Mardi 26 octobre 2021

- Présidence de Mme Christine Lavarde, vice-président -

La réunion est ouverte à 14 h 30.

Projet de loi de finances pour 2022 - Mission « Conseil et contrôle de l'État » - Examen du rapport spécial

Mme Christine Lavarde, président. - Nous examinons cet après-midi les crédits de la mission « Conseil et contrôle de l'État ».

M. Christian Bilhac, rapporteur spécial de la mission « Conseil et contrôle de l'État ». - La mission « Conseil et contrôle de l'État » rassemble les crédits des juridictions administratives et financières et ceux du Conseil économique, social et environnemental (CESE). Le projet de loi de finances (PLF) pour 2022 prévoit une hausse de 5 % des crédits de la mission, qui atteindrait 754 millions d'euros en crédits de paiement (CP).

Cette hausse profite essentiellement au programme « Conseil d'État et autres juridictions administratives », lequel concentre plus des deux tiers des crédits de la mission. Elle s'explique par la création de quarante et un emplois pour 2022, vouée au renforcement des tribunaux administratifs et à prolonger la dynamique des recrutements engagés depuis 2015.

Toutefois, la hausse des crédits de personnel reste inférieure à celle du volume contentieux. La justice administrative est en effet confrontée depuis des années à une inflation du nombre d'affaires : en vingt ans, les entrées contentieuses ont progressé de 105 % en première instance et de 116 % en appel. Le contentieux des étrangers représente à lui seul plus de la moitié des affaires ; il a augmenté de 34 % en 2021 par rapport à 2020.

La réduction des délais de jugement représente un enjeu crucial pour la justice administrative. Un gain d'un mois de délai moyen de jugement se traduirait par une baisse des dépenses de 14 millions d'euros, sans compter le coût humain et social que peuvent représenter des procédures trop longues. Dans le cas particulier du contentieux électoral, la rapidité de la décision constitue aussi un véritable enjeu démocratique.

La dynamique de réduction des délais de jugement en cours doit être poursuivie : entre 2002 et 2020, le délai prévisible moyen de jugement de première instance est passé de près de vingt mois à dix mois. L'impact de la crise sanitaire sur le délai moyen de jugement a été paradoxalement limité, grâce à la réduction des entrées à due concurrence du ralentissement du traitement du stock. La hausse de 6 % des crédits demandée pour les juridictions administratives me semble donc justifiée pour poursuivre les efforts.

Par ailleurs, plusieurs projets immobiliers de grande ampleur sont en cours. La nouvelle cour administrative d'appel de Toulouse, réalisée pour un coût total de 2,8 millions d'euros, sera livrée au printemps 2022. Le tribunal administratif de Marseille, une fois sa rénovation achevée, devrait être occupé à partir de février 2022.

Pour la première fois depuis de nombreuses années, les moyens accordés à la Cour nationale du droit d'asile (CNDA) sont stables. Elle a notamment bénéficié de 90 % des créations d'emplois du programme depuis 2015 et a triplé sa capacité de jugement en dix ans, période pendant laquelle les dossiers entrants ont cru de 115 %. La CNDA a désormais atteint sa pleine capacité de jugement et peut théoriquement traiter environ 90 000 affaires par an. Après l'année 2020, marquée par le confinement et une évolution des entrées non significative, le nombre d'affaires traitées par la CNDA devrait augmenter de 10 à 27 % par rapport à l'année 2019.

Les crédits des autres programmes évoluent peu dans l'ensemble.

Le budget du CESE, établi à 44 millions d'euros pour 2022, reste stable. C'est toutefois une stabilité en trompe-l'oeil : la réforme du CESE, engagée au début de l'année 2021, a réduit de 58 le nombre de conseillers, ce qui devrait dégager des marges d'économies à hauteur de 2,1 millions d'euros. En outre, le budget pour 2022 conserve la hausse de 4,2 millions accordée en 2020 et 2021 pour la Convention citoyenne pour le climat et devrait plus généralement servir au renforcement de la participation citoyenne aux travaux du CESE. Ces augmentations « cachées » devraient permettre de financer la mise en oeuvre des nouvelles missions confiées au CESE par la loi organique adoptée l'année dernière.

Le budget alloué à la Cour des comptes et aux juridictions financières augmente de 2,5 % par rapport à 2021, en raison d'une évolution positive du schéma d'emplois découlant de la création de dix équivalents temps plein (ETP) supplémentaires, ce malgré une sous-consommation chronique des plafonds d'emplois. Vingt-cinq recrutements devraient être effectués en 2022 pour l'attribution à la Cour des comptes du mandat de commissaire aux comptes de l'Organisation des Nations unies (ONU). Celle-ci n'est pas encore annoncée, mais la Cour étant la seule candidate, l'issue ne fait guère de doutes.

Le projet de réforme « JF2025 » de la Cour des comptes ne devrait pas avoir de conséquences budgétaires majeures avant 2023, une fois entérinées les réformes proposées dans le cadre de la loi relative à la différenciation, la décentralisation, la déconcentration et portant diverses mesures de simplification de l'action publique locale, dite 3DS, et le cas échéant celle du régime de responsabilité des comptables publics prévue par le présent PLF.

Enfin, les crédits du programme 340, intitulé « Haut Conseil des finances publiques », augmentent de 22 % du fait du recrutement de trois rapporteurs supplémentaires. Ces trois ETP correspondent à ceux qui n'ont pas été accordés par le Parlement au titre du budget pour 2021. Le Haut Conseil des finances publiques (HCFP) obtiendrait donc les emplois demandés l'année précédente en les étalant sur deux ans. Toutefois, cette augmentation est modeste. Le budget du HCFP, d'un montant de 1,4 million d'euros, demeure minime par rapport à l'ensemble des crédits de la mission. Au demeurant, la réforme en cours du HCFP n'aura de conséquences budgétaires qu'en 2023.

Compte tenu de l'ensemble de ces observations, je vous invite à adopter les crédits de la mission « Conseil et contrôle de l'État ».

M. Jean-François Husson, rapporteur général. - En dépit de la suppression de 58 conseillers, le CESE se verra attribuer de nouvelles missions, compte tenu notamment de la participation à ses travaux de citoyens tirés au sort. Quelles seront ces nouvelles missions ? Nécessiteront-elles un renforcement des moyens du CESE à hauteur de plus de 6 millions d'euros depuis 2019 ?

Le projet « JF2025 » de la Cour des comptes n'est pas sans lien avec l'importante réforme que le Gouvernement souhaite mettre en oeuvre par voie d'ordonnance. Quels sont concrètement les moyens mobilisés par cette réforme ?

Le Gouvernement consent à attribuer au HCFP les moyens que le Parlement lui avait refusés. Lors de l'examen du PLF pour 2023, nous veillerons tant au budget du HCFP qu'au périmètre de ses missions.

Mme Christine Lavarde, président. - Est-il prévu, à terme, d'augmenter les moyens alloués aux juridictions financières, notamment aux chambres régionales des comptes, chargées de certifier les comptes des collectivités locales ?

M. Vincent Delahaye. - Cette hausse de 5 % des crédits est considérable, voire anormale. Alors que l'on augmente le budget de la justice, la Cour des comptes affirme que cette dernière souffre non pas d'un problème de moyens, mais de difficultés d'organisation. Les juridictions administratives suivent-elles bien les évolutions technologiques et numériques ? Ce n'est pas uniquement en augmentant les moyens des juridictions que l'on parvient à atteindre les buts recherchés.

Pour ma part, je suis plutôt favorable à la suppression du CESE et du HCFP. La suppression de 58 conseillers, sur un total de 233, représente une réduction d'effectifs de 25 %. Or les frais fixes ne diminuent pas en parallèle. Ne pourrait-on pas les réduire ?

Enfin, l'augmentation de 22 % des crédits alloués au HCFP n'est absolument pas justifiée. Bien que le budget total de cette institution soit faible, je ne le voterai pas.

M. Roger Karoutchi. - En raison de la pandémie, les flux migratoires se sont réduits ces deux dernières années. Résultat : moins de demandes de droit d'asile, moins de contentieux ; la CNDA semble à peu près parvenir à remplir ses missions. Toutefois, cette période est transitoire. Il est certain que les flux migratoires vont reprendre en 2022.

Les décisions de l'Office français de protection des réfugiés et apatrides (Ofpra) sont presque systématiquement contestées devant la CNDA en cas de rejet des demandes de droit d'asile. Or, 75 % des demandeurs se trouvent déboutés. La CNDA demande des moyens supplémentaires. En attendant, les déboutés trouvent le moyen de mettre en oeuvre des voies de recours devant d'autres juridictions, administratives ou judiciaires, aux fins de voir leurs appels confortés. On ne s'en sort pas !

En 2019, le Gouvernement avait annoncé une réforme de la procédure administrative et judiciaire du droit d'asile, mais elle n'est toujours pas mise en oeuvre. Est-il possible de simplifier la procédure et d'en réduire les délais ?

M. Christian Bilhac, rapporteur spécial. - Outre la participation de citoyens tirés au sort, qui a été mentionnée, la réforme prévoit d'élargir le droit de pétition des citoyens. Par ailleurs, la saisine du CESE par le Gouvernement devrait porter sur tous les projets de loi à caractère économique, social et environnemental. Mais beaucoup de ces missions étaient déjà en partie effectives avant la réforme, notamment le lien avec les conseils économiques, sociaux et environnementaux régionaux (CESER).

Les chambres régionales des comptes se verront allouer 200 000 euros supplémentaires pour l'exécution de leur nouvelle mission d'évaluation des politiques publiques. Pour la certification des comptes des collectivités, 15 ETP sont mobilisés pour les 25 collectivités concernées. Mais cette certification étant au stade expérimental, il n'est pas certain qu'elle sera maintenue.

Le Conseil d'État a mis en place le télérecours, c'est-à-dire la numérisation des procédures de dépôt de requête, lequel a permis de réaliser une économie de 3,4 millions d'euros par an. Du reste, entre les moyens mis en oeuvre, les économies réalisées et l'efficacité, il m'est difficile de juger la situation.

Les délais de jugement doivent être raccourcis. Est-ce là un problème de moyens ou de méthode ? Je laisse cette question ouverte... Quoi qu'il en soit, notre société se judiciarise de plus en plus, c'est certain. Il serait sans doute davantage pertinent de rationaliser les moyens mis en oeuvre plutôt que d'en demander de nouveaux.

L'OFPRA et la CNDA sont intimement liés. Des tentatives de simplification ont déjà eu lieu par le passé. Il est en effet inquiétant de constater que les jugements rendus dans le cadre du contentieux du droit d'asile ne servent pas à grand-chose. Toutefois, pour le moment, il nous faut composer avec l'état du droit et continuer de faire face à l'afflux massif de contentieux. Et pour cela, il faut des moyens ! Bien entendu, ces difficultés appellent une réforme en profondeur, comme proposée par le Conseil d'État en 2020. Mais je doute qu'elle puisse voir le jour avant l'adoption du PLF.

M. Marc Laménie. - L'an dernier, le rapport spécial indiquait qu'un certain nombre d'emplois dans les juridictions financières n'étaient pas exécutés par rapport au plafond d'emplois. Est-ce toujours le cas ? En 2021, 53 646 organismes, collectivités ou structures étaient soumis au contrôle des chambres régionales des comptes. Qu'en est-il aujourd'hui ? Le nombre de chambres régionales des comptes reste-t-il stable ?

M. Bernard Delcros. - En 2020 et en 2021, les crédits du CESE ont bénéficié d'une hausse de 4,2 millions d'euros en vue de l'organisation de la Convention citoyenne pour le climat. En fin de compte, seul 1 million d'euros a été dépensé sur l'ensemble des crédits. Cette année, nous octroyons de nouveau une enveloppe supplémentaire de 4,2 millions d'euros au CESE, à laquelle s'ajoutent les économies réalisées grâce à la réduction du nombre de conseillers. Est-il bien nécessaire de reconduire ainsi ces crédits, alors que nous devons tenir le cap de la réduction du déficit ?

M. Michel Canévet. - L'objectif de réduction des délais d'instruction et d'examen des contentieux doit être poursuivi avec vigueur, tout comme la limitation du nombre de contentieux - les tribunaux administratifs sont saisis pour tout et n'importe quoi.

Je m'inquiète de l'évolution des budgets alloués aux autorités administratives indépendantes et aux administrations publiques indépendantes, qui sont respectivement en hausse de 15 % et de 20 %. Le HCFP, lui, voit son budget augmenter de 22 %. On ne pourra pas continuer à attribuer des moyens toujours plus significatifs aux différents démembrements de l'État : revenons à l'orthodoxie budgétaire !

M. Didier Rambaud. - Ayant été rapporteur spécial de cette mission entre 2017 et 2020, j'ai écouté avec attention la présentation de ce rapport, qui ne m'a en rien surpris. L'augmentation de 5 % des crédits de la mission ne m'effraie pas. Il s'agit tout de même du conseil et du contrôle de l'État, deux fonctions régaliennes !

L'accroissement du contentieux des étrangers devant la CNDA est le point noir de cette mission : entre 2018 et 2019, les recours avaient augmenté de 40 % ! Je partage l'avis de Roger Karoutchi : il est temps de simplifier la procédure. Mais la France demeure une terre d'asile, nous devons donc avancer avec doigté.

Vous nous avez indiqué qu'un gain d'un mois de délai moyen de jugement se traduirait par une baisse des dépenses de 14 millions d'euros. Comment êtes-vous parvenu à cette conclusion ?

Mme Sylvie Vermeillet. - Je souscris aux propos de mes collègues Vincent Delahaye et Michel Canévet. En 2012, le budget alloué au CESE était de 38,7 millions d'euros. Aujourd'hui, il est porté à 44,4 millions d'euros, auxquels s'ajoute 1,7 million d'euros de fonds propres. Le CESE compte de moins en moins de membres ; chaque rapport aura un coût unitaire de 2,42 millions d'euros. Bref, je ne suis pas favorable à cette hausse budgétaire.

Certes, le budget alloué au HCFP est modeste. Il est toutefois passé de 500 000 euros à 1,1 million d'euros en 2021, et ce pour assurer le recrutement de deux rapporteurs spéciaux. Peut-on avoir un éclairage sur les dépenses de personnels ?

M. Christian Bilhac, rapporteur spécial. - S'agissant des juridictions financières, en 2020, 1 763 ETP étaient consommés sur 1 802, et 1 766 sur 1 802 en 2021.

Il est difficile d'évaluer la production des chambres régionales des comptes en 2020 en raison de la période pré-électorale de réserve.

À l'origine, le CESE avait demandé une hausse de 10 % de ses crédits ! Cette prétention budgétaire s'avérait déraisonnable, d'autant plus qu'encore une fois, les crédits du CESE ne sont stables qu'en apparence...

La Cour des comptes et le HCFP ont deux budgets séparés, mais c'est une et même maison avec les mêmes personnels ! Le budget de ces deux institutions devrait être réuni, mais nous ne connaissons pas les contours du partage quelque peu fictif qui existe. Il est demandé au HCFP de se prononcer très rapidement sur une problématique donnée ; s'il n'avait à disposition qu'un nombre de personnels très restreint, séparé de la Cour de comptes, il aurait beaucoup de mal à remplir ses missions.

Le chiffrage d'une économie de 14 millions d'euros, induite par la réduction des délais de jugement, ressort de plusieurs études réalisées par le Conseil d'État. Toutefois, je ne suis pas capable de vous dire à quoi ce montant correspond concrètement.

Madame Vermeillet, attendons de sortir de la période de réserve pour savoir ce qu'il en est. En ce qui concerne le HCFP, il est prévu que 1,3 million d'euros soit consacré aux rémunérations du rapporteur général, de trois rapporteurs généraux et de quatre rapporteurs.

Le budget des juridictions administratives augmente de 30 millions d'euros en CP ; celui du CESE de 0,2 million d'euros ; celui des juridictions financières de 5 millions d'euros ; celui du HCFP de 0,2 million d'euros. En fin de compte, ce sont les juridictions administratives qui sont le plus gros bénéficiaire de la hausse des crédits de la mission. Resituons le contexte global de la dépense et ne nous égarons pas sur des détails. Il n'en demeure pas moins que chaque euro doit être dépensé utilement.

Mme Isabelle Briquet. - Je me réjouis du renforcement des moyens alloués aux juridictions administratives, ce qui a permis de réduire les délais de jugement à un an, et de la consolidation du budget de la CNDA. Toutefois, il ne faudrait pas que la réduction des délais conduise à altérer la qualité de la justice. Plusieurs associations, telles que la Cimade, dénoncent le fait que les procédures accélérées privent un grand nombre de demandeurs de l'exercice de voies de recours suspensifs.

L'augmentation des moyens alloués au HCFP pose question, surtout dans le contexte actuel d'orientation des finances publiques et compte tenu des raisons pour lesquelles cette institution a été créée.

M. Jean-Marie Mizzon. - La justice administrative n'est pas rendue de façon homogène sur le territoire. Dans mon département, qui relève de l'autorité juridictionnelle du tribunal administratif de Strasbourg, c'est plutôt en années que l'on compte les délais de jugement, bien qu'un certain nombre de mesures aient été prises pour éviter les recours abusifs. Existe-t-il un classement des délais de jugement selon les tribunaux administratifs ?

M. Éric Bocquet. - La suppression de 58 membres du CESE s'est-elle répartie sur l'ensemble des collèges ou a-t-elle davantage concerné l'un d'entre eux ? En outre, comment expliquer l'augmentation des moyens du HCFP ?

M. Patrice Joly. - La judiciarisation de la société ne fait pas de doute lorsque l'on voit l'évolution des affaires traitées et enregistrées. Cela participe du dysfonctionnement du contrôle démocratique. Je suis surpris que l'on veuille toujours renforcer les moyens alloués à la certification des comptes. Celle-ci a pour seul objectif de fournir des informations sur la solvabilité d'un organisme. Or la solvabilité de nos institutions publiques, collectivités locales ou État, c'est la solvabilité de nos concitoyens !

L'évaluation des politiques publiques, elle, est essentielle. Il conviendrait que les contrôles puissent porter sur les trajectoires en matière de neutralité carbone, de mise en oeuvre des politiques par l'État ou les collectivités ou de lutte contre le réchauffement climatique.

Je m'interroge sur l'ampleur des moyens que l'on souhaite dédier au HCFP. Veut-on continuer à accepter la doxa financière et budgétaire que l'on nous répète depuis une dizaine d'années ? Si l'allocation de moyens supplémentaires consistait en cela, nous aurions intérêt à réallouer les crédits aux juridictions financières.

M. Jean-Michel Arnaud. - Je ne peux qu'appuyer les propos de mon collègue Roger Karoutchi. On s'aperçoit que 40 à 45 % des recours formés devant les juridictions administratives concernent le droit des étrangers. Malgré le rehaussement des moyens alloués chaque année aux tribunaux administratifs, les délais de jugement stagnent, voire s'allongent.

J'apprécierais que vous puissiez, l'an prochain, déterminer les délais de jugement par nature d'affaire, afin d'évaluer les difficultés de nos collectivités locales en ce qui concerne le droit du sol ou le logement. Les délais de réponse suscitent une insatisfaction grandissante à l'échelle de mon département et, au-delà, sur tout le territoire national.

Je m'associe pleinement aux interrogations concernant le budget du HCFP. Alors qu'il démontre un appétit financier certain, le rendement de ses travaux n'est pas à la hauteur des moyens dégagés pour son fonctionnement.

M. Vincent Delahaye. - J'ai cru comprendre que le CESE avait prélevé 1,7 million sur des fonds de réserve. Le CESE dispose-t-il de fonds de réserve ? Si oui, à combien s'élèvent-ils ?

M. Christian Bilhac, rapporteur spécial. - Le droit des étrangers est effectivement complexe. Il existe six délais différents en fonction du type de recours.

L'essentiel de la suppression des postes au CESE concerne les 40 personnalités qualifiées qui étaient nommées par le Gouvernement.

Monsieur Mizzon, chacun sait ici que les moyennes ne reflètent pas la réalité de terrain : les délais moyens sont de 10 mois pour les tribunaux administratifs, 11 mois pour les cours administratives d'appel et 9 mois pour le Conseil d'État. Il doit cependant y avoir des territoires où les jugements sont beaucoup plus rapides, notamment compte tenu des référés. Quoi qu'il en soit, il y a eu une réduction des délais, même si l'on peut être dubitatif compte tenu de ce que l'on peut observer sur nos circonscriptions électorales sur les délais de jugement des cours administratives.

Le CESE dispose de 500 000 euros de réserve de précaution. Il est vrai que les organes chargés du conseil et du contrôle de l'État sont exigeants dans leur demande, mais l'enjeu est aussi la place de l'État. Pour ma part, je crois qu'il faut leur laisser les moyens de fonctionner. Ces moyens sont-ils excédentaires ? Sont-ils insuffisants ? Pour ma part, je crois qu'ils sont suffisants. La Cour des comptes bénéficie en général du respect de nos concitoyens, du fait de ses prises de position sur la gestion financière, qui n'épargnent personne. Elle est reconnue pour son indépendance et incarne le côté régalien de l'État, ce qui ne veut pas dire qu'elle doit toujours demander plus. Ces institutions doivent réfléchir à la manière de dépenser mieux avant de dépenser plus.

Nos collègues députés n'ont, à ce stade, pas remis en cause les crédits de la mission. Pour ma part, je vous invite à les voter, mais vous pouvez bien entendu déposer un amendement qui réduirait le nombre de postes supplémentaires du HCFP.

La commission décide de proposer au Sénat l'adoption, sans modification, des crédits de la mission « Conseil et contrôle de l'État ».

Projet de loi de finances pour 2022 - Mission « Direction de l'action du Gouvernement » et budget annexe « Publications officielles et information administrative » - Examen du rapport spécial

M. Paul Toussaint Parigi, rapporteur spécial de la mission « Direction de l'action du Gouvernement » et du budget annexe « Publications officielles et information administrative ». - La mission « Direction de l'action du Gouvernement » telle qu'elle nous est présentée cette année connaît en apparence de fortes variations de son budget, puisque celui-ci diminue de pas moins de 11 % en autorisations d'engagement (AE), tout en augmentant de 12 % en crédits de paiement (CP). Cette évolution est en réalité liée à un événement temporaire, à savoir la présidence française de l'Union européenne (PFUE) au premier semestre 2022. La plupart des quelque 150 millions d'euros de dépenses consacrées à cette présidence ont en effet été juridiquement engagés dès 2021, d'où une nette baisse en autorisations d'engagement en 2022, mais ils seront effectivement payés en 2022, ce qui explique la forte hausse apparente des crédits de paiement de la mission.

Je ne peux pas vous en dire davantage sur la nature de ces dépenses, l'organisation de la présidence n'étant pas encore finalisée à l'heure où je vous parle, mais c'est un sujet que je suivrai de près en exécution. Je peux simplement vous indiquer à ce stade que le montant total des dépenses prévues - 150 millions d'euros sur 2021 et 2022 - est similaire à celui de la présidence de 2008. Je salue par ailleurs la présence d'un indicateur de performance relatif au bilan carbone, ce qui constitue une nouveauté par rapport à la présidence de 2008.

J'en viens maintenant aux principales mesures nouvelles qui concernent le périmètre traditionnel de la mission.

Dans la continuité des précédents exercices, ces nouvelles mesures reflètent la place croissante accordée à la cybersécurité et à la régulation du numérique.

L'Agence nationale de la sécurité des systèmes d'information (Anssi) bénéficiera ainsi d'un schéma d'emplois de 50 ETP supplémentaires en 2022 et de nouveaux locaux situés à Rennes, à proximité du pôle de cyberdéfense du ministère des armées.

Outre le renforcement de l'Anssi, le projet de loi de finances acte également la création d'un nouveau service de vigilance et de protection contre les ingérences numériques étrangères, baptisé « Viginum ». Ce nouveau service à compétence nationale sera rattaché au secrétariat général de la défense et de la sécurité nationale (SGDSN) et sera doté de 65 postes d'ici à la fin de l'année 2022. Il aura notamment pour mission de lutter contre les manipulations de l'information et les ingérences numériques étrangères, en particulier - mais pas exclusivement - durant les périodes de campagne électorale.

Enfin, la Commission nationale de l'informatique et des libertés (CNIL), qui exerce, elle aussi, une mission de protection numérique des données, verra ses effectifs renforcés à hauteur de 25 ETP en 2022, afin de lui permettre de faire face à l'accroissement continu de son activité. À titre d'illustration, le nombre de plaintes adressées à la CNIL est passé de 11 000 en 2018 à près de 14 000 en 2020.

Le renforcement des moyens alloués à la cybersécurité s'accompagnera d'une rénovation des outils de régulation des plateformes numériques, au travers de la création d'une nouvelle autorité de régulation de la communication audiovisuelle et numérique, baptisée « Arcom ». Cette nouvelle autorité administrative indépendante fusionnera, d'une part, le Conseil supérieur de l'audiovisuel (CSA) et, d'autre part, la Haute Autorité pour la diffusion des oeuvres et la protection des droits sur internet (Hadopi). Elle conservera les compétences et les moyens historiques du CSA et d'Hadopi dans le champ de la régulation des contenus audiovisuels et numériques, tout en se voyant dotée de nouvelles missions de supervision des plateformes numériques, des réseaux sociaux et des sites de partage de vidéos, notamment en matière de lutte contre la désinformation et les contenus haineux. Sa création aura un coût limité - un peu moins de 1 million d'euros en 2022 -, le reste étant intégralement financé par ce qui constituait les années précédentes le budget du CSA et d'Hadopi.

Malgré les nécessaires efforts de maîtrise de la dépense publique, je considère que ces moyens supplémentaires sont globalement justifiés au regard de l'importance croissante des enjeux liés au numérique et, symétriquement, à sa régulation.

J'en viens ensuite à ce que je considère comme les deux points négatifs de ce budget au motif qu'ils sont absents du budget présenté et qu'ils me semblent critiquables sur le fond.

Le premier concerne les dépenses de communication du Gouvernement, qui ne figurent pas dans le projet annuel de performances, ou plutôt qui n'y figurent qu'à moitié. Voilà en effet deux années que je constate une nette sous-budgétisation des crédits alloués au service d'information du Gouvernement (SIG), puisque les dépenses de celui-ci doublent en exécution de manière récurrente. Mon prédécesseur dans les fonctions de rapporteur spécial, Michel Canévet, soulignait, en 2019, la forte hausse des crédits du SIG. Le Gouvernement a donc trouvé la parade, en présentant depuis deux ans un budget parfaitement stable en loi de finances initiale, mais dont le montant double ensuite en cours de gestion grâce à des transferts et virements de crédits depuis d'autres ministères. Quoi que l'on pense sur le fond de la politique de communication du Gouvernement, il me semble que l'on ne peut que désapprouver cette pirouette budgétaire, qui nuit à la sincérité du budget que nous examinons, même si les montants en jeu demeurent relativement faibles. Je déplore donc cette démarche, dont je me demande si elle n'est pas destinée à détourner l'attention du législateur de la politique de communication gouvernementale, dont on sait l'importance stratégique à l'approche des échéances électorales de 2022.

Le second point négatif que je veux souligner concerne le manque de moyens alloués au Haut Conseil pour le climat (HCC), sur lequel j'avais effectué il y a quelques mois un contrôle budgétaire, lequel m'avait conduit à constater le manque de moyens criants auquel doit faire face ce jeune organisme. Bien que son expertise soit aujourd'hui devenue indispensable au débat public en matière d'action climatique, le HCC ne dispose depuis sa création que d'un secrétariat composé de 6 ETP. Comme s'y étaient engagés le Président de la République et le Premier ministre voilà quelques mois, et comme me l'ont confirmé les services du Premier ministre en audition, cette institution devrait voir ses effectifs renforcés à hauteur de 4 ETP d'ici à la fin de l'année. Si cet effort va bien évidemment dans le bon sens, je considère néanmoins qu'il demeure insuffisant au regard des sollicitations et des missions croissantes auxquelles il doit faire face. À titre d'exemple, la récente loi Climat et résilience lui confie pas moins de quatre nouvelles missions d'évaluation en matière de politiques climatiques. Ce secrétariat de 10 ETP resterait en outre bien en deçà de la moyenne des autres pays européens disposant d'organismes publics similaires : son homologue britannique comprend 35 agents. Afin de tirer les conséquences budgétaires de la croissance de l'activité du HCC, je vous propose un amendement visant à renforcer ses effectifs à hauteur de 4 ETP supplémentaires en 2022.

Je terminerai mon propos par quelques mots sur le budget annexe « Publications officielles et information administrative », géré par la direction de l'information légale et administrative (DILA), elle-même rattachée aux services du Premier ministre.

Ce budget annexe tire principalement ses ressources des recettes d'annonces légales, notamment des recettes d'annonces de marchés publics, qui avaient été fortement impactées par la crise sanitaire et le ralentissement de l'activité économique en 2020. Pour l'année 2021, la reprise économique a permis de faire repartir ces recettes à la hausse, ce qui est évidemment une bonne nouvelle pour le budget annexe. Le projet de loi de finances pour 2022 prévoit que les recettes du budget annexe s'élèveraient à 164 millions d'euros, soit une hausse de 5 millions d'euros par rapport à la loi de finances initiale pour 2021. Parallèlement, les dépenses du budget annexe devraient globalement diminuer de 2 %, ce qui permettrait de dégager un nouvel excédent de 8,4 millions d'euros.

Cet excédent serait permis par une réduction de 1 % des dépenses de personnels de la DILA et de 3,5 % de ses dépenses de fonctionnement, dans la continuité des efforts déjà entrepris ces dernières années. Les économies ainsi dégagées permettront de financer de nouveaux investissements informatiques, comme la création d'un site unique d'information administrative à destination des entreprises.

Vous l'aurez compris, j'ai quelques réserves sur les dépenses de communication du Gouvernement et sur les faibles moyens alloués au Haut Conseil pour le climat. Néanmoins, dans la mesure où ces dépenses ne représentent qu'une part infime des crédits de la mission - moins de 0,2 % du total -, je vous propose d'adopter les crédits de la mission « Direction de l'action du Gouvernement », tels que modifiés par l'amendement n° 1, que je vais vous présenter, ainsi que ceux du budget annexe « Publications officielles et information administrative ».

Mon amendement vise à minorer de 300 000 euros les crédits alloués à la PFUE pour augmenter de 4 ETP les effectifs du Haut Conseil pour le climat et lui permettre d'exercer pleinement ses missions, plutôt que de faire appel à des bureaux d'études privés. Le ministère de la transition écologique et solidaire a ainsi commandé, pour 280 000 euros hors taxes, une étude au Boston Consulting Group dans le cadre de l'examen du projet de loi Climat et résilience.

M. Jean-François Husson, rapporteur général. - Vous avez indiqué que les dépenses liées à la présidence française de l'Union européenne n'étaient pas encore détaillées à ce stade. N'y a-t-il aucune information à leur sujet dans les annexes budgétaires ? Le cas échéant, pour quelles raisons ?

Je souscris à vos remarques sur les dépenses de communication du Gouvernement et sur la manière dont elles sont déployées pour présenter facialement certains éléments, notamment au Parlement.

S'agissant du Haut Conseil pour le climat, je rappelle que, l'an dernier, un amendement de la commission de l'aménagement du territoire et du développement durable visait à faire passer de 6 à 24 le nombre de ses agents. On peut entendre que le recours à des cabinets privés a parfois un coût élevé, mais ce coût ponctuel doit être comparé à celui du recrutement de personnel qui, lui, est permanent.

Je rappelle également que le directeur exécutif du Haut Conseil a effectivement démissionné l'an passé, notamment pour cette raison des manques de moyens. La réponse du Gouvernement, non confirmée pour le moment, consiste à faire passer de 6 à 10 le nombre d'agents d'ici à la fin de l'année, par redéploiement d'effectifs, et votre amendement vise à augmenter ce nombre de 4 agents supplémentaires. Tout cela me conduit à m'interroger sur votre proposition, et pour ma part je m'en remettrai à la sagesse de la commission.

Mme Christine Lavarde, président. - Quelle est la part des plaintes de la CNIL liées à la gestion du covid ? Si la hausse est conjoncturelle, faut-il augmenter les moyens dans une telle proportion ?

Vous affirmez que l'Arcom, issue de la fusion de deux autorités préexistantes, travaillera à moyens quasi-constants. Pour ma part, je considère qu'elle travaillera à moyens substantiellement plus élevés : par redéploiement, on devrait pouvoir réaliser des missions supplémentaires.

M. Vincent Delahaye. - La protection contre les ingérences numériques étrangères est un sujet majeur. Je suis surpris d'apprendre qu'il n'y avait pas précédemment de service qui s'y consacrait. Je ne comprends pas que le nouveau service ne soit pas rattaché à l'Anssi. L'augmentation des moyens me paraît importante, mais est-elle suffisante ?

Concernant la communication gouvernementale, le nombre de spots sur le plan France Relance diffusés à la télévision ne manque pas d'étonner. Je ne vois pas pourquoi il est encore nécessaire de communiquer à son sujet. Je pense que c'est un vrai sujet de contrôle budgétaire. Y a-t-il, comme c'est mon sentiment, une augmentation forte des dépenses de communication, au moins cette dernière année ? Si oui, quels sont les médias qui en bénéficient et combien leur verse-t-on ?

Je ne suis pas favorable au renforcement des moyens des Hauts Conseils et des Hautes Autorités, car cela revient à enlever du pouvoir aux élus. Il faut rester très prudent.

Mme Isabelle Briquet. - Dans la continuité des budgets précédents, on note un renforcement des moyens dévolus à la lutte contre les menaces à la sécurité nationale. Comme l'an passé, il y a lieu de s'interroger sur la sous-budgétisation dont certains organismes font l'objet. On peut avoir un doute sur le sérieux et la sincérité des crédits. Je pense notamment aux crédits dépensés mais non budgétés sur l'année passée pour le service d'information du Gouvernement. De même, on voit mal comment les crédits de la direction interministérielle du numérique (Dinum) pourraient baisser du fait des conséquences de la crise sanitaire.

S'agissant la présidence française, le PLF pour 2021 prévoyait 250 manifestations pour un montant de 72,1 millions d'euros. Aujourd'hui, on prévoit 360 manifestations pour 67,2 millions d'euros. A-t-on des explications sur ce moindre coût ? Ne s'agit-il que de rationalisation ?

Nous soutiendrons l'amendement du rapporteur spécial.

M. Jean-François Rapin. - On a l'impression que le budget dédié à la présidence française de l'Union européenne est un budget de pure communication, mais, pour l'instant, nous n'avons aucune idée du fond : nous ne connaîtrons qu'au 1er décembre les grandes lignes et les engagements du Gouvernement sur les événements qui seront organisés. Nous en débattrons en séance publique le 16 novembre prochain, à la demande de la commission des affaires européennes. D'ores et déjà, le Gouvernement nous dit qu'il ne nous apportera pas les réponses, puisqu'il veut dévoiler en grande pompe l'arsenal des mesures déployées.

M. Emmanuel Capus. - L'Anssi connaît une forte augmentation de ses crédits, après une hausse assez importante du nombre de ses ETP l'année dernière, qui me paraissait justifiée compte tenu des menaces qui pèsent sur l'ensemble de nos systèmes d'information - nous avons tous été, sur nos territoires, victimes ou témoins d'agressions cybernumériques. L'année dernière, cette augmentation des crédits était compensée par une réduction d'autres crédits, comme ceux de l'Institut des hautes études de la défense nationale (IHEDN). Y a-t-il, cette année encore, des budgets en baisse ou une hausse de l'ensemble des crédits de la mission ?

Je souhaite avoir une précision sur l'amendement : il s'agit bien d'arriver à un total de 14 ETP ?

M. Paul Toussaint Parigi, rapporteur spécial. - Oui.

M. Jean-Yves Leconte, rapporteur pour avis de la commission des lois sur les crédits de la mission « Direction de l'action du Gouvernement ». - Ce budget regroupe un certain nombre de structures qui ont été créées au fur et à mesure pour répondre à un certain nombre de besoins, parfois de communication, sans que ce soit vraiment très cohérent. Cette année, on nous annonce une nouvelle structure pour lutter contre les influences extérieures. Nous sommes tous d'accord sur l'enjeu, mais on peut aussi s'étonner que la conjugaison du SGDSN et de l'Anssi ne suffise pas.

Il est essentiel que les autorités administratives indépendantes (AAI) disposent de moyens suffisants pour mener d'elles-mêmes les missions qui leur sont confiées en toute indépendance. La CNIL et la Commission nationale de contrôle des techniques de renseignement (CNCTR) doivent être particulièrement soutenues.

Je souscris à ce qui a été dit sur les orientations de la communication gouvernementale et sur le fait que la présidence française de l'Union européenne sera aussi une présidence de communication, compte tenu de la campagne présidentielle qui a lieu au même moment.

M. Paul Toussaint Parigi, rapporteur spécial. - Les annexes budgétaires sont effectivement peu prolixes sur ces dépenses - quelques paragraphes à peine.

Le budget de la PFUE est en cours de finalisation, mais pose question, d'autant que la plupart des événements sont prévus au premier trimestre 2022, soit avant l'élection présidentielle... Je suivrai ce sujet de près en exécution lors de l'examen de la loi de règlement pour 2022.

Sur le Haut Conseil pour le climat, l'an dernier, la commission des finances avait émis un avis de sagesse sur l'amendement de la commission du développement durable, qui avait été retiré en séance. C'est le coût des études commandées à des cabinets privés qui justifie mon amendement : l'étude que j'ai citée équivaut à 4 ETP. Lorsque le président du Sénat avait demandé au Haut Conseil une étude sur la 5G, celui-ci avait répondu qu'il ne pouvait la réaliser dans les temps, faute de moyens. Aujourd'hui, cette structure me semble capable de mener à bien ces études ; elle ne demande qu'à être dotée de moyens.

Les plaintes adressées à la CNIL sont surtout liées à la mise en oeuvre du règlement général sur la protection des données (RGPD) et de la loi pour une République numérique. La hausse de l'activité de la CNIL est donc structurelle.

Concernant l'Arcom, je n'ai jamais connu de mutualisation qui s'accompagne d'une baisse d'effectifs. Je reconnais que c'est dommage ! Au reste, le coût de la création de l'Arcom est aussi lié à des coûts fixes, comme par exemple la création d'un nouveau site internet.

Vincent Delahaye, le nouveau service « Viginum » sera rattaché au SGDSN, auquel est également rattachée l'Anssi. Concernant les dépenses de communication, elles viennent aussi des marchés publics, qui coûtent cher, notamment des sondages - plus de 2 millions d'euros en 2020, dont une partie était liée au covid.

Isabelle Briquet, les dépenses de la Dinum sont très difficiles à retracer, car une partie des crédits figure dans le plan de relance.

S'agissant de la PFUE, les manifestations prévues sont souvent des réunions interministérielles, mais les annexes budgétaires fournissent très peu de détails à leur sujet.

Emmanuel Capus, il y a effectivement peu d'économies sur la mission en 2022. Concernant l'IHEDN, le budget est parfaitement stable entre 2021 et 2022 et s'élève à 7 millions d'euros.

Article 20 (État B)

L'amendement n° 1 n'est pas adopté.

La commission décide de proposer au Sénat l'adoption, sans modification, des crédits de la mission « Direction de l'action du Gouvernement » et du budget annexe « Publications officielles et information administrative ».

La réunion est close à 15 h 55.

Mercredi 27 octobre 2021

La réunion est ouverte à 9 h 30.

Projet de loi de finances pour 2022 - Mission « Investissements d'avenir » - Examen du rapport spécial

Mme Christine Lavarde, président. - Je cède la parole à Thierry Meignen, pour la présentation de son premier rapport devant notre commission sur les crédits de la mission « Investissements d'avenir ».

M. Thierry Meignen, rapporteur spécial de la mission « Investissements d'avenir ». - Il s'agit en effet de mon premier rapport à la commission des finances. Je tenais à saluer le travail accompli par Nadine Bellurot, dont je reprends le flambeau sur cette mission.

Depuis l'année dernière, la mission « Investissements d'avenir » comprend deux programmes d'investissements d'avenir (PIA) distincts : le PIA 3, lancé en 2010 et doté de 10 milliards d'euros en autorisations d'engagement (AE), et le PIA 4, lancé en 2021, pour une enveloppe de 20 milliards d'euros d'autorisations d'engagement.

La mission « Investissements d'avenir » est un peu particulière dans la mesure où nous ne votons que sur des crédits de paiement (CP) : les autorisations d'engagement sont consommées dans leur intégralité l'année de lancement du programme, tandis que les crédits de paiement sont alloués et exécutés annuellement jusqu'à la couverture complète des autorisations d'engagement.

Dans ce contexte, la mission bénéficiera en 2022 d'un abondement de 3,5 milliards d'euros de crédits de paiement, dont 1,5 milliard d'euros pour le PIA 3 et 1,99 milliard d'euros pour le PIA.

Je retiendrai trois éléments saillants qui caractérisent le budget alloué en 2022 aux investissements d'avenir : la décélération progressive du PIA 3, la montée en puissance du PIA 4 et enfin, le lancement d'un plan France 2030 dont tout laisse à penser qu'il sera financé sur la mission « Investissements d'avenir ».

Je ne m'étendrai pas sur le PIA 3 ; vous le savez, ce programme d'investissements d'avenir succède aux PIA 1 et 2, qui représentaient respectivement 35 et 12 milliards d'euros. Les crédits de paiement demandés pour 2022 s'élèvent à 1,5 milliard d'euros, ce qui traduit un net ralentissement par rapport aux années précédentes.

En effet, plus de quatre ans après son lancement, le PIA 3 amorce désormais sa dernière ligne droite : entre 2018 et 2020, plus de 4,7 milliards d'euros de crédits de paiement ont été exécutés, auxquels s'ajoutent 1,75 milliard d'euros votés en loi de finances pour 2021. Ainsi, au 31 décembre 2021, 6,45 milliards d'euros de crédits de paiement auront été ouverts.

En parallèle, à la même date, et c'est l'une des spécificités des PIA, seuls 1,7 milliard d'euros auront été effectivement décaissés en faveur des bénéficiaires finaux.

Dans ce contexte, l'année 2022 sera caractérisée par un double mouvement, avec, d'une part, un ralentissement du versement des crédits de paiement et, d'autre part, une intensification des décaissements.

En 2022, les ouvertures de crédits les plus significatives concernent notamment le plan Nano 2022, qui bénéficiera de 237 millions d'euros au titre du PIA 3 ainsi que l'action « Territoires d'innovation », qui se voit dotée de 309 millions d'euros, afin de financer un appel à projets relatif à la stratégie Hydrogène et de poursuivre la construction du réacteur Jules Horowitz.

J'en viens maintenant à mon second point, à savoir la montée en puissance du PIA 4. Il m'a été indiqué que le premier semestre 2021 avait été consacré très largement à l'adoption du cadre juridique et de la gouvernance applicable à ce quatrième programme.

De la même manière, les grandes lignes des deux volets qui composent le PIA 4 sont désormais arrêtées.

En effet, comme vous le savez, ce PIA 4 est structuré en deux volets, qui répondent à des finalités distinctes : un premier volet, dit « dirigé » doté de 12,5 milliards d'euros, vise à financer des investissements exceptionnels ; un second volet, dit « structurel », bénéficiant de 7,5 milliards d'euros, doit garantir, grâce à des dotations en capital, un financement pérenne aux écosystèmes d'enseignement supérieur, de recherche et d'innovation mis en place par le PIA.

Lors du lancement du PIA 4, le contenu et la budgétisation du volet « dirigé » demeuraient encore très opaques, puisque les différentes stratégies d'accélération n'étaient pas encore validées.

Un an après le lancement du PIA 4, ce volet tend à se préciser, avec la présentation détaillée d'une dizaine de stratégies d'accélération. Néanmoins, ce programme n'est pas encore finalisé, puisqu'à ce stade, seuls 6,3 milliards d'euros de stratégies d'accélération ont été formellement validés, sur les 10 milliards d'euros qui y seront finalement consacrés, hors fonds propres.

Dans ce contexte, la répartition par outil et par opérateur des 1,5 milliard d'euros de crédits demandés pour 2022 n'a pu m'être communiquée ; je regrette que, un an après le lancement du PIA 4, le Parlement ne soit toujours pas en mesure de disposer d'une vision d'ensemble des stratégies qui seront déployées.

S'agissant du volet « structurel », qui bénéficiera de 562,5 millions d'euros en 2022, je relève qu'il permet de centraliser et de réorganiser l'ensemble des aides à l'innovation - y compris l'enveloppe régionalisée -, qui étaient jusqu'à présent éparses sur plusieurs programmes budgétaires.

Un mot sur cette enveloppe « régionalisée », dotée de 500 millions d'euros contre 250 millions d'euros pour le PIA 3 : je ne vous apprends rien en soulignant que le PIA souffre depuis son lancement d'un important déficit de territorialisation. Le secrétariat général pour l'investissement a pris plusieurs initiatives pour y remédier, avec notamment l'ambition de favoriser l'émergence, dans tous les territoires, de projets éligibles à un financement du PIA. Ces actions témoignent de la volonté d'accorder une place accrue aux territoires ; il faudra néanmoins veiller à ce qu'elles se concrétisent effectivement dans les années à venir.

Je voudrais conclure sur le PIA 4 en vous faisant part de trois remarques d'ordre général.

En premier lieu, j'identifie deux points de vigilance relatifs à la mise en oeuvre de ce PIA 4. Le premier se rapporte à la nouvelle gouvernance mise en place, qui comprend de très nombreuses instances de pilotage. La multiplication des comités - techniques, stratégiques, exécutifs - pourrait se traduire à terme par des lourdeurs préjudiciables au déploiement des stratégies d'accélération. Le second a trait à la charge de travail des opérateurs du PIA que sont l'Agence nationale de la recherche (ANR), l'Agence de la transition écologique (Ademe), la Caisse des dépôts et consignations et Bpifrance. Ces structures ont dû faire face à une importante surcharge de travail dans le contexte de la crise sanitaire puis du plan France Relance. Or, tout laisse à penser que la mise en oeuvre du PIA 4 sera également très chronophage pour ces opérateurs ; une certaine vigilance s'impose donc à mon sens.

Ma deuxième remarque nous concerne très directement, puisqu'il s'agit de nos capacités de suivi et de contrôle s'agissant des PIA. Depuis le lancement des investissements d'avenir, nous rencontrons de grandes difficultés à retracer précisément l'emploi des fonds que nous votons annuellement, eu égard notamment aux modalités de budgétisation dérogatoire dont bénéficient ces programmes.

Le lancement d'un quatrième programme, alors même que le troisième programme n'est pas achevé, se traduit par un déficit de lisibilité encore plus prégnant : le chevauchement des programmes donne lieu à des investissements croisés, certaines structures sont financées par les deux programmes... Tout cela est d'une complexité inouïe, ce qui rend notre tâche particulièrement ardue.

La Cour des comptes, qui a récemment publié un référé sur la mise en oeuvre des programmes d'investissement d'avenir, abonde dans ce sens et souligne en particulier le déficit d'évaluation. Je cite la Cour des comptes : « La principale faiblesse relevée tient au caractère tardif et encore limité de la démarche d'évaluation des actions financées par le PIA, alors même qu'elle était au coeur de ce qui devait faire l'originalité et la valeur ajoutée du PIA (...) Plus de 10 ans après le lancement du programme, l'évaluation reste partielle et inégale selon les actions et les opérateurs. ».

Alors que le lancement d'un quatrième programme d'investissements d'avenir semble augurer d'une pérennisation de ces outils qui devaient initialement demeurer exceptionnels, il est impératif que la représentation nationale dispose d'éléments d'appréciation plus étayés quant à l'impact réel des investissements consentis.

J'en viens à mon dernier point, à savoir l'articulation entre les PIA et les plans d'investissements pluriannuels qui tendent à se multiplier dernièrement : grand plan d'investissement, plan de relance, plan européen et maintenant plan France 2030.

Cette inflation de plans d'investissements me semble peu compatible avec la définition, dans le cadre des PIA, d'une stratégie globale et unique d'investissement de l'État. Les annonces très récentes relatives au lancement de France 2030 sont à cet égard particulièrement emblématiques : les thématiques annoncées comme faisant partie du plan France 2030 sont déjà largement couvertes par les stratégies d'accélération du PIA 4, à l'exception des fonds marins et de l'espace. Ces deux plans ne risquent-ils pas de se révéler redondants ? Ou alors est-ce qu'une partie des crédits du PIA 4 va être redéployée en faveur de France 2030 ?

Le Gouvernement évoque par ailleurs la mise en place d'une nouvelle gouvernance, mais sans préciser laquelle. Est-ce à dire que les crédits seront tous portés par la mission « Investissements d'avenir », mais gérés différemment que ceux des PIA 3 et 4 ?

Je regrette vivement que toutes ces questions demeurent sans réponse, alors même que nous devons nous prononcer sur l'adoption des crédits de la mission. Je le déplore d'autant plus que la méthode retenue me semble très contestable ; depuis plusieurs jours, on nous annonce qu'un montant de l'ordre de 2,3 milliards d'euros de crédits de paiement, ainsi que 30 milliards d'euros d'autorisations d'engagement, pourrait être ouvert, par voie d'amendement, sur la mission « Investissements d'avenir ». Mais à ce jour, cet amendement n'a toujours pas été déposé !

Dans ce contexte, je vous propose de réserver le vote sur les crédits de la mission « Investissements d'avenir ».

Mme Christine Lavarde, président. - Je ne peux qu'abonder dans votre sens. Un des opérateurs du PIA m'alertait sur les moyens humains pour gérer ces plans. Les opérateurs ont beaucoup recours aux intérimaires pour contourner le plafond d'emploi, mais cela coûte plus cher in fine.

M. Jean-François Husson, rapporteur général. - Les différents plans d'investissement s'enchevêtrent : PIA, plan de relance, France 2030, etc. Cela manque de lisibilité ! Comme vous l'avez souligné, nous avons beaucoup de difficultés à avoir une vision d'ensemble. Seriez-vous en mesure de nous dire combien de millions d'euros ont été décaissés au titre des PIA depuis leur lancement, et ce que cette somme représente sur le total des montants engagés ?

Vous avez dit qu'il était vraisemblable que la mission « Investissements d'avenir » accueille les crédits du plan France 2030. Avez-vous une idée de la manière dont ces crédits pourraient s'articuler entre eux ?

Enfin, je veux aussi vous interroger sur la territorialisation des PIA : l'enveloppe régionalisée se développe, mais reste faible. Quelle est la répartition des investissements d'avenir sur le territoire ? Toutes les régions en bénéficient-elles ? Sont-elles associées à la définition de cette politique ? Le succès du PIA dépend aussi de leur participation.  

M. Bernard Delcros. - L'évaluation est insuffisante. Dispose-t-on malgré tout d'éléments d'évaluation des différents plans ? Avez-vous aussi des données sur la déclinaison territoriale des différents plans ? Ne serait-il pas préférable de procéder à une évaluation d'ensemble avant d'engager un nouveau plan d'investissement ?

M. Michel Canévet. - Je partage l'analyse de notre rapporteur. Je ne suis pas opposé au principe des investissements d'avenir - il est judicieux de vouloir préparer l'avenir -, mais la multiplication des dispositifs et des annonces ne peut que nous conduire à nous interroger. Les plans s'avèrent lourds à gérer. Cette tendance à vouloir tout gérer de manière administrative, en multipliant les instances et les comités de toute nature est révélatrice d'un travers français bien connu, qui aboutit à rigidifier les choses. Il est important que les régions soient davantage associées au déploiement des PIA. Cela renforcerait l'efficacité et la cohérence de ces politiques.

Mme Sylvie Vermeillet. - Notre pays a-t-il la capacité d'absorber ces milliards d'investissements à l'heure où une pression inflationniste se fait jour, où l'on manque parfois de main d'oeuvre et où les matières premières deviennent rares ? Le PIA 3 et le plan de relance ne sont pas terminés qu'on lance déjà le PIA 4. Cet argent sera-t-il vraiment utilisé ?

M. Jean-François Rapin. - Je suis rapporteur spécial des crédits « Recherche » de la mission « Recherche et enseignement supérieur». Les PIA fonctionnent comme un tiroir-caisse pour les programmes de recherche et on pioche dedans au fil des demandes. Le PIA 4 permettra-t-il, selon vous, de mobiliser efficacement notre recherche dans le cadre des stratégies d'accélération sur le développement durable, l'énergie, la lutte contre le réchauffement climatique, etc. ?

M. Christian Bilhac. - Notre rapporteur a rendu clair ce qui ne l'est guère. Les plans se multiplient, avec une lourdeur bien française dans la gestion... Que de temps perdu dans la mise en oeuvre ! Les régions devraient être mieux associées, car elles sont plus réactives et plus proches des territoires ; elles portent des plans d'investissements ambitieux, comme pour l'hydrogène en Occitanie.

M. Stéphane Sautarel. - Les industriels sont-ils associés à la définition des projets du PIA ? Dans l'automobile, ils ne paraissent pas avoir été consultés. Les régions semblent aussi peu associées. Comment retrouver la confiance des territoires et des industriels ?

M. Jean-Marie Mizzon. - Comme vous l'avez rappelé, les règles de gestion des PIA sont dérogatoires au droit commun. En effet, les fonds sont directement versés aux opérateurs sans transiter par le budget des ministères ; les décisions sont prises par le Premier ministre, si bien que les ministres ou les directeurs d'administration ne sont pas les ordonnateurs des crédits ; et la mission ne fait pas l'objet d'une lettre de cadrage dans le cadre du projet de loi de finances. Comment se justifient ces dérogations ?

M. Emmanuel Capus. - Beaucoup d'investissements d'avenir concernent la transition écologique. La Commission européenne réfléchit en ce moment à la taxonomie verte. Cette réflexion a-t-elle été intégrée dans la définition des PIA ?

M. Thierry Meignen, rapporteur spécial. - Pour répondre à votre question, Monsieur le rapporteur général, sur l'enveloppe totale de 73,5 milliards d'euros pour les PIA 1, 2, 3 et 4, seuls 29 milliards d'euros ont d'ores et déjà été décaissés en faveur des bénéficiaires finaux.

En ce qui concerne l'articulation entre les PIA et France 2030, les PIA sont destinés à financer l'innovation. Encore faut-il parvenir à donner un caractère concret à ces découvertes. France 2030 devrait servir à créer, en aval, les conditions de l'industrialisation des innovations réalisées dans l'hydrogène, la robotique, le spatial, etc. L'enjeu est de remettre à niveau notre tissu industriel, de financer la construction de nouvelles usines et chaînes de production.

Monsieur Delcros, selon la Cour des comptes, les PIA ont eu un impact réel sur la mobilisation des écosystèmes de recherche et d'innovation ou sur la structuration d'organisations jusque-là dispersées. Cela a permis de rapprocher la France des standards internationaux, comme en matière de recrutement de postdoctorants ou de publications scientifiques, etc. Mais la Cour relève aussi des difficultés structurelles, comme l'insuffisante insertion professionnelle des chercheurs, ou les limites rencontrées en matière de transformation des innovations en solutions viables économiquement.

Vous avez été nombreux à soulever la question de l'articulation avec les régions. Dans le cadre du lancement du PIA 4, le secrétariat général pour l'investissement (SGPI) s'est efforcé d'associer davantage les régions. Un accord de méthode a ainsi été signé le 13 janvier 2021 entre le Premier ministre et le président de Régions de France pour co-construire le volet régionalisé du PIA 4 ; dans ce cadre, les décisions seront prises par un comité de pilotage local associant le préfet de région et le président de la région. L'élaboration des stratégies d'accélération a été précédée d'une large consultation avec les régions pour identifier les points de convergence avec les schémas régionaux. Le SGPI a aussi entamé une coopération avec l'Assemblée des départements de France (ADF), l'Association des maires de France et des présidents d'intercommunalité, France urbaine et l'association des maires Villes et banlieues de France pour définir la stratégie « Ville durable et bâtiments innovants ». Ces partenariats ont vocation à démultiplier les canaux de diffusion de l'information relative aux PIA, tout en diversifiant les sources de détection des projets susceptibles de bénéficier d'un financement dans ce cadre. Le SGPI s'attache aussi à renforcer ses liens avec les services déconcentrés de l'État, afin de mieux accompagner les projets et d'encourager les partenariats avec les collectivités territoriales. Il est cependant encore trop tôt pour dresser un bilan de ces initiatives ; j'espère qu'elles se traduiront par une territorialisation accrue des PIA dans les années à venir.

Madame Vermeillet, la capacité d'engagement des crédits dépend des opérateurs. Ces derniers font face à une surcharge de travail en raison de la succession des plans. Cette situation constitue bien une source de difficulté pour absorber tous ces crédits d'investissement.

Monsieur Rapin, pour répondre précisément à votre question, voici les stratégies d'accélération qui ont été officiellement annoncées à ce jour : « technologies quantiques », « cybersécurité », « hydrogène décarboné », « enseignement et numérique », « ville durable et bâtiments innovants », « biothérapies et bioproduction de thérapies innovantes », « maladies infectieuses émergentes », « santé numérique », « 5G et futures technologies de télécommunication » et « recyclage et réincorporation de matériaux recyclés ».

Monsieur Sautarel, sur la gouvernance, le SGPI nous a cité l'exemple du conseil stratégique des industries de santé : le comité de suivi comprend des experts, des représentants de start-up ou de grands laboratoires pharmaceutiques, des responsables d'hôpitaux, etc. L'idée est donc à l'avenir d'associer étroitement les parties prenantes - c'est-à-dire les chercheurs, les industriels, les collectivités territoriales - à la mise en oeuvre des investissements d'avenir.

Monsieur Mizzon, le caractère dérogatoire des règles budgétaires applicables aux PIA a vocation à inscrire ces investissements dans un cadre pluriannuel. Il s'agit in fine de sanctuariser les dépenses d'innovation, tout en offrant aux bénéficiaires des programmes une plus grande visibilité sur les moyens qui leurs seront alloués. Enfin, monsieur Capus, les réflexions de la Commission européenne sur la taxonomie verte ne sont pas, pour l'instant, prises en compte dans le PIA 4, mais elles le seront certainement à l'avenir.

Étant donné que nous ne disposons pas actuellement de l'ensemble des éléments relatifs à la budgétisation de la mission « Investissements d'avenir » pour 2022, je vous propose de réserver notre vote.

La commission décide de réserver son vote sur les crédits de la mission « Investissements d'avenir ».

Projet de loi de finances pour 2022 - Missions « Plan de relance » et « Plan d'urgence face à la crise sanitaire » - Examen du rapport spécial

Mme Christine Lavarde, président. - Nous en venons maintenant aux missions « Plan de relance » et « Plan d'urgence face à la crise sanitaire ».

M. Jean-François Husson, rapporteur spécial. - Pour mémoire, ces deux missions ont été créées en 2020, en réaction à la crise sanitaire et pour répondre aux conséquences des contraintes imposées à l'ensemble des secteurs économiques.

Je commencerai par la mission « Plan de relance ». Elle a été créée par la loi de finances initiale pour 2021 avec 36,2 milliards d'euros d'autorisations d'engagement, soit plus du tiers du plan de relance de 100 milliards d'euros. Les mesures ont été regroupées dans trois grands programmes : le programme 362 « Écologie », le programme 363 « Compétitivité » et le programme 364 « Cohésion », afin de faciliter les réallocations de crédits, au risque de créer des programmes dont l'unité est peu perceptible.

L'objectif du Gouvernement était d'engager la totalité de cette somme dès 2021 et de la consommer progressivement, d'abord pour 21,8 milliards d'euros cette même année, puis les années suivantes. Les dépenses devaient servir à la relance de l'économie et présenter un caractère provisoire. Nous allons voir dans quelle mesure cela s'est confirmé, tout en présentant les montants ouverts cette année sur la mission.

En premier lieu, les crédits réellement gérés sur la mission « Plan de relance » en 2021 sont d'ores et déjà assez différents de ceux votés en loi de finances initiale.

Plusieurs dispositifs avaient été lancés dès 2020 sur des missions des ministères, comme le programme de soutien aux secteurs de l'aéronautique et de l'automobile, ou encore les mesures en faveur de l'emploi et de la formation. Les crédits non consommés, à savoir 3,1 milliards d'euros en autorisations d'engagement et 0,3 milliard d'euros en crédits de paiement en 2020, ont été reportés sur la mission « Plan de relance » à laquelle ces programmes avaient été finalement rattachés par la LFI pour 2021.

Par ailleurs et en sens inverse, une cinquantaine de dispositifs présentés dans le cadre de la mission « Plan de relance » ont vu leurs crédits transférés, début 2021, vers une dizaine de missions du budget général, afin de faciliter leur mise en oeuvre, pour un montant de 3,4 milliards d'euros en autorisations d'engagement et de 1,6 milliard d'euros en crédits de paiement.

À titre d'exemple, certaines mesures relatives à l'apprentissage et à l'emploi, lancées en 2020 sur la mission « Travail et emploi », ont vu leurs crédits non consommés reportés en 2021 sur la mission « Plan de relance », tout en revenant par la voie des transferts sur la mission « Travail et emploi ». Ces circuits de financement complexes réduisent singulièrement la lisibilité des actions menées.

Quel premier bilan tirer de cette mission s'agissant des actions menées ? Un an après, comme vous le verrez dans mon rapport, de nombreuses actions ont été lancées, notamment à travers des appels d'offres dont certains sont achevés et d'autres sont toujours en cours.

Certains dispositifs ont rencontré un succès incontestable : par exemple MaPrimeRénov', pour la rénovation énergétique des logements privés, qui demeure bien ciblée sur les ménages modestes, même s'il reste difficile d'en mesurer l'effet en termes d'amélioration de la performance énergétique des logements. De même le fonds « friches », qui soutient des projets locaux de réhabilitation, a consommé en une fois l'ensemble des crédits prévus pour deux ans.

D'autres actions ont consommé peu de crédits. C'est d'abord le cas des nouveaux régimes d'activité partielle de droit commun et de longue durée, prévu par le programme 364. Je vous rappelle que les crédits prévus pour cette action, 4,2 milliards d'euros, ont été utilisés en début d'année pour réalimenter le dispositif de chômage partiel d'urgence, car la mission « Plan d'urgence » manquait de crédits. Nous avions critiqué cette pratique peu conforme à l'autorisation budgétaire, qui avait conduit à recharger les crédits du programme 364 par la loi de finances rectificative du 19 juillet. Il apparaît à présent que ce régime d'activité partielle relevant du plan de relance a été très peu utilisé.

D'autres actions peinent également à se concrétiser : la consommation des crédits est très en retard sur les prévisions, par exemple, pour la rénovation énergétique des bâtiments publics, pour le volet agricole du plan de relance, pour le secteur de la culture.

D'une manière générale, la rapidité de mise en oeuvre des actions, telle qu'on peut la mesurer par le taux de consommation des crédits, n'est pas aussi élevée que le laisse entendre la communication gouvernementale. Il ressort des indicateurs de performance que le Gouvernement lui-même prévoit désormais que 20 % des autorisations d'engagement et plus de 30 % des crédits de paiement ne devraient pas être consommés à la fin de l'année.

Sur le fond, la critique que je formulais il y a un an demeure valable : un grand nombre d'actions soutenues dans le cadre de la mission « Plan de relance » n'ont pas le caractère de dépenses temporaires et auront de fait un impact sur les dépenses courantes des années à venir. Par ailleurs, leur effet sur la relance de l'économie est souvent douteux.

La rénovation thermique, par exemple, est une politique nécessaire, mais il ne s'agit pas d'une action provisoire. Le soutien budgétaire de l'État demeurera durablement nécessaire : en témoigne le transfert du financement de MaPrimeRénov' au programme 174 de la mission « Écologie, mobilité et développement durables » dès l'année 2022. D'autres programmes inscrits au plan de relance vont également faire l'objet d'une pérennisation, à l'instar de celle du fonds « friches » qui a déjà été annoncée par le Président de la République. Le succès même de ces dispositifs pousse à leur prolongation, car ils correspondent à des besoins durables et déjà identifiés avant la crise.

En outre, il me paraît difficile de qualifier de « mesures de relance » celles qui, nombreuses et certes nécessaires, soutiennent en fait certains secteurs ou catégories de travailleurs en période d'urgence. C'est le cas des mesures en faveur du secteur de la culture ou des mesures importantes en faveur de l'emploi et de la formation.

Je rappelle également que le plan de relance finance divers programmes d'achat de fourniture ou d'entretien de bâtiments relevant des ministères, notamment de l'intérieur et de l'éducation nationale. Ces dépenses ne sont ni de relance, ni provisoires.

Au total, la mission « Plan de relance », extrêmement hétérogène, soutient indéniablement des dispositifs ayant un véritable impact économique, par exemple pour le développement industriel. Pour autant, dans bien des cas, on a le sentiment que le Gouvernement a réuni des dépenses de toutes natures sous ce label afin de parvenir à formaliser une enveloppe totale de 100 milliards d'euros pour le plan de relance.

En 2022, les autorisations d'engagement nouvelles prévues sur la mission « Plan de relance » sont de 1,2 milliard d'euros. Elles concernent une demi-douzaine d'actions, notamment les dépenses immobilières et numériques du ministère de l'intérieur (407 millions d'euros), les moyens de formation (237 millions d'euros) et une dotation à Pôle emploi (175 millions d'euros). L'effet de ces dépenses en termes de relance de l'économie est toujours aussi incertain, mais les montants sont réduits par rapport à la taille totale de la mission.

En crédits de paiement, les ouvertures de crédits se situent à un niveau beaucoup plus important avec 12,9 milliards d'euros en 2022, afin essentiellement de couvrir les engagements pris en 2021. On peut toutefois prévoir que les crédits réellement consommés en 2022 seront nettement plus élevés que ces montants : les sous-consommations de 2021 conduiront probablement à des reports d'autorisations d'engagement et de crédits de paiement.

Compte tenu de ces éléments, il apparaît que la mission « Plan de relance » a globalement pu « distribuer les milliards » qui ont permis de soutenir certains secteurs particulièrement touchés par la crise - culture, automobile - et de mettre en oeuvre certaines politiques d'envergure : verdissement des véhicules, rénovation thermique des bâtiments, etc. Comme l'an dernier, on peut critiquer l'inventaire à la Prévert de cette mission et constater qu'elle s'apparente à un « budget de rattrapage ». Se confirment également nos craintes d'une mise en oeuvre plus lente qu'annoncée compte tenu d'objectifs initialement inatteignables, ainsi que la complexité de gestion des crédits avec une mission hétérogène touchant à des politiques publiques par ailleurs menées dans d'autres missions.

Compte tenu principalement du fait que, d'une part, de nombreux mouvements de crédits sont annoncés sur la mission dans le cadre du projet de loi de finances rectificative sans que je dispose d'informations concrètes, et que, d'autre part, il n'est pas à exclure que l'examen à l'Assemblée nationale ne conduise à des évolutions, je vous proposerai de réserver notre vote sur cette mission.

S'agissant de la mission « Plan d'urgence face à la crise sanitaire », je vous indiquais l'an dernier que le projet de loi de finances ne prévoyait aucune ouverture de crédits, les dispositifs d'urgence devant trouver une fin prochaine. On sait ce qu'il en est advenu : la reprise de l'épidémie à l'automne 2020, puis au printemps 2021, a conduit à alimenter cette mission par tous les moyens imaginables : ouverture de crédits de 6 milliards d'euros en nouvelle lecture du projet de loi de finances pour 2021, reports de crédits croisés pour 28,8 milliards d'euros par arrêté entre janvier et mars 2021, décret d'avance réallouant 7,2 milliards d'euros au fonds de solidarité et au financement du chômage partiel le 19 mai et enfin loi de finances rectificative du 19 juillet à hauteur de 9,8 milliards d'euros.

La mission a été dotée de 44,3 milliards d'euros au total en 2021. Le Gouvernement annonce une sous-consommation en fin d'année de 7,8 milliards d'euros.

En 2022, seule une ouverture de crédits de 200 millions d'euros est demandée pour l'achat de matériels sanitaires. Les autres dispositifs sont en effet en extinction, et des reports de crédits non consommés devraient suffire à régler des reliquats de dépenses.

Compte tenu de ces éléments, je vous proposerai un avis favorable sur les crédits de cette mission, en espérant que nous n'aurons pas besoin de la réalimenter en cours d'année.

Mme Christine Lavarde, président. - Dans son rapport sur le plan France Relance, Benoît Coeuré fait les mêmes constats que vous, notamment sur l'évaluation. Le Gouvernement a-t-il défini en amont les moyens permettant de parvenir à une évaluation ? Pour évaluer, il faut en effet collecter des données avant, pendant et après l'exécution de la politique.

M. Roger Karoutchi. - Je ne peux que constater que l'on nous vend plusieurs fois les mêmes crédits ! Les crédits sont ouverts, transférés, gelés puis dégelés, etc. Ils figurent tantôt dans les programmes d'investissement d'avenir (PIA), tantôt dans le plan de relance, etc. Il faut que les opérations de communication cessent ! Pour parvenir à 100 milliards d'euros, le Gouvernement a repris des crédits qui avaient déjà été votés par ailleurs. En quoi l'hébergement d'urgence en Île-de-France relève-t-il du plan de relance ? Dans le secteur culturel, beaucoup de crédits du plan de relance proviennent en fait d'autres politiques, et on en arrive à labelliser « relance » des actions comme la climatisation des salles de théâtre !

En ce qui concerne la mission « Plan d'urgence face à la crise sanitaire », notre mission commune d'information sur l'évaluation des mesures en matière de confinement a étudié la situation de l'outre-mer : en réalité, beaucoup des crédits annoncés sont des crédits qui ont été transférés, reportés, gelés, puis dégelés, etc. On a le sentiment que l'on joue à la roulette avec les crédits. Ils ont été inscrits dans un programme, en sont sortis, puis sont repris dans un autre. Finalement, les acteurs attendent toujours les fonds ! Il est temps de cesser l'affichage et la communication.

M. Patrice Joly. - En effet, on ne peut pas faire le reproche au Gouvernement de ne pas savoir communiquer ! On a l'impression qu'il se livre à un jeu de bonneteau permanent avec les crédits budgétaires. Mais nul n'est dupe.

Sur les 100 milliards d'euros du plan de relance, 10 milliards d'euros sont consacrés aux collectivités territoriales ; le Gouvernement nous a dit en juin que la moitié des sommes avait été engagée ; mais on a l'impression que le compte n'y est pas toujours et que le taux d'exécution est inférieur. Les collectivités modestes n'ont pas toujours été en mesure de monter plusieurs projets faute de disposer d'une ingénierie suffisante. Les difficultés d'accès au dispositif MaPrimRénov' ont-elles été résolues ? Le fonds « friches » a suscité des déceptions, car il est modestement doté, alors que les besoins sont importants.

M. Vincent Segouin. - Dispose-t-on d'indicateurs de performance qui nous permettent de suivre ce que rapporte un euro investi au moyen d'un endettement accru ? La balance commerciale est tellement déficitaire qu'il doit être assez facile de savoir si cette stratégie est efficace ou non...

Nous avons auditionné hier le ministère de l'agriculture sur le plan de relance : il faut savoir que les indicateurs de compétitivité portent sur le bien-être animal, mais absolument pas sur l'investissement dans la transformation, qui manque terriblement en ce moment. Je peine à croire que les investissements soient pérennes.

M. Michel Canévet. - Le plan de relance comporte un certain nombre de lignes relatives au bâtiment. On le sait, quand le bâtiment va, tout va...

On peut se réjouir que MaPrimeRénov' fonctionne assez bien. On voit aussi que la réhabilitation des friches a obtenu un grand succès ; cela répondait à une forte attente des collectivités territoriales.

En revanche, la rénovation des bâtiments publics connaît un retard. Celui-ci est-il dû à des procédures administratives trop lourdes ou à la situation du marché de l'habitat - en l'occurrence le carnet de travail surchargé des entreprises ?

M. Rémi Féraud. - On ne peut être contre le plan d'urgence, mais les manques que nous dénonçons depuis des années, notamment le manque de mesures d'urgence en faveur de la jeunesse, n'ont jamais été comblés.

Ne restent cette année que des crédits nouveaux pour l'achat de matériels sanitaires, sans que l'on ait de garanties sur l'usage de ces crédits si ces matériels n'étaient pas immédiatement indispensables. S'agit-il de reconstituer un stock stratégique de masques ? On sait à quel point celui-ci a dramatiquement manqué au début de la crise sanitaire...

Concernant le plan de relance, il a été dit que le montant de 100 milliards d'euros était tellement exagéré qu'il relevait surtout de la communication. Des questions restent en suspens dans votre présentation, monsieur le rapporteur spécial : vous affirmez que le Gouvernement pourrait choisir de reporter à 2022, plutôt que d'annuler, une partie des crédits non consommés en 2021. Nous ne disposons pas de plus d'information. Le Gouvernement a-t-il avancé dans sa réflexion ?

Pensez-vous que l'on puisse espérer une meilleure efficacité en 2022 en matière d'écologie ? Le nombre de passoires thermiques a très faiblement baissé en 2021. Y aura-t-il véritablement une accélération de leur résorption en 2022 ?

Enfin, vous n'évoquez pas la place des territoires comme acteurs de l'élaboration du plan de relance des collectivités locales. Ce dernier me paraît hypercentralisé. Les territoires sont informés, mais pas associés à la définition du plan de relance. Cela n'explique-t-il pas la faiblesse du montant de ce dernier ?

M. Hervé Maurey. - Je ne suis pas très surpris du taux, très élevé, de crédits non consommés : le rapport spécial sur le budget consacré aux mobilités que j'ai rédigé l'année dernière avec Stéphane Sautarel a montré que certains investissements prévus dans le plan de relance n'étaient pas mûrs. Je pense notamment à un projet de navire, dont la conception n'avait même pas débuté. Quelle autre raison à cela, si ce n'est d'afficher des projets ? Je rappelle que, lors du plan de relance de 2008, on avait veillé à retenir des projets qui étaient prêts, pour que la relance soit immédiatement effective.

J'abonde dans le sens de Roger Karoutchi : certains crédits ne sont pas spécifiquement destinés à la relance et auraient dû figurer dans le budget des missions de droit commun. Je puis dire, là aussi en ma qualité de rapporteur spécial, que des crédits ont permis, en 2021, de tenir des engagements pris dans le cadre de la loi d'orientation des mobilités.

Enfin, le montant de 100 milliards d'euros résulte de toute évidence d'un chiffrage marketing. Avez-vous une idée du vrai coût du plan de relance ?

M. Jean-François Husson, rapporteur spécial. - Pour ce qui concerne l'évaluation du plan de relance, je prends l'exemple, dans le rapport, de MaPrimeRénov : le dispositif touche bien le public visé, mais la performance énergétique des travaux menés - importants en monnaie sonnante et trébuchante - n'est pas du tout suivie. En revanche, des objectifs de performance énergétique concernant les bâtiments publics sont intégrés. 86 % des travaux financés par MaPrimeRénov' sont des travaux monogestes. La rénovation globale concerne 0,1 % des travaux soutenus. Sur 1 235 dossiers, dont la moitié - 621 exactement - sont engagés ; en gros, il y en a six par département. Il n'y a pas aujourd'hui de suivi de l'efficacité de la dépense publique. On injecte des milliards d'euros sans en étudier l'efficacité sur la résorption des passoires thermiques.

Je rappelle que l'objectif du Gouvernement est de faire sortir, en 2021, 81 000 logements du statut de passoires thermiques, sur un total de 4,8 millions. Or, d'après la prévision actualisée, on devrait arriver à 2 500 logements... Autrement dit, de nombreux dossiers passent « entre les mailles du filet » et sortent du statut de « passoire thermique » sans que l'information soit disponible dans les dossiers des demandeurs.  

Monsieur Karoutchi, il faudra revenir en loi de règlement sur la mission « Plan d'urgence », à la lumière notamment des travaux de la mission d'information du Sénat relative au covid. Je souscris à votre constat d'un recyclage de crédits à des fins de communication dans le plan de relance, de difficultés de bonne lisibilité et d'appréciation de l'efficacité de l'action gouvernementale et d'une confusion des genres et des budgets. Le Gouvernement fait de l'esbroufe face à l'opinion...

Monsieur Joly, je pense comme vous que l'on a aujourd'hui une connaissance très imparfaite des conséquences territoriales du plan de relance. D'abord, en tant que commissaires, nous sommes tous parfaitement légitimes pour interroger l'État en département ou en région sur les dispositifs d'accompagnement de France Relance et leurs résultats, notamment sur les acteurs économiques. Il me paraît important de regarder aussi dans chacune des missions, des secteurs d'activité, les sommes investies et les effets économiques, notamment sur l'emploi. A priori, sous réserve de vérification, les soutiens sont intervenus vite et à hauteur significative pour les entreprises.

Monsieur Segouin, les indicateurs ne permettent pas toujours de mesurer la performance et l'efficacité de la dépense publique, qui viennent en soutien dans le cadre d'un plan de relance et d'accompagnement. Cela doit nous interroger.

Monsieur Canévet, les retards en matière de rénovation publique sont principalement dus à la lourdeur des procédures. Un peu plus de 4 000 dossiers de rénovation publique ont été identifiés par les services de l'État. On sait le temps qu'il faut pour lancer les démarches... J'espère que le retard ne sera pas accentué du fait du renchérissement et, parfois, des carences de matériaux. Les flambées des prix nécessitent des réajustements, raison pour laquelle les collectivités publiques ont appelé les entreprises à tenir les enveloppes dans la mesure du possible et l'État à être à la fois diligent et compréhensif.

Monsieur Féraud, je pense qu'il y a effectivement besoin d'améliorer les solutions pour l'accès à l'emploi des jeunes, et qu'il y a plus globalement un sujet de formation et de qualification professionnelle ainsi que d'adéquation entre la situation de l'emploi et les solutions d'emploi disponibles aujourd'hui.

Les 200 millions d'euros du plan d'urgence en 2022 concernent notamment les matériels de protection pour les personnels et la reconstitution du stock. Il est nécessaire de se doter d'un plan stratégique et de réfléchir à sa mise en oeuvre pour ne pas être de nouveau pris de court.

Sur le volet écologique, on peut penser que le Gouvernement s'y prend beaucoup mieux pour les bâtiments publics et que l'on devrait avoir une meilleure efficacité de la dépense publique, avec un meilleur suivi des investissements. Je reste néanmoins vigilant, l'étiquetage énergétique dont les bâtiments publics doivent normalement faire l'objet n'étant plus réalisé depuis un certain temps.

Vous avez stigmatisé une forme de verticalité de la décision. Depuis le début, le Sénat, par la voix de ses rapporteurs, mais également par la vôtre, dénonce cette imperfection et ce dialogue inabouti. Le Gouvernement délivre ses choix, avant de demander aux territoires de participer au financement. Je pense que ce n'est pas la meilleure manière de travailler avec les collectivités locales.

M. Bernard Delcros. - Je ne suis pas surpris des retards pris par les investissements dans les bâtiments publics. Ces retards sont souvent liés aux notifications des subventions attachées au plan de relance sur les rénovations énergétiques. Ils sont aussi liés au fait que les dossiers sont examinés à l'échelle départementale, alors que c'est le préfet de région qui est responsable de l'attribution. Je pense que l'on pourrait peut-être simplifier les choses. Les délais tiennent également aux difficultés, liées aux questions de personnel et d'approvisionnement, que peuvent avoir les entreprises à répondre aux marchés publics. Les procédures sont un peu longues.

Il est important que l'on puisse mesurer l'impact du plan de relance sur les territoires. Au-delà des éléments d'information que nous pouvons recueillir, nous devons avoir une vision globale, à l'échelle nationale, de cet impact dans l'ensemble des secteurs concernés. Notre commission doit continuer à travailler sur ce sujet.

Mme Sophie Taillé-Polian. - Un certain nombre de crédits sont insuffisants au regard des dossiers déposés et de l'importance des projets à mener. Certes, les enveloppes de la dotation de soutien à l'investissement local (DSIL) ont été augmentées, mais de nombreuses collectivités n'ont pu conduire que peu de projets, voire pas du tout. Les collectivités sont à la peine aujourd'hui pour lancer des chantiers vraiment importants de rénovation énergétique des bâtiments publics. Les plans d'investissement sont en cours de finalisation ; ils peuvent encore être ajustés, mais les choses seront bientôt lancées et les investissements seront peut-être en deçà des besoins parce qu'il n'y aura pas eu d'aide de l'État, alors même que les travaux à réaliser sont absolument indispensables - je pense également aux travaux d'accessibilité. Il faudra peut-être déconcentrer très largement des crédits concernant les bâtiments publics.

Des chiffres assez alarmants viennent de sortir sur la situation du secteur de la culture, faisant notamment état d'un problème de fréquentation. Les crédits culture non consommés doivent-ils être reportés ? La ministre devrait peut-être s'interroger sur la nature des dépenses et les réorienter.

Enfin, le plan d'urgence ne serait-il pas le bon endroit pour inscrire le chèque « indemnité classes moyennes », qui nous est présenté comme une aide ponctuelle ? Les montants seraient loin des 200 millions d'euros prévus...

M. Vincent Capo-Canellas. - Dans nos départements, un certain nombre de projets concernant des bâtiments publics, qui avaient jusque-là été recalés, ont réussi à passer. C'est plutôt la relance de la filière du bâtiment qui a été recherchée. Ces financements que l'on a trouvés tout à coup montrent bien qu'il y a eu des effets d'opportunité. Ils auraient peut-être pu tout simplement relever des missions habituelles du projet de loi de finances.

Le rapporteur spécial a évoqué la filière aéronautique et la complexité de son financement. Pour ma part, j'ai relevé que des crédits de recherche et développement pour l'avion vert figuraient dans le plan de relance, mais que leur gestion était déléguée au Conseil pour la recherche aéronautique civile (CORAC), qui réunit les acteurs de la filière et les pouvoirs publics. D'autres mesures figurent dans le plan d'urgence, avec la création d'un fonds. D'autres encore relèvent de Bpifrance, notamment des mesures de soutien à l'export. J'ai trouvé aussi un fonds d'accompagnement public à la diversification, à la modernisation et à la transformation environnementale, doté de 300 millions d'euros. Visiblement, un soutien aux efforts de recherche et développement pour l'avion vert serait financé par ailleurs...

Nous allons essayer de faire un effort de synthèse sur les actions qui ont été menées dans chaque secteur, mais le financement de l'aéronautique montre toute la difficulté de l'exercice qui est le nôtre : nous ne parvenons plus à reconstituer l'action de l'État en faveur d'un secteur particulier. Nous devons, chaque fois, mener un travail d'archéologie. Peut-être faudrait-il demander au Gouvernement de nous présenter des données agrégées par secteur.

M. Emmanuel Capus. - J'ai bien entendu les remarques du rapporteur spécial sur le caractère extrêmement divers des mesures incluses dans le plan de relance et sur le fait qu'y figurent des mesures pérennes. Je partage ces remarques de bonne gestion comptable.

Quel est l'impact des politiques publiques sur la relance ? La croissance s'élève à 6 %. À quoi cette reprise est-elle due ? L'action qui a été menée durant la crise a-t-elle ou non eu un impact ? Avouons que nous ne nous attendions pas forcément à une reprise aussi forte...

Derrière le scepticisme affiché par certains, il faudrait peut-être des indicateurs permettant de connaître l'impact des politiques publiques de financement qui ont été menées et de savoir dans quelle mesure elles sont responsables de la croissance, relativement satisfaisante, que nous connaissons.

Les fonds européens vont bientôt être débloqués. Nos voisins européens ont-ils fait mieux ou moins bien que vous ? La comparaison permettrait peut-être de relativiser certains de nos commentaires.

M. Arnaud Bazin. - Je reprends l'exemple de Roger Karoutchi sur l'installation d'une climatisation dans un théâtre : si l'installation va bénéficier à l'économie française, il n'y a guère de doute sur le fait que le matériel va être importé du Japon, de la Chine ou encore d'Allemagne.

Avons-nous les moyens de tracer la répartition du bénéfice de l'argent mobilisé entre l'économie française et celle des pays étrangers ?

M. Jean-François Husson, rapporteur spécial. - Vous êtes nombreux à avoir souligné la question du mélange des genres, entre plan d'urgence, plan de relance, programme d'investissements d'avenir, plan France 2030...

La mission « Plan de relance » révèle une forme d'habillage de crédits de droit commun dont on ne disposait pas hier pour les missions classiques. Sous couvert de la crise sanitaire, on déverse sur le sable une pluie des milliards.

Sur la question de l'évaluation du plan de relance, avec le président Claude Raynal et Sylvie Vermeillet, nous participons au comité Coeuré, au travers duquel nous exerçons notre capacité critique, mais nous n'en sommes qu'au début. Nous aurons besoin d'être très offensifs et de suivre attentivement les évaluations à venir.

Monsieur Delcros, je crois évidemment qu'il revient à la commission des finances de regarder comment on peut conduire un travail collectif approfondi sur le sujet de l'expertise territoriale. Les équations financières sont hors norme et inhabituelles. Il faut éviter une politique qui privilégierait trop la communication pour saturer l'espace public et qui se révélerait décevante en termes d'efficacité de la dépense publique. On sait que l'État n'est pas aussi riche que ses différentes annonces le laissent paraître. Bien évidemment, il faut que cet effort ait des effets sur l'économie de manière générale et que ces derniers soient durables.

Madame Taillé-Polian, ce n'est pas dans le cadre de la mission « Plan de relance » que l'on peut ajouter des crédits supplémentaires pour les territoires au travers de la DSIL ou de la dotation d'équipement des territoires ruraux (DETR) : c'est dans le cadre de la mission « Relations avec les collectivités territoriales ». Revenons à un peu d'orthodoxie budgétaire, à rebours de la foire aux crédits que l'on connaît depuis l'an dernier.

La culture, qui risquait de s'effondrer, a été énormément soutenue. On se rend compte, en cette sortie de crise sanitaire, que les questions de l'accueil au public et des conditions d'exercice d'un certain nombre de métiers posent des difficultés. Je souscris à l'idée qu'il faudra être très attentif, et le sujet de la culture a plutôt tendance à rassembler largement les sensibilités dans notre hémicycle.

À propos du chèque « indemnités classe moyenne », que j'appelle « indemnité carburant inflation », pour que l'on n'oublie pas que c'est d'abord le phénomène des « prix à la pompe » qui conduit à une tension et à une attention particulière des gouvernants, je considère qu'il ne fait pas partie de la mission « Plan d'urgence ».

Monsieur Capo-Canellas, sur les bâtiments publics, je répète que la relance est venue habiller des besoins anciens. Christine Lavarde me soufflait que ses crédits allaient être utilisés, à Nanterre, pour un bâtiment dont les fenêtres n'ont pas été ouvertes depuis quarante-sept ans...

Il est vrai que, sur la question de l'aéronautique, un certain nombre de véhicules budgétaires sont utilisés ; c'est aussi peut-être une manière d'attendre un plan d'investissement à la hauteur pour le projet d'avion bas carbone - ce serait plutôt à horizon 2030-2035, si tout va bien, d'après le président d'Aéroports de Paris. Il en va de même pour le secteur au soutien automobile : la mutation ne peut pas être menée à marche forcée.

Monsieur Capus, il faudra tirer des enseignements : s'il s'avère que des crédits qui n'étaient pas disponibles pour certaines politiques « de droit commun » et qui ont été habillés en crédits relance ne sont pas efficaces, il faudra pouvoir le dire. De la même manière, il faudra souligner ce qui aura bien fonctionné.

Par rapport à nos voisins européens, comparaison n'est pas raison... La croissance est au rendez-vous, et personne ne saurait contester que l'État a largement soutenu, par la dépense publique, les activités économiques de manière générale et qu'il a contribué au maintien du pouvoir d'achat des Français malgré la crise. Cependant, ce soutien devra se traduire par une croissance solide et durable.

Il est trop tôt pour évaluer l'effet catalyseur et démultiplicateur, l'effet d'entraînement sur l'appareil économique et industriel de ce qui aura été donné aux acteurs économiques, notamment en termes de création d'emplois - j'ai horreur du mot « ruissellement », qui donne l'impression que les milliards tombent naturellement... C'est ce que l'on devra mesurer à travers le comité Coeuré et le travail que nous pourrons conduire. On pourrait même imaginer que nous menions un travail assez fin d'évaluation et d'expertise, en lien avec la commission des affaires économiques, pour avoir la meilleure appréciation possible dans le temps, même si j'ignore pour le moment comment on peut le formaliser.

Monsieur Bazin, je souhaite que la France cesse de perdre des emplois industriels et qu'elle retrouve une certaine vitalité. Le Président de la République est très ambitieux, mais cela ne suffit pas. La situation est complexe. Dans l'économie mondialisée, nous souffrons de handicaps structurels qui nous brident et nous rendent moins performants. Il faut enrayer ce mouvement. Des secteurs d'activité ont été intégrés dans le plan France 2030, mais nous devrons être attentifs à la mise en oeuvre de ce dernier.

De la même manière, nous restons attachés aux enjeux de territorialisation, mais nous devrons répondre à une autre difficulté : la complexité de nos concitoyens, qui aspirent à des emplois industriels près de chez eux, mais pas juste à côté. L'acceptation d'un certain nombre d'enjeux et de nuisances liées aux implantations industrielles pose aussi des difficultés. Il faut réaliser de vrais efforts de pédagogie en faveur du bien commun.

La commission décide de réserver son vote sur les crédits de la mission « Plan de relance ».

La commission décide de proposer au Sénat l'adoption, sans modification, des crédits de la mission « Plan d'urgence face à la crise sanitaire ».

Projet de loi de finances pour 2022 - Participation de la France au budget de l'Union européenne (article 18) - Examen du rapport spécial

M. Jean-Marie Mizzon, rapporteur spécial. - Comme chaque année, le projet de loi de finances fournit une évaluation du prélèvement sur recettes du budget de l'État qui est versé au profit de l'Union européenne. Le montant de ce prélèvement constitue l'élément essentiel de la participation de la France au budget européen, auquel il faut ajouter les droits de douane nets pour obtenir le montant total de notre contribution.

Pour mémoire, le financement de l'Union européenne repose sur : les ressources propres traditionnelles, c'est-à-dire les droits de douane collectés par les États membres ; les contributions des États membres, qui sont fondées sur plusieurs ressources, à savoir une assiette harmonisée de TVA, une deuxième assise sur le revenu national brut (RNB) de chaque État membre et une troisième en fonction du taux de recyclage des déchets plastique ; diverses autres ressources, qui sont marginales, telles que le produit des amendes ou le report du solde de l'exercice antérieur.

L'année dernière, l'évaluation du montant de la contribution de la France au budget européen pour 2021 avait été particulièrement difficile à mener. En effet, celle-ci dépendait du projet de budget européen pour 2021, dont l'élaboration était suspendue aux négociations relatives au cadre financier pluriannuel 2021-2027, qui, comme vous le savez, ont été perturbées par la crise sanitaire et la nécessité de mettre en oeuvre un plan de relance européen. La loi de finances initiale l'avait évalué à 27,2 milliards d'euros. L'adoption de plusieurs budgets rectificatifs de l'Union européenne a ajusté ce montant à la baisse, et le prélèvement sur recettes devrait finalement atteindre 26,5 milliards d'euros pour 2021.

Le premier enjeu à évoquer est naturellement celui du montant de la contribution de la France au budget européen pour 2022.

L'article 18 du PLF prévoit, cette année, une évaluation du montant du prélèvement sur recettes à 26,4 milliards d'euros. Ce montant est stable par rapport à la prévision actualisée pour 2021 et est inférieur de 800 millions d'euros par rapport au montant initialement inscrit dans la loi de finances pour 2021. En ajoutant au montant du prélèvement les droits de douane nets versés par la France au budget européen, la contribution totale s'élèverait à 28,2 milliards d'euros.

Cette relative stabilité du montant du prélèvement sur recettes résulte de facteurs conjoncturels. En effet, la ressource dite « RNB des États membres » constituant la ressource d'équilibre du budget européen, la contribution des États membres dépend de l'équilibre entre les recettes et les dépenses de l'Union. En 2022, s'agissant des dépenses, les crédits de paiement du budget européen augmentent, conformément au plafond fixé dans le cadre financier pluriannuel. Cette hausse est en partie compensée par des ressources plus dynamiques, ce qui réduit le besoin de financement de la part des États membres.

Plusieurs facteurs sont pris en compte : la réduction de la part de la France dans le revenu national brut européen réduit sa contribution ; la contribution du Royaume-Uni au budget européen est plus importante qu'anticipée, en raison d'un décalage calendaire de son versement ; la reprise des échanges commerciaux devrait se traduire par une hausse des droits de douane.

En tout état de cause, cette relative stabilisation du montant du prélèvement sur recettes ne saurait refléter l'amorçage d'un plafonnement ni d'un ralentissement de la contribution française. En effet, le montant annuel moyen de ce prélèvement devrait s'élever à 27,6 milliards d'euros pour la période 2021-2027, soit une hausse de 7,5 milliards d'euros par rapport au montant moyen acquitté pour la période 2014-2020.

Cela étant dit, il convient de rappeler que la France reste l'un des principaux bénéficiaires en volume des dépenses de l'Union européenne, en deuxième place derrière la Pologne. Ainsi, en 2020, les dépenses réalisées en France se sont élevées à 15,8 milliards d'euros, soit près de 11 % des dépenses totales de l'Union, en hausse de 5,4 % par rapport à l'année précédente. Un peu moins des deux tiers concernent les dépenses au titre de la politique agricole commune.

Comme il est d'usage, le montant évaluatif de ce prélèvement sur recettes pourra être actualisé par amendement du Gouvernement au cours de l'examen du projet de loi de finances pour 2022, lorsque le projet de budget de l'Union européenne sera définitivement adopté. En juin dernier, la Commission européenne a présenté ses propositions, en proposant un niveau de dépenses s'élevant à 167,8 milliards d'euros en autorisations d'engagement et à 169,4 milliards d'euros en crédit de paiement. Le Conseil a adopté une position légèrement plus faible, tandis que le Parlement européen s'est exprimé, la semaine dernière, en faveur d'un niveau plus ambitieux. Les négociations vont se poursuivre dans les prochaines semaines, pour aboutir, normalement, au cours du mois de novembre.

Au-delà de la question du montant de la contribution de la France pour 2022, les auditions que j'ai menées m'ont permis d'identifier trois défis auxquels le budget européen devra répondre dans les prochaines années. Ceux-ci seront sûrement des enjeux importants de la présidence française de l'Union européenne qui commencera en janvier prochain.

Premièrement, alors que nous venons d'entamer un nouveau cadre financier pluriannuel, il faut veiller à ne pas manquer le coche du démarrage de cette nouvelle programmation, afin de mobiliser de façon efficace les fonds européens. Ce sujet a déjà été évoqué au sein de notre commission, et une mission d'information du Sénat avait été constituée en 2019 sur la question. Or l'allongement du délai entre l'engagement des dépenses et leur paiement se traduit par une hausse du reste à liquider (RAL). Celui-ci devrait s'élever à 300 milliards d'euros environ fin 2020, soit 60 % de plus qu'en 2014. Certes, la constitution d'un reste à liquider est un phénomène normal, mais son excès témoigne d'une difficile concrétisation des dépenses européennes sur le terrain. Le reste à liquider serait toutefois stabilisé en 2021 grâce à l'accélération des paiements de la politique de cohésion avec les mesures prises en réponse à la crise sanitaire l'an prochain.

Deuxièmement, la présentation des propositions de la Commission européenne pour l'introduction de nouvelles ressources propres a été repoussée à une date ultérieure. Ce report s'explique essentiellement par le progrès des négociations à l'Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE) sur la taxe numérique, ce qui complique la présentation d'une taxe européenne qui devra en tenir compte. Or, lors de la présentation du plan de relance européen, l'introduction de nouvelles ressources nous a été présentée comme la voie permettant de financer le remboursement de cet emprunt.

Troisièmement, la Commission européenne a présenté, en juillet, le « paquet climat », un ensemble d'initiatives législatives pour mettre en oeuvre l'objectif de réduction de 55 % des émissions d'ici à 2030. Ses propositions ne font pas l'unanimité à ce jour et nécessiteront de nombreuses discussions dans les prochains mois. Parmi elles sont intégrées des réformes du système d'échange de quotas d'émission de l'Union européenne et l'introduction d'un mécanisme d'ajustement carbone aux frontières, deux propositions qui doivent justement figurer parmi les nouvelles ressources propres de l'Union européenne. Il est proposé qu'une partie des recettes du système d'échange de quotas d'émissions alimente un fonds social pour le climat, destiné à alléger la facture énergétique des ménages et des entreprises. Deux objectifs seraient désormais attribués à cette même ressource : rembourser le plan de relance européen et financer le fonds social pour le climat. Il ne s'agit pour l'instant que d'une proposition, mais il nous faudra veiller à bien mener de front les deux négociations, pour que l'objectif budgétaire ne soit pas relayé au second plan.

Enfin, l'examen du montant du prélèvement sur recettes me donne l'occasion de faire un point d'étape sur les travaux de contrôle budgétaire que j'ai débutés en janvier et qui portent sur la mise en oeuvre du plan de relance européen.

Comme vous le savez, la première étape de cette mise en oeuvre était la ratification par l'ensemble des États membres de la décision « ressources propres ». Notre commission s'était prononcée sur ce texte en février dernier, sur le rapport du rapporteur général, Jean-François Husson.

Fin mai, l'ensemble des États membres avaient ratifié cette décision, non sans mal. La Commission européenne a ainsi pu procéder à une première émission d'obligations sur les marchés en juin. En parallèle, les États membres ont également transmis leur plan national de relance et de résilience (PNRR) à la Commission européenne, à l'exception des Pays-Bas : 22 plans ont déjà été adoptés par le Conseil et 17 États membres, dont la France, ont bénéficié d'un premier versement de la « facilité pour la reprise et la résilience », au titre du préfinancement.

Les auditions que j'ai menées au cours des derniers mois ont mis en exergue la réelle difficulté de l'élaboration de ce PNRR. En effet, le plan de relance national était antérieur : il a donc fallu procéder à un exercice de correspondance pour que celui-ci puisse satisfaire les critères d'éligibilité définis par la Commission européenne.

En outre, la stratégie de mobilisation des crédits de la « facilité pour la reprise et la résilience » pose question pour certaines politiques publiques, en particulier la politique de cohésion, car ces financements peuvent se superposer avec les financements des fonds de la cohésion. Or le règlement européen de la « facilité » prévoit qu'une même dépense ne peut être financée par plusieurs fonds : il faut donc mettre en place un système d'aiguillage, ou de priorisation, pour flécher les financements. L'enjeu budgétaire est de taille : si nous voulons utiliser pleinement tous les crédits alloués à la France, les financements doivent être bien fléchés. Dans cette perspective, l'Agence nationale de la cohésion des territoires (ANCT) a élaboré un certain nombre de critères et un guide pratique pour bien sélectionner ces financements. À l'heure actuelle, une démarche pragmatique semble privilégiée. Nous devrons être particulièrement vigilants sur sa mise en oeuvre.

Mes chers collègues, concernant le prélèvement sur recettes, je recommande à la commission l'adoption, sans modification, de l'article 18 du projet de loi de finances pour 2022.

M. Jean-François Husson, rapporteur général. - Concernant les remboursements que nous devrons effectuer à partir de 2028, dans le cadre des engagements de la relance et du soutien de l'Europe, nous avions alerté sur le fait que, en l'absence de nouvelles ressources propres, les finances publiques des États membres seraient évidemment appelées en première ligne.

J'ai bien entendu le délai lié à la réflexion conduite par l'OCDE sur la taxe numérique, mais je veux revenir sur une autre réflexion, celle qui porte sur les autres ressources propres, dont le mécanisme d'ajustement carbone aux frontières. Disposons-nous aujourd'hui d'une vision prospective ? Quid du calendrier ? Comment pouvons-nous participer à cette réflexion ?

Dans quelle mesure la France pourrait-elle bénéficier du fonds social pour le climat au regard des critères d'allocation actuellement proposés par la Commission européenne ?

On sait que la Commission européenne est exigeante. La France ne devrait-elle pas mieux tirer parti des possibilités de soutien qu'offre l'Union européenne ?

Mme Christine Lavarde, président. - Vous avez évoqué les 300 milliards d'euros de reste à liquider. J'avais insisté, dans le cadre du contrôle budgétaire sur les aires protégées, sur le fait que des actions ne pouvaient être financées, car mobiliser des crédits européens impliquait de pouvoir faire une avance de trésorerie, avec un remboursement a posteriori. Ne faudrait-il pas revoir cette façon de verser des fonds ?

M. Jean-François Rapin. - Les auditeurs de l'Institut du Sénat, récemment reçus par la commission des affaires européennes, m'ont posé une question surprenante : quelle était ma plus belle fierté, en tant que président de cette commission depuis un an ? Selon moi, le plus beau travail que nous avons accompli, d'ailleurs en collaboration avec la commission des finances, est celui sur les ressources propres de l'Union européenne.

Nous avions alors fait confiance au Gouvernement, mais j'ai l'impression qu'aujourd'hui, cette discussion est à l'arrêt au niveau européen. Si cela était confirmé, ce serait grave pour les défis que l'Europe devra affronter dès les prochains mois, présidence française de l'Union européenne ou non.

Un autre défi me semble particulièrement saillant : l'autonomie stratégique, sujet qui préoccupe les 27 États membres.

On parle volontiers de green deal et d'énergie, mais peu d'autonomie stratégique, alors que celle-ci se décline sur tous les plans, notamment économique, sanitaire, industriel et agroalimentaire. Or, je ne vois sur aucun d'entre eux d'engagement réel, c'est-à-dire budgétaire, en matière d'autonomie stratégique, sauf peut-être s'agissant de l'agence de santé HERA, pour un coût de 6 milliards d'euros. Les ressources propres sont essentielles, je le rappellerai à Clément Beaune lorsqu'il sera auditionné par la commission des affaires européennes cet après-midi, à l'issue du dernier Conseil européen. Quelle est la déclinaison budgétaire de l'autonomie stratégique ?

M. Michel Canévet. - Les évolutions budgétaires me préoccupent aussi : en 2021 et en 2022, la contribution de la France au budget de l'Union européenne a sensiblement augmenté. J'espère que la présidence française sera une occasion d'avancer sur la question des ressources propres.

Ma question porte sur le reste à liquider. Son montant, qui équivaut à presque deux exercices budgétaires européens, décrédibilise les institutions européennes, d'autant qu'il semble dû aux lourdeurs administratives. On l'observe pour les projets mis en oeuvre en France, avec l'obligation d'avancer des fonds et la « suradministration ». Va-t-on simplifier ces démarches ? L'ampleur de ce reste à liquider permettra-t-elle de dégager des marges de manoeuvre pour le budget européen ?

M. Patrice Joly. - Les ressources propres sont un sujet pour le financement du plan de relance, à hauteur de 15 milliards d'euros par an. J'évoque aussi les difficultés d'articulation de ces ressources avec l'accord obtenu dans le cadre de l'OCDE. Quelles sont les modalités et les échéances proposées pour la mise en oeuvre des ressources fondées sur le système échanges de quotas carbone et le mécanisme d'ajustement carbone aux frontières ?

S'agissant du reste à liquider, je rappelle que 40 % du budget de l'Union européenne reste consacré à la politique agricole commune, avec des financements en grande partie automatiques. Compte tenu de ces derniers, les 300 milliards d'euros de reste à liquider représentent donc un montant d'autant plus important.

Par ailleurs, il convient de rappeler qu'à l'échelle européenne, la fraude fiscale représenterait un manque à gagner de 1 000 milliards d'euros par an pour les États, soit l'équivalent du budget prévu pour le cadre financier pluriannuel actuel. À cela s'ajoutent les paradis fiscaux et les révélations des Pandora papers : ce sont 11 300 milliards de dollars qui seraient dissimulés, soit 40 % de ce qu'il faut pour endiguer le réchauffement climatique.

Pourquoi n'a-t-on pas pu, dans le cadre des négociations budgétaires, régler le problème des rabais accordés à certains pays dans le cadre des négociations budgétaires ?

Enfin, au regard des enjeux géopolitiques, il faut afficher notre volonté de construire une Europe unie et solidaire. Le groupe SER sera donc favorable à l'article 18.

M. Bernard Delcros. - Pour la première fois, au cours du cadre financier pluriannuel qui s'achève, la région est devenue l'autorité de gestion des fonds européens, ce qui a mis fin à un flou dans le partage de compétences avec l'État - je rappelle l'affaire du logiciel Osiris. Ce transfert d'autorité explique-t-il le reste à liquider, qui a augmenté de 60 % par rapport au cadre financier pluriannuel précédent ? Cela veut-il dire que les choses rentreront dans l'ordre à mesure que cette nouvelle répartition se clarifie ? L'articulation des compétences entre l'État et les régions est-elle bien clarifiée désormais ?

Toujours sur la simplification des procédures, le rapport d'information sur la sous-utilisation chronique des fonds européens en France, présenté en octobre 2019, formulait un certain nombre de recommandations. Ont-elles été prises en compte ?

Enfin, je rejoins Jean-François Rapin et Michel Canévet sur leurs préoccupations quant aux ressources propres de l'UE.

M. Marc Laménie. - Concernant la contribution française au budget de l'UE, je précise que le prélèvement sur recettes, qui s'élève à 26,4 milliards d'euros, s'ajoute aux droits de douane de 1,7 milliard d'euros.

La France est le troisième contributeur au budget de l'UE. Au-delà de la politique agricole commune (PAC), qui représente 9,6 milliards d'euros, quelles sont les retombées du Fonds européen de développement régional (Feder), du Fonds européen agricole pour le développement rural (Feader), des fonds Leader et des autres fonds européens pour la France et pour ses collectivités ? Les élus locaux renoncent parfois à en bénéficier, faute de services leur permettant de gérer la complexité de ces fonds.

M. Vincent Segouin. - Je reviens sur la taxe carbone. Celle-ci permet-elle bien de taxer les produits importés et de réduire les prélèvements sur les produits issus de l'UE ? Pourquoi certains États sont-ils réticents à ce principe ?

M. Didier Rambaud. - L'Europe va être critiquée à hue et à dia dans le cadre des débats autour de l'élection présidentielle. Cependant, on ne peut pas demander à l'Europe d'en faire plus contre la crise sanitaire tout en rechignant à contribuer davantage à son budget.

Sur l'alignement du budget de l'UE avec les priorités européennes de la France, je rappelle que la PAC est stabilisée, que Erasmus+ a davantage de moyens, et que les fonds consacrés à la transition énergétique représentent 30 % des dépenses du cadre financier pluriannuel 2021-2027.

M. Jean-Marie Mizzon, rapporteur spécial. - Si l'on ne trouve pas d'accord sur les ressources propres d'ici à 2028, les contributions nationales augmenteront pour rembourser le plan de relance. Pour la France, cela signifierait une hausse annuelle moyenne de 2,5 milliards d'euros environ. Or, depuis, une nouvelle priorité se dessine, notamment avec le Fonds social pour le climat. Pourra-t-on financer ces deux objectifs ? Les discussions entre les États membres devraient aboutir d'ici à la fin de l'année.

Ainsi, la France pourrait bénéficier d'environ 8 milliards d'euros entre 2025 et 2032 au titre du fonds social pour le climat, ce qui est peu. En effet, les critères proposés à ce stade pour ventiler les 72 milliards d'euros du fonds, sont particulièrement complexes et peu favorables à la France. Les discussions se poursuivent.

Sur le RAL, en matière de politique de cohésion, l'UE fait une avance et rembourse toujours à la demande des États membres, on ne peut donc pas remettre en cause sa réactivité. Les causes du RAL sont multiples. Tout d'abord, je précise que la somme de 300 milliards d'euros ne concerne pas que la France, mais l'ensemble du budget de l'UE. Il est vrai que les régions, nouvellement désignées autorités de gestion au début de la précédente programmation, ont mis du temps à s'approprier les procédures spécifiques aux fonds européens. Ensuite, le débat sur la règle du dégagement d'office - c'est-à-dire le délai dont disposent les États membres pour transmettre les demandes de paiement correspondant aux engagements - se poursuit : certains voudraient le réduire à deux ans pour diminuer le reste à liquider, mais les collectivités veulent conserver un délai de trois ans, pour se garder des marges de manoeuvre.

M. Patrice Joly. - Cela permet aussi de finaliser le tour de table !

M. Jean-Marie Mizzon, rapporteur spécial. - Tout à fait : les fonds européens ne sont qu'une partie du financement et les porteurs de projets attendent parfois la région, l'État ou le département.

Monsieur Canévet a évoqué le retard pris dans la programmation. Il y a cependant une volonté de simplification pour la nouvelle programmation : on passe ainsi de 41 programmes opérationnels à 22. Enfin, la commission interministérielle de coordination des contrôles (CICC), chargée de la sécurité des systèmes d'information a vu son personnel renforcé et a été réorganisée.

Le mécanisme d'ajustement carbone aux frontières évoqué par Patrice Joly connaît une mise en oeuvre progressive d'ici à 2030. Les débats sont compliqués en raison des divisions entre États membres et les négociations continuent.

Sur les rabais, il peut être noté qu'un rabais a même été introduit sur la nouvelle ressource plastique ! Leur maintien pour la programmation 2021-2027 a été le prix du consensus obtenu sur le plan de relance.

S'agissant de la contribution française au budget européen, évoquée par Marc Laménie, je précise effectivement que les droits de douane prélevés sont nets des frais de gestion, qui représentent tout de même 25 % du total.

Enfin, pour répondre à Vincent Segouin, sur le mécanisme d'ajustement carbone aux frontières, son objectif n'est pas de favoriser les entreprises européennes par rapport à celles situées en dehors de l'Union européenne.

M. Vincent Segouin. - Les entreprises de l'UE seront-elles bien plus compétitives face à l'extérieur, dans la mesure où les producteurs situés hors de l'UE paieraient une taxe supplémentaire ?

M. Jean-Marie Mizzon, rapporteur spécial. - Le mécanisme d'ajustement carbone aux frontières vise à traiter de la même façon les producteurs situés hors de l'UE, et ceux situés au sein de celle-ci. La hausse du prix du carbone au sein de l'Union doit être répercutée de la même façon sur les produits importés. Ceux qui souhaitent importer des produits doivent s'acquitter de la taxe carbone, sauf s'ils justifient d'un paiement équivalent au lieu de production.

La commission décide de proposer au Sénat d'adopter, sans modification, l'article 18 du projet de loi de finances pour 2022.

La réunion est close à 12 heures.

La réunion est ouverte à 16 h 30.

Projet de loi de finances pour 2022 - Mission « Défense » - Examen du rapport spécial

Mme Christine Lavarde, président. - Avant de passer la parole à M. le rapporteur spécial, je salue la présence parmi nous de Mme Michelle Gréaume, rapporteure pour avis de la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées sur le programme 178 « Préparation et emploi des forces ».

M. Dominique de Legge, rapporteur spécial de la mission « Défense ». - Les crédits inscrits au budget 2022 sont conformes, sur le plan budgétaire, à la loi de programmation militaire (LPM) 2019-2025, puisqu'ils prévoient une hausse de 1,7 milliard d'euros. En revanche ils n'en respectent pas la trajectoire capacitaire.

Cela tient tout d'abord à la vente d'avions de combat Rafale à la Grèce et à la Croatie. Si l'on peut se réjouir que ces deux pays aient fait le choix d'acquérir des avions de fabrication française, douze des dix-huit Rafale commandés par la Grèce seront prélevés sur nos propres capacités. Il en résulte premièrement une perte de capacité pour notre armée, dans l'attente de leur remplacement. Nos pilotes disposeront donc de moins de matériel pour s'exercer, et notre capacité d'intervention s'en trouvera réduite. Deuxièmement, cette opération a un coût, ces douze avions ayant vocation à être remplacés par des avions neufs. Selon les dernières estimations qui m'ont été transmises, le montant des recettes attendues à l'issue de la vente de ces douze Rafale d'occasion serait de l'ordre de 500 millions d'euros, et celui de la dépense nécessaire pour acquérir douze avions neufs de près d'un milliard d'euros. Cette dépense non financée devra être prise sur la masse budgétaire globale. Troisièmement, nous livrerons par ailleurs à la Croatie douze Rafale actuellement hors d'usage que nous réparerons en ce but et qu'il n'est pas prévu de remplacer.

Par conséquent, au sortir de la période 2019-2025 couverte par la LPM, nous n'aurons plus que 117 Rafale au lieu de 129.

Le Gouvernement nous dit qu'il faut se réjouir de cette situation, car la vente de vieux Rafale conduira, mécaniquement, à améliorer le taux de disponibilité de nos matériels. Toutefois, l'objectif de la LPM était d'améliorer le taux de disponibilité tout en augmentant la capacité. La LPM n'est donc pas respectée.

En 2025, pour autant que les remplaçants des avions livrés à la Grèce nous parviennent bien en temps et en heure, nous nous retrouverons avec douze Rafale de moins. Je rappelle que le nombre d'heures de vol de nos pilotes de chasse est aujourd'hui de 158 heures alors que la LPM comme l'OTAN fixe la norme à 180 heures.

La LPM prévoyait en outre que les surcoûts des opérations extérieures (OPEX) feraient l'objet d'un financement interministériel. Or ce n'est pas le cas. Depuis cinq ans, ces surcoûts sont en effet financés par le ministère des armées, et représentent un déficit compris entre 200 et 300 millions d'euros par an. Des surcoûts ont également été observés dans un certain nombre de programmes, notamment pour la rénovation des chars Leclerc.

Le ministère prévoyant de financer ces différents surcoûts par le redéploiement de certains crédits, la cible de l'ensemble des livraisons du programme Scorpion a été rabaissée à 45 % en 2025, au lieu des 50 % initialement prévus.

La LPM n'est donc pas respectée alors que son objectif était d'augmenter à la fois le capacitaire et la disponibilité des matériels. Nous payons au prix fort le refus du Gouvernement de revoir ce texte. S'il avait été actualisé conformément à ce qui était prévu dans son article 7, nous pourrions dire que les crédits budgétaires sont en adéquation avec les objectifs capacitaires, mais en l'occurrence il n'en est rien. On nous ment, en changeant la programmation capacitaire tout en respectant la programmation financière.

Ce budget est donc insincère par rapport à ce que nous avions voté et à ce qu'avait décidé le Parlement.

Suffisamment d'éléments justifiaient pourtant une révision de la LPM. De plus, les ajustements qu'aurait dû demander le Gouvernement étaient parfaitement compréhensibles. Je ne comprends donc pas que le Gouvernement n'ait pas souhaité y travailler en toute transparence avec le Parlement, comme nous l'avions pourtant demandé.

Pour ces raisons, je propose de différer notre vote sur les crédits de la mission « Défense », et de conditionner notre position définitive à la prise, par le Gouvernement, de deux engagements : d'une part, veiller à ce que la recette de la vente des avions à la Croatie soit bien affectée au ministère des armées. En effet, l'assurance de Mme la ministre des armées en la matière ne tient pas compte de la tenue des élections l'année prochaine, et la LPM n'est financée pour l'instant que jusqu'en 2022 - 3 milliards d'euros supplémentaires seront nécessaires pour couvrir la période 2023-2024. Il faut d'autre part que le Gouvernement nous réponde clairement sur les raisons qui le conduisent à ne pas vouloir remplacer les Rafale vendus à la Croatie et nous dise à quelle échéance ce remplacement devrait avoir lieu. Cette question ne saurait être renvoyée à 2030 ou 2035.

Mme Christine Lavarde, président. - Vous demandez donc la réserve du vote des crédits de la mission « Défense » assortie de deux engagements de la part du Gouvernement. Quand aurons-nous une meilleure visibilité sur ces derniers ?

M. Dominique de Legge, rapporteur spécial. - J'ai rendez-vous dans quinze jours avec le cabinet de Mme la ministre, notre position pourra se déterminer à l'issue de ce rendez-vous.

À titre personnel, je ne peux cautionner et ne voterai donc pas un budget qui ne respecte pas les engagements pris il y a cinq ans dans le cadre de la LPM. Je suggérerai donc que l'on s'abstienne sur ce point. Chacun peut ensuite se positionner à sa convenance.

M. Jean-François Husson, rapporteur général. - Je partage les réserves émises par M. le rapporteur spécial et m'inscris dans la ligne de ce qu'il propose.

La mission « Défense » est d'autant plus importante que les tensions internationales ne cessent de croître. Or les difficultés rencontrées pour l'entraînement de nos pilotes nous interpellent quant à l'avenir à court terme des capacités de défense de notre pays - en lien avec certains de nos partenaires européens.

Comment s'explique l'absence d'arbitrage, par le Gouvernement, en faveur d'un maintien de nos capacités d'intervention et d'une plus grande disponibilité de matériels en bon état et correspondant à la trajectoire de la LPM ? Quels seraient les ajustements budgétaires nécessaires pour y parvenir ?

M. Marc Laménie. - La présence militaire des régiments est-elle stable dans nos territoires, sachant que les effectifs ne semblent pas progresser conformément aux prévisions de la LPM ?

Par ailleurs, quelle part la journée défense et citoyenneté (JDC) et le service national universel représentent-ils dans la mission « Défense » ?

Enfin, a-t-on une estimation du coût de l'opération Sentinelle ?

M. Rémi Féraud. - Ce budget ne respecte pas l'esprit de la LPM. En outre, l'absence de révision de cette dernière le prive de perspectives susceptibles de lui donner du sens. De trop nombreuses questions restent en suspens pour que nous puissions véritablement nous prononcer à son sujet. Cependant, cela fait longtemps qu'une proposition de réserver notre vote n'est pas intervenue sur ces crédits.

Quelles sont selon vous les questions essentielles et, en fonction de la réponse qui y serait apportée par le Gouvernement, pourriez-vous malgré tout être favorable à une approbation des crédits, ou bien l'absence d'actualisation de la LPM constitue en la matière un obstacle infranchissable ?

M. Arnaud Bazin. - La disproportion qui s'observe entre le montant de la vente des Rafale d'occasion à la Grèce et le coût potentiel de l'achat des matériels neufs de remplacement pose effectivement question. Selon vous, quel est le sens de cette opération ? S'agit-il d'une manoeuvre politique visant à venir en aide à un allié confronté à des provocations permanentes de la part d'un autre membre de l'Organisation du traité de l'Atlantique Nord (OTAN), ou bien cette opération a-t-elle une signification technique ou économique qui m'échappe ?

M. Antoine Lefèvre. - La France semble avoir pris un certain retard pour le développement de la technologie des drones militaires. Dans son rapport public annuel publié en février 2020, la Cour des comptes pointait d'ailleurs déjà une absence de vision stratégique dans ce domaine. Malgré l'accélération des acquisitions, le parc reste limité et certains de ses segments sont vieillissants. Avez-vous des précisions à ce sujet et eu connaissance d'investissements à venir ?

M. Michel Canévet. - Le maintien en condition opérationnelle (MCO) des matériels de nos armées s'est-il amélioré compte tenu des moyens dévolus à la LPM ?

Le coût des OPEX se réduira-t-il en 2022 du fait du désengagement prévu au Sahel ?

M. Didier Rambaud. - Je ne partage pas la conclusion du rapporteur spécial et suis même surpris de l'entendre proposer la réserve sur un tel budget. En effet, les crédits de la défense vont augmenter de 1,7 milliard d'euros, soit une hausse de 4 % par rapport à 2021. Les engagements du Gouvernement ont donc bien été tenus, et la trajectoire financière établie par la LPM est respectée.

Le budget de la mission « Défense » est un budget régalien essentiel qui assure notre autonomie stratégique nationale et européenne. Nous demander d'être réservés sur ce budget est donc loin d'être anodin. Or les arguments avancés ne me paraissent pas justifier une telle position.

M. Dominique de Legge, rapporteur spécial. - Au total, compte tenu du coût représenté par le remplacement des Rafale d'occasion, l'opération grecque pourrait nous coûter environ 700 millions d'euros. De plus, si l'opération croate est jugée « blanche » par le ministère puisqu'il n'est pas prévu de remplacer les avions concernés, il s'agit à mes yeux d'une dépense puisqu'il faudra bien faire le nécessaire pour maintenir notre capacité opérationnelle. Il manque en outre plus 1 milliard d'euros pour pouvoir financer les OPEX jusqu'en 2022.

Il faut tenir compte également du surenchérissement de plusieurs opérations, au sujet duquel je ne parviens pas à obtenir de chiffres précis et qui est financé par le décalage de plusieurs livraisons.

Les crédits dévolus aux moyens humains sont bien prévus. En revanche, les armées ont rencontré d'importantes difficultés de recrutement, notamment en raison de la crise du covid-19, doublées de difficultés de fidélisation dans plusieurs spécialités. De nombreux militaires rejoignent en effet le secteur privé à l'issue de leurs années réglementaires afin d'y percevoir une meilleure rémunération. Une prime de service a d'ailleurs été instaurée pour tenter d'y remédier.

Ces difficultés de recrutement ont été en partie compensées en 2021 par le recrutement de personnels civils. Sur la question des moyens humains, la LPM a été bien respectée.

Les militaires ne font état d'aucun problème relatif à la JDC, et il n'y a pas lieu de s'inquiéter des effectifs du service national universel, qui se chiffrent à 20 000 personnes environ.

L'opération Sentinelle présente un coût de 100 millions d'euros, qui repose sur la provision dévolue aux OPEX.

Pour que je puisse conclure en faveur d'un vote de ce budget, il faudrait que le Gouvernement nous donne la garantie formelle que les recettes des ventes des Rafale à la Grèce et à la Croatie reviendront bien au ministère des armées, y compris après 2022.

Il faut également que nous obtenions une réponse sur le délai de remplacement des Rafale livrés à la Croatie. La réponse consistant à dire que ce remplacement n'est pas prévu pour l'instant n'est pas satisfaisante. Il faut à tout le moins que nous ayons une date. Cette promesse n'engagera, bien sûr, que les successeurs de Mme Florence Parly, mais je souhaiterais malgré tout que ce débat ait lieu en séance.

L'opération de vente de Rafale à la Grèce a un sens politique. Sur les douze avions prévus, six seront livrés d'ici fin 2021, suivis par six autres en 2023. Il est important, si l'on veut pouvoir parler de défense européenne, que nos alliés européens s'équipent avec du matériel militaire qui ne soit pas exclusivement américain. Mais cette opération a également un sens technique, puisqu'il s'agit de favoriser l'interopérabilité, et un sens économique, puisqu'elle bénéficie à la production d'armement française ainsi qu'aux résultats de la filière, et singulièrement de Dassault, en matière d'exportation. En outre, il est important de maintenir une industrie de la défense en Europe.

Le développement des drones pâtit fortement de l'absence de révision de la LPM, puisque les investissements attendus en 2022 ont été reportés à 2023 voire 2024.

En matière de MCO, les contrats verticalisés souscrits par le ministère, qui prévoient la mobilisation d'un seul intervenant, donc d'un interlocuteur unique, pour chaque type d'appareil, semblent bien fonctionner d'après les militaires, même si les résultats ne sont pas encore au rendez-vous. La disponibilité devrait s'améliorer prochainement.

Le désengagement français au Sahel entraînera en réalité un surcoût pour les OPEX en 2022, du fait du rapatriement du matériel. Les sommes provisionnées pour cette année seront d'ailleurs largement insuffisantes.

Enfin, comme je l'ai indiqué, si ce budget respecte bien la trajectoire budgétaire de la LPM, il n'en respecte pas la trajectoire capacitaire, et le refus du Gouvernement de venir discuter de nouveau de ce texte devant le Parlement pose d'importants problèmes. L'argent n'est pas une fin en soi, il doit servir à mener à bien un projet. Or la LPM portait un projet politique, capacitaire, qui se voit écorner par ce budget.

À l'issue de ce débat, la commission décide de réserver son vote sur les crédits de la mission « Défense ».

Article 42 quinquies (nouveau)

L'article 42 quinquies ajouté au texte à l'Assemblée nationale reprend un amendement du Gouvernement visant à tenir compte des conséquences du Ségur de la Santé sur le service de santé des armées (SSA), notamment la majoration des rémunérations des personnels non-médecins. À ce stade, je suis incapable d'évaluer le coût de cette mesure. J'espère néanmoins pouvoir vous apporter prochainement une réponse sur ce point.

Il me semble cependant souhaitable de voter cet article. Le personnel de santé des armées doit pouvoir bénéficier des avancées du Ségur de la santé, d'autant qu'il a été fortement mis à contribution durant la crise.

Mme Michelle Gréaume, rapporteure pour avis de la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées sur le programme 178 « Préparation et emploi des forces ». - Le SSA souffre d'un important déficit de postes pour les médecins de premier recours. Il en manquait 97 en 2020, il en manque 136 en 2021. Il en résulte un taux de projection des équipes médicales à hauteur de 125 %. Malgré l'apport des réservistes, le taux de projection des équipes chirurgicales atteignait 200 % en 2020. La fidélisation des personnels du SSA constitue donc un enjeu majeur.

La commission décide de proposer au Sénat l'adoption, sans modification, de l'article 42 quinquies.

Projet de loi de finances pour 2022 - Mission « Administration générale et territoriale de l'État » - Examen du rapport spécial

Mme Isabelle Briquet, rapporteure spéciale de la mission « Administration générale et territoriale de l'État ». - Après un changement d'échelle en 2020, la mission « Administration générale et territoriale de l'État » (AGTE) a poursuivi sa transformation en 2021. Le projet de budget pour 2022 n'apporte pas de modification majeure à la trajectoire engagée, mais ne transcrit que très partiellement les promesses de réarmement de l'État territorial.

Le budget de la mission se stabilise et est même en légère hausse, du fait principalement des élections. Pour la deuxième année consécutive, en 2022, il ne devrait pas y avoir de nouvelles réductions d'effectifs au sein de l'administration territoriale de l'État, soit le périmètre du programme 354. Ce point me paraît particulièrement important. Après plusieurs années d'une baisse considérable des crédits et des emplois dédiés à l'administration territoriale, la logique de désengagement de l'État dans les territoires s'interrompt.

Entamé il y a cinq ans, le plan préfectures nouvelle génération (PPNG) avait un double objectif : d'une part, mettre en oeuvre la dématérialisation des titres - carte d'identité, passeport, permis de conduire et carte grise -, d'autre part, grâce aux effectifs déchargés par cette dématérialisation, supprimer 1 300 équivalents temps plein (ETP) et renforcer certaines missions prioritaires comme la sécurité et l'ordre public, la coordination des politiques publiques, le contrôle de la légalité et la lutte contre la fraude documentaire. La dématérialisation des demandes de titres s'est traduite par la fermeture des guichets d'accueil dans les préfectures et par l'ouverture de 58 centres d'expertise et de ressources des titres (CERT).

Je souhaite relever l'importance de la mobilisation des contractuels au sein des CERT. Ils ont représenté, au moment de leur mise en place, jusqu'à 58 % des effectifs pour les CERT cartes grises. Aujourd'hui 22 % des effectifs de ces structures sont des contractuels. Cette part demeure beaucoup trop élevée. Je fais mien le constat formulé par la Cour des comptes dans son rapport public annuel de février 2020 : « il est difficile d'admettre que des situations précaires de ce type puissent perdurer au sein du service public, au-delà des périodes de transition pour lesquelles ces concours étaient justifiés ».

De plus, les redéploiements d'effectifs vers les missions prioritaires n'ont pas eu lieu, du fait notamment des redéploiements à destination des missions « étrangers ».

Par ailleurs, la réforme de l'organisation territoriale de l'État engagée depuis 2019 a franchi d'importantes étapes en 2021 via la création des secrétariats généraux communs (SGC) des préfectures et directions départementales interministérielles dès le 1er janvier, la mise en place des directions de l'emploi, du travail et des solidarités aux niveaux départemental et régional (DDETS/DRETS) au 1er avril, le transfert au ministère de l'éducation nationale des missions « sport » et « jeunesse » exercées par les directions régionales de la jeunesse, des sports et de la cohésion sociale (DRJCS) et les directions départementales de la cohésion sociale (DDCS), et enfin le transfert aux préfectures des missions effectuées par les services de main d'oeuvre étrangère (SMOE) au sein des directions régionales des entreprises, de la concurrence, de la consommation, du travail et de l'emploi (Direccte).

Je partage l'objectif de cette réforme, qui est de favoriser les mutualisations et d'interrompre la logique visant à « raboter » les services de l'État dans les territoires. Cependant, il me semble que plusieurs difficultés persistent.

Tout d'abord, la réforme ne remet pas en cause les diminutions d'effectifs passées. Tout au plus engage-t-elle la stabilisation des effectifs de l'État territorial sans proposer de réarmement des missions prioritaires. Je pense en particulier au contrôle de légalité, qui continue à faire l'objet de réductions d'effectifs.

Le ministère de l'intérieur oppose sur ce point un « repyramidage des emplois », c'est-à-dire une diminution de la part relative des emplois les moins qualifiés, de catégorie C, au profit des emplois les plus qualifiés, de catégorie A. Cette seule logique ne saurait suffire à pallier les manques du contrôle de légalité et à justifier la poursuite de la diminution des effectifs sur cette mission.

Le contrôle de légalité constitue une garantie pour l'État, assuré du respect de la loi sur l'ensemble du territoire, et pour les élus locaux, confiants dans la sécurité juridique de leurs actes. Les objectifs n'ont, sur ce point, aucunement été remplis et il apparaît indispensable de redoubler d'ambition.

De plus, dans le cadre de la réforme de l'organisation territoriale de l'État, de nombreux sujets n'ont pas été suffisamment anticipés. Je pense en particulier à l'éclatement des nouveaux SGC en plusieurs sites, aux difficultés d'accès aux systèmes d'information ou encore aux difficultés en matière de ressources humaines rencontrées par les agents.

Par ailleurs, les maisons France Services ne doivent pas constituer un moyen pour l'État de se désengager. Alors que l'État impose à tous, et en particulier aux collectivités territoriales, la présence de deux ETP dans chaque maison pour obtenir le label, je considère encore une fois qu'il est urgent que l'État se donne les moyens des ambitions qu'il a fixées pour tous. À ce jour, seules 22 maisons de services au public (MSAP) portées par l'État ont été labellisées France Services.

Un autre axe de la rationalisation de la présence de l'État dans les territoires concerne la dématérialisation.

Le ministère a engagé un grand chantier de dématérialisation des titres à destination des publics étrangers, qualifié d'administration numérique pour les étrangers en France (ANEF). D'ici à la fin de l'année 2021, l'équivalent de 80 % des procédures « étrangers » auront été dématérialisées.

Pour répondre à la crainte de nouvelles réductions d'effectifs, le ministère a apporté deux garanties : les réductions ne s'opéreront que dans un deuxième temps, si les guichets font face à une moindre affluence, et, à terme, le niveau global d'effectifs de la mission « étrangers » des préfectures sera maintenu. Les effectifs dédiés aux étrangers seront de toute façon affectés à d'autres tâches de la mission.

Enfin, je souhaite évoquer le fonds interministériel de prévention de la délinquance (FIPD), qui couvre également des actions relatives à la radicalisation. Le secrétariat général du comité interministériel de prévention de la délinquance et de la radicalisation (SG-CIPDR) a vu son rôle renforcé via l'intégration de nouvelles missions liées à la prévention des dérives sectaires - qui ne peuvent être traitées de la même façon que la radicalisation - et au « contre-discours républicain », dont les contours ne sont pas clairement définis. Le budget du FIPD est en légère hausse par rapport à 2021, ce qui apparaît conforme aux engagements.

Vous l'aurez compris, j'ai certaines réserves à l'égard du budget qui nous est proposé. La logique de rabot et de désengagement de l'État des territoires qui prévaut depuis une quinzaine d'années pose problème. Alors que la stabilisation des effectifs proposée par le Gouvernement est très loin des engagements de réarmement des territoires, je vous proposerai de ne pas adopter les crédits de la mission.

Mme Christine Lavarde, président. - Alors que les machines à voter font l'objet d'un moratoire, je considère que celles-ci permettraient des économies substantielles lors des scrutins. De plus, elles résoudraient nos difficultés à trouver assesseurs et scrutateurs. Le ministère de l'intérieur envisage-t-il la levée de ce moratoire, qui de surcroît entraine de réelles difficultés sur l'entretien du parc de machines existant ?

M. Jean-François Husson, rapporteur général. - Je partage l'alerte donnée par la rapporteure spéciale au sujet des élections. On se souvient tous du fiasco de la distribution de la propagande électorale lors des dernières élections. À ce jour, les préfectures ne sont toujours pas en mesure d'assumer ces opérations. Aucune solution claire n'est présentée par le Gouvernement. Alors que l'on a vu à la télévision une préfète effectuer elle-même des mises sous plis de la propagande électorale, l'impréparation des services de l'État sur ce sujet est flagrante.

De plus, dans la perspective des prochaines élections, aucun équipement de protection n'est budgété à destination des bureaux de vote. Alors que ces équipements auraient dû faire l'objet de crédits en loi de finances initiale, j'ose espérer que ces dépenses ne s'ajouteront pas à celles des collectivités !

Le Premier ministre évoque le « réarmement » de l'État territorial. Or manifestement, on n'assiste qu'à un rapiéçage, avec des redéploiements d'effectifs au détriment par exemple des services de contrôle de légalité, pourtant bien utiles aux collectivités territoriales.

Je suis aussi frappé de la faiblesse de l'implication de l'État dans les maisons France services : il est incapable d'affecter du personnel dans les maisons qu'il pilote lui-même alors qu'il l'impose aux collectivités ! Certaines maisons France services fonctionnent très bien, mais pour celles-ci, la participation relative de l'État est bien maigre. Alors que ces structures permettent de rendre un certain nombre de services qui sont du ressort de l'État, nous devons rester intransigeants sur son niveau de participation : l'État ne doit pas se délester sur les collectivités territoriales !

M. Antoine Lefèvre. - J'ai été le co-rédacteur, avec Alain Anziani, d'un rapport de la commission des lois consacré au vote électronique : je ne suis pas aussi enthousiaste que Madame Lavarde sur les machines à voter qui posent nombre de questions. Alors que les théories du complot gagnent du terrain, je pense qu'il faut que nous fassions très attention à ce type de dispositifs.

Après la grande désorganisation de l'acheminement de la propagande électorale par Adrexo, comment l'État s'organisera-t-il l'année prochaine pour les deux scrutins ? Évitons de rééditer les mêmes erreurs.

M. Michel Canévet. - Je ne partage pas le scepticisme de la rapporteure spéciale et du rapporteur général : le budget de la mission augmente tout de même de 5,4 % en autorisations d'engagement et de 4,6 % en crédits de paiement. Il me semble normal que l'administration territoriale de l'État fasse des efforts de rationalisation et de diminution d'effectifs, comme l'ensemble des services de l'État.

La dématérialisation permet des économies de gestion et doit logiquement conduire à des suppressions de postes. On ne peut pas demander des économies d'un côté et réclamer dans le même temps le maintien des postes : soyons cohérents !

Néanmoins, à la suite des dysfonctionnements observés lors des dernières élections, je partage le constat selon lequel des améliorations doivent impérativement être apportées d'ici aux échéances du printemps.

M. Marc Laménie. - Alors que les emplois de la mission sont en très forte baisse depuis plusieurs années, disposons-nous d'une répartition de cette diminution d'effectifs entre d'une part l'administration centrale du ministère et, d'autre part, l'administration déconcentrée ? De plus, alors que nous restons attachés au rôle du représentant de l'État auprès des élus, des habitants et du monde économique, des regroupements de sous-préfectures sont-ils à l'ordre du jour ?

Concernant l'Agence nationale des titres sécurisés (ANTS), qui relève également de la mission, je m'interroge sur l'évolution de ses effectifs.

À mon sens, le fiasco de la distribution de la propagande électorale est lié au résultat des appels d'offre sur la mise sous plis et la distribution. L'opérateur historique, la Poste, ne posait pas autant de difficultés...

M. Stéphane Sautarel. - Je partage les remarques de notre rapporteure spéciale, ainsi que celles de notre rapporteur général. Cette mission est intéressante : on voit, en particulier pour les missions France Services, que l'État fait encore une fois peser sur les autres acteurs des obligations qu'il ne s'impose pas à lui-même.

 Je constate également une forme de « paradoxe des effectifs », à savoir que même lorsque l'on maintient des effectifs, ceux-ci ne sont jamais placés là où l'on en a besoin. Il me semble que, dans le budget qui nous est présenté, il y une inadéquation entre les besoins réels des territoires et des usagers et l'utilisation des effectifs...

Le contrôle de légalité est nécessaire, mais il est trop souvent exercé avec la volonté de reprendre le pouvoir perdu sur les collectivités territoriales. Il faudrait plus de conseil et d'accompagnement que de contrôle.

M. Jean-François Husson, rapporteur général. - Tout à fait !

M. Stéphane Sautarel. - Ma question porte donc plus généralement sur la réalité territoriale de la répartition des effectifs.

M. Jean-Marie Mizzon. - Dans le cadre de la réforme de l'organisation territoriale de l'État, est-il envisagé de revoir le périmètre des arrondissements afin de les faire coïncider avec la nouvelle réalité territoriale, à savoir celle de la coopération intercommunale ? En effet, les arrondissements ne correspondent pas aux cartes des EPCI.

Si la dématérialisation nous amènera sans doute sur le chemin du bonheur j'observe que, pour l'instant, elle fait beaucoup de malheureux. La lutte pour l'inclusion numérique n'est pas encore gagnée et des millions de Français se sentent mis à l'écart. Il est impératif de conserver un accueil physique ou téléphonique, comme le préconise la Défenseure des droits.

Je crains que le regroupement des secrétariats généraux communs n'aboutisse à une moins bonne connaissance des problématiques spécifiques aux différentes directions et, partant, à une baisse de la qualité de service.

M. Jean-Claude Requier. - Les Suisses organisent quatre votations par an, il serait intéressant d'examiner leur système en matière de votation électronique, sujet qui me semble tout de même poser un certain nombre de difficultés. Si l'on peut être favorable à l'idée d'un envoi de la propagande électorale par voie numérique, encore faut-il pouvoir ouvrir ses courriels ! Dans le monde rural, nous ne sommes pas toujours très à l'aise avec les outils informatiques...

Les sous-préfectures sont essentielles dans le monde rural, même si l'on peut regretter que les sous-préfets s'en aillent au bout de deux ans, quand enfin ils sont opérationnels ! À mon sens, il faut renforcer les sous-préfectures, en leur confiant davantage de missions et en maintenant un vrai lien de proximité entre les sous-préfets et le territoire.

Les maisons France services favorisent la proximité. Mais je dois reconnaître que les élus ne donnent pas toujours le bon exemple en matière de proximité de l'action publique : voyez les grandes régions, les grandes intercommunalités ! Il y a 400 kilomètres entre mon ancien canton et Montpellier, chef-lieu de la Région Occitanie.

M. Bernard Delcros. - Je partage globalement l'analyse de notre rapporteure spéciale. Nous avons besoin de mesurer plus précisément l'impact de la réforme de l'administration territoriale de l'État en termes d'emplois et de services sur nos territoires.

Je partage l'avis de Stéphane Sautarel sur rôle du contrôle de légalité et la nécessité d'un dialogue des services de l'État avec les collectivités. En revanche, je rejoins Michel Canévet quant à son appréciation générale sur les crédits de la mission.

M. Rémi Féraud. - L'accueil des étrangers pose des problèmes d'accès aux droits, tout particulièrement en Île-de-France. La poursuite de la dématérialisation est-elle vraiment raisonnable ? Le député Jean-Noël Barrot a récemment préconisé dans son rapport sur la loi de règlement pour 2020 d'embaucher 250 contractuels sur une durée de deux à trois ans pour rattraper les retards dans l'examen des demandes de titres de séjour : cela est-il pris en compte dans ce budget pour 2022 ? Ce sujet ne doit-il pas constituer un point d'alerte spécifique sur la mission ?

Mme Christine Lavarde, président. - Je partage ce constat : obliger les gens à attendre pendant des heures devant un ordinateur pour obtenir un rendez-vous n'est pas respectueux. Mieux vaut fixer clairement un rendez-vous, même si c'est dans six mois.

Je ne suis pas certaine qu'il faille « occuper » les sous-préfets comme le suggère notre collègue Requier. Dans mon département, on compte sept sous-préfets pour 36 communes... Ils en viennent à organiser des réunions sur des thématiques qui relèvent de la compétence des EPCI ou des communes !

Mme Isabelle Briquet. - Madame la présidente, la direction de la modernisation de l'action territoriale est particulièrement prudente sur les questions de vote électronique et sur les machines à voter. Le ministère a ouvert plusieurs chantiers dans la perspective des élections de l'année 2022, en particulier concernant les procurations et le vote électronique à l'étranger. Il y a en revanche une très forte réticence sur la dématérialisation du vote sur le territoire national, avec un très fort attachement à la garantie que représentent l'isoloir et l'urne.

Comme l'a souligné le rapporteur général, seules 22 sous-préfectures ont été labellisées France services sur 101, faute de personnel de l'État. C'est très insuffisant et il nous a été indiqué qu'il n'y aurait pas d'effet de rattrapage à court terme.

Les inquiétudes de Monsieur Lefèvre sur la sécurité des machines à voter sont pleinement partagées par la direction de la modernisation de l'action territoriale. Pour la distribution de la propagande électorale en 2022, un marché public a été lancé, il devrait être attribué en fin d'année, peut-être au profit de la Poste. Pour la mise sous plis, c'est l'option de la réinternalisation au sein des préfectures qui a été décidée. Ce choix risque de poser des difficultés très importantes dans les départements les plus denses, pour lesquels il y a une réelle insuffisance des moyens humains au sein des préfectures pour effectuer ces opérations.

Par ailleurs, si les crédits de la mission augmentent, c'est principalement du fait des élections et des principaux chantiers de dématérialisation. Ainsi, pour répondre à Monsieur Canévet, si les effectifs restent stables, on constate que sur de nombreuses missions les objectifs sont loin d'être atteints en termes de services à l'usager et vis-à-vis des territoires. Mon désaccord sur les crédits de la mission se justifie par le grand nombre de réserves que j'ai émises.

Monsieur Laménie, en 2022, 99 emplois seront supprimés en administration centrale, soit le périmètre du programme 216, tandis que les effectifs de l'administration déconcentrée resteront stables. Aucun regroupement de sous-préfectures n'est envisagé cette année. Concernant le site de l'ANTS de Charleville-Mézières, celui-ci regroupe désormais plus de 300 personnes. Il a été progressivement renforcé afin de répondre aux critiques sur la dématérialisation « à marche forcée ». De plus, les compétences de ce centre téléphonique ont été étendues au soutien des publics étrangers dans le cadre de l'ANEF.

Je partage le constat de Monsieur Sautarel sur le rôle du contrôle de légalité, mais il me semble qu'il faut renforcer ces services et leur donner de nouveaux moyens précisément pour permettre que le contrôle de légalité puisse se développer vers des missions de conseil aux collectivités.

Par ailleurs, le chantier de redécoupage des arrondissements que Monsieur Mizzon appelle de ses voeux n'est pas envisagé. Sur le sujet de l'inclusion numérique, celui-ci est de mieux en mieux pris en compte et je me dois de souligner que d'importants progrès ont été réalisés.

Je partage pleinement le constat de Monsieur Requier, suivant lequel les sous-préfets sont essentiels en zone rurale.

Pour répondre à Monsieur Delcros concernant l'impact de la réforme de l'organisation territoriale de l'État sur les effectifs de l'État et l'efficacité de son action, celle-ci est d'abord indolore en termes d'emplois. Il s'agit de rationaliser la structure administrative et d'inciter à des mutualisations pour parvenir à dégager des gains d'efficience à moyen terme.

La question de l'accueil des étrangers, soulevée par Monsieur Féraud, est essentielle : il y a des manques structurels, identifiés par la plupart des acteurs. Alors que 80 % de la dématérialisation relative aux étrangers a été réalisée ; le Gouvernement a prévu de ne pas réduire les personnels à l'accueil. Ce renfort numérique pourra permettre d'accélérer le traitement de certains dossiers tout en conservant un accompagnement, compte tenu de la complexité des procédures.

La commission décide de proposer au Sénat de ne pas adopter les crédits de la mission « Administration générale et territoriale de l'État ».

La réunion est close à 18 heures.