Jeudi 18 mars 2021

- Présidence de M. Bernard Jomier, président -

Audition de représentants de festivals

M. Bernard Jomier, président. - Nous poursuivons aujourd'hui nos travaux visant à mesurer l'impact de la crise sanitaire sur le secteur culturel. Après avoir entendu, il y a quinze jours, des représentants de salles de spectacles, nous avons le plaisir d'accueillir ce matin des organisateurs de festivals, à savoir le festival d'Avignon, les Eurockéennes de Belfort, les Rencontres d'Arles et les Vieilles Charrues. Nous avons volontairement invité des festivals représentatifs de différentes esthétiques, et donc soumis à des configurations diverses, pour mieux identifier les différentes problématiques qui sont susceptibles de se poser.

Madame, Messieurs, je voulais vous remercier d'avoir répondu à notre invitation. Il est très important, pour nous, de pouvoir recueillir votre point de vue, après la saison 2020 éprouvante que vous avez déjà traversée, puisqu'aucun des festivals que vous représentez n'avait pu se tenir.

Il y a un mois jour pour jour, la ministre de la culture, Roselyne Bachelot, a présenté le cadre qui pourrait s'appliquer aux festivals en 2021. Seuls les festivals en configuration assise, avec distanciation, d'une jauge inférieure à 5 000 spectateurs, sur un même site et pour un même événement, devraient être autorisés. Ces règles constituent une base, puisque la ministre n'a pas exclu la possibilité qu'elles puissent être assouplies ou, malheureusement, durcies en fonction de l'évolution de la situation sanitaire, ce qui doit naturellement compliquer votre décision de maintenir ou d'annuler votre édition 2021.

Les travaux scientifiques se sont multipliés, établissant les conditions dans lesquelles nombre d'activités culturelles pourraient reprendre avec un risque faible. Le conseil scientifique a d'ailleurs abordé cette question dans son avis du 11 mars.

Quoi qu'il en soit, ces annonces bouleversent le format d'un grand nombre de festivals. La ministre a annoncé un fonds de 30 millions d'euros pour compenser les pertes en cas d'adaptation du format du festival pour se conformer aux règles gouvernementales. Une enveloppe de 15 millions d'euros a également été prévue pour aider aux captations de spectacle, même si elle n'est pas réservée aux festivals, mais concerne tout le champ du spectacle vivant.

Je vous cède à chacun la parole pour une durée de cinq minutes afin que vous nous expliquiez votre situation après l'annulation en 2020 et que vous nous fassiez part de l'état de votre réflexion pour la saison 2021. Nous serions intéressés d'avoir votre regard sur le soutien de l'État et des collectivités territoriales depuis le début de la crise sanitaire. Nous sommes évidemment à votre écoute pour toutes vos propositions, car la mission commune d'information entend formuler des recommandations, d'ici quelques semaines, pour suggérer des adaptations qui nous paraitraient utiles à une reprise rapide des activités culturelles.

Après votre exposé liminaire, je donnerai la parole à nos deux rapporteurs, Roger Karoutchi et Jean-Michel Arnaud, pour qu'ils puissent vous interroger. Je laisserai ensuite l'ensemble des collègues qui le souhaiteraient vous poser des questions.

M. Paul Rondin, directeur délégué du festival d'Avignon. - Le festival d'Avignon a pris la décision d'annuler son édition 2020 après l'annonce par le Président de la République de l'interdiction des grands festivals durant l'été.

Nous avons immédiatement soumis à notre conseil d'administration un plan en deux parties. La première partie était un plan d'annulation destiné à prendre en charge et indemniser les salariés, les intermittents et les plateaux artistiques qui auraient dû intervenir sur l'édition du festival. La seconde partie était un plan de maintien et de relance de l'activité consistant à mettre de côté des fonds pour être capable d'intervenir rapidement en les réinjectant dans des projets ou dans des équipes artistiques dès que la reprise des activités culturelles serait possible - à l'automne 2020, au printemps ou à l'été 2021. Notre but était d'éviter l'apparition d'un « désert » au niveau des créations. Ces propositions ont été validées par le conseil d'administration et, à travers lui, par l'État et les collectivités territoriales, qui subventionnent le festival à hauteur de 55 %. Il était important pour nous de leur faire acter que l'arrêt brutal des activités en 2020 n'allait pas mettre à l'arrêt la filière du théâtre public pour une longue période.

Grâce à ce plan, nous avons pu indemniser les équipes et les personnels, évitant ainsi de les voir s'échapper de la filière du spectacle, ce qui était un vrai danger. Nous avons aussi pu organiser un petit festival à l'automne, que nous avons appelé « Une semaine d'art en Avignon ». Il s'agissait surtout d'un geste pour la ville et le département, privés cette année du festival et de la présence des touristes. Nous avons réinjecté de l'argent dans les créations à venir et tenu, si j'ose dire, notre rôle d'institution publique de la culture en aidant notamment les plus fragiles à survivre et à se retrouver - je pense en particulier aux équipes artistiques.

Concernant l'édition 2021, la stratégie qu'Olivier Py et moi-même avons retenue, c'est de faire en sorte d'être prêts, quelle que soit la configuration qui sera autorisée. Il est plus simple de prévoir une proposition ambitieuse et de la dégrader ensuite, plutôt que l'inverse.

Nous avons donc préparé un festival « normal », sur vingt et un jours du 5 au 25 juillet, avec des équipes artistiques, y compris étrangères. Cette proposition est adaptable. Nous pouvons la faire évoluer vers un deuxième scénario dans le cas où les consignes sanitaires nous imposeraient une jauge réduite. Nous pouvons également basculer vers un troisième scénario dans le cas où seuls les festivals en plein air seraient autorisés. Cette configuration est possible, dans la mesure où environ les deux tiers de notre jauge - non les deux tiers des spectacles - est en plein air. En revanche, cela voudrait dire que les « off », qui sont pourtant complémentaires de notre festival et importants en termes d'attractivité et de retombées économiques, ne seraient pas autorisés. Nous travaillons à l'heure actuelle sur la deuxième hypothèse, celle d'une dégradation de la jauge.

Concernant nos relations avec l'État et les collectivités territoriales depuis le début de la crise, je dois dire que nous avons été en contact permanent avec eux, qu'il s'agisse de la ministre, de son cabinet, de la direction générale de la création artistique, de la région, du département, de l'agglomération et de la ville. Nous travaillons véritablement en bonne intelligence, que ce soit de manière logistique, technique et financière.

M. Bernard Jomier, président. - Vous faites bien, Monsieur Rondin, de nous dire les choses telles qu'elles sont.

M. Jean-Paul Roland, directeur du festival des Eurockéennes de Belfort. - Les Eurockéennes de Belfort sont une association de type « loi de 1901 ». Nous avons été créés à l'initiative du département en 1989. Nos statuts nous assignent deux objectifs : d'une part, la promotion des musiques actuelles en région Bourgogne - Franche-Comté, d'autre part, l'organisation d'actions en lien avec la jeunesse. En plus de la fête des Eurockéennes en tant que telle, nous avons un label, « Eurocks solidaires », qui soutient des actions de chantiers jeunes ou d'insertion par l'emploi, par le biais notamment de partenariats avec les écoles de la deuxième chance.

Notre budget annuel est de 9,5 millions d'euros, dont 64 % des recettes proviennent des festivaliers, 6 % de subventions locales - une ressource en baisse - et 25 % du mécénat. Notre poste de dépenses le plus important est l'artistique, pour 40 %, tandis que les dépenses techniques représentent environ 25 %. Le festival embauche chaque année plus de 600 saisonniers, en majorité des jeunes de moins de vingt-cinq ans. Nous n'avons pas recours aux bénévoles. Nous avons fait le choix d'offrir des petits boulots d'été permettant aux jeunes de découvrir le secteur.

Dès qu'a été annoncée l'interdiction des grands rassemblements au début du mois de mars 2020, nous nous sommes doutés que nous serions parmi les derniers à pouvoir reprendre notre activité. Nous avons pu nous appuyer sur la décision gouvernementale d'interdiction des grands festivals de l'été pour interrompre les contrats en cours et bénéficier du cas de force majeure. Nous avons quand même accumulé un fort déficit, de l'ordre de 1,4 million d'euros, qui résultait des dépenses que nous avions déjà engagées et de nos frais de structure. Nous avons pu sauver la structure grâce au maintien des subventions locales, qui ont permis de combler 50 % du déficit, au maintien d'une partie des recettes de mécénat, à hauteur de 25 % du niveau de notre déficit, et aux mesures de soutien transversales et sectorielles mises en place par l'État (activité partielle, crédits déconcentrés, fonds géré par le Centre national de la musique).

Dès l'accalmie de septembre, nous nous sommes remis au travail et avons proposé aux artistes qui étaient initialement programmés dans le cadre de l'édition 2020 de se produire à l'occasion de l'édition 2021. Cette démarche nous paraissait relever d'un « gentlemen's agreement » et elle était de nature à réduire le risque contentieux, dans la mesure où nous n'avions pas été en mesure de rémunérer ces artistes. Nous avons annoncé dès le mois de décembre la programmation de l'édition 2021. Notre optimisme n'était alors pas incongru, puisque jamais en trente ans, nous n'avions vendu des billets à un rythme aussi soutenu - 40 000 en très peu de temps. Nous y voyons la preuve du besoin des jeunes festivaliers de se projeter vers des horizons plus radieux.

Lorsque nous avons appris en février le cadre fixé par le Gouvernement pour l'organisation des festivals, nous avons souhaité consulter les festivaliers pour savoir ce qu'ils en pensaient. Notre sondage a reçu 10 000 réponses dans la première journée et 21 000 en sept jours. Ses résultats révèlent que si notre public accepte majoritairement les règles sanitaires (le port du masque, l'obligation d'un test préalable négatif...), il refuse en revanche un festival en mode dégradé (jauge assis, distanciation, absence de buvette et de restauration). Le Gouvernement parle, pour sa part, de modèle résilient. Il s'agit pourtant bien d'une version dégradée tant ce cadre porte atteinte à l'esprit même de notre festival en empêchant toute interaction sociale. Les études sociologiques conduites par le Centre national de la recherche scientifique (CNRS) sur le public de notre festival depuis dix ans ont montré que plus de la moitié des festivaliers viennent entre amis et que le camping constitue le centre de gravité de l'expérience que nous leur offrons. Priver notre public de la possibilité de faire la fête entre amis dénature véritablement l'esprit de notre festival. Les résultats de ce sondage feront partie des éléments dont nous tiendrons compte au moment de rendre notre décision de maintenir ou d'annuler l'édition de cette année.

Lors de sa dernière réunion la semaine dernière, notre conseil d'administration a estimé que toutes les possibilités restaient aujourd'hui sur la table. Néanmoins, il a clairement exprimé le souhait que l'on ne sacrifie pas l'esprit de notre festival sur l'autel de la pandémie. S'il devait y avoir une version dégradée, ce serait en lien avec le territoire, dans une optique d'animation territoriale pour la population locale, sachant que les festivaliers extra-régionaux représentent habituellement 40 % de notre public. Ce serait alors davantage d'un festival à regarder, même si nous avons beaucoup de mal avec l'idée de spectateurs transformés en « playmobils » assis sur leur siège sans pouvoir s'exprimer ni bouger.

Il nous faudrait cependant avoir des garanties pour atteindre l'équilibre financier. Au sein du Syndicat national du spectacle musical et de variété (PRODISS), nous avons essayé de chiffrer les pertes qu'enregistreraient douze festivals de dimension significative, dont plusieurs gros festivals comme le mien accueillant environ 35 000 personnes par jour, en cas de version dégradée. Pour ces douze festivals cumulés, elles pourraient atteindre 7 millions d'euros. Ces chiffres, qui concernent la seule organisation des événements proprement dits, ne prennent pas en compte les pertes liées aux frais de fonctionnement des structures (loyers, salaires, assurances), qui pourraient s'établir à 5 millions d'euros. Louer un gradin de 5 000 places distanciées coûte plus de 100 000 euros, assurer la protection sanitaire du chantier coûte aussi 100 000 euros. Autant dire que la dotation du fonds de soutien aux festivals mis en place par le Gouvernement n'est pas à la hauteur des besoins des 2 600 festivals répertoriés par le Centre national de la musique (CNM) !

Nous sommes donc aujourd'hui dans une impasse. Pour adapter correctement notre édition aux contraintes actuelles, nous aurions besoin d'embaucher des personnes pour nous apporter leur expertise sur l'organisation technique, les protocoles sanitaires... Or, la loi nous interdit, depuis le 10 décembre, d'embaucher toute personne qui pourrait être placée en activité partielle ou dont le contrat pourrait être rompu si le festival venait à être annulé. Cela signifie que nous devons courir le risque de sortir du dispositif de l'activité partielle seulement pour déterminer si nous sommes en mesure de dégager une solution dégradée satisfaisante. Si nous disposions d'un fonds de garantie assurantiel, comme cela a été mis en place en Allemagne, en Autriche ou en Belgique, nous pourrions peut-être garder espoir. Mais, à l'heure actuelle, cet espoir, nous l'avons perdu.

M. Bernard Jomier, président. - Nous voyons bien à quel point votre situation diffère de celle du festival d'Avignon.

M. Jérôme Tréhorel, directeur général du festival des « Vieilles Charrues ». - Je tiens d'abord à vous remercier de votre invitation et de donner la parole aux festivals. Le festival des « Vieilles Charrues » est un festival entièrement associatif, qui se déroule à Carhaix en Bretagne, une ville de 7 000 habitants. Le festival a pour spécificité de ne recevoir aucune subvention publique. Chaque année, sur les quatre jours de festival, 280 000 personnes sont accueillies, notamment grâce à la participation de 7 750 bénévoles organisés en une centaine d'associations auxquelles nous reversons 140 000 euros par édition.

Pendant la durée du festival, une centaine de groupes se produisent dans une programmation éclectique, mêlant des têtes d'affiche internationales avec des groupes « découverte ». Le budget global est de 17 millions d'euros, dont 80 % viennent du public et les 20 % restants sont couverts par nos partenaires et mécènes. Les recettes liées au public correspondent aux trois quarts à la billetterie et le quart restant aux recettes annexes.

Le festival a un fort ancrage territorial et un impact économique de 18 millions d'euros. Autour de 2 500 personnes sont embauchées sur le territoire mais notre modèle économique est très fragile. Il est important de prendre en considération l'importance des festivals pour les territoires, mais aussi leur extrême fragilité.

S'agissant de l'année 2020, la programmation a été annoncée en décembre et, dès février, l'ensemble des billets avaient été vendus. La conséquence première lors de l'annonce du confinement a été le retrait des engagements des partenaires et mécènes dont l'activité économique était à l'arrêt et sans perspective de reprise.

La crise sanitaire évoluant, certains artistes se sont décommandés, comme par exemple Céline Dion. Un grand nombre de festivaliers venaient spécifiquement la voir et ont rapidement demandé le remboursement de leurs billets.

Le volet médical et des secours à la personne a également compté dans notre décision d'annuler l'édition 2020. Chaque année, 250 secouristes et une cinquantaine de médecins sont présents. Nous avons craint qu'ils ne soient pas disponibles s'ils étaient réquisitionnés. Très rapidement, il nous est apparu que le festival ne pourrait pas avoir lieu.

Alors que cinq millions d'euros de programmation avaient déjà été engagés, il a fallu envisager un plan de secours et un plan de relance pour assurer la pérennité du festival, dont les frais de structure avoisinent 1,8 million d'euros par an.

Depuis avril dernier, une grande partie des équipes des « Vieilles Charrues » est en chômage partiel, et nous avons perçu à la fois des aides au titre du fonds de solidarité, des aides de la direction régionale des affaires culturelles et du Centre national de la musique, mais aucune subvention de collectivités. Pour parvenir à l'équilibre et être en mesure de passer encore une année, il nous manque encore 800 000 euros.

Concernant 2021, nous nous interrogeons sur la façon dont nous pouvons rebondir. À la fin de l'été dernier, nous espérions nous diriger vers des reports d'édition mais ils ont été remis en cause par la reconduction de l'arrêté d'interdiction des grands rassemblements, d'abord jusqu'en octobre, puis jusqu'en mars.

En fin d'année, nous nous sommes demandé s'il était opportun de communiquer auprès du public sur l'édition 2021 et sa programmation. Nous avons alors fait le choix d'indiquer que nous allions prendre le temps d'évaluer l'évolution de la situation sanitaire et que nous prendrions une décision à partir du mois de février.

Dès le départ, notre position a été claire sur notre ambition d'organiser le festival en juillet prochain, selon des modalités qui restent encore en partie à définir. Les marques de soutien des festivaliers nous ont confortés dans l'idée de maintenir un festival dans un format adapté.

Nous en sentions l'envie, le besoin et même peut-être le devoir vis-à-vis de notre territoire, du public, des artistes, des intermittents, des prestataires, des bénévoles et de tous ceux qui font le festival.

Nous avons travaillé à la définition d'un cadre en collaboration avec d'autres festivals afin d'identifier la faisabilité du festival et de parvenir à chiffrer le coût de celui-ci une fois son organisation adaptée. Évidemment, le cadre auquel nous sommes parvenus est bien différent de ce qu'on a l'habitude de faire mais le conseil d'administration des « Vieilles Charrues » a fait le choix de donner rendez-vous aux festivaliers et de ne pas revivre un autre été silencieux.

Il nous reste beaucoup de travail à réaliser. Nous sommes dans l'attente d'un recalibrage des aides : elles doivent être adaptées aux contraintes sanitaires et nous permettre de parvenir à l'équilibre financier. C'est indispensable pour préserver la diversité culturelle. La jauge assis et la contrainte de la distanciation nous posent un réel problème : trouver des gradins respectant ces contraintes à un coût raisonnable paraît quasiment impossible. Assurer un service de buvette et de restauration est essentiel pour ce type d'événements : c'est un service que l'on se doit de rendre à nos festivaliers.

Nous avons jusqu'ici réussi à faire face à plusieurs crises, en particulier celles liées aux attentats. Nous avons prouvé que nous étions capables de nous améliorer en termes de sécurité et d'accueil du public et nous resterons force de proposition en tant qu'organisateurs. Notre objectif est d'accueillir le mieux possible les festivaliers car je rappelle que notre responsabilité civile et pénale est engagée. Nous avons d'ores et déjà annoncé que nous transformerions l'édition 2021 du festival en dix soirées de concert. Il faut travailler au plus vite aux protocoles sanitaires et aux dispositifs financiers d'accompagnement afin de ne mettre personne en danger et de faire résonner un peu de musique sur le territoire français l'été prochain.

Mme Aurélie de Lanlay, directrice adjointe des rencontres d'Arles. - Je vous remercie pour l'organisation de cette table ronde qui souligne par elle-même l'importance des festivals dans la vie de notre pays. Je souhaite vous présenter rapidement la façon dont nous avons vécu l'année 2020 et rappeler les grandes lignes du festival.

Je représente ici les arts visuels dans la mesure où le festival d'Arles est dédié à la photographie et à l'image sous toutes ses formes. Il se déroule en deux volets.

Le premier est consacré à environ 35 expositions, présentées pendant une durée de trois mois, de juillet à septembre, dans une vingtaine de lieux du centre-ville qui vont du cloître du XIIe siècle aux friches industrielles. Leur taille et leur configuration sont très variables.

Le second volet est festivalier et se déroule sur une semaine en ouverture où nous organisons des événements, rencontres, conférences, visites guidées d'expositions, soirées dans le théâtre antique susceptibles d'accueillir jusqu'à 2 500 personnes, concerts ou encore des déambulations nocturnes autour de la photographie qui peuvent atteindre jusqu'à 7 à 10 000 personnes.

Nous sommes confrontés à un ensemble de contraintes : nous faisons face à la fois aux contraintes propres aux festivals mais également aux contraintes rencontrées par les musées et centres d'art dont le cadre de réouverture, à la différence des festivals, n'est pas encore défini.

Pour revenir sur l'annulation de 2020, nous avons essayé de maintenir cette édition jusque début mai. Cependant, nous avons dû décider de l'annulation dans la mesure où nous ne disposions plus des trois à quatre mois nécessaires pour l'envoi en production des oeuvres et le montage de la scénographie.

Dans l'univers des arts visuels, la spécificité du modèle économique des rencontres d'Arles est de s'autofinancer très largement, ce qui est assez peu répandu. Les financements se répartissent en effet à 55 % par les recettes de billetterie, des librairies, des boutiques et des coproductions, à 20 % par le mécénat, et à 25 % par les collectivités publiques. Pour faire face à la crise pendant l'année 2020, les collectivités nous ont particulièrement bien accompagnés pour préserver l'avenir du festival.

Un an après le début de la crise, l'évolution de la pandémie a pour conséquence que les incertitudes demeurent très largement. Dans le milieu de la photographie, tout un écosystème subit de plein fouet la crise. Un certain nombre d'intervenants (photographes, artistes, commissaires d'exposition, galeristes, éditeurs, techniciens) se trouvent aujourd'hui dans une situation de très grande précarité. Ils ont donc beaucoup d'attentes vis-à-vis de notre festival, au même titre que le public, nos personnels, nos prestataires et les acteurs du territoire, dans la mesure où le festival participe à son rayonnement et génère des retombées économiques et touristiques importantes.

Pour l'édition 2021, nous sommes dans une approche similaire à celle d'Avignon. Sur le volet « expositions », nous envisageons de ne pas utiliser certains lieux de petite taille ou à la configuration labyrinthique. Mais, notre ambition sur les expositions demeure forte.

Nous comprenons bien la difficulté à définir dès aujourd'hui une date de réouverture mais, en tant que festival d'art visuel, nous sommes gênés de ne toujours pas avoir reçu de cadre équivalent à celui qui a déjà été annoncé pour les festivals de musique ou de théâtre.

Nous estimons que des pistes peuvent d'ores et déjà être envisagées pour réduire, dans les lieux d'exposition, les risques et pour maîtriser les flux des publics dans l'espace public. Des jauges réduites ont été évoquées, on peut également projeter des expositions en plein air. Nous réfléchissons déjà à la gestion des files d'attente dans l'espace public, notamment via des jauges consultables en temps réel sur une application, leur digitalisation ou encore la mise en place de réservations. Nous pensons également à augmenter les créneaux des horaires d'ouverture sous réserve qu'il n'y ait pas de couvre-feu.

Afin de mettre en oeuvre ces différentes pistes, il nous faut connaître le cadre sanitaire suffisamment en amont du festival en lui-même. La mise en oeuvre des protocoles nécessite une organisation importante, et ce d'autant plus que nous ne disposons pas de locaux en propre.

Nous avançons aujourd'hui sans visibilité, ni sur la date de réouverture, ni sur les conditions de celle-ci. Nous ignorons si le confinement le week-end ou le couvre-feu s'appliqueront encore à la date d'ouverture programmée de notre festival. Compte tenu des contraintes propres aux festivals d'arts visuels, nous avons besoin de connaître les décisions des autorités trois à quatre mois avant le festival, c'est-à-dire maintenant.

Des compensations financières importantes ont été évoquées pour accompagner les pertes de billetterie ou d'exploitation liées à la mise en oeuvre des contraintes sanitaires. Il nous serait précieux de connaître dès à présent les règles applicables afin que nous puissions continuer à préparer les festivals et préserver l'avenir.

M. Roger Karoutchi, co-rapporteur. - La diversité de vos situations est telle qu'il est difficile de dégager des propositions uniformes. Elles n'auraient aucun sens. Nous l'avions déjà senti lors de la table ronde consacrée aux salles de spectacles : le cas des festivals est très spécifique et beaucoup plus compliqué. Nous pourrions évidemment rêver que toute la population soit vaccinée d'ici juillet, mais nous en sommes loin. D'où mes questions.

Vous paraitrait-il envisageable de réserver l'accès à vos festivals aux seules personnes présentant un test négatif ou un certificat de vaccination, si tant est que la vaccination s'accélère ?

Nous comprenons combien il est difficile de concevoir vos festivals sans possibilité de se restaurer ou de se désaltérer ou, pour certains, de résider au camping. Mais, autoriser ces possibilités complique grandement la donne. À ce stade, la position de l'administration sur ces questions n'apparait pas uniforme, le ministère de la santé y étant clairement opposé. Peut-on envisager un système de contrôle différent des lieux de buvette et de restauration dans le cadre des festivals ?

On ignore aujourd'hui ce que sera la situation sanitaire cet été. Comment réagiriez-vous si un couvre-feu continuait à s'appliquer au mois de juillet à compter de 19 heures ou de 20 heures ? Votre festival peut-il se tenir uniquement en journée ?

Le ministère de la culture a lancé en octobre dernier des États généraux des festivals afin de refondre la politique de l'État envers ces événements. Comment y êtes-vous associés ? Qu'en attendez-vous ?

La situation ne s'étant guère améliorée en 2021 par rapport à 2020, craignez-vous qu'un certain nombre de festivals disparaissent après ces deux années qui pourraient s'avérer trop lourdes à supporter financièrement ?

Mme Aurélie de Lanlay. - La question du couvre-feu le soir nous amènerait inévitablement à nous interroger de nouveau sur la dimension événementielle de la cérémonie d'ouverture. En fonction des possibilités de réalisation de contenus, d'organisation de conférences en plein air en journée, nous essayerions de nous adapter pour concentrer l'ensemble de nos activités en journée. Nous avons déjà renoncé aux événements qui drainent plus de 5 000 personnes en soirée. Resterait la question des soirées au théâtre antique, qui ne peuvent se faire que de nuit, dans la mesure où il est beaucoup plus facile de projeter des photographies une fois la nuit tombée.

En ce qui concerne l'enjeu des expositions pendant toute la durée du festival, nous serons moins affectés. Il faudra restreindre nos horaires d'ouverture par rapport à ce que nous envisageons aujourd'hui, ce qui compliquera évidemment la question des jauges.

S'agissant des risques de disparition de festivals, je suis convaincue qu'il y a déjà un risque pour l'association qui organisait jusqu'ici le festival « off » à Arles. Il existe une telle diversité de modèles de festivals, en termes de statut juridique, de modèles de financement, quelle que soit l'esthétique qui est d'ailleurs portée, que l'on ne saurait exclure le risque de disparition d'un certain nombre d'entre eux en fonction de l'évolution de la situation sanitaire

M. Jérôme Tréhorel. - N'autoriser l'accès qu'aux seuls festivaliers présentant les résultats d'un test ou un certificat de vaccination me parait être extrêmement délicat. Il s'agit d'une question du ressort du législateur, au regard des problèmes éthiques et des risques de discrimination qu'elle soulève. Les Vieilles Charrues n'y sont pas favorables. Se pose également la question de savoir qui paye pour les tests, qui contrôle les résultats, au regard du nombre de festivaliers que nous accueillons chaque jour.

Concernant la possibilité de se restaurer, nous avons déjà montré par le passé que nous savions nous adapter. Il faut nous faire confiance. Nous sommes capables de ménager des zones pour permettre au public de s'asseoir pour se restaurer de manière à maintenir les distances. Nous pouvons appliquer un protocole semblable à celui qui existait dans les restaurants en septembre et octobre derniers.

J'espère que la situation s'améliorera significativement et que le couvre-feu ne sera plus en vigueur l'été prochain. Généralement, notre festival ouvre ses portes aux alentours de 12 heures et s'interrompt vers trois heures du matin, ce qui nous permet d'organiser trois concerts par jour. Il sera très délicat de maintenir un tel nombre de concerts en cas de couvre-feu. Mais si couvre-feu il y a, nous trouverons des solutions et nous nous y adapterons.

Concernant les États généraux des festivals, j'ai compris qu'ils avaient pour but de redéfinir la politique d'accompagnement de l'État à l'égard des festivals. Il est important que l'État prenne en compte l'évolution du secteur. Je rappelle par exemple que les Vieilles Charrues sont un festival 100 % associatif. Or, il y a de plus en plus de concentration dans notre secteur ces dernières années. Il faut des règles pour prévenir les situations de concurrence déloyale.

M. Jean-Paul Roland. - Les questions posées par le rapporteur sont très pertinentes. Comme l'a fait remarquer Jérôme Tréhorel, le pass sanitaire soulève des interrogations éthiques. C'est pourquoi nous surveillons la campagne de vaccination comme du lait sur le feu, mais nous sommes bien conscients qu'elle ne sera pas achevée d'ici l'été. Dans ces conditions, les Eurockéennes de Belfort sont favorables à pouvoir tester nos festivaliers avant leur entrée sur le site. Tant que la vaccination n'est pas effective, il s'agit, de fait, de la seule solution viable. Beaucoup de personnes se font tester avant de rentrer voir leurs familles, à Belfort ou ailleurs, alors pourquoi pas pour se rendre à un festival ?

La notion de la distanciation doit être précisée. S'applique-t-elle indifféremment à toute personne durant l'événement ? Seules les familles en sont-elles exclues ? Quid des amis qui viennent entre eux aux Eurockéennes ?

Nous avons besoin d'un cadre qui s'appuie sur des arguments scientifiques. Nous nous interrogeons sur les fondements qui ont conduit à mettre en place la jauge de 5 000 personnes, qui s'applique en France depuis maintenant un an. À ma connaissance, seule une étude américaine réalisée par des chercheurs de Las Vegas datant du printemps 2020 l'a évoquée.

Les concerts-tests ont pour objet d'évaluer le sur-risque de s'infecter quand on assiste à un spectacle. Il s'agit pour nous de prouver qu'il n'y a pas davantage de contaminations dans un lieu culturel. Il est assez regrettable de se retrouver dans une telle situation d'inversion de la charge de la preuve, dans laquelle il nous faut démontrer qu'il n'y a pas de sur-risque dans nos lieux, alors que les risques encourus à l'extérieur de nos lieux ne sont pas véritablement documentés.

Nous estimons néanmoins que seule une réponse scientifique nous permettra d'avancer et de ne pas avoir l'impression de vivre le film « Un jour sans fin ». Les résultats de ces concerts-tests nous permettront, ainsi qu'à l'ensemble des acteurs de la filière, de nous adapter.

Nous savons très bien que la reprise des activités culturelles sera progressive, que la réouverture des grands festivals ne sera pas immédiate et sera précédée par la réouverture des salles de concert.

S'agissant d'un festival sans buvette ni restauration, je vous renvoie aux résultats du sondage que nous avons réalisé. 73 % des festivaliers y sont défavorables. Le temps passé dans un festival est en effet plus long que celui passé dans une salle de spectacles. Sans compter que l'impact financier de cette interdiction serait très lourd.

Concernant la question du couvre-feu, nous sommes extrêmement préoccupés par l'impact de ces différentes mesures qui touchent la jeunesse depuis quelque temps : l'interdiction de consommer de l'alcool, de sortir passée une certaine heure.... Je ne veux pas d'une société qui devienne sécuritaire et hygiéniste. Nous devons respecter ce qui fait le sel de nos manifestations destinées à la jeunesse. Loin de moi l'idée bien sûr d'allier jeunesse et alcool. Cependant dans notre festival, il n'a jamais posé problème, comme le démontre le suivi réalisé par l'Agence régionale de santé (ARS) et le SAMU.

Quant aux États généraux des festivals, je ne peux que me féliciter de leur organisation Cependant je constate que les thèmes abordés sont complètement décorrélés de la crise que nous traversons, ce qui me paraît vraiment dommage.

En conclusion - et en écho aux propos de la directrice adjointe des Rencontres d'Arles - un arrêt des festivals pour la deuxième année consécutive serait très dangereux, non seulement pour l'événement lui-même, mais aussi pour notre savoir-faire. Nous sommes de petites équipes, mais nous avons appris à nous adapter et à développer une expertise dans le domaine du mécénat, de l'environnement, en matière de prévention des attentats... Nous avons acquis de nombreuses connaissances, non pas sur les bancs de l'université, mais sur le terrain, notamment au travers de notre dialogue avec tous les acteurs impliqués dans l'organisation du festival, et en premier lieu les préfectures.

Permettez-moi une anecdote : il y a une semaine, une jeune fille est venue frapper à la porte de mon bureau pour me déposer, en mains propres, sa candidature pour un stage dans notre festival. Elle avait fait de longues heures de route pour se rendre de Maubeuge à Belfort. Ce festival est pour elle une chance de rentrer dans la profession. Pensons à tous ces jeunes qui risquent de voir la porte se refermer une seconde fois ! Pensons à tous ces stagiaires à qui l'on a dit « au revoir » après une semaine de stage.

M. Bernard Jomier, président. - Je pense que vous avez tous pris connaissance avec attention de l'avis du conseil scientifique du 11 mars 2021 qui traite de façon relativement détaillée la question des activités culturelles et s'étonne du défaut de fondement scientifique d'un certain nombre d'interdictions. Nous sommes peut-être là au coeur des difficultés d'adaptation de notre État et de ses décisions à la pandémie, et vous en êtes largement victimes.

C'est pour cela que nous avons souhaité débuter nos travaux par la question de la culture. La semaine prochaine nous entendrons des responsables de lieux culturels étrangers qui ont rouvert, et nous recevrons la ministre de la Culture, Mme Roselyne Bachelot. Nous formulerons ensuite très rapidement nos propositions pour la reprise d'activités culturelles.

M. Jean-Paul Roland. - N'oublions pas non plus, Monsieur le Président, la nécessité de distinguer la situation du plein air et des salles, qui sont des espaces clos.

M. Bernard Jomier, président. - Absolument. C'est ce que font les études scientifiques. Par ailleurs, je tiens à dire qu'elles traitent aussi la question des activités culturelles en intérieur et des conditions de leur reprise. Or, parfois, à certaines conditions, il n'y a pas beaucoup plus de risques à l'intérieur qu'en extérieur, sauf si l'on imagine vivre dans un environnement à risque « zéro », mais nous entrerions là dans un autre débat philosophique...

M. Paul Rondin. - Sur les tests et les vaccins, je rejoins Jean-Paul Roland, même si cet argumentaire n'est pas toujours très audible dans nos professions ou pour certains de nos spectateurs. En effet, je crois que nous ne pouvons pas faire autrement : il faut s'imposer cette règle si l'on veut retrouver le chemin des lieux culturels.

Concernant le couvre-feu, son maintien serait évidemment une catastrophe pour des sites comme celui d'Avignon en raison du climat. Il n'est pas vraiment possible de programmer les spectacles qui se tiennent au Palais des Papes en journée car la chaleur y est insupportable. Cependant, si le couvre-feu était maintenu, nous organiserions malgré tout un festival dans la journée. Nous ne pouvons pas nous résigner à l'annulation du festival.

Concernant la restauration, il s'agit de restaurants de ville, indispensables à l'accueil des spectateurs, dont la majorité vient de toute la France et de l'étranger. Nous ne pouvons pas faire sans.

Quant aux États généraux des festivals, ils sont importants car ils reconnaissent le fait festivalier. En outre, ils sont une preuve de la réussite de la décentralisation culturelle qui s'est faite à bas bruit, avec et pour les territoires, en partenariat avec eux.

Je remercie le Gouvernement et Mme Roselyne Bachelot de les avoir lancés, même s'ils sont protéiformes et qu'il y a fort à faire ! Il faut se projeter après la crise sanitaire car nous aurons besoin de nous retrouver et travailler de nouveau.

Nous verrons combien nous serons alors. En effet, un été sans festival, c'est une catastrophe non seulement pour les festivals mais aussi pour la filière du spectacle vivant dans son intégralité, y compris pour les plateformes de diffusion et de vente de spectacles. C'est également une catastrophe pour le public et l'accès à la culture.

Que fait-on du droit des citoyens d'accéder aux oeuvres de l'esprit, à la culture ? Comment a-t-on pu le leur enlever ? Depuis le 15 décembre, nous tous, qui sommes les représentants d'une certaine diversité, ne cessons de poser cette question.

M. Roger Karoutchi, co-rapporteur. - Si seulement l'accès à la culture était le seul droit qu'on avait limité ! Avec l'état d'urgence sanitaire, bien des droits fondamentaux du citoyen ont été réduits....

M. Paul Rondin. - ...je suis d'accord. Mais moi qui ai la chance de circuler en TGV, qui emprunte régulièrement les transports en commun et qui fais mes courses dans des magasins, je ne peux m'empêcher de comparer...

M. Bernard Jomier, président. - La semaine dernière, le professeur Flahault nous a expliqué que les milieux clos, notamment le TGV et l'avion, n'étaient pas nécessairement très contaminants. Tout dépend des conditions, et cela doit s'appliquer au monde culturel, évidemment.

Mme Laurence Cohen. - Je vous remercie, Mesdames et Messieurs, pour vos propos et pour les éléments dont vous nous avez fait part. Je partage votre incompréhension à l'égard des orientations du Gouvernement concernant la culture.

Bien sûr, il faut être prudent, tenir compte des données liées à la crise sanitaire. Cependant je ne comprends pas pourquoi la culture fait l'objet de mesures aussi sévères. Vous avez rappelé à juste titre que les scientifiques se sont réunis, ont émis des avis et formulé des recommandations, mais ni ces avis ni ces recommandations ne sont suivis d'effet.

En outre, comme l'a clairement montré cette table-ronde, la différence entre les festivals en plein air et en milieu fermé est flagrante. Les règles peuvent être différentes. Je dirais même qu'elles doivent l'être. Là encore, nous pouvons nous appuyer sur les scientifiques qui ont formulé des recommandations en ce sens.

J'ai d'autant plus mal à accepter qu'on laisse la culture sous embargo que les dégâts psychologiques causés par les mesures sanitaires commencent à prendre des proportions importantes. On sent une lassitude, une grande angoisse monter dans la population. Des populations de plus en plus jeunes en sont affectées. Nous sommes tous concernés. Or, la culture est source d'espoir, elle permet de se projeter. Il y a urgence à ouvrir les lieux de culture.

Par ailleurs, je suis hostile au certificat de vaccination dans la mesure où il serait totalement discriminatoire, tant que tout le monde n'a pas accès au vaccin. En revanche, je suis plutôt favorable à ce que l'accès aux festivals soit conditionné à la présentation d'un test négatif. Ce certificat pourrait à la fois rassurer et faciliter la reprise des festivals.

Je me demandais si vous réfléchissiez à la possibilité d'allonger la durée de vos festivals cette année afin de compenser la diminution du nombre de festivaliers liée à la réduction des jauges. J'imagine qu'une telle option peut aussi poser d'autres problèmes : pourrait-il néanmoins s'agir d'une solution pour « étaler » les publics ?

Le Gouvernement a débloqué 30 millions d'euros pour alimenter le fonds « festivals », soit environ 5 000 euros par festival. Il est évident que le compte n'y est pas. J'aimerais avoir votre appréciation sur ce point.

J'ai également lu que 15 millions d'euros avaient été alloués pour la captation. Quelles perspectives vous offrent ces crédits ? Des festivals virtuels sont-ils envisageables, même si a priori, ils me paraissent bien peu compatibles avec les événements que vous représentez ?

Mme Sylvie Robert. - Je vous remercie pour vos propos. Vous me permettrez un petit clin d'oeil breton à Jérôme Tréhorel. La Bretagne est une terre de festivals, et les conditions dans lesquelles ils pourront être autorisés à se tenir cet été nous intéressent au premier chef. La ministre de la culture ne l'a pas encore validé, mais un concert-test pourrait justement être organisé en mai prochain à Saint-Malo avec une jauge « debout », sous la supervision du Centre hospitalier universitaire (CHU) de Rennes et de l'École des hautes études en santé publique (EHESP), afin de vérifier que la question de la contamination en plein air ne pose pas problème.

Le cadre annoncé par Mme Roselyne Bachelot a le mérite d'exister et de donner une certaine perspective. Cependant la jauge envisagée - 5 000 personnes assises - ne convient pas. Par ailleurs, dans certains domaines, on note une absence de cadre. Dans le domaine des arts visuels, comme l'a souligné la directrice adjointe des Rencontres d'Arles, les organisateurs n'ont aucune visibilité pour l'été prochain.

La prochaine étape des États généraux est prévue à Bourges en avril. Quels éléments pourraient contribuer à accélérer vos décisions, ou du moins à vous aider à élaborer un nouveau modèle de festival l'été prochain ? Quels sont vos suggestions concernant le plein air car le cadre défini à ce stade par le Gouvernement pour les festivals en 2021 ne fait absolument aucune distinction entre les concerts en salle et les événements en plein air ?

Enfin, quid des assurances ? Malgré votre diversité, vous avez cette particularité d'être des festivals importants. Les assurances ont-elles été au rendez-vous en 2020 ? Qu'en sera-t-il demain ?

Concernant le mécénat, êtes-vous inquiets ? Quels sont vos échanges avec vos mécènes, qui tiennent une place importante dans votre modèle économique? Pourrez-vous compter, à l'avenir, sur le mécénat solidaire ?

M. Jean-Michel Arnaud, co-rapporteur. - Un fonds de compensation des pertes de billetterie, sous la forme d'un crédit de 40 millions d'euros, a été créé par le ministère. Au vu de vos expériences respectives, ce fonds a-t-il été suffisant en 2020 ? Sinon, pourriez-vous estimer le montant qui permettrait de compenser vos pertes de recettes ? Pour certains festivals, j'ai noté qu'il pouvait être très élevé.

Concernant les États généraux des festivals, vous avez indiqué que vous pouviez compter sur la présence, à vos côtés, des collectivités territoriales, qui ont parfaitement respecté et continuent, depuis la crise, à tenir, leurs engagements financiers. S'agissant des festivals plus modestes, afin d'éviter qu'ils disparaissent, des évolutions statutaires - dont certaines ont été évoquées lors des États Généraux - vous paraissent-elles souhaitables afin de sécuriser leur financement et de garantir le soutien des collectivités territoriales ?

Vous avez insisté sur l'importance dans vos organisations des recettes engendrées par la restauration, de sa dimension conviviale et stratégique, sur le plan logistique. La filière de la restauration a beaucoup évolué sur la question du pass vaccinal avec des QR codes à l'entrée des établissements. Vous êtes-vous rapprochés de vos prestataires au sujet de cette démarche en cours de validation par le Gouvernement ? En effet, envisager une stratégie concertée entre les organisateurs de festivals et tous les acteurs impliqués de la filière pourrait être pertinent.

M. Paul Rondin. - Il n'est pas possible pour le festival d'Avignon d'allonger la durée du festival. Cela ne serait pas soutenable financièrement, dans la mesure où chaque journée de festival coûte 1 million d'euros environ. De plus, je ne suis pas certain que nous pourrions mobiliser le public si longtemps, tant les variations sont fortes en fonction des saisons et même à l'intérieur d'un même mois de juillet.

Quant au fonds festivals, on voit bien, rien qu'avec notre tour de table, que sa dotation de 30 millions d'euros est insuffisante. Il est clair qu'il sera difficile de compenser des chutes de recettes billetterie vertigineuses avec ce seul fonds.

En ce qui concerne les captations, le fonds de 15 millions d'euros permettra d'élargir le nombre de spectateurs s'il nous faut réduire drastiquement les jauges, mais cela ne remplacera pas le festival, la vie ensemble.

Pour les assurances, je ne ferai pas de commentaire, je peux juste dire que ne sont pas nos partenaires.

Enfin, pour répondre à votre question sur le mécénat, j'éprouve les mêmes craintes que mes collègues. Nous constatons un tassement des dons de la part des entreprises comme des PME et TPE locales, qui sont pourtant très accompagnantes habituellement. Elles rencontrent aujourd'hui des difficultés financières qui impactent directement leurs capacités à soutenir notre festival. Pour autant, nous constatons, nous aussi, l'existence d'un mécénat solidaire avec des mécènes qui se sont maintenus en 2020 et nous ont promis de nous soutenir à nouveau en 2021.

M. Jérôme Tréhorel. - Il me parait utile d'insister sur la distinction qui doit impérativement être faite entre le plein air et les salles pour ce qui est des règles sanitaires.

Concernant l'obligation de tests ou d'un « pass vaccinal », ce n'est pas à l'organisateur de l'imposer. Cela dit, nous y réfléchissons bien évidemment avec nos prestataires et fournisseurs, avec lesquels nous avons déjà mis en place beaucoup d'améliorations en termes de sécurité des festivaliers, notamment depuis les attentats, et qui sont force de proposition dans le contexte de la crise sanitaire.

Sur la question du format et de l'éventuel allongement de la durée du festival, nous avons d'ores et déjà pris la décision d'étaler les Vieilles Charrues sur 10 soirées contre quatre jours habituellement.

En ce qui concerne les aides et le fonds festivals, leur montant est insuffisant. Il faudrait adapter les critères pour prendre en compte les modèles juridiques des festivals, ainsi que d'autres paramètres, comme, par exemple, le niveau de subventions déjà perçues. Je crois qu'une réflexion en ce sens est en cours. Les festivals sont accompagnés massivement par les collectivités territoriales mais cela n'est ni automatique ni suffisant. Certains festivals n'ont pas d'aides. C'est le cas des Vieilles Charrues, ce qui signifie que nous n'aurons donc pas d'aides qui, mécaniquement, nous reviennent. J'estime que des aides nouvelles doivent être mises en place pour nous permettre d'affronter cette crise sanitaire.

Sur la question de la captation, nous y travaillons. L'objectif n'est pas tant d'en tirer des revenus complémentaires que de générer le moins de déception possible parmi notre public. Nous pouvons espérer 5 000 personnes par jour sur dix jours, soit 50 000 personnes, quand habituellement nous recevons 280 000 personnes. Les captations permettront à notre public de suivre le festival de manière différente, quand bien même ils ne peuvent pas le vivre.

En ce qui concerne nos attentes, le non distancié demeure indispensable, l'ouverture de la restauration et des bars sur place aussi, ainsi que les aides nous garantissant d'atteindre l'équilibre. Enfin, il nous faut connaitre le cadre et les critères du gouvernement, le plus en amont possible, pour autoriser je l'espère, les jauges debout.

Je confirme les propos de Paul Rondin sur la question des assurances. Elles ont été complètement absentes avant de se désister totalement en faisant évoluer leurs clauses, ce qui est une grosse déception et augmente le risque pris par les organisateurs.

Nous sommes très inquiets en ce qui concerne l'évolution du mécénat qui représente pour nous près d'un million d'euros, et 100 entreprises partenaires. Il y a sans doute moins d'intérêt, pour une entreprise en difficulté, à défiscaliser. Peut-être faudrait-il temporairement revoir les règles du mécénat pour encourager les entreprises à nous accompagner ?

M. Jean-Paul Roland. - Pour ce qui est des jauges, nous militons, comme le milieu du sport, pour une proportionnalité de celles-ci en plein air en fonction de la taille des infrastructures. Les Eurockéennes se déroulent sur vingt hectares et nous ne comprenons pas pourquoi une jauge fixe de 5 000, qui s'appliquerait également à une petite structure, serait appropriée.

Sur la possibilité d'étaler la durée du festival, comme l'a dit M. Rondin, plus on augmente le nombre de jours, plus on augmente les coûts et donc les pertes.

La question des assurances est malheureusement réglée, dans la mesure où elles ont introduit le risque coronavirus dans leurs clauses d'exclusion.

Le mécénat d'entreprise représente en tout 3,5 milliards d'euros chaque année et le spectacle vivant en est le quatrième bénéficiaire. Il faudrait peut-être envoyer un signal aux mécènes pour les inciter à soutenir notre secteur, ou alors réviser le taux de défiscalisation, qui est aujourd'hui de 60 %. Pour les Eurockéennes, le mécénat représente près d'1 million d'euros et 140 entreprises. Je me permets de vous suggérer une autre idée : l'on entend aujourd'hui beaucoup dire que le niveau d'épargne des Français s'est accru sous l'effet du confinement ; pourquoi ne pas créer un nouveau livret bancaire sur lequel les Français pourraient placer une partie de leur épargne et qui financerait un secteur complètement à l'arrêt comme le nôtre ?

En ce qui concerne le fonds de compensation, on constate qu'il est davantage destiné aux salles qu'aux grands événements comme les nôtres.

S'agissant des mesures sanitaires, nous avons approché le ministère de la Santé pour savoir si nous pouvions introduire l'application TousAntiCovid dans notre dispositif de billetterie. J'ajoute qu'il y a un intérêt fort pour utiliser cette application dans le cadre du concert-test qui aura lieu à l'AccorHotels Arena. Nous croyons important, en tout cas, de montrer que les festivals sont prêts à contribuer au fameux « tracer-isoler ».

En conclusion, vous nous demandiez si les annonces de Mme Bachelot avaient eu des effets. Elles se sont traduites par des demandes de remboursement, l'arrêt brutal de la vente de nos derniers billets, l'inquiétude des entreprises spécialisées dans la vente de billets et des agents d'artistes. Ces annonces ont donc bien eu des effets, mais pas ceux que l'on attendait.

Mme Aurélie de Lanlay. - Je rejoins mes confrères s'agissant de la durée et de l'étalement dans le temps du festival, d'autant plus que pour Arles, nos lieux ne nous appartiennent pas mais sont mis à disposition par des partenaires, notamment publics. Ce sont des lieux réutilisés par la suite, nous ne pourrions donc pas prolonger. C'est pourquoi nous envisageons une prolongation des horaires d'ouverture quotidiens, comme je l'ai évoqué.

L'idée d'un fonds pour la captation me paraît extrêmement intéressante. En effet, il est évident que nous ne nous ne pourrons pas accueillir tous les festivaliers pendant la semaine d'ouverture si on nous impose une jauge 2,5 fois plus resserrée. Généralement, notre jauge est quasi pleine la première semaine. Si nous pouvions capter et retransmettre en temps réel ou en différé le festival, nous permettrions au plus grand nombre d'accéder au contenu. En revanche, je ne crois pas que cela puisse nous apporter quoi que ce soit d'un point de vue économique en termes de recettes.

En ce qui concerne la dotation du fonds festivals et la question des assurances, je rejoins ce qui a été dit par mes collègues.

Le mécénat représente 20 % du budget des Rencontres d'Arles, soit quasiment 1,5 million d'euros. Nous avons constaté un réel engagement des mécènes l'année dernière, et aujourd'hui encore, ils nous font savoir leur volonté de continuer à nous soutenir. Cela dit, nous mesurons bien que nous ne pourrons pas recommencer de la même manière que l'an dernier. Ce qui pourrait venir encore durcir la situation de notre festival - et de tous les festivals, je pense -, ce serait leur fermeture administrative. Nous souhaitons maintenir les Rencontres d'Arles cette année, mais si nous sommes sous le coup d'une fermeture administrative, qui prive les mécènes de visibilité au même titre qu'une annulation, cela renforcera sensiblement nos difficultés.

Sur les QR code, nous appliquerons les recommandations faites aux musées et centres d'art. Il s'agit d'une piste largement évoquée lors des dialogues avec nos partenaires.

M. Bernard Jomier, président. - Merci à tous de vos contributions. Nous continuerons nos travaux la semaine prochaine avec une table ronde consacrée aux lieux culturels qui ont rouvert dans plusieurs pays voisins.

La réunion est close à 12 h 35.

Cette audition a fait l'objet d'une captation vidéo disponible en ligne sur le site internet du Sénat.

Mardi 23 mars 2021

- Présidence de M. Bernard Jomier, président -

La réunion est ouverte à 9 heures.

Audition de représentants d'institutions culturelles internationales demeurées ouvertes

M. Bernard Jomier, président. - Pour nous permettre de formuler des préconisations pertinentes, il nous a paru utile d'observer les mesures qui ont été prises par nos voisins européens à titre de comparaison. Dans un certain nombre de pays, les établissements culturels ont été autorisés à rouvrir leurs portes sous certaines conditions. Nous recevons ce matin des représentants d'institutions culturelles étrangères concernées par ce type de mesures, qu'il s'agisse de salles de spectacles ou de musées : Mme Sarah Bastien, directeur général administratif des six musées de la ville de Gand ; M. Sylvain Bellenger, directeur général du Museo e Real Bosco di Capodimonte à Naples ; M. Aviel Cahn, directeur général du Grand Théâtre de Genève, et vice-président de l'organisation professionnelle des compagnies et festivals d'opéra d'Europe, Opera Europa ; M. Alexandre Chevalier, archéologue préhistorien au muséum des sciences naturelles de Belgique, président de la section belge du Conseil international des musées (ICOM) ; et M. Joan Matabosch, directeur artistique du Teatro Real de Madrid.

Participe également à cette table ronde Mme la professeure Constance Delaugerre, virologue, cheffe de service à l'hôpital Saint-Louis à Paris, qui supervise le concert test qui devrait être organisé à l'AccorHotels Arena à Paris dans quelques semaines ; elle pourra nous apporter son regard de scientifique et nous indiquer dans quelle mesure certaines de ces expériences étrangères pourraient être transposées en France.

Je tiens tout d'abord à vous remercier très chaleureusement d'avoir répondu à notre invitation. Il est très important, pour nous, de recueillir votre témoignage pour mieux comprendre les choix qui ont été faits dans les pays voisins, les raisons qui les ont motivés et la manière dont vos établissements se sont adaptés pour reprendre leurs activités face au risque sanitaire. Sans doute avez-vous mené des études depuis la réouverture pour vous assurer qu'aucun cluster n'est apparu dans vos établissements. Nous serons également très attentifs aux adaptations que vous auriez pu mettre en place à la lumière des premiers enseignements tirés après la réouverture de vos institutions.

Les établissements culturels sont à l'arrêt en France depuis maintenant un an, hormis une courte parenthèse durant l'été et au début de l'automne 2020. Malgré le soutien que leur apportent l'État et les collectivités territoriales, leur situation extrêmement délicate nous pousse à rechercher des solutions permettant d'entrevoir une sortie de crise, même progressive. C'est en effet une grande partie de la richesse et de la diversité culturelles qui caractérise notre pays qui est menacée par la fermeture de ces établissements.

M. Aviel Cahn, directeur général du Grand Théâtre de Genève. - Après la fermeture du printemps dernier, nous avons pu jouer des spectacles avec une jauge limitée de juin à fin octobre, grâce à un protocole qui a très bien fonctionné. Avec la deuxième vague, qui a frappé Genève plus que d'autres régions de Suisse, tous les établissements culturels ont dû fermer et n'ont pas pu rouvrir depuis lors. Nous espérons une réouverture en avril.

L'Union des théâtres suisses, qui regroupe tous les théâtres et les opéras, a organisé un lobbying efficace auprès du Conseil fédéral, bien plus que n'aurait pu le faire chaque théâtre individuellement. Nous avons pu négocier une solution pour faire du vrai théâtre sur scène, avec un régime particulier pour que les solistes puissent se toucher, sans être obligés de rester à deux ou trois mètres les uns des autres.

Depuis la fermeture, nous avons produit des spectacles en ligne. L'Union des théâtres suisses n'a recensé aucun foyer de contamination. Si quelques personnes ont été testées positives, elles ont rarement contaminé d'autres personnes.

Nous avons joué avec un protocole de protection du public très strict, comme celui que M. Matabosch vous décrira, avec la séparation des spectateurs en secteurs isolés, ce qui nous a permis d'éviter toute infection dans le public.

Nous rencontrons de grandes difficultés financières : lorsque nous donnons des spectacles, nous devons faire face aux coûts de production. Le chômage partiel, qui fonctionne en Suisse, s'applique au personnel, mais pas aux artistes. Le coût total du spectacle reste le même, mais nous ne touchons aucun revenu.

La Confédération et les cantons ont mis en place des aides qui devraient couvrir les pertes liées à la covid. Mais c'est administrativement compliqué, notamment parce que chaque niveau pose des conditions différentes. Nous attendons toujours cette aide.

Nous sommes très heureux que la plupart de nos mécènes nous soient restés fidèles et que notre public ait accepté de renoncer au remboursement de leurs billets. Mais il est clair que cette situation ne peut pas durer. Nous espérons donc que la vaccination changera quelque chose pour la saison prochaine.

M. Joan Matabosch, directeur artistique du Teatro Real de Madrid. - En mai-juin dernier, nous avons mis en place un protocole permettant de garantir le retour à l'activité en sécurité pour le personnel, les artistes et le public. Nous avons développé des protocoles spécifiques pour l'orchestre et pour le choeur. Nous avons ainsi pu reprendre notre activité en juillet avec une version mise en scène de La Traviata, comme prévu.

Le protocole réglemente tout : reconfiguration du processus de répétition, interactions sociales et professionnelles, usage des différentes salles du théâtre - salles de répétition et salle principale -, distanciation physique pour chaque activité, ce qui nécessite l'adaptation de la fosse d'orchestre pour maintenir la distance entre les musiciens avec des solutions peu conventionnelles telles que des panneaux de séparation entre les pupitres.

Le protocole prévoit des mesures prophylactiques, mais aussi notre réponse en cas de détection d'un cas de covid. Il est très important de réagir immédiatement pour protéger et tester tous les contacts rapprochés. Nous avons eu quelques cas, mais qui ont été repérés immédiatement, ce qui a entraîné l'isolement de la personne testée positive et de ses proches. Cela freine les incidences immédiatement.

Le fonctionnement du théâtre dépend d'une commission médicale composée de six épidémiologistes des principaux hôpitaux publics de Madrid ; elle se réunit tous les sept à dix jours pour assurer le suivi de la situation et donner des instructions sur les mesures à prendre.

Pour le public, les limitations ont été édictées par la Comunidad de Madrid. Elles changent très souvent, ce qui constitue l'un des problèmes que nous avons à affronter. En juillet, nous ne pouvions accueillir que 50 % de la capacité ordinaire ; maintenant, nous pouvons théoriquement en accueillir davantage, mais selon des conditions qui nous empêchent matériellement d'aller très au-delà. Chacun doit porter un masque et respecter une distance de sécurité avec les personnes qui n'ont pas acheté leur billet en même temps qu'elles.

Les horaires des spectacles ont changé en fonction du couvre-feu. Nous avons ainsi dû donner une représentation de Siegfried de Wagner à 16 heures 30, une heure très inhabituelle pour un spectacle en Espagne...

La possession d'un billet ne donne plus accès à tout le théâtre : à chaque fauteuil correspond un foyer attitré pour l'entracte, dans lequel un nombre limité de personnes peut entrer. Nous essayons autant que possible d'organiser des spectacles sans entracte.

L'entrée et la sortie de la salle sont réglementées : les spectateurs entendent une annonce qui leur donne des instructions pour sortir, par exemple. Parallèlement à la diminution du nombre de places disponibles, nous avons augmenté le nombre de sanitaires pour permettre une désinfection régulière.

Mme Sarah Bastien, directeur général administratif des six musées de la ville de Gand. - La Belgique a été confinée du 14 mars au 18 mai 2020, puis à partir de novembre. En août, il y a eu également plusieurs confinements locaux.

Les lieux culturels sont restés ouverts pour accueillir les groupes d'enfants jusqu'à douze ans. Les cafés et boutiques ont suivi les règles locales ou nationales spécifiques à ces lieux.

Lorsque nous avons eu la possibilité de rouvrir, tous les musées de Flandre, de Wallonie et de Bruxelles ont écrit une lettre commune comportant sept engagements, afin de démontrer que les musées pouvaient être des espaces sûrs, même en temps de covid.

Les musées ne sont ouverts que pour des visites individuelles ou par bulle familiale ; l'entrée est limitée à une personne pour dix mètres carrés, avec des créneaux de visite. Nous pouvons également nous appuyer sur notre expertise dans le domaine de l'événementiel.

Nous avons procédé à une analyse des risques de transmission aérienne et par contact, qui nous a conduits à jouer sur la distance physique, la capacité maximale d'accueil, les capacités de désinfection, le port du masque, la ventilation, le fait d'éviter les contacts. Chaque musée a fait son propre exercice d'analyse des risques et déterminé ses propres mesures personnalisées. Pour illustrer ces mesures, nous vous avons envoyé des photos d'un des musées de Bruges, du musée de l'industrie à Gand, du plan présentant le sens obligatoire de circulation dans le musée des Beaux-Arts de Gand.

Pour que cela fonctionne bien, il est nécessaire de porter la plus grande attention au sentiment des employés, qui doivent se sentir en sécurité. Il est également utile d'échanger des connaissances et des expériences avec les autres musées ; en Flandre, ces échanges sont organisés par l'union des musées de Flandre (FARO) ; la Wallonie et Bruxelles ont leur propre organisation. Ces organisations ont produit des guides recensant les mesures à prendre.

Quelques retours d'expérience : les visiteurs ayant l'habitude d'arriver au début du créneau, il est préférable d'utiliser des créneaux de quinze à vingt minutes plutôt que d'une heure. Beaucoup de nouveautés sont devenues des habitudes pour les visiteurs, ce qui rend les choses plus faciles pour eux-mêmes et pour nos employés.

Les problèmes rencontrés tiennent au coût financier des mesures, à la diminution, voire disparition des visites spontanées, puisqu'il faut acheter son billet à l'avance, et au sentiment de dépossession des données personnelles, du moins lors de la mise en place de ce protocole.

Les statistiques du Groeningemuseum de Bruges montrent que la fréquentation approche les 100 % durant les week-ends ; celles des musées de Gand indiquent qu'ils ont été très fréquentés en juillet, que les visiteurs réagissent à la situation virologique et qu'ils ont respecté les confinements locaux. Durant les vacances scolaires, comme en février, beaucoup de familles avec enfants ont visité les musées, car elles n'ont pas beaucoup d'autres choses à faire...

M. Alexandre Chevalier, président du Conseil international des musées Belgique (ICOM) Wallonie-Bruxelles. - Les mesures en vigueur ont été prises par les musées en concertation avec l'administration compétente en matière de culture en Belgique en s'inspirant du secteur commercial, en prenant souvent des mesures plus strictes au début : les musées ont ainsi ouvert avec un visiteur pour quinze mètres carrés, mais se sont vite conformés à la règle appliquée dans les commerces d'un pour dix mètres carrés.

Il y a sans doute moins de niveaux compétents sur la culture en Belgique qu'en Suisse, mais il faut se féliciter que les musées aient été le seul secteur culturel ayant réussi à se fédérer et à proposer les mêmes normes au niveau national. Depuis leur réouverture en décembre, les seuls lieux culturels ouverts sont les musées : c'est ce qui explique que ma collègue ait mentionné le fait que les visiteurs n'aient pas vraiment d'alternative à s'y rendre.

Les musées ont accusé des pertes durant la fermeture et après la réouverture à cause de la jauge. Celle-ci gagnerait à être corrigée en fonction du volume et non fixée comme aujourd'hui en fonction de la seule surface : ce n'est pas la même chose de visiter le muséum national d'Histoire naturelle de Paris qu'un petit musée intime dont les salles ont 2,5 mètres de hauteur sous plafond. Mais rien n'a été fait dans ce sens pour l'instant.

Aucun cluster n'a été signalé dans les musées belges depuis début décembre. Cela tend à démontrer, soit que les mesures sont efficaces, soit que les volumes sont assez importants pour éviter les contaminations.

Même si l'on craint moins, désormais, la contamination par contact, les musées continuent à désinfecter les surfaces. Les mesures que nous prenons sont identiques à celles qu'avaient prises les musées français pendant leur réouverture. J'ai eu la chance cet été de passer une semaine dans les Cévennes et j'ai visité de nombreux musées de la région. Les musées sont des espaces sûrs pour les employés comme pour les visiteurs. Les espaces de restauration et de vente sont soumis aux règles qui s'appliquent aux espaces commerciaux : les restaurants et les bars sont fermés, mais les magasins et les librairies sont ouverts.

M. Sylvain Bellenger, directeur général du Museo e Real Bosco di Capodimonte. - Le Museo e Real Bosco di Capodimonte de Naples est un musée autonome qui dépend directement du ministère de la culture, sans passer par la surintendance des musées de Naples. Le musée est un bâtiment de 15 000 mètres carrés sur trois étages, répartis en 124 salles. Les plafonds ont tous 6, 7, voire 8 mètres de hauteur. Il se trouve à l'extrémité d'un très grand parc de 134 hectares comportant 17 édifices, dont l'ancienne faisanderie royale, qui sera transformée en centre de vaccination à partir de la fin de la semaine.

Comme il se trouve à 20 minutes du centre de Naples, il n'a pas le même type de fréquentation que le musée national d'archéologie de cette ville, par exemple. Son grand parc reçoit 2 millions de visiteurs par an, tandis que le musée en reçoit 300 000 par an.

Après une fermeture de mars à juin, nous avons rouvert jusqu'en novembre. Le musée a fermé à nouveau le 18 janvier pour rouvrir le 23 février, jusqu'à aujourd'hui, jour où nous sommes fermés a priori jusqu'au 6 avril. Cela a occasionné des pertes considérables.

S'agissant du personnel, nous avons conservé les services essentiels, soit cinquante personnes qui veillent jour et nuit sur les portes et les salles. Le reste du personnel, notamment toute l'administration, est en télétravail.

Nous avons profité de la fermeture pour entreprendre des travaux de restauration des oeuvres et projeter des travaux jusqu'en 2023 ; nous avons numérisé des milliers d'oeuvres d'art et les notices ont été transcrites par les gardiens et le service éducatif - c'est un des points positifs de la fermeture.

Le personnel a reçu des formations en anglais ou en diverses techniques de travail. Les bureaux ont été réorganisés : six nouveaux bureaux ont été ouverts pour obtenir des distances suffisantes entre les personnes. Tout le personnel a été testé à deux reprises. Il devrait être vacciné rapidement grâce à la présence d'un centre de vaccination sur le site.

Il n'y a pas eu de cas de contamination au musée. Douze personnes ont cependant dû être mises en quarantaine, avec tous leurs collègues.

Les écoles étant fermées, les services didactiques n'ont pas fonctionné. Le parc est resté plus longtemps ouvert que le musée, même si, aujourd'hui, les deux sites sont fermés. Les règles ont été les mêmes qu'ailleurs : distanciation, sens unique de circulation, achat des billets exclusivement online avec des réservations limitées à 600 personnes par jour - même si, dans les faits, nous n'avons jamais reçu plus de 200 personnes par jour.

S'agissant de la fréquentation, le musée de Capodimonte s'apparente davantage aux grands musées de province français qu'au Louvre, au musée d'Orsay ou au centre Georges-Pompidou. La réouverture du parc, plus grand parc urbain d'Italie, ne poserait pas de problème pour le public, mais plutôt pour le personnel.

M. Bernard Jomier, président. - Nos interlocuteurs viennent de nous démontrer qu'une voie existe pour éviter un risque trop élevé de transmission de la covid-19 lors d'activités culturelles. Dès lors que les lieux culturels n'ont pas été des clusters, pensez-vous possible, Madame Delaugerre, de travailler sur un risque très faible de transmission, et l'expérience de concert test va-t-elle dans ce sens ?

Mme Constance Delaugerre, cheffe de service à l'hôpital Saint-Louis. - Avant de travailler sur cette expérimentation d'un concert test à l'AccorHotels Arena de Paris, nous avons dressé un état des lieux des protocoles sanitaires dans les lieux culturels, pour évaluer leur adaptation au risque épidémique. Nous avons constaté que les musées, les cinémas et les théâtres, dès lors qu'ils disposaient d'un protocole précis, avec des jauges réduites, l'obligation du port du masque et le respect de la distanciation, avaient tout pour une réouverture rapide, du moins quand l'incidence de la transmission n'est pas aussi forte qu'aujourd'hui.

Avec l'expérience d'un concert test, nous examinons une situation bien différente puisqu'il s'agit d'évaluer le risque de contamination d'un protocole spécifique pour un rassemblement de 5 000 personnes qui se tiennent debout dans l'environnement clos d'une salle de concert, donc sans pouvoir respecter la distanciation. L'étroitesse de la jauge posant un problème économique évident pour les spectacles, nous avons recherché un protocole qui évite la transmission tout en permettant la participation d'un large public. Pour ce faire, nous avons ajouté un dépistage en amont : nous proposons de ne faire participer au concert test que les personnes disposant d'un test négatif de moins de 72 heures, qui ne présentent aucun symptôme et qui ne sont pas vaccinées. Nous ferons entrer la jauge normale, en l'occurrence pour la fosse de quelque 2 000 mètres carrés, en demandant le port du masque chirurgical et en mettant à disposition du gel hydroalcoolique. Les participants au concert seront tirés au sort sur un groupe plus large, puis le risque de transmission sera évalué à 7 jours en comparant, par de nouveaux tests, la situation de ceux qui seront allés au concert avec celle des autres.

L'idée est bien de mesurer l'impact de cette prise de risque particulière qui consiste à participer à un concert dans une salle fermée, certes bien ventilée et disposant d'une hauteur sous plafond de 20 mètres, mais avec des milliers de personnes sans distanciation. L'expérimentation poursuit deux autres objectifs : évaluer le bon port du masque pendant et avant l'événement, que nous allons examiner grâce à des caméras qui enregistrent le positionnement des masques, et mesurer le fonctionnement d'une nouvelle version de l'application TousAntiCovid, qui délivrera un QRcode pour l'entrée dans le lieu et permettra d'avertir les participants si un cas de covid est avéré, et ce via une base nationale, mécanisme qui pourrait servir par la suite à la mise en place d'une sorte de « pass » pour les établissements recevant du public.

Ceux qui travailleront sur le concert ne rentreront pas dans l'expérimentation, mais ils se plieront aux mêmes obligations. Les artistes, qu'on ne peut remplacer, se sont vus proposer une vaccination. Le dépistage en amont est un processus lourd, mais il présente des avantages aussi, en particulier celui de limiter le risque de transmission du virus dans la ville, puisque le concert ne fait s'y déplacer que des personnes négatives. Certes, le test négatif ne garantit pas la non-transmission, puisqu'il peut être négatif en début de contamination avant de devenir positif, il peut avoir été mal réalisé, ou la personne testée peut encore contracter le virus après le test, sans compter que le test antigénique que nous utilisons est moins sensible que le test PCR. Cependant, nous travaillons à réduire le risque tout en nous plaçant dans un cadre réaliste, celui, par exemple, où des tests antigéniques seront en accès libre, et où une sorte de pass pourrait être mis en place pour l'accès aux regroupements qui, aujourd'hui, sont identifiés comme les situations les plus à risques.

M. Roger Karoutchi, rapporteur. - Ces exemples pris chez nos voisins nous montrent que des musées, des théâtres ont rouvert avec un régime distinct de celui des salles de concert ou des festivals, ce qui est important. Cette réouverture a été manifestement complexe, elle a demandé des investissements pour des aménagements, par exemple pour ce qui concerne la ventilation des salles, l'équipement numérique : avez-vous perçu des aides ? Et quelle a été la réaction de l'opinion publique : êtes-vous parvenus à faire en sorte que le public revienne en confiance et se sente serein ?

Ensuite, j'estime que le concert test est un pari très risqué, car, en plaçant 5 000 personnes debout dans un espace clos, il fait l'inverse de ce que les autorités sanitaires recommandent - et ce test ne conduit-il pas à l'idée qu'il faudra bientôt un pass vaccinal ?

M. Alexandre Chevalier. - En Belgique seuls les musées ont rouvert, les autres équipements sont fermés depuis la fin octobre ; les librairies sont restées ouvertes, considérées comme étant « essentielles ». Le débat sur ce qui est essentiel et ce qui ne l'est pas montre que, en réalité, les décisions de fermeture et de réouverture sont politiques. Il y a des considérations sanitaires, bien sûr, mais outre qu'on manque de données précises pour comparer les situations, les mesures de la transmission dans tel ou tel cas, la décision est prise avec une intention politique, par exemple de précaution ou de prudence ; cela explique les différences, par exemple, entre la fermeture des cinémas, alors qu'on y est assis, à distance, et masqué, et l'autorisation d'ouvrir les musées, alors qu'on y circule et qu'on peut s'y parler... Il ne faut donc pas perdre de vue que, en dernier ressort, la décision est politique.

Lors de la réouverture de mai dernier, la fréquentation des musées a dépendu de plusieurs facteurs, en particulier de la taille, de la présence d'un jardin, mais aussi de l'importance du public qu'y représentent habituellement les touristes. Cependant, une partie du public est moins revenue, ressentant probablement l'existence d'un risque - c'est en particulier le cas en ce qui concerne les personnes âgées.

M. Joan Matabosch. - Le facteur décisif me semble la capacité de l'équipement culturel à disposer d'un protocole sanitaire suffisant, très strict - cela est propre à chaque lieu, à son architecture, qui détermine pour beaucoup les adaptations qu'on peut y faire. On me demande souvent comment nous y sommes parvenus au Teatro Real, je transmets volontiers les informations précises sur ce que nous avons fait et on constate alors que ce n'est pas toujours transposable : ce que nous avons fait dans notre grande salle, en changeant la ventilation, en tirant parti des grands espaces, ne sera pas transposable à un théâtre en sous-sol - beaucoup de théâtres de Madrid n'ont pas rouvert parce qu'ils n'ont pu trouver de solution satisfaisante. Au Teatro Real, nous avons en particulier l'avantage de pouvoir configurer la fosse selon trois tailles, la petite permettant déjà de jouer l'essentiel du répertoire classique ; nous avons configuré la fosse dans son format le plus large là où l'on se contentait habituellement du petit format, et pour certains programmes, plus exigeants, comme le Siegfried, de Wagner, nous avons dû placer des musiciens dans les loges latérales... La question est donc pratique plutôt que de principe : on ouvre l'équipement si l'on peut disposer d'un protocole suffisant, mais on reste fermé dans le cas contraire. Ceci a eu des conséquences sur la programmation, nous avons dû annuler des spectacles quand l'adaptation n'était pas possible. Côté fréquentation, le public a suivi : nous vendons l'intégralité des billets mis en vente.

M. Sylvain Bellenger. - La fermeture des frontières a changé la composition du public, il est désormais local puisque les étrangers sont absents depuis un an. Le public local nous demande la réouverture, même s'il y a finalement peu de visiteurs, nous n'avons pas dépassé 200 visiteurs par jour pour une jauge réduite au tiers, contre un millier de visiteurs quotidiens habituellement et des pics de 3 000 à 4 000 visiteurs l'été.

M. Bernard Jomier, président. - Dans ces conditions, n'est-il pas plus coûteux d'ouvrir, que de fermer ?

M. Sylvain Bellenger. - C'est une catastrophe financière dans les deux cas, avec peut-être autant de complications administratives pour chacun. Notre budget a été divisé par deux, nous avons des charges supplémentaires et les soutiens publics ne sont pas à la hauteur.

Mme Évelyne Renaud-Garabedian. - La mise en oeuvre du protocole sanitaire est-elle compatible avec une rentabilité économique ?

Mme Sylvie Robert. - L'expérience du concert test va utiliser l'application TousAntiCovid : est-ce une nouvelle application, ou bien celle qui existe déjà ?

M. Michel Laugier. - Le Teatro Real a rouvert avec une jauge moins importante, avez-vous compensé en ajoutant des représentations ?

M. Joan Matabosch. - Nous n'avons pas ajouté de représentations, notre objectif étant surtout de maintenir le plus possible la programmation ; en juillet cependant, nous avons joué davantage que prévu, mais pour rattraper des représentations que nous avions dû reporter. Nous avons annulé des spectacles trop difficiles à concilier avec le protocole, en particulier ceux qui tournent.

L'investissement que nous avons dû faire est certes coûteux, mais quid du coût de la fermeture elle-même ? Lorsqu'un théâtre ferme, il perd les recettes de mécénat, ce qui représente chez nous le quart du budget, à quoi s'ajoutent les locations de salle, représentant 9 % de notre budget... et je ne parle ici que des données chiffrées.

M. Alexandre Chevalier. - La fermeture coûte effectivement très cher, ce qui ne signifie pas qu'il soit rentable de rouvrir... Le montant des pertes pour jauges limitées dépend du modèle d'entreprise, de la part qu'y prend la billetterie, de la structure du personnel, selon que toutes les activités sont réalisées en interne, ou bien que des services ont été externalisés, comme le gardiennage, la scénographie, la médiation culturelle. En réalité, la baisse de l'activité n'est pas toujours bien mesurée. Les aides publiques ont d'abord consisté en 50 millions d'euros apportés par la région wallonne en mai, d'autres ont suivi, elles sont loin de compenser les pertes. Les musées sont tributaires de leur population environnante et des publics ciblés ; les musées très liés au tourisme, comme ceux de Bruges ou le musée Magritte à Bruxelles, ont perdu les trois quarts de leur fréquentation, alors que dans des petits musées plus locaux, elle a pu progresser et concerner des publics différents : des publics locaux redécouvrent ces musées peu éloignés de chez eux, par manque d'autres activités culturelles. Il est intéressant de voir qu'une frange différente de la population « consomme » une culture et un patrimoine auxquels elle n'était pas toujours sensible jusqu'alors.

La question des coûts doit intégrer la chaîne de conséquences liées à la fermeture des lieux culturels, en particulier l'incidence sur la santé mentale - c'est au politique d'intégrer tous ces éléments qui concernent en réalité toute la société.

M. Bernard Jomier, président. - Nous sommes convaincus du bénéfice du maintien des activités culturelles ; notre pays doit trouver les moyens de s'adapter, établissement par établissement, comme vous le faites, au bénéfice de vos concitoyens. L'ouverture des lieux culturels est aussi l'occasion de découvertes, c'est un des points positifs.

Mme Sarah Bastien. - L'ouverture est un avantage pour le bien-être de nos concitoyens, c'est évident. À Gand, nous constatons aussi que le public local vient plus qu'avant : les gens redécouvrent leur propre pays, c'est un avantage, au-delà des questions financières.

M. Sylvain Bellenger. - Je partage cette analyse du poids psychologique de la fermeture, et même si le public est peu nombreux, l'ouverture soulève ce couvercle. La fermeture touche aussi tout un ensemble d'activités liées aux expositions, dans l'emballage, le transport, la médiation, toute cette activité disparait, de même que le mécénat disparait quand nous fermons, cela représente le quart de notre budget à Naples.

Mme Constance Delaugerre. - Il me semble que nous avons une difficulté particulière en France, liée au manque de perspective. Cette absence de perspective dure depuis plusieurs mois alors que nous voyons que, ailleurs, des choses sont possibles, qu'on s'y adapte au risque de transmission. Des études, en particulier celles de l'Institut Pasteur, démontrent que les lieux culturels n'ont pas été des clusters, mais c'est comme si l'on n'en tenait pas compte : aucune date n'est donnée pour leur réouverture, et ce depuis le mois de janvier, alors que, en Italie, le Gouvernement annonce une réouverture pour le 6 avril. La situation est figée, c'est déstabilisant.

C'est pour aider à sortir de cette situation que nous recherchons des données scientifiques propres à faciliter la prise de risques encadrés : c'est le sens du concert test. La fermeture a des effets délétères, avec un impact psychologique certain sur les jeunes en particulier, qui se voient privés de cinéma, de musées... Il n'y a qu'à voir l'engouement pour les galeries d'art qui, elles, peuvent ouvrir en tant que commerces, ou encore le fait que des Français se rendent en Espagne pour aller dans les bars et se détendre. L'impact est également très fort sur les retraités, pour qui les équipements culturels comptent dans la socialisation.

Il y a urgence, j'espère que nous serons soutenus. Avec le concert test nous voulons donner des éléments pour des réouvertures encadrées. Il faut s'adapter tout le temps, nous le faisons en laboratoire, c'est mieux que de ne rien faire et de s'isoler toujours davantage.

Le concert test vise un risque plus élevé que celui qu'on prend au cinéma ou au musée, le port correct du masque est loin d'être garanti, mais la réalisation d'un test grandeur nature nous paraît un moyen de patienter d'ici à ce que la vaccination soit générale. La mise en place d'un pass sanitaire pose des questions difficiles, mais c'est la seule chose, à part la fermeture, que l'on puisse faire avant que le continent européen tout entier ne soit suffisamment vacciné.

Un tel pass est déjà demandé pour prendre l'avion, pour aller à l'hôpital ; nous tentons de voir ce qu'il donnerait lors d'un concert. Les données que nous recueillerons nous aideront à proposer des protocoles qui pourraient être adaptés aux lieux culturels eux-mêmes.

L'application que nous allons utiliser pour le concert test est bien une nouvelle version de TousAntiCovid. Elle intégrera le résultat du test, qu'il soit négatif ou positif. Chacun pourra se présenter avec son smartphone à l'entrée du concert, ou bien une impression papier du résultat. Nous ne forçons pas à l'utilisation de cette application, nous y incitons. Faut-il aller vers un système réservant l'accès aux personnes présentant un test négatif, comme nous le faisons dans le concert test ? Une étude montre que 80 % des jeunes y sont favorables, pour se prémunir contre le risque de transmission.

M. Bernard Jomier, président. - Nous vous remercions de votre participation. Il y a peut-être un blocage français par rapport à plusieurs de nos voisins européens. Vos exemples vont nourrir nos préconisations sur la réouverture d'activités culturelles, dans l'espoir que notre vie culturelle puisse reprendre normalement.

La réunion est close à 10 h 35.

Audition de représentants d'institutions culturelles internationales demeurées ouvertes

M. Bernard Jomier, président. - Pour nous permettre de formuler des préconisations pertinentes, il nous a paru utile d'observer les mesures qui ont été prises par nos voisins européens à titre de comparaison. Dans un certain nombre de pays, les établissements culturels ont été autorisés à rouvrir leurs portes sous certaines conditions. Nous recevons ce matin des représentants d'institutions culturelles étrangères concernées par ce type de mesures, qu'il s'agisse de salles de spectacles ou de musées : Mme Sarah Bastien, directeur général administratif des six musées de la ville de Gand ; M. Sylvain Bellenger, directeur général du Museo e Real Bosco di Capodimonte à Naples ; M. Aviel Cahn, directeur général du Grand Théâtre de Genève, et vice-président de l'organisation professionnelle des compagnies et festivals d'opéra d'Europe, Opera Europa ; M. Alexandre Chevalier, archéologue préhistorien au muséum des sciences naturelles de Belgique, président de la section belge du Conseil international des musées (ICOM) ; et M. Joan Matabosch, directeur artistique du Teatro Real de Madrid.

Participe également à cette table ronde Mme la professeure Constance Delaugerre, virologue, cheffe de service à l'hôpital Saint-Louis à Paris, qui supervise le concert test qui devrait être organisé à l'AccorHotels Arena à Paris dans quelques semaines ; elle pourra nous apporter son regard de scientifique et nous indiquer dans quelle mesure certaines de ces expériences étrangères pourraient être transposées en France.

Je tiens tout d'abord à vous remercier très chaleureusement d'avoir répondu à notre invitation. Il est très important, pour nous, de recueillir votre témoignage pour mieux comprendre les choix qui ont été faits dans les pays voisins, les raisons qui les ont motivés et la manière dont vos établissements se sont adaptés pour reprendre leurs activités face au risque sanitaire. Sans doute avez-vous mené des études depuis la réouverture pour vous assurer qu'aucun cluster n'est apparu dans vos établissements. Nous serons également très attentifs aux adaptations que vous auriez pu mettre en place à la lumière des premiers enseignements tirés après la réouverture de vos institutions.

Les établissements culturels sont à l'arrêt en France depuis maintenant un an, hormis une courte parenthèse durant l'été et au début de l'automne 2020. Malgré le soutien que leur apportent l'État et les collectivités territoriales, leur situation extrêmement délicate nous pousse à rechercher des solutions permettant d'entrevoir une sortie de crise, même progressive. C'est en effet une grande partie de la richesse et de la diversité culturelles qui caractérise notre pays qui est menacée par la fermeture de ces établissements.

M. Aviel Cahn, directeur général du Grand Théâtre de Genève. - Après la fermeture du printemps dernier, nous avons pu jouer des spectacles avec une jauge limitée de juin à fin octobre, grâce à un protocole qui a très bien fonctionné. Avec la deuxième vague, qui a frappé Genève plus que d'autres régions de Suisse, tous les établissements culturels ont dû fermer et n'ont pas pu rouvrir depuis lors. Nous espérons une réouverture en avril.

L'Union des théâtres suisses, qui regroupe tous les théâtres et les opéras, a organisé un lobbying efficace auprès du Conseil fédéral, bien plus que n'aurait pu le faire chaque théâtre individuellement. Nous avons pu négocier une solution pour faire du vrai théâtre sur scène, avec un régime particulier pour que les solistes puissent se toucher, sans être obligés de rester à deux ou trois mètres les uns des autres.

Depuis la fermeture, nous avons produit des spectacles en ligne. L'Union des théâtres suisses n'a recensé aucun foyer de contamination. Si quelques personnes ont été testées positives, elles ont rarement contaminé d'autres personnes.

Nous avons joué avec un protocole de protection du public très strict, comme celui que M. Matabosch vous décrira, avec la séparation des spectateurs en secteurs isolés, ce qui nous a permis d'éviter toute infection dans le public.

Nous rencontrons de grandes difficultés financières : lorsque nous donnons des spectacles, nous devons faire face aux coûts de production. Le chômage partiel, qui fonctionne en Suisse, s'applique au personnel, mais pas aux artistes. Le coût total du spectacle reste le même, mais nous ne touchons aucun revenu.

La Confédération et les cantons ont mis en place des aides qui devraient couvrir les pertes liées à la covid. Mais c'est administrativement compliqué, notamment parce que chaque niveau pose des conditions différentes. Nous attendons toujours cette aide.

Nous sommes très heureux que la plupart de nos mécènes nous soient restés fidèles et que notre public ait accepté de renoncer au remboursement de leurs billets. Mais il est clair que cette situation ne peut pas durer. Nous espérons donc que la vaccination changera quelque chose pour la saison prochaine.

M. Joan Matabosch, directeur artistique du Teatro Real de Madrid. - En mai-juin dernier, nous avons mis en place un protocole permettant de garantir le retour à l'activité en sécurité pour le personnel, les artistes et le public. Nous avons développé des protocoles spécifiques pour l'orchestre et pour le choeur. Nous avons ainsi pu reprendre notre activité en juillet avec une version mise en scène de La Traviata, comme prévu.

Le protocole réglemente tout : reconfiguration du processus de répétition, interactions sociales et professionnelles, usage des différentes salles du théâtre - salles de répétition et salle principale -, distanciation physique pour chaque activité, ce qui nécessite l'adaptation de la fosse d'orchestre pour maintenir la distance entre les musiciens avec des solutions peu conventionnelles telles que des panneaux de séparation entre les pupitres.

Le protocole prévoit des mesures prophylactiques, mais aussi notre réponse en cas de détection d'un cas de covid. Il est très important de réagir immédiatement pour protéger et tester tous les contacts rapprochés. Nous avons eu quelques cas, mais qui ont été repérés immédiatement, ce qui a entraîné l'isolement de la personne testée positive et de ses proches. Cela freine les incidences immédiatement.

Le fonctionnement du théâtre dépend d'une commission médicale composée de six épidémiologistes des principaux hôpitaux publics de Madrid ; elle se réunit tous les sept à dix jours pour assurer le suivi de la situation et donner des instructions sur les mesures à prendre.

Pour le public, les limitations ont été édictées par la Comunidad de Madrid. Elles changent très souvent, ce qui constitue l'un des problèmes que nous avons à affronter. En juillet, nous ne pouvions accueillir que 50 % de la capacité ordinaire ; maintenant, nous pouvons théoriquement en accueillir davantage, mais selon des conditions qui nous empêchent matériellement d'aller très au-delà. Chacun doit porter un masque et respecter une distance de sécurité avec les personnes qui n'ont pas acheté leur billet en même temps qu'elles.

Les horaires des spectacles ont changé en fonction du couvre-feu. Nous avons ainsi dû donner une représentation de Siegfried de Wagner à 16 heures 30, une heure très inhabituelle pour un spectacle en Espagne...

La possession d'un billet ne donne plus accès à tout le théâtre : à chaque fauteuil correspond un foyer attitré pour l'entracte, dans lequel un nombre limité de personnes peut entrer. Nous essayons autant que possible d'organiser des spectacles sans entracte.

L'entrée et la sortie de la salle sont réglementées : les spectateurs entendent une annonce qui leur donne des instructions pour sortir, par exemple. Parallèlement à la diminution du nombre de places disponibles, nous avons augmenté le nombre de sanitaires pour permettre une désinfection régulière.

Mme Sarah Bastien, directeur général administratif des six musées de la ville de Gand. - La Belgique a été confinée du 14 mars au 18 mai 2020, puis à partir de novembre. En août, il y a eu également plusieurs confinements locaux.

Les lieux culturels sont restés ouverts pour accueillir les groupes d'enfants jusqu'à douze ans. Les cafés et boutiques ont suivi les règles locales ou nationales spécifiques à ces lieux.

Lorsque nous avons eu la possibilité de rouvrir, tous les musées de Flandre, de Wallonie et de Bruxelles ont écrit une lettre commune comportant sept engagements, afin de démontrer que les musées pouvaient être des espaces sûrs, même en temps de covid.

Les musées ne sont ouverts que pour des visites individuelles ou par bulle familiale ; l'entrée est limitée à une personne pour dix mètres carrés, avec des créneaux de visite. Nous pouvons également nous appuyer sur notre expertise dans le domaine de l'événementiel.

Nous avons procédé à une analyse des risques de transmission aérienne et par contact, qui nous a conduits à jouer sur la distance physique, la capacité maximale d'accueil, les capacités de désinfection, le port du masque, la ventilation, le fait d'éviter les contacts. Chaque musée a fait son propre exercice d'analyse des risques et déterminé ses propres mesures personnalisées. Pour illustrer ces mesures, nous vous avons envoyé des photos d'un des musées de Bruges, du musée de l'industrie à Gand, du plan présentant le sens obligatoire de circulation dans le musée des Beaux-Arts de Gand.

Pour que cela fonctionne bien, il est nécessaire de porter la plus grande attention au sentiment des employés, qui doivent se sentir en sécurité. Il est également utile d'échanger des connaissances et des expériences avec les autres musées ; en Flandre, ces échanges sont organisés par l'union des musées de Flandre (FARO) ; la Wallonie et Bruxelles ont leur propre organisation. Ces organisations ont produit des guides recensant les mesures à prendre.

Quelques retours d'expérience : les visiteurs ayant l'habitude d'arriver au début du créneau, il est préférable d'utiliser des créneaux de quinze à vingt minutes plutôt que d'une heure. Beaucoup de nouveautés sont devenues des habitudes pour les visiteurs, ce qui rend les choses plus faciles pour eux-mêmes et pour nos employés.

Les problèmes rencontrés tiennent au coût financier des mesures, à la diminution, voire disparition des visites spontanées, puisqu'il faut acheter son billet à l'avance, et au sentiment de dépossession des données personnelles, du moins lors de la mise en place de ce protocole.

Les statistiques du Groeningemuseum de Bruges montrent que la fréquentation approche les 100 % durant les week-ends ; celles des musées de Gand indiquent qu'ils ont été très fréquentés en juillet, que les visiteurs réagissent à la situation virologique et qu'ils ont respecté les confinements locaux. Durant les vacances scolaires, comme en février, beaucoup de familles avec enfants ont visité les musées, car elles n'ont pas beaucoup d'autres choses à faire...

M. Alexandre Chevalier, président du Conseil international des musées Belgique (ICOM) Wallonie-Bruxelles. - Les mesures en vigueur ont été prises par les musées en concertation avec l'administration compétente en matière de culture en Belgique en s'inspirant du secteur commercial, en prenant souvent des mesures plus strictes au début : les musées ont ainsi ouvert avec un visiteur pour quinze mètres carrés, mais se sont vite conformés à la règle appliquée dans les commerces d'un pour dix mètres carrés.

Il y a sans doute moins de niveaux compétents sur la culture en Belgique qu'en Suisse, mais il faut se féliciter que les musées aient été le seul secteur culturel ayant réussi à se fédérer et à proposer les mêmes normes au niveau national. Depuis leur réouverture en décembre, les seuls lieux culturels ouverts sont les musées : c'est ce qui explique que ma collègue ait mentionné le fait que les visiteurs n'aient pas vraiment d'alternative à s'y rendre.

Les musées ont accusé des pertes durant la fermeture et après la réouverture à cause de la jauge. Celle-ci gagnerait à être corrigée en fonction du volume et non fixée comme aujourd'hui en fonction de la seule surface : ce n'est pas la même chose de visiter le muséum national d'Histoire naturelle de Paris qu'un petit musée intime dont les salles ont 2,5 mètres de hauteur sous plafond. Mais rien n'a été fait dans ce sens pour l'instant.

Aucun cluster n'a été signalé dans les musées belges depuis début décembre. Cela tend à démontrer, soit que les mesures sont efficaces, soit que les volumes sont assez importants pour éviter les contaminations.

Même si l'on craint moins, désormais, la contamination par contact, les musées continuent à désinfecter les surfaces. Les mesures que nous prenons sont identiques à celles qu'avaient prises les musées français pendant leur réouverture. J'ai eu la chance cet été de passer une semaine dans les Cévennes et j'ai visité de nombreux musées de la région. Les musées sont des espaces sûrs pour les employés comme pour les visiteurs. Les espaces de restauration et de vente sont soumis aux règles qui s'appliquent aux espaces commerciaux : les restaurants et les bars sont fermés, mais les magasins et les librairies sont ouverts.

M. Sylvain Bellenger, directeur général du Museo e Real Bosco di Capodimonte. - Le Museo e Real Bosco di Capodimonte de Naples est un musée autonome qui dépend directement du ministère de la culture, sans passer par la surintendance des musées de Naples. Le musée est un bâtiment de 15 000 mètres carrés sur trois étages, répartis en 124 salles. Les plafonds ont tous 6, 7, voire 8 mètres de hauteur. Il se trouve à l'extrémité d'un très grand parc de 134 hectares comportant 17 édifices, dont l'ancienne faisanderie royale, qui sera transformée en centre de vaccination à partir de la fin de la semaine.

Comme il se trouve à 20 minutes du centre de Naples, il n'a pas le même type de fréquentation que le musée national d'archéologie de cette ville, par exemple. Son grand parc reçoit 2 millions de visiteurs par an, tandis que le musée en reçoit 300 000 par an.

Après une fermeture de mars à juin, nous avons rouvert jusqu'en novembre. Le musée a fermé à nouveau le 18 janvier pour rouvrir le 23 février, jusqu'à aujourd'hui, jour où nous sommes fermés a priori jusqu'au 6 avril. Cela a occasionné des pertes considérables.

S'agissant du personnel, nous avons conservé les services essentiels, soit cinquante personnes qui veillent jour et nuit sur les portes et les salles. Le reste du personnel, notamment toute l'administration, est en télétravail.

Nous avons profité de la fermeture pour entreprendre des travaux de restauration des oeuvres et projeter des travaux jusqu'en 2023 ; nous avons numérisé des milliers d'oeuvres d'art et les notices ont été transcrites par les gardiens et le service éducatif - c'est un des points positifs de la fermeture.

Le personnel a reçu des formations en anglais ou en diverses techniques de travail. Les bureaux ont été réorganisés : six nouveaux bureaux ont été ouverts pour obtenir des distances suffisantes entre les personnes. Tout le personnel a été testé à deux reprises. Il devrait être vacciné rapidement grâce à la présence d'un centre de vaccination sur le site.

Il n'y a pas eu de cas de contamination au musée. Douze personnes ont cependant dû être mises en quarantaine, avec tous leurs collègues.

Les écoles étant fermées, les services didactiques n'ont pas fonctionné. Le parc est resté plus longtemps ouvert que le musée, même si, aujourd'hui, les deux sites sont fermés. Les règles ont été les mêmes qu'ailleurs : distanciation, sens unique de circulation, achat des billets exclusivement online avec des réservations limitées à 600 personnes par jour - même si, dans les faits, nous n'avons jamais reçu plus de 200 personnes par jour.

S'agissant de la fréquentation, le musée de Capodimonte s'apparente davantage aux grands musées de province français qu'au Louvre, au musée d'Orsay ou au centre Georges-Pompidou. La réouverture du parc, plus grand parc urbain d'Italie, ne poserait pas de problème pour le public, mais plutôt pour le personnel.

M. Bernard Jomier, président. - Nos interlocuteurs viennent de nous démontrer qu'une voie existe pour éviter un risque trop élevé de transmission de la covid-19 lors d'activités culturelles. Dès lors que les lieux culturels n'ont pas été des clusters, pensez-vous possible, Madame Delaugerre, de travailler sur un risque très faible de transmission, et l'expérience de concert test va-t-elle dans ce sens ?

Mme Constance Delaugerre, cheffe de service à l'hôpital Saint-Louis. - Avant de travailler sur cette expérimentation d'un concert test à l'AccorHotels Arena de Paris, nous avons dressé un état des lieux des protocoles sanitaires dans les lieux culturels, pour évaluer leur adaptation au risque épidémique. Nous avons constaté que les musées, les cinémas et les théâtres, dès lors qu'ils disposaient d'un protocole précis, avec des jauges réduites, l'obligation du port du masque et le respect de la distanciation, avaient tout pour une réouverture rapide, du moins quand l'incidence de la transmission n'est pas aussi forte qu'aujourd'hui.

Avec l'expérience d'un concert test, nous examinons une situation bien différente puisqu'il s'agit d'évaluer le risque de contamination d'un protocole spécifique pour un rassemblement de 5 000 personnes qui se tiennent debout dans l'environnement clos d'une salle de concert, donc sans pouvoir respecter la distanciation. L'étroitesse de la jauge posant un problème économique évident pour les spectacles, nous avons recherché un protocole qui évite la transmission tout en permettant la participation d'un large public. Pour ce faire, nous avons ajouté un dépistage en amont : nous proposons de ne faire participer au concert test que les personnes disposant d'un test négatif de moins de 72 heures, qui ne présentent aucun symptôme et qui ne sont pas vaccinées. Nous ferons entrer la jauge normale, en l'occurrence pour la fosse de quelque 2 000 mètres carrés, en demandant le port du masque chirurgical et en mettant à disposition du gel hydroalcoolique. Les participants au concert seront tirés au sort sur un groupe plus large, puis le risque de transmission sera évalué à 7 jours en comparant, par de nouveaux tests, la situation de ceux qui seront allés au concert avec celle des autres.

L'idée est bien de mesurer l'impact de cette prise de risque particulière qui consiste à participer à un concert dans une salle fermée, certes bien ventilée et disposant d'une hauteur sous plafond de 20 mètres, mais avec des milliers de personnes sans distanciation. L'expérimentation poursuit deux autres objectifs : évaluer le bon port du masque pendant et avant l'événement, que nous allons examiner grâce à des caméras qui enregistrent le positionnement des masques, et mesurer le fonctionnement d'une nouvelle version de l'application TousAntiCovid, qui délivrera un QRcode pour l'entrée dans le lieu et permettra d'avertir les participants si un cas de covid est avéré, et ce via une base nationale, mécanisme qui pourrait servir par la suite à la mise en place d'une sorte de « pass » pour les établissements recevant du public.

Ceux qui travailleront sur le concert ne rentreront pas dans l'expérimentation, mais ils se plieront aux mêmes obligations. Les artistes, qu'on ne peut remplacer, se sont vus proposer une vaccination. Le dépistage en amont est un processus lourd, mais il présente des avantages aussi, en particulier celui de limiter le risque de transmission du virus dans la ville, puisque le concert ne fait s'y déplacer que des personnes négatives. Certes, le test négatif ne garantit pas la non-transmission, puisqu'il peut être négatif en début de contamination avant de devenir positif, il peut avoir été mal réalisé, ou la personne testée peut encore contracter le virus après le test, sans compter que le test antigénique que nous utilisons est moins sensible que le test PCR. Cependant, nous travaillons à réduire le risque tout en nous plaçant dans un cadre réaliste, celui, par exemple, où des tests antigéniques seront en accès libre, et où une sorte de pass pourrait être mis en place pour l'accès aux regroupements qui, aujourd'hui, sont identifiés comme les situations les plus à risques.

M. Roger Karoutchi, rapporteur. - Ces exemples pris chez nos voisins nous montrent que des musées, des théâtres ont rouvert avec un régime distinct de celui des salles de concert ou des festivals, ce qui est important. Cette réouverture a été manifestement complexe, elle a demandé des investissements pour des aménagements, par exemple pour ce qui concerne la ventilation des salles, l'équipement numérique : avez-vous perçu des aides ? Et quelle a été la réaction de l'opinion publique : êtes-vous parvenus à faire en sorte que le public revienne en confiance et se sente serein ?

Ensuite, j'estime que le concert test est un pari très risqué, car, en plaçant 5 000 personnes debout dans un espace clos, il fait l'inverse de ce que les autorités sanitaires recommandent - et ce test ne conduit-il pas à l'idée qu'il faudra bientôt un pass vaccinal ?

M. Alexandre Chevalier. - En Belgique seuls les musées ont rouvert, les autres équipements sont fermés depuis la fin octobre ; les librairies sont restées ouvertes, considérées comme étant « essentielles ». Le débat sur ce qui est essentiel et ce qui ne l'est pas montre que, en réalité, les décisions de fermeture et de réouverture sont politiques. Il y a des considérations sanitaires, bien sûr, mais outre qu'on manque de données précises pour comparer les situations, les mesures de la transmission dans tel ou tel cas, la décision est prise avec une intention politique, par exemple de précaution ou de prudence ; cela explique les différences, par exemple, entre la fermeture des cinémas, alors qu'on y est assis, à distance, et masqué, et l'autorisation d'ouvrir les musées, alors qu'on y circule et qu'on peut s'y parler... Il ne faut donc pas perdre de vue que, en dernier ressort, la décision est politique.

Lors de la réouverture de mai dernier, la fréquentation des musées a dépendu de plusieurs facteurs, en particulier de la taille, de la présence d'un jardin, mais aussi de l'importance du public qu'y représentent habituellement les touristes. Cependant, une partie du public est moins revenue, ressentant probablement l'existence d'un risque - c'est en particulier le cas en ce qui concerne les personnes âgées.

M. Joan Matabosch. - Le facteur décisif me semble la capacité de l'équipement culturel à disposer d'un protocole sanitaire suffisant, très strict - cela est propre à chaque lieu, à son architecture, qui détermine pour beaucoup les adaptations qu'on peut y faire. On me demande souvent comment nous y sommes parvenus au Teatro Real, je transmets volontiers les informations précises sur ce que nous avons fait et on constate alors que ce n'est pas toujours transposable : ce que nous avons fait dans notre grande salle, en changeant la ventilation, en tirant parti des grands espaces, ne sera pas transposable à un théâtre en sous-sol - beaucoup de théâtres de Madrid n'ont pas rouvert parce qu'ils n'ont pu trouver de solution satisfaisante. Au Teatro Real, nous avons en particulier l'avantage de pouvoir configurer la fosse selon trois tailles, la petite permettant déjà de jouer l'essentiel du répertoire classique ; nous avons configuré la fosse dans son format le plus large là où l'on se contentait habituellement du petit format, et pour certains programmes, plus exigeants, comme le Siegfried, de Wagner, nous avons dû placer des musiciens dans les loges latérales... La question est donc pratique plutôt que de principe : on ouvre l'équipement si l'on peut disposer d'un protocole suffisant, mais on reste fermé dans le cas contraire. Ceci a eu des conséquences sur la programmation, nous avons dû annuler des spectacles quand l'adaptation n'était pas possible. Côté fréquentation, le public a suivi : nous vendons l'intégralité des billets mis en vente.

M. Sylvain Bellenger. - La fermeture des frontières a changé la composition du public, il est désormais local puisque les étrangers sont absents depuis un an. Le public local nous demande la réouverture, même s'il y a finalement peu de visiteurs, nous n'avons pas dépassé 200 visiteurs par jour pour une jauge réduite au tiers, contre un millier de visiteurs quotidiens habituellement et des pics de 3 000 à 4 000 visiteurs l'été.

M. Bernard Jomier, président. - Dans ces conditions, n'est-il pas plus coûteux d'ouvrir, que de fermer ?

M. Sylvain Bellenger. - C'est une catastrophe financière dans les deux cas, avec peut-être autant de complications administratives pour chacun. Notre budget a été divisé par deux, nous avons des charges supplémentaires et les soutiens publics ne sont pas à la hauteur.

Mme Évelyne Renaud-Garabedian. - La mise en oeuvre du protocole sanitaire est-elle compatible avec une rentabilité économique ?

Mme Sylvie Robert. - L'expérience du concert test va utiliser l'application TousAntiCovid : est-ce une nouvelle application, ou bien celle qui existe déjà ?

M. Michel Laugier. - Le Teatro Real a rouvert avec une jauge moins importante, avez-vous compensé en ajoutant des représentations ?

M. Joan Matabosch. - Nous n'avons pas ajouté de représentations, notre objectif étant surtout de maintenir le plus possible la programmation ; en juillet cependant, nous avons joué davantage que prévu, mais pour rattraper des représentations que nous avions dû reporter. Nous avons annulé des spectacles trop difficiles à concilier avec le protocole, en particulier ceux qui tournent.

L'investissement que nous avons dû faire est certes coûteux, mais quid du coût de la fermeture elle-même ? Lorsqu'un théâtre ferme, il perd les recettes de mécénat, ce qui représente chez nous le quart du budget, à quoi s'ajoutent les locations de salle, représentant 9 % de notre budget... et je ne parle ici que des données chiffrées.

M. Alexandre Chevalier. - La fermeture coûte effectivement très cher, ce qui ne signifie pas qu'il soit rentable de rouvrir... Le montant des pertes pour jauges limitées dépend du modèle d'entreprise, de la part qu'y prend la billetterie, de la structure du personnel, selon que toutes les activités sont réalisées en interne, ou bien que des services ont été externalisés, comme le gardiennage, la scénographie, la médiation culturelle. En réalité, la baisse de l'activité n'est pas toujours bien mesurée. Les aides publiques ont d'abord consisté en 50 millions d'euros apportés par la région wallonne en mai, d'autres ont suivi, elles sont loin de compenser les pertes. Les musées sont tributaires de leur population environnante et des publics ciblés ; les musées très liés au tourisme, comme ceux de Bruges ou le musée Magritte à Bruxelles, ont perdu les trois quarts de leur fréquentation, alors que dans des petits musées plus locaux, elle a pu progresser et concerner des publics différents : des publics locaux redécouvrent ces musées peu éloignés de chez eux, par manque d'autres activités culturelles. Il est intéressant de voir qu'une frange différente de la population « consomme » une culture et un patrimoine auxquels elle n'était pas toujours sensible jusqu'alors.

La question des coûts doit intégrer la chaîne de conséquences liées à la fermeture des lieux culturels, en particulier l'incidence sur la santé mentale - c'est au politique d'intégrer tous ces éléments qui concernent en réalité toute la société.

M. Bernard Jomier, président. - Nous sommes convaincus du bénéfice du maintien des activités culturelles ; notre pays doit trouver les moyens de s'adapter, établissement par établissement, comme vous le faites, au bénéfice de vos concitoyens. L'ouverture des lieux culturels est aussi l'occasion de découvertes, c'est un des points positifs.

Mme Sarah Bastien. - L'ouverture est un avantage pour le bien-être de nos concitoyens, c'est évident. À Gand, nous constatons aussi que le public local vient plus qu'avant : les gens redécouvrent leur propre pays, c'est un avantage, au-delà des questions financières.

M. Sylvain Bellenger. - Je partage cette analyse du poids psychologique de la fermeture, et même si le public est peu nombreux, l'ouverture soulève ce couvercle. La fermeture touche aussi tout un ensemble d'activités liées aux expositions, dans l'emballage, le transport, la médiation, toute cette activité disparait, de même que le mécénat disparait quand nous fermons, cela représente le quart de notre budget à Naples.

Mme Constance Delaugerre. - Il me semble que nous avons une difficulté particulière en France, liée au manque de perspective. Cette absence de perspective dure depuis plusieurs mois alors que nous voyons que, ailleurs, des choses sont possibles, qu'on s'y adapte au risque de transmission. Des études, en particulier celles de l'Institut Pasteur, démontrent que les lieux culturels n'ont pas été des clusters, mais c'est comme si l'on n'en tenait pas compte : aucune date n'est donnée pour leur réouverture, et ce depuis le mois de janvier, alors que, en Italie, le Gouvernement annonce une réouverture pour le 6 avril. La situation est figée, c'est déstabilisant.

C'est pour aider à sortir de cette situation que nous recherchons des données scientifiques propres à faciliter la prise de risques encadrés : c'est le sens du concert test. La fermeture a des effets délétères, avec un impact psychologique certain sur les jeunes en particulier, qui se voient privés de cinéma, de musées... Il n'y a qu'à voir l'engouement pour les galeries d'art qui, elles, peuvent ouvrir en tant que commerces, ou encore le fait que des Français se rendent en Espagne pour aller dans les bars et se détendre. L'impact est également très fort sur les retraités, pour qui les équipements culturels comptent dans la socialisation.

Il y a urgence, j'espère que nous serons soutenus. Avec le concert test nous voulons donner des éléments pour des réouvertures encadrées. Il faut s'adapter tout le temps, nous le faisons en laboratoire, c'est mieux que de ne rien faire et de s'isoler toujours davantage.

Le concert test vise un risque plus élevé que celui qu'on prend au cinéma ou au musée, le port correct du masque est loin d'être garanti, mais la réalisation d'un test grandeur nature nous paraît un moyen de patienter d'ici à ce que la vaccination soit générale. La mise en place d'un pass sanitaire pose des questions difficiles, mais c'est la seule chose, à part la fermeture, que l'on puisse faire avant que le continent européen tout entier ne soit suffisamment vacciné.

Un tel pass est déjà demandé pour prendre l'avion, pour aller à l'hôpital ; nous tentons de voir ce qu'il donnerait lors d'un concert. Les données que nous recueillerons nous aideront à proposer des protocoles qui pourraient être adaptés aux lieux culturels eux-mêmes.

L'application que nous allons utiliser pour le concert test est bien une nouvelle version de TousAntiCovid. Elle intégrera le résultat du test, qu'il soit négatif ou positif. Chacun pourra se présenter avec son smartphone à l'entrée du concert, ou bien une impression papier du résultat. Nous ne forçons pas à l'utilisation de cette application, nous y incitons. Faut-il aller vers un système réservant l'accès aux personnes présentant un test négatif, comme nous le faisons dans le concert test ? Une étude montre que 80 % des jeunes y sont favorables, pour se prémunir contre le risque de transmission.

M. Bernard Jomier, président. - Nous vous remercions de votre participation. Il y a peut-être un blocage français par rapport à plusieurs de nos voisins européens. Vos exemples vont nourrir nos préconisations sur la réouverture d'activités culturelles, dans l'espoir que notre vie culturelle puisse reprendre normalement.

La réunion est close à 10 h 35.

Cette audition a fait l'objet d'une captation vidéo disponible en ligne sur le site internet du Sénat.