Mardi 14 février 2023

- Présidence de M. François-Noël Buffet, président -

La réunion est ouverte à 17 h 30.

Mission d'information sur l'organisation de la police judiciaire - Audition de M. Gérald Darmanin, ministre de l'intérieur et des outre-mer

M. François-Noël Buffet, président. - Nous accueillons aujourd'hui Gérald Darmanin, ministre de l'intérieur et des outre-mer, dans le cadre de nos travaux d'information sur l'organisation de la police judiciaire.

Nous serons probablement les derniers à nous positionner sur ce sujet, puisque l'Assemblée nationale a déposé un rapport d'information, que je qualifierai de « bicéphale », et que la commission des finances du Sénat a également adopté un rapport d'information sur la direction centrale de la Police judiciaire, sans compter le rapport de l'inspection générale de l'administration (IGA), de l'inspection générale de la justice (IGJ), et de l'inspection générale de la police nationale (IGPN).

Nos rapporteurs présenteront les résultats de leurs travaux au tout début du mois de mars.

M. Gérald Darmanin, ministre. - La réforme de la police nationale, et non pas simplement de la police judiciaire, a été modifiée et enrichie. Un compromis avec le Gouvernement a été trouvé dans la loi d'orientation et de programmation du ministère de l'intérieur (LOPMI), à la suite du travail mené par le Sénat. À cet égard, je salue MM. Marc-Philippe Daubresse et Loïc Hervé, qui sont parvenus à trouver une rédaction consensuelle permettant d'instaurer certaines bornes, qui nous paraissaient consensuelles. Par ailleurs, le Gouvernement s'était engagé à publier les différents rapports établis sur ce sujet, ce qu'il a fait.

Le Conseil constitutionnel n'a d'ailleurs pas eu à redire grand-chose au projet de loi que j'ai l'honneur de porter, notamment sur la question importante, évoquée par de nombreux parlementaires, de la séparation des pouvoirs et du lien entre l'autorité judiciaire et le pouvoir exécutif.

Dans la mesure où les rapporteurs de la commission des lois du Sénat travaillent certainement à la finalisation de leur rapport sur l'organisation de la police judiciaire, j'évoquerai rapidement trois points.

Tout d'abord, conformément à l'engagement que j'ai pris devant l'Assemblée nationale, je ne ferai rien tant que les trois rapports d'information ne seront pas rendus et tant que je n'en aurai pas étudié les conclusions.

Permettez-moi de revenir sur le rapport des inspections, ainsi que sur le rapport « bicéphale » de l'Assemblée nationale. Aucun de ces rapports ne remet en cause le bien-fondé d'une action à mener dans la police nationale, laquelle, depuis extrêmement longtemps, travaille en silos et mériterait d'être modernisée. Je pense au nombre important d'enquêtes, ainsi qu'à la mutation de la délinquance. Ne rien faire reviendrait à ne pas améliorer les taux d'élucidation, à désespérer la filière judiciaire et, donc, toute la police nationale, et à renoncer à nous adapter au monde moderne.

Ensuite, d'après les différents rapports, la création d'une filière judiciaire rassemblant les différents services d'investigation, qui n'existe pas aujourd'hui, est une bonne idée, ce dont je me félicite.

Le garde des sceaux et moi-même l'avons dit, nous prendrons en compte l'intégralité des remarques et préconisations des inspections. Ainsi, l'évaluation des futurs directeurs départementaux de la police nationale se fera à la fois par le préfet et par le procureur de la République. Cette innovation, notamment proposée par l'IGJ, me paraît frappée au coin du bon sens, le fameux article 12 du code de procédure pénale prévoyant que la police judiciaire est exercée sous la direction de l'autorité judiciaire.

Par ailleurs, la question de la décentralisation d'un certain nombre de décisions a été soulevée, ce qui me paraît une très bonne chose.

Permettez-moi de vous donner les échéances à venir. La réforme sera mise en oeuvre en 2023, comme nous nous y étions engagés. Dès la semaine prochaine, je recevrai l'intégralité des organisations syndicales de la police nationale, dans le cadre de discussions bilatérales. Après cette consultation, je prendrai un certain nombre de décisions qui tireront les conclusions des rapports d'information des assemblées et des inspections, ainsi que des propositions formulées par les syndicats. Au mois d'avril, les directeurs zonaux seront désignés, puisqu'il s'agit de faire des directions par zone de la police nationale. À l'été, il y aura deux types de nomination pour les directeurs départementaux : dans les directions départementales qui ne sont pas concernées par les grands événements sportifs - la Coupe du monde de rugby, les nominations pourraient avoir lieu fin août ou début septembre, tandis qu'elles auraient lieu au mois d'octobre dans les autres. Ainsi, fin 2023, nous serions en ordre de marche, puisque nous aurions les directeurs par filière de la police nationale, les directeurs zonaux de la police nationale et les directeurs départementaux de la police nationale. Nous voulons que chaque ancienne direction soit bien représentée dans le nouvel ensemble.

L'actuelle direction centrale de la police judiciaire (DCPJ) est le préfigurateur de la police judiciaire de demain. Il s'agit de réaffirmer qu'il existe et existera bel et bien une direction de la police judiciaire.

Il s'agit d'une réforme très importante, dans la mesure où aucune réforme d'ampleur de la police nationale n'est intervenue depuis longtemps. En 1966, le général de Gaulle avait créé un nouveau statut de la police nationale. En 1995, Charles Pasqua avait décidé de fusionner les corps de la police nationale. Ainsi, depuis quarante ans, il n'y a pas eu de réforme dans la police nationale, contrairement à ce qui s'est passé dans la gendarmerie ou dans l'armée.

Il est normal qu'une réforme aussi compliquée, qui concerne les 150 000 agents de la police nationale, fasse naître des interrogations, que j'écoute.

M. Jérôme Durain, rapporteur. - Monsieur le ministre, je vous donne quitus de la parole donnée, puisque tous nos rendez-vous ont été honorés.

Si le rapport de l'Assemblée nationale a été « bicéphale », nous avons aussi deux noms et deux visages, mais pourrions n'avoir qu'un seul discours pour ce qui concerne notre rapport.

En effet, le constat est partagé, qu'il s'agisse de l'évolution de la criminalité, des limites de l'organisation actuelle en termes d'élucidation ou d'attractivité, d'une organisation en silos ou des questions d'unicité de commandement. Toutes ces questions ne font pas débat.

En revanche, nous nous interrogeons, d'abord, sur la méthode. Nous avons en effet le sentiment que cette réforme se fait sans la police. Il ne faudrait pas qu'elle se fasse contre elle !

Ensuite, sur le fond, nous observons une problématique, centrale dans la réforme, d'articulation entre autorité hiérarchique et autorité fonctionnelle. Quelle définition envisagez-vous pour cette autorité fonctionnelle au sein d'une même filière ? Pouvez-vous nous indiquer où en sont l'élaboration des doctrines nationales et la mise en oeuvre des directions nationales ?

Par ailleurs, s'agissant des moyens opérationnels au niveau zonal, les rapports des inspections se prononcent plutôt contre leur maintien. Serait privilégiée la possibilité de saisine des services localisés sur un département voisin, éventuellement avec une extension temporaire du champ territorial de compétences de ce service. Si l'on voit bien l'intérêt que peut présenter une telle organisation pour le traitement d'affaires sensibles, comment faire travailler un niveau régional, voire interrégional ? La saisine du niveau national, au-delà des offices, sera-t-elle toujours possible ?

Enfin, l'organisation de la filière investigation au niveau de chaque département reproduira-t-elle l'organisation en trois niveaux, qui a déjà été mise en place dans les outre-mer ?

Mme Nadine Bellurot, rapporteure. - Monsieur le ministre, je vous interrogerai sur les conclusions rendues dans le cadre de l'audit mené, en particulier sur l'ampleur des modifications réglementaires, numériques et immobilières auxquelles cette réforme donnera lieu.

Ainsi, les problèmes numériques se révèlent être un frein majeur. Selon le rapport, il en résultera une « période transitoire durant laquelle le fonctionnement s'effectuera en mode dégradé ».

Les auteurs des rapports évoquent également la question de l'immobilier. À cet égard, la réforme est très ambitieuse, dans la mesure où un regroupement des sites est nécessaire.

Au regard de ces craintes, le calendrier de mise en oeuvre de la réforme vous paraît-il réalisable ? Je pense également à la formation des directions départementales de la police nationale (DDPN).

Je souhaite également vous interroger sur les stocks de dossiers, qui sont stupéfiants. Il s'agit d'un enjeu majeur pour la justice et, plus généralement, pour la société. Dans les rapports des inspections, on peut lire qu'une mission d'inspection a été lancée sur ce sujet en décembre 2022. Quels sont ses objectifs ? Quelles solutions pourraient être mises en oeuvre pour résorber les stocks ?

M. Gérald Darmanin, ministre. - Cette réforme de la police nationale bouscule beaucoup de choses, ce qui explique un certain nombre d'incompréhensions. Nous demandons en effet une accélération de la modernisation et du changement de comportement. C'est vrai, la réforme ne se fait pas par étapes, ce qui rend les choses plus complexes.

Notre grand avantage, c'est que nous disposons de moyens très importants. Nous avons en effet prévu dans la loi d'orientation et de programmation du ministère de l'intérieur (LOPMI) des moyens pour accompagner l'immobilier, la formation et le numérique.

Je peux comprendre la nostalgie de certaines « maisons » à l'identité particulièrement forte, comme la police judiciaire. Mais ces maisons ne disparaissent pas, elles se modernisent. Bien que le parallèle puisse paraître prétentieux, je comparerai cette réforme à la création des Brigades du Tigre par Clemenceau.

Sur les difficultés évoquées par le rapport des inspections du ministère de l'intérieur et de la justice, nous sommes en désaccord sur la question de la probité : dans le cadre d'une enquête sur des élus, des chefs d'entreprise ou des gens en vue, certains magistrats redoutent que la police judiciaire ne soit en contact trop étroit avec le préfet et les élus, à la manière d'un film de Chabrol. Nous avons donc fait le choix de « dépayser » l'affaire, en la confiant à la direction zonale. Dans le rapport de l'inspection du ministère de la justice, il est suggéré de confier l'affaire à la direction d'un département voisin. Cette dernière proposition ne me paraît pas pertinente, préfets et élus d'une même région étant régulièrement en contact. Par conséquent, le niveau zonal me paraît plus protecteur. Il s'agit cependant d'un arbitrage restant à rendre.

S'agissant de la saisine au niveau national, indépendamment des offices, il appartient au magistrat de désigner le service de police qu'il souhaite voir intervenir. Il a à sa disposition une très large palette de services enquêteurs, qui ne relèvent pas tous du ministre de l'intérieur.

Les trois niveaux de police judiciaire permettent d'avoir une progression des officiers de police judiciaire (OPJ). En effet - c'est l'un des drames de la police nationale -, le travail de l'OPJ est fatigant. Il n'a pas d'horaires lui permettant d'avoir un minimum de vie de famille, il est mal payé, il n'obtient pas toujours la réponse pénale qu'il souhaite, et sa progression de carrière est très limitée. Au bout d'un moment, il arrête ! Nous assistons dans notre pays à une sorte de découragement des OPJ.

Avec une direction départementale de la police nationale, nous pourrons avoir une possibilité de progression des OPJ à l'intérieur de la direction, ce qui abolira l'horizon fermé de cette profession. Je le rappelle, il manque 5 000 OPJ à l'heure actuelle en France.

Je constate que les deux rapports rendus par les inspections et par l'Assemblée nationale ont démontré que les directions territoriales de la police nationale (DTPN) ont très bien fonctionné dans les outre-mer, un peu moins en métropole.

La doctrine sera publiée avant l'été, mais nous attendons les rapports d'information des deux assemblées parlementaires pour tenir compte de leurs préconisations.

S'agissant de la dichotomie autorité hiérarchique-autorité fonctionnelle, le débat n'est pas nouveau. Par exemple, j'ai l'autorité hiérarchique sur les policiers, que j'embauche et paie en tant que ministre de l'intérieur, mais je n'ai pas l'autorité fonctionnelle sur eux, c'est-à-dire que je ne les dirige pas au jour le jour. Je ne peux pas donner d'ordres à la police judiciaire. Je vous rassure, les magistrats auront toujours le pouvoir de saisir tel ou tel service de police, selon leur convenance, pour diligenter des enquêtes.

S'agissant du numérique, je dois vous avouer que le ministère de l'intérieur ne sait pas mener des projets numériques. Ce n'est pas comme Bercy, qui a su mener de bout en bout la procédure de prélèvement à la source lorsque j'étais à la tête des services fiscaux. J'essaie de remédier à ce problème en mettant de l'argent et des compétences. Par exemple, il est significatif que l'École polytechnique affecte dorénavant quatre de ses élèves vers la police. Nous montons en gamme en matière de compétences.

Nous avons aussi besoin d'un changement de mentalité profond à cet égard. Par exemple, la plainte numérique est une révolution qui mettra sans doute du temps à s'imposer, surtout qu'il faut se coordonner avec la justice.

Scribe et le logiciel de rédaction des procédures de la police nationale (LRPPN) sont donc les deux chantiers prioritaires, et ils ne sont pas dissociables de la réforme que je porte.

Pour ce qui est de l'immobilier, la LOPMI prévoit 400 millions d'euros par an pour des projets immobiliers. Des regroupements de locaux seront nécessaires, mais, dans les faits, il y en a déjà.

Nous serons prêts pour décembre 2023, même s'il faudra attendre encore deux ou trois ans pour que tous les textes réglementaires soient pris ou adaptés. De mémoire, il y en a 176.

Vous m'interrogez sur les stocks, mais ce problème n'est pas propre à la réforme de la police judiciaire. Il n'est pas compliqué de faire baisser les chiffres de la délinquance. Il suffit de décaler certaines plaintes dans le temps ou d'orienter les plaignants vers des mains courantes. Pour ma part, je ne veux pas tricher.

On assiste ces dernières années à une multiplication du nombre des atteintes aux personnes en raison de la nouvelle doctrine sur les violences conjugales. J'ai donné pour instruction aux policiers et gendarmes d'encourager le dépôt de plainte plutôt que la main courante. En 2022, il y a eu 400 000 interventions pour ce motif, mais le résultat, compte tenu des problèmes d'effectifs, c'est que les atteintes aux biens sont traitées avec moins de célérité.

Par ailleurs, nous avons remis beaucoup de monde sur la voie publique, ce qui laisse moins d'effectifs pour les enquêtes.

Enfin, le nombre de policiers municipaux a augmenté. Ce matin, j'étais à Saint-Denis. Il y a désormais quasiment une centaine de policiers municipaux à Saint-Denis, qui apportent des affaires supplémentaires au commissariat.

Il faut aussi que les parquets suivent dans le traitement des procédures. Je sais que les policiers de police judiciaire craignent qu'on ne les utilise pour traiter des affaires secondaires et résorber le stock, mais c'est déjà le cas dans les faits.

Je le répète, pour améliorer l'efficacité de la chaîne pénale, nous avons besoin d'une coordination avec les parquets.

M. Dany Wattebled. - Monsieur le ministre, une réforme était nécessaire, mais les syndicats sont inquiets sur la perte d'autonomie financière de la police judiciaire et sur sa capacité à pouvoir traiter les affaires du haut du spectre. Pouvez-vous les rassurer à cet égard ?

M. Marc-Philippe Daubresse. - Dans les travaux préparatoires de cette mission d'information, avec Nadine Bellurot et Jérôme Durain, nous avons identifié trois sujets.

Tout d'abord, vous venez de l'évoquer, se posent les problèmes d'autorité fonctionnelle et hiérarchique. Vous nous avez donné l'assurance que les magistrats conserveraient leur autorité fonctionnelle.

Ensuite, il y avait le problème de la gouvernance et de la cartographie. Comme vous, je pense que l'échelon zonal est le plus adapté pour les dépaysements.

Enfin, j'évoquerai le numérique et l'immobilier. Vous avez raison, le numérique n'est pas dans la culture du ministère. Je reviens sur l'immobilier. Il faut aller au bout et revoir complètement la gestion du parc immobilier pour l'optimiser.

Il faudra de toute façon prévoir des points d'étape pour évaluer la réforme année après année.

Mme Marie Mercier. - J'ai fait récemment une tournée avec la brigade anti-criminalité (BAC) de Chalon-sur-Saône et j'ai été surprise de l'état dégradé de leur flotte de véhicules. Les policiers avec qui je patrouillais m'ont expliqué que, l'État étant son propre assureur, ils n'avaient pas les moyens de faire réparer les voitures endommagées. Qu'en est-il ?

Par ailleurs, ces policiers m'ont confié qu'ils travaillaient cinq week-ends sur six, car il manquait six à dix personnes dans le service pour que celui-ci fonctionne normalement. Que pouvez-vous nous dire à ce sujet ?

M. Gérald Darmanin, ministre. - Monsieur Wattebled, sur les moyens, la décentralisation des crédits est nécessaire. Les syndicats ont peur que les frais de mission, par exemple, ne soient désormais gérés de façon centralisée, technocratique, mais je ferai tout pour qu'il en soit autrement.

Sur les affaires du haut du spectre, comme je le disais précédemment, les services de la police judiciaire ont peur d'être utilisés à des tâches subalternes. Selon les critiques qui me remontent, la police judiciaire intéresserait beaucoup moins les politiques, car elle fonctionne sur un temps beaucoup plus long que le temps politique. Cette critique n'est pas fondée à mon sens. Certes, les ministres de l'intérieur restent en poste en moyenne un an, mais tous mes prédécesseurs ont eu le sens de l'intérêt général chevillé au corps.

De plus, les offices continueront d'exister, et nous augmenterons même leurs effectifs. Ils seront de surcroît toujours saisis par les magistrats, ce qui devrait apaiser les craintes des contempteurs de la réforme.

Vous savez, monsieur le sénateur, le point de deal de Tourcoing dépend toujours d'un trafic international et il fonctionne grâce aux nouvelles technologies. Toutes les affaires sont reliées et la résolution de l'une aide à la résolution de l'autre. Il faut les traiter avec le même sérieux.

Si je veux faire cette réforme, c'est parce que j'ai constaté, depuis que je suis ministre, que nous avions manqué de grosses affaires, car nous n'avions pas assez de personnel, par exemple, pour faire des perquisitions. En regroupant police judiciaire et sécurité publique au niveau départemental, il sera possible de mieux prioriser les affaires et la mise à disposition des effectifs.

Par ailleurs, il faut savoir qu'aujourd'hui les sûretés départementales traitent d'affaires qui étaient celles de la police judiciaire voilà vingt ans. La police judiciaire doit avoir conscience de cette montée en gamme de la sécurité publique.

Monsieur Daubresse, sur la cartographie, j'attends des propositions des organisations syndicales. Je suis ouvert à la discussion.

Sur l'immobilier, là encore, vous avez raison. Le parc immobilier est absolument immense, et, surtout, il est géré sous des statuts très divers. Or, vous le savez, l'administration française ne sait pas gérer le patrimoine public. C'est la raison pour laquelle la Foncière prévue par la LOPMI me paraît être une bonne idée. Il s'agit de coopérer avec des gens dont c'est le métier.

Madame Mercier, la BAC va au contact direct des délinquants, ce qui explique que ses voitures sont parfois abîmées...L'État est son propre assureur, mais, vous avez raison, le parc automobile était très vétuste quand je suis arrivé au ministère. Les choses vont mieux depuis deux ans, trois véhicules sur quatre ayant été changés.

Nous avons surtout un problème de chaîne administrative pour faire réparer les véhicules. Le statut d'ouvrier d'État n'étant pas très attractif, nous avons du mal à recruter des carrossiers, des mécaniciens pour les ateliers de l'administration. Ils sont en effet bien mieux payés dans le privé. Aussi, j'encourage les préfets à travailler avec les garagistes locaux.

J'entends votre remarque au sujet des horaires. Il serait bon de mobiliser davantage d'effectifs pour travailler le week-end, mais il faut aussi trouver des volontaires pour travailler la nuit. Je ne peux pas forcer les policiers à le faire. C'est sans doute un sujet au sein du commissariat que vous avez visité. En la matière, le problème peut aussi être la répartition des effectifs ; or, moins il y a d'effectifs de nuit, moins on peut changer les horaires.

Je vais bien sûr examiner le cas de Chalon-sur-Saône. Je précise que, cette année, le renforcement général des effectifs permettra d'assurer des cycles horaires dits « binaires ». En vertu de cette organisation, les policiers de nuit doivent travailler douze heures de suite ; ces rythmes sont assez fatigants, ils bouleversent souvent des habitudes de famille, mais, en définitive, ils sont plus satisfaisants pour tout le monde.

Enfin, monsieur le président, nous avons besoin du bon sens de nos parlementaires pour qu'un plus grand nombre de véhicules saisis soient utilisés par le ministère. Ce dernier refuse parfois des véhicules, par exemple des voitures de luxe, au motif que l'on n'a pas de pièces de rechange ; à mon sens, c'est une erreur. Non seulement les saisies sont source d'économies, mais l'appropriation de la voiture des voleurs a une force symbolique certaine. Enfin, ces véhicules permettent des interventions plus efficaces - je pense notamment aux filatures -, car leurs plaques ne sont pas connues.

Mme Marie-Pierre de La Gontrie. - À l'évidence, comme au sujet des retraites, vous ne prenez pas la mesure des contestations et des inquiétudes exprimées.

Dans leur rapport commun, les trois inspections qualifient les expérimentations menées de « contrastées » ; le terme est élégant. Sur cette base, elles formulent dix-neuf recommandations : allez-vous les suivre ?

M. Gérald Darmanin, ministre. - La réponse est oui : nous allons suivre l'intégralité de ces recommandations.

Nous écoutons ceux qui sont en désaccord avec nous - fort heureusement ! -, mais cela n'empêche pas l'action. En son temps, la création de la direction générale des finances publiques (DGFiP) a soulevé beaucoup d'oppositions, et aujourd'hui tout le monde s'accorde à dire que c'était une bonne réforme. Ce n'est pas parce qu'il y a des contestations qu'il faut arrêter toute réforme.

Chacun constate que le fonctionnement de la police nationale doit être amélioré. Si une partie des agents contestent la réforme, c'est parce qu'ils ont peur de perdre leur identité. Or, être policier, c'est une vocation à laquelle on a parfois tout sacrifié. Notre rôle, c'est donc de rassurer.

L'immense majorité de nos 150 000 policiers, notamment les policiers dits « de sécurité publique », approuvent cette réforme. Ils l'attendent même depuis des années.

Je le rappelle, c'est toute la police nationale qui est concernée et pas seulement la police judiciaire. Aujourd'hui, beaucoup d'agents de la sécurité publique et de la police aux frontières (PAF) voient, eux aussi, leurs habitudes bousculées. Le modèle vers lequel nous tendons s'inspire de la gendarmerie nationale et la préfecture de police.

Bien sûr, ma porte est toujours ouverte. Nous avons déjà fait beaucoup de compromis. Nous entendrons les rapporteurs du Sénat et de l'Assemblée nationale, ainsi que les représentants des organisations syndicales qui ne se sont pas encore exprimés publiquement sur la réforme. Mes premiers échanges avec eux me laissent supposer que je reprendrai une grande partie de leurs propositions d'évolution ; je leur prouverai ainsi que, non seulement j'écoute, mais j'entends.

M. François-Noël Buffet, président. - Merci, monsieur le ministre, d'avoir répondu à nos questions.

Cette audition a fait l'objet d'une captation vidéo disponible en ligne sur le site du Sénat.

La réunion est close à 18 h 45.

Mercredi 15 février 2023

- Présidence de M. François-Noël Buffet, président -

La réunion est ouverte à 8 h 35.

Proposition de loi visant à mieux protéger et accompagner les enfants victimes et co victimes de violences intrafamiliales - Désignation d'un rapporteur

M. François-Noël Buffet, président. - Je vous propose de désigner Mme Marie Mercier rapporteur sur la proposition de loi visant à mieux protéger et accompagner les enfants victimes et co-victimes de violences intrafamiliales.

Mme Marie-Pierre de La Gontrie. - Nous aurions souhaité que notre collègue Laurence Harribey soit rapporteure sur cette proposition de loi, qui émane du groupe socialiste de l'Assemblée nationale.

La commission désigne Mme Marie Mercier rapporteur sur la proposition de loi n° 344 (2022-2023) visant à mieux protéger et accompagner les enfants victimes et co-victimes de violences intrafamiliales.

Mission d'information sur l'application de la loi du 22 juillet 2013 relative à la représentation des Français établis hors de France - Désignation des rapporteurs

La commission désigne M. Christophe-André Frassa et M. Jean-Yves Leconte rapporteurs sur la mission d'information sur l'application de la loi du 22 juillet 2013 relative à la représentation des Français établis hors de France.

Proposition de loi visant à renforcer la voix des élus au sein du service public de l'assainissement francilien - Procédure de législation en commission - Examen du rapport et du texte de la commission

M. François-Noël Buffet, président. - Nous examinons ce matin, selon la procédure de législation en commission définie aux articles 47 ter et suivants de notre Règlement, la proposition de loi visant à renforcer la voix des élus au sein du service public de l'assainissement francilien.

Mme Marta de Cidrac, auteure de la proposition de loi. - La proposition de loi que j'ai déposée vise à renforcer la voix des élus locaux au sein du syndicat interdépartemental pour l'assainissement de l'agglomération parisienne (SIAAP).

Certains d'entre vous le savent déjà, le SIAAP a été créé en 1970 par les quatre départements de la petite couronne parisienne - Paris, les Hauts-de-Seine, le Val-de-Marne et la Seine-Saint-Denis. Il exerce, de manière dérogatoire au droit commun, la compétence assainissement pour ces quatre territoires regroupant près de neuf millions d'habitants. Depuis sa création, il a également étendu son champ d'action via des conventions à 187 communes des départements du reste de l'Île-de-France. Toutefois, ces communes ne participent pas à la gouvernance, pas plus que les départements dans lesquelles elles se situent.

Or, au cours des dernières années, les élus locaux de mon département, les Yvelines, ainsi que ceux du Val-d'Oise, ont été témoins d'incidents majeurs survenus au sein de la station d'épuration dite de « Seine aval ». Cette usine, la plus grande d'Europe, a notamment connu un incendie en 2019 et plus récemment, en octobre 2022, une fuite de quatre tonnes de biogaz.

Les élus locaux n'ont pas été informés de ces incidents, ou l'ont été avec retard et de manière parcellaire. L'absence d'un circuit efficace d'information à l'égard des élus locaux crée nécessairement de l'inquiétude parmi les habitants des communes concernées.

À la suite du dernier incident, les services préfectoraux ont justement pointé plusieurs défaillances dans la sécurité des équipements de l'usine « Seine aval » et seule la préfecture des Yvelines a mis en place une instance de dialogue et de suivi avec le SIAAP et les élus locaux.

Vous comprendrez que cette situation est inadmissible pour les élus locaux concernés. Cette absence de contrôle et de regard, par ces derniers, sur les installations du SIAAP ne leur permet pas d'exercer pleinement leur mandat d'élu local, d'être un relais pertinent auprès de leurs habitants et de les rassurer le cas échéant.

L'objet de la proposition de loi vise très justement à remédier à ces difficultés. Les élus locaux des communes qui disposent d'une station d'épuration sur leur territoire ou se trouvant à proximité doivent être associés à la gouvernance du SIAAP et être mieux informés des décisions prises par cette instance, notamment en matière de gestion des risques.

Mes collègues et moi-même proposions initialement de permettre aux communes disposant d'une station d'épuration sur leur territoire, ou se trouvant à proximité, de pouvoir siéger, avec voix délibérative, au conseil d'administration et au bureau du SIAAP. Cependant, les échanges fructueux et constructifs avec la rapporteure, Catherine Belrhiti, que je remercie pour la très grande qualité de son travail, ont notamment mis en avant que la rédaction actuelle de la proposition de loi pouvait faire l'objet de certaines améliorations.

Ainsi, il est apparu nécessaire de ne pas créer un déséquilibre au sein de la gouvernance du SIAAP à l'heure où ce dernier assure la mise en oeuvre d'un important «  plan qualité de l'eau et baignade » en vue de la tenue des jeux Olympiques en 2024. Pour assurer la pleine efficacité du dispositif, nous avons également réfléchi aux précisions à apporter pour les communes ayant un intérêt à siéger au sein du conseil d'administration du SIAAP.

À cet égard, le sous-amendement proposé par notre collègue Jacqueline Eustache-Brinio me semble tout à fait opportun. Le fonctionnement des stations d'épuration du SIAAP ne concerne pas que les communes d'implantation, comme Saint-Germain-en-Laye, mais impacte bien le quotidien de l'ensemble des communes qui se trouvent alentour, mais aussi en amont et en aval de la Seine. Je m'associe donc pleinement à la nouvelle définition proposée. Celle-ci permettra aux communes qui ne disposent pas d'une station d'épuration sur leur territoire de bénéficier des nouveaux droits créés au travers de cette proposition de loi en se fondant sur un critère lié aux risques plutôt qu'à un critère géographique.

Enfin, l'amendement déposé par la rapporteure me semble particulièrement bienvenu en ce qu'il renforce les droits d'information des conseillers municipaux, tout en leur assurant une voix consultative au sein du conseil d'administration du SIAAP. Les élus locaux pourront alors participer à la réunion de cette instance et seront en mesure de faire valoir directement leurs difficultés, tout en obtenant davantage d'informations sur le fonctionnement des installations situées sur leur commune.

Cette nouvelle rédaction apporte donc une première réponse équilibrée aux élus locaux des départements de la grande couronne parisienne qui ne sont pas, ou trop peu, associés au fonctionnement du SIAAP, de la même manière qu'ils sont peu informés des événements importants concernant les installations situées sur leur territoire ou à proximité.

Enfin, j'indique que les élus locaux des Yvelines, dont je porte la voix aujourd'hui, sont dans l'attente d'un dialogue beaucoup plus nourri et régulier avec les instances dirigeantes du SIAAP. La présidence de cet organisme interdépartemental ayant changé récemment, il serait intéressant que, sans attendre les suites de nos travaux législatifs, le SIAAP s'empare rapidement des difficultés soulevées. Une plus grande association des communes dans la gouvernance et la mise en place de nouveaux circuits d'information à l'égard des communes qui accueillent ses équipements ou se trouvant à proximité serait, notamment en situation de crise, accueillie très favorablement par les élus locaux concernés.

Mme Catherine Belrhiti, rapporteure. - Cette proposition de loi entend répondre à un problème d'une particulière gravité rencontrée dans le fonctionnement du SIAAP et ses relations avec les élus des communes disposant d'une station d'épuration sur leur territoire ou situées à proximité.

Il est apparu de manière criante lors des différents incidents survenus au sein de l'usine « Seine aval » et lors de la fuite de quatre tonnes de biogaz en octobre 2022, comme l'évoquait à l'instant notre collègue. Les élus des communes des Yvelines et du Val-d'Oise pointent un déficit sérieux de communication sur ces accidents - leur ampleur, leurs conséquences et les solutions pour y remédier. Au surplus, ces usines présentent des nuisances quotidiennes et des risques importants pour les habitants des communes d'implantation ou se trouvant à proximité.

Vous le savez, en matière d'assainissement, la région parisienne est dotée d'une organisation spécifique, avec un syndicat dont les membres statutaires sont les départements de Paris et de la petite couronne.

Actuellement, le seul dispositif qui associe officiellement les élus locaux à la gouvernance du SIAAP est la conférence d'information annuelle de l'assainissement de l'agglomération parisienne prévue par les statuts du syndicat. Elle rassemble, sans compétence délibérative, l'ensemble des élus des communes, établissements publics de coopération intercommunale (EPCI) ou syndicats des territoires raccordés au SIAAP par voie statutaire ou conventionnelle. Toutefois, cet outil n'est pas suffisant pour répondre aux attentes légitimes des élus locaux en matière d'information en ce qu'elle ne se réunit qu'annuellement et ne traite pas spécifiquement de la gestion des sites qui peuvent être sensibles, comme les stations d'épuration.

Cette situation doit donc évoluer rapidement, car, nous le savons bien, les élus locaux sont toujours en première ligne auprès de leurs concitoyens lorsque de graves incidents surviennent dans leur commune. Il n'est donc pas acceptable que ces derniers soient laissés sans information.

Bien que, par la voix de son président, le SIAAP entende mener des actions pour pallier les défauts d'information ayant eu lieu par le passé, celles-ci ne sauraient suffire tant l'association des élus à la gestion des sites situés sur leur territoire et leur parfaite information est indispensable, et ce dès aujourd'hui.

C'est pourquoi la proposition de loi de Marta de Cidrac, qui prévoit de confier aux communes d'implantation des stations d'épuration et à celles qui sont situées à proximité de celles-ci un siège avec voix délibérative au sein du conseil d'administration du SIAAP, emporte ma complète et pleine adhésion. Je vous proposerai néanmoins d'adopter un amendement visant deux objectifs.

D'une part, il convient de mieux prendre en compte la situation spécifique des communes situées dans un département qui n'est pas membre du SIAAP. D'autre part, je souhaite préserver l'équilibre de la gouvernance du SIAAP, tout en répondant aux attentes des élus locaux, dont il convient de renforcer le droit d'information.

Il faut ainsi, me semble-t-il, renforcer l'effectivité juridique de la proposition de loi en précisant son champ d'application. En effet, les communes situées sur le territoire des départements de l'Essonne, de la Seine-et-Marne, du Val-d'Oise et des Yvelines ne bénéficient pas des prérogatives dont disposent les départements membres du SIAAP - Paris, Hauts-de-Seine, Val-de-Marne, Seine-Saint-Denis -, puisque ces communes ou leurs intercommunalités de rattachement ne sont liées au SIAAP que par convention et n'ont pas, à ce titre, d'accès aux organes de gouvernance.

En outre, la rédaction retenue par la proposition de loi permet, de manière très pertinente, de faire siéger les communes qui possèdent une station d'épuration sur leur territoire ou celles qui sont « situées à proximité ». Mais cette dernière notion appelle, à mon sens, une clarification, à savoir la prise en compte d'un critère lié aux risques plutôt qu'un critère géographique. En ce sens, le sous-amendement proposé par notre collègue, Jacqueline Eustache-Brinio, recueille mon assentiment en ce qu'il permet aux communes qui ne disposent pas d'une station d'épuration sur leur territoire de siéger au sein du conseil d'administration dès lors qu'une telle installation est « susceptible de produire des effets sur la salubrité, la santé et la sécurité publiques directement ou par pollution du milieu » de leur territoire.

Par ailleurs, il me semble essentiel de préserver l'équilibre de la gouvernance du SIAAP. Ce syndicat remplit sa mission de manière satisfaisante pour nos concitoyens concernés. Aussi, il ne m'apparaît pas opportun d'apporter dès aujourd'hui des bouleversements importants dans la gouvernance - qui plus est dans le contexte du déploiement du « plan qualité de l'eau et baignade » en vue des jeux Olympiques de 2024. Or c'est bien ce à quoi aboutirait l'adoption de cette proposition de loi, qui prévoit l'octroi d'une voix délibérative aux communes siégeant au sein du conseil d'administration et du bureau du SIAAP. Octroyer une simple voix consultative aux communes serait de nature à apporter une réponse immédiate et adéquate aux attentes exprimées par les élus locaux, tout en maintenant les équilibres existants.

Enfin, je vous propose de renforcer l'opérationnalité du dispositif en améliorant l'information de tous les conseillers municipaux des communes concernées via deux mécanismes distincts : d'une part, en rendant tous les conseillers municipaux des communes représentées au conseil d'administration du SIAAP destinataires de la convocation adressée avant chaque réunion, des documents afférents et de la liste des délibérations qui ont été examinées et, d'autre part, en les faisant bénéficier d'un droit à l'information sur les affaires faisant l'objet d'une délibération ayant une incidence directe ou indirecte sur la gestion des installations de traitement des eaux usées situées sur leur territoire.

À cet égard, je comprends pleinement l'intention de notre collègue Marie-Pierre de La Gontrie, dont l'amendement prévoit la création d'une conférence des territoires auprès du SIAAP. Cependant, je ne suis pas favorable à cet amendement dans la mesure où il me semble déjà satisfait, puisque l'article 9 des statuts du SIAAP prévoit la réunion annuelle d'une conférence d'information de l'assainissement de l'agglomération parisienne regroupant l'ensemble des élus des collectivités ou de leurs groupements concernés par le sujet. En outre, la création de cette nouvelle conférence ne me semble pas être de nature à résoudre les carences informationnelles dont pâtissent aujourd'hui les élus locaux du fait d'une gestion trop opaque par le SIAAP des sites situés sur leur territoire.

Pour conclure mon propos, je tiens à souligner que j'ai travaillé en parfaite coopération avec notre collègue Marta de Cidrac dans l'élaboration de l'amendement que je vous soumettrai. Je la remercie chaleureusement de la qualité de nos échanges et notre collaboration pour formuler des pistes de solution équilibrées et consensuelles dans l'intérêt des élus locaux des communes de la grande couronne parisienne.

Mme Dominique Faure, ministre déléguée chargée des collectivités territoriales. - La proposition de loi de Marta de Cidrac vise à renforcer la voix des élus locaux au sein du service public de l'assainissement francilien. Le SIAAP, créé en 1970, est chargé du transport et du traitement des eaux usées produites par l'agglomération parisienne, à savoir 287 communes rassemblant plus de 9 millions d'habitants. Cet établissement public administratif a historiquement pour membres les départements de Paris, des Hauts-de-Seine, de Seine-Saint-Denis et du Val-de-Marne. Le conseil d'administration est ainsi constitué de 33 représentants de ces quatre départements.

Le SIAAP travaille toutefois à une échelle territoriale plus large et en particulier dans les départements de la grande couronne parisienne. C'est la volonté d'être associés au fonctionnement du SIAAP qui a conduit les auteurs de cette proposition de loi à prévoir la présence au conseil d'administration avec voix délibérative de représentants des conseils municipaux des communes accueillant une installation gérée par le SIAAP ou situées à proximité.

Ce souhait d'association large des collectivités au fonctionnement de cette structure de coopération interdépartementale me semble parfaitement légitime, notamment pour assurer la bonne information des élus quand surviennent, comme cela a pu être le cas sur certains sites, des accidents d'exploitation. Je promeus autant que possible les méthodes de travail et de gouvernance qui permettent de s'assurer que les élus locaux sont associés aux décisions qui sont prises à l'échelle de leur territoire.

S'agissant du SIAAP, l'État s'est montré particulièrement attentif au cours des dernières années à renforcer cette association à la suite d'une mission conduite par le préfet Gaudin pour le compte du préfet de la région d'Île-de-France : a ainsi été mise en place une conférence de l'assainissement, qui a précisément pour objectif d'assurer l'information et l'association des élus des territoires d'implantation du SIAAP.

Par ailleurs, les commissions de suivi de site mises en place autour d'un certain nombre de sites sont aussi des lieux d'information et d'échanges qui associent les collectivités et les élus qui accueillent en particulier les stations d'épuration gérées par le SIAAP.

Cette proposition de loi prévoit d'associer les élus représentant les communes d'implantation de certaines usines du SIAAP à la gouvernance de ce dernier. Si le texte initial tend à répondre à cet objectif parfaitement compréhensible, il présente toutefois un certain nombre de fragilités juridiques, qui nous semblent faire obstacle à son adoption.

Sur le plan du droit, le texte prévoit en effet que des représentants de ces communes soient membres du conseil d'administration avec voix délibérative sans pour autant que les communes concernées soient elles-mêmes membres du syndicat. Accepter cette distorsion serait de nature à déroger lourdement aux règles qui régissent le fonctionnement de ce type de structure de coopération, aux termes desquelles la participation aux instances de gouvernance découle de l'adhésion de la collectivité au syndicat ou à l'établissement de coopération. Cette règle est saine, et nous avons besoin de la préserver.

Au demeurant, dans ce cas particulier, cela reviendrait à modifier substantiellement la gouvernance du SIAAP, dont je rappelle qu'il est conçu pour réunir des départements qui, en petite couronne, sont compétents en matière d'assainissement. La participation aux instances de gouvernance nous semble ainsi devoir découler d'abord de l'exercice de cette compétence sur le périmètre du syndicat. Vous l'avez compris, le texte initial n'était pas satisfaisant sur le plan juridique.

Le texte tel que vous voulez l'amender, madame la rapporteure, prévoit une voix consultative, ce qui pose moins de difficultés, même si nous considérons qu'une révision des statuts du SIAAP pourrait avoir le même effet. Mais je m'en remettrai à la sagesse de la commission sur ce point.

Quoi qu'il en soit, il me semble essentiel de trouver les voies et moyens de favoriser une association effective des élus des territoires concernés de la grande couronne au fonctionnement du SIAAP. Le préfet de la région d'Île-de-France a engagé un travail en profondeur pour parvenir à cet objectif, y compris en ouvrant le sujet de la refonte des statuts du SIAAP.

Je reste bien entendu à l'entière disposition du Sénat pour assurer le suivi de ce travail, dont je ne doute pas qu'il permettra de satisfaire la demande de la Haute Assemblée.

M. Alain Richard. - Permettez-moi de revenir sur l'origine du SIAAP.

Avant la Première Guerre mondiale, la Ville de Paris disposait d'une ingénierie et de ressources financières lui permettant de gérer le traitement des eaux usées, alors que les communes de banlieue en étaient dépourvues. Par ailleurs, une législation d'exception, qui est restée en vigueur jusqu'à la réforme de 1975, empêchait Paris de participer à un syndicat intercommunal. Un accord a été conclu après la guerre de 1914 entre les conseillers municipaux de Paris et les élus de la banlieue pour confier cette mission au département de la Seine. Ce dernier avait la maîtrise d'ouvrage de toutes les grandes canalisations des eaux usées de l'agglomération et de la réalisation des stations d'épuration, qui ont demandé beaucoup de temps : les eaux usées ne sont plus déversées dans la Seine que depuis les années 1990.

Lorsque le département de la Seine a été dissous par l'effet de la réforme territoriale de 1964, le syndicat interdépartemental a été créé, et la loi lui a octroyé une compétence exceptionnelle en matière d'assainissement.

L'objet de cette proposition de loi est tout à fait légitime : on constate depuis longtemps des nuisances aux abords des grandes stations d'épuration - la plus importante étant bien sûr celle d'Achères - et celles-ci présentent parfois des risques. Toutefois, Marta de Cidrac souhaite que siègent au conseil d'administration les représentants des conseils municipaux des communes sur lesquelles sont implantées les stations d'épuration ou sont situées à proximité, alors qu'elles ne sont pas membres de droit de ce syndicat. Les communes sont déjà associées à la gouvernance du SIAAP dans le cadre d'une conférence d'information, mais celle-ci ne siège qu'une fois par an.

Certes, il convient de traiter la situation des communes riveraines ou exposées aux risques, mais n'oublions pas qu'un grand nombre d'intercommunalités, compétentes en matière d'assainissement, ont souhaité se raccorder au SIAAP, plutôt que de construire elles-mêmes une station d'épuration. Or ces intercommunalités n'ont qu'un lien de convention, du fait de la rigidité du statut législatif du SIAAP, et sont simplement informées des décisions prises par le syndicat en ce qui concerne les installations dont elles sont utilisatrices et contributrices.

Aussi, il conviendrait que la loi non seulement consolide le système de concertation et d'information des représentants des communes, mais prévoie que les intercommunalités disposent d'administrateurs, ce qui suppose de transformer le SIAAP en syndicat mixte. Il y a donc là matière à une seconde initiative législative, dont se sont, me semble-t-il, saisis nos collègues de l'Assemblée nationale.

Sur le fond, j'attire votre attention sur le fait que le conseil d'administration est un organe décisionnel. Faire siéger à côté des trente-trois administrateurs plusieurs dizaines de représentants de communes, qui n'auraient qu'une voix consultative, constituerait une exception au sein des assemblées délibérantes des collectivités territoriales. Aucune assemblée délibérante, quelle que soit sa volonté de concertation, n'accepte au sein de son conseil d'administration des représentants d'organismes ou de personnalités morales qui n'en sont pas membres.

La création d'une conférence d'information ou de concertation, sur le modèle de l'amendement proposé par Marie-Pierre de La Gontrie, me semble préférable à un système dual avec voix délibérative et voix consultative. Il n'en demeure pas moins qu'il conviendra de s'intéresser aux collectivités raccordées au SIAAP, qui représentent plus de 2 millions d'usagers.

Mme Nathalie Goulet. - Quel est le budget du SIAAP ?

Mme Catherine Belrhiti, rapporteure. - Son budget s'élève à 1,3 milliard d'euros.

M. Alain Richard. - Il y a 9 millions de contributeurs.

M. Hervé Marseille. - Pour ma part, je suis extrêmement réservé sur cette proposition de loi. Je comprends les raisons qui ont conduit notre collègue à déposer ce texte, mais il suffit que le département des Yvelines adhère au SIAAP. En outre, à ma connaissance, il n'y a pas de station de traitement des eaux usées dans l'Essonne, dans la Seine-et-Marne et dans le Val-d'Oise. Même si je comprends le besoin d'information, pourquoi faire siéger des représentants des conseils municipaux de ces communes, même avec voix consultative, contre l'avis du SIAAP, et ce sans délibération ? Compte tenu de la majorité politique du SIAAP et de celle du conseil départemental des Yvelines, un dialogue semble possible.

Ne nous précipitons pas pour légiférer sur un texte d'opportunité, car l'ensemble des syndicats de la région risque de s'en inspirer - et ils sont nombreux !

D'ailleurs, les représentants des conseils municipaux siègeront-ils dans les commissions avec voix consultative ? Quelle suite sera donnée aux conventions financières entre le SIAAP, les départements et les communes concernés et les syndicats d'assainissement qui ont signé une convention avec le SIAAP sur le devenir des terrains ? Les terrains de la station d'Achères, par exemple, appartiennent à la Ville de Paris.

Je peux comprendre qu'il faille améliorer la rédaction de cette proposition de loi, mais il n'en reste pas moins que l'on n'a pas mesuré toutes les conséquences qui découleront de son adoption.

Mme Marie-Pierre de La Gontrie. - Le sujet qui nous occupe est important, et le président Marseille vient de souligner les effets collatéraux que pourrait avoir l'adoption de cette proposition de loi.

Ce texte procède, me semble-t-il, de la manifestation d'une mauvaise humeur, les collectivités considérant qu'elles ne sont pas assez informées de ce qui se passe sur leur territoire dès lors qu'elles ne siègent pas au conseil d'administration. Je comprends leur réaction au regard des incidents qui se sont produits, le président du SIAAP nous ayant même confié qu'il n'en avait pas été informé aussitôt - mais c'est là un problème de communication interne. Toutefois, cette proposition de loi a des marges de progression dans sa rédaction. Même si l'amendement de la rapporteure est de nature à résoudre une partie des difficultés, en prévoyant une voix consultative et non plus délibérative, et en revenant sur le flou entretenu par l'expression « à proximité de ces stations », va-t-on décider de créer un objet juridique inédit en mélangeant départements et communes, notamment ?

Cela a été rappelé, le préfet Gaudin avait été chargé d'une mission, qui a donné lieu à la création d'une conférence de l'assainissement, mais, comme l'a souligné avec pertinence la rapporteure, celle-ci se réunit annuellement.

Pour ma part, je propose de créer une conférence des territoires, qui aurait vocation à se réunir beaucoup plus souvent. On le voit bien, le manque d'information ne serait pas davantage résolu par le texte qui nous est aujourd'hui proposé, sachant que le conseil d'administration se réunit tous les mois. La question de l'information ne se trouvera pas résolue par la participation des représentants des conseils municipaux des communes au conseil d'administration du SIAAP. Il importe de mieux associer les communes pour mieux les informer, considérant a fortiori l'ampleur géographique du champ d'intervention du SIAAP.

N'oublions pas la situation des intercommunalités. Peut-être faudrait-il d'ailleurs les ajouter ?

Se pose aussi la question de la stabilité de la gouvernance, même si vous y avez répondu. Certains pourraient avoir l'impression que les Franciliens sont obsédés par les jeux Olympiques, mais il se trouve que le SIAAP est concerné avec l'organisation d'épreuves dans la Seine et dans la Marne.

L'amendement que je propose semble répondre à la difficulté, soulevée par Alain Richard, de prévoir deux statuts différents au sein du conseil d'administration, certains membres ayant voix délibérative, tandis que d'autres auront voix consultative.

Mme Marta de Cidrac. - Permettez-moi au préalable de remercier la ministre pour son avis de sagesse sur l'amendement de réécriture proposé par la rapporteure.

Je l'ai dit dans mon propos liminaire, l'amendement et le sous-amendement proposés respectivement par la rapporteure et Jacqueline Eustache-Brinio recueillent mon assentiment, car ils visent à clarifier la rédaction.

Je répondrai aux critiques soulevées par le président Marseille et par Marie-Pierre de La Gontrie. N'oublions pas que les élus ne sont que les représentants de ces territoires, et donc des habitants. Or en cas d'incident - j'en veux pour preuve l'usine de « Seine aval » -, ceux-ci nourrissent de véritables inquiétudes. Ne nous méprenons pas, entendons-les, et j'espère que le texte, tel qu'amendé par la rapporteure, sera adopté.

Concernant la gouvernance, en prévoyant une voix consultative, le texte va dans le bon sens. Notre rôle est de répondre aux difficultés rencontrées par les élus locaux, sans déséquilibrer la gouvernance actuelle du SIAAP : ce syndicat n'a pas pour l'heure vocation à changer de forme juridique.

Je m'inscris en faux contre le fait que nous légiférerions de manière précipitée, monsieur Marseille. Chaque fois que j'ai interpellé les ministres sur ce sujet, il m'a été répondu qu'il fallait déposer une proposition de loi.

Mme Catherine Belrhiti, rapporteure. - Votre suggestion est pertinente, monsieur Richard, mais tel n'est pas l'objet de la proposition de loi. Transformer le SIAAP en syndicat mixte reviendrait à engager une réforme d'ampleur en changeant la nature juridique de cette institution interdépartementale. Nos seuls objectifs aujourd'hui sont de renforcer l'information des élus locaux et de mieux les associer au fonctionnement du SIAAP.

Je souhaite préciser à notre collègue Hervé Marseille que le département des Yvelines n'est pas compétent en matière d'assainissement puisqu'en droit commun, cette compétence échoit aux intercommunalités. L'exercice de la compétence assainissement, confiée au SIAAP, par les quatre départements de la petite couronne est une exception au droit commun qui a été prévue par le législateur. Compte tenu de cette particularité, une modification de sa gouvernance par la voie législative peut se justifier. Par ailleurs, le président du SIAAP n'était pas hostile à une voix consultative des membres du conseil municipal.

Madame de La Gontrie, il n'y aura pas d'effet domino sur les autres syndicats franciliens. Comme je viens de l'indiquer à l'instant, le SIAAP est un syndicat dérogatoire au droit commun, ce qui justifie que les problématiques qu'il pose soient traitées de manière spécifique.

Mme Marie-Pierre de La Gontrie. - Quid des intercommunalités ?

Mme Catherine Belrhiti, rapporteure. - Ce n'est pas le sujet. Nous parlons ici non pas des titulaires de la compétence « assainissement », mais des risques que subissent les communes de la grande couronne et leurs riverains du fait de la gestion de ces installations, gestion aujourd'hui assurée par le SIAAP.

M. François-Noël Buffet, président. - En application du vade-mecum sur l'application des irrecevabilités au titre de l'article 45 de la Constitution, adopté par la Conférence des présidents, je vous propose de considérer que le périmètre indicatif de la proposition de loi inclut les dispositions relatives aux modalités de fonctionnement de l'institution interdépartementale compétente en matière d'assainissement collectif des eaux usées des départements de Paris, des Hauts-de-Seine, de la Seine-Saint-Denis et du Val-de-Marne.

Il en est ainsi décidé.

EXAMEN DE L'ARTICLE UNIQUE SELON LA PROCÉDURE DE LÉGISLATION EN COMMISSION

Article unique

Mme Catherine Belrhiti, rapporteure. - Je propose, par l'amendement COM-3, une nouvelle rédaction de l'article unique de la proposition de loi, en accord avec son auteur, afin de recentrer le dispositif sur la représentation au conseil d'administration du SIAAP des seules communes remplissant la double condition d'être situées sur le territoire de départements non membres, à savoir, l'Essonne, la Seine-et-Marne, le Val-d'Oise et les Yvelines, et d'avoir sur leur territoire une station de traitement des eaux usées exploitée par ce syndicat. Il vise également à donner à un membre du conseil municipal de chacune des communes précitées une voix consultative aux réunions du conseil d'administration du SIAAP et à améliorer l'information de tous les conseillers municipaux des communes ainsi concernées. Ainsi, ceux-ci bénéficieraient, d'une part, un droit à l'information sur les affaires faisant l'objet d'une délibération au sein du SIAAP ayant une incidence directe ou indirecte sur la gestion des installations de traitement des eaux usées situées sur leur territoire, et, d'autre part, seraient rendus destinataires de droit de la convocation, des documents afférents à celle-ci, ainsi que de la liste des délibérations examinées par l'institution. Il procède enfin à diverses améliorations rédactionnelles.

La rédaction initiale de l'article, si elle a le mérite de rappeler l'indispensable association des élus locaux à la gestion des sites d'assainissement situés sur leur territoire en particulier en cas de crise, apparait insuffisamment opérationnelle et porter, notamment, le risque de bouleverser les équilibres de représentation existants au sein du SIAAP. Le présent amendement entend ainsi lever ces difficultés, tout en respectant l'intention de l'auteur de la proposition de loi. 

Mme Jacqueline Eustache-Brinio. - Le sous-amendement COM-4 a déjà été présenté.

Mme Marie-Pierre de La Gontrie. - L'amendement COM-2 prévoit la mise en place d'une conférence des territoires, en y intégrant les départements.

M. Alain Richard. - Le sous-amendement a le mérite d'apporter une précision sur l'objectif et le périmètre des communes qu'il faudrait associer à cette fonction consultative. Je note qu'il y a une fragilité juridique dans la mesure où sont visées les communes situées à proximité de ces stations. Quid des communes de la petite couronne si l'on parle de la prévention des risques ? Je pense notamment à la station d'épuration située à Bonneuil-en-France. Dans une phase ultérieure, il faudra remédier à cette lacune.

Mme Marie-Pierre de La Gontrie. - Mme Eustache Brinio a remplacé les termes « ou des communes situées à proximité de ces stations ». Tel que le sous-amendement est rédigé, toutes les communes de l'Île-de-France sont visées ! Je comprends son esprit, mais il ne résout pas du tout le problème.

Mme Jacqueline Eustache-Brinio. - En tant que sénatrice du Val-d'Oise, je puis vous dire que les maires des communes situées à l'est du département ne se sentent pas concernés. Ce sont les élus locaux des communes situées à proximité des stations d'épuration qui ont exprimé leur inquiétude et souhaitent être informés. C'est la réalité.

Mme Catherine Belrhiti, rapporteure. - Je suis favorable au sous-amendement COM-4. Je demande le retrait de l'amendement COM-2.

Mme Dominique Faure, ministre déléguée. - J'ai émis un avis de sagesse sur l'amendement COM-3, qui prévoit une voix consultative des membres du conseil municipal. Nous sommes solidaires de la volonté d'information du maire qui accueille une station d'épuration sur sa commune. En revanche, le périmètre géographique est insuffisamment défini. Aussi, je suis défavorable au sous-amendement COM-4. Par contre, je suis favorable à l'amendement COM-2 concernant la mise en place d'une conférence des territoires.

Il y a deux temporalités : l'urgence d'informer la commune qui accueille la station d'épuration et la refonte des statuts, évoquée à plusieurs reprises, une question qu'il conviendra d'examiner.

Le sous-amendement COM-4 n'est pas adopté. L'amendement COM-3 est adopté. En conséquence, l'amendement COM-2 devient sans objet.

L'article unique constituant l'ensemble de la proposition de loi est ainsi rédigé.

Le sort des amendements examinés par la commission est retracé dans le tableau suivant :

Auteur

Objet

Sort de l'amendement

Article unique

Mme BELRHITI, rapporteure

3

Attribution d'une voix consultative à certains élus locaux au sein du SIAAP et renforcement du droit d'information des conseillers municipaux.

Adopté

Mme EUSTACHE-BRINIO

4

Remplacement du critère géographique par celui du risque pour identifier les communes pouvant être représentées au conseil d'administration du SIAAP mais ne disposant pas de station d'épuration sur leur territoire.

Rejeté

Mme de LA GONTRIE

2

Création d'une conférence des territoires auprès du SIAAP

Rejeté

Cette réunion a fait l'objet d'une captation vidéo disponible en ligne sur le site du Sénat.

La réunion, suspendue à 9 h 30, est reprise à 9 h 40.

Services pénitentiaires d'insertion et de probation - Examen du rapport d'information

M. François-Noël Buffet, président. - Nous abordons maintenant l'examen du rapport d'information sur les services pénitentiaires d'insertion et de probation (SPIP).

Mme Marie Mercier, rapporteur. - Nous avons le plaisir de vous présenter les conclusions de la mission d'information que nous avons conduite au cours de l'année écoulée afin d'évaluer l'activité des SPIP.

Ces services demeurent peu connus, alors qu'ils jouent un rôle important dans la chaîne pénale. Ils assurent l'articulation entre le « dedans », la prison, et le « dehors », la vie en dehors de la détention. Ils assument d'abord une mission d'aide à la décision auprès des magistrats en leur apportant des informations sur les personnes placées sous main de justice. Ils sont également chargés de contrôler le respect des obligations imposées par le juge, par exemple dans le cadre d'un contrôle judiciaire ou d'un sursis probatoire. Enfin, ils travaillent à prévenir la récidive et à favoriser la réinsertion. Ils sont en quelque sorte une tour de contrôle.

Alors pourquoi évaluer les SPIP ? Ces services ont bénéficié de renforts substantiels depuis bientôt dix ans. Entre 2014 et 2023, leurs effectifs sont passés de 4 000 à 6 700 agents. La création d'un millier de postes a été décidée en 2014 par le gouvernement de Jean-Marc Ayrault, puis la loi de programmation pour la justice 2018-2022 a autorisé 1 500 embauches supplémentaires. S'y est ajoutée une revalorisation statutaire puisque le corps des conseillers pénitentiaires d'insertion et de probation (CPIP) est passé de la catégorie B à la catégorie A de la fonction publique en janvier 2019. Un bilan d'étape nous a donc semblé utile afin d'apprécier l'impact de cet effort budgétaire et d'estimer s'il demeure des besoins insatisfaits.

Trop souvent, l'activité des SPIP est évoquée à l'occasion d'un drame, par exemple si une personne condamnée commet un nouveau crime après une libération conditionnelle. Les CPIP vivent mal ces mises en cause répétées, et il a nous a paru important de procéder à une évaluation plus objective et dépassionnée de leur activité. Ces agents sont extrêmement investis dans leur métier.

On dénombre aujourd'hui 104 SPIP, en métropole et en outre-mer, les services étant organisés à l'échelle du département ou de la collectivité. Le directeur du SPIP est placé sous l'autorité du directeur interrégional des services pénitentiaires et dépend, au niveau central, de la direction de l'administration pénitentiaire (DAP), plus particulièrement de la sous-direction en charge de l'insertion et de la probation. Au sein de chaque département, le SPIP peut compter des antennes, dédiées à un ou plusieurs établissements pénitentiaires, au milieu ouvert ou à compétence mixte. La structuration des services a beaucoup progressé depuis une vingtaine d'années, la création, en 2005, du corps des directeurs pénitentiaires d'insertion et de probation (DPIP) marquant une étape importante dans ce processus, de même que la création récente d'organigrammes de référence.

Mme Laurence Harribey, rapporteure. - Marie Mercier vient de rappeler que les SPIP avaient bénéficié d'importants recrutements. La quarantaine d'auditions auxquelles nous avons procédé ont cependant montré qu'ils avaient connu une transformation profonde de leur métier qui va bien au-delà de cet aspect quantitatif.

Les SPIP sont nés assez récemment, en 1999, de la fusion des comités de probation et d'assistance aux libérés et des services socio-éducatifs qui intervenaient dans les établissements pénitentiaires. À l'origine, leur activité s'inscrivait donc dans le champ du travail social et éducatif, ce qui n'est plus vraiment le cas aujourd'hui. La culture socio-éducative reste néanmoins encore très présente.

Sous l'influence de la recherche menée dans les pays anglo-saxons - la France était à la traîne sur ce sujet -, l'activité des CPIP a en effet évolué pour s'ancrer désormais dans la criminologie. On est passé d'une mission socio-éducative à une mission d'évaluation du risque de récidive. Après le diagnostic sur ce risque, le CPIP élabore un programme de prévention de la récidive, avec des actions individualisées. Le recrutement des CPIP s'est modifié en conséquence, faisant désormais la part belle aux juristes, de même que les enseignements dispensés par l'École nationale d'administration pénitentiaire (Enap).

Au sein du corps des CPIP, coexistent aujourd'hui deux cultures professionnelles : les plus anciens se considèrent encore comme des travailleurs sociaux et regrettent l'évolution de leur métier, les plus jeunes se perçoivent comme des psychologues-criminologues. La tendance est la même dans les pays anglo-saxons et nordiques.

Si l'on dresse un premier bilan des transformations que nous venons d'esquisser, on relève un certain nombre de résultats positifs. Malgré l'augmentation du nombre de personnes détenues et du nombre de personnes suivies en milieu ouvert, les recrutements effectués ont permis de faire diminuer le nombre de dossiers suivis par chaque CPIP, passé de 80 il y a cinq ans à environ 70 aujourd'hui, avec d'importantes différences territoriales. Le renforcement des SPIP a par ailleurs accompagné la montée en puissance de la surveillance électronique.

Les juges de l'application des peines (JAP) perçoivent une amélioration de la qualité des écrits qui leur sont remis. La direction de l'administration pénitentiaire a mis en place un référentiel des pratiques opérationnelles (RPO 1), une méthodologie importée des pays anglo-saxons, qui a contribué à harmoniser les pratiques des professionnels, même s'il ne faut pas tomber dans une systématisation des pratiques et faire disparaître la dimension humaine. Les SPIP se sont investis avec succès dans la lutte contre la radicalisation et contre les violences intrafamiliales.

Certains de nos interlocuteurs ont toutefois exprimé un jugement plus critique. L'Association nationale des visiteurs de personnes sous main de justice a ainsi déploré que trop de sorties de détention restent insuffisamment préparées. Le Conseil national des barreaux (CNB) a également regretté que les rapports remis par le SPIP au juge de l'application des peines soient transmis trop tardivement à l'avocat, ce qui ne lui ne permet pas de préparer convenablement la défense de son client. Le CNB a perçu des lacunes concernant la maîtrise du droit des étrangers chez certains conseillers pénitentiaires d'insertion et de probation.

Il est difficile d'apprécier si l'effort consenti en faveur des SPIP a eu un impact sur la récidive. La direction de l'administration pénitentiaire est consciente de cette difficulté et elle souhaite désormais bénéficier d'outils méthodologiques pour appréhender la récidive sur la base d'une comparaison avec un groupe de contrôle, ce qui permettrait de mieux évaluer l'efficacité des peines et de la probation.

Dans ce contexte, nous croyons utile de renforcer pendant encore quelques années les effectifs des SPIP, en veillant à garantir la pluridisciplinarité des équipes. Les recrutements opérés jusqu'à présent ont permis de remédier aux manques les plus criants, sans que la situation devienne pour autant confortable.

Nous proposons de viser un ratio de 60 dossiers par CPIP en moyenne - je rappelle que nous en sommes plutôt à 70, voire plus dans certains territoires. Ce ratio est souvent cité comme une référence dans les comparaisons européennes. Le recrutement de 600 CPIP supplémentaires permettrait d'atteindre cet objectif. L'investissement peut être source d'économies s'il permet d'obtenir de meilleurs résultats en termes de réinsertion. Il doit bien sûr s'accompagner d'une politique immobilière adaptée. Lorsque je me suis rendue au SPIP de Bordeaux dans mon département de la Gironde, j'ai constaté que les conditions n'étaient pas optimales.

Se pose aussi la question de l'attractivité de la filière : si le statut des CPIP a été revalorisé avec leur passage en catégorie A, le métier de directeur pénitentiaire d'insertion et de probation (DPIP) demeure en revanche insuffisamment attractif. L'an dernier, plus de 90 postes de DPIP étaient vacants. Les directeurs constatent que l'écart de rémunération avec les CPIP s'est beaucoup réduit. La personnalité du directeur et sa capacité à faire travailler ensemble une série de métiers sont également des facteurs importants. Une revalorisation de leur traitement indiciaire pour le rapprocher des A+ mérite d'être envisagée. Son impact budgétaire serait modique puisque l'on compte moins de 500 DPIP en équivalent temps plein.

J'ai évoqué le tournant vers la criminologie qui a fait évoluer les pratiques professionnelles des CPIP. Pour porter ses fruits, il doit s'accompagner à notre sens d'une véritable pluridisciplinarité dans les services. Il ne faut pas oublier l'aspect insertion et accompagnement social, ce qui suppose la mise en place d'un écosystème d'acteurs. À Marseille, nous avons vu que tous les acteurs étaient réunis autour de la table, chacun dans son rôle.

L'ancrage de l'identité professionnelle des CPIP dans le champ pénal implique, en contrepartie, le recrutement d'assistants de service social. Leur nombre dans les SPIP est passé en cinq ans de 61 à 104. En moyenne, on en compte donc à peine plus d'un par département ! L'objectif serait de porter le nombre d'assistants de service social à 150.

Les personnes entendues ont en outre insisté sur l'importance des fonctions support. Certaines organisations syndicales plaident pour la création d'un greffe des services d'insertion et de probation. Nous n'avons pas retenu cette proposition - d'autant que nous manquons déjà de greffiers -, mais il nous paraît important de rappeler la nécessité de disposer dans les SPIP d'un personnel administratif bien formé, afin que les conseillers puissent se concentrer sur leur coeur de mission.

Enfin, il nous faut évoquer l'apport des surveillants pénitentiaires au fonctionnement des SPIP. Leur présence est indispensable : ils apportent un regard complémentaire de celui du CPIP sur le comportement de la personne condamnée qu'ils observent au quotidien.

J'évoquerai à présent les questions d'organisation avant de rendre la parole à Marie Mercier qui traitera de l'enjeu central des partenariats.

Au cours des États généraux de la justice a été débattue l'idée de créer une agence de la prévention de la récidive et de la probation. Cette proposition était défendue par le groupe thématique « justice pénitentiaire et de réinsertion », mais elle n'a pas été retenue dans le rapport définitif, le rapport Sauvé.

Pour ses promoteurs - je pense notamment à Isabelle Gorce, ancienne directrice de l'administration pénitentiaire -, la création d'une agence présenterait plusieurs avantages : souplesse dans l'organisation et le recrutement, positionnement interministériel plus affirmé et « décentrage » par rapport au poids de la gestion carcérale. Mais, selon nous, elle ferait aussi courir le risque d'une coordination plus difficile avec la DAP et celui d'une moindre continuité entre le milieu fermé et le milieu ouvert, ce qui explique que nous ne l'ayons pas retenue.

Plutôt qu'un grand « mécano » institutionnel, nous insistons sur l'importance du travail interministériel, qui doit être organisé au niveau national et décliné localement. En mars 2022, une feuille de route a été signée par le ministre de la justice, la ministre du travail et la ministre déléguée à l'insertion pour accompagner la réinsertion professionnelle des personnes placées sous main de justice, ce qui est un exemple de bonne pratique.

Nous soulignons également l'intérêt qu'il y aurait à resserrer les liens entre l'administration pénitentiaire et le monde universitaire pour développer la recherche en criminologie, ainsi que l'évaluation des politiques pénales.

Mme Marie Mercier, rapporteur. - Le dernier volet de notre étude est consacré aux relations qu'entretient le SPIP avec l'autorité judiciaire, avec les associations socio-judiciaires et avec ses partenaires dans le champ de l'emploi et de l'insertion. Le SPIP doit préparer la sortie, sur le plan tant du logement que de l'emploi.

C'est avec le juge de l'application des peines (JAP) que le SPIP travaille le plus étroitement, notamment pour préparer les mesures d'aménagement de peine. La loi « Justice de proximité » du 8 avril 2021 a transféré au directeur pénitentiaire d'insertion et de probation certaines tâches assumées jusque-là par le JAP, en ce qui concerne la mise en oeuvre des peines de travail d'intérêt général. D'autres ajustements de ce type seraient à notre avis envisageables, ce qui allégerait la charge de travail des JAP tout en donnant davantage de responsabilités aux DPIP.

Avec le juge d'instruction, les interactions sont plus ponctuelles : le SPIP peut être amené à réaliser à sa demande une enquête sociale ou à mettre en oeuvre une mesure de sûreté. Les juges d'instruction que nous avons entendus nous ont cependant alertées sur la nécessité de mieux sensibiliser les CPIP aux contraintes propres à l'instruction, qui imposent le respect d'un certain formalisme pour qu'un document puisse être soumis au contradictoire. C'est un point sur lequel la formation des CPIP pourrait donc être améliorée.

Pour resserrer les liens entre le SPIP et la formation de jugement, nous vous proposons également d'expérimenter une permanence du SPIP auprès du tribunal correctionnel, ce qui permettrait d'amorcer sans délai le suivi du condamné dès le prononcé de la peine.

L'activité d'insertion et de probation se caractérise par la coexistence d'un secteur public - les SPIP - et d'associations socio-judiciaires de droit privé, qui peuvent se voir confier les mêmes missions. Nous avons observé que la relation entre ces deux catégories d'acteurs était parfois empreinte de méfiance alors qu'ils poursuivent le même objectif.

Historiquement, le secteur associatif est surtout présent sur le pré-sentenciel, et les SPIP sur le post-sentenciel. Au moment de l'adoption de la loi de programmation pour la justice, la Chancellerie avait pour ambition de repositionner les SPIP sur le pré-sentenciel, notamment en leur confiant plus d'enquêtes sociales rapides, mais cette orientation semble avoir été appliquée de manière très inégale sur le territoire au vu des témoignages que nous avons recueillis.

Nous avons réfléchi à ce qui pourrait constituer une répartition des tâches optimales entre le secteur public et le secteur associatif, mais nous avons rapidement rencontré un écueil : le tissu associatif étant très hétérogène selon les territoires, il ne nous paraît pas réaliste d'appliquer de manière rigide une formule unique.

En revanche, pour renforcer la confiance entre les acteurs, nous pensons qu'il serait judicieux de mettre en place une habilitation des associations, sur le modèle de ce qui existe pour la protection judiciaire de la jeunesse (PJJ). Une telle habilitation, renouvelée régulièrement, apporterait aux magistrats la garantie de la qualité de la prise en charge et de la probité des personnels exerçant au sein de ces structures.

Par ailleurs, je crois utile d'évoquer les partenariats tissés entre les SPIP et les acteurs de l'insertion, de la formation et de l'emploi. Le SPIP a besoin de s'appuyer sur des partenaires extérieurs pour construire des parcours cohérents et faire le lien entre le milieu fermé et le milieu ouvert.

Dans le champ de l'insertion, nos interlocuteurs ont souligné que la question de l'accès à un logement à la fin de la détention restait souvent problématique. Les SPIP devraient travailler plus en amont avec les services intégrés d'accueil et d'orientation (SIAO). Un recours plus fréquent au placement à l'extérieur permettrait également d'organiser des transitions plus fluides entre la détention et la fin de la peine. Il faut préparer la sortie et éviter la récidive.

Concernant le service public de l'emploi, nous avons observé que les rapports avec Pôle emploi étaient anciens et structurés, tandis que le partenariat avec les missions locales paraît quelque peu négligé. La convention entre l'Union nationale des missions locales et le ministère de la justice, arrivée à échéance en 2020, n'a jamais été renouvelée. Conclure une nouvelle convention serait une bonne manière de relancer le partenariat au service de la réinsertion des jeunes placés sous main de justice.

Dans le champ de la formation, les échanges que nous avons eus avec Régions de France suggèrent que les rapports entre les SPIP et les conseils régionaux demeurent très disparates selon les territoires. Si en Auvergne-Rhône-Alpes des échanges existent au quotidien entre le SPIP et le référent formation à la région, dans d'autres territoires les rapports se résument à quelques réunions d'information dans l'année. Beaucoup reste donc à faire alors que le nombre de personnes détenues bénéficiant d'une formation a baissé depuis le transfert de cette compétence aux régions, passant de 20 000 en 2007 à 9 000 aujourd'hui. Une dégringolade, alors même que les formations sont bien suivies par les détenus !

Un élément transversal qu'il me paraît important de mentionner pour terminer concerne l'accès au numérique en détention. Alors que le numérique est partout présent dans nos sociétés, il est paradoxal de vouloir préparer la sortie de détention en interdisant l'utilisation d'internet. Les CPIP sont tentés de responsabiliser les personnes détenues en leur faisant accomplir seules certaines démarches, mais l'absence d'accès à internet a au contraire pour effet de les rendre dépendantes de leur CPIP. La recherche d'emploi, le suivi d'une formation sont également compliqués. Désireuse d'avancer sur ce sujet, la DAP mène une expérimentation dans plusieurs établissements pénitentiaires. Sans méconnaître les enjeux en termes de sécurité, nous espérons que cette expérimentation sera concluante et que l'accès au numérique pourra être élargi dans l'ensemble des établissements.

Mme Laurence Harribey, rapporteure. - Pour conclure cette présentation, j'aimerais replacer notre objet d'étude dans le contexte plus général de notre politique pénale.

Il va sans dire que les efforts consentis pour remédier aux sous-effectifs dans les SPIP seront de peu de portée si le nombre de personnes emprisonnées ou suivies en milieu ouvert continue d'augmenter. Il est difficile, quelle que soit la bonne volonté des personnels, d'accompagner vers la réinsertion les personnes détenues lorsque le taux d'occupation de l'établissement pénitentiaire atteint 150 % ou 200 %, comme dans la prison de Gradignan.

Les courtes peines de prison sont particulièrement difficiles à gérer pour le SPIP, car elles ne permettent pas d'amorcer un véritable travail de réinsertion. Dans ce cas, le risque est grand que la prison fonctionne surtout comme une école de la délinquance. La loi de programmation pour la justice comportait un « bloc peine » qui avait pour ambition de réduire le nombre de courtes peines d'emprisonnement. À ce jour, le bilan que l'on peut en dresser est décevant : le rapport Sauvé indique que le prononcé de peines comprises entre un et six mois d'emprisonnement est devenu moins fréquent, mais que le nombre de peines entre six mois et un an a augmenté en parallèle, entraînant un allongement de la durée moyenne des courtes peines.

Nous ne pourrons faire l'économie à terme d'une évaluation de ces dispositions qui conditionnent en grande partie le succès ou l'échec de nos efforts en matière de réinsertion et de probation. D'où nos dix propositions, que nous avons organisées en deux chapitres : la poursuite de l'investissement en veillant à garantir la pluridisciplinarité des services ; des services au coeur d'un réseau d'acteurs.

M. François-Noël Buffet, président. - Merci pour ce travail précis.

M. Alain Marc. - Je félicite les rapporteures pour leur travail. Leurs conclusions corroborent ce que nous constatons régulièrement lors de la préparation de l'avis budgétaire sur l'administration pénitentiaire. Je pense particulièrement à la question de l'évaluation, qui est, pour l'ensemble des politiques publiques, nettement insuffisante. D'autant que l'évaluation est souvent conduite en interne, par le ministère de la justice... Il faudrait prendre exemple sur les pays anglo-saxons, dans lesquels l'évaluation est faite de façon régulière et approfondie.

S'agissant de la politique immobilière, le ministère loue, quelquefois à des prix exorbitants, des locaux, pas forcément toujours adaptés. Pourriez-vous m'apporter des précisions sur ce point ?

Lors de ma visite de l'Enap l'année dernière, le problème du faible nombre de candidats au concours de surveillant pénitentiaire avait été évoqué. La situation est-elle la même pour les CPIP ? Disposez-vous de chiffres pour 2022 ?

Mme Brigitte Lherbier. - Je connais bien le sujet pour avoir dirigé un Institut d'études judiciaires pendant vingt-cinq ans. La criminologie est une matière intellectuellement passionnante, que les étudiants suivaient pour préparer les concours de la magistrature ou de commissaire de police. Mais ils ne souhaitaient pas en faire leur métier, car ils avaient du mal à trouver ensuite des postes correspondant à leur niveau de formation.

Les SPIP font peur ! À Tourcoing et à Roubaix, nous avons mis en place de nombreux chantiers d'insertion et des travaux d'intérêt général, en lien avec les SPIP. La collaboration avec les JAP permet de trouver les meilleurs candidats à la réinsertion. Même en faisant preuve d'une grande volonté, il est toutefois très difficile de trouver des places pour les anciens détenus en raison de la frilosité et des craintes de ceux qui pourraient les accueillir.

M. Alain Richard. - Je salue la qualité du travail de nos collègues. L'une de leurs recommandations me paraît particulièrement judicieuse, celle de prévoir l'agrément des associations. Le chemin est escarpé : dans notre pays, le droit des associations est une vache sacrée !

Les associations péri-administratives sont devenues une technique de gestion de services publics dans un certain nombre de domaines socio-éducatifs. Ce sont des associations sans associés : le noyau des intervenants est constitué de personnes respectables, souvent issues du milieu professionnel, comme des procureurs ou des avocats à la retraite. Évaluer ces personnes pour déterminer de la pertinence d'une association relève de la fiction ! Le mécanisme d'agrément permettrait en réalité de faire une inspection du personnel salarié. Si une telle disposition était inscrite dans la loi, les termes choisis devront être bien pesés. Avons-nous des précédents d'homologations d'associations de ce type ? Le contrôle devrait porter sur la réalité de la prestation de service.

M. Guy Benarroche. - Je remercie les rapporteures pour l'exhaustivité de leur travail. Les SPIP ont un rôle majeur pour éviter la récidive et réinsérer les personnes qui sortent de détention.

À Marseille, les CPIP suivent une centaine de dossiers, bien au-delà de la moyenne nationale. De nombreux personnels quittent leur poste, et les budgets alloués ne sont pas suffisants.

Le rapport Sauvé préconisait de revaloriser les DPIP pour les rapprocher des A+. Leur maintien en catégorie A, comme les CPIP, pose problème pour l'évolution de carrière de ce corps. Le garde des sceaux avait envisagé une mise en place de cette mesure de revalorisation en 2023 ou 2024. Avez-vous des éléments d'information sur ce sujet ?

Mme Catherine Di Folco. - Je remercie les rapporteures pour leur travail très fourni.

De nombreuses préconisations ont des conséquences financières. Quelle serait l'enveloppe financière nécessaire pour leur mise en oeuvre ?

Mme Laurence Harribey, rapporteure. - Sur l'évaluation, nous sommes tous d'accord ! Certains analystes disent qu'une politique publique est là non pour résoudre un problème, mais pour révéler la manière selon laquelle on envisage ce problème. L'évaluation de notre politique pénale montrerait qu'on accorde davantage d'importance à la question pénitentiaire qu'à la prévention de la récidive. Le rapport Sauvé est intéressant car il ouvre d'autres champs de perception.

En ce qui concerne la politique immobilière, j'ai constaté à Bordeaux que les locaux étaient également loués, à des tarifs élevés. Le déménagement est repoussé d'année en année. L'argument souvent invoqué est celui de la flexibilité qu'offrirait une location, qui permet de s'adapter aux besoins.

S'agissant du dernier concours externe de CPIP, le nombre d'inscrits était de 2 332, mais 842 candidats seulement étaient présents aux épreuves : 410 admissibles, et 211 admis. La sélection est bonne si on la rapporte au nombre d'inscrits, moins si on la compare au nombre de candidats ayant réellement passé l'épreuve.

M. Alain Marc. - Le tamis a de larges mailles !

Mme Laurence Harribey, rapporteure. - Le passage en catégorie A a tout de même amélioré l'attractivité du métier. Nous n'avons pas d'information précise sur la revalorisation du statut des directeurs.

Mme Marie Mercier, rapporteur. - Je partage la réflexion de Brigitte Lherbier. Comment donner envie de faire le métier de CPIP ?

Monsieur Richard, en ce qui concerne l'agrément, il faudrait s'inspirer du mécanisme d'habilitation pour les associations intervenant dans le champ de la PJJ et de l'aide sociale à l'enfance (ASE). Les sachants qui occupent leur retraite dans les associations s'octroient en quelque sorte un mandat à vie.

M. Alain Richard. - Heureusement qu'ils sont là !

Mme Marie Mercier, rapporteur. - Oui, et nous en sommes ravis. Mais ils ne doivent pas, j'y insiste, s'octroyer un mandat à vie.

Mme Laurence Harribey, rapporteure. - L'agrément permettrait de prévoir des critères d'évaluation, et présenterait l'avantage d'être valable pour une certaine durée, par exemple cinq ans. Il est bon de devoir rendre des comptes.

Nous n'avons pas d'éléments précis sur le chiffrage financier de nos propositions.

Mme Marie Mercier, rapporteur. - Nous attendons la réponse de la DAP que nous avons interrogée à ce sujet.

Mme Laurence Harribey, rapporteure. - Nous avons été passionnées par le sujet, mais nous devons rester humbles. Il s'agit d'un rapport d'étape, et nous ne proposons pas de faire une révolution institutionnelle. La commission des lois doit continuer à suivre ce sujet, car nous assistons à un changement important du métier.

Mme Marie Mercier, rapporteur. - Il faudrait faire un effort budgétaire, mais il serait modeste au regard de l'objectif, éviter la récidive. Les directeurs savent que certains détenus qui sortent risquent de retourner en prison. Comme l'a dit l'une des personnes que nous avons entendues, il ne faut pas construire de prisons sinon elles se remplissent... Nous avons visité le centre pénitentiaire des Baumettes-II : alors qu'il venait d'être inauguré, il était déjà plein !

M. François-Noël Buffet, président. - Dans le cadre des États généraux de la justice, nous avons fortement insisté non seulement sur l'importance de prévoir les moyens humains, matériels et financiers nécessaires pour permettre aux SPIP d'accomplir leurs missions, mais également sur la nécessité d'une évaluation.

Les recommandations sont adoptées.

La commission adopte le rapport d'information et en autorise la publication.

La réunion est close à 10 h 35.