui sait que sans eux, ce sont des milliers de km2 de forêt primaire équatoriale qui disparaitraient, si l'on en croit ce qui se passe actuellement au Brésil ? Qui sait qu'en Guyane les armées agissent en liaison avec le parc naturel régional et l'ONF ? Un effort de communication me semble indispensable.

Deuxième proposition, il faut adapter le droit aux spécificités guyanaises. La commission des lois a fait le même constat dans un rapport de février 2020 : il faut s'affranchir de rigidités qui résultent de l'application d'un logiciel administratif et normatif hexagonal à une réalité guyanaise totalement différente. Il faut adapter les règles de l'action publique. Quand il n'y a pas de route comme c'est le cas pour les communes de l'intérieur, et qu'il faut une journée pour rallier Cayenne, on comprend bien la difficulté. Des adaptations pourraient être le recours à la visioconférence. De même quand une interpellation a lieu dans la forêt amazonienne, le délai de transfert en pirogue fait courir un risque de procédure eu égard au délai de garde à vue : son point de départ serait retardé. Le procureur de la République est très gêné dans son action. Compte tenu du nombre important de reconnaissance de naissances frauduleuses, des procédures simplifiées sont nécessaires. Enfin, créer un délit minier aggravé quand il s'agit d'un espace naturel protégé permettrait de punir plus sévèrement les orpailleurs. L'article 73 de la Constitution prévoit la possibilité de telles adaptations ; nous allons les transmettre à la commission des lois.

Troisième proposition : évaluer périodiquement le niveau de la menace pesant sur le Centre spatial guyanais. Les moyens de protection sont aujourd'hui adaptés, mais il faut toujours veiller à ce que n'apparaissent pas des « trous dans la raquette ». En haut du spectre : on peut craindre une attaque de type terroriste par un aéronef par exemple ; il est possible de faire venir chasseurs, ravitailleurs, et Awacs en renfort, c'est la configuration renforcée « Bubo », mais en pratique cela n'est pas systématique et ne concerne que les mises en orbite de satellites sensibles.

En bas du spectre : le risque est évidemment la menace « drones ». Une intrusion ou un survol est un risque réputationnel important dans un contexte de concurrence ultra exacerbée des lanceurs spatiaux. Il faut que le Centre de Kourou soit dans une sécurité absolue. Le Centre spatial guyanais est donc responsable de la lutte anti-drones. Je ne dévoilerai pas publiquement leur stratégie et leurs moyens, sauf à dire que les moyens sont en place ou se mettent en place. C'est tout l'enjeu de ce qu'on appelle la protection « multicouche » qui est à la fois vitale et complexe. À notre sens c'est un point essentiel.

Quatrième proposition : étudier des ajustements mineurs liés au milieu équatorial. Nous rentrons avec une « liste de courses » pour le ministère des armées, que je vais transmettre à la ministre, qui est d'importance très variable.

L'ensemble des responsables militaires sur place passent un message et un seul : les FAG sont des forces « heureuses », le format est bien dimensionné, les moyens sont adaptés aux missions. « les FAG vont bien », c'était le mot introductif du général qui les commande, le Général Xavier Buisson, et cela fait plaisir à entendre.

Nous dirions plutôt, quant à nous, que les moyens théoriques sont adaptés aux missions, mais que les moyens réels peuvent progresser. Par exemple :

- Les gendarmes n'ont pas de liaison satellitaire en forêt ; or cela ne coute que 10 000 euros/an ;

- Le système des « pots thermiques », explosifs qui permettent de détruire les installations d'orpaillage, ne sont plus fabriqués il faut les remplacer ;

- L'armée de terre devrait compléter son paquetage « jungle » avec des chaussures Crocs et des réchauds de type « jet boil » mieux adaptés à ce milieu humide ;

- L'absence de tubes de déchargement pour les fusils HK416 fait peser un risque de sécurité au retour de mission.

Nous ferons rapport de ces différents points aux ministres concernés.

Cinquième proposition : développer l'économie touristique

« La Guyane n'attire pas mais elle séduit ». Les militaires, les gendarmes, les fonctionnaires rencontrés sur place disent tous la même chose : c'est le moins demandé des outre-mer, mais la demande de renouvellement ou de prolongation est très élevée.

Le potentiel touristique est sous-exploité ; la Guyane a un problème d'attractivité. Or les ressources sont nombreuses :

- Le tourisme de mémoire autour des iles du Salut et de l'histoire du bagne ;

- Le tourisme « high tech » autour du centre spatial guyanais qui ouvre des visites au public ;

- Le tourisme vert ou écotourisme. La forêt amazonienne est fascinante.

La Guyane pourrait devenir une vitrine française de la gestion durable de la forêt amazonienne qui trancherait avec les réalités voisines. Cela pourrait générer des ressources pour la population du fleuve, jeune, désoeuvrée, cible de trafic en tous genres. Un engagement des collectivités locales et de l'Etat est nécessaire.

Sixième proposition : Faire un effort ponctuel de coopération vis-à-vis du Suriname.

La mission de délimitation de la frontière de l'ambassadeur Joly a créé une dynamique. Or le gouvernement du Suriname a changé et amorce un net changement de politique en matière de lutte contre les trafics et de préservation de l'environnement. Ce pays a vocation à devenir un petit « Koweït ». Nous préconisons d'y nommer un attaché de défense résident : avec très peu de ressources, nous avons un effet de levier possible. La coopération avec le Suriname est essentielle.

Dernière proposition : une montée en gamme technologique est nécessaire pour faire la différence par « l'intelligence ». Liaisons satellitaires, intelligence artificielle pour la reconnaissance des pirogues, moyens de renseignement pour la connaissance des flux logistiques pour casser les reins des trafiquants, moyens de détection des passeurs : partout le besoin de technologie et d'intelligence se fait sentir. Je citais cet exemple : quand vous savez que dans chaque avion d'Air France, vous avez 20 trafiquants et que vous ne pouvez même pas les appréhender, c'est tout de même assez regrettable.

Les Garimpeiros connaissent mieux la forêt équatoriale que les soldats français ; les soldats de Harpie nous ont dit que, du fait de l'éloignement de la métropole, le COMSUP a la main sur le service de soutien aux armées, ce qui est malgré tout un gage d'efficacité. Nos forces armées n'ont évidemment pas vocation à conduire des missions d'ordre public. Ce que je veux simplement souligner, c'est que ce déplacement a été tout à fait passionnant. C'est un territoire dont il faut véritablement s'occuper et nous pensons que c'est le rôle du Sénat et d'un déplacement comme le nôtre ; avec quelques améliorations, on pourrait considérablement accroître l'efficacité à la fois de nos forces armées et du dispositif d'administration française, qui travaillent très bien ensemble mais qui pourraient aller plus loin.

M. Olivier Cigolotti. - Je salue la qualité de cette communication. Quatre jours, c'est à la fois court mais c'est aussi intense pour parcourir un territoire. Vous avez parfaitement mis en évidence les richesses de ce territoire, qui en sont aussi les principales fragilités. Je veux aussi saluer les préconisations que notre président a formulées, notamment sur la coopération avec le Suriname. Qu'il s'agisse d'orpaillage ou de narcotrafic, le Suriname joue un rôle clé. Lorsque nous avons examiné le rapport sur le trafic de stupéfiants en provenance de Guyane, nous avons identifié 43 petits aérodromes au Suriname qui n'ont pour principale activité que le narcotrafic. Nous avons pointé effectivement ce manque de coopération régionale et internationale avec le Suriname. Les dernières élections ont apporté des changements qui devraient permettre une meilleure collaboration.

J'avais eu l'occasion, avec notre collègue Philippe Paul, de me rendre en Guyane il y a maintenant deux ans, à la fin de l'opération Harpie I - puisqu'aujourd'hui nous en sommes, après 10 ans de fonctionnement, à Harpie II - et nos gendarmes qui font un travail remarquable sur ce territoire souvent hostile pointaient du doigt l'absence d'un état-major conjoint entre les forces armées guyanaises et les services de gendarmerie. Aujourd'hui, c'est le cas, Harpie II a permis cette coordination. Est-ce que vous avez pu percevoir une amélioration dans l'action de nos forces et notamment de nos gendarmes, qui étaient souvent pénalisés par le manque de disponibilité de moyens aériens et par la nécessité de solliciter en permanence les forces armées guyanaises pour obtenir à la fois des moyens humains mais aussi des moyens matériels ?

Félicitations aux uns et aux autres pour la qualité de ce travail.

M. Christian Cambon, président. - Effectivement, nous avons perçu, cette fois-ci, que tout le monde travaillait ensemble. Les gendarmes sont intégrés aux opérations Harpie car ils ont la possibilité d'être officiers de police judiciaire, donc de diminuer les délais de procédure. C'est une véritable amélioration.

M. André Gattolin. - Bravo à tous les rapporteurs. Cette communication est tout à fait passionnante et nous attendons le rapport. On a parlé des conséquences de l'orpaillage et du nombre de gendarmes et de soldats tués. Il y a aussi des résidents de la forêt amazonienne qui sont tués par les orpailleurs.

J'ai le souvenir, lorsque nous avions discuté en janvier 2012 de la loi sur la chasse, que nous avions adopté un amendement spécifique concernant la Guyane - un permis de chasse gratuit - pour que les populations isolées puissent être armées et se défendre. Je sais que ces mesures couraient jusqu'en 2020. Il me semble qu'il y a toujours un système préférentiel pour l'obtention du permis de chasse. Avez-vous eu connaissance d'éléments à ce sujet ? Ce système a-t-il été probant ? A-t-il joué un rôle préventif par rapport à l'intrusion des orpailleurs dans les zones assez reculées de la forêt équatoriale ?

M. Christian Cambon, président. - Je n'ai pas d'élément précis sur cette question que nous allons approfondir.

M. Robert del Picchia. - Il me semble que la commission devrait publier rapidement son rapport. Vos interventions comportent de très nombreuses informations que beaucoup de gens ignorent en France. Cela mérite une large communication.

M. Christian Cambon, président. - Cela fait partie de nos préconisations, notamment en ce qui concerne les forces armées, qui jouent un rôle essentiel en matière de protection de l'environnement. Nous essaierons de prendre des initiatives. Nos collègues sénateurs de Guyane ont aussi un rôle important à jouer. Nous sommes prêts à encourager leurs initiatives.

M. Olivier Cadic. - Je suis très sensible à cette communication qui recoupe ce que disent les pays d'Amérique latine : la France est présente sur ce continent et nombreux sont ceux qui souhaiteraient l'entendre davantage sur les problématiques géopolitiques.

Du fait de notre présence en Guyane, nous pouvons apporter beaucoup. La plus grande frontière terrestre de la France est celle de la Guyane et du Brésil. Les Brésiliens souhaiteraient par exemple pouvoir construire un hôpital avec le soutien de l'AFD à proximité de la Guyane pour éviter qu'il y ait une tentation pour certains Brésiliens de se rendre en Guyane pour se faire soigner. Le partenariat entre le Brésil et la partie limitrophe de la Guyane doit être développé. Votre communication a bien mis l'accent sur le Suriname mais je crois qu'il y a aussi une vraie attente du côté du Brésil.

M. Christian Cambon, président. - J'abonde dans ce sens : la coopération avec le Brésil nous a semblé essentielle, mais la partie brésilienne qui jouxte la Guyane est assez loin de Brasilia et donc les problèmes sont vus différemment. Sans le Brésil, il est difficile d'avancer sur beaucoup de sujets. On le voit bien du reste sur la Covid. Il reste des marges de progrès.

Mme Hélène Conway-Mouret. - Cette situation comporte des similarités avec celle qui existe entre la République dominicaine et Haïti. La République dominicaine est prête à soutenir la construction d'hôpitaux du côté haïtien pour éviter que les Haïtiens ne viennent se faire soigner en République dominicaine. Nous devrions être plus attentifs à ce type de soutien.

Il me semble que l'on peut aller plus loin : la Guyane est un territoire français, c'est la France, donc il n'y a pas d'ambassade en Guyane alors que ses frontières mériteraient une forme de politique étrangère. Je crois qu'il nous manque cet élément là pour aller plus loin.

M. Christian Cambon, président. - Nous pourrions peut-être faire une huitième proposition sur la nécessité de renforcer nos liens de coopération diplomatiques, sanitaires, de défense etc. avec les voisins de la Guyane.

M. Olivier Cadic. - Le président du Sénat brésilien actuel est justement le sénateur qui représente la région limitrophe à la Guyane. C'est la raison pour laquelle mon attention a été attirée sur cette question par l'ambassadeur du Brésil. Il y a justement une possibilité pour le Sénat de travailler cette question de proximité territoriale.

M. Christian Cambon, président. - Nous l'inviterons.

La commission autorise la publication du présent rapport d'information.

Groupe de suivi de la nouvelle relation euro-britannique - Déplacement à Calais et Boulogne-sur-mer - Communication de M. Pascal Allizard

M. Pascal Allizard. - Le 6 janvier dernier, le groupe de suivi de la nouvelle relation euro-britannique s'est déplacé à Calais et Boulogne-sur-Mer.

La conclusion in extremis, le 24 décembre dernier, d'un accord de libre-échange, sans droits de douane ni quotas, n'en implique pas moins, depuis le 1er janvier, d'effectuer des déclarations douanières et des contrôles de marchandises à la frontière. C'était le premier enjeu de notre déplacement que de mesurer la capacité de nos infrastructures frontalières à absorber ces contraintes nouvelles.

Par ailleurs, l'accord semble préserver les intérêts de nos pêcheurs, avec une réduction de 25 % des prises dans les eaux britanniques jusqu'en juin 2026. Le gouvernement britannique réclamait une restitution de 70 % ! Mais l'Union européenne souhaitait, elle, une période de transition de 14 ans...

Sur le coup, les pêcheurs britanniques ont protesté... puis on a cessé de les entendre sur la question des quotas. Se pourrait-il que notre accord ne soit pas aussi bon qu'on pourrait le croire ? C'était l'autre enjeu du déplacement que de prendre la mesure des difficultés et des incertitudes au plus près de nos professionnels de la pêche.

Avec le port et Eurotunnel, Calais est l'épicentre du trafic transmanche. Nous n'y avons constaté aucun encombrement, ce qui ne devait rien à l'efficacité de l'organisation aux frontières. En effet, le trafic était réduit de moitié, pour trois raisons : le mois de janvier est toujours calme, le reconfinement britannique freine la demande, et beaucoup d'importations avaient été anticipées à l'automne.

Les déplacements personnels, très raréfiés, étaient encore moins problématiques, avec, au fond, peu de changement puisque le Royaume-Uni ne faisait pas partie de l'espace Schengen et qu'un contrôle d'identité avait déjà lieu aux frontières. Bientôt, les Anglais voyageront à nouveau, et ils y seront encouragés par le duty free ; les élus du secteur soutiennent d'ailleurs un projet de zone franche à Calais, sachant qu'il s'en prépare une de l'autre côté de la Manche...

Le plus marquant, lors de la visite des terminaux ferroviaires et portuaires de Calais, reste la sophistication de la gestion du trafic, organisé de sorte qu'aucun ralentissement ne résulte des contrôles douaniers et phytosanitaires. Il faut savoir que, chaque jour, dans l'eurotunnel, 18 navettes de ferroutages chargent des camions sur 800  mètres de long, 9 navettes « passagers » chargent des autocars et des voitures ; à Calais, 7 bateaux font chacun 5 allers-retours...

Un système de « frontière intelligente » - smart border - permet de transmettre à la douane située en France les déclarations exigibles lorsque s'engage le fret maritime ou ferroviaire d'un camion de marchandises à Douvres ou Folkestone. Le temps de la traversée, la douane française vérifie que les documents sont complets et effectue une analyse des risques pour décider ou non de contrôler le véhicule concerné à sa sortie à Calais.

Les déclarations - normalement établies par le chargeur - permettent de vérifier que l'on n'est pas en présence d'une simple réexportation de biens importés au Royaume-Uni ; leurs composantes doivent être ainsi britanniques à 60 % ou provenir de l'Union européenne.

Environ un véhicule sur cinq est soumis à un contrôle et redirigé vers le bureau de douane. Les insuffisances documentaires donnent encore lieu à une assistance pédagogique du bureau de douane pour satisfaire aux nouvelles obligations, sans rejet a priori. Ce système doit permettre de ne pas freiner le trafic dans une organisation millimétrée où l'immigration clandestine est un risque majeur - ce qui explique un dispositif de barrières impressionnant. De fait, lorsque des files de poids lourds s'étaient formées en amont des terminaux de Calais en décembre dernier, de nombreux migrants les avaient pris d'assaut, ce qui avait compliqué les contrôles à l'embarquement et accru d'autant les durées d'attente.

Les retards sont particulièrement préjudiciables pour le transport de produits frais, notamment de poisson - comme on allait nous l'expliquer un peu plus tard à Boulogne. Ainsi, une des difficultés les plus signalées depuis le 1er janvier concerne une trentaine de camions chargés de poisson en provenance d'Ecosse, qui se sont retrouvés bloqués car le système déclaratif britannique n'était pas encore au point.

Les importations d'animaux et de produits alimentaires font désormais l'objet d'un contrôle spécifique par le SIVEP, le service d'inspection vétérinaire et phytosanitaire aux frontières. Pour réduire l'attente au maximum, trois antennes, ouvertes 24 heures sur 24, ont été déployées à Calais et à Boulogne. En tout, les effectifs du SIVEP ont été portés de 95 à 400 agents relevant du ministère de l'agriculture.

Faute de statistiques sur les marchandises transportées auparavant - les biens circulaient librement -, le calibrage de la nouvelle organisation n'a pas été facile. 11 cargaisons différentes ont pu être dénombrées dans un même camion ! On espère que, pour réduire le nombre de déclarations, les marchandises seront bientôt mieux regroupées, et les contrôles facilités.

Simple anecdote ou prémices de difficultés ultérieures ? À la douane d'Eurotunnel, en contrepoint des propos qui venaient de nous être tenus sur la « frontière intelligente », un camionneur a témoigné des conditions concrètes de son attente au guichet, dans un local dont l'exiguïté interdisait toute distanciation sociale, et pour une durée très supérieur au maximum de 2 heures annoncé par les responsables... Nous étions loin de la théorie !

La situation doit s'améliorer à la faveur de progrès attendus dans la connaissance des formalités et l'organisation des files d'attente. Puissent ces progrès être plus rapides que la reprise du trafic ! À ce jour, à Calais, on ne note toujours pas de ralentissement sensible.

Nous nous sommes ensuite rendus à Boulogne - plus grand port de pêche français avec 400 000 tonnes de poisson traités chaque année -, où nous avons rencontré des représentant de la filière pêche. M. Cuvillier, maire de Boulogne-sur-Mer, résume assez bien, à mon sens, la situation : « Nous sommes soulagés [par le nouvel accord], mais pas rassurés ». À très court terme, deux problèmes ont été soulevés. D'abord, celui des autorisations d'accès à la bande des 6 à 12 milles : les licences n'avaient toujours pas été délivrées alors qu'elles étaient attendues pour le 4 janvier au plus tard. Et, à ce jour, elles ne l'ont toujours pas été ! Il en résulte une concentration de bateaux français, belges et néerlandais dans nos eaux, au risque d'une surexploitation de la ressource.

Le second porte sur les certificats de capture, dont la délivrance par les capitaines de bateaux de pêche français n'est pas encore assurée, aux dépends de nos débouchés à l'exportation.

Une fois ces difficultés levées, restera le problème des lourdeurs administratives auxquelles sont confrontés nos pêcheurs.

J'en arrive aux questions de fond encore en suspens. Elles sont primordiales, à commencer par l'interprétation de la réduction des prises de 25 % dans les eaux britanniques. Doit-elle se faire en volume ou en valeur ? Quelle est sa déclinaison par espèce et par zone de pêche ? Surtout, la première marche, en 2021, doit-elle représenter 15 %, comme l'entendent les Britanniques, ou par exemple 5 %, en suivant une progression linéaire ? Et qu'adviendra-t-il au bout de 5 ans et demi, quand l'accord devra être renégocié ? Cette question est cruciale, car le coût d'acquisition d'un bateau de pêche implique une longue durée d'amortissement. Dans ce contexte, quel jeune voudra se former et s'engager dans la profession ? Quel banquier voudra lui prêter ?

Autre question, comment les Britanniques gèreront-ils l'évolution des stocks de poissons dans leurs eaux ? Des représentants de pêcheurs français et britanniques se sont rapprochés en vue d'étudier les modalités d'une gestion durable de la ressource, démarche dont les Sénateurs se sont félicités.

Par ailleurs, les négociations concerneront aussi nos rapports avec les autres États membres. Le partage des quotas sans le Royaume-Uni suppose une remise à plat des parts relatives attribuées aux pêcheurs de chaque pays. Or celle-ci pourrait ne pas être favorable à la France compte tenu de l'évolution comparée des flottilles de pêche. Dans ce contexte peu porteur et lourd d'incertitudes, le plan d'aide annoncé par le gouvernement pour les pêcheurs sera particulièrement nécessaire, de même que le recours aux fonds structurels. Comme l'a souligné Frédéric Cuvillier, « l'Europe doit réagir et mettre en place une politique d'accompagnement du Brexit dans les territoires qui sont les plus touchés ».

Sans aide organisée, certaines tensions pourraient s'exacerber dans le contexte d'une plus forte concentration de bateaux dans les eaux françaises - par exemple vis-à-vis des Néerlandais, qui pratiquent massivement la pêche industrielle.

Voilà, M. le Président, mes chers collègues, au retour du groupe de suivi de la nouvelle relation euro-britannique à notre retour de Calais et Boulogne-sur-Mer, les principaux éléments que je souhaitais porter à votre connaissance. Vous l'avez vu, les questions en suspens sont nombreuses et supposeront toute l'attention du groupe de suivi, d'autant que d'autres difficultés se manifestent aux frontières, notamment entre le Royaume-Uni et l'Irlande. Et bien d'autres questions se posent, y compris dans les domaines de la politique étrangère et de la défense.

Pour ma part, en tant qu'élu du Calvados, j'ai relevé, à l'occasion de visites ministérielles dans les ports de Caen-Ouistreham et de Port-en-Bessin, qui n'ont pas du tout les mêmes dimensions que Calais et Boulogne-sur-Mer, que les problèmes y sont strictement les mêmes.

M. Christian Cambon, président. - Nous aurons l'occasion, avec le groupe de suivi de la nouvelle relation euro-britannique, de revenir sur ces questions.

Mme Michelle Gréaume. - À Boulogne, nos pêcheurs sont sous tension car ils n'obtiennent pas les autorisations de la Commission européenne, alors que des pêcheurs d'autres pays peuvent déjà travailler. On leur parle de lenteurs administratives, mais la situation commence à devenir explosive, ils sont à bout. Il faut intervenir pour qu'ils aient leurs autorisations.

M. Pascal Allizard. - Jean-François Rapin, président de la commission des Affaires européennes, doit précisément interroger le gouvernement cet après-midi sur ces autorisations.

Mme Hélène Conway-Mouret. - J'aurais pour ma part deux suggestions pour le groupe de suivi : rencontrer nos homologues anglais pour discuter des difficultés communes, et se pencher plus avant sur l'Irlande, qui souhaite couper le cordon avec le Royaume-Uni ; il serait bon que la France s'intéresse un peu plus à sa situation ainsi qu'aux nouvelles routes maritimes - ce que fait déjà l'Espagne.

M. Olivier Cadic. - Puisque j'ai une entreprise concernée par ces questions, je voudrais apporter mon témoignage. Nos produits sont faits dans l'Union européenne et nous les distribuons dans le monde entier à partir du Royaume-Uni. Depuis le 1er janvier 2021, les produits n'arrivent plus, on ne sait même plus où ils sont ! Il devient impossible de livrer à partir du Royaume-Uni, le blocage est complet. Comme l'accord a été signé au dernier moment, personne n'a pu se préparer. Tout devient encore plus compliqué avec l'exigence, depuis le 23 décembre 2020, d'un test PCR négatif de moins de 72 heures avant de rejoindre le continent, à laquelle s'ajoute désormais celle d'une septaine. Concrètement, il devient impossible pour un routier d'être sûr de pouvoir rentrer chez lui. Il faudrait pouvoir se faire valablement tester juste avant de se rendre au Royaume-Uni avec une permission de retour garantie dans les 48 heures.

M. Christian Cambon, président. - Je suis bien conscient de l'ampleur des difficultés et de l'inquiétude des routiers, largement relayée par la presse. J'ai cosigné aujourd'hui même avec Jean-François Rapin, président de la commission des Affaires européennes, une lettre pour demander un débat dans l'hémicycle sur ce sujet.

La réunion est close à 12 h 30.

La réunion est ouverte à 16 h 35.

Opération Barkhane - Audition de Mme Florence Parly, ministre des armées

M. Christian Cambon, président. - Madame la ministre, c'est la seconde fois que la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées du Sénat vous auditionne sur l'opération Barkhane, un an environ après le sommet de Pau et avant deux événements importants : le débat au Sénat en séance publique le 9 février prochain et le sommet de N'Djamena dans quelques semaines. C'est un moment clé pour vous interroger sur le bilan des huit années d'engagement militaire français au Sahel et sur les perspectives d'avenir de Barkhane. En ces instants nous avons une pensée en mémoire des huit militaires qui ont perdu la vie récemment - les cinq soldats et les trois gendarmes auxquels notre commission a rendu hommage ce matin.

Durant ce cycle d'auditions sur un an, la commission a interrogé des experts, des chercheurs et des militaires, dont le chef d'état-major des armées, le COMANFOR. Nous en avons tiré plusieurs enseignements.

Premièrement, Serval et Barkhane ont permis d'éviter que les djihadistes ne prennent le pouvoir ou qu'ils ne réussissent à établir un sanctuaire sur une partie du territoire malien, même si les populations sont toujours exposées, en particulier dans le centre du Mali, à une violence endémique. L'intervention française qui s'est faite à la demande du Gouvernement malien de l'époque a permis d'éviter l'instauration, au coeur du Sahel, d'un pouvoir djihadiste, ce qui aurait pu avoir des conséquences politiques notamment pour le Maghreb.

Ensuite, les opérations Serval puis Barkhane ont permis d'obtenir de nombreux succès tactiques. Des cibles djihadistes de haut rang ont été neutralisées. L'effort supplémentaire accompli depuis Pau a permis de porter des coups sévères à l'« État islamique au grand Sahara » (EIGS). Plus récemment, il faut saluer les résultats remarquables obtenus dans le cadre de l'opération Bourrasque.

Troisièmement, ces opérations s'inscrivent dans le temps long. Il est malheureusement fort probable que la poussée djihadiste reprenne en cas de départ de nos troupes, avec un risque de contagion vers le golfe de Guinée. Les raisons de ce caractère non pérenne de nos succès ne sont non pas militaires, mais politiques et institutionnelles.

D'abord, les progrès politiques, dont dépend la résolution définitive de la crise, sont loin d'être allés au même rythme que les avancées militaires. Or nous savons bien qu'il n'y a pas ici de solution militaire. L'accord d'Alger n'a été que très partiellement mis en oeuvre. Pire, nous sommes en quelque sorte revenus en 2013, avec le coup d'État militaire au Mali et un processus démocratique qui repart de zéro. L'État n'est toujours pas revenu dans de vastes zones au Nord et au Centre, et cette absence est le terreau de toutes les formes de djihadisme.

Ensuite, les forces locales, malgré un courage remarquable et des pertes terribles, sont encore loin d'être capables de prendre la relève de nos soldats pour affronter les djihadistes. Certes, l'armée malienne a progressé et les forces tchadiennes ont montré depuis longtemps leur courage, et la force conjointe du G5 Sahel prend lentement ses marques. Mais tout cela n'est pas suffisant.

En outre, le soutien de nos alliés n'est pas non plus celui que nous espérions. En particulier, la création de la force Takuba a constitué une avancée certaine, et c'est aussi un embryon d'Europe de la défense. Mais les partenaires européens qui veulent nous rejoindre ne se bousculent pas. Si l'on compare les forces présentes à nos côtés et les deux millions de militaires en Europe, on voit qu'il reste des progrès à accomplir, même si nous saluons vos efforts pour mobiliser des équipements et des partenaires.

Enfin, l'approche dite « 3D », c'est-à-dire diplomatie, défense et développement, reste très incantatoire. Le développement est d'ailleurs très lié à la « bonne gouvernance », qui reste souvent un voeu pieux.

D'où notre principale interrogation. Et nous n'oublions pas que nous, parlementaires, avons une responsabilité dans la présence de nos forces, ayant voté la prolongation de celle-ci. Mais puisque la fin de la crise au Sahel dépend d'une évolution politique qui mettra peut-être encore des années, voire des décennies à se produire, devons-nous rester engagés pendant toute cette durée dans les conditions actuelles, c'est-à-dire avec des milliers d'hommes ? Une différence de 500 ou 600 hommes ne va pas changer le sort de cet engagement. Ne faut-il pas revoir nos objectifs politiques et stratégiques dans un sens plus réaliste, et adapter notre dispositif en conséquence ?

Cette interrogation est d'autant plus forte à la suite des événements récents. Même si nous devons rester très prudents à propos des sondages, une récente consultation fait état d'une opposition désormais majoritaire, à hauteur de 51 %, des Français à l'opération. Les Français se posent des questions, relayées par les élus ou sur les réseaux sociaux. Il y a aussi la question du coût très lourd de l'opération pour le budget de nos armées.

Madame la ministre, nous aimerions que vous puissiez revenir à la question des objectifs politiques de cette opération, même s'ils relèvent aussi de la diplomatie et des initiatives du Président de la République. La décision de retrouver le niveau des effectifs d'il y a un an, qui semble déjà prise, doit être complétée par une stratégie d'ensemble. Que se passera-t-il si, dans un an, le Mali n'a pas avancé d'un pas vers une solution politique globale ? La classe politique malienne nous paraît un peu étanche à la nécessité d'organiser une réconciliation nationale. Allez-vous poser un certain nombre de conditions à nos partenaires à ce sujet à N'Djamena ?

Pouvons-nous imaginer une forme de présence préservant nos intérêts à long terme tout en ménageant davantage la vie de nos soldats ? Est-ce que tout est fait pour assurer la sécurité de nos militaires dans les convois ? Utilisons-nous les meilleurs matériels et les meilleurs blindages ? Un colonel bien connu a plaidé devant nous pour un engagement moins visible, quitte à frapper plus fort si la menace dépasse à nouveau un certain seuil. Se pose également la question de notre présence au Tchad : un redéploiement ne supposerait-il pas de réactiver une forme d'opération Épervier, puisque Barkhane l'a absorbée ?

D'autres questions ne peuvent être éludées. Nos militaires, en particulier des forces spéciales, ne perdent-ils pas au Sahel l'expérience de la haute intensité ? Quelle sera, selon vous, l'approche de la future administration Biden sur ces questions ? Nous avons besoin de l'appui tactique et logistique américain. Merci d'avoir accepté ce débat, qui se veut constructif. Le parlement ne peut pas rester absent de ce sujet.

Enfin, madame la ministre, nous aimerions vous interroger sur l'exécution du budget 2020 et sur l'actualisation de la loi de programmation militaire (LPM).

Mme Florence Parly, ministre des armées. - Un an après le sommet de Pau, il me paraît particulièrement légitime que nous ayons un tel échange sur l'opération Barkhane.

Je souhaite d'abord rendre hommage au sergent-chef Yvonne Huynh, au maréchal des logis Tanerii Mauri, au brigadier-chef Loïc Risser, au brigadier Quentin Pauchet et au brigadier Dorian Issakhanian : cinq militaires morts pour la France ; cinq noms qui résonneront à jamais dans nos mémoires. Le plus bel hommage que nous puissions leur rendre est, me semble-t-il, d'expliquer au mieux quel est le combat pour lequel ils sont tombés et quelle est la mission en laquelle ils croyaient.

Je ne suis pas sûre d'épuiser toutes les questions, monsieur le président, que vous avez posées dans votre propos liminaire, mais je sais que les questions ultérieures me permettront de compléter ma réponse.

Je souhaiterais d'abord rappeler pourquoi nous sommes au Mali depuis 8 ans. D'abord, pourquoi sommes-nous intervenus au Mali ? Parce que les autorités maliennes nous l'ont demandé, en 2013, alors que des colonnes djihadistes fonçaient sur Bamako. Les autorités maliennes nous ont appelé à l'aide afin d'éviter la chute de leur État et son naufrage dans le terrorisme islamiste.

Pourquoi, après 8 ans, sommes-nous toujours au Mali ? Parce que le Mali et ses voisins, le Niger, le Tchad, la Mauritanie, le Burkina Faso, nous le demandent toujours. Ce sont les voeux qu'ils ont renouvelés sans ambiguïté, avec vigueur, au sommet de Pau, voilà un an exactement. C'est aussi parce que combattre le terrorisme au Mali, plus largement au Sahel, c'est protéger les citoyens français et européens.

Au Sahel, la France et ses partenaires ont deux ennemis : ils s'appellent Daech et Al-Qaïda, et, à vrai dire, peu importent les acronymes, les noms exacts de leur filiale locale, ce sont bien d'eux qu'il s'agit, deux multinationales du djihadisme qui n'hésitent pas à déstabiliser les États, à soumettre les populations et à cibler de manière indiscriminée les civils. Ce sont deux multinationales djihadistes qui veulent aussi combattre la France et les Français partout où ils le peuvent, comme le prouvent toutes leurs publications haineuses. Rappelons-nous que ce sont eux qui ont fomenté les attentats d'Ouagadougou et de Grand-Bassam en 2016, des attentats qui ont tué indistinctement des Français, des Européens et des personnes d'autres nationalités. Des Français qui étaient à la terrasse d'un café, qui étaient en vacances à la plage ou tout simplement là pour travailler. Des Français qui ont été froidement assassinés d'une balle dans la tête. Au Sahel, donc, la France se bat contre des terroristes qui torturent et qui assassinent des hommes, qui violent des femmes et qui tuent des enfants. Telle est la réalité.

Si Daech et Al-Qaïda s'emparent du Sahel, s'ils en font un sanctuaire, alors, il y a un risque de les voir s'étendre du Sahel à toute l'Afrique de l'Ouest. Il y a aussi un risque de voir la région, déstabilisée, devenir une sorte de base arrière de multinationales terroristes, qui, par ailleurs, menacent publiquement notre pays. Une base arrière où il serait possible d'entraîner des djihadistes et de préparer de nouveaux attentats. On a d'ailleurs déjà vu ce que cela a donné en Afghanistan, avant 2001, et au Levant, avant 2014. C'est évidemment un risque pour la France et pour l'Europe que le Sahel devienne une sorte d'académie du terrorisme. Et c'est parce que nos partenaires européens partagent pleinement cette évaluation qu'ils s'investissent chaque jour un peu plus au Sahel, chacun selon ses moyens, ses traditions ou ses pratiques. Cette mobilisation croissante de nos partenaires européens, ainsi qu'internationaux, a été actée par le sommet de Pau, qui a été provoqué par le Président de la République, il y a un an, alors que nous sortions d'une série de revers et d'attaques contre les armées malienne et nigérienne. Ce sommet nous a d'abord permis de fédérer les volontés. Les pays du Sahel ont en effet exprimé leur adhésion et leur détermination politique à conduire ce combat avec l'aide de la France. Depuis Pau, l'engagement des Sahéliens ne s'est plus démenti.

Ce sommet nous a aussi permis de mobiliser la communauté internationale autour des enjeux sécuritaires au Sahel et de la nécessaire montée en puissance des forces armées locales, ce qui constitue aujourd'hui l'axe majeur de notre action. Je vais y revenir. Enfin, ce sommet nous a permis d'inscrire formellement notre action dans une stratégie globale, qui se déroule en quatre temps, les fameux quatre piliers du sommet de Pau : lutter contre les groupes armés terroristes ; renforcer les capacités des forces armées des États de la région ; appuyer un retour de l'État sur tout le territoire et aider au développement. Nous ne parviendrons pas à la paix si nous concentrons uniquement nos efforts sur les opérations militaires. Nous ne pouvons pas gagner une guerre comme celle-ci seulement, si je puis dire, en neutralisant les terroristes, car, avec le temps, ils se régénèrent. Nous devons réussir à transformer les gains tactiques chèrement acquis sur le terrain en progrès politiques, économiques et sociaux. L'objectif de l'action militaire, c'est de préparer le terrain et de créer un espace pour l'action politique et pour le développement. Aujourd'hui, c'est-à-dire un an après le sommet de Pau, les premiers résultats sont là. La situation s'est améliorée. Je le dis évidemment avec une extrême prudence, mais, néanmoins, nous voyons plusieurs signaux positifs qui doivent nous encourager.

Monsieur le président, vous m'offrez la possibilité d'exposer un peu plus dans le détail certaines actions concrètes que nous menons.

Je voudrais notamment revenir sur une initiative née au sommet de Pau et qui s'appelle « Ménaka sans armes ». C'est une initiative qui est menée conjointement par les forces armées maliennes, et les groupes armés signataires de l'accord pour la paix et la réconciliation au Mali, signé en 2015, avec l'appui des Nations unies et de la force Barkhane. Elle vise à réduire l'insécurité dans la ville de Ménaka, qui était jusqu'à récemment un bastion des terroristes dans la région des trois frontières. Concrètement, des forces armées maliennes et des casques bleus patrouillent dans la ville, et ils assurent une présence à la fois dissuasive et préventive. En ce début d'année 2021, la population, les autorités, les acteurs locaux et les partenaires sont unanimes : les résultats de cette initiative sont très encourageants. Un malien issu de la société civile locale nous a déclaré : « Avant, à Ménaka, les gens ne dormaient pas, ne savaient pas à quoi s'en tenir. Maintenant on arrive à dormir, même si la peur persiste ».

Je voudrais maintenant vous dire quelques mots de la force Takuba, qui a été lancée avec nos partenaires européens en mars de l'année dernière. C'est une force complètement nouvelle, composée de forces spéciales européennes, qui est destinée à entraîner puis accompagner les forces maliennes dans leur combat contre le terrorisme. Il y a d'abord l'entraînement, où nous partageons avec les forces maliennes nos savoir-faire, notre savoir-être, les actes réflexes d'un combattant. Nous les entraînons à se déplacer, se protéger et à réagir en cas d'attaque. Nous les formons aussi au respect des règles du droit international humanitaire et du droit des conflits armés.

Ce qui est plus novateur, c'est l'accompagnement au combat. Nous leur apprenons à planifier une opération, à la conduire sur le terrain et à en tirer une expérience, une analyse après action. Nous intervenons avec eux en binôme.

C'est donc une formation qui est conduite de bout en bout, du premier jour d'engagement jusqu'à l'épreuve du feu. Takuba, ce sont aujourd'hui 8 pays européens partenaires mobilisés à nos côtés : la Suède, la République tchèque, l'Estonie, l'Italie, le Danemark, le Portugal, la Belgique et les Pays-Bas. Par ailleurs, il faut rappeler que nous sommes politiquement soutenus par l'Allemagne, la Norvège et la Grande-Bretagne. Depuis le 15 juillet, Takuba est une réalité opérationnelle. Elle a entamé sa mission auprès des forces armées maliennes avec un premier déploiement franco-estonien composé d'une cinquantaine de militaires, à savoir 28 Français et 22 Estoniens. Ce groupe franco-estonien a été engagé dans des opérations majeures, notamment les dernières, que vous avez rappelées, menées par Barkhane à partir du mois d'octobre.

Le baptême du feu est intervenu il y a quelques jours dans la région d'Ansongo, près de la frontière du Mali et du Niger. La force en est sortie victorieuse. Par ailleurs, le groupe franco-tchèque vient d'achever son déploiement et a déjà entamé son entraînement avec une unité malienne. Il sera bientôt engagé à son tour en opération. Quant au contingent suédois, il a également commencé son déploiement et il monte en puissance. Il sera composé d'environ 150 militaires et sera stationné à Ménaka. Il comprendra trois hélicoptères de manoeuvre, un avion de transport tactique, un groupe de forces spéciales, qui seront donc en mesure d'intervenir rapidement dans n'importe quel point de la région des trois frontières, et une équipe chirurgicale. D'autres contributions sont annoncées pour les prochains mois, notamment de la part du Danemark, du Portugal, de l'Ukraine, de la Grèce, de la Hongrie et de l'Italie, dont le Parlement a autorisé en juillet le déploiement d'un contingent pouvant aller jusqu'à 200 militaires et 8 hélicoptères de manoeuvre. L'Italie poursuit actuellement ses travaux de planification en vue d'un déploiement à partir du mois de mars de cette année.

Takuba, vous l'avez compris continuera d'être une priorité pour les armées en 2021, comme l'est la formation des forces armées sahéliennes. Depuis 2014, ce sont 17 000 soldats du G5 Sahel qui ont été formés au combat par la force Barkhane, dont 6 000 au cours de la seule année 2020, c'est-à-dire trois fois plus que les années précédentes. Je ne vous ai pas parlé de la force conjointe du G5 Sahel, mais je suis certaine que nous pourrons l'évoquer dans le cadre de vos questions.

J'en viens donc au mot de la fin. Au Sahel, la France n'a pas d'agenda caché. Nous avons un seul objectif : lutter contre le terrorisme, comme nous le faisons d'ailleurs au Levant. Moi aussi, je lis la presse, et je voudrais redire avec force devant votre commission que la France n'est pas engluée dans une guerre sans fin. Nous l'avons dit et répété à nos partenaires internationaux, notre présence n'est certainement pas éternelle. Nous ne resterons que le temps nécessaire pour que les forces armées de nos amis soient en mesure de mener ce combat elles-mêmes, et pas un jour de plus. C'est l'objectif vers lequel nos efforts collectifs convergent, et, comme le Président de la République a eu l'occasion de le dire hier lors de ses voeux aux armées, les résultats obtenus par nos forces au Sahel, conjugués à l'intervention plus importante de nos partenaires européens, vont nous permettre d'ajuster notre effort. Nous aurons l'occasion de faire un bilan complet et détaillé de notre action lors du sommet de N'Djamena. Nous aurons l'occasion de discuter avec nos partenaires et nos alliés des orientations que nous souhaitons collectivement donner à notre engagement pour les mois à venir. Aujourd'hui, je crois que, si nous disions aux Français que leur sécurité serait mieux prise en compte si tous nos soldats de Barkhane rentraient, nous ne dirions pas la vérité, même si, je le redis haut et fort, notre présence n'est pas éternelle.

M. Cédric Perrin. - Madame la ministre, vous avez commencé votre propos en rendant hommage à nos militaires, aux enfants de la France qui sont tombés pour notre sécurité, mais aussi pour la protection de l'Europe. Vous avez eu des mots très justes et je vous en remercie.

Le 4 septembre 2017, aux universités d'été de la défense à Toulon, vous avez annoncé une évolution de la doctrine sur l'armement des drones. Les drones armés sont évidemment des atouts remarquables pour Barkhane. Cependant, nous sommes loin d'une totale efficacité, puisque l'autorisation de vol des deux derniers systèmes Block 5 n'est pas encore effective et qu'ils sont toujours cloués au sol. Par ailleurs, la livraison du Patroller au 61e régiment d'artillerie semble décalée. Comment comptez-vous combler le retard de la France dans ce domaine, sachant que les événements du Haut-Karabakh ont encore montré l'importance des flottes de drones dans les combats actuels ? Comment pensez-vous pouvoir adapter nos systèmes de défense sol-air à cette nouvelle menace, que l'on pourrait presque qualifier de low cost ?

Enfin, dernière question, loin de tout esprit polémique. Nous le savons, les pertes militaires de Barkhane sont souvent liées à des IED (Improvised Explosive Device) qui visent nos véhicules blindés légers (VBL). Or, d'après les informations dont je dispose, nos Mk1, et je ne parle pas des Ultima, doivent recevoir de nouveaux kits de blindage contre les mines et les IED. Les commandes dateraient de 2016, mais l'industriel a pris beaucoup de retard. Que pouvez-vous nous en dire ?

M. Christian Cambon, président. - Cela rejoint ma question. Les attaques ont principalement lieu pendant les transports.

M. Olivier Cadic. - Madame la ministre, je veux tout d'abord vous remercier pour la force et la hauteur de votre propos introductif. Le groupe Union Centriste s'associe à l'hommage que vous avez rendu à nos soldats tombés au combat.

Le groupe Union centriste vous remercie pour votre décision courageuse de ne pas autoriser la prise de contrôle par l'américain Teledyne de la société Photonis, fleuron français de la vision nocturne.

Je souhaite vous sensibiliser sur la suppression envisagée à l'été par le ministère de l'intérieur du poste d'expert fraude et immigration à Douala. Ce serait un point d'affaiblissement majeur, car comme j'ai pu le constater en décembre dernier à Faya-Largeau, le port de Douala dispose d'une importance stratégique en matière de logistique pour approvisionner nos forces armées au Sahel. Puisqu'il s'agit d'une décision interministérielle, je relaye l'inquiétude émanant de notre poste diplomatique au Cameroun pour que vous puissiez alerter le ministre de l'intérieur sur les effets potentiellement négatifs de ce choix.

Lors de ma visite de la zone de commandement Barkhane à N'Djamena le mois dernier, j'ai eu l'opportunité de féliciter nos forces pour les remarquables résultats obtenus face au terrorisme en 2020 et de rendre hommage à leurs sacrifices et à leur dévouement quotidiens.

Nos militaires soulignent l'engagement collectif au Sahel, où la France n'est pas seule à agir. Grâce à l'impulsion donnée par le Président de la République, le Sahel est aujourd'hui un laboratoire qui permet à l'Union européenne de démontrer sa capacité à peser sur le rétablissement de la paix et de la sécurité : aide aux populations, conseil, formations militaires, engagement opérationnel. Qui sait que l'Allemagne, par exemple, compte près de 1 000 hommes engagés dans la Minusma ?

La France est aussi engagée aux côtés des armées du G5 Sahel. Leur connaissance du terrain et des populations locales est fondamentale pour rétablir la paix dans la région, apaiser les séparatismes et chasser le terrorisme.

Huit ans après le début de l'opération Barkhane, quel regard portez-vous sur le niveau d'implication des forces armées des pays du G5 Sahel ? Quels sont les progrès concrets que vous avez observés dans leurs engagements opérationnels ?

M. Olivier Cigolotti. - L'histoire de ces dernières décennies nous démontre qu'il est difficile pour des forces conventionnelles occidentales de remporter des victoires importantes dans des conflits asymétriques. Les exemples sont nombreux, qu'il s'agisse du Vietnam, de l'Indochine ou de l'Afghanistan. Au Sahel, le conflit originel s'est transformé en une pluralité de conflits interethniques et parfois localisés. Il est difficile de gagner la guerre lorsque l'État est perçu, non pas comme protecteur, mais comme prédateur.

Nos forces font un travail remarquable et remportent de nombreuses victoires, malheureusement parfois au prix du sacrifice suprême, face à une certaine forme de lâcheté des groupes armés terroristes qui utilisent de plus en plus régulièrement des IED. Faut-il voir un lien entre l'intensification d'utilisation des IED et l'arrivée, notamment dans le Sud libyen, de mercenaires syriens à la solde de la Turquie ?

Mme Isabelle Raimond-Pavero. - Je me joins à l'hommage rendu à nos soldats morts pour la France, mais aussi à nos soldats de la force Barkhane. Ces derniers accomplissent des missions délicates et de grande intensité contre des cibles de haute valeur en milieu extrême.

La crise sanitaire et économique crée des rapports de force entre les différents États et affaiblit certains pays, entraînant des changements et des réactions d'une extrême violence. Nous ne pouvons pas laisser le champ libre aux groupes armés terroristes.

Il y a un an, le Président de la République avait indiqué que les résultats obtenus par nos forces, conjugués à l'intervention plus importante de nos partenaires européens, nous permettraient d'ajuster nos efforts. Madame la ministre, face aux interrogations soulevées par l'opinion publique, n'estimez-vous pas qu'il est aujourd'hui impératif de se donner les moyens de communiquer sur les enjeux de notre intervention militaire au Sahel et sur les progrès permis par cette force ?

M. Richard Yung. - Nos résultats militaires sont meilleurs que ce que l'on dit, mais nous combattons une forme de guérilla. La victoire militaire est d'autant plus difficile que nous combattons une multiplicité de mouvements dont les objectifs peuvent être différents. Or pendant les huit ans où il a été au pouvoir, IBK (Ibrahim Boubacar Keïta) n'a rien fait sur le plan de la réconciliation politique, et les accords d'Alger sont restés lettre morte. La situation politique est bloquée, mais nous savons qu'il faudra pourtant discuter avec la partie adverse. Quelles sont vos réflexions en la matière, madame la ministre ?

Mme Hélène Conway-Mouret. - Je m'associe à l'hommage appuyé que vous avez rendu à nos soldats, madame la ministre. Le moment n'est pas opportun pour parler de désengagement, car cela pourrait redonner espoir à notre ennemi à un moment où nous pourrions être en position de force. Pour autant, il est naturel qu'après huit ans d'engagement croissant, nous débattions de celui-ci. Pouvez-vous nous donner des précisions quant aux « ajustements » évoqués par le Président de la République dans ses voeux aux armées ?

Nos moyens de renseignement, de liaison et de détection des IED par imagerie radar seront-ils renforcés ?

Deux avions légers de reconnaissance ont été livrés à Évreux en août et en décembre 2020. Quand seront-ils opérationnels sur le théâtre sahélien ?

M. Yannick Vaugrenard. - Il y a huit ans, personne n'aurait imaginé que nous serions aujourd'hui encore présents au Sahel, où nous déplorons la perte de 57 hommes. Le Président de la République a indiqué que les efforts militaires allaient être ajustés, mais sous quelles conditions ?

Le général Lecointre a récemment indiqué : « Il y a effectivement un positionnement de principe de la France qui considère qu'on ne négocie pas avec des terroristes, mais il faudra bien trouver une solution politique. Pour moi, ce n'est pas une question morale. On ne pourra pas faire la paix au Mali sans une vaste réconciliation qui dépasse les critères occidentaux. » Madame la ministre, quelles sont les formes de réconciliation qui dépasseraient les critères occidentaux ?

Mme Florence Parly, ministre. - Je ne suis pas certaine de pouvoir répondre à toutes vos questions, car certaines doivent d'abord être tranchées au terme d'un échange avec les pays partenaires dans le cadre du sommet de N'Djamena. À ce stade, je ne puis donc vous donner de détails sur les ajustements qui seront apportés.

Monsieur le président Cambon, je partage votre regret que l'accord d'Alger n'ait pas été mis en oeuvre pendant toutes ces années. L'absence d'une véritable volonté politique a privé nos avancées sur le plan militaire d'une partie de leur efficacité. De plus, certains territoires, notamment dans la partie nord du Mali, ont rarement eu des contacts avec l'État malien.

La protection de nos forces est une préoccupation majeure. Les drones armés dont nous disposons constituent un atout considérable, qui a permis d'élargir et amplifier nos capacités sur le terrain. De nouveaux drones sont arrivés sur le théâtre sahélien ; nous pourrons prochainement en tirer pleinement parti. Le retard européen pris en matière de drones MALE (Moyenne Altitude Longue Endurance) a vocation à être comblé par l'Eurodrone, mais dans cette attente, nous avons pris des initiatives afin d'y remédier. Ainsi, l'armée de terre sera livrée prochainement de drones de petite taille qui vont compléter notre panel.

Dans le contexte d'une multiplication des attaques par IED, le renforcement du blindage est crucial. En 2019 et 2020, les attaques dirigées contre les forces sahéliennes et les civils ont été quotidiennes. S'agissant des VBL Mk1, des kits de blindage ont été commandés en 2018 et sont en train d'être livrés, si bien que les VBL Mk1 ainsi renforcés seront acheminés sur le théâtre sahélien par voie aérienne - et non maritime, afin de gagner du temps - dans le courant du premier trimestre 2021. J'en profite, monsieur Cadic, pour vous indiquer que je ferai part de votre remarque relative à la suppression d'un poste d'expert à Douala à mon collègue.

D'autres décisions ont été prises pour améliorer la protection contre les IED, notamment l'acquisition de VBL dits « Ultima », dont les premières livraisons sont attendues en début d'année prochaine.

Au-delà du renforcement des structures, une réflexion doit être menée rapidement sur l'usage des VBL.

M. Christian Cambon, président. - Les industriels sont-ils en alerte sur ces sujets ?

Mme Florence Parly, ministre. - Permettez-moi de vérifier ce point et de revenir vers vous ultérieurement.

La question est grave, et il nous faut forcer le rythme pour faire face à la multiplication des IED. Dans le courant de l'année 2021, nous serons en mesure de présenter un certain nombre d'innovations pour améliorer la protection de nos forces, mais il faudra ensuite les déployer, ce qui est toujours plus difficile.

J'estime qu'il est nécessaire de communiquer davantage sur nos résultats au Sahel. Un an après le sommet de Pau, la situation sécuritaire s'est améliorée. La concentration des forces dans la zone des trois frontières a permis d'entamer significativement les capacités des groupes armés terroristes, en particulier l'État islamique au Grand Sahara. Par ailleurs, les forces armées locales ont beaucoup progressé. Les opérations Bourrasque et Éclipse reposent pour la moitié de leurs effectifs sur les forces armées locales.

Paradoxalement, les commentateurs semblent juger que rien ne fonctionne. Il me semble pourtant que les Français dans leur ensemble soutiennent nos militaires parce qu'ils ont conscience qu'ils contribuent à les protéger. Le Mali n'est pas l'Afghanistan, et nous ne sommes pas englués dans une guerre éternelle. Le sommet de N'Djamena devrait permettre de dresser un bilan avec nos partenaires sahéliens et européens. C'est notre mission que de contribuer à faire connaître ces avancées.

J'en viens aux moyens déployés pour avoir une meilleure compréhension du théâtre d'opération. Nous faisons du renseignement humain et du renseignement technique à la fois terrestre, aérien et par voie spatiale. Le renseignement fait partie des moyens permettant de prévenir un certain nombre de tentatives d'attaque par IED. Enfin, dans le cadre des innovations que j'ai évoquées, nous travaillons également sur des solutions d'imagerie radar.

Les avions légers de surveillance et de reconnaissance seront prochainement déployés sur le théâtre. Ces moyens sont complétés par des drones qui ne font pas que de la frappe, mais également de la reconnaissance.

S'agissant de la discussion avec la partie adverse, les choses ont été dites clairement par le ministre de l'Europe et des affaires étrangères lorsqu'il s'est rendu au Mali pour nouer le premier contact avec les nouvelles autorités maliennes. Nous savons que notre adversaire au Sahel n'est pas homogène, mais qu'il s'agit de combattants dont certains ont été manipulés ou embrigadés et qui souhaitent retrouver toute leur place dans leur pays d'origine. En revanche, avec les groupes terroristes qui se réclament d'Al-Quaïda ou de Daech, le dialogue n'est pas possible. Il nous faut donc revenir à la mise en oeuvre des accords d'Alger.

L'engagement des forces américaines, notamment en matière de renseignement, est plus fort que jamais. Nous bénéficions ainsi d'une masse d'informations. Nous souhaitons obtenir de la nouvelle administration américaine l'assurance que ces moyens seront prolongés, voire renforcés, mais à ce stade je n'ai aucune certitude.

Je vous remercie pour votre soutien à nos militaires et à l'action de la France.

M. Christian Cambon, président. - Les dangers surviennent à l'occasion des transports routiers. Ne pourrait-on renforcer les transports aériens ?

Mme Florence Parly, ministre. - C'est bien parce que les transports terrestres sont très dangereux que nous avons cherché à mobiliser les capacités aériennes de nos partenaires, notamment britannique, danois, espagnol et américain. Nous ne pourrons pas éliminer les convois terrestres, mais nous nous efforçons de les limiter aux stricts besoins et d'accompagner ces transports d'une préparation permettant préventivement de déjouer un certain nombre d'attaques.

Permettez-moi de répondre au sénateur Cadic sur les progrès réalisés par les armées sahéliennes : jamais nous n'avons vu des forces maliennes ou nigériennes mener le combat comme elles l'ont fait à la fin de l'année 2020. Le niveau d'imbrication n'a jamais été aussi poussé, ce qui permet une transmission efficace des savoirs et des savoir-faire. Nous avons donc franchi une étape très significative, mais il faut aussi que ces armées puissent se régénérer, ce qui suppose de recruter des effectifs. Ce processus est en construction.

M. Hugues Saury. - Je m'associe à l'hommage rendu à nos soldats. Les accusations portées contre les forces françaises à la suite des frappes qui auraient tué des civils lors d'un mariage près de Douentza au Mali le 3 janvier dernier ont mis en exergue l'impopularité de notre armée dans l'opinion publique locale et nous confirment l'existence d'une guerre de désinformation qui pèse sur l'opération Barkhane. Si nous rencontrons des succès militaires, je ne suis pas certain que nous gagnions la bataille de l'information. La présence des soldats français est perçue par une partie de la population locale comme une occupation de territoire, cette perception défavorable étant alimentée par des tactiques de communication via les réseaux sociaux. Comment lutter contre ce phénomène et quelle stratégie adopter pour rétablir une relation de confiance avec la population locale ? L'ajustement des troupes déployées s'inscrit-il dans cette stratégie ?

M. Joël Guerriau. - Les premières incursions de djihadistes revendiquant l'indépendance de l'Azawad sont intervenues il y a neuf ans, le 17 janvier 2012. Depuis, la situation politique du Mali est instable. Aujourd'hui même, des manifestations se tiennent à Bamako pour protester contre la présence française au Mali. Si le gouvernement malien était renversé, un nouveau gouvernement pourrait nous demander de nous retirer. Que ferions-nous dans ce cas ? Quelles sont les mesures prises aujourd'hui pour éviter ce scénario, alors que les réseaux sociaux sont extrêmement pollués par des positions maliennes anti-françaises ?

Par ailleurs, quelles incidences positives pouvons-nous attendre du changement de président américain ?

M. Robert del Picchia. - Je m'associe à mon tour à l'hommage à nos soldats. Il me semble nécessaire de faire un effort de pédagogie à l'intention des Français.

Quelles sont les réactions des autres pays à l'idée d'un retrait de la France ?

Mme Vivette Lopez. - Permettez-moi d'exprimer l'admiration et le respect que j'ai pour nos forces armées. Quelle est selon vous l'influence de la propagande russe au Mali ?

M. Jean-Marc Todeschini. - Je m'associe également à l'hommage à nos soldats. Disposez-vous d'informations sur une éventuelle montée en puissance d'une coordination entre les différents groupes armés terroristes ? Barkhane fournit un important soutien logistique et opérationnel aux forces du G5 Sahel. Une montée en puissance de ce soutien est-elle prévue en matière de forces aériennes ? Le sommet de Pau a instauré un mécanisme de commandement conjoint. Donne-t-il réellement satisfaction ? La Chine et la Turquie s'étaient engagées à apporter leur soutien en matière d'équipement. Qu'en est-il ? Avez-vous connaissance de l'intervention de mercenaires étrangers, notamment turcs ou syriens ?

M. Pierre Laurent. - Je m'associe à l'hommage à nos soldats. Toutefois, je ne partage pas votre analyse qui reste, selon moi, marquée par une cécité sur l'impasse politique de la situation au Sahel. Les pays continuent à se désagréger, ce qui complique l'émergence d'une solution politique, pourtant indispensable pour mettre un terme au terrorisme. Tous les pays où l'on a fait la guerre au djihadisme - Afghanistan, Libye, Syrie, etc. - sont en lambeaux. Les djihadistes profitent de cet engrenage de violences et leur recrutement ne se tarit pas, car la guerre nourrit de nouvelles formes d'engagement, qui n'ont pas de motif religieux à la base. Cela nous avait été dit par un chercheur lors de son audition en commission. Quels sont les coûts de Barkhane ? Nous engageons des moyens disproportionnés dans une guerre asymétrique pour des résultats limités. Nous ne pourrons continuer longtemps ainsi. Comment chiffrez-vous les pertes humaines pour les populations ? Combien de déplacés à cause de la guerre ? Inversement, on peine à voir les moyens consacrés au développement. N'est-il pas temps de définir un agenda de retrait ? Paradoxalement, cela inciterait les acteurs à rechercher une solution politique.

M. Guillaume Gontard. - Je veux aussi rendre hommage aux soldats morts pour la France. L'État malien est un État failli, fragile. Pourriez-vous nous confirmer que le coût lié à l'opération Barkhane s'est élevé à 911 millions l'an dernier ? L'aide publique au développement (APD) au Mali s'est élevée à 473 millions entre 2013 et 2017. Ne faut-il pas rééquilibrer la balance ? Un sentiment antifrançais commence à s'implanter dans l'opinion malienne. Ne vaut-il pas mieux repenser notre action au profit d'opérations plus ciblées, de renseignement par exemple, mais aussi en faveur du développement ou de l'aide aux populations ?

Mme Nicole Duranton. - Je veux aussi rendre hommage à nos soldats morts pour la liberté. L'opération Barkhane ne s'arrêtera que le jour où il n'y aura plus de terroristes islamistes dans la région et lorsque la souveraineté pleine et entière des États de la région sera restaurée. La France combine actions diplomatiques, militaires et en faveur du développement. Chacun a conscience que l'action militaire, hélas, ne suffira pas à écarter la menace terroriste et qu'il faut absolument obtenir des États du Sahel des engagements pour combattre la corruption, développer des services publics et permettre le retour à une vie normale. Mais la reconstruction d'un État prendra des années, voire des décennies. Des discussions sont-elles engagées en ce sens avec les États du Sahel pour obtenir certains engagements ?

M. Mickaël Vallet. - Ma question concerne le renforcement de la force Takuba. Quelle est l'attitude nos partenaires européens à cette perspective ? Certains de nos voisins sont réticents en raison du souvenir de la seconde Guerre mondiale. On a reçu le soutien d'un certain nombre de pays, mais celui-ci est-il opérationnel ? L'intérêt de Barkhane n'est pas perçu partout de la même façon, dans tous les pays. Quelles démarches effectuez-vous pour convaincre nos partenaires de s'impliquer davantage ? Je sais que vous ne pouvez préjuger des conclusions du sommet de N'Djamena, mais estimez-vous que l'appui de nos partenaires est suffisant ? Estimez-vous qu'il faut davantage de moyens ?

M. Ludovic Haye. - Je tiens aussi à m'associer à l'hommage rendu à nos soldats tombés pour la liberté ainsi qu'à leurs frères d'armes. Il sera intéressant de voir comment se traduira l'ajustement annoncé par le Président de la République hier, sur les plans militaire, financier, humain, logistique, technique ou même géographique. La montée en puissance de Takuba sera-t-elle en mesure de compenser un éventuel allégement de l'engagement de la France au Sahel ? Vous avez évoqué la pédagogie, mais celle-ci suffira-t-elle ? Les forces sahéliennes, lorsqu'elles auront été formées, seront-elles en mesure de poursuivre le combat efficacement ?

Mme Florence Parly, ministre. - Vous avez évoqué la question, cruciale, de la guerre de l'information. Il y a plusieurs domaines de conflictualité et l'information en fait partie. Nous l'avons vu encore récemment lorsque sur toutes sortes de réseaux sociaux, la France a été accusée d'avoir été à l'origine d'une frappe ayant soi-disant tué des civils. Quand je dis « soi-disant », je ne doute pas que des civils aient été tués, mais c'était ailleurs et ce n'est pas du fait de l'intervention de la France. J'ai eu l'occasion de bien préciser tout cela, l'état-major également. Ce que nous pouvons déplorer désormais c'est que face aux faits, il y a des rumeurs et que désormais, les faits ne pèsent pas plus lourd que les rumeurs. C'est donc en effet une sorte de guerre qui s'engage sur notre capacité à opérer la distinction entre de la propagande, de la rumeur amplifiée par des réseaux sociaux, et des faits qui sont des données vérifiées, certifiées par nos forces. Nous assurons la traçabilité de tout ce que nous faisons, mais organiser la traçabilité ne signifie pas nécessairement que dans la seconde nous puissions réagir au même rythme que sur les réseaux sociaux. Tout cela crée en effet une asymétrie et il faut avoir bien conscience qu'il ne s'agit pas nécessairement de rumeurs qui sont répandues par des acteurs locaux, mais qu'il y a aussi un jeu de puissances, des compétiteurs qui ne verraient que des avantages à ce que les Européens - pour avoir une appréhension large du sujet - quittent ce théâtre, afin de pouvoir mieux s'y déployer eux-mêmes, avec probablement d'autres intentions que les nôtres. Donc c'est un sujet que nous prenons très au sérieux, mais je voudrais dire que pour ce qui nous concerne, nous tenons absolument, lorsque nous communiquons, à communiquer sur des faits qui sont vérifiés. Rien ne serait pire que d'engager la parole de l'État sur des données partielles et pas totalement certaines.

M. Christian Cambon, président. - Les réseaux sociaux sont prompts à s'enflammer avec toutes sortes d'informations. Je comprends tout à fait que votre réponse ne puisse intervenir que lorsqu'elle est parfaitement certifiée, mais ne peut-on pas avoir, de la part des services de communication des armées, des preuves - il y a des photos puisque les forces armées ont dit « nous avons, de toutes façons, toutes les preuves ». Mais nous, nous ne les avons pas, ni l'opinion publique. J'ai lu un communiqué qui disait « nous avons très bien repéré qu'il s'agissait d'une organisation terroriste, nous avons vu le chef arriver, etc. ». Vous avez donc des éléments visuels. Je pense que plutôt que de laisser s'enflammer les réseaux sociaux, les éléments qui ont amené l'intervention pourraient être produits. Certes il y a la dimension confidentielle, mais quelques éléments renforceraient la crédibilité des forces armées.

Mme Florence Parly, ministre. - Il faut aussi avoir en tête que montrer des images, c'est montrer à notre ennemi ce que nous voyons de lui. Il ne sait pas précisément ce que nous savons et voyons de lui. C'est tout le problème. Il y a, et je le comprends, un besoin de l'opinion publique de savoir et de se sentir rassurée sur le fait que la France mène et conduit ces opérations conformément au droit humanitaire international, au droit de la guerre. C'est extrêmement important, c'est la raison d'être même de nos forces. Et puis il y a aussi la nécessité de protéger nos soldats, en ne livrant pas à nos adversaires des éléments qui pourraient modifier leur mode opératoire. C'est une question éternelle. Je comprends la demande. Mais la raison pour laquelle nous n'y accédons pas est celle que je vous indique. Parfois cela nous place nous-même dans une situation qui n'est pas facile. Ce serait plus simple, d'une certaine façon, de pouvoir partager certaines images, certaines vidéos. Mais les conséquences de cette révélation publique seraient tout à fait importantes du point de vue de la conduite de nos opérations sur le théâtre.

Nous avons passé l'an dernier beaucoup de temps et d'énergie pour nous assurer du soutien américain à Barkhane : ce soutien, important notamment en matière de renseignement, était contesté au début de l'année 2020, puis l'administration américaine sortante a demandé à se faire payer en échange de son aide. Finalement, nous avons obtenu le rétablissement du soutien américain dans les termes initiaux. Cette question sera l'une des premières que nous aurons à aborder avec la nouvelle administration.

J'en viens à votre question sur la réaction de nos partenaires à l'idée d'un « retrait » de la France. Le Président de la République n'a pas parlé de « retrait », mais d'un « ajustement » de notre dispositif. Les pays du G5 sont très attachés à la coopération avec la France. Nous avons de nombreux contacts avec les nouvelles autorités maliennes depuis le mois d'août et celles-ci ont réaffirmé publiquement leur souhait que la coopération avec la France se poursuive. Il en va de même de nombreux pays de la zone.

La désinformation constitue l'une des armes utilisées par nos adversaires au Mali, et par ce terme je désigne aussi des pays comme la Russie ou la Turquie, qui ont l'habitude d'utiliser ces méthodes. Si la Russie est très active en Centrafrique, elle l'est beaucoup moins au Mali, en tout cas notre connaissance, mais nous surveillons cela avec beaucoup d'attention. Nous n'hésiterions pas à en parler avec les Russes si cela apparaissait nécessaire.

Les organisations terroristes sont à la fois dans un rapport de coordination et de compétition. La coordination existe du côté d'Al-Qaïda, puisque le Rassemblement pour la victoire de l'Islam et des musulmans (RVIM), lié à Al-Qaïda, s'appuie lui-même sur des katibas réparties dans différentes zones géographiques : on pourrait citer la katiba Macina, Ansarul Islam, l'émirat de Tombouctou, etc. La coordination est étroite entre les différents échelons de l'organisation, qui sont, en fait, rattachés à la même organisation principale. Il y a aussi une compétition entre le RVIM et l'EIGS, qui relève de Daech. Ces organisations se combattent avec acharnement, et cela a entraîné un affaiblissement supplémentaire de l'EIGS, au-delà des coups que nous pouvons lui porter.

La force conjointe bénéficie du soutien de Barkhane et des opérations de combat ont été menées ensemble. La création d'un commandement conjoint à Niamey constituait l'une des demandes que nous avons exprimées au sommet de Pau, afin de faciliter la coordination entre Barkhane, la force conjointe et les forces nationales des différents pays du Sahel. Ce commandement a été constitué, il fonctionne extrêmement bien et c'est notamment dans ce cadre que les Américains ont pu nous fournir du renseignement.

En ce qui concerne les équipements, tous les pays ne sont pas au rendez-vous, et nous continuons inlassablement, avec les Européens, à rappeler à un certain nombre de nos partenaires leurs promesses de dons. Certaines n'ont pas été tenues, d'autres le sont désormais partiellement : je pense notamment aux pays du Golfe, comme les Émirats arabes unis. On attend toujours le don de l'Arabie Saoudite.

Si la présence de mercenaires russes est certaine en Centrafrique, nous n'avons pas pu en identifier au Sahel, mais nous avons bien conscience de la forte porosité entre la Libye et le nord du Tchad, qui est susceptible de faciliter la circulation des combattants ou des armements. Nous suivons cela avec une grande vigilance.

Nous vous fournirons tous les éléments sur le coût de Barkhane dans le cadre des données relatives à l'exécution 2020. Le chiffre que vous avez avancé, de l'ordre de 900 millions, constitue un bon ordre de grandeur. En tout cas, ce chiffre est plus élevé qu'en 2019, où il s'élevait à 800 millions d'euros, la différence s'expliquant par la hausse des effectifs de 600 personnes.

Les populations civiles sont les premières victimes de cette guerre. Il suffit de se remémorer le massacre par l'EIGS d'une centaine de villageois, au début de cette année, au Niger. Oui, les pertes civiles sont très importantes, et des centaines de milliers de personnes sont déplacées, mais ce n'est pas la présence de la force Barkhane qui est à l'origine de ces massacres : ils sont dus à la volonté de deux organisations terroristes d'asservir des populations civiles et de remettre en cause les fondements mêmes d'un État, déjà très fragile. Il n'y a pas de lien entre la présence de nos forces et les effets visibles des actes des terroristes. Et si d'ailleurs nous les combattons, c'est pour éviter que les États ne tombent, que des populations entières soient massacrées, et pour empêcher que ces organisations terroristes ne développent des bases arrière depuis lesquelles elles pourraient mener des actions contre la France et l'Europe.

L'action militaire ne rétablira pas seule la stabilité dans la région. Celle-ci doit être relayée par des initiatives politiques. Il ne m'appartient pas, aujourd'hui, de vous dire quelles sont celles qui pourraient être prises dans le cadre du sommet de N'Djamena, mais il est déjà dans l'agenda des autorités maliennes de reprendre l'accord d'Alger pour en assurer la mise en oeuvre. Nous verrons quels seront les actes qui en découleront, mais la volonté est là.

S'agissant de la force Takuba, je note une prise de conscience progressive, en Europe, qu'au Sahel c'est bien la sécurité des Européens et de l'Europe qui se joue. Au-delà des échanges très nombreux que nous avons dans le cadre des institutions européennes, l'Initiative européenne d'intervention constitue un très bon forum pour convaincre bon nombre de nos alliés de nous rejoindre. La crise sanitaire a réduit le nombre de mes déplacements pour rencontrer mes homologues, par rapport à 2019. La Suède et l'Estonie sont désormais convaincues de la pertinence de participer à Takuba. Les échanges au niveau européen sont permanents et doivent être poursuivis, mais je crois pouvoir dire que les Européens ont bien compris qu'il s'agissait d'une question de sécurité pour eux-mêmes. Reste alors à définir les conditions dans lesquelles chacun, en fonction de sa culture, de ses capacités ou de ses moyens, peut apporter une contribution utile à cette force Takuba. En tout cas, je poursuivrai mon travail pour mobiliser nos partenaires européens.

Malgré la crise sanitaire et les perturbations très profondes qu'elle a entraînées, nous avons consommé, quasiment à l'euro près, les crédits dont nous dispositions en loi de finances initiale, soit quelque 37,5 milliards d'euros. Nous avons bénéficié d'un dégel de crédits à hauteur de 800 millions d'euros dans le courant du mois de novembre, soit bien plus tôt que d'habitude, ce qui a facilité l'exécution budgétaire. Nous avons également obtenu, dans le cadre de la loi de finances rectificative, les ouvertures de crédits dont nous avions besoin pour couvrir les surcoûts des OPEX. Il s'agit d'une taxation interministérielle qui était surtout ministérielle...

M. Christian Cambon, président. - La disposition que le Sénat avait introduite dans la LPM était pourtant claire !

Mme Florence Parly, ministre. - Notre exécution 2020 est excellente compte tenu du contexte économique qui est le nôtre : nous avons consommé la totalité de nos crédits, nous sommes venus en aide à nos entreprises et nous avons réussi à couvrir les surcoûts des OPEX.

M. Christian Cambon, président. - Pour la troisième année consécutive, la LPM est correctement exécutée : le mérite vous en revient. Hier soir, à Brest, le Président de la République a donné des assurances sur la poursuite de la LPM, qui serait « maintenue » et même « accentuée » : j'y ai été sensible. Sachez que le Sénat restera toujours très attentif à défendre la défense. D'autres considèrent que les dépenses de défense sont inutiles. Ce n'est pas notre point de vue.

Mme Florence Parly, ministre. - Je voudrais adresser mes remerciements aux armées, directions et services, car ils se sont mobilisés de manière exceptionnelle, notamment afin de recruter conformément à notre plafond d'emplois. C'est une performance tout à fait exceptionnelle compte tenu du contexte dans lequel nous avons géré les processus de recrutement.

M. Christian Cambon, président. - Je tiens à souligner le rôle de grande entreprise d'insertion sociale des forces armées. Nous l'avons constaté dans l'engagement des jeunes dans les écoles de la marine ou dans le cadre du service militaire adapté en Guyane.

Nous arrivons au terme de cette très intéressante audition. Le débat que nous avons prévu n'est pas polémique, il est démocratique et nécessaire et je regrette que l'Assemblée nationale n'ait pas fait de même. Il n'est pas exclu que le ministre des affaires étrangères souhaite y participer afin d'évoquer les initiatives politiques et diplomatiques. Les armées « font le job », avec un courage, un dynamisme incroyables. Mais diplomatiquement il faut aller encore plus loin, car une réconciliation nationale est indispensable. Compte tenu du prix que nous payons en vies humaines et en blessés, la France a, plus que d'autres, le droit de parler aux militaires à la tête du Mali. Je compte sur le sommet de N'Djamena pour que des conditions soient posées, car les manifestations anti-françaises sont très pénibles.

Je vous remercie, ainsi que votre cabinet. Continuez, madame la ministre, à nous donner l'information et portez nos messages auprès du Président de la République.

La réunion est close à 18 h 45.

Ce point de l'ordre du jour a fait l'objet d'une captation vidéo qui est disponible en ligne sur le site du Sénat.