Mardi 26 octobre 2021

- Présidence de M. Laurent Lafon, président -

La réunion est ouverte à 17 h 10.

Projet de loi de finances pour 2022 - Audition de Mme Roxana Maracineanu, ministre déléguée auprès du ministre de l'éducation nationale, de la jeunesse et des sports, en charge des sports

M. Laurent Lafon, président. - Nous accueillons Mme la ministre chargée des sports, déléguée auprès du ministre de l'éducation nationale, pour la présentation des crédits de son ministère pour 2022.

À moins de trois ans des jeux Olympiques et Paralympiques de Paris, ce budget marque inévitablement une augmentation des moyens pour financer les infrastructures. La reconduction du Pass'Sport constitue une autre avancée, même si sa mise en oeuvre semble présenter certaines difficultés, comme en témoigne un taux de consommation des crédits limité en 2021.

Le Président de la République a annoncé il y a quelques jours le lancement d'un plan d'équipement de proximité qui devrait concerner 5 000 structures et nécessiter 200 millions d'euros sur trois ans, crédits qui ne sont pas inscrits dans le projet de loi de finances. Pourrez-vous peut-être nous dire comment le Gouvernement envisage de financer les 100 millions d'euros prévus pour 2022 ?

Au-delà des chiffres prévus par le budget, l'année 2022 marquera une nouvelle étape pour l'Agence nationale du sport (ANS), qui a commencé le déploiement de son action au niveau territorial à travers les conférences régionales du sport et les conférences des financeurs. Des interrogations subsistent aujourd'hui sur le rôle de chacun des acteurs. Pensez-vous également que ce sujet doit encore être clarifié pour plus de lisibilité dans le processus de décision et plus d'efficacité dans l'action ?

Mme Roxana Maracineanu, ministre déléguée auprès du ministre de l'éducation nationale, de la jeunesse et des sports, chargée des sports. - Je viens vous présenter aujourd'hui un budget inédit autant qu'ambitieux : sa hausse de 22 % nous permet en effet d'atteindre un niveau historique de 987 millions d'euros ; en ajoutant le compte d'affectation spéciale relatif aux pensions, il passe la barre symbolique de 1 milliard d'euros. Cela représente 178 millions d'euros supplémentaires par rapport à 2021 et le double du budget de 2018.

Ces crédits supplémentaires seront investis pour partie dans les équipements prévus pour les jeux Olympiques et Paralympiques de 2024 ainsi qu'en faveur de la haute performance et du développement de la pratique sportive pour tous, grâce à la pérennisation du Pass'Sport en 2022.

Ce budget illustre la considération du Gouvernement pour le sport, dont la crise sanitaire a démontré, si c'était nécessaire, qu'il était essentiel pour le bien-être et la santé physique et mentale de nos concitoyens. Le sport est utile par les valeurs que les éducateurs transmettent, pour le lien social qu'il tisse entre nous ; c'est un vecteur absolument primordial pour l'éducation. Cette conviction a motivé le rapprochement de mon ministère avec celui de l'éducation nationale, Jean-Michel Blanquer et moi souhaitant faire équipe.

Le sport est non seulement un secteur économique majeur, mais aussi une politique publique en soi ; à ce titre, je l'affirme avec humilité : ce budget pour 2022 est à la hauteur.

Nous venons de passer des mois inédits et difficiles, notamment dans le champ associatif. La crise n'est pas encore derrière nous ; il nous faut donc demeurer prudents. Je veux adresser devant vous mes plus chaleureuses pensées à nos concitoyennes et concitoyens qui ont été touchés par la pandémie. Je veux remercier les acteurs du sport, qui, dans leur immense majorité, ont plaidé, aux côtés de mon ministère, en faveur de la vaccination ; je les remercie d'avoir fait preuve d'un grand sens des responsabilités, en nous aidant à mettre en oeuvre le passe sanitaire. Ce dernier est la meilleure protection contre le virus pour celles et ceux qui veulent reprendre une activité sportive normale, retrouver leurs amis, leurs coéquipiers ; c'est aussi un sésame pour poursuivre une activité physique sans restriction dans une association sportive ou dans une salle de sport.

Nous avons souhaité ne pas faire de distinction entre les sports collectifs et les sports individuels, entre les sports d'extérieur et les sports d'intérieur, entre le sport amateur et le sport professionnel ou commercial. Le Gouvernement a tout fait pour aider les acteurs du sport : structures employeuses, structures de bénévoles, mais aussi ceux qui souhaitaient se lancer dans une activité indépendante ou commerciale.

L'État a débloqué plus de 7 milliards d'euros pour soutenir le secteur sportif, ainsi que 122 millions d'euros au titre du plan de relance, au profit de la rénovation thermique du bâti sportif et du développement numérique des acteurs. C'est tout à fait considérable et indispensable pour un secteur en plein essor, dont la crise a renforcé l'importance. Nous avons veillé à ce que notre écosystème puisse bénéficier des aides de droit commun. Lorsque cela était nécessaire, nous avons déployé en complément des aides sur mesure. Nous avons écouté tous les acteurs, notamment les salles de sport, qui ont beaucoup souffert, ayant dû fermer très longtemps. Nous avons demandé au ministère de l'économie d'adapter un certain nombre de dispositifs : pour les salles de sport, nous avons mis en place l'aide aux coûts fixes ; pour le sport professionnel, nous avons compensé la perte de billetterie ; pour les associations non employeuses, nous avons créé un fonds territorial de solidarité confié à l'Agence nationale du sport et reconduit sur deux années de suite ; pour les fédérations touchées par la baisse du nombre de licences, nous avons établi un fonds de soutien ; face à la rentrée sportive un peu molle que nous anticipions cette année, nous avons mis en place le Pass'Sport, conçu comme une mesure de reprise pour l'écosystème associatif, mais aussi comme une mesure de justice sociale d'aide au pouvoir d'achat des Françaises et des Français.

Le Pass'Sport était déjà à l'étude au ministère des sports depuis un moment, sous le nom de « licence sociale ». Il a pris tout son sens au moment de la crise sanitaire, et nous avons souhaité le reconduire dans le cadre du budget 2022 pour en faire une mesure pérenne. Avec les agents de mon ministère, nous avons réalisé la prouesse de le déployer en seulement trois mois, grâce au précédent du pass culture, qui a pris beaucoup de temps à être conçu et testé, sans compter les dispositifs qui existaient déjà dans un certain nombre de collectivités.

Nous voulions que cette mesure illustre la gouvernance partagée du sport, qui est au coeur du projet de l'ANS. Trois mois, c'est peu, mais c'était indispensable pour qu'elle puisse exister et préfigurer une deuxième version en 2022. Cette allocation de rentrée sportive permet aux jeunes de s'inscrire dans une association, grâce à une réduction de 50 euros payée par l'État. Nous avons passé la barre des 700 000 bénéficiaires - 100 000 de plus en une semaine -, et ce chiffre continue à augmenter. Il dépend de la vitesse à laquelle les associations et leurs bénévoles ou salariés retranscrivent les inscriptions sur le site Le Compte Asso ; 60 000 associations y disposent d'un compte, dont les deux tiers ont commencé les inscriptions. Mais nous avons encore plusieurs semaines devant nous pour maintenir l'effort, en allant chercher les jeunes éloignés de la pratique sportive sans que la question financière entrave leur démarche d'inscription.

Je sais pouvoir compter également sur vous et sur les députés pour promouvoir ce dispositif dans l'ensemble de nos territoires. Je suis aussi consciente que les modalités du Pass'Sport sont perfectibles ; nous cherchons à l'optimiser. L'idée de départ était aussi de disposer d'une photographie de la consommation de sport pour un enfant sur deux sur nos territoires. Le Pass'Sport a vocation à être élargi à plus de structures éligibles et à plus de publics pour qu'un maximum de jeunes puissent l'utiliser.

Pour le sport pour tous, il faut aussi des équipements en nombre suffisant. Pour avoir été responsable associative, je sais qu'il n'est pas toujours facile de devoir négocier des créneaux dans une piscine. C'est pourquoi, avec le Président de la République, nous avons annoncé un plan visant à construire 5 000 nouveaux terrains de sport, équipements, infrastructures sportives de proximité à l'horizon 2024, en y consacrant un budget substantiel de 200 millions d'euros. Monsieur le président, vous me demandiez comment ces investissements seraient financés : je me réjouis que l'Assemblée nationale ait adopté hier soir un amendement sur les crédits de notre mission en ce sens. C'est un engagement à développer une pratique sportive organisée, animée par une association sportive, dans des équipements sécurisés et adaptés aux publics qui en sont les plus éloignés. Nous comptons sur le fait que chaque équipement contribue à créer un emploi lié à la présence associative sur place. Le Président de la République a annoncé que 50 millions d'euros seraient également consacrés à la rénovation thermique du bâti sportif.

Cette stratégie autour des équipements s'inscrit dans la dynamique de l'organisation des jeux Olympiques et Paralympiques en France en 2024, dont l'héritage attendu, tant matériel qu'immatériel, est enthousiasmant. Ces jeux sont une chance pour la France, un véritable accélérateur de transformation pour notre secteur, un moyen unique de favoriser l'engagement de notre jeunesse, de créer des emplois, de permettre à nos entreprises de gagner des marchés ou encore de mettre en valeur leur savoir-faire à l'international. Ce budget 2022 marque aussi la montée en puissance des investissements pour les Jeux, avec 40 millions d'euros pour les équipements nécessaires aux jeux Olympiques et 25 millions d'euros spécifiquement pour les jeux Paralympiques, essentiels à la promotion du sport dans notre pays.

En tant qu'ancienne athlète, je souhaite, comme vous, que cet héritage profite à tous les Français : un héritage en dur, avec des équipements sportifs de proximité - je pense notamment aux 900 centres de préparation aux Jeux (CPJ), répartis sur 97 départements -, mais aussi des hébergements neufs, des infrastructures nouvelles, qui désenclaveront des quartiers, des territoires périurbains ou des territoires ruraux ; un héritage économique, avec près de 150 000 emplois, des filières métiers réenchantées, des marchés conquis par nos entreprises et des retombées touristiques exceptionnelles ; un héritage immatériel, enfin, à commencer par le renforcement de la place du sport à l'école dès le plus jeune âge.

C'est l'un des grands objectifs de ces Jeux : faire de la France une grande nation sportive. Avec Jean-Michel Blanquer, je travaille à déployer, dès la maternelle, les savoirs sportifs fondamentaux tels que le savoir rouler à vélo et l'aisance aquatique, qui concerneront respectivement 200 000 enfants d'ici 2022 et 400 000 enfants d'ici 2024. Nous avons créé, en moins d'un an, une spécialité « éducation physique, pratiques et culture sportive » au baccalauréat général, à laquelle un lycée par département prépare, si possible proche des lieux d'entraînement des sportifs de haut niveau. Nous avons créé une coloration dans cinq baccalauréats professionnels et nous souhaitons la création d'un bac pro sport pour la rentrée 2022. Nous avons, enfin, installé trente minutes d'activité quotidienne à l'école, dispositif soutenu par le comité d'organisation des Jeux olympiques et paralympiques, avec toute sa puissance de communication. Jean-Michel Blanquer et moi-même demandons aux recteurs et aux associations sportives, via les fédérations, de se rapprocher, pour mettre en place aussi bien les savoirs fondamentaux que ces trente minutes d'activité, qui viennent en plus du programme d'éducation physique et sportive (EPS).

Ces réformes sont essentielles, parce que la sédentarité guette plus que jamais nos enfants. Elles comportent des bénéfices immédiats pour le bien-être, mais construisent aussi un capital santé et un savoir-être. Être capable et avoir envie d'aller à la piscine, par exemple, ou continuer à se déplacer à vélo, c'est essentiel pour gagner des années en bonne santé. Nous agissons d'ailleurs pour inscrire le sport comme un pilier dans le parcours santé de nos concitoyens : c'est le sens du travail mené depuis deux ans par mon ministère avec l'Ordre des médecins, qui s'est engagé devant moi, le 8 octobre dernier, à inciter fortement la profession à la prescription du sport à titre curatif, mais aussi préventif. Le budget 2022 augmente pour le sport-santé, pour atteindre 4,2 millions d'euros. Il permettra de soutenir le déploiement des maisons Sport-Santé, dont le nombre doit atteindre 500, selon le souhait du Président de la République. Il ne s'agit pas seulement de donner un label à ce qui existe déjà, mais bien d'accompagner ce réseau, de le faire monter en compétence et de le mettre en lien aussi bien avec l'amont - hôpitaux, médecins, sages-femmes, prescripteurs de sport sur ordonnance - qu'avec l'aval, soit les associations sportives qui récupéreront un nombre important de nouveaux pratiquants, comme ce fut le cas l'année dernière, avec 70 000 nouvelles personnes qui se sont mises au sport.

Ce secteur se développe, grâce à des formations de sciences et techniques des activités physiques et sportives (Staps) spécialisées dans les activités physiques adaptées, mais aussi des professionnels de la santé, comme des kinésithérapeutes ou des accompagnants médicaux.

Vous le savez, un thème qui me tient particulièrement à coeur est de préserver l'éthique et l'intégrité dans le sport, de prévenir toute forme de conduite déviante, d'atteinte au pacte républicain ou de violence. Nous avons souhaité que l'intégrité des pratiquants soit élevée au rang de principe de la République, ce que le Conseil de l'État a accepté. Avec la loi tendant à renforcer ces principes, donc grâce à votre vote, nous avons pu mobiliser les fédérations sur la lutte contre les dérives communautaires, mais aussi positionner le sport comme un véritable acteur de la promesse républicaine. Nous doublons le budget consacré à cette politique.

Alors que nous examinons le dernier projet de loi de finances de ce quinquennat, je souhaite très solennellement remercier les agents du ministère chargé des sports, de la direction des sports, les agents sur les territoires, dans nos établissements et dans les fédérations pour leur mobilisation dans ce combat. À l'issue du quinquennat, je crois pouvoir dire que le monde du sport sera plus sécurisant qu'au début, grâce à l'entrée en vigueur du contrôle de l'honorabilité des bénévoles en septembre 2021 et grâce au travail de la cellule et de nos agents, sous l'autorité des préfets, qui, au 1er octobre, avaient déjà traité 731 signalements de violence, mettant en cause 803 personnes. Il reste encore du travail, mais, sans la volonté de la plupart des fédérations sportives, nous ne pourrions pas avancer aussi vite sur ce chemin vers un sport plus responsable. Tous les équipements sportifs doivent recevoir la signalétique permettant aux usagers - surtout aux enfants - de savoir à qui s'adresser.

Associer les territoires, c'est le modus operandi de l'Agence nationale du sport, trait d'union qui oeuvre au quotidien avec les partenaires du sport que sont le mouvement sportif, les collectivités, les entreprises. Deux ans après sa création et grâce à une collaboration réussie avec les services déconcentrés de mon ministère, l'agence assure sa part dans le financement du développement des pratiques sportives et l'accompagnement de la haute performance, avec un programme et des services sur mesure en faveur de nos athlètes. Sa dotation est maintenue à 135 millions d'euros, auxquels s'ajouteront les taxes affectées de 180 millions d'euros, pour atteindre 315 millions de crédits hors plan de relance. Nous lui octroierons 10 millions d'euros de moyens complémentaires pour soutenir la haute performance sportive, conformément à la trajectoire qui les a fait passer de 50 millions d'euros avant le début de ce quinquennat à plus de 110 millions d'euros aujourd'hui.

Cela montre que nous ne voulons pas soutenir seulement l'élite des médaillables, comme j'ai pu le lire dans certains médias à la suite des déclarations du Président de la République. Les chiffres attestent que nous ne laissons tomber personne et que l'accession à la haute performance et les filières d'accession comptent évidemment tout autant pour nous. Il s'agit de préserver le modèle sportif français, qui part de la base - le sport pour tous - et emmène ceux qui le souhaitent et en ont les capacités vers la performance et ceux qui le peuvent vers les podiums internationaux.

Ces moyens complémentaires pour le haut niveau, adoptés hier par l'Assemblée nationale, visent certes la préparation des JO, mais ils ont vocation à perdurer. C'est du moins ce que je défendrai si je suis en poste lorsque la question se posera.

Les effectifs des conseillers techniques sportifs (CTS) sont sanctuarisés. Quant à la dotation de l'État aux centres de ressources, d'expertise et de performance sportive (CREPS), elle augmente de 6 millions d'euros, permettant que chaque CREPS dispose de 4 ETP en plus, pour se positionner au plus près du terrain et des athlètes, en lien avec la cellule haute performance de l'Agence nationale du sport.

Enfin, la dotation de mon ministère à l'Institut national du sport, de l'expertise et de la performance (INSEP), le vaisseau amiral de la haute performance, s'établit à 6,4 millions d'euros en 2022.

Vous pouvez compter sur moi pour le déploiement effectif de ce budget historique. J'espère que nous travaillerons ensemble, dans l'intérêt du sport et des sportifs.

M. Jean-Jacques Lozach, rapporteur pour avis. - Ce budget est effectivement historique par son augmentation, de 22 %. Cependant, sur les 178 millions d'euros supplémentaires, 100 millions viennent du Pass'Sport et nous les avons votés en loi de finances rectificative au mois de juin dernier : nous ne faisons ici que les reprendre mécaniquement. Il faut compter aussi avec la préparation des JO, qui font une année exceptionnelle. Pour le reste, l'Agence française de lutte contre le dopage (AFLD) va transférer son laboratoire de Châtenay-Malabry à Orsay, et le budget va passer au ministère de l'enseignement supérieur, ce qui ne permet plus de comptabiliser ces crédits dans le budget des sports comme cela est fait aujourd'hui.

Nous sommes très favorables au déplafonnement des taxes affectées, sachant que seulement 31 % du produit des taxes sur les jeux sportifs reviennent effectivement aux sports.

Le Pass'Sport ne consommerait, à la fin de l'année, qu'environ 40 millions d'euros : vous engagez-vous au report des 60 millions d'euros restants sur le budget de l'an prochain, au bénéfice du sport, en particulier du sport pour tous ? Confirmez-vous la dynamique des collectivités territoriales pour accompagner le Pass'Sport, sachant que nombre d'entre elles ont déjà mis en place des dispositifs similaires ?

L'annonce d'un plan d'équipements sportifs de proximité est une bonne nouvelle, mais ne pensez-vous pas qu'il serait utile de combiner les constructions nouvelles avec la remise à niveau de l'existant ? On estime que sept équipements sportifs sur dix n'auraient jamais été rénovés, et qu'un sur cinq a plus de cinquante ans : ne trouvez-vous pas qu'il y a de quoi faire ?

Vous dites que l'INSEP est le navire amiral du très haut niveau, mais son plafond d'emplois est réduit de 5 ETP, alors que le nombre de postes augmente partout : n'est-ce pas contradictoire ? J'y reviendrai dans mon avis.

Nous connaissons votre combat contre les violences et les discriminations dans le sport : où en est-on de la charte des principes républicains dans le sport ? Que pensez-vous du sort réservé aux collectivités territoriales dans ce budget, sachant qu'elles représentent 85 % du financement public ?

Enfin, sur quelle ligne budgétaire le plan d'équipements sportifs de proximité va-t-il figurer ?

Mme Roxana Maracineanu, ministre déléguée. - Effectivement, la maquette budgétaire bouge, avec la création d'établissements publics nouveaux, avec les financements croisés, avec les jeux Olympiques. Il faut se réjouir que les moyens augmentent, comme on le voit avec le Pass'Sport, que j'ai pu obtenir dans une dynamique en partie liée aux JO, qui mobilise aussi des crédits d'autres ministères. Nous avons mis nombre de fédérations sportives en contact avec d'autres ministères ; je pense au ministère de la recherche, qui a coopéré à 12 projets fédéraux de recherche sur la haute performance, ou encore à la participation de fédérations à des appels à projets du ministère du travail, de l'emploi et de l'insertion.

L'AFLD transfère effectivement son laboratoire de Châtenay-Malabry à Orsay et une partie de ses dotations va aller au ministère de l'enseignement supérieur. C'est la conséquence de choix qui ont été faits et dont les acteurs escomptent les meilleures mutualisations possibles.

La consommation des crédits du Pass'Sport progresse : elle en est à 35 millions d'euros, alors même que des associations n'ont pas toutes entré leurs données. Le dispositif va évoluer. Nous avons mis en place une première version, avec l'objectif d'avancer et d'améliorer les choses en cours de route. Nous avons d'abord voulu privilégier les fédérations et les associations agréées dans les quartiers de la politique de la ville. Nous allons étendre le dispositif dans les zones de revitalisation rurale (ZRR), mais aussi à des bénéficiaires plus âgés - jusqu'à 30 ans pour les bénéficiaires de l'allocation aux adultes handicapés (AAH). Nous allons aussi adapter le calendrier, pour mieux tenir compte des disciplines qui démarrent plus tôt qu'en janvier. Des associations demandent des sections pour les très jeunes enfants, à partir de 3 ans ; nous voulons en tenir compte. Le Pass'Sport est donc conduit à s'élargir, en s'adaptant à la demande. Nous devons également tenir compte du passe sanitaire, qui est parfois un obstacle à la pratique sportive, en particulier dans certains territoires qui doivent pourtant être considérés comme prioritaires pour le développement du sport.

Nous voulons donc adapter le Pass'Sport et aller plus loin, en visant plus large, après la première version lancée lors du collectif budgétaire. Pour information, si nous voulions toucher 5,4 millions d'enfants, le coût serait de 270 millions d'euros. Nous avons encore de quoi faire... Nous visons aussi des personnes qui ne pratiquent pas.

La dynamique locale est forte. Nous avons voulu des cofinancements, avec les communes et leurs communautés, avec les fédérations et les associations.

L'INSEP connaît une sous-consommation récurrente de son plafond d'emplois. Nous l'avons ajusté aux besoins réels. L'Institut est en pleine dynamique, avec un nouveau directeur général. L'idée est de trouver de nouvelles synergies avec l'ANS, que ce soit pour la recherche ou pour l'accompagnement spécifique des sportifs de haut niveau et de leurs entraîneurs.

Enfin, nous nous soucions, bien sûr, de la rénovation des équipements sportifs. France Relance mobilise 50 millions d'euros pour le renouvellement énergétique. Le Comité interministériel des villes a mobilisé 30 millions d'euros pour les quartiers prioritaires de la ville, et 12 millions d'euros pour les piscines.

M. Michel Savin. - Nous avons besoin d'avoir des réponses. Je ne comprends pas bien votre réponse sur le Pass'Sport : comment seront ciblés les 50 ou 60 millions d'euros qui ne sont pas engagés ? Vous avancez les maisons Sport-Santé, mais nous avons besoin de savoir plus précisément quelles politiques vous allez promouvoir. Il y a, ensuite, une difficulté d'articulation avec le passe sanitaire : un jeune mineur peut pratiquer le sport à l'école ou à l'UNSS s'il n'est pas vacciné, mais pas dans une association sportive,... C'est tout simplement incompréhensible pour nombre de jeunes. Je déposerai un amendement au projet de loi sur la prolongation du passe sanitaire.

Dans le plan d'équipements sportifs, pourquoi cibler des territoires plus que d'autres ? Le Président de la République a dit que le plan viserait les quartiers de la politique de la ville et les ZRR, donc pas les autres ; pourquoi ce choix ? On me répond que 90 % des territoires seraient couverts, mais, si c'est le cas, pourquoi ne pas couvrir l'intégralité du territoire national ? Des maires nous sollicitent, exprimant de l'inquiétude, voire de la frustration.

Nous assurez-vous qu'Amazon sera soumise à la taxe Buffet, dès lors que cette entreprise a obtenu les droits de retransmission d'une majorité de matchs de Ligue 1 et Ligue 2 ?

Nous assurez-vous ensuite que les sommes obtenues hier pour le sport de haut niveau iront aussi aux jeux Olympiques et Paralympiques d'hiver ? J'ai entendu dire que les athlètes paralympiques qui obtiendraient des primes pour leurs médailles pourraient perdre leur allocation aux adultes handicapés (AAH) du fait de ces primes : nous le confirmez-vous ?

Enfin, je me souviens du discours que le Président de la République a tenu en 2017 sur la place de la France et du sport français dans le monde. Ce budget prévoit à peine 248 000 euros pour soutenir l'influence sportive de la France à l'étranger ; c'est dérisoire.

M. Claude Kern. - Je partage les interrogations de mes collègues sur le Pass'Sport.

Les crédits pour le sport de haut niveau ne progressent pas significativement, à l'exception d'une mesure nouvelle de 6,7 millions d'euros sur le budget de l'ANS. Cela sera-t-il suffisant au regard des ambitions présidentielles ?

Je me félicite que le budget de l'AFLD soit en cohérence avec ses nouvelles missions.

Les 800 000 euros que vous prévoyez pour financer des actions pour la lutte contre les incivilités et la violence dans le sport seront-ils suffisants au regard de l'ampleur du phénomène ?

La répartition de la taxe Buffet est mal calibrée, car le plafond n'a pas été revu. Son rendement, qui était de 74 millions d'euros, devrait osciller entre 45 et 49 millions d'euros l'année prochaine. Il manque 25 millions d'euros. Or la compensation que vous prévoyez n'est que de 10 millions d'euros...

Les 50 millions d'euros prévus pour la rénovation énergétique viennent-ils en plus des 25 millions déjà inscrits ?

L'impact de la crise sanitaire sur le comité d'organisation des jeux Olympiques et Paralympiques d'été de 2024 (COJO) a été maîtrisé et la trajectoire financière est respectée. La société de livraison des ouvrages olympiques (Solideo) devrait bénéficier d'une rallonge de 40 millions d'euros, compte tenu de surcoûts de l'ordre de 167 millions d'euros.

Mais n'oublions pas le sport amateur, qui reste le parent pauvre de notre politique sportive : les clubs souffrent, alors qu'ils sont le vivier de nos futurs médaillés. Que comptez-vous faire pour eux ?

M. Jérémy Bacchi. - À combien d'enfants le Pass'Sport a-t-il bénéficié ? Quelle proportion cela représente-t-il au regard de vos objectifs ?

Avez-vous des chiffres à nous communiquer sur la baisse du nombre de licenciés par fédération ? Quelle corrélation établir entre cette diminution et l'obligation de passe sanitaire ?

Quel bilan tirez-vous des premiers mois d'Amazon Prime ? Attention à ne pas rééditer le fiasco de Mediapro...

Où en est le déménagement du laboratoire de l'AFLD ?

À un an de la Coupe du monde au Qatar, quelle est votre position sur l'organisation de cet événement ?

Mme Sabine Van Hegue. - J'entends votre autosatisfaction, pourtant, hors jeux Olympiques et Paralympiques, seulement 18 millions d'euros de mesures nouvelles sont inscrits au budget pour 2022. Après des baisses, hors inflation, de 8 % en 2019 et de 4 % en 2018, le dernier budget du quinquennat est en hausse...

Les crédits non consommés du Pass'Sport ne pourraient-ils pas être réaffectés à nos associations sportives, fragilisées par la baisse des contrats aidés décidée en début de quinquennat ?

Le Président de la République a annoncé un plan d'équipements sportifs de proximité sur les territoires : où les crédits sont-ils inscrits ? Quel sera le rôle des collectivités territoriales ?

Mme Céline Brulin. - Vous avez souligné le rôle primordial du sport dans l'éducation. Pourtant, 771 postes de professeurs d'EPS ont été supprimés depuis le début du quinquennat. Dans l'académie de Normandie, les enseignants absents moins de quinze jours ne sont pas remplacés et certains lycéens n'ont pas eu de cours d'EPS pendant plus de cinq mois. C'est intolérable ! Or la crise sanitaire a affaibli la condition physique des jeunes et l'on sait le rôle que l'EPS joue dans la découverte d'autres pratiques sportives.

Le plan annoncé par le Président de la République répond au besoin de petits équipements de proximité. Mais quid de la construction d'autres équipements et de la réhabilitation des équipements vieillissants que les collectivités territoriales ne réussissent pas à financer ? Là aussi, il faudrait un peu plus de sonnant et de trébuchant.

Vous annoncez une stabilisation des effectifs de conseillers techniques sportifs. Or, à ma connaissance, leur nombre a diminué de 200...

M. David Assouline. - Une grande partie du sport français est financée par les droits de retransmission télévisée, et pas seulement le football. Le sport à la télévision participe de notre concorde populaire et de l'encouragement à la pratique. Je suis l'auteur d'un rapport sur le sport et la télévision. J'y proposais de rénover le décret de 2002, largement caduc. Depuis, tous les ministres concernés y ont été favorables, mais rien n'a avancé. Le projet de décret traitait notamment de la nécessaire mise à niveau du sport féminin ; sur ce sujet, les choses ont avancé. Quand ce décret sera-t-il enfin publié ? Permettez-moi de vous remettre la synthèse de mon rapport. (M. David Assouline remet un document à Mme la ministre.)

Le service public ne couvre presque plus d'événements sportifs, à l'exception du Tour de France et de Roland Garros - et encore, Amazon retransmet les matchs du soir... Le service public pourrait ne plus avoir les moyens de diffuser les jeux Olympiques et Paralympiques. Que comptez-vous faire ?

M. Jean-Raymond Hugonet. - Les compétitions olympiques de handball devraient être délocalisées à Lille. Un village olympique y est-il prévu ? Si oui, qui le financera ?

Mme Roxana Maracineanu, ministre déléguée. - Monsieur Savin, laissons le temps au Pass'Sport de s'implanter dans les associations. J'espère que l'intégralité des crédits sera consommée grâce à l'élargissement des structures et des publics bénéficiaires. Les éventuels crédits non consommés resteront dans mon budget et me permettront de travailler sur la sédentarité des jeunes, notamment de ceux qui, justement, n'ont pas utilisé leur Pass'Sport. Nous investissons sur la demande de sport, et non pas seulement sur l'offre sportive.

Des schémas territoriaux des équipements sportifs structurants sont en cours d'élaboration. En 2020, 350 dossiers ont été financés, pour un budget de 45 millions d'euros. Aujourd'hui, grâce au plan de relance, nous disposons de 190 millions d'euros pour 2022 pour des équipements structurants, hors équipements de proximité.

Le plan de construction des 5 000 équipements de proximité est un dispositif innovant, financé par l'État via l'ANS. Ce financement comportera une part nationale - entre 50 et 80 % - et une part territoriale, sauf outre-mer, où il sera intégralement financé par l'État. Il permettra de sortir de terre des équipements qui sont actuellement en stock dans les fédérations sportives, comme les 1 000 dojos de la Fédération française de judo. Un logiciel permet de calculer le taux de pénétration de chaque discipline sur les territoires. De nouvelles relations vont s'établir entre collectivités territoriales et monde fédéral, basées sur la collaboration.

M. Michel Savin. - Oui, mais ce plan concernera-t-il l'ensemble du territoire français ?

Mme Roxana Maracineanu, ministre déléguée. - Il concernera les territoires carencés en équipements sportifs. Nous sommes en train d'y travailler et je souhaite que cela concerne un maximum de territoires. Les ZRR et les quartiers de la politique de la ville couvrent déjà 80 % du territoire, mais nous saurons faire preuve de discernement au cas par cas.

Avec Olivier Dussopt, nous nous sommes engagés sur une compensation budgétaire de la taxe Buffet : ni mon budget ni celui de l'ANS ne seront donc affectés. La perte réelle est toutefois encore difficile à évaluer à ce stade.

Monsieur Assouline, je travaille avec Roselyne Bachelot sur la révision du décret, mais nos travaux ont pris du retard en raison de la crise sanitaire.

France 4, la chaîne du service public consacrée à l'éducation, à la culture et au sport, diffusera des événements sportifs. Nous avons également soutenu la création de « Sport en France », la chaîne du mouvement sportif, et les fédérations sont de plus en plus nombreuses à diffuser leurs propres images sur leur site internet.

Nous devons réfléchir avec le sport professionnel à un modèle économique qui ne repose pas exclusivement sur les droits de retransmission télévisée, car c'est dangereux à terme. La responsabilité sociale, les services aux territoires, le mécénat sont des pistes à explorer.

La féminisation du sport passe par la loi, qui imposera la féminisation des instances sportives, mais aussi par les contrats de délégation signés avec les fédérations. Ces dernières devront mettre en place des plans de féminisation de la pratique et des instances. C'est une évolution très forte impulsée par l'État dans sa relation avec les fédérations délégataires, mais aussi les fédérations agréées.

La préparation des jeux Olympiques d'hiver fait bien entendu partie des actions financées par l'ANS au titre du soutien au sport de haut niveau.

Les fédérations sont très engagées dans la lutte contre les incivilités et les violences dans le sport, avec des actions en propre, mais aussi en soutien des associations. Mon ministère participe à hauteur de 800 000 euros à la lutte contre les violences sexuelles, le racisme, l'homophobie, etc.

Les 50 millions d'euros du plan d'équipement correspondent au redéploiement de crédits non consommés dans le cadre du plan de relance.

Monsieur Bacchi, 74 % des jeunes âgés de 12 à 17 ans sont aujourd'hui vaccinés. L'application du passe sanitaire a été une demande du monde du sport, qui a souhaité s'engager fortement dans cette aventure pédagogique d'explication autour du vaccin. Certains étaient même favorables au passe vaccinal. C'était aussi la garantie pour les associations de continuer à fonctionner même en cas de dégradation de la situation sanitaire. Cela a aussi contribué à rassurer les familles. À l'école, dans un premier temps, les sports collectifs ou de contact n'étaient pas autorisés. Les inscriptions se sont bien passées, même si nous avons constaté quelques réticences, notamment dans les quartiers de la politique de la ville. Mais n'oublions pas que le sport se pratique aussi dans le cadre scolaire ou familial. Je tiens à rendre hommage au secteur sportif pour sa mobilisation.

La taxe Buffet s'applique aux droits perçus par la ligue de football professionnel (LFP) et concerne donc Amazon, mais nous devons désormais tenir compte du nouvel environnement concurrentiel et de l'évolution des médias.

S'agissant de la Coupe du monde de football au Qatar, vous connaissez mon engagement en faveur de la responsabilité du monde sportif, mais aussi de l'éthique et de l'intégrité dans le sport : le mouvement sportif doit être exemplaire. Je ne suis pas favorable au boycott, qui pénalise avant tout les sportifs qui se sont préparés. Cette question concerne le mouvement sportif en priorité.

Notre travail avec les fédérations intéresse beaucoup le Comité international olympique (CIO). Nous travaillons également avec Amnesty International sur la meilleure manière de porter le sujet des droits humains. Les 27 ministres des sports de l'Union européenne ont récemment publié une lettre ouverte sur les enjeux du respect des Droits de l'homme lors de l'organisation des grands événements sportifs. Nous avons une démarche similaire en matière de développement durable, dans toutes ses dimensions. Nous porterons toutes ces réflexions lors de la présidence française de l'Union européenne l'année prochaine.

Des infrastructures et des cérémonies sont prévues à Lille, financées sur le budget du COJO. La construction de ces hébergements et la rénovation du stade constitueront un héritage pour la métropole. Ces Jeux doivent être ceux de la France et de l'outre-mer, donc également de la métropole de Lille !

Concernant le contrat d'engagement républicain, le décret est en cours de rédaction, en coopération avec le ministère de l'intérieur, le ministère de la jeunesse, le mouvement associatif et mon ministère.

S'agissant du contrat de délégation prévu à l'article 63 de la loi, le Comité national olympique et sportif français (CNOSF) va être saisi, après divers échanges avec les fédérations ayant permis de prendre en compte certaines de leurs demandes. Mais je reste ferme, car il s'agit d'une déclinaison de la loi, qui prévoit d'amener - le cas échéant, avec l'aide du ministère - ces acteurs à remplir des missions au-delà de la simple organisation de pratiques sportives. Les fédérations le souhaitent, et l'État leur a donné tout le budget nécessaire. Elles gagnent ainsi en responsabilité, notamment vis-à-vis de leurs associations.

J'ai entendu parler de l'AAH des médaillés aux jeux Paralympiques - tous n'en sont pas allocataires. Nous pourrons regarder au cas par cas si certains se trouvent en difficulté.

Sur le principe, je ne vois pas pourquoi nous devrions faire une distinction entre les personnes en situation de handicap, selon qu'elles sont sportives ou non. Pour éviter que les médaillés olympiques ne soient lésés dans leur impôt sur le revenu par leurs primes, nous avons augmenté ces dernières, qu'elles soient liées aux médailles d'or, d'argent ou de bronze. Ils pouvaient déjà les lisser sur quatre ans, mais il aurait été injuste de les pénaliser car ils ont réussi, alors que c'est ce qu'on leur demandait.

J'estime à quinze le nombre des personnes qui seraient lésées par une baisse de l'AAH ; je peux m'engager devant vous à examiner leur situation au cas par cas s'ils ont besoin d'une aide particulière.

M. Michel Savin. - Ce n'est pas ce que je demande. Je pense que c'est un mauvais message pour les personnes en situation de handicap. Certains ont eu trois médailles ! On les félicite, on les reçoit à l'Élysée... Suspendre leur AAH est contre-productif.

Mme Roxana Maracineanu, ministre déléguée. - Mais nous ne pouvons pas faire une exception à la loi pour 12 personnes - ni même pour 54, d'ailleurs !

M. Lucien Stanzione. - Cela me semble un peu scandaleux : l'AAH ne fait que compenser un handicap. Le fait de gagner un concours sportif, même s'il donne lieu au versement d'une prime, ne devrait pas avoir pour effet de la suspendre. C'est un peu faire injure aux handicapés et à leur situation.

Mme Roxana Maracineanu, ministre déléguée. - L'AAH est une allocation qui dépend des revenus de la personne. Rien ne justifie que l'on change la règle parce qu'une personne a remporté une médaille olympique.

M. Laurent Lafon, président. - Je vous remercie de votre participation.

La réunion est close à 18 h 55.

Ce point de l'ordre du jour a fait l'objet d'une captation vidéo qui est disponible en ligne sur le site du Sénat.

Mercredi 27 octobre 2021

- Présidence de M. Laurent Lafon, président -

La réunion est ouverte à 09 h 35.

Application de l'article 23 bis du règlement du Sénat

M. Laurent Lafon, président. - Avant de passer à l'ordre du jour de notre réunion, je souhaitais vous rappeler la décision de la Conférence des Présidents de rétablir, à compter du 1er novembre prochain, l'application de l'article 23 bis du Règlement du Sénat relatif aux obligations de présence en séance publique et en commission.

Je précise à l'attention des collègues qui ont rejoint le Sénat à l'occasion - ou depuis - le dernier renouvellement que ce dispositif vise à inciter chacun d'entre nous à participer aux moments clés de l'activité parlementaire, notamment aux réunions de commissions « législatives » programmées le mercredi matin. Il implique la fin des réunions « mixtes » et le retour au présentiel intégral pour les réunions plénières.

Ainsi, la réunion de mercredi prochain - 3 novembre - consacrée à l'examen des avis budgétaires relatifs à l'enseignement supérieur, à la recherche et au sport, identifiée par un double encadré dans la convocation et le calendrier prévisionnel, sera la première réunion concernée par l'application de cet article.

Le secrétariat vous communiquera de nouveau par mail, à l'issue de la réunion, le courrier et l'annexe qui nous ont été adressés par le Président du Sénat à ce sujet le 14 octobre dernier. L'annexe détaille les modalités d'application de ce dispositif, en particulier les retenues indemnitaires qui y sont associées.

Mission d'information « Influences étatiques extra-européennes » - Présentation du rapport « Mieux protéger notre patrimoine scientifique et nos libertés académiques »

M. Laurent Lafon, président. - C'est avec plaisir que nous accueillons aujourd'hui un ancien membre de la commission, notre collègue André Gattolin.

Cher collègue, vous avez présenté le 29 septembre dernier les conclusions des travaux de la mission d'information dont vous êtes le rapporteur, consacrée aux « influences étatiques extra-européennes dans le monde universitaire et académique français et leurs incidences ».

Cette mission, lancée à l'initiative du groupe RDPI en juillet dernier, se situe à la convergence des travaux de notre commission sur l'enseignement supérieur et la recherche, et de ceux de la commission des affaires étrangères à laquelle vous appartenez maintenant.

Votre rapport, réalisé dans des délais très contraints, a rencontré un large succès médiatique, ce qui montre bien, je crois, l'importance du sujet et la nécessité pour nous de prendre enfin conscience des agressions dont nous sommes victimes de la part de puissances étrangères pas toujours bienveillantes.

C'est pourquoi j'ai souhaité que vous puissiez venir devant notre commission pour présenter vos conclusions.

M. André Gattolin, rapporteur. - C'est un grand plaisir pour moi de revenir devant cette commission, un peu plus d'un an après l'avoir quittée. Le thème de la mission d'information que je vais avoir l'honneur de vous présenter prouve d'ailleurs l'attachement fort que je peux éprouver pour ses thématiques. L'avantage des missions d'information est précisément de croiser les sujets de compétence de nos instances, dans le cas d'espèce, de votre commission et de celle des affaires étrangères. Au passage, j'ai largement puisé dans les travaux que vous avez menés ces derniers temps, je pense en particulier aux rapports budgétaires de Laure Darcos et Stéphane Piednoir, ainsi qu'au rapport sur la loi de programmation de la recherche (LPR) de Laure Darcos, qui se sont avérés très utiles pour bien appréhender la complexité du monde universitaire.

J'avoue avoir été à l'origine de la mission, tant le sujet me paraissait s'insérer dans les problématiques actuelles : à la fois la fragilisation de notre écosystème de recherche et d'enseignement, mais également la montée des rivalités géopolitiques sur lesquelles je travaille plus spécifiquement dans ma nouvelle commission.

Sous la présidence d'Etienne Blanc, qui n'a pas pu être présent aujourd'hui, et avec le concours précieux des Sénateurs, dont certains membres éminents de la commission comme Pierre Ouzoulias et Stéphane Piednoir, la mission a entendu une cinquantaine de personnalités, en France et à l'étranger, et a adressé un questionnaire à l'ensemble des établissements d'enseignement supérieur.

Deux éléments m'incitent à penser que nos travaux ont « touché juste » : d'une part, la mission a adopté à l'unanimité le rapport ; d'autre part, l'intérêt dans la communauté académique, perceptible dès le lancement de la mission, comme la couverture médiatique en France et à l'étranger, ont été très importants. Je dois bien avouer que je suis très surpris par la masse d'articles et les demandes qui me sont adressées depuis la publication du rapport. Ainsi, je l'ai présenté hier devant les corps d'inspection au ministère des finances, demain devant le Sénat italien à Rome et en décembre aux inspecteurs généraux de l'éducation.

J'en viens maintenant à notre sujet.

Nous avons distingué deux grandes familles « d'influence ».

Première famille, les actions qui visent au façonnage de l'image ou de la réputation d'un État, le « narratif d'une nation» pourrait-on dire, à travers le dévoiement des sciences humaines et sociales, notamment de l'histoire. On peut alors parler d'influence. Elle peut parfois dériver sur ce que les Anglo-Saxons appellent le « sharp power ».

Seconde famille, les influences qui visent à l'accès par un État tiers à des données scientifiques protégées pour obtenir un avantage stratégique économique, éventuellement militaire. On parle alors plutôt de captation.

Au passage, le ministre des affaires étrangères le rappelle souvent, il n'y a plus d'influence, il n'y a que la puissance, y compris maintenant dans le domaine de la recherche et de l'enseignement supérieur.

Souvent cependant, les deux notions d'influence et de captation sont mélangées, alors qu'elles appellent des réponses bien spécifiques.

Le rapport reprend la gradation en quatre points proposée devant la mission par l'ancien ambassadeur et président de l'Institut français, Pierre Buhler, depuis la classique diplomatie culturelle, également pratiquée par notre pays, jusqu'à des méthodes beaucoup plus coercitives.

Nous avons ensuite cherché à identifier les États les plus menaçants ainsi que leurs méthodes. Nous nous sommes penchés sur l'expérience de pays plus précocement concernés que nous.

Nous avons notamment entendu James Paterson, président de la commission du Parlement australien sur le renseignement et la sécurité, Garnett Genuis, député canadien, ainsi que des chercheurs étrangers comme Martin Hala, de l'université de Prague.

À ce stade, je tiens à lever toute ambiguïté relative à la République populaire de Chine. Nous n'avons rien contre ce grand pays qui constitue un partenaire indispensable pour affronter les grands défis du XXIème siècle. Cependant, force est de constater que, de par sa puissance, sa cohérence stratégique et ses moyens financiers, ce pays développe actuellement des modalités d'influence radicalement nouvelles, très protéiformes, qui pourraient demain inspirer d'autres États de la planète. Il dispose d'ores et déjà d'un réseau assez visible en France, avec les 17 instituts Confucius, que la mission a tenté d'analyser en détail.

Nous nous sommes également intéressés au cas de plusieurs autres pays, comme la Russie, la Turquie, certains États du Golfe Persique, surtout pour constater qu'aucun n'utilisait à ce jour « l'ensemble de la gamme » des influences très systémiques aujourd'hui employées par la Chine.

Face à ce constat, très largement partagé au niveau mondial, comment se situe notre pays ? Il est apparu que nous sommes d'ores et déjà une cible de choix, mais une cible qui trop souvent l'ignore.

En dehors des cas les plus médiatiques, comme celui assez récent du chercheur Antoine Bondaz ou des pressions exercées à l'occasion de la visite du Dalaï Lama en 2016, nous avons eu connaissance de plusieurs autres situations assez préoccupantes d'ingérences extérieures.

Leur volumétrie est encore à ce jour réduite, avec une dizaine de cas « sérieux » recensés en une année, mais qui pourrait s'avérer plus significative que ne le laissent apparaître les recensions encore assez éparses qui en sont faites actuellement, et j'en suis de plus en plus convaincu suite aux témoignages que j'ai pu recueillir après la publication du rapport.

En effet, l'identification des tentatives d'influence est problématique, peu organisée, et ne fait pas l'objet d'une recension exhaustive.

Par ailleurs, elle ne dit rien d'un phénomène tout aussi inquiétant, celui de l'autocensure croissante des chercheurs dans certains de leurs travaux.

Ainsi, plusieurs personnes ayant accepté de témoigner nous ont informés de l'inquiétude de leurs collègues, qui craignaient des mesures de représailles des gouvernements étrangers mentionnés, je pense notamment au chantage au visa ou à l'accès aux sources. Cela constitue une très grave menace sur nos libertés académiques, au moins autant que la réalité des agressions.

Pourquoi sommes-nous désormais attaqués ? La mission y voit deux raisons principales : nos faiblesses structurelles et aussi notre attractivité.

Premier point, nos faiblesses structurelles : elles sont bien connues et rappelées dans le rapport. Je me suis basé sur le constat établi par la rapporteure de la commission Laure Darcos lors de la LPR : la recherche française souffre d'un sous-investissement chronique depuis des années, que la loi de programmation n'a pas encore permis de combler. Dès lors, il est beaucoup plus aisé pour des pays étrangers de trouver un écho favorable à ses positions auprès des chercheurs et des enseignants, que ce soit par des financements de projets, des bourses de recherche, des déplacements ou des valorisations plus symboliques.

Second point, notre attractivité, avec une recherche scientifique qui est de haut niveau. Je rappelle que notre pays figure au 3ème rang du classement de Shanghai, que nous sommes un pays traditionnellement très ouvert sur le reste du monde et que nous constituons aussi un point d'entrée pour influer sur l'ensemble de la francophonie et une bonne partie de l'Afrique.

Il n'y a donc aucune raison, bien au contraire, pour que, dans la plupart des disciplines, la France soit épargnée.

Un des rares éléments qui nous offre une protection relative est paradoxalement le très faible niveau des droits d'inscription appliqué aux étudiants étrangers, là où certains pays anglo-saxons ont les plus grandes difficultés à se libérer de cette manne financière. Le refus, il y a quelques années, de nos universitaires d'appliquer des frais différenciés nous évite aujourd'hui la situation d'établissements au Royaume--Uni ou aux États-Unis où les droits d'inscription des étrangers représentent plus de la moitié des revenus.

Comment notre pays est-il organisé pour lutter ?

Contrairement à ce que nous pouvions penser de prime abord, il existe bel et bien un ensemble de mécanismes administratifs destinés à protéger notre recherche. La description du dispositif serait fastidieuse. Elle est largement développée dans notre rapport. Je veux simplement faire passer ici quatre messages.

Premier message, les différents échelons de ce dispositif, au niveau central et des établissements, sont mal coordonnés entre eux, et peu identifiés par les principaux intéressés, à savoir les chercheurs, souvent pris par d'autres tâches. Cela traduit, de notre point de vue, une insuffisance de cadrage politique, loin des enjeux du moment.

Deuxième message, les sciences humaines et sociales ne bénéficient que d'une attention très limitée. C'est une « zone grise » du dispositif. Or plusieurs pays ont récemment réorienté leurs stratégies en ce sens. Cette nouvelle direction s'explique par la volonté d'influer sur le « narratif », et, à terme, d'imposer leur vision du monde dans les instances dirigeantes. Je veux dénoncer une nouvelle fois le comportement de certains États qui ont fait directement pression sur nos intervenants, je pense notamment à la chercheuse Claire Mouradian, attaquée par la Turquie, qui cherche par ce biais à « contrôler » le récit et à adresser un message de fermeté à sa diaspora, sans se gêner d'ailleurs pour tenir des propos publics infiniment plus durs sur la France.

Troisième message, certains secteurs de la recherche relevant du domaine civil peuvent faire l'objet d'applications duales, c'est-à-dire civiles et militaires. Le numérique et l'intelligence artificielle (IA), les sciences de l'ingénieur, la santé, une partie de la recherche fondamentale comme les mathématiques, la physique, etc., font partie des domaines protégés au titre du patrimoine scientifique et technique de la Nation, mais un renforcement de la couverture des zones à régime restrictif (ZRR) d'accès et un effort de sensibilisation des chercheurs et des universités mériteraient d'être engagés ;

Quatrième message, à l'heure actuelle, les établissements d'enseignement supérieur sont pris entre deux injonctions contradictoires : d'une part, répondre à l'objectif politique clairement affiché d'ouverture à l'international ; d'autre part, un nouvel impératif de contrôle plus rigoureux, face aux risques pesant sur les libertés académiques ou la souveraineté économique du pays. Il faut donc accompagner des établissements trop souvent laissés seuls pour résoudre cette contradiction.

La mission souligne que toute action en la matière doit parvenir à un équilibre entre d'une part, un monde académique historiquement fondé sur le partage de connaissances et la circulation des idées ; et d'autre part, de nouvelles stratégies planifiées, pensées sur le long terme et exécutées avec des moyens considérables par des États qu'on peut qualifier d'hostiles.

La vigilance qu'il faut mettre en place renvoie finalement à deux niveaux étroitement liés. Premier niveau, celui de l'établissement. Il appartient aux structures d'encadrement de créer les conditions favorables à une prise de conscience des personnels de la recherche. Quelques établissements ont fait montre d'une réelle compréhension des enjeux, ainsi que la Conférence des Présidents d'université. Tous s'accordent cependant pour dire que cette mission passe par des moyens supplémentaires. Pour autant, cette prise de conscience ne semble pas toujours partagée, je pense notamment aux écoles de commerce qui ont très peu joué le jeu de la mission.

Second niveau, celui de l'individu : une large partie des activités des chercheurs et enseignants-chercheurs s'exerce dans une indépendance qui exclut a fortiori, et de manière très légitime, un contrôle renforcé sur leurs activités. Or la plupart des enseignants et des chercheurs ne voient dans une invitation, une proposition de colloque ou de publication ou encore dans une opportunité de financement, que la reconnaissance logique de la qualité de leurs travaux, dans des domaines souvent très spécialisés. Les États-Unis ont réagi très vigoureusement à cette menace, et des condamnations ont frappé des chercheurs qui avaient diffusé à l'étranger des résultats de recherche. Dès lors, il peut leur être difficile d'adopter une attitude appropriée.

J'en viens maintenant à nos recommandations. Elles sont au nombre de 26 et nous les avons regroupées en cinq objectifs. Je vous rassure, je ne vais pas toutes vous les décrire car elles sont parfois assez précises et techniques, mais je suis bien entendu à votre disposition si vous souhaitez des précisions.

Objectif 1 : élever la question des interférences étrangères au rang de priorité politique pour dresser un état des lieux et co-construire avec le monde universitaire des réponses adaptées.

Nous avons en effet constaté, côté politique publique, un manque de hiérarchisation, et côté monde de la recherche, des lacunes dans la prise de conscience. Nous proposons donc de dresser en urgence un état des lieux des alertes.

Il est essentiel que les réponses qui seront trouvées et les procédures à mettre en oeuvre soient largement acceptées par le monde universitaire, aussi, nous préconisons la constitution d'un comité scientifique, prenant la forme d'un « observatoire des influences étrangères et de leurs incidences sur l'enseignement supérieur et la recherche ». Il associerait universitaires et spécialistes des ministères. Il serait chargé d'élaborer une étude scientifique de référence sur l'état des menaces constatées en France. Ce document ferait l'objet d'un suivi actualisé et serait transmis au Parlement.

Notre souhait avec le Président est bien entendu qu'un débat public puisse intervenir et que les commissions compétentes se saisissent régulièrement de cette question.

Objectif 2 : aider les universités à protéger leurs valeurs de libertés académiques et d'intégrité scientifique dans le respect de leur autonomie.

Nous proposons de renforcer considérablement l'architecture administrative. Cela passe par : une meilleure coordination des acteurs, des moyens dédiés, et la diffusion de bonnes pratiques auprès de la communauté. La Grande-Bretagne et l'Australie ont de ce point de vue montré la voie, avec des guides coproduits par la communauté académique, et de ce fait bien acceptés par les universitaires. Il convient également de prendre enfin en compte les sciences humaines et sociales, qui sont actuellement largement passées sous silence.

Objectif 3 : ériger au niveau national la transparence et la réciprocité en principes cardinaux de toute coopération universitaire internationale.

Il nous parait opportun de profiter du retard accumulé par le ministère dans la parution des décrets de la LPR pour prévoir l'obligation pour les chercheurs de signaler dans leurs thèses, travaux post-doctoraux et publications scientifiques, les éventuelles aides directes et indirectes dont ils ont pu bénéficier de la part d'États extra-européens. Cela existe déjà aux États-Unis et constitue une règle déontologique efficace.

Tout doit en effet aller dans le sens d'une meilleure transparence et réciprocité, de l'origine des financements des projets au respect des libertés académiques dans les conventions passées avec des organismes liés à des États étrangers.

Objectif 4 : renforcer les procédures administratives destinées à contrôler les partenariats passés par les établissements d'enseignement supérieur et de recherche.

Nous avons été frappés par le flou qui entoure le régime d'autorisation des partenariats entre les établissements d'enseignement et les organismes ou entreprises étrangères. Il est donc proposé de systématiser un contrôle exercé au meilleur niveau sur l'ensemble de ces partenariats, y compris les filiales françaises d'entreprises étrangères. Il faut relever que l'administration ne dispose que d'un délai d'un mois pour se prononcer sur les partenariats, ce qui est beaucoup trop court pour un examen sérieux. Nous proposons de le porter à trois mois et d'y associer les ministères des finances et des Armées.

Objectif 5 : promouvoir au niveau national, européen et international l'adoption d'un référentiel de normes et de lignes directrices. Notre corpus juridique doit être complété en intégrant un régime adapté et évolutif de responsabilité.

Au vu de la compétition toujours plus forte et parfois même brutale qui s'établit à présent à l'échelle internationale dans le domaine de la recherche et de la propriété intellectuelle avec ses conséquences inéluctables sur les libertés académiques et sur l'intégrité scientifique, la question des ingérences étrangères doit être portée au plus haut niveau européen, y compris par la mise en place d'un classement des établissements fondé sur les libertés afin de ne pas laisser le champ libre au seul classement de Shanghai.

Un dernier mot pour conclure : le rapport sur lequel nous avons travaillé dans des délais très brefs se veut avant tout un « rapport vigie » pour mettre fin à une cécité longtemps entretenue et qui pourrait rapidement devenir grave de conséquences.

Monsieur le Président, mes chers collègues, je vous remercie de votre attention et suis prêt à répondre à vos questions.

Mme Laure Darcos. - Je vous remercie pour la qualité de votre rapport et de votre présentation. Concernant le classement de Shanghai, l'université de Saclay est en 3ème position et j'en suis très fière, car elle progresse chaque année.

Le rapport est très intéressant car il met l'accent à la fois sur les chercheurs français à l'étranger et sur les chercheurs étrangers en France. Cela pose la question du rôle de nos ambassades concernant l'accompagnement des chercheurs français à l'étranger. Nous devons progresser en matière d'influence, ce que les Anglo-saxons nomment le « soft power ». Nos chercheurs sont livrés à eux-mêmes et ils n'y a pas assez d'interactions pour les faire revenir en France.

M. Stéphane Piednoir. - Le rapport a été fructueux. Nous devons bien différencier l'influence, lorsqu'elle participe du rayonnement, et l'influence qui contraint et vise à capter de l'information. Il est difficile pour certaines universités françaises de différencier ces différents types d'influence. Il convient d'être particulièrement vigilant.

M. Pierre OuzouliasNous devons faire preuve de solidarité avec Claire Mouradian qui est une spécialiste de la Turquie et du génocide arménien. Elle a été meurtrie d'avoir été prise à partie par la presse turque pour ses déclarations devant la mission d'information. Nous ne pouvons pas laisser cette agression sans réaction. Il serait dommage que nous ayons à demander le huis clos dans la conduite de nos travaux. Cette ingérence des autorités turques est inacceptable et nous devons la signifier à l'ambassade de Turquie.

Il est évident que la Chine a organisé un système lui permettant de collecter des informations sur toute la planète afin d'alimenter en technologies son complexe militaro-industriel. Cette influence est moins idéologique que technologique contrairement à ce qui pouvait se passer du temps de la Guerre froide. Plus les universités sont dépendantes des financements étrangers, plus elles apparaissent exposées à ce type de menaces. Si les services de renseignements sont efficaces pour détecter ces ingérences, ils interviennent souvent trop tard par rapport au développement des projets, ce qui peut donner aux chercheurs le sentiment d'être sanctionnés. Les universités n'ont aucun moyen en termes d'intelligence économique qui leur permettrait de se prémunir des démarches intrusives dont elles font l'objet par des structures en lien avec des puissances étrangères.

Il serait souhaitable que la déclaration de Bonn sur la liberté de la recherche, qui réaffirme les libertés académiques fondamentales, fasse l'objet d'initiatives au cours de la présidence française de l'Union européenne.

Mme Annick Billon. - Nous n'avons pas en France la culture du risque. Il y a quelques jours, les Journées de l'entreprise organisées au Sénat sur le thème de la cybersécurité ont mis en évidence le fait que le salarié était le « maillon faible ». On pourrait s'interroger sur le fait de savoir si le chercheur ne constitue pas un autre « maillon faible » et si nous avons les moyens de financer la recherche tout en assurant notre souveraineté.

Mme Catherine Morin-Desailly. - Merci beaucoup et félicitations pour ce rapport passionnant. Dans le prolongement de la remarque de Stéphane Piednoir sur l'importance de l'influence de la Chine et de la Turquie, je m'interroge sur celle des États-Unis, non pas en tant qu'allié diplomatique traditionnel, mais en tant que grande puissance économique - je pense bien sûr aux GAFAM. Depuis 2019, la chaire d'intelligence artificielle de l'École Polytechnique est cofinancée par Google. Plus récemment, le groupe CISCO, leader mondial du traitement des réseaux, a renforcé son soutien financier à la chaire de technologies et d'ingénierie de l'Internet de cette même école. Quid de l'influence liée à la puissance de feu de ces grandes entreprises ? Le rapport en fait-il mention ? Que vous inspirent ces cofinancements ? Encore une fois, je tiens vraiment à distinguer le peuple américain des entreprises américaines.

M. Max Brisson. - Je ne peux pas être suspecté de connivence avec la République populaire de Chine, ayant fait partie de la délégation sénatoriale qui s'est rendue récemment à Taïwan. Néanmoins, en tant que gaulliste, je suis toujours soucieux d'équilibre et méfiant à l'égard de toute vision manichéenne, qui opposerait le camp du Bien à celui du Mal. C'est peut-être là la particularité du discours français, dans la grande tradition diplomatique du Général de Gaulle.

J'apprécie beaucoup la teneur de ce rapport, qui répond bien au sujet posé. Il est cependant évident qu'il existe beaucoup d'autres influences. Les pressions entre États ne sont pas nouvelles : regardons notre passé ! Là où il faut être particulièrement vigilant, c'est sur les libertés académiques auxquelles je suis profondément attaché. Je pense en particulier à certaines influences anglo-saxonnes qui remettent en cause nos principes républicains à l'université.

M. André Gattolin, rapporteur. - Merci beaucoup pour l'ensemble de vos remarques.

Dès le début de la mission, s'est posée au président Blanc et à moi-même la question de son périmètre. D'un commun accord, nous avons décidé de nous en tenir aux influences étatiques, bien qu'ayant parfaitement conscience de celles qu'exercent certaines entreprises étrangères. Je précise d'ailleurs que les partenariats noués avec des sociétés d'autres pays ne sont pas soumis aux mêmes conditions d'autorisation que celles impliquant des États.

Initialement, je souhaitais que l'on s'intéresse aussi aux États-Unis. Mais force est de reconnaître que nous n'avons pas eu beaucoup de matière. J'ai le sentiment que les deux grandes universités américaines installées à Paris sont davantage dans l'offre d'une expérience sabbatique à leurs étudiants que dans la dispense d'une véritable formation académique. Assurément, il y a une influence américaine structurelle, culturelle, économique. Celle-ci est très visible dans nos grandes écoles de commerce, où des cours se font en anglais, où des professeurs et experts américains interviennent. Mais nous n'avons malheureusement pas pu approfondir ce point par absence de coopération de ces grandes écoles. J'ajoute que nous avons volontairement écarté de notre périmètre les gender studies et le « wokisme ». Je suis évidemment convaincu que les États-Unis, par leur réseau de grandes entreprises, exercent une influence sur notre recherche.

Le rapport n'aborde pas toutes les formes d'influence : nous nous sommes concentrés sur celles qui s'exercent sur le monde universitaire et celui de la recherche. Nous nous attendions à entendre parler de la Fédération de Russie. Étonnamment, cela n'a pas été le cas : aucun cas d'ingérence la concernant ne nous a été remonté. La Russie de Vladimir Poutine ne semble pas s'intéresser au discours de nos universitaires. En revanche, tel n'est pas le cas de la Turquie ou des Émirats-Arabes Unis qui repèrent toute analyse qui leur est défavorable.

Mais je suis d'accord avec vous, il faudrait pouvoir faire un point sur toutes les autres formes d'influence qui s'exercent sur nous.

Concernant la Turquie, la pression est très forte. Nous avons d'ailleurs signalé au ministère de l'enseignement supérieur, de la recherche et de l'innovation la situation de Claire Mouradian. Son nom est abondamment cité par la presse turque. Je subis moi-même de très fortes pressions de la part de parlementaires turcs dans le cadre d'un travail que j'effectue au titre de l'Assemblée parlementaire du Conseil de l'Europe.

La place prépondérante de la Chine dans notre rapport n'était pas voulue : elle s'est imposée à nous par l'importance du phénomène.

Sur la cybersécurité, nous souhaitons un audit des systèmes de sécurité informatique des universités. À partir du moment où ceux-ci sont infiltrés, il est facile d'obtenir les coordonnées de certaines personnes et d'exercer directement des menaces sur elles. Il faut donc renforcer ces systèmes. Cela renvoie aussi à la question de la protection fonctionnelle, dont les enseignants ne bénéficient pas. Certains, lorsqu'ils sont accusés à l'étranger, doivent se protéger par eux-mêmes. Nous demandons donc l'élargissement de cette protection.

Le cas de Claire Mouradian pose également la question du degré de soutien de nos institutions publiques à ces chercheurs menacés. Nous avons été frappés de constater que beaucoup de nos interlocuteurs ne souhaitaient pas être auditionnés publiquement.

Pierre Ouzoulias a raison d'indiquer que les services de renseignement sont aujourd'hui associés trop tardivement. Mais je crois qu'il convient aussi de mettre en place des garde-fous en amont pour réduire les risques. Il serait bon d'imposer des contreparties en termes de transparence et de réciprocité dans les conventions de partenariat que notre pays conclut avec des établissements extra-européens, a fortiori lorsqu'il leur accorde des financements.

Il faut aussi un contrôle plus régulier et plus étroit du fonctionnement de ces établissements. Je crois que l'ensemble des services de l'État devrait y être associé car c'est un bon moyen d'assurer la circulation de l'information entre eux.

En ce qui concerne la déclaration de Bonn, sachez que Jean-François Rapin et moi-même devrions présenter une proposition de résolution européenne devant la commission des affaires européennes d'ici la fin du mois de novembre pour tirer les conclusions de ce rapport au niveau européen. Nous allons procéder à des auditions complémentaires dans cette perspective, et je ne manquerai pas d'interroger nos interlocuteurs sur ce qu'il est advenu de cette déclaration. Il est probable que cette proposition de résolution vous sera ensuite renvoyée pour examen.

Le mouvement de réduction des effectifs des ambassades engagé depuis une quinzaine d'années s'est traduit par une diminution du nombre de nos attachés scientifiques. Cette évolution a des conséquences dramatiques car il s'agissait des personnels les plus à même de repérer les situations à risque et d'alerter à leur sujet. Ils pouvaient également sensibiliser nos chercheurs sur place aux problématiques de sécurité.

Enfin, je reviens sur la nécessité d'améliorer l'observation des influences étrangères, en ne se limitant pas uniquement à la Chine. Une chercheuse française devrait prochainement lancer une étude portant sur les jeunes Français partis en Chine dans le cadre de leurs études afin de déterminer s'ils ont subi une influence à cette occasion. Il ne faut pas prendre cette situation à la légère. Cette question peut se poser dans tous les domaines. Beaucoup d'étudiants chinois s'inscrivent à l'heure actuelle dans des écoles de journalisme en France.

M. Laurent Lafon, président. - Nous vous remercions, cher collègue, d'être venu partager avec nous les conclusions de cette mission commune d'information.

La réunion est close à 11 heures.

Ce point de l'ordre du jour a fait l'objet d'une captation vidéo qui est disponible en ligne sur le site du Sénat.

Mercredi 27 octobre 2021

- Présidence de M. Laurent Lafon, président -

La réunion est ouverte à 16 h 35.

Projet de loi de finances pour 2022 - Audition de Mme Frédérique Vidal, ministre de l'enseignement supérieur, de la recherche et de l'innovation

M. Laurent Lafon, président. - Nous poursuivons cet après-midi notre cycle d'auditions sur le projet de loi de finances pour 2022 en accueillant Mme Frédérique Vidal, ministre de l'enseignement supérieur, de la recherche et de l'innovation.

Avant de nous présenter le budget de la mission « Recherche et enseignement supérieur » pour 2022 - auquel viennent s'ajouter des crédits de la mission « Relance » - il me semble important que vous nous donniez des informations sur le déroulement de la rentrée dans les établissements d'enseignement supérieur, sur le plan tant sanitaire - avec la reprise des cours en présentiel en métropole et avec des cours restant en mode hybride dans des collectivités d'outre-mer -, que des capacités d'accueil, compte tenu de la poursuite de la hausse des effectifs, liée notamment au taux exceptionnel de réussite au baccalauréat cette année.

Par ailleurs, vous n'êtes pas sans savoir que notre commission a beaucoup travaillé ces derniers mois sur l'enseignement supérieur et la recherche dans le cadre de son programme de contrôle, que ce soit dans le cadre de la mission, confiée au printemps à notre collègue Sonia de La Provôté, sur la mise en oeuvre de la réforme des études de santé ou avec la mission d'information, conduite par Céline Boulay-Espéronnier et Bernard Fialaire sur la contribution de vie étudiante et de campus (CVEC). De nombreux membres de la commission ont également participé activement à la mission d'information sur les conditions de la vie étudiante en France, présidée par Pierre Ouzoulias et dont j'étais le rapporteur. Nous souhaiterions donc vous entendre plus spécifiquement sur ces trois sujets, sur lesquels nous avons émis des propositions.

En matière de recherche, secteur qui nous avait intensément mobilisés en 2020, l'année 2021 est la première année de mise en oeuvre de la loi de programmation pour la recherche (LPR) et le projet de loi de finances (PLF) pour 2022 est la traduction de sa deuxième marche budgétaire. Nous sommes évidemment très intéressés de savoir où vous en êtes de la publication des décrets d'application qui conditionnent l'entrée en vigueur de plusieurs nouveaux dispositifs, et si les engagements budgétaires ambitieux, pour lesquels nous avons oeuvré, sont bien au rendez-vous.

Après votre intervention liminaire, je donnerai la parole successivement à nos rapporteurs budgétaires Stéphane Piednoir, pour l'enseignement supérieur, et Laure Darcos, pour la recherche, puis aux orateurs des groupes et aux membres de la commission qui souhaiteront vous poser des questions.

Mme Frédérique Vidal, ministre de l'enseignement supérieur, de la recherche et de l'innovation. - L'exercice 2022 est le cinquième budget que j'ai l'honneur de vous présenter et j'en suis particulièrement fière, car il traduit, poursuit et consacre tout l'engagement de ce gouvernement en faveur de l'enseignement supérieur et de la recherche, ainsi que des étudiants et des personnels, dont je tiens à saluer l'engagement, le courage et la résilience pendant la période de crise sanitaire. Dans l'ensemble des établissements - j'ai pu le constater en me déplaçant sur de nombreux sites, c'est le plaisir de retrouver les cours et la vie étudiante en présentiel qui domine. Je salue aussi l'esprit de responsabilité des étudiants, qui ont massivement répondu à l'appel à la vaccination sans laquelle cette rentrée n'aurait pas été possible. Les 18-24 ans ont un taux de vaccination excellent, et il est encore supérieur pour les étudiants. De nombreux établissements ont ainsi un taux de couverture de 100 % et ont mis en place des dispositifs sur site pour accueillir les étudiants internationaux qui n'avaient pu être pleinement vaccinés dans leur pays d'origine.

Ce cinquième budget est celui de la continuité et de l'aboutissement. Il représente 24,8 milliards d'euros de crédits au sein des 29,2 milliards d'euros de la mission « Recherche et enseignement supérieur », soit une hausse de 717 millions d'euros et de 650 emplois par rapport à la loi de finances initiale pour 2021. Jamais un gouvernement n'avait déployé de tels moyens pour son enseignement supérieur, sa recherche et son innovation.

Ces 717 millions d'euros supplémentaires se décomposent en trois principales briques : la deuxième marche de la LPR, qui représente 472 millions d'euros, la vie étudiante, à hauteur de 179 millions d'euros, et le programme « Enseignement supérieur et recherche universitaire », pour 66 millions d'euros, avec un effort particulier pour l'accompagnement des étudiants.

Avec ces trois briques, nous poursuivons la dynamique enclenchée dès 2017 avec le « Plan Étudiants » puis la loi relative à l'orientation et à la réussite des étudiants (ORE), qui a permis de créer plus de 83 000 places dans l'enseignement supérieur public.

Avec ces trois briques, nous faisons deux fois plus en une seule année que sous l'ensemble du précédent quinquennat. Depuis 2017, ce sont 2,4 milliards d'euros qui ont ainsi été ajoutés au budget de la recherche et l'enseignement supérieur, auxquels il faut ajouter les crédits du plan « France Relance », du programme d'investissements d'avenir (PIA) et du plan « France 2030 ».

Cette trajectoire et cet engagement, nous les avons construits avec la représentation nationale, et je tiens à saluer l'ensemble des travaux menés par le Sénat ces cinq dernières années, qu'il s'agisse des travaux sur la CVEC de Mme Céline Boulay-Espéronnier et de M. Bernard Fialaire, de ceux de Mme Sonia de La Provôté sur la réforme des études de santé, ou encore ceux de M. Pierre-Antoine Levi sur la restauration étudiante. Je pense bien évidemment aussi à votre engagement à tous lors de l'examen de la LPR l'an dernier ou, plus récemment, aux travaux de la mission d'information sur les conditions de la vie étudiante en France. 

Concernant la condition étudiante, nos étudiants ont été tout particulièrement affectés par la crise, et ils sont une fois encore l'absolue priorité de mon ministère. C'est ainsi que 179 millions d'euros supplémentaires seront consacrés en 2022 à l'amélioration des conditions de vie étudiante, dont 151 millions d'euros pour les bourses sur critères sociaux. Près de 20 millions d'euros soutiendront les actions à destination des étudiants déployées par les centres régionaux des oeuvres universitaires et scolaires (Crous).

Cet engagement envers nos étudiants se traduit par une revalorisation des bourses sur critères sociaux (BCS) qui représentent 2,4 milliards d'euros d'aides directes. En cette rentrée 2021, les montants des bourses ont été revalorisés pour la troisième année consécutive, de 1 %. Ils avaient déjà été rehaussés de 1,2 % à la rentrée 2020 et de 1,1 % à la rentrée 2019.

L'augmentation prévisionnelle du nombre de boursiers a été prise en compte dans ce budget. La mise en paiement à date fixe des bourses sur critères sociaux le 5 de chaque mois bénéficie à l'ensemble des étudiants et, comme l'année dernière, tous ceux qui avaient un dossier complet ont pu recevoir le versement anticipé de leur première mensualité de bourse.

La lutte contre la précarité alimentaire continue d'occuper une place centrale dans notre action. C'est pourquoi nous poursuivons cette année la mesure du repas à un euro pour les étudiants, boursiers et non-boursiers, précaires. Ce dispositif a permis de servir 14,4 millions de repas entre janvier et juin 2021, et pour le seul mois de septembre, plus de 2 millions de repas à un euro ont été servis par les Crous. Ce dispositif est financé à hauteur de 49 millions d'euros dans le projet de budget pour 2022. Toutefois, ce n'est pas la seule mesure que nous mettons en oeuvre : tous les étudiants bénéficient d'un repas complet, équilibré et de qualité au tarif social de 3,30 euros, et ce grâce à la contribution de l'État et l'impulsion donnée par la proposition de loi de M. Levi, qui a permis de révéler un angle mort de nos politiques publiques. Nous allons ainsi déployer des dispositifs d'accès à la restauration dans les territoires les plus éloignés des métropoles universitaires et de leurs services de restauration.

Les Crous assurent aussi le déploiement de distributeurs de protections périodiques gratuites. Ce dispositif sera amplifié, avec un financement de 8 millions d'euros en 2022.

Parmi les mesures déployées pendant la crise et qu'il m'a semblé impératif de pérenniser, je voudrais mentionner les référents étudiants. Leur apport a été considérable, et ils seront plus de 1 000 cette année, salariés par les Crous au plus près de leurs pairs. Je rappelle également que 20 000 postes de tuteurs étudiants ont été créés à l'automne dernier et qu'ils sont eux aussi reconduits pour cette rentrée. Depuis janvier, plus de 3,6 millions d'heures de tutorat ont été dispensées.

L'accompagnement psychologique des étudiants mis en place en 2021 se poursuivra également en 2022, comme vous le préconisiez d'ailleurs dans les conclusions de la mission d'information. Permettez-moi de rappeler quelques chiffres : 70 000 séances ont été dispensées par plus de 1 700 professionnels, via la plateforme ou par le biais des services de santé universitaires.

Un autre élément majeur de la vie étudiante est le logement. C'est pourquoi le gel de l'indexation des loyers des résidences universitaires est prolongé jusqu'à la rentrée 2022.

Enfin, les étudiants vont bénéficier du bouclier énergie annoncé par le Premier ministre la semaine dernière, et ils seront ainsi concernés par l'indemnité inflation. Les boursiers et, au-delà, tous les étudiants, salariés ou sans activité, en situation d'autonomie, c'est-à-dire disposant de leur propre foyer fiscal, bénéficieront de cette indemnité de 100 euros. En tout, 1,7 million d'étudiants seront concernés, et ce sans démarche particulière à faire.

La CVEC est aussi utilisée par les Crous et les établissements continuent d'accompagner les étudiants les plus fragiles, avec des cartes d'achat, la livraison de matériels informatiques et des abonnements. On va ainsi au-delà des objectifs initiaux de la CVEC, qui étaient l'accompagnement de la santé étudiante et le soutien aux initiatives étudiantes pour la vie de campus.

En outre, 66 millions d'euros supplémentaires seront consacrés en 2022 au programme « Vie étudiante », et permettront d'abonder la subvention pour charges de service public versée aux établissements.

Cela permettra tout d'abord de renforcer les actions en faveur de la réussite étudiante, dans le cadre de la mise en oeuvre de la loi relative à l'orientation et à la réussite des étudiants (ORE) et du plan « Égalité des chances », et avec les moyens complémentaires de « France Relance », pour mieux répondre à la diversité des profils des étudiants et accueillir les nouveaux bacheliers. Le volet financier du « Plan Étudiants », je le rappelle, avait été adopté dans le cadre de la loi de finances pour 2018. Cette programmation, respectée à l'euro près, a été amplifiée par les financements issus du plan de relance.

Il s'agit ensuite de poursuivre la réforme des études de santé, sur laquelle vous êtes tout particulièrement mobilisés. Ainsi, le nombre de places dans les filières de médecine, de maïeutique, d'odontologie et de pharmacie augmente à nouveau cette année ; les enseignements et leurs modalités d'évaluation s'appuieront davantage sur des mises en situation pratiques, notamment dans le second cycle.

Je tiens à le rappeler, grâce à cette réforme, ce sont 17 660 places qui ont été offertes dans les quatre filières que je viens de mentionner pour la rentrée 2021, soit 2 663 de plus que pour la rentrée 2020. Cette augmentation concerne particulièrement la filière médecine avec 11 173 places ouvertes cette année, soit 1 812 nouvelles places. Cette augmentation est inédite depuis cinquante ans.

Ce budget pour 2022 traduit, enfin, l'engagement continu et résolu de mon ministère pour la recherche française. La LPR, que vous avez adoptée il y a maintenant un an, prévoit un réinvestissement massif et progressif de 25 milliards d'euros sur dix ans. En 2021, cette première marche nous avait permis d'abonder de 400 millions d'euros supplémentaires le budget de la recherche, contre 472 millions d'euros cette année.

Dans le détail, 334 millions d'euros seront consacrés au programme 172 « Recherches scientifiques et technologiques pluridisciplinaires » et 138 millions d'euros au programme 150 « Formations supérieures et recherche universitaire ».

Ces crédits permettront d'abord d'améliorer la rémunération des personnels, à hauteur de 114 millions d'euros supplémentaires. Ce montant représente la deuxième marche des mesures prévues par la LPR et l'accord syndical du 12 octobre 2020, après les 92 millions d'euros déjà engagés en 2021. Il s'agit ainsi d'améliorer la rémunération de tous : chercheurs, ingénieurs, techniciens, fonctionnaires et contractuels, dans les organismes comme dans les universités. Outre ces hausses de rémunération, 800 postes de maître de conférences deviendront des postes de professeur d'université.

Pour les personnels bibliothécaires, ingénieurs, administratifs, techniciens, sociaux et de santé (BIATSS), en plus de la revalorisation du point d'indice pour les catégories C, nous allons ouvrir au cours de l'année universitaire 1 046 transformations d'emplois vers la catégorie supérieure. De plus, 17 millions d'euros permettront de revaloriser l'indemnité de fonctions, de sujétions et d'expertise (IFSE) et d'engager la convergence indemnitaire prévue par l'accord syndical précité.

Par ailleurs, 16 millions d'euros supplémentaires permettront de poursuivre les actions déployées en faveur des étudiants qui s'engagent dans une thèse. Il s'agit d'augmenter à la fois le nombre de thèses financées par l'État de 20 % pour qu'une majorité de doctorants bénéficie d'une solution de financement, et le montant minimal réglementaire de la rémunération des doctorants de 30 %, soit 1,5 SMIC, à l'horizon de 2023. C'est la première fois qu'un gouvernement s'engage à ce point pour ses doctorants. Ainsi, 279 contrats doctoraux supplémentaires ont été conclus cette année, avec une première augmentation de 100 euros brut par mois pour les doctorants recrutés en 2021.

Enfin, grâce aux financements prévus dans le cadre de la LPR et du budget 2022, plus aucun chercheur ne sera rémunéré à moins de deux SMIC.

Cette deuxième étape décisive dans la montée en puissance de la LPR se traduit également par une augmentation des moyens dédiés à l'Agence nationale de la recherche (ANR), dont les financements sont revalorisés à hauteur de 131 millions d'euros. Cela permet d'élever le taux de sélection des projets à 23 %, contre 16 % seulement en 2020.

Par ailleurs, je suis convaincue que le financement sur appel à projets et le financement de base ne s'opposent pas. La recherche n'a jamais souffert d'un excès de financement, fût-il compétitif, mais plutôt de décennies de gel budgétaire, ce qui est désormais derrière nous avec l'adoption de la LPR.

D'une part, les nouveaux moyens de l'ANR permettent, par une redéfinition du préciput, de favoriser la solidarité entre les équipes dans les laboratoires et de soutenir les établissements et les politiques de sites : 73 millions d'euros supplémentaires seront mis à la disposition des établissements et des laboratoires en 2022.

D'autre part, les moyens de base des laboratoires seront renforcés, car la recherche ne peut s'appuyer sur la seule logique des appels à projets. Vous aviez insisté sur ce point lors de vos débats. Les financements de base devaient donc être confortés. Ils l'ont été, et le seront à nouveau en 2022, puisque le budget des universités et des organismes de recherche augmente de 127 millions d'euros, ce qui permettra d'accroître les recrutements et d'augmenter de 15 % par rapport à 2020 la dotation de base des laboratoires, pour un objectif de 25 % à l'horizon de 2023.

Le rayonnement de la recherche française dépend aussi de la qualité de ses infrastructures, et c'est pourquoi 54 millions d'euros supplémentaires y seront consacrés.

De plus, 10 millions d'euros viendront financer la nouvelle agence ANRS-maladies infectieuses émergentes (ANRS-MIE), afin d'amplifier son action de coordination et de financement de la recherche sur les maladies infectieuses.

Enfin, plus de 20 millions d'euros seront consacrés à l'ouverture de la science vers la société, sujet auquel vous êtes attachés et qui a désormais toute sa place dans mon ministère. Ces financements permettront d'amplifier la diffusion de la culture scientifique et les transferts des résultats de la recherche vers le monde de l'entreprise.

Ces financements pour l'enseignement supérieur, la recherche et la vie étudiante sont prolongés et renforcés par ceux des plans « France Relance » et « France 2030 ».

« France Relance » consacre 7,8 milliards d'euros supplémentaires, au sein de la mission spéciale « Relance », à l'accueil et à la formation des jeunes aux métiers de demain, à la rénovation énergétique des bâtiments universitaires et à la préservation des compétences professionnelles en recherche et développement.

Dans la continuité de « France Relance », le Président de la République a annoncé l'ambitieux plan d'investissement « France 2030 », doté de 30 milliards d'euros et où la sphère de l'enseignement supérieur, de la recherche et de l'innovation occupera un rôle central. Tour d'abord, la formation des talents de demain, tournée vers les filières et les métiers d'avenir, bénéficiera de 2,5 milliards d'euros.

Ensuite, mieux soigner était déjà la priorité du plan « Innovation Santé 2030 », annoncé en juin et qui prévoit 1 milliard d'euros au profit de la recherche en santé. D'ici à 2030, notre objectif est d'avoir au moins 20 biomédicaments contre les cancers, les maladies émergentes et les maladies chroniques et de créer en France les dispositifs médicaux de demain. L'agence d'innovation en santé aura un rôle essentiel à jouer.

Enfin, il faut explorer l'espace et les fonds marins. Le secteur spatial international est en plein bouleversement avec l'émergence du new space et de nouveaux acteurs ; la France doit y prendre toute sa part. Pour cela nous devons faire évoluer notre industrie en y faisant entrer les start-up et l'innovation de rupture. Nos objectifs sont de développer des mini-lanceurs réutilisables, des microsatellites, les constellations de demain et l'ensemble des innovations technologiques et de services au coeur de ce new space. En outre, la France, deuxième puissance maritime du monde, se doit d'investir dans l'exploration des fonds marins.

Ainsi, ce cinquième budget permet de poursuivre le renforcement de l'enseignement supérieur et de la recherche de notre pays. Jusqu'au bout, le soutien de nos étudiants et de nos personnels aura été au centre de nos préoccupations, et le Sénat y a occupé toute sa place par ses missions d'évaluation et de contrôle.

M. Stéphane Piednoir, rapporteur pour avis des crédits de l'enseignement supérieur. - Merci pour cet exposé complet, dans lequel vous avez annoncé des moyens financiers qui illustrent les effets de la LPR. Si les crédits sont bien inscrits et visibles, pourriez-vous nous donner quelques indications sur les décrets d'application, dont certains tardent ?

En outre, on ne peut nier les efforts substantiels consentis depuis quelques années dans le domaine de l'enseignement supérieur et de la recherche, mais l'agrégation de plusieurs plans me laisse dubitatif : les montants sont certes massifs, mais ils sont présentés sur dix ans. Sans parler de manipulation des chiffres, cela invite à les relativiser.

La vie étudiante reprend sur les campus, c'est une bonne chose pour le moral et pour la réussite des étudiants, mais encore faut-il que les campus soient en bon état. Des professeurs dynamiques ne suffisent pas. Or l'on connaît l'état de vétusté du parc immobilier universitaire, qui représente une part importante du patrimoine de l'État. Je suis satisfait par les moyens octroyés pour la rénovation énergétique des bâtiments. Cependant, d'autres leviers pourraient être activés. Une troisième vague de dévolution est-elle envisagée, et selon quel calendrier ? Certaines universités sont-elles déjà volontaires ?

J'ai par ailleurs été alerté, au cours de mes auditions, sur la situation particulièrement tendue de l'activité de restauration des Crous, due à une conjonction de plusieurs facteurs : hausse des effectifs d'étudiants, attractivité du repas à un euro, difficultés à recruter du personnel dans le secteur de la restauration et problèmes d'approvisionnement. Le Centre national des oeuvres universitaires et scolaires (Cnous) se dit désemparé, sans aucun levier d'action à sa portée. Comment comptez-vous répondre à cette situation ?

En novembre 2020, le Premier ministre avait annoncé plusieurs mesures visant à soutenir l'emploi étudiant, fortement affecté par la crise. Parmi celles-ci figurait la sortie des emplois étudiants du plafond d'emplois des Crous. Un an plus tard, il semble que cela ne soit pas effectif. Pourriez-vous nous apporter des précisions sur ce sujet ?

Nous serions aussi intéressés d'avoir des éléments sur les difficultés, récurrentes, d'étudiants titulaires de licences à entrer en master, ainsi que sur les manques de recrutements dans les écoles d'enseignement supérieur.

Enfin, la Cour des comptes a récemment formulé des propositions d'évolution de l'enseignement supérieur. Que pensez-vous de celle consistant à créer des collèges universitaires et des moyens qui pourraient être mis à leur disposition, éventuellement avec d'autres sources de financement ? Ne serait-ce pas le seul levier pour que nos universités s'en sortent par le haut ?

Mme Laure Darcos, rapporteur pour avis des crédits de la recherche. - Sur la mise en oeuvre de la LPR, j'observe moi aussi que les décrets d'application prennent du retard, nous en avons d'ailleurs déjà parlé ensemble. J'ai cru comprendre qu'il y avait « un embouteillage » des décrets au niveau de Bercy... serez-vous en mesure de tous les publier avant la fin du quinquennat ?

Par ailleurs, où en sont les discussions entre les différents acteurs concernés sur la part « site » du préciput ? Tout comme vous, je me félicite bien sûr de cette progression du taux de sélection des projets à 23 % et, plus généralement, de la bonne dynamique observée depuis la prise de fonctions de Thierry Damerval.

Concernant la préservation des emplois de recherche et développement, le processus a certes bien démarré, mais il semble que la cible des 100 millions ne sera pas forcément atteinte... pourriez-vous nous en dire plus ?

Sur la culture scientifique, sujet que j'ai choisi d'approfondir cette année parce qu'il me paraît fondamental en ces temps de défiance à l'égard de la parole scientifique, le rapport annexé à la LPR prévoit de nombreuses mesures pour améliorer sa diffusion et renforcer les relations entre la science et la société, dont le fait d'y consacrer 1 % du budget d'intervention de l'ANR. Lesquelles ont été effectivement mises en oeuvre ? Comment comptez-vous enclencher une véritable dynamique ?

Plusieurs acteurs du secteur, que j'ai rencontrés, dont Universcience et le Muséum nationale d'Histoire naturelle, constatent un retour encourageant des visiteurs individuels, mais pas celui des groupes scolaires. Or il va sans dire que l'école joue un rôle fondamental dans l'acculturation des enfants à la science. Comme moi, vous ne vous contentez pas de la seule fête de la science... Une action concertée avec l'Éducation nationale ne serait-elle pas nécessaire pour inciter les équipes pédagogiques et administratives à réorganiser ces sorties scolaires plus régulièrement ? En particulier - et nous pourrions associer le ministre de l'éducation nationale à cette démarche -, il est fondamental d'initier plus de jeunes filles aux sections scientifiques.

Enfin, au-delà de l'acculturation, il faut former les enfants et les jeunes au sens critique, on le voit avec l'influence des réseaux sociaux et la diffusion du complotisme.

Mme Frédérique Vidal, ministre. - Sur les décrets d'application tout d'abord, nous tiendrons l'objectif de 100 % de publication d'ici à la fin de l'année. Je remarque d'ailleurs que ceux qui s'inquiètent aujourd'hui de leur parution sont parfois ceux qui refusaient leur inscription dans la loi...

Vingt-neuf décrets et sept ordonnances étaient prévus pour l'application de la loi, sans compter les arrêtés et les circulaires. Douze décrets et deux ordonnances sont d'ores et déjà publiés au Journal officiel, soit 40 % des textes d'application. La quasi-totalité des arrêtés et des circulaires est elle aussi publiée.

Sur les vingt-neuf décrets prévus, vingt-et-un devaient être examinés par le Conseil d'État dont dix-huit, portant sur des questions de ressources humaines ou statutaires, font l'objet de procédures spécifiques de consultation, particulièrement longues. Toutefois, le processus est enclenché. Restent encore trois décrets simples à publier sur onze : celui qui porte sur l'intégrité scientifique, déjà présenté à la séance d'octobre du Conseil national de l'enseignement supérieur et de la recherche (Cneser), celui qui traite du partage des préciputs, qui le sera à celle de mi-novembre, et le décret relatif à la coordination des évaluations par le Haut Conseil de l'évaluation de la recherche et de l'enseignement supérieur (Hcéres), qui pourrait être présenté à l'occasion de la séance du 14 décembre.

Parmi les autres décrets, ceux qui portent sur les chaires de professeur junior et le statut du Hcéres doivent être examinés en Conseil d'État en novembre, les rapporteurs ayant déjà tenu leurs réunions de travail. Trois textes ont déjà fait l'objet d'un retour de la direction générale de l'administration et de la fonction publique (DGAFP), et sept ont été examinés en octobre. Des sept ordonnances, trois sont programmées en conseil des ministres, et deux sont déjà publiées au Journal officiel. L'arrêté modifiant la rémunération minimale des doctorants a été publié le 17 octobre, c'était une priorité pour nous. Vous le voyez, tout est dans les tuyaux.

Sur l'agrégation des financements associés aux plans, je précise que la durée de dix ans de la LPR donne une visibilité à la recherche, avec 500 millions d'euros supplémentaires par an. Le plan de relance prévoit 7 milliards d'euros sur deux ans, le PIA est échelonné sur sept ans, et « France 2030 », tout comme la LPR, l'est sur dix ans. Cela permet d'accompagner la recherche, si besoin d'accélérer le mouvement, et de mettre en place des formations pour les métiers de demain. Il faut éviter l'inadéquation entre formation et besoins réels : les étudiants doivent certes être formés aux futurs métiers, mais ceux-ci évoluent rapidement. Il faut donc aussi apprendre à apprendre, pour éviter que leurs compétences ne deviennent obsolètes.

On observe des difficultés de recrutement dans tout le secteur de la restauration, et les Crous ne font pas exception. Sur les coûts d'approvisionnement, nous continuons de les accompagner pour assurer des repas de qualité, et nous compensons intégralement le coût du repas à un euro.

Sur l'immobilier universitaire, nous travaillons avec plusieurs établissements pour continuer à aller vers plus de dévolution, mais nous voulons la faire par segments. En effet, les compétences nécessaires en matière de gestion immobilière ne sont pas présentes dans tous les établissements. Nous envisageons plutôt des partenariats avec les collectivités territoriales, qui ont en général des capacités de maîtrise d'ouvrage ou de maîtrise d'oeuvre. Oui, nous prévoyons de poursuivre la dévolution.

La question de l'entrée en master demeure liée à la capacité des établissements à proposer une insertion professionnelle dès le bac +3. Ce n'est pas un problème quantitatif : 150 000 jeunes obtiennent une licence chaque année, pour une capacité d'accueil de 170 000 places en master. Cependant, beaucoup de recrutements en première année du master ne sont pas prolongés en seconde année ; c'est, par exemple, le cas de professions réglementées comme celle de psychologue, ou de sélections au niveau de la maîtrise comme pour le concours des avocats. Pour faire face à ces problématiques d'insertion professionnelle, nous prévoyons d'établir, dans les futurs contrats entre l'État et les établissements, un volet sur l'insertion professionnelle permettant d'impliquer les collectivités territoriales.

J'en viens à la question des collèges universitaires. Je suis opposée à leur création, car l'université se caractérise par une unité de lieu de l'enseignement et de la recherche. On enseigne la connaissance que l'on produit. Un autre modèle n'est pas pertinent. Au contraire, depuis cinq ans, je travaille à ce que tous les établissements restent des universités de plein exercice. Toutefois, il faut se préoccuper de l'insertion professionnelle avant le bac +5 ou le bac +8. On demande à tous les étudiants de réussir leur baccalauréat, puis leurs premier et second cycles où l'accès est de droit, seul le doctorat étant sélectif. Les jeunes veulent-ils vraiment tous poursuivre leurs études ou ne le font-ils que parce que leurs diplômes ne favorisent pas l'insertion professionnelle ? Recruter des titulaires de master au niveau d'un salaire de bac +2 dévalorise les études longues.

Nous avons beaucoup travaillé avec les instituts universitaires de technologie (IUT). Alors qu'ils sont les mieux placés pour accompagner les étudiants dans leur insertion professionnelle après deux ans d'études, la majorité avait, il y a encore cinq ans, pour objectif que leurs étudiants poursuivent leur cursus en école d'ingénieur. Des établissements conçus pour des études courtes accueillaient ainsi les jeunes ayant les meilleurs dossiers, aptes à suivre une filière longue, ce qu'ils faisaient ensuite d'ailleurs, alors que des filières très académiques et conceptuelles accueillaient les étudiants aux moins bons dossiers. Il faut encourager les étudiants à aller là où ils en ont envie et à faire ce dont ils sont capables, sans jugement de valeur. Travailler au niveau des universités, en lien avec les collectivités, à introduire de vrais cursus d'insertion professionnelle me semble nécessaire.

Les Crous ne nous ont pas fait part de la nécessité de rehausser le plafond d'emplois. Nous continuons cependant à évaluer les besoins du réseau et sommes prêts à agir sur ce plafond s'il devient le facteur limitant.

J'en viens aux questions portant sur la recherche.

Tout d'abord, je rappelle notre objectif de préserver 2 000 emplois en recherche et développement. La mise en oeuvre de cette mesure largement demandée rencontre cependant des difficultés de mise en oeuvre. Nous avons notifié les premiers financements dès les mois d'avril et de mai, et 700 personnes sont déjà dans le processus de changement de leur contrat à la mi-octobre. En 2021, il était prévu que nous engagions 128 millions d'euros sur les 300 millions prévus pour ces 2 000 emplois : nous y sommes.

Ensuite, l'ANR a lancé plusieurs programmes visant à favoriser le développement de la culture scientifique. Les lauréats du label « Science avec et pour la société », doté de 2,6 millions d'euros et octroyé pour trois ans, seront bientôt annoncés. L'appel à projets « Médiation et communication scientifiques » a été clos il y a quinze jours. Symboliquement, la médaille du Centre national de la recherche scientifique (CNRS) et les prix de l'Institut national de recherche pour l'agriculture, l'alimentation et l'environnement (Inrae) et de l'Institut national de la santé et de la recherche médicale (Inserm) permettent une mise en avant de la médiation scientifique. Nous avons aussi augmenté le budget consacré aux associations et à la fête de la science. Enfin, et j'y tiens particulièrement, nous avons lancé, avec la ministre de la culture et France Télévisions, un appel à projets pour des courts métrages valorisant les femmes dans les métiers scientifiques. Les role model sont un moyen de toucher les jeunes, et nous voulons le faire en partenariat avec les associations « Femmes et cinéma », « Femmes et séries », « Femmes et sciences » et « Femmes ingénieurs », pour faire avancer la place des femmes dans les sciences dites fondamentales.

Je partage votre préoccupation sur le retour des groupes scolaires dans les musées, et le fait de ramener les enfants à la découverte et à la manipulation. Cependant, le sujet est complexe, car il faut un passe sanitaire pour les musées, mais pas pour l'école.

Enfin, nous sommes tous convaincus de l'importance du sens critique, et les enseignants utilisent tous les outils possibles pour l'éveiller. Je me souviens par exemple d'enseignants souhaitant utiliser le film Germinal pour intéresser les enfants. La crise sanitaire a mis en exergue l'importance de conserver le sens critique.

M. Yan Chantrel. - Sur le papier, on pourrait se réjouir de la hausse globale du budget que le gouvernement accorde à la recherche. Cependant, dans le détail, la déception pointe. En effet, les augmentations pour 2022 demeurent en deçà de ce que la LPR prévoyait. Je vous avais déjà interpellée à ce sujet lors d'une séance de questions d'actualité au gouvernement. Ainsi, la loi de programmation prévoyait 905 millions d'euros pour 2022. Or, on atteint 472 millions sur les trois programmes concernés. Ainsi, 559 millions d'euros étaient prévus pour le programme 172 « Recherche scientifique et technologique pluridisciplinaire », contre 334 millions d'euros en réalité. On passe de 302 à 138 millions d'euros pour le programme 150 « Formations supérieures et recherche universitaire ». Je n'ai même pas retrouvé les 48 millions d'euros pour la recherche spatiale.

Comment expliquez-vous ces écarts par rapport à ce que votre gouvernement avait lui-même proposé ? En tant que parlementaire représentant les Français établis hors de France, je rencontre des compatriotes qui ne pouvaient plus exercer leur passion en France dans des conditions salariales et d'équipement décentes. Vous devez prendre conscience du retard colossal de la France par rapport aux pays du G7, mais aussi à d'autres. Or, financer la recherche, c'est financer notre avenir. Ce retard a été mis en exergue par les problèmes climatiques et sanitaires que nous rencontrons.

Votre budget n'est donc pas à la hauteur, j'espère que votre gouvernement en prendra conscience et le relèvera a minima au niveau de ce qui était prévu dans la loi de programmation pour la recherche.

Mme Frédérique Vidal, ministre. - Je me dois de vous répondre tout de suite, monsieur Chantrel, pour ne pas laisser un malentendu s'installer. En cumulé, depuis l'entrée en vigueur de la LPR, on atteint bien 905 millions d'euros et la trajectoire est strictement suivie. Je vous rappelle l'engagement, pris en 2000, d'atteindre 3 % du PIB en dépenses de recherches en 2010 : avant le nôtre, aucun gouvernement n'avait fait l'effort de s'en approcher. Je me réjouis cependant que cette préoccupation fasse consensus aujourd'hui.

L'innovation d'aujourd'hui est la recherche d'il y a vingt ans, mais le retard n'est pas la faute de ce gouvernement. C'est pour lutter contre le sous-financement chronique de la recherche que le Président de la République et le Premier ministre y consacrent, en plus de ce que la LPR prévoit, des milliards d'euros dans les plans de relance et d'investissement.

M. Pierre Ouzoulias. - Nous nous sommes rendus, avec Laurent Lafon, à l'Institut national universitaire Champollion d'Albi, où on trouve 69 % d'étudiants venant du Tarn et de l'Aveyron et 53 % de boursiers, avec un taux de réussite en licence de 42,5 %, c'est-à-dire le meilleur score national : 22 % des étudiants y sont titulaires d'un bac technologique et 8 % d'un bac professionnel. Cette réussite est le résultat d'une implication exceptionnelle de l'équipe pédagogique et d'un accompagnement des étudiants qui fonctionne très bien.

Le Hcéres, en mars 2021, a noté la réussite exceptionnelle des étudiants, mais considère que l'Institut Champollion ne mérite pas d'être une université de plein exercice faute d'un investissement suffisamment massif en recherche.

Y a-t-il encore une place dans la politique nationale de l'enseignement supérieur pour des établissements universitaires travaillant à l'émancipation sociale et intellectuelle d'étudiants dans des territoires menacés par de grandes métropoles ? N'y aurait-il pas un moyen terme entre le classement de Shanghai et la relégation d'Albi ? Notre commission a conclu que les collectivités devaient de nouveau pouvoir s'approprier l'université et l'enseignement supérieur, exceptionnels outils d'aménagement du territoire.

M. Jean Hingray. - Pourriez-vous nous donner davantage de précisions sur le plan « France 2030 », en particulier sur l'innovation et la formation dans les filières stratégiques ?

Par ailleurs, qu'en est-il de l'expérimentation, lancée à la suite de l'adoption de la LPR, sur l'autonomie de recrutement de professeurs par les universités ?

M. Bernard Fialaire. - Tout d'abord, la CVEC dépassera-t-elle les 150 millions d'euros en 2021 et l'éventuel surplus de collecte sera-t-il bien affecté à la condition étudiante ?

Ensuite, je vous avais interpellée l'an passé sur les officines par lesquelles les étudiants en santé sont obligés de passer. L'augmentation du numerus clausus n'a pas réglé ce problème. Le fait même que l'autonomie des universités leur permet d'organiser des concours différenciés ne va-t-il pas aggraver les disparités entre ceux qui peuvent payer ces officines et ceux qui ne le peuvent pas ?

Enfin, dans le Rhône, quels sont les résultats de l'appel à projets PIA4 « Excellence sous toutes ses formes » ? Cette belle initiative s'avère fédératrice et mérite un investissement important.

Mme Monique de Marco. - En dix ans, les établissements d'enseignement supérieur ont absorbé 500 000 étudiants, avec 34 000 de plus cette année. Les difficultés de logement s'aggravent, le sujet a d'ailleurs été abordé par la mission d'information sur les conditions de la vie étudiante en France. Avez-vous la volonté d'y répondre dans le cadre de ce projet de loi de finances ?

M. Max Brisson. - Une remarque tout d'abord : nous avons voté la LPR, après de longs débats. Je ne vous ferai pas le procès du rattrapage du retard passé, pour lequel les responsabilités sont partagées.

Si j'ai bien compris le chef de l'État, « France 2030 » porte sur l'avenir industriel du pays. Mais quand je vous ai écoutée, vous parlez de l'espace : pourriez-vous insister davantage sur la dimension industrielle de la recherche s'agissant de ce nouveau plan ?

Deuxième question, depuis la loi relative à la croissance et la transformation des entreprises (Pacte), un enseignant-chercheur peut consacrer 50 % de son temps au travail en entreprise au lieu de 20 % auparavant, et détenir jusqu'à 32 % du capital d'une société. Quels sont le bilan et l'utilisation effective de cette possibilité par les chercheurs ?

Enfin, je me dois d'aborder Parcoursup, dont le bilan reste mitigé... Combien d'étudiants restent sans affectation à ce jour et combien ont été réaffectés dans une filière non souhaitée ? Quelles sont les perspectives pour la rentrée de 2022 ?

M. Jacques Grosperrin. - Je rejoins ce que vient de dire Max Brisson : la critique est facile, mais nous partons d'une situation difficile.

Stéphane Piednoir a évoqué la problématique du patrimoine immobilier, sur laquelle notre collègue Vanina Paoli-Gagin a présenté, au nom de la commission des finances, un récent rapport de contrôle budgétaire. L'immobilier représente 20 % du patrimoine de l'État. Je reviens sur la belle loi de 2007 relative aux libertés et responsabilités des universités. Un obstacle à la dévolution est peut-être le manque d'esprit d'entreprise des présidents d'université. Ainsi, trois universités ont connu la dévolution en 2011 et quatre en 2016. Cependant, l'État est majoritairement propriétaire du bâti et passe des conventions d'utilisation avec les universités. Pourquoi assiste-t-on à une certaine crainte de la part des universités, alors que l'immobilier est leur deuxième poste de dépenses après la masse salariale, qu'il s'agit d'une dimension stratégique pour la réussite des étudiants, et que la question de la transition énergétique se pose de manière de plus en plus prégnante ?

De plus, selon le rapport de notre collègue de la commission des finances, 31 % du bâti est dans un état insatisfaisant en matière de rénovation thermique. Quels sont les efforts financiers de votre ministère, correspondant à l'action 14 du programme 150 « Formations supérieures et recherche universitaire » ?

Vous aviez aussi annoncé une nouvelle vague de dévolution courant jusqu'à 2022. Où en est-on ?

Pour conclure, à l'occasion de ce cinquième budget que vous défendez, et même si nous ne sommes pas toujours d'accord, je tenais à rendre hommage à votre sérieux, à votre disponibilité, à votre expertise et à votre écoute.

Mme Céline Brulin. - Concernant la réforme des études de santé, on a manqué de places l'an dernier pour les redoublants de l'ancien système et pour les nouveaux entrants des filières du parcours spécifique santé (PASS) et de la licence option accès santé (L.AS). Leur nombre est toujours insuffisant cette année même si l'on observe des progrès. En particulier, le Conseil d'État, saisi par des familles d'étudiants, a enjoint à une quinzaine d'universités d'augmenter leur capacité d'accueil de 20 %, ce qui n'est pas sans soulever des problèmes concrets sur les aspects immobiliers soulevés par Stéphane Piednoir et Jacques Grosperrin.

Cette question concerne l'enseignement supérieur, mais aussi tous nos territoires où la désertification médicale s'accentue. Alors que de plus en plus d'étudiants s'orientent vers les professions de santé et qu'on a enfin levé le numerus clausus, on n'arrive pas à en former davantage.

Ainsi, des contrats de plan État-région permettraient de lancer des opérations d'immobilier. Il y a quelques difficultés à ce sujet en Normandie...

Si l'on veut former davantage de médecins, il faut aussi plus de chefs de clinique à même de les encadrer, pas seulement dans les centres hospitaliers universitaires (CHU), mais aussi dans tous les hôpitaux, y compris de proximité, ce qui permettrait à des jeunes de faire des stages plus éloignés des métropoles. Que comptez-vous faire pour augmenter ces capacités ?

Par ailleurs, je m'associe à Bernard Fialaire lorsqu'il vous interroge sur les officines qui surenchérissent le coût des formations en santé. Elles mettent en lumière l'enjeu de la démocratisation des études de santé.

Enfin, de plus en plus de jeunes vont étudier en Belgique, voire en Roumanie. Que pouvez-vous nous dire de ce phénomène qui trahit un affaiblissement de nos universités ?

M. Pierre-Antoine Levi. - Les deux années écoulées se sont avérées éprouvantes pour les étudiants, en révélant une précarité à la fois financière et psychologique. Nous nous réjouissons donc tous du retour en présentiel. Votre ministère a certes agi, mais pas au niveau des attentes ni à la mesure des problèmes. Ma proposition de loi visant à créer un ticket restaurant étudiant a été adoptée en première lecture par l'Assemblée nationale, mais c'est une victoire en trompe-l'oeil, car elle a été dénaturée. Nous verrons ce que le Sénat fait en deuxième lecture, alors qu'il s'agit de compléter le travail des Crous et non de les concurrencer.

Vous aviez généralisé le repas à un euro, ce qui était bienvenu, mais il a été suspendu pour les non-boursiers, alors que la précarité alimentaire n'a pas disparu pour les étudiants issus des classes moyennes.

Ensuite, le projet de loi de finances pour 2022 prévoit certes une augmentation des moyens, mais les attentes étaient beaucoup plus importantes. C'est une occasion manquée alors que, avec le retour à une vie normale que nous espérons tous, des pans entiers de la précarité étudiante n'ont pas été résorbés et retourneront dans l'oubli.

Enfin, avec Parcoursup, de nombreux bacheliers sont restés sans réponse à quelques jours de la rentrée ou se sont retrouvés avec un choix par défaut ne correspondant pas à leurs souhaits, en tout cas pour les non-boursiers. En voulant réduire les inégalités avec les quotas de boursiers - le bleu budgétaire précise en effet que 120 000 lycéens boursiers ont pu intégrer la formation de leur choix - n'en avez-vous pas créé de nouvelles ?

Mme Sonia de La Provôté. - Quelles sont vos prévisions d'effectifs pour la rentrée universitaire de 2022 ? La hausse a été forte cette année. Il en va de même pour les inscriptions en master. Votre budget en tient-il compte ?

Dans le projet de loi relatif à la différenciation, la décentralisation, la déconcentration et portant diverses mesures de simplification de l'action publique locale, dit « 3DS », il n'est pas prévu d'autoriser la création d'entreprises publiques locales (EPL) universitaires. Cet outil est pourtant très demandé. Les collectivités territoriales ont un rôle à jouer dans la remise à niveau du parc immobilier. Qu'en pensez-vous ?

Dans Parcoursup, certaines spécialités, comme les sciences et techniques des activités physiques et sportives (Staps), sont plus demandées que d'autres. Constatez-vous une évolution à cet égard avec la réforme du baccalauréat ? Observe-t-on une meilleure adéquation entre les parcours des lycéens et leurs demandes ? Avez-vous étudié spécifiquement la situation des redoublants ou de ceux qui font une nouvelle demande pour obtenir une réponse plus conforme à leurs voeux ?

Nos interrogations sur la réforme des études de santé ou l'entrée en master, les filières de licence en tension illustrent la difficulté à articuler cadrage ministériel et autonomie des universités. Quelle doit être l'action du ministère pour garantir l'égalité entre tous les étudiants sur le territoire, tout en respectant l'autonomie des établissements ?

Mme Sylvie Robert. - Les budgets des universités augmentent mais, avec la croissance de la démographie étudiante, la dépense par étudiant baisse. Il convient d'anticiper. La rentrée dans certaines filières en tension a été chaotique.

La Cour des comptes souligne les difficultés des bibliothèques universitaires et regrette l'absence de politique publique en faveur de l'information et de la documentation scientifique. Si des efforts ont eu lieu, elle estime qu'ils n'ont pas permis aux bibliothèques universitaires de devenir des centres de services répondant pleinement aux besoins des étudiants, alors qu'elles constituent un facteur déterminant d'égalité des chances et de réussite. La Cour pointe le manque de moyens.

M. Yan Chantrel. - Le rapport de M. Gattolin, intitulé Mieux protéger notre patrimoine scientifique et nos libertés académiques, au nom de la mission d'information du Sénat sur les influences étatiques extra-européennes, nous alerte sur la nécessité de nous protéger face aux tentatives d'influences étrangères dans le domaine de la recherche et de l'enseignement supérieur. Il souligne le manque de moyens de la communauté académique face à l'émergence de ces nouvelles menaces. Il propose de consacrer des crédits dans les budgets des universités à leur détection. Qu'en pensez-vous ?

M. Laurent Lafon, président. - Avez-vous déjà reçu des demandes pour la création de chaires de professeur junior, même si le décret n'a pas encore été publié ?

Mme Frédérique Vidal, ministre. - L'institut universitaire d'Albi accueille 4 000 étudiants et est rattaché à la communauté d'universités et d'établissements de Toulouse. Par sa taille, l'établissement se rapproche d'une petite université. La réussite peut s'expliquer par la proximité avec les étudiants, qui facilite leur accompagnement. Le taux d'encadrement n'est pas considérable : un pour trente. L'établissement joue un rôle considérable pour l'accueil des étudiants de premier cycle.

La question sous-jacente est celle du caractère monolithique de l'évaluation dans notre pays : on ne peut pas, en effet, évaluer tous les établissements et tous les étudiants de la même manière. C'est pour cela que l'on a développé la procédure de dialogue de gestion : il s'agit de demander aux établissements sur quels points ils souhaitent être reconnus et évalués, en fonction de leur stratégie - c'est ce que j'appelle la « signature » des établissements.

Vous m'interrogez aussi sur la formation dans les filières stratégiques inscrites dans le plan « France 2030 ». Nous sommes en train de réfléchir à la manière dont nous allons accompagner ces filières. Une partie de la formation sera délivrée par l'enseignement supérieur, mais pas seulement. Certaines compétences requises sont transversales, à l'image de celles du domaine numérique. Ces filières, comme le spatial ou l'agroalimentaire, recrutent à tous les niveaux : elles ont besoin d'ouvriers, de techniciens, d'ingénieurs comme de docteurs.

L'apparition de nouveaux métiers entraînera aussi la disparition d'autres. La formation continue aura un rôle crucial à jouer. Notre système doit donc s'adapter pour répondre aux attentes des métiers de demain. Mais il est difficile de construire un système purement « adéquationniste », et on sait que cela ne fonctionne pas ainsi en matière de formation. Certaines compétences seront transversales, d'autres spécifiques à certaines filières. Il ne s'agit pas de recruter des permanents statutaires pour créer des filières de formation qui auraient vocation à perdurer pendant les trente prochaines années, mais de former rapidement et massivement des personnes pour accomplir cette mutation industrielle. Je voudrais que les universités s'emparent de la question de la formation tout au long de la vie, pour devenir le lieu où l'on se forme et où l'on vient se reformer pendant sa carrière. Le niveau du diplôme initial ne fera pas tout. Quand les métiers évoluent, il faut se reformer.

Une personne qui a exercé la fonction de maître de conférences pendant plusieurs années est apte à postuler à un poste de professeur d'université, même si des particularités persistent dans certaines disciplines, comme les disciplines médicales. Un groupe de travail concernant le recrutement des maîtres de conférences a été créé et les premières expérimentations auront bientôt lieu. Plus généralement, il faut être vigilant pour éviter le risque du localisme. La mobilité est importante. Elle témoigne de la capacité à s'emparer d'un sujet, sans la proximité de son directeur de thèse. Mais la mobilité est-elle toujours possible ? Une femme de quarante ans, mère de famille, a-t-elle vraiment la capacité de demander à sa famille de déménager de plusieurs centaines de kilomètres pour devenir professeur ? Des personnes brillantes peuvent vouloir rester dans leur établissement. Il faut donc trouver le bon équilibre. Là encore, il faut faire confiance aux établissements. Dans la mesure où il s'agit d'un recrutement par les pairs, il est peu probable qu'ils décident de recruter les plus mauvais, à moins d'être masochistes...

Les chaires de professeur junior correspondent à des postes statutaires. Nous avons reçu 180 demandes, pour environ 90 places dans les universités et les organismes de recherche. Les demandes proviennent de toutes les disciplines et de tous les types d'établissements.

J'en viens à la question des études de santé. S'agissant des préparations privées, il est beaucoup plus facile de préparer des étudiants à des QCM que de leur apprendre à s'exprimer à l'oral sur des sujets divers qui peuvent surprendre. On réussit beaucoup mieux, c'est factuel, en suivant le tutorat gratuit assuré par les étudiants en santé qu'en s'inscrivant dans une prépa privée.

Le nombre de places en deuxième année de médecine a augmenté de 19,4 %. Ceux qui obtiennent la moyenne aux partiels ne peuvent plus redoubler l'année de PASS. Cela ne signifie pas qu'ils ne peuvent pas repasser le concours d'accès aux études de médecine : il reste, en effet, toujours possible de le retenter une seconde fois, en fin de deuxième année de la L.AS.

Alors pourquoi conserver un concours ? Parce qu'on ne peut augmenter le nombre d'élèves que si l'on dispose de suffisamment de médecins formateurs. Grâce à notre réforme des deuxième et troisième cycles, on a accru le nombre de chefs de cliniques, qui sont désormais répartis dans tous les hôpitaux, et pas seulement dans les CHU ; on a délivré des agréments pour encadrer des étudiants, en internat comme en externat, à des médecins exerçant en ambulatoire dans des centres de santé pluriprofessionnels ou dans tous types d'hôpitaux. Les jeunes peuvent donc démarrer leurs études à proximité de chez eux, et pas uniquement dans des villes dotées d'un CHU. Cette réforme permet ainsi d'augmenter le nombre de jeunes en formation partout sur le territoire. Je précise que, parallèlement, les maîtres de stage pourront se voir retirer leur agrément en cas de violence ou de harcèlement.

Vous m'interrogez sur la place de l'oral au concours de médecine : cela relève de la liberté pédagogique des établissements ; dans la mesure où il ne s'agit pas d'un concours national, les épreuves sont différentes selon les lieux. Mais il en allait de même pour les QCM ! Chacun sait depuis longtemps que la pression n'est pas équivalente partout, et qu'elle varie en fonction du nombre de places proposé.

Le niveau de réussite de ceux qui étaient en L.AS est environ de 50 % - c'est un niveau jamais atteint. Nous avons tenu compte des différents rapports pour apporter les améliorations attendues, notamment sur la possibilité de voir son dossier réexaminé. Mais, il faut le reconnaître, l'année fut compliquée : les médecins étaient très pris, l'enseignement n'était pas en présentiel, etc. Toutefois, nous avons pu augmenter le nombre de places et la réforme fonctionne.

L'aide au logement dépend du ministère de ma collègue Emmanuelle Wargon. Nous avons construit 32 000 logements à tarif social et 30 000 logements à tarif libre pour les étudiants. La difficulté était de trouver du foncier disponible. Nous avons cherché à identifier à proximité des sites universitaires tous les terrains d'État libres, car il est parfois difficile de travailler avec les mairies : nous avons ainsi identifié 70 terrains sur lesquels on pourra construire 13 000 logements supplémentaires à tarif social, tandis que 95 % des logements des Crous seront rénovés grâce au plan de relance, en faisant en sorte de construire d'abord de nouvelles places afin qu'il n'y ait pas de déficit lorsque les travaux de réhabilitation seront effectués.

J'ai mentionné le spatial et l'exploration des fonds marins, car ces thématiques donnent lieu à une recherche nourrie, mais l'enjeu, plus largement, est de réindustrialiser. Nos industriels ont besoin que l'État accompagne le « dérisquage », à savoir le passage du concept de laboratoire au prototype qui permet d'envisager une industrialisation. C'est sur cette dimension que nous devons concentrer nos efforts, car nous sommes un petit peu en retard à cet égard. Il convient de développer des lieux où chercheurs en recherche fondamentale et recherche appliquée puissent travailler ensemble, en amont d'une éventuelle industrialisation. Il ne faut pas d'ailleurs séparer l'amont et l'aval : dans les entreprises, on constate que l'innovation procède de manière circulaire. Le développement industriel et la mise en production sont l'occasion de remettre en question la recherche et de la faire avancer. C'est plutôt un cercle vertueux.

Il ne faut pas résumer Parcoursup à un algorithme : c'est, avant toute chose, des milliers de personnes qui, durant tout l'été, étudient les dossiers des étudiants un par un et regardent ce que l'on peut leur proposer. À la fin de la procédure, plus de 500 000 jeunes reçoivent une proposition, qui correspond à un de leur choix, même si ce n'est peut-être pas le premier. Ils ont le droit de changer d'avis, auquel cas leur dossier est réexaminé par la commission d'accès. Ils ont donc en face d'eux des personnes qui peuvent les aider.

Au moment où la procédure s'est achevée, à peu près 200 jeunes continuaient à être accompagnés. Tous étaient titulaires d'un baccalauréat professionnel et tous avaient reçu un avis négatif à la poursuite d'études de la part de leurs professeurs. Au reste, si cet avis négatif ne lie pas la commission, c'est tout de même à ces jeunes que l'on a le plus de difficultés à proposer une filière d'enseignement supérieur dans laquelle ils ont une chance de réussir.

Je veux insister sur ce côté extrêmement humain de Parcoursup. Vous allez dire que je vois toujours le verre à moitié plein, mais je veux souligner que, sans abandonner ces 200 jeunes, le système a permis à l'immense majorité - 500 000 jeunes - de trouver une formation qui les satisfait.

Que des jeunes décident de faire leurs études ailleurs a toujours existé, et je ne pense pas que leur nombre ait augmenté ces dernières années. On me parle souvent de la Suisse. De jeunes Français qui y étudient m'ont expliqué avoir fait ce choix parce que les professeurs sont des chercheurs. Quand je leur ai appris qu'il en allait de même dans les universités françaises, ils sont tombés des nues...

Il faut porter très fort la fierté de nos universités. Tous les enseignants ont suivi des études très longues, ont passé des filtres de sélection très exigeants, ont passé des concours extrêmement difficiles... Ils devraient autant faire briller les yeux des lycéens que les enseignants de Suisse !

Je tiens à préciser que nous avons beaucoup progressé sur la prise en compte des zones dans lesquelles il n'existait pas de restauration à tarif social pour les étudiants. C'est un vrai sujet. Il faut reconnaître que le tarif n'est pas le même dans tous les établissements car ce n'est pas l'État qui le fixe. Mais, si vous êtes en BTS dans un lycée à Paris, le repas coûte, en réalité, moins d'un euro. Pour les étudiants en BTS et en classes préparatoires, dans un certain nombre de villes où il n'y a pas de résidence universitaire, pas de Crous, pas de restauration universitaire, les repas peuvent être très fortement subventionnés. On peut passer des conventions avec des lycées, mais, honnêtement, je crois que le travail est fait. Un effort reste, en revanche, à accomplir pour les instituts de formation en soins infirmiers (IFSI), certains IUT et certaines écoles. Les conventions que nous passons au travers des Crous fonctionnent bien ; il faut continuer à utiliser ce levier. Au demeurant, on a toujours la capacité de proposer des cartes repas préremplies ; cela fonctionne bien.

Le bâti universitaire est un sujet essentiel. Effectivement, il existe un service immobilier au ministère, mais celui-ci gère essentiellement la mise en sécurité et l'accessibilité des bâtiments. En réalité, tout l'immobilier universitaire est géré par le Domaine, donc par Bercy.

Dans le cadre du plan de relance, nous avons doublé les crédits dédiés au patrimoine immobilier universitaire du contrat de plan État-région sur les deux prochaines années, avec 1,3 milliard d'euros supplémentaires. Il s'agit essentiellement de rénovation thermique : les établissements vont pouvoir réaliser jusqu'à 30 % d'économies sur leur facture énergétique.

Il m'est arrivé, dans une autre vie - c'était lors d'une audition devant le Sénat -, de hurler à l'évocation de la dévolution du patrimoine immobilier des universités. Je n'ai pas changé d'avis.

Premièrement, il n'est pas dans la mission première d'une université que de s'occuper d'immeubles. Deuxièmement, le principe suivant lequel le prix de la vente revient au domaine pour moitié si la vente est conclue la première année, l'autre moitié revenant au ministère de tutelle des bâtiments, qui peut ou non décider de le reverser à l'établissement, est d'une complexité extrême. Au reste, il conduit à ce que plus la vente est longue, plus la part qui revient au ministère de tutelle, donc potentiellement à l'établissement, est faible. En gros, tout est fait pour que les bâtiments tombent en ruine... Troisièmement, la dévolution nécessite de gérer son patrimoine en propriétaire. Or nous sommes « en dessous de la maille » en termes de gestion du patrimoine immobilier de l'État. De mémoire, le Sénat avait estimé qu'il faudrait entre 12 et 14 euros pour entretenir chaque mètre carré - actuellement, on ne leur consacre qu'entre 2 et 3 euros...

On peut comprendre les hésitations des présidents d'université : il ne faudrait pas qu'ils y engloutissent toutes leurs marges de manoeuvre... Nous devons travailler non seulement à la dévolution morceau par morceau, pour monter en compétence, mais surtout à la mise en place de sociétés publiques locales universitaires. Ne vous inquiétez pas : si l'article 40 empêche de procéder par voie d'amendement, je n'ai pas renoncé à avancer sur ce dossier. Je crois que c'est la seule solution si l'on veut travailler correctement sur la question du patrimoine universitaire.

Il est difficile de répondre à la question du cadrage des universités. Celles-ci étant des établissements publics, elles doivent mettre en place les lois votées par le Parlement et appliquer les politiques publiques décidées par le Gouvernement. Leur autonomie consiste à pouvoir choisir le chemin qu'elles souhaitent prendre pour les mettre en oeuvre. Par définition, si l'on cadre l'autonomie, on la supprime. D'ailleurs, il est intéressant de voir que les universités prennent des chemins différents, d'où l'importance d'avoir des présidents d'université élus sur un programme et des majorités qui les soutiennent. La vie politique des universités ressemble un peu à la vie politique tout court... Cependant, il faut veiller à ce que le point d'arrivée soit bien identique. C'est le rôle de l'État que de le garantir, dans l'ensemble des établissements publics qui dépendent de lui.

On entend beaucoup parler de la baisse de la dépense par étudiant. Or diviser la subvention pour charges de service public (SCSP) d'un établissement par le nombre d'étudiants n'a pas de sens. On ne peut pas appliquer le même régime à un établissement qui a 14 sites et de nombreuses antennes dispersées et à un établissement qui se compose d'un seul bâtiment. De même, on ne saurait appliquer la même règle aux campus neufs et vieux et aux établissements qui font des sciences appliquées et à ceux qui n'en font pas. La méthode de calcul que je dénonce est extrêmement dangereuse. Je rappelle qu'il y a eu 1 milliard d'euros supplémentaires sur le programme 150, pour 83 000 étudiants en plus dans les universités... Je pense que personne n'a envie de jouer à cela !

Mme Sylvie Robert. - Ce n'est pas une question de jeu, madame la ministre ! Je me fonde sur des rapports, notamment celui de la Cour des comptes.

Mme Frédérique Vidal, ministre. - Je ne dis pas que c'est un jeu : je dis que ce n'est pas ainsi qu'il faut penser le budget consacré aux établissements. Il convient de tenir compte de leur disparité.

Longtemps a été utilisé un modèle d'allocation des moyens qui faisait la part entre les moyens dédiés à l'immobilier, ceux dédiés à la recherche, ceux dédiés à la formation et qui tenait compte du nombre de mètres carrés, de laboratoires et d'étudiants. Ce système a été totalement abandonné ; nous sommes passés à des règles de trois. Faisons attention, car nous sommes en train de passer une bosse : je ne souhaite pas, dans cinq ou dix ans, entendre des ministres annoncer une baisse de budget pour une université qui compterait 150 000 étudiants de moins.

La question des bibliothèques universitaires est un vrai sujet. En réalité, plusieurs questions se posent : celle des fonds, celle de la science ouverte, celle de l'égalité des chances - de fait, ce sont des lieux où l'on peut travailler quand le logement est petit, comme l'ont fait de nombreux étudiants durant la pandémie. Plus généralement, nous devons avancer sur la question des lieux où l'on trouve à la fois de la ressource documentaire et des espaces de travail ouverts et surveillés. D'ailleurs, dans le plan de relance, les établissements demandent de plus en plus souvent des salles modulables où l'on peut faire de la recherche documentaire, plutôt que la construction de gros amphithéâtres.

Le sujet des influences étrangères est un sujet de préoccupation majeure, non seulement dans notre pays, mais, au-delà, dans l'ensemble de l'Union européenne - il a été abordé lors d'une réunion des ministres de l'Union à laquelle j'ai participé hier.

Nous sommes convaincus que c'est vraiment au travers du nouvel espace européen de la recherche que nous pouvons nous protéger de ces ingérences, en réaffirmant deux éléments qui semblent simples, mais qui, en réalité, sont extrêmement difficiles à mettre en oeuvre : la nécessité de valeurs communes et la réciprocité. On voit trop souvent actuellement des États qui s'approprient des connaissances, mais qui n'ouvrent pas leurs bases de données en échange. Il importe que nous soyons un peu moins naïfs, capables de nommer les choses et d'armer davantage nos chercheurs. Nous avons besoin de garder la liberté de collaborer avec qui l'on veut dans le monde entier, mais cette collaboration doit être assortie aux valeurs et aux principes que porte la recherche. C'est de cette manière que nous pouvons essayer d'avancer. Au reste, le problème se pose avec la même acuité dans les sciences humaines et sociales que dans les sciences et technologies.

- Présidence de M. Max Brisson, vice-président -

M. Max Brisson, président. - Madame la ministre, le président Laurent Lafon a dû quitter notre commission et m'a chargé de clore la réunion. Je veux vous remercier très sincèrement de vos réponses extrêmement circonstanciées aux questions de l'ensemble de nos collègues et du temps que vous nous avez consacré.

Ce point de l'ordre du jour a fait l'objet d'une captation vidéo qui est disponible en ligne sur le site du Sénat.

La réunion est close à 18 h 35.