Lundi 3 avril 2023

- Présidence de Mme Dominique Estrosi Sassone, présidente -

La réunion est ouverte à 15 h 00.

Audition de M. François Adam, directeur de l'habitat, de l'urbanisme et des paysages (DHUP)

Mme Dominique Estrosi Sassone, présidente. - Nous recevons cet après-midi M. François Adam, directeur de l'habitat, de l'urbanisme et des paysages, accompagné de M. Simon Huffeteau, coordinateur interministériel du plan de rénovation énergétique des bâtiments, que nous avons déjà entendu il y a quelques semaines.

Monsieur Adam, depuis 2018, vous dirigez la direction de l'habitat, de l'urbanisme et des paysages (DHUP), direction du ministère de la transition écologique chargée de répondre aux besoins en logement de nos concitoyens. Auparavant, vous avez notamment été directeur général adjoint de Paris Habitat, office public de l'habitat de la Ville de Paris de 2006 à 2010, puis directeur général adjoint de l'Agence nationale de la cohésion sociale jusqu'en 2012, ainsi que directeur de cabinet du secrétaire d'État chargé du budget et des comptes publics de 2015 à 2017.

Votre audition doit nous permettre de mieux comprendre le rôle de la DHUP dans la rénovation énergétique des bâtiments, alors que votre direction est chargée de l'élaboration, de l'animation et de l'évaluation des politiques publiques en matière de rénovation énergétique des bâtiments et a pour ambition de faire du bâtiment un levier effectif du développement durable, en oeuvrant à l'amélioration de ses performances énergétiques.

Après presque cinq ans à votre poste, vous êtes particulièrement qualifié pour avoir une vision d'ensemble de cette politique, de la manière dont sont fixés les objectifs et dont elle est pilotée. Il nous serait précieux que vous puissiez nous faire part de votre diagnostic et des améliorations que vous souhaiteriez voir aboutir.

Comment l'action de la DHUP s'articule-t-elle avec les autres acteurs de la rénovation énergétique ? Cette gouvernance est-elle perfectible ?

Comment passer de la massification des gestes de rénovation à la massification des rénovations globales ?

De plus en plus de voix demandent une dissociation entre la décarbonation de l'énergie consommée - pour atteindre la neutralité carbone et protéger le climat -, et l'isolation des bâtiments afin de lutter contre la précarité énergétique et de limiter la consommation, et donc la production d'énergie. Cette dissociation vous semble-t-elle pertinente ?

Plus en détail, comment analysez-vous les débats actuels autour de la fiabilité du diagnostic de performance énergétique (DPE) et le calendrier des obligations établies par la loi Climat et résilience en termes d'interdiction de louer ou de réalisation d'audits énergétiques ? Ces objectifs sont-ils réalistes sans conséquences graves pour le marché du logement ?

Sur ce sujet, votre direction a publié en octobre 2022 une feuille de route contenant plusieurs propositions d'amélioration de la qualité du DPE, alors que son manque de fiabilité a été dénoncé par plusieurs acteurs de la rénovation énergétique. Pouvez-vous nous détailler les objectifs de cette feuille de route et éventuellement en dresser un premier bilan ?

Cette audition est diffusée en direct sur le site internet du Sénat. Elle fera également l'objet d'un compte rendu publié.

Je rappelle qu'un faux témoignage devant notre commission d'enquête serait passible des peines prévues aux articles 434-13, 434-14 et 434-15 du code pénal, qui peuvent aller de trois à sept ans d'emprisonnement et de 45 000 à 100 000 euros d'amende. Je vous invite à prêter serment de dire toute la vérité, rien que la vérité, en levant la main droite et en disant : « Je le jure. »

Conformément à la procédure applicable aux commissions d'enquête, M. François Adam prête serment.

M. François Adam, directeur de l'habitat, de l'urbanisme et des paysages. - Je vous remercie de votre invitation. Je suis accompagné de M. Simon Huffeteau que vous avez déjà auditionné et qui pourra compléter mon propos.

Au sein du ministère de la transition écologique et de la cohésion des territoires, deux des compétences de la DHUP vous intéressent tout particulièrement.

Tout d'abord, j'évoquerai sa responsabilité dans la préparation de la législation en matière de construction, et donc de performance énergétique du bâtiment - notamment le DPE et l'audit énergétique. À ce titre, la DHUP est responsable de la préparation des positions françaises dans le cadre des négociations européennes, avec plusieurs sujets importants en cours.

Nous participons aussi à la préparation des textes et au pilotage financier des aides à la rénovation énergétique, conjointement avec la direction générale de l'énergie et du climat (DGEC) : la DGEC est responsable du dispositif des certificats d'économies d'énergie (C2E), mais nous pilotons conjointement MaPrimeRénov' et assurons la cotutelle de l'Agence nationale de l'habitat (Anah) qui distribue MaPrimeRénov', MaPrimeRénov' Sérénité et MaPrimeRénov' Copropriété. Nous nous coordonnons donc très étroitement avec la DGEC et l'opérateur Anah. Ce besoin de coordination fine a conduit à la création de la mission dont M. Huffeteau a la charge, rattachée aux deux directions. Il s'agit d'un sujet éminemment interministériel, qui requiert un dialogue constant avec le ministère de l'économie et des finances sur les aspects budgétaires et fiscaux, mais aussi sur l'impact économique de nos politiques, spécifiquement suivi par la direction générale du Trésor.

Notre rôle est plus limité s'agissant des bâtiments publics. Les bâtiments de l'État relèvent de la direction immobilière de l'État, rattachée au ministère de l'économie et des finances. Les bâtiments des collectivités territoriales et de leurs opérateurs relèvent de la direction générale des collectivités locales (DGCL), et au premier chef des collectivités territoriales elles-mêmes, bien entendu.

Mais les intervenants autres que l'État sont nombreux. Je pense tout d'abord aux collectivités territoriales et tout particulièrement au bloc communal. Certains établissements publics de coopération intercommunale (EPCI) ou certaines communes sont très actifs en matière d'accueil et d'orientation sur la rénovation énergétique, certains étant même délégataires des aides de l'Anah ou ayant développé leur propre dispositif d'aide à la rénovation énergétique.

Je pense aussi à l'ensemble des professionnels, au sens large, les entreprises qui réalisent les travaux, mais aussi tous les professionnels qui jouent un rôle d'expertise aux différents stades de la chaîne immobilière : les diagnostiqueurs immobiliers ; les professionnels qui réalisent des audits ; les notaires, qui procèdent à des vérifications à l'occasion des transactions immobilières ; les professionnels qui réalisent diverses études, par exemple pour des immeubles en copropriété ou du logement social ; les fournisseurs d'énergie, dont le rôle est essentiel dans le fonctionnement des C2E ; les fabricants d'équipements - chauffage performant, pompes à chaleur, équipements de production d'énergie renouvelable, etc. Il s'agit d'un secteur économique large, diversifié et dynamique. Même si les concertations sont parfois compliquées, sur la réglementation ou le financement, le secteur adhère globalement aux objectifs de cette politique publique. Il s'agit d'un écosystème large et complexe, avec lequel nous entretenons une relation constructive.

Nous sommes conscients que l'intervention publique ne peut pas tout, au regard des quelque 30 millions de résidences principales à rénover. Car il s'agit d'abord de décisions de propriétaires, que nous pouvons contraindre, ou plutôt inciter, à réaliser des travaux. Nous cherchons à les convaincre, en les aidant financièrement et en mettant à leur disposition les compétences de professionnels. Il s'agit donc d'un ensemble de décisions dispersées, du grand bailleur social gestionnaire de plusieurs centaines de milliers de logements jusqu'au propriétaire d'un lot de copropriété ou d'une maison individuelle. C'est un véritable facteur de difficulté et de complexité.

La politique de rénovation énergétique s'est construite sur la dernière décennie, par étapes successives. Les premiers outils - réglementation thermique, DPE, premiers textes européens fixant des objectifs de réduction des émissions de gaz à effet de serre - ont été adoptés à la fin des années 1990 et au début des années 2000. Au début des années 2010, des outils financiers ont fait leur apparition, avec les aides de l'Anah - comme le programme Habiter mieux - et le crédit d'impôt pour la transition énergétique (CITE), qui a joué son rôle.

Les années 2019 à 2021 ont vu une profonde réforme du dispositif d'aide, avec la disparition du CITE et la création de MaPrimeRénov' dans la loi de finances pour 2020, ainsi que l'adoption de la deuxième stratégie nationale bas-carbone (SNBC) au début de l'année 2020. Les travaux de la Convention citoyenne pour le climat ont débouché sur la loi Climat et résilience de 2021, qui définit une nouvelle notion, celle d'indécence énergétique des logements locatifs, qui prévoit une obligation d'audit réglementaire et qui instaure un DPE collectif obligatoire dans certains immeubles. Nous pouvons donc en faire le bilan en 2023.

J'identifie plusieurs facteurs d'évolution de notre politique publique de rénovation énergétique.

Je pense, en premier lieu, aux objectifs européens fixés par le paquet Fit for 55, présenté par la Commission européenne en 2021. Il est en cours d'adoption au travers de plusieurs directives. L'objectif est une réduction de 55 % de nos émissions nettes de gaz à effet de serre entre 1990 et 2030, au lieu de 40 %. La France doit donc revoir sa stratégie globale, avec la préparation d'un projet de loi de programmation sur l'énergie et le climat qui devrait être déposé en milieu d'année 2023, associé à une nouvelle SNBC, un nouveau plan national d'adaptation au changement climatique (PNACC) et une nouvelle programmation pluriannuelle de l'énergie (PPE). Plusieurs directives sont en cours de négociation et auront un impact direct sur notre politique de rénovation énergétique : l'une sur la performance énergétique du bâtiment, l'autre sur l'efficacité énergétique.

Je pense, en second lieu, à la démarche de planification écologique lancée par le Président de la République au début de son second mandat et pilotée par la Première ministre. Cette mission a été confiée au secrétariat général à la planification écologique, directement rattaché à la Première ministre. Celui-ci joue un rôle très important dans la préparation de la déclinaison des objectifs européens de la France et prépare un projet de loi de programmation. Notre ministère est très régulièrement associé à ses travaux, présidés par la Première ministre, concernant notamment la décarbonation du secteur du bâtiment, et donc la rénovation énergétique.

L'année 2023 est donc une année de réflexion, en vue de préparer une nouvelle étape de la politique de rénovation énergétique en 2024. Il est encore trop tôt pour en tracer les contours précis, mais ce sera un élément important lors de l'examen de la loi de programmation et des futurs textes financiers.

Vous avez évoqué la massification des rénovations performantes. Nous devons adopter une approche nuancée. Les rénovations par geste ont connu une vraie massification depuis la création de MaPrimeRénov' en 2020 : en 2021, comme en 2022, 600 000 gestes ont été aidés. Mais les volumes d'aide à la rénovation globale ne sont pas négligeables : 40 000 dossiers en 2022 pour MaPrimeRénov' Sérénité - à destination des ménages modestes et très modestes - et 22 000 logements aidés en 2022 par MaPrimeRénov' Copropriété, créée en 2021. La volumétrie n'est certes pas la même, mais on ne part pas de rien et l'impact est non négligeable. Il existe un consensus sur le fait que nous devons faire davantage de rénovations performantes, en modifiant l'équilibre actuel : faut-il poursuivre la hausse des aides par geste, les stabiliser, ou les réduire ? Il faudra beaucoup plus de rénovations performantes.

Je rappelle toutefois qu'il s'agit avant tout de décisions des propriétaires. Par rapport au remplacement d'une chaudière à gaz par une pompe à chaleur dans une maison individuelle, une décision de rénovation globale est plus lourde pour le propriétaire, plus coûteuse - l'aide est certes supérieure, mais le reste à charge est plus élevé - et aussi plus contraignante d'un point de vue opérationnel - les travaux sont plus longs, une partie du logement peut être inhabitable quelque temps. Il ne s'agit pas d'une décision facile pour un particulier. D'où l'importance de l'information et surtout l'obligation d'accompagnement posée par la loi Climat et résilience.

Nous devons donc rester prudents sur le rythme de développement des rénovations performantes : ainsi, il paraît difficile de doubler d'une année sur l'autre, et même de déterminer un rythme de progression réaliste. Nous partageons votre objectif, mais nous sommes soucieux de maintenir un équilibre entre les aides par geste - ils ont leur intérêt et l'impact sur la réduction des émissions de gaz à effet de serre et les économies d'énergie est avéré - et la montée en puissance, aussi rapide que possible, des aides à la rénovation performante. Nous avons besoin d'un système d'aide attractif, avec un accompagnement rassurant, mais le rythme de progression sera nécessairement limité par la demande des ménages, que nous ne contrôlons pas complètement.

Vous avez mentionné un possible découplage entre décarbonation et isolation. Il est vrai que les objectifs européens pour 2030 sont tellement ambitieux qu'ils pourraient nous conduire à donner la priorité, dans cette première décennie, à des travaux de changement d'énergie avec un impact immédiat sur les émissions de gaz à effet de serre. Mais l'effet est plus important si l'on traite aussi l'enveloppe, par l'isolation du bâti, des combles et des planchers. Nous devons donc combiner davantage de rénovations performantes avec des changements d'énergie et garder en tête l'objectif européen de neutralité carbone en 2050. En outre, la loi nous impose d'amener l'ensemble du parc au niveau BBC (bâtiment bas-carbone) en 2050.

Il s'agit d'un équilibre délicat entre l'atteinte de l'objectif de 2030 et la préparation de l'étape suivante. C'est encore plus compliqué dans l'habitat collectif que dans l'habitat individuel. Les acteurs du logement social font valoir que leurs travaux sont planifiés sur le temps long et qu'ils évitent d'intervenir de manière répétée dans les mêmes logements pour des questions opérationnelles et pour préserver les locataires. Nous l'entendons, mais les objectifs européens sont en deux temps... L'objectif de 2030 matérialise l'urgence de l'action climatique. Il n'est donc pas certain que nous puissions suivre complètement le raisonnement patrimonial et technique des gestionnaires. Cela crée un problème opérationnel supplémentaire. Le débat que vous indiquez existe bien, mais il faut prendre la mesure des objectifs de 2030, fixés en émissions de CO2. Cela orientera nécessairement nos choix politiques nationaux.

On a coutume de dire que le DPE est le thermomètre qui mesure la performance énergétique d'un logement. Au-delà de l'étiquette, le DPE mesure la consommation d'énergie conventionnelle et les émissions de gaz à effet de serre. La méthodologie de la première génération des DPE, créés dans les années 2000, s'appuyait sur l'examen des factures d'énergie. Nous avons changé de méthode à la mi-2021 pour passer à un calcul conventionnel appréciant la performance de l'enveloppe et des systèmes de chauffage, ce qui permet de comparer techniquement les logements, indépendamment de leur usage par l'occupant. Cette réforme a été mise en place dans des délais relativement contraints pour les professionnels, entre la publication de la méthode et son entrée en vigueur le 1er juillet 2021. Des corrections ont été opérées à l'automne 2021, compte tenu des premiers retours des diagnostiqueurs via leurs fédérations. Depuis, il ne semble plus y avoir de discussion sur la méthode elle-même.

En revanche, nous rencontrons un problème de qualité et d'homogénéité dans la réalisation des DPE. C'est ce qui nous remonte d'enquêtes, d'articles de presse, de sollicitations d'élus et de parlementaires, et même de contentieux devant les juridictions civiles pour engager la responsabilité de diagnostiqueurs. Se pose donc un problème d'homogénéité dans la qualité du service rendu par les diagnostiqueurs. À l'automne 2022, nous avons engagé un travail avec leurs représentants, autour d'une feuille de route. Nous y évoquons la question de la sensibilisation des professionnels de l'immobilier. Les propriétaires ont aussi un rôle à jouer afin de fournir au diagnostiqueur un maximum de données exactes et vérifiées. Nous nous attachons aussi à la formation et au contrôle des diagnostiqueurs et envisageons un renforcement substantiel de leurs obligations de formation initiale et continue, ainsi que de la fréquence et de l'efficacité des contrôles. Sachez que les diagnostiqueurs sont contrôlés par des organismes de certification privés, eux-mêmes accrédités par le Comité français d'accréditation (Cofrac), association placée sous le contrôle du ministère de l'économie. Il s'agit donc de renforcer les exigences vérifiées par cette dizaine d'organismes de certification avec lesquels nous travaillons. Les quelque 10 000 diagnostiqueurs ne sont pas placés sous le contrôle direct de l'État, ce qui a des avantages et des inconvénients. La certification nous semble adaptée, à condition que le niveau d'exigence soit rehaussé. Le ministre délégué chargé du logement devrait très prochainement, probablement demain matin, annoncer ce renforcement, pour une entrée en vigueur dans le courant de l'année 2024, sur la base d'un texte réglementaire publié en milieu d'année 2023, afin de laisser aux professionnels le temps de s'adapter. Nos exigences à l'égard des diagnostiqueurs seront donc nettement renforcées et nous en attendons des DPE plus homogènes et de meilleure qualité. Les représentants des professionnels ont entendu le message et savent qu'il est de l'intérêt de leur profession d'évoluer. Les effets de cette démarche seront progressifs.

Mme Dominique Estrosi Sassone, présidente. - Monsieur Huffeteau, je vous invite à prêter serment de dire toute la vérité, rien que la vérité, en levant la main droite et en disant : « Je le jure. »

Conformément à la procédure applicable aux commissions d'enquête, M. Simon Huffeteau prête serment.

M. Simon Huffeteau, coordinateur interministériel du plan de rénovation énergétique des bâtiments. - S'agissant de la dissociation entre décarbonation et isolation, en complément de ce qu'a dit M. Adam, nous prenons également en compte la capacité des filières économiques : il faut l'utiliser au mieux pour atteindre nos objectifs, et aussi la renforcer. C'est l'un des paramètres de l'équation, qui peut parfois se révéler limitant.

M. François Adam. - Les vendeurs et acquéreurs de logements classés F et G, hors copropriété, doivent désormais réaliser un audit énergétique, en plus du DPE. Il appartient aux notaires de vérifier systématiquement l'existence de ces documents lors des transactions. Si vous faites le choix d'acheter une passoire énergétique, vous saurez en détail, grâce à cet audit, comment le rendre plus performant. C'est un signal fort adressé par le législateur pour inciter à la réalisation de travaux.

Mais il s'agit d'une analyse plus technique et approfondie que le DPE, nécessitant une qualification particulière. Compte tenu du nombre de professionnels disposant de la qualification requise, le Gouvernement a été amené à décaler à deux reprises la date d'entrée en vigueur. Le dispositif est désormais en vigueur depuis le 1er avril dernier.

Nous incitons les professionnels qui disposent des prérequis à se former afin qu'ils soient plus nombreux à réaliser ces audits. Avec une formation spécifique, les diagnostiqueurs pourront les réaliser pour les maisons individuelles. S'y ajoutent quelque 2 000 professionnels, dont les architectes, qui détiennent déjà la qualification nécessaire. À ce jour, 1 500 diagnostiqueurs se sont déjà formés. Les reports d'entrée en vigueur ont permis d'organiser les formations et de développer le vivier. Le nombre de professionnels formés nous semble suffisant, même si l'on constate des écarts importants entre départements, avec notamment des départements ruraux peu dotés. C'est un sujet que nous continuons de suivre avec les représentants des professionnels. Le Conseil supérieur du notariat (CSN) ne nous a pas fait remonter de blocage particulier. Il s'agit d'une expertise complémentaire apportée au propriétaire, afin de l'inciter à réaliser des travaux, mais il est encore trop tôt pour en tirer un bilan.

S'agissant des règles de décence sur les passoires énergétiques, la loi Énergie-climat de 2019 a tout d'abord acté la disparition des logements F et G en 2028, mais il s'agissait d'une disposition de principe, sans outil juridique particulier. La loi Climat et résilience a posé un cadre juridique beaucoup plus exigeant pour le secteur locatif, privé et social, mais qui ne touche pas les propriétaires occupants. Il s'agit de responsabiliser le propriétaire bailleur, en lui fixant des échéances et en l'invitant à profiter des régimes d'aide existants. Quant au locataire qui constaterait qu'il occupe une passoire énergétique, il doit pouvoir se tourner vers le juge, qui enjoindra au propriétaire de réaliser des travaux, voire réduira le loyer. C'est un cadre exigeant à l'égard du propriétaire.

Seul élément de souplesse, la loi n'a pas prévu l'application de ces dispositions aux contrats en cours : celles-ci s'appliquent aux nouvelles locations ou au renouvellement du bail, exprès ou tacite, au bout de deux ou trois ans. Dès le 1er janvier 2025, le propriétaire d'un logement classé G ne pourra pas le relouer au départ de son locataire s'il n'a pas réfléchi en amont à des travaux. Les bailleurs sociaux, compte tenu de leurs missions et de la place des représentants des locataires dans leur conseil d'administration, seront dans une situation encore plus exigeante au regard de l'interdiction de louer des logements G au 1er janvier 2025 et F au 1er janvier 2028.

L'application de ces dispositions peut rencontrer des obstacles techniques. C'est le cas lorsqu'il s'agit de bâtiments anciens présentant un caractère patrimonial. La loi a prévu un tempérament les concernant : le juge civil pourra certes réviser le loyer, mais ne pourra pas ordonner de travaux portant atteinte au caractère patrimonial du bâtiment. Ces bâtiments sont toutefois bien inclus dans le champ du dispositif prévu par la loi Climat et résilience.

L'application de ces dispositions rencontre également des obstacles juridiques, notamment dans les copropriétés, en raison des règles de majorité. Or, dans une même copropriété, tous les logements n'ont pas la même performance énergétique, selon la taille du logement ou son étage. Les copropriétaires n'ont donc pas tous les mêmes intérêts, aux mêmes échéances.

Il n'existe pas de solutions simples, d'où l'importance de l'accompagnement. Dans les bâtiments patrimoniaux, il y a certes ce que l'on ne peut pas faire - l'isolation par l'extérieur -, mais on peut néanmoins améliorer sa performance. Dans les copropriétés, l'enjeu est de réunir les copropriétaires autour d'objectifs communs. Les régimes d'aide jouent un rôle, d'où l'amélioration substantielle de MaPrimeRénov' Copropriété, au 1er janvier 2023, avec une hausse des plafonds de travaux qui peuvent donner lieu à une aide en pourcentage. Nous poursuivons notre réflexion sur les copropriétés, car les outils ne sont peut-être pas encore adaptés. Faut-il faire évoluer le droit applicable aux copropriétés ? C'est un sujet délicat, au regard notamment du droit de la propriété. Faut-il encore faire évoluer les aides ? Comment mieux financer le reste à charge ? C'est un sujet complexe sur lequel nous réfléchissons avec le secteur bancaire, autour de prêts directs aux syndicats de copropriété.

M. Simon Huffeteau. - Il s'agit de réfléchir aux bons signaux à adresser aux propriétaires. Pour inciter à la rénovation globale, on peut s'interroger sur l'opportunité de réviser les dispositifs, voire de renforcer les obligations. Quels signaux complémentaires incitatifs envoyer pour sortir d'éventuelles situations de blocage ?

M. Guillaume Gontard, rapporteur. - Je vous remercie pour ces éléments. Vous l'avez dit, 2023 est une année de réflexion et de transition. Quelle serait, selon vous, la mesure prioritaire à mettre en oeuvre ?

L'amélioration de la qualité des DPE est un enjeu important. Il est encore un peu tôt pour savoir si les évolutions récentes sont satisfaisantes.

Je regrette que le confort d'été ne soit pas pris en compte dans les DPE, alors que les pics de chaleur et les canicules se multiplient, notamment en ville. Ne nous focalisons pas sur l'amélioration de l'habitat pour le confort d'hiver, en oubliant le confort d'été. Il serait dommage d'avoir à élaborer des politiques publiques pour le confort d'été...

S'agissant de la construction neuve, la réglementation environnementale RE2020 met en avant les matériaux biosourcés. Cette réglementation, qui a du mal à se mettre en place, vous semble-t-elle suffisamment performante ? On construit des bâtiments qui ne sont pas assez performants et sur lesquels nous devrons intervenir à nouveau. Qu'en pensez-vous ? Comment voyez-vous la constitution d'une filière de matériaux biosourcés, en matière aussi de formation et de réglementation ? Ces matériaux sont également intéressants sur le plan du confort d'été et en termes de développement local.

Comment rénover les bâtiments patrimoniaux, notamment urbains, sans isolation extérieure ? Avec quels matériaux ? Quid du label expérimental BBC rénovation patrimoine ?

Pouvez-vous nous apporter des éléments sur l'intelligence des bâtiments en matière d'efficacité thermique ? Ainsi que sur le répertoire des locaux ?

S'agissant des passoires thermiques, le choix a été fait de les interdire à la location. Mais certains ministres nous ont laissé entendre qu'une réflexion serait en cours sur des obligations de rénovation au moment de la vente. Cette piste vous semble-t-elle intéressante ?

M. François Adam. - Je citerais deux mesures emblématiques pour 2023.

Tout d'abord, le déploiement de l'accompagnement prévu par la loi Climat et résilience. Une campagne d'agrément d'accompagnateurs, au-delà de ceux qui interviennent déjà dans le cadre de l'Anah, va être lancée. Nous avons besoin d'accompagnateurs compétents, en nombre suffisant et bien répartis sur le territoire. C'est indispensable si nous voulons développer les rénovations performantes. Il faut des accompagnateurs intéressés et que la phase administrative d'agrément se déroule dans des délais raisonnables, ce qui n'est pas toujours simple pour les services déconcentrés de l'État. Notre objectif est de disposer de suffisamment d'accompagnateurs en 2024.

Notre deuxième sujet est la progression des volumes. Au regard de nos objectifs de décarbonation, nous atteignons déjà des niveaux substantiels d'économies d'émissions de gaz à effet de serre : 1,6 million de tonnes pour une année de travaux aidés par MaPrimeRénov', à comparer aux 45 millions de tonnes annuelles émises par l'ensemble du secteur du bâtiment résidentiel. Ce n'est pas négligeable, mais c'est encore insuffisant au regard des objectifs très ambitieux du paquet Climat européen. Nous devons accélérer, avec des rénovations plus performantes et plus nombreuses. Nous avons donc un enjeu de volume.

Le confort d'été n'est pas pris en compte dans le calcul de l'étiquette du DPE, mais il figure en tant qu'indicateur complémentaire, sans toutefois jouer de rôle dans la trajectoire d'indécence fixée par la loi Climat et résilience. Le confort d'été est un sujet dont l'importance va croître. Il fait partie des exigences réglementaires prévues par la RE2020, mais il n'est pas, pour l'instant, au coeur de la réglementation sur la performance énergétique. C'est probablement lié au fait que la climatisation n'est pas encore une habitude généralisée en France, son impact reste donc modéré sur nos émissions de gaz à effet de serre, même si elle pose des questions de santé publique. Ce sujet n'est donc pas encore au coeur de la réglementation, peut-être à tort... Il ne fait pas vraiment l'objet d'une réflexion à notre niveau. Tout dépendra des comportements et de l'impact des appareils de climatisation.

M. Guillaume Gontard, rapporteur. - MaPrimeRénov' risque d'inciter à l'installation de pompes à chaleur réversibles, avec climatisation. La consommation d'électricité risque donc d'augmenter l'été.

M. François Adam. - Vous avez raison. Néanmoins, la climatisation n'est pas encore un facteur majeur d'émissions de gaz à effet de serre et de consommation d'énergie. Mais je reconnais que ce sujet mériterait d'être davantage approfondi.

M. Simon Huffeteau. - Techniquement, la plupart des pompes à chaleur installées ne permettent pas de générer facilement du froid dans les logements. L'effet rebond que vous mentionnez existe, mais il ne s'agit pas d'un ratio un pour un, car toutes les installations ne le permettent pas. Cette problématique est suivie par l'administration, mais à ce stade, il n'existe ni obligation ni incitation particulière concernant la climatisation.

M. François Adam. - La RE2020 est une réglementation très ambitieuse en comparaison internationale, et elle le sera encore plus en 2025 et en 2028. Elle suppose des calculs sur l'ensemble du cycle de vie, avec des exigences en matière d'énergie, de carbone, de confort d'été et de performance intrinsèque du bâtiment. Nous n'en sommes qu'au tout début : elle concerne les permis de construire déposés à compter du 1er janvier 2022 et nous avons connu une vague de dépôts juste avant. Nous manquons encore de recul, mais les retours sont globalement positifs : cette première étape a été surmontée par les professionnels. Elle semble donc correctement dimensionnée, et il serait délicat de la rendre encore plus ambitieuse avant 2028. Je rappelle qu'elle ne s'applique pas encore à la totalité du secteur tertiaire, mais uniquement aux bureaux et aux bâtiments scolaires. La réglementation antérieure continue de s'appliquer aux autres bâtiments tertiaires, extrêmement disparates.

M. Simon Huffeteau. - En matière de rénovation, la question du score carbone des matériaux utilisés se pose, mais, à ce stade, il n'est pas envisagé d'incorporer un calcul carbone dans la réglementation applicable à la rénovation, comme cela est le cas dans la RE2020.

M. François Adam. - Le label expérimental BBC rénovation patrimoine est issu d'une démarche de l'association Effinergie en lien avec nous et avec le ministère de la culture. Un bilan est en cours de finalisation. L'expérimentation a concerné, entre 2020 et 2022, une vingtaine de sites. Les premières leçons qui peuvent en être tirées sont les suivantes : il s'agit toujours de bâtiments uniques en leur genre, nécessitant une grande adaptation aux situations particulières ; dans la plupart des cas, il est possible d'atteindre des niveaux de performance très intéressants, équivalents au label BBC rénovation, à condition de réaliser un diagnostic patrimonial spécifique - il est plus poussé que pour les bâtiments standards - et de bien identifier les travaux compatibles avec le caractère patrimonial du bâtiment. Il est donc possible d'améliorer la performance des immeubles anciens - c'est un message à faire passer -, mais ils doivent être traités au cas par cas, avec des compétences spécifiques.

La question de l'intelligence des bâtiments, notamment l'adaptation du chauffage des bâtiments à leurs conditions d'usage, a fait l'objet de travaux dans le cadre du plan gouvernemental de sobriété énergétique d'octobre dernier. Des évolutions réglementaires sont en cours pour imposer, dans tous les logements, des dispositifs de régulation de la température à un horizon relativement court, probablement au 1er janvier 2025. Cela constituera une obligation non négligeable pour les propriétaires, car cela a un coût, mais aussi un véritable impact sur la consommation. Les Français qui quittent leur logement pour se rendre à leur travail économiseront sur leur facture, sans s'apercevoir que la température a baissé pendant leur absence. Un décret analogue est en cours de préparation pour le secteur tertiaire. C'est le premier niveau d'intelligence des bâtiments.

Il existe des approches plus sophistiquées, au travers de l'indicateur SRI (Smart Readiness Indicator), prévu par la directive européenne sur la performance énergétique des bâtiments, et introduit en 2018. Il ne s'agissait pas d'une obligation pour les États membres. La France l'a expérimenté sur une trentaine de bâtiments tertiaires et résidentiels. Nous en ferons un bilan en juin et adresserons un rapport à la Commission européenne au cours du second semestre 2023. Cela nous permettra de savoir très précisément ce que l'on peut gagner, grâce à quels dispositifs. C'est un potentiel important pour le neuf, mais aussi pour l'existant. Cela pourrait constituer un troisième levier, lorsque l'on ne peut agir ni sur l'enveloppe ni sur le changement d'énergie, à un coût moindre que des travaux.

Le répertoire des locaux peut aider au suivi de la politique de rénovation énergétique. Les données concernant la performance du parc sont encore assez imprécises, basées sur des DPE qui ne sont pas tous obligatoires. Nous travaillons à partir de simples hypothèses pour une partie du parc. Il faut aussi tenir compte de la suppression de la taxe d'habitation. Nous allons donc nous appuyer à l'avenir sur l'identification fiscale du local, réalisée par la direction générale des finances publiques. Dès cette année, tous les propriétaires vont devoir faire une déclaration de nature fiscale, mais qui présente aussi un intérêt pour la connaissance du parc immobilier. Nous nous appuierons sur cet identifiant, notamment pour le suivi des DPE et des audits réglementaires, que nous collecterons également. Cette utilisation n'est toutefois pas encore opérationnelle, en raison de difficultés techniques et informatiques ; nous espérons qu'elle le sera en 2024.

La question d'une obligation de rénovation au moment de la vente a fait l'objet d'études et de débats parlementaires au cours des dernières années. Nous avons réalisé des travaux juridiques et techniques sur cette question, qui n'a pas encore fait l'objet d'une position du Gouvernement. C'est un sujet complexe, qui peut sembler envisageable pour des maisons individuelles, mais jusqu'à quelle performance, et avec quel contrôle ? La question est encore plus délicate pour les lots de copropriété, car l'essentiel de l'amélioration de la performance énergétique relève de décisions collectives d'engagement de travaux sur les parties communes - par exemple sur le système collectif de chauffage. Comment imposer de tels travaux à un copropriétaire ? Ce sujet fait partie de nos réflexions, mais il est techniquement et juridiquement difficile. Il est de surcroît sensible, car il ferait peser une importante obligation sur les propriétaires. C'est probablement un sujet de débat parlementaire ; il n'est pas complètement abouti.

Mme Daphné Ract-Madoux. - Il est important de penser au confort d'été au moment d'engager une rénovation énergétique. Il existe des solutions qui permettent de répondre aux deux enjeux. Mieux vaut y penser avant qu'après... N'oublions pas qu'il existe d'autres solutions que la climatisation, comme la couleur des volets.

Pourquoi ne pas envisager de faire peser les obligations de rénovation sur les futurs acquéreurs ou futurs locataires, par analogie avec les baux réels solidaires (BRS) ?

Dans la perspective de l'atteinte de nos objectifs pour 2030, les bailleurs sociaux veulent éviter un saucissonnage de leurs travaux, qui s'inscrivent dans le temps long. Nous comptons 35 millions de bâtiments à rénover, mais quid du logement collectif ? Faudra-t-il saucissonner pour espérer atteindre nos objectifs ? Les bailleurs sont actuellement dans des processus de fusion : les objectifs seront-ils calculés au niveau du parc ou opération par opération ? Comment aider le logement social à faire sa mue ?

En cas de travaux portant sur la seule rénovation énergétique, il n'existe pas d'obligation d'avoir recours à un architecte, qui pourrait pourtant apporter son expertise. La tour Pleyel pourrait ainsi être rénovée sans intervention d'un architecte... N'y a-t-il pas là un trou dans la raquette ?

Ne faudrait-il pas élaborer une charte nationale afin que les avis rendus par les architectes des bâtiments de France (ABF) sur la rénovation énergétique et les énergies renouvelables soient cohérents ? Il s'agirait d'atteindre nos objectifs tout en préservant le patrimoine. Il me semble qu'il existe des marges de progrès.

M. François Adam. - Rassurez-vous, je ne cherchais pas à inciter au développement de la climatisation. Je me félicite, au contraire, que peu de Français y aient recours, car la climatisation consomme beaucoup d'énergie et émet du CO2. De nombreuses autres solutions existent pour améliorer le confort d'été : aération, isolation des murs, occultation, etc. Mais c'est encore mieux si les travaux réalisés pour diminuer le besoin de chauffage améliorent aussi le confort d'été. C'est presque toujours vrai en cas d'isolation ; à l'inverse, un changement d'énergie n'a pas toujours d'impact. Cette réflexion sur la cohérence de deux enjeux n'est pas encore suffisamment systématique, ni dans la réglementation ni dans le contenu des audits.

M. Simon Huffeteau. - Les recommandations de travaux pourraient mentionner cette dimension. Mais aucun dispositif d'aide n'existe encore sur ces équipements techniques.

Mme Daphné Ract-Madoux. - Un toit-terrasse peut être refait avec des matériaux clairs, plutôt que foncés...

M. Simon Huffeteau. - Exactement. Des stores extérieurs peuvent également être posés et des matériaux isolants à meilleure inertie thermique privilégiés.

M. François Adam. - Cette dimension n'est pas encore prise en compte de façon systématique, mais il y a des évolutions, comme en témoigne la RE2020. Une revue globale sur la partie rénovation serait utile.

Quel objectif pour le logement social à l'horizon 2030 ? Les dispositions législatives sur les passoires thermiques s'appliquent de la même façon que dans le secteur privé. Mais cela ne sera pas suffisant en termes de décarbonation. Les objectifs du secteur seront-ils choisis par le secteur lui-même, définis contractuellement avec l'État ou fixés obligatoirement ? La question reste ouverte. Nous menons des travaux techniques sur cette trajectoire et échangeons avec l'Union sociale pour l'habitat. Mais nous en sommes à un travail très agrégé. Les positions des organismes sont très différentes, selon l'âge de leur parc et leur taux de passoires - jusqu'à 20 voire 30 %. Je ne sais pas encore quelle sera la trajectoire du logement social, qui a un rôle d'entraînement à jouer. Des discussions plus larges entre le Gouvernement et le secteur sur la conclusion d'un pacte de confiance sont en cours : la question de la rénovation en sera probablement l'un des éléments.

Mme Dominique Estrosi Sassone, présidente. - Et que pensez-vous du concept de seconde vie des bâtiments ?

M. François Adam. - Il s'agit d'un concept de rénovation très performante, poussé par les représentants des bailleurs sociaux. Nous l'avons expérimenté dans le cadre des aides à la pierre pour 1 000 logements. C'est un concept intéressant pour un sous-segment : il ne pourra concerner qu'une partie des rénovations énergétiques du parc social. Nous envisageons la prolongation de l'expérimentation en 2024.

Les architectes participeront à l'obligation d'accompagnement sur une partie importante des rénovations, car ils peuvent être agréés comme accompagnateurs. Faut-il renforcer l'obligation de recours à un architecte pour les immeubles collectifs ? Nous n'avons pas encore mené cette réflexion et ne l'envisageons pas particulièrement.

S'agissant des ABF, nous travaillons dans le cadre de la loi, qui donne compétence au ministère de la culture pour protéger le patrimoine. Nous sommes en dialogue régulier avec la direction générale du patrimoine pour informer le réseau des ABF de nos problématiques : rénovation énergétique et énergies renouvelables. À la suite de la loi relative à l'accélération de la production d'énergies renouvelables, une instruction interministérielle a été publiée afin d'harmoniser la doctrine des services du ministère de la culture sur l'installation de panneaux solaires sur des bâtiments patrimoniaux. Ce n'est pas un sujet simple : des précautions doivent être prises et la doctrine doit être homogène. Faudra-t-il aussi une doctrine harmonisée sur la rénovation énergétique ? Pourquoi pas. La question se pose : nous proposons de le faire en bonne intelligence avec le ministère de la culture. Nous nous efforçons de démontrer que la rénovation énergétique est possible dans ces bâtiments, tout en respectant leur caractère patrimonial. Il faut concilier les deux. Un trop fort assouplissement des contraintes patrimoniales ne serait ni accepté au niveau local ni souhaitable.

Mme Dominique Estrosi Sassone, présidente. - Je vous remercie pour cette audition très intéressante, très complète et très précise. N'hésitez pas à nous transmettre les réponses à notre questionnaire que vous n'auriez pas eu le temps d'aborder.

Ce point de l'ordre du jour a fait l'objet d'une captation vidéo qui est disponible en ligne sur le site du Sénat.

Audition de MM. Guillaume Dolques, chargé de recherche - adaptation et collectivités et Maxime Ledez, chargé de recherche - investissement et financement public, à l'Institut de l'économie pour le climat (I4CE)

Mme Dominique Estrosi Sassone, présidente. - Nous vous remercions d'avoir répondu à notre invitation. Nous continuons les travaux de notre commission d'enquête en vous recevant aujourd'hui.

Monsieur Dolques, vous êtes ingénieur en énergie et en environnement. Vous avez travaillé dans le domaine de l'industrie avant de rejoindre l'Institut de l'économie pour le climat en 2020 où vous étudiez l'efficacité des aides à la rénovation énergétique et les enjeux d'accélération de l'adaptation au changement climatique. Vous êtes notamment l'auteur de plusieurs « Études climat » portant sur la rénovation énergétique des bâtiments.

Monsieur Ledez, vous être chargé de recherche à l'Institut de l'économie pour le climat dans les domaines de l'investissement et des financements publics depuis 2018. Vous travaillez notamment sur le panorama des financements pour le climat, dont l'édition 2022 a été publiée en octobre dernier. L'Institut de l'économie pour le climat a récemment publié deux études sur la rénovation énergétique. L'une porte sur des aides à la rénovation et leur inadéquation aux objectifs de rénovation globale, l'autre porte sur le nécessaire investissement dans la rénovation pour limiter les impacts du réchauffement climatique. En effet, dans un monde à + 2 degrés où les canicules seront de plus en plus fréquentes, les passoires thermiques seront des logements surchauffés et mal ventilés : là où le froid s'engouffre en hiver, s'infiltrera la chaleur l'été. La rénovation énergétique doit donc prendre en compte le confort d'été afin de proposer une solution durable dans les décennies à venir et d'éviter l'installation de climatiseurs, consommateurs d'énergie et participant au réchauffement de nos villes. Selon vous, comment mieux intégrer le confort d'été dans les rénovations ? Faut-il revoir les référentiels de la RE2020 et les cahiers des charges ? Faut-il réviser le DPE pour y intégrer ce critère ?

Comme de nombreuses personnes auditionnées, vous vous positionnez en faveur d'une réorientation des aides vers des rénovations globales performantes, à l'opposé de la politique actuelle favorisant la rénovation « au geste », sans doute moins efficace, mais choisie pour permettre d'embarquer dans des opérations de rénovation un plus grand nombre de ménages. Afin de diminuer le reste à charge des ménages, principal frein à la rénovation globale, vous préconisez dans votre étude un financement dual cumulant aides d'État et prêt plus accessible, tout en augmentant le prix du carbone. Concrètement, combien cela va-t-il coûter ? Quel est le montant d'aides nécessaire ? Quels taux et quelle durée pour les prêts préconisez-vous ? Quel prix de carbone serait adéquat ?

Le besoin d'accompagnement des usagers revient fréquemment dans nos auditions, comme un impératif afin de restaurer la confiance et d'orienter les particuliers vers des rénovations efficaces. Quel est votre point de vue à ce sujet ? Comment évaluez-vous le récent dispositif Mon accompagnateur Rénov' ? Comment améliorer le service public de la rénovation énergétique aujourd'hui ? Faut-il selon vous un guichet unique ? Ou doit-on plutôt proposer une offre unifiée ?

Quel regard portez-vous sur les solutions alternatives de financement de la rénovation par prêt hypothécaire et sur la solution, proposée par France Stratégie, d'opérateur ensemblier se finançant sur les économies d'énergie réalisées ?

Avant de vous laisser la parole pour répondre à ces questions et pour un propos introductif d'une quinzaine de minutes, il me revient de vous indiquer que cette audition est diffusée en direct et en différé sur le site internet du Sénat et qu'elle fera l'objet d'un compte rendu publié. Je dois également vous rappeler qu'un faux témoignage devant notre commission d'enquête serait passible des peines prévues aux articles 434-13, 434-14 et 434-15 du Code pénal qui peuvent aller de trois ans à sept ans d'emprisonnement et de 45 000 euros à 100 000 euros d'amende. Je vous invite à prêter serment et de dire toute la vérité, rien que la vérité, à lever la main droite et à dire : « Je le jure ».

Conformément à la procédure applicable aux commissions d'enquête, MM. Dolques et Ledez lèvent la main droite et disent « Je le jure ».

M. Maxime Ledez, chargé de recherche - investissement et financement public, à l'Institut de l'économie pour le climat. - L'I4CE est un think tank fondé en 2015 par la Caisse des dépôts et consignations, ainsi que l'Agence française de développement. Nous sommes une association à but non lucratif et nous comptons environ 44 collaborateurs. Notre mission est d'apporter une expertise sur les politiques publiques en matière d'atténuation et d'adaptation au changement climatique grâce à des travaux d'analyse et de recherche appliquée. En matière de rénovation énergétique, nous avons mené ces dernières années plusieurs travaux avec des angles différents, soutenus par l'Agence de l'environnement et de la maîtrise de l'énergie (Ademe) et le ministère de la transition écologique.

Nous avons trois messages clés à vous exposer. Pour respecter les objectifs de la stratégie nationale bas carbone (SNBC), il faudra davantage investir en faveur de la rénovation énergétique des bâtiments avec une réorientation des investissements en faveur des rénovations globales. Deuxièmement, les rénovations énergétiques globales ne sont actuellement pas viables sur le plan économique. Enfin, il ne faut pas oublier l'enjeu de l'adaptation au changement climatique dans le cadre de la rénovation énergétique globale. Nous pouvons déjà mener des actions à court terme. Nous devons intégrer l'atténuation et l'adaptation dans tout projet de rénovation afin d'éviter une double rénovation.

M. Guillaume Dolques, chargé de recherche - adaptation et collectivités à l'Institut de l'économie pour le climat (I4CE). - Bien qu'elle soit en cours de révision, la SNBC actée en 2020 vise un parc de logement entièrement décarboné (au niveau basse consommation - BBC - en moyenne) à l'horizon 2050, accompagné d'une baisse drastique des consommations énergétiques du secteur à la même échéance. Pour atteindre cet objectif, il est nécessaire de recourir à des constructions neuves très performantes. Cependant, la majorité du parc disponible en 2050 est à rénover et non à construire : cela implique un effort important de rénovation énergétique sur la quasi-totalité des parcs existants afin de réaliser des économies d'énergie substantielles et de réorienter les énergies utilisées pour le bâtiment vers des énergies bas carbone.

L'atteinte de l'objectif de niveau BBC en moyenne en 2050 implique d'accroître le rythme de rénovations effectuées tous les ans pour atteindre 500 000 à 700 000 rénovations par an. Il est également nécessaire d'accroître la qualité des rénovations effectuées sur le territoire.

Plusieurs études, dont certaines de l'Ademe, préconisent une rénovation en une seule fois ou en plusieurs gestes coordonnés afin d'atteindre ce niveau BBC. Toutefois, la majorité des rénovations actuelles visent un poste ou parfois plusieurs postes de travaux, mais de manière insuffisamment coordonnée pour atteindre les objectifs fixés. Nous considérons que seules les rénovations globales permettront d'atteindre les objectifs de la SNBC.

Le sujet de l'adaptation au changement climatique est de plus en plus prégnant. En effet, les bâtiments publics commencent à être impactés par les effets du climat. Ce fut le cas lors de la session 2022 du baccalauréat où des conditions dégradées pour les étudiants ont été observées. De plus, des logements mal isolés provoquent parfois des problèmes sanitaires, notamment pour les populations les plus précaires.

La meilleure manière d'adapter les bâtiments au changement climatique ne consiste pas à réinvestir pour adapter, mais à profiter des opérations de rénovation. En effet, il n'est ni techniquement, ni économiquement souhaitable d'investir à deux reprises pour l'adaptation et pour la rénovation. Dès lors, nous préconisons d'intégrer des exigences d'adaptation dans l'ensemble des opérations de rénovation réalisées aujourd'hui.

Nos travaux n'ont pas vocation à déterminer si la SNBC constitue le moyen le plus efficace économiquement pour atteindre les objectifs de neutralité carbone de la France. Nous nous basons sur les travaux de la SNBC, desquels nous déduisons des besoins d'investissements, des freins et des retards d'investissements en lien avec cette stratégie.

M. Maxime Ledez. - Nous estimons les besoins d'investissement associé à la SNBC dans les secteurs du bâtiment, des transports et de la production d'énergie.

Au sein du secteur du bâtiment, nous estimons un retard d'investissement dans la rénovation énergétique. Une augmentation de 16 milliards d'euros d'investissements en moyenne est nécessaire sur la période 2021-2030, par rapport au niveau historique observé en 2019.

Les investissements doivent croître sur tous les segments du parc : résidentiel - privé et social - et tertiaire - public et privé. Les collectivités territoriales doivent doubler leurs investissements dans la rénovation de leur parc tertiaire. À cette question de volume s'ajoute également la question de la qualité. Aujourd'hui, les 18 milliards d'euros utilisés dans la rénovation énergétique financent en majorité des rénovations partielles. L'enjeu est de réorienter les investissements vers des rénovations globales afin d'atteindre le niveau BBC.

Au cours de la dernière décennie, 8 milliards d'euros d'aides (certificat d'économie d'énergie, TVA à taux réduit, MaPrimeRénov') ont été attribués pour la rénovation énergétique des logements privés et près de 500 millions d'euros d'éco-prêts à taux zéro ont été versés. Or, ces instruments de financement permettent de financer des rénovations à geste unique. Plus de 600 000 ménages ont bénéficié de MaPrimeRénov' en 2021, la part de rénovation à geste unique est de l'ordre de 83 %.

Des rénovations permettent de réduire de manière significative les consommations énergétiques de l'ordre de plus de 35 % dans le cadre des dispositifs Sérénité et Copropriété. Ces dispositifs ne sont toutefois pas nécessairement alignés avec les objectifs de la SNBC d'atteinte du niveau BBC. Cela concerne également les certificats d'économie d'énergie, dont l'approche geste par geste n'a pas pour objectif d'atteindre une rénovation globale, ainsi que l'éco-prêt à taux zéro, principalement souscrit pour financer des travaux de rénovation monogeste.

Le manque d'investissement dans la rénovation globale s'explique également par la méconnaissance des ménages sur la qualité thermique des logements. 32 % des ménages habitant dans une maison considèrent qu'ils n'ont pas besoin de travaux alors que seulement 5 % des logements sont classés A ou B sur le DPE. La SNBC vise à ce que plus de ménages soient conscients de cet impératif de travaux.

De plus, la réglementation est peu connue, peu contrôlée et peu respectée. C'est le cas de la réglementation thermique sur l'existant, notamment dans le cadre de travaux de ravalements de façade ou de réfection de toiture.

Les coûts de rénovation énergétique sont estimés comme importants par les ménages (déménagement lors des travaux de rénovation globale, rencontre de nombreux interlocuteurs). Les coûts de transaction engendrés sont considérés comme supérieurs aux gains apportés par une rénovation énergétique par les propriétaires.

Par ailleurs, l'insuffisance d'offre sur les territoires en matière de rénovation constitue un autre frein. Aujourd'hui, peu de professionnels sont formés à la rénovation globale du bâtiment. Les entreprises sur le territoire travaillent peu en groupement ; les interactions entre les différents corps de métier pour mener des travaux de rénovation globale sont limitées. Des initiatives comme Dorémi ou les sociétés de tiers financement visent à faire travailler des artisans ensemble, mais elles sont limitées.

Des freins spécifiques sont à relever sur certains segments du parc. Par exemple, pour les copropriétés, la prise de décision est assez complexe, notamment dans les délibérations d'assemblée générale. Pour les logements locatifs privés, les propriétaires bailleurs sont peu incités à rénover, car ils ne perçoivent pas directement les gains procurés par les économies d'énergie. Le locataire a quant à lui peu d'intérêt à rénover un logement pour lequel il n'est pas certain de demeurer plusieurs années.

M. Guillaume Dolques. - Dans le cadre de ce projet, notre constat de départ était que peu de rénovations globales étaient entreprises et que l'offre de financement proposée était probablement inadéquate aux besoins des ménages. Nous avons essayé de mieux comprendre la manière dont les différents systèmes d'aide et contextes économiques influent sur le raisonnement économique d'un ménage et sa perception du système lorsqu'il souhaite se lancer dans un travail de rénovation.

Nous avons ainsi développé un outil qui analyse la viabilité économique d'un projet de rénovation. Il évalue les conditions économiques qui permettraient au ménage d'être favorable à se lancer dans des travaux de rénovation. Ce concept de viabilité économique est articulé autour de trois notions :

Abordable : le ménage ne doit pas utiliser l'intégralité de sa trésorerie mais doit pouvoir financer ses travaux de rénovation grâce à des subventions ou des prêts ;

Profitable : le ménage doit pouvoir percevoir un bénéfice, les économies d'énergie. Les montants de rénovation globale sont assez élevés, si le ménage ne perçoit pas des économies d'énergie en un temps de retour suffisamment court, il risque de se décourager ;

Solvable : Les ménages les plus modestes ne peuvent pas s'endetter à des taux trop élevés, ce qui les exposerait à un risque de surendettement. Il n'est pas non plus souhaitable que les mensualités des prêts soient plus élevées que les économies d'énergie perçues dans le cadre des projets de rénovation. Dans ce cas, le risque est de grever les dépenses courantes des ménages.

Nous avons utilisé en exemple une rénovation globale classique et l'avons passée au prisme des conditions actuelles. Nous avons considéré comme cas de figure un ménage aux revenus modestes qui souhaite rénover sa maison pour passer de l'étiquette E à l'étiquette B. Les travaux de rénovation s'élèvent à 55 000 euros. Dans les conditions actuelles, ce ménage ne peut prétendre qu'à 35 % de subvention. Le reste à charge s'élève donc à 36 000 euros. À ce niveau de revenu, il risque de se décourager avant de considérer des solutions d'emprunt ou de financement.

Le ménage va comparer les montants à sa charge avec ses économies d'énergie. Ici, les économies d'énergie ne sont rentabilisées qu'après un temps supérieur à dix ans. Ce facteur risque également de décourager le ménage.

Si ce ménage veut contracter tout de même un emprunt, le taux d'endettement est relativement élevé, à hauteur de 5 %. Le ménage risque de s'éloigner du crédit, car les banques risquent d'être réticentes à lui octroyer le prêt. Si les banques lui octroyaient, le ménage serait en risque de surendettement.

Lorsque nous étudions plusieurs catégories de ménages et plusieurs projets de rénovation, ces conditions se répètent de manière régulière. Par conséquent, nous sommes face à un véritable frein économique pour lancer un programme ambitieux de rénovation globale, alors que plusieurs centaines de milliers de rénovations annuelles doivent être effectuées.

M. Maxime Ledez. - Dans le débat public, nous distinguons deux types de propositions.

D'abord, certaines propositions visent à lisser le coût de la rénovation grâce à l'endettement et aux économies d'énergie. L'idée est de développer une ingénierie financière avec des prêts qui permettent d'assurer l'équilibre en trésorerie des ménages et de maîtriser la dépense publique. À titre d'exemple se trouvent les propositions formulées par l'association négaWatt et le réseau CLER sur l'obligation conditionnelle de rénovation énergétique, l'opérateur ensemblier de France Stratégie ou encore le fonds pour la diminution de consommation d'énergie des bâtiments de MM. Combes, Ibanez et Mme Verchère.

Nous avons repris l'exemple du ménage modeste avec l'hypothèse qu'il peut contracter un éco-prêt à taux zéro sur trente ans. Un équilibre de la trésorerie est alors assuré. Les économies d'énergie permettent de rembourser les mensualités de remboursement et le taux d'endettement est relativement limité. Cependant, le reste à charge reste assez élevé et peut décourager le ménage de contracter un prêt de l'ordre de 30 000 à 40 000 euros. De plus, les conditions de rentabilité ne sont toujours pas respectées. Le temps de retour sur investissement demeure assez long et la valeur actuelle nette n'est pas positive avant quinze ans.

Deux interrogations s'imposent à nous face à cette proposition.

Comment faire en sorte que les prêts soient distribués par les établissements de crédit ? Les établissements bancaires considèrent que distribuer des éco-prêts à taux zéro n'est pas suffisamment rentable ou que les marges sont très faibles. Les coûts administratifs engendrés par la justification des dossiers sont trop lourds par rapport à l'aide proposée par l'État en matière de crédit d'impôt pour financer ces pertes d'intérêt. Les auteurs proposent souvent plusieurs solutions. D'une part, la question de la réglementation : la hausse de la demande en raison des obligations sur les mutations immobilières incitera les banques à se positionner sur le marché. D'autre part, le recours à une banque publique : en l'absence de prêteurs, les ménages peuvent se réorienter vers une banque publique, qui aurait l'obligation de financer cette opération.

Des risques peuvent être liés à des coûts de travaux qui ne seraient pas maîtrisés. La question des économies d'énergie se pose également. L'équilibre en trésorerie peut donc varier.

Le modèle économique des opérateurs ensembliers repose sur une inscription à leur actif des contrats de fourniture d'énergie sur une durée assez longue. Les ménages souhaiteraient-ils avoir de tels contrats sur un temps long ? Quels acteurs souhaiteront financer les opérateurs ensembliers ? En effet, il est possible de considérer que l'actif est risqué. Cela suppose un dispositif de garanties publiques ; donneront-elles lieu à des dépenses publiques ? Les opérateurs ensembliers devront-ils solliciter l'État pour compenser les pertes ?

Une deuxième série de propositions est davantage centrée sur les subventions. L'idée est de disposer d'un dispositif de subventions avantageux pour rendre plus incitatives les rénovations globales et limiter l'endettement des ménages, en particulier les plus modestes. Parmi les propositions figurent celles de la Convention citoyenne pour le climat, de la mission Sichel ou celle de l'initiative Rénovons !.

Nous reprenons l'exemple du ménage modeste. En supposant un taux de subvention de 85 % comme proposé par la mission Sichel, les travaux sont alors plus abordables. Les économies d'énergie permettent de financer les mensualités de prêts grâce au grand niveau de subvention. Le taux d'endettement est limité et le projet est désormais rentable. Le temps de retour sur investissement est court et attractif.

En revanche, la question du reste à charge demeure. Un montant de 8 000 euros doit être financé par un prêt. Se pose alors la question de la solvabilité pour les budgets publics. La mission Sichel a estimé que la rénovation de toutes les passoires thermiques vers un niveau BBC nécessitait un budget de 116 milliards d'euros d'aides, soit 11 milliards d'euros d'aides par an pour un plan sur dix ans. Il ne s'agit pas nécessairement d'aides publiques, mais également de certificats d'économie d'énergie.

Des modèles macroéconomiques estiment une augmentation des dépenses publiques sur le temps court pour la rénovation énergétique des logements. Il y aurait un retour en termes de recettes fiscales, avec une augmentation des assiettes fiscales, notamment les recettes issues de la TVA.

N'existe-t-il pas des frictions au niveau macroéconomique ? Si nous réalisons beaucoup de dépenses publiques, aurons-nous nécessairement un report effectif des artisans des rénovations partielles vers des rénovations globales ?

Ensuite, se pose la question des pressions inflationnistes. Si les subventions augmentent, les entreprises pourraient capter ces subventions et proposer des travaux à des tarifs plus onéreux.

M. Guillaume Dolques. - Les bâtiments ne sont pas conçus pour faire face au changement climatique. Les conditions seront amenées à se répéter et à empirer : vagues de chaleur, inondation, retrait-gonflement des argiles. Les bâtiments conçus aujourd'hui ne tiennent pas compte de cette nouvelle donne. Chaque année, le marché du bâtiment représente 125 milliards d'euros. Cette somme est investie dans des projets sans s'interroger sur les nouvelles conditions climatiques, alors même que les bâtiments rénovés et construits aujourd'hui connaîtront en 2050 des conditions d'exploitation probablement plus difficiles. Pour les constructions neuves, la RE2020 comporte des indicateurs de confort d'été, mais ne prend pas en compte l'évolution du climat et est basée sur un aléa passé, obsolète.

En rénovation, il n'existe aujourd'hui pas de réglementations ni d'incitations pour prendre en compte le changement climatique. La plupart des travaux entrepris concernent un poste et ne posent pas la question de l'adaptation au changement climatique. À terme, le risque est de devoir réinvestir massivement pour adapter le parc de bâtiments.

Le plus grand risque est la matérialisation d'un recours massif à la climatisation. La climatisation de confort évolue chaque année de manière quasi exponentielle au sein des logements. Nous devons donc intégrer des exigences de confort d'été et d'adaptation au changement climatique lors de la réalisation des projets.

Certains gestes isolés permettent d'améliorer le confort d'été comme la mise en place de volets, de protections extérieures ou le remplacement de systèmes de ventilation. Ils ne suffiront probablement pas à garantir un confort intérieur pour les prochains étés où les canicules seront certainement plus importantes.

Rénover de manière globale permet de traiter de nombreux postes de rénovation énergétique en même temps. Il y a un intérêt véritable à effectuer les travaux de confort d'été conjointement. À ce titre, l'étanchéité à l'air d'un bâtiment est essentielle. Pour les grands bâtiments et les bâtiments publics, la rénovation globale permet de s'interroger sur des simulations thermiques dynamiques et une maîtrise d'oeuvre plus poussée afin d'intégrer ces considérations. Des guides techniques sont déjà disponibles pour l'adaptation des bâtiments. Il existe déjà des démarches exemplaires qui mériteraient d'être davantage diffusées. Par exemple, la démarche Envirobat Bâtiments durables méditerranéens (BDM) oeuvre à faire avancer la filière du bâtiment sur l'ensemble des notions de bâtiment durable : l'efficacité énergétique, l'adaptation des bâtiments ou le recours aux matériaux biosourcés. Cependant, ces démarches sont encore isolées et devraient être mieux déployées sur le territoire. Néanmoins, elles se fondent sur le climat actuel, car les données sur le climat futur ne sont pas encore opérationnelles pour être prises en compte dans la réalisation des projets.

Nous préconisons de faire de la commande publique un levier d'exemplarité pour adapter les bâtiments : la commande publique exploite des bâtiments qui hébergent parfois des populations sensibles. Par exemple, les collectivités hébergent lycées, collèges et écoles. C'est une très bonne opportunité pour embarquer l'adaptation et l'atténuation avec les projets de rénovation énergétique.

Il est également nécessaire de progressivement réorienter les aides à la rénovation vers les projets les plus performants pour mieux tenir compte de l'adaptation. Des accompagnateurs formés à ces enjeux seront nécessaires, il peut s'agir des accompagnateurs France Rénov' mais également des artisans, qui sans formation spécifique risquent de passer à côté de ces objectifs.

Le troisième levier est d'accompagner la montée en compétence de l'ensemble de la filière : la recherche fait partie des pistes. Par exemple, le programme Prebat a été porté par l'Ademe au sujet de l'efficacité énergétique des bâtiments. Il y a aujourd'hui une opportunité de porter un programme de recherche pour intégrer ces nouveaux enjeux. En effet, malgré les solutions techniques, nous manquons aujourd'hui d'expérience : ce programme permettrait de réaliser des bâtiments démonstrateurs qui prendraient en compte ces nouveaux leviers. L'ensemble de la maîtrise d'ouvrage (publique et auprès des particuliers) doit être sensibilisée à l'adaptation au changement climatique. Les professionnels ne sont pas incités à inclure les enjeux d'adaptation dans leurs cahiers des charges, car les surcoûts d'adaptation ne sont pas justifiés si aucune demande n'est émise.

M. Guillaume Gontard, rapporteur. - Merci pour votre exposé.

Dans les différentes auditions, nous nous interrogeons souvent sur deux aspects : l'incitation (via les aides et subventions) et l'obligation de rénovation (lors de la vente, comme cela se fait pour l'assainissement ; sans reste à charge et financé par un prêt hypothécaire). Quel est votre avis entre les solutions fondées sur de l'aide directe et celles centrées sur l'obligation ?

Derrière la question financière se pose celle du développement de la filière, de la formation des entreprises, de la disponibilité des matériaux, de la mise en place d'une filière plus locale, notamment sur le biosourcé, avantageux pour le confort thermique et le stockage du carbone. Avez-vous réfléchi sur le lien entre l'argent à investir et la possibilité à faire monter en gamme la filière ?

Si nous nous focalisons uniquement sur l'objectif 2050 de neutralité carbone, une dérive inquiétante serait de penser qu'il suffit de remplacer l'ensemble de nos moyens de chauffage par du chauffage électrique en partant du principe que la production électrique est nucléaire notamment, et donc décarbonée. Le besoin d'isoler disparaîtrait alors.

Il en est de même pour la question de la climatisation et du confort thermique d'été. Comme les vagues de chaleur seront très fortes, certains peuvent penser que le temps manquera pour agir sur les bâtiments en matière d'isolation. La climatisation serait alors elle une solution. Comment faire attention à cette dérive ? Par ailleurs, la rénovation des bâtiments concerne également d'autres aspects, comme la santé et le confort.

M. Maxime Ledez. - Nous n'avons pas d'avis particulier sur le guichet unique. Nous comprenons les arguments pour et contre. D'une part, le guichet unique pourrait faciliter le pilotage de la politique publique. D'autre part, des guichets adaptés à différents types de ménages pourraient être plus adéquats. En particulier, certains ménages en situation de précarité consultent des acteurs comme Soliha, des ménages en situation de copropriété ont pour interlocuteur privilégié le syndicat. Ces acteurs peuvent réorienter les ménages vers des accompagnateurs Rénov' qui proposeront par exemple une offre de financement.

Le point le plus important concerne le déploiement de Mon accompagnateur Rénov' et le processus de redirection des ménages vers Mon accompagnateur Rénov' en cas de besoin de rénovation.

M. Guillaume Dolques. - Nous avons étudié dans quelle mesure l'instauration d'une fiscalité carbone ambitieuse pourrait permettre de déclencher des rénovations globales pour les ménages. Nous avons effectué une simulation : nous avons coupé l'entièreté du système d'aide et avons proposé un prêt à un taux très faible sur un temps très long. Ce prêt couvrirait les économies d'énergie pour permettre aux ménages de s'engager dans des projets de rénovation sans grever ses dépenses. Nous avons ensuite ajouté une composante carbone qui monte rapidement jusqu'à 250 euros la tonne. Nous avons vérifié si, dans ces conditions, le projet était rentable pour le ménage. Autrement dit, la fiscalité carbone peut-elle se substituer au système d'aide actuel ? Les conclusions de cette simulation montrent qu'avec la composante carbone seule, les projets de rénovation gardent des valeurs actuelles nettes très faibles s'ils ne sont pas subventionnés. De fait, les économies d'énergie ne sont pas suffisantes, et ce, même pour des montants de factures qui augmentent tous les ans.

Ensuite, nous nous sommes demandé quel devrait être le montant de la facture énergétique pour qu'un ménage se lance dans un projet de rénovation énergétique si celui-ci n'est pas subventionné ? Les niveaux de composantes carbone devraient atteindre des niveaux extrêmement élevés de l'ordre de 1000 euros la tonne, ce qui est insoutenable par ailleurs.

En conclusion, la fiscalité carbone à elle seule ne permettra pas de rendre rentables des projets de rénovation globale. En revanche, lorsque ce mécanisme est couplé avec des subventions ou avec des prêts, dans un mix de politiques publiques, il peut trouver un terrain d'intérêt. En effet, il accroît la rentabilité des projets de rénovation. Si un ménage sait par avance que sa facture augmentera, il aura de plus en plus intérêt, à mesure que la composante carbone croît, à se lancer dans des projets de rénovation énergétique.

M. Maxime Ledez.  - Notre outil suppose que l'information est parfaite et que le ménage anticipe l'augmentation de la composante carbone et comprend son impact sur sa facture énergétique. L'outil prend également en compte l'hypothèse que l'accès au crédit est illimité et que les éco-prêts à taux zéro sont facilement distribués. Nous ne constatons pas une telle situation pour l'instant.

Ensuite, combien de dépenses publiques supplémentaires sont nécessaires ? Cela dépendra en grande partie du mix. Nous n'avons pas réellement formulé de recommandations. À travers notre publication, nous disposons d'un panel de six logements, qui n'a pas vocation à être représentatif de l'ensemble du parc de logements. Les copropriétés ou les logements locatifs privés constituent des cas particuliers. En revanche, la proposition de la mission Sichel de 11,6 milliards d'aides peut donner un premier ordre de grandeur. Certaines propositions visent également à atténuer la dépense publique ou à l'augmenter.

S'agissant de l'accompagnement, nous trouvons les propositions énoncées par la mission Sichel très intéressantes, notamment avec la plateforme digitale. Toutefois, intégrer les propositions de financement des banques et les offres de travaux constituent un projet complexe.

L'accompagnement humain est primordial. L'accompagnateur Rénov' devra être très compétent en matière technique et financière mais également capable d'accompagner les ménages dans une démarche commerciale. De tels profils sont malheureusement rares, l'enjeu de la formation de la filière de la rénovation réside également dans la formation des futurs accompagnateurs. Le dispositif Mon accompagnateur Rénov' permettra de renforcer cette filière d'accompagnateur en rendant obligatoire le dispositif pour certains types de travaux. Il sera ensuite nécessaire de se demander comment orienter ce dispositif vers l'accompagnement des rénovations globales. Pour l'instant, à ma connaissance, les pouvoirs publics n'ont pas donné d'éléments de réponse à ce sujet.

M. Guillaume Dolques. - À propos du DPE et notamment de son adaptation dans un monde qui évolue, nous ne disposons pas aujourd'hui de travaux sur le sujet. D'après nos retours, il nous semble que le DPE constitue un outil assez complexe pour les particuliers. Il demande un certain temps d'appropriation, car les informations sont nombreuses. De premières estimations de confort d'été y sont déjà incluses, mais elles pourraient être améliorées.

Quasiment l'ensemble des diagnostics livrés au moment de la mutation pourraient évoluer. Au moment d'une mutation, le diagnostiqueur transmet l'ensemble de la carte des risques d'un logement ou d'un bâtiment. Il s'agit des risques tels qu'ils sont aujourd'hui inscrits dans les différents documents d'urbanisme de la ville. Cependant, un bâtiment en risque faible d'inondation ou en retrait-gonflement des argiles pourrait très bien se retrouver en risque fort d'ici quelques années, voire quelques décennies. Les implications économiques peuvent être radicalement différentes : aujourd'hui, une maison fissurée par du retrait-gonflement des argiles a perdu toute sa valeur sur le marché.

En ce qui concerne les diagnostics de performance, d'autres outils commencent à être développés. En particulier, le diagnostic de performance résilience, porté par le groupe CDC Habitat, passe au crible les aléas et les risques physiques de l'ensemble de son parc immobilier. Ce type d'outil permet à l'échelle d'un parc, d'un bailleur social, de créer une véritable stratégie d'adaptation sur le long terme. Elle permet de coupler l'ensemble de ces opérations prévues, comme des opérations de rénovation énergétique et de maintenance, afin d'accroître l'adaptation.

Ce type d'outil permet également d'ordonnancer les travaux en fonction des poches de vulnérabilité les plus importantes. Pour définir le cadre d'un diagnostic de performance idéale en matière de résilience, nous pourrions nous rapprocher de ce type de démarche. L'association Envirobat BDM a également développé un label avec des critères, lequel fait déjà référence dans la zone géographique de son implantation. Ce type de démarche pourrait être davantage diffusé et partagé par les acteurs de la filière.

Bien qu'elle concerne le logement neuf, la RE2020 a changé la donne en matière de confort d'été, notamment avec des exigences plus élevées et des modes de calcul construits avec l'interprofessionnel de la filière. Cependant, le référentiel choisi pour les calculs thermiques, la canicule de 2003, risque très probablement d'être obsolète. Il s'agit en quelque sorte d'une opportunité manquée d'avoir mieux intégré l'adaptation dans les bâtiments neufs dans le cadre de cette RE2020.

Pour autant, à la suite de cette réglementation, des actions commencent à se mettre en place. Par exemple, des labels accompagnent ces réglementations. Dans ce cadre, nous pourrions essayer de mieux traiter cette information. Des acteurs techniques ont travaillé sur l'intégration des risques dans les opérations. Par exemple, le Centre européen de prévention des risques d'inondation (Cepri) a récemment publié un rapport sur la manière de mieux intégrer le risque inondation au moment des opérations de construction et de rénovation. Un appel à projets « Comment mieux bâtir en terrain inondable » a également produit des projets intéressants à l'aune de ces nouveaux risques.

M. Maxime Ledez. - Quelle solution privilégier entre incitation et obligation ? Nous n'avons pas d'avis sur le sujet. Les deux seront certainement nécessaires et ne sont pas exclusifs. La question repose sur la nature des incitations et des obligations à mettre en oeuvre. Elles doivent permettre de développer la filière et de s'assurer de la disponibilité des matériaux.

Nos prochains travaux s'intéresseront au possible scénario de financement pour la rénovation énergétique des logements et aux interactions avec la réglementation. Nous défendons l'idée d'une programmation pluriannuelle des financements en faveur de la rénovation énergétique des bâtiments et d'autres sujets de la transition énergétique. Il s'agit de donner de la visibilité aux acteurs (maîtres d'ouvrage, filière du bâtiment, structures d'accompagnement) pour pouvoir se positionner sur les marchés. Aujourd'hui la SNBC n'est pas jugée comme un signal crédible par les acteurs. En effet, peu de professionnels se forment à la rénovation globale. Des moyens adaptés à cette stratégie sont nécessaires : il est nécessaire de donner de la visibilité sur le temps long sur les subventions, les offres de prêts, les dispositifs d'accompagnement et les réglementations.

Nous engageons actuellement des travaux pour savoir comment intégrer davantage les matériaux biosourcés dans la rénovation énergétique des bâtiments. Ces travaux seront disponibles cet été. Il s'agit d'un sujet gagnant-gagnant : nous avons besoin de débouchés pour la filière bois, qui favorise la séquestration du carbone. Par ailleurs, certains de nos voisins européens ont décidé de subventionner davantage les matériaux biosourcés que d'autres matériaux. Cela peut être une piste intéressante pour développer la filière forêt-bois et la rendre plus locale.

En ce qui concerne les dérives à se focaliser uniquement sur la décarbonation, le sujet doit être traité dans le cadre de la stratégie française énergie-climat en cours de préparation. Ce doit être un sujet de débat entre pouvoirs politiques. J'espère que c'est un vrai point de vigilance pour les personnes qui préparent cette stratégie. Nous n'avons pas de stratégie privilégiée au sein de notre institution, nous cherchons à implémenter une stratégie actée et décidée par plusieurs acteurs.

M. Guillaume Dolques. - Nous ne pourrons pas nous passer partout de la climatisation. Certains usages devront être privilégiés, notamment pour les bâtiments qui hébergent des populations les plus vulnérables. Pour autant, il n'est pas souhaitable de déployer massivement la climatisation. Cela impose d'une part, d'investir dans la rénovation des bâtiments. D'autre part, nous pouvons, en tenant compte de l'évolution du climat, prévoir dans les opérations de rénovation des solutions pour intégrer du froid a posteriori si les conditions actuelles ne sont pas réunies pour imposer cette climatisation. Des choix techniques permettent d'attendre des évolutions techniques ou réglementaires pour mieux prendre en compte cet aspect. D'importants garde-fous doivent être mis en place pour éviter les dérives et les consommations énergétiques et d'émissions de gaz associées.

M. Franck Montaugé. - Merci. Je salue de manière générale les travaux de votre institut.

Dans le cas pratique de la famille modeste, intégrez-vous en plus des contraintes en matière de rénovation énergétique de leur habitat, les contraintes supplémentaires liées au climat et qui touchent à des postes contraints (transport, alimentation, etc.) ? Je pense qu'il n'est pas possible d'étudier la question de la rénovation et du post-rénovation, indépendamment de ces autres postes. Les coûts augmenteront probablement. Par conséquent, l'engagement d'investissement se complexifiera, notamment en matière de rénovation énergétique.

Selon vous, peut-on espérer des économies d'échelle sur les coûts de la mise en oeuvre des techniques nécessaires au respect de la réglementation en matière de rénovation énergétique ?

Au sujet des prêts, des spécialistes comme Christian Gollier travaillent sur la question du prix du carbone, mais également sur les taux d'actualisation utilisés dans les modèles décisionnels. Ces derniers peuvent toucher les particuliers, le secteur bancaire et tous les organismes de prêt potentiels. Cet aspect peut influer sur les décisions prises et sur la facilitation de l'engagement d'investissement.

Estimez-vous que l'ambition posée avec des objectifs très clairs, notamment à échéance 2050, soit réalisable ? La SNBC devrait-elle être ajustée et reconsidérée à l'aune des moyens publics et privés qu'il est possible de consacrer à la rénovation énergétique ?

Nous sommes tous d'accord sur l'urgence de la situation. Mais il ne suffit pas de souligner l'urgence pour y arriver au vu de la complexité du sujet. Avez-vous des recommandations à adresser aux politiques sur le plan législatif et à l'exécutif sur le plan réglementaire ? Sommes-nous allés trop loin ? Il faut trouver un optimum entre l'exigence technique et la faisabilité économique et financière.

M. Guillaume Dolques. - Au sujet de l'outil et de sa modélisation, nous ne prenons pas en compte les contraintes techniques du bâtiment. Nous observons simplement le frein économique. Nous résolvons donc seulement une partie de l'équation. Nous n'étudions pas les contraintes techniques, si ce n'est que nous nous basons sur des rénovations globales qui ont eu lieu sur le territoire.

Pour les contraintes de trésorerie, le reste à vivre fait partie des indicateurs retenus pour définir la viabilité économique. L'idée est de tendre vers un reste à charge nul pour les ménages, pour ne pas grever ce reste à vivre. Nous étudions également l'équilibre en trésorerie. Selon nous, un projet doit globalement ne rien coûter ou très peu à la trésorerie du ménage lorsqu'il débourse pour ces travaux. Il doit disposer de subventions ou pouvoir emprunter. Le prêt doit être au moins couvert par les économies d'énergie. Le ménage doit forcément avoir une opération positive à la fin, même si le retour sur investissement peut être très long. Dans tous les cas, des conditions devraient permettre de déclencher certaines rénovations pour les ménages modestes.

M. Maxime Ledez. - À propos des économies d'échelle liées à la mise en oeuvre des techniques de rénovation énergétique, une étude a été conduite par l'Ademe autour du dispositif « Perf in mind ». Des groupements d'artisans ont travaillé ensemble pour essayer d'optimiser l'offre de travaux de performance énergétique et ont réussi à réduire les coûts à hauteur de 20 % par rapport à la facture initiale.

Ensuite, des dispositifs intéressants comme EnergieSprong visent à industrialiser les travaux de rénovation énergétique. Des actions peuvent donc être menées pour atténuer l'augmentation, voire réduire les coûts de la rénovation énergétique pour les logements.

Par ailleurs, le plan France 2030 vise à proposer une offre industrielle assez soutenue dans plusieurs secteurs, notamment dans le secteur énergétique et des transports. Nous avons été étonnés de voir que rien ne visait à développer une offre de rénovation énergétique des bâtiments, à industrialiser, à financer des investissements dans la recherche et le développement. Il s'agit peut-être d'une opportunité manquée ou d'un tir à rectifier. En effet, il est nécessaire de soutenir la filière et de réussir à réduire les coûts dans le temps long au vu du volume d'investissement à engager d'ici 2050.

M. Guillaume Dolques. - L'actualisation dégrève dans le temps les économies d'énergie : plus les économies d'énergie sont réalisées tardivement dans la vie d'un projet, moins elles sont intéressantes pour le ménage. Cela joue grandement sur les calculs de rentabilité. En effet, pour modéliser l'aversion des ménages à se lancer dans ces projets, nous actualisons les économies d'énergie, de l'ordre de 5 % pour les ménages aux revenus les plus élevés et jusqu'à 15 % pour les ménages aux revenus les plus modestes. Par 15 %, nous exprimons le fait que les ménages aux revenus les plus faibles sont d'autant plus averses à se lancer dans des projets de rénovation énergétique s'ils ne perçoivent pas des économies d'énergie très rapidement.

Cependant, nous n'observons qu'une partie de la rentabilité. Les calculs de valeur actuelle nette, actualisés à des taux assez élevés, sont des calculs complexes à réaliser et en pratique peu développés dans les calculs des ménages. En effet, les ménages se tournent davantage sur le temps de retour sur investissement brut. Ils regarderont leurs économies d'énergie pour la première année, sans prendre en compte l'évolution du prix des énergies ou éventuellement une composante carbone. Ils diviseront le coût des travaux par ces économies d'énergie pour calculer leur temps de retour sur investissement.

M. Franck Montaugé. - Quel est le point de vue des prêteurs ?

M. Maxime Ledez. - Nous n'avons pas étudié la question du point de vue des prêteurs. Nous nous sommes concentrés sur le point de vue des ménages. À travers la question de la rénovation énergétique, nous observons un manque d'alignement entre les taux d'actualisation par rapport à la collectivité à l'échelle nationale et par rapport aux acteurs privés engagés (les ménages, les acteurs bancaires et les professionnels de travaux). Un mode d'intervention publique sera nécessaire, mais je ne sais pas lequel.

Ensuite, selon nous, l'ambition des objectifs de 2050 est faisable sur le plan technique.

M. Franck Montaugé. - Pensez-vous que la question de cette faisabilité doive faire l'objet d'une réflexion et d'études dès à présent ? Au fur et à mesure des auditions, nous nous apercevons que nous sommes engagés dans une question qui nous dépasse largement.

M. Maxime Ledez. - Je pense que cette question doit être traitée dans le cadre des travaux de la stratégie française énergie-climat. La question de la programmation est centrale si vous avez une stratégie pour déterminer les moyens nécessaires.

Des travaux ont été déjà menés au sujet d'une rénovation performante par étape. Nous savons comment nous y prendre sur le plan technique. Cependant, sur le plan organisationnel et financier, il reste du travail.

Enfin, si vous décidez d'abandonner l'objectif relatif à un parc à niveau moyen BBC, vous reporterez les exigences de réduction des consommations d'énergie ou de réduction des émissions de gaz à effet de serre sur d'autres secteurs, ou vous viserez une production d'énergie supplémentaire en France. Mais cela présente également un coût.

M. Franck Montaugé. - Cette question appliquée à la rénovation énergétique doit être élargie à tous les domaines qui ont un impact sur le climat. Du point de vue de la puissance publique, les sujets se cumulent. Par exemple, l'accès au véhicule électrique se pose dans des termes similaires. Il n'est pas possible de raisonner en silo.

M. Maxime Ledez. - En effet, nous ne pouvons pas définir une stratégie pour le bâtiment indépendamment des autres stratégies. Le secrétariat général à la planification écologique (SGPE) ou bien la direction générale de l'énergie et du climat (DGEC) en ont conscience dans le cadre de leurs travaux. Si un curseur bouge, il aura forcément des répercussions sur d'autres secteurs. Il est donc très difficile de définir une stratégie, car cela dépend beaucoup des stratégies inhérentes aux autres secteurs.

En termes de recommandations politiques, une programmation est nécessaire. Nous ne possédons pas toutes les clés pour établir ce qu'il faudrait faire en termes de politiques publiques. Il s'agit de montrer la voie aux ménages et à la filière du bâtiment et de proposer des outils. Après la stratégie française énergie-climat, il sera nécessaire d'engager directement des travaux.

M. Guillaume Dolques. - Cette question de programmation des financements publics pour le climat résout également le paradoxe entre les préconisations en faveur d'une réorientation des aides à la rénovation globale et le besoin de constance des aides à la rénovation pointé par de nombreux acteurs. L'idée est de ne pas perturber les ménages déjà assaillis d'informations sur la rénovation énergétique. Cette idée de programmation des financements climat constitue la bonne manière de se réorienter en douceur en faisant vivre des systèmes d'aides différents pendant un temps, que ce soit pour les rénovations à geste unique ou pour la rénovation globale. Peu à peu, un effet de vases communicants permettra de tendre vers ce type de rénovation globale. Cela permettra également à la filière de s'adapter plus facilement et de créer l'offre nécessaire, aujourd'hui relativement inexistante. La demande pourra anticiper et comprendre que les objectifs concernent la rénovation globale et qu'il ne s'agit pas simplement d'un objectif de la SNBC déconnecté de la réalité.

Mme Dominique Estrosi Sassone, présidente. - Nous avons compris que la visibilité, de la pérennité et de la stabilité sont nécessaires pour s'inscrire dans les objectifs et dans cette SNBC. Nous vous remercions.

Ce point de l'ordre du jour a fait l'objet d'une captation vidéo qui est disponible en ligne sur le site du Sénat.

Audition de M. Andréas Rüdinger, coordinateur - transition énergétique France à l'Institut du développement durable et des relations internationales (Iddri), et de Mme Albane Gaspard, animatrice de secteur - prospective du bâtiment et immobilier à l'Agence de la transition écologique (Ademe)

Mme Dominique Estrosi Sassone, présidente. - Monsieur Rüdinger, vous êtes coordinateur pour les questions de transition énergétique à l'Institut du développement durable et des relations internationales (Iddri) depuis l'année dernière mais vous avez rejoint l'institut il y a douze ans en tant que chercheur sur les questions d'énergie et de climat. Vos travaux portent notamment sur la gouvernance des politiques climatiques en France et sur les enjeux de la transition énergétique. Depuis 2020, vous coordonnez également la plateforme des experts sur la rénovation énergétique en France, en partenariat étroit avec l'Ademe. Nous vous recevons donc avec ces deux casquettes. Je précise que vous êtes aussi chargé d'enseignement à Sciences-Po Paris et à SupAéro Toulouse.

Madame Gaspard, vous pilotez depuis un peu plus de cinq ans la réflexion prospective de l'Ademe sur le bâtiment et l'immobilier. Vous étiez auparavant au sein de l'agence, sociologue des comportements en matière d'énergie et de bâtiments après avoir été chargée de mission sur les questions de concertation. Vous avez également été consultante à Londres il y a une quinzaine d'années sur les questions d'impact socio-économique, de changement climatique et de planification urbaine.

Vous avez tous les deux rédigé le rapport de la plateforme d'experts pour la rénovation énergétique des logements en France, intitulé Réussir le pari de la rénovation énergétique. Ce rapport a été publié en mai 2022. Ce travail a motivé votre audition, même si chacun d'entre vous a réalisé de nombreuses autres recherches autour du thème de la rénovation des bâtiments. Vous pourrez bien entendu sortir du cadre de ce rapport pour nous faire partager vos analyses. La plateforme d'experts pour la rénovation énergétique des logements souligne que « malgré son abord consensuel, la politique de rénovation énergétique des logements français ne parvient pas à atteindre ces objectifs ». Ce rapport interroge les blocages sous-jacents et comment les dépasser. Vos interrogations sont donc proches de celles de notre commission d'enquête.

Votre rapport relève un ensemble de controverses autour de ce sujet, controverses souvent liées aux objectifs mêmes de la politique de rénovation et qui sont génératrices de tensions. La première de ces tensions résulte de la cohabitation entre la poursuite d'objectifs climatiques selon une logique de décarbonisation et la poursuite d'objectifs énergétiques autour d'une logique d'amélioration de l'efficacité énergétique et d'isolation.

La deuxième tension participe de la poursuite d'objectifs sociaux au sein de la politique de rénovation. En effet, vous vous interrogez dans les termes suivants : faut-il privilégier la massification des gestes de travaux les plus rentables pour lutter rapidement contre la précarité énergétique ? Faut-il cibler les aides publiques sur les ménages modestes uniquement ou fournir également des aides généreuses pour les classes moyennes et aisées en mesure d'investir plus rapidement et massivement afin de structurer rapidement le marché des rénovations performantes ? Ce sont des questions fondamentales.

Vous déplorez également que les politiques mises en oeuvre - politique d'urbanisme, politique de rénovation urbaine, d'accès au logement et d'amélioration de l'habitat - fonctionnent le plus souvent en silo avec des objectifs, des acteurs et des logiques d'action différents. Bien qu'ayant comme point commun le même objet physique, à savoir le logement, chacune de ces politiques l'aborde sous des angles différents. Ce constat plaide pour une plus grande coordination de la gouvernance des politiques de rénovation énergétique.

Vous relevez ensuite d'autres types de controverses davantage liées aux outils de mise en oeuvre de la politique de rénovation : la viabilité économique et financière des travaux de rénovation, l'approche globale ou par étapes de la rénovation, le point d'équilibre entre incitation et obligation ou encore la structuration de l'offre, qui implique une stratégie pour le secteur du bâtiment, filière professionnelle dont l'offre doit être en capacité d'absorber la hausse massive de la demande, avec un niveau de qualification élevé.

Quelle feuille de route proposez-vous pour le futur de la rénovation énergétique des logements ? Comment articuler les deux principes directeurs que vous proposez, à savoir, d'une part, l'accélération et, d'autre part, la performance ? Dans quel sens faire évoluer les dispositifs existants et quels nouveaux dispositifs nous faut-il mettre en place ?

Avant de vous laisser la parole pour répondre à ses premières questions, il me revient de vous indiquer que cette audition est diffusée en direct et en différé sur le site internet du Sénat et qu'un compte rendu sera publié. Je dois également vous rappeler qu'un faux témoignage devant notre commission d'enquête serait passible des peines prévues aux articles 434-13, 434-4 et 434-15 du Code pénal qui peuvent aller de 3 ans à 7 ans d'emprisonnement et de 45 000 euros à 100 000 euros d'amende. Je vous invite donc, Madame, Monsieur, à prêter serment, de dire toute la vérité et rien que la vérité, à lever la main droite et à dire « Je le jure ».

Conformément à la procédure applicable aux commissions d'enquête, M. Rüdinger et Mme Gaspard prêtent serment.

M. Andreas Rüdinger, coordinateur transition énergétique France à l'Institut du développement durable et des relations internationales (Iddri). - Nous avons créé cette plateforme d'experts et mené ce travail à partir d'un point de départ : les politiques de rénovation énergétique sont consensuelles. Cet enjeu est partagé de façon transpartisane au niveau politique avec des objectifs extrêmement ambitieux.

Pourtant, nous rencontrons des difficultés à avancer dans nos objectifs. Malgré ce consensus, des blocages, parfois difficiles à identifier, sont présents. Le point de départ de ce travail a été de s'interroger sur la réalisation d'une cartographie des controverses politiques, parfois implicites, mais qui peuvent présenter autant de points de blocage.

Par ailleurs, dépasser une controverse ne signifie pas forcément amener un consensus parfait. Des divergences peuvent demeurer, mais elles ne doivent pas empêcher l'action. Nous avons mené ce travail pendant deux ans avec une vingtaine d'experts venus du monde de la recherche, des bureaux d'études et d'agences publiques pour essayer de recueillir plusieurs points de vue différents.

Nous avons également constaté un retard face à des objectifs extrêmement ambitieux au niveau national. L'enjeu aujourd'hui consiste à concilier l'effort d'accélération des rénovations énergétiques et de massification avec l'effort d'approfondissement d'une meilleure performance. La bonne nouvelle est que nous avons peut-être déjà réalisé la moitié du chemin. En termes d'accélération, les résultats sont plutôt très encourageants ; aujourd'hui, environ 700 000 gestes de rénovation sont réalisés chaque année, mais en termes d'approfondissement, la performance atteinte des rénovations reste un enjeu important puisque seules 40 000 à 60 000 rénovations performantes sont réalisées chaque année. De plus, ces dernières sont extrêmement difficiles à suivre.

Selon les chiffres de l'Observatoire national, le gain moyen par projet de rénovation se situe aujourd'hui autour de 3 600 kilowattheures (kWh). Pour un logement moyen du parc de 91 mètres carrés, avec 180 à 190 kWh par mètre carré de consommation, le gain de performance s'élève par exemple à 20 %. En revanche, si nous appliquons ces mêmes volumes d'économie d'énergie à une passoire thermique, nous nous situons plutôt sur un ordre de 10 %. Ce n'est clairement pas suffisant pour amener l'ensemble du parc au niveau basse consommation d'énergie (BBC).

Ce retard dans la mise en oeuvre des politiques présente évidemment un coût. Dans un précédent article, nous avions notamment signalé que si la France avait atteint les objectifs fixés pendant le Grenelle de l'environnement de 2008, à savoir réduire de 38 % la consommation d'énergie dans les bâtiments et atteindre 500 000 rénovations performantes par an, nous n'aurions plus été dépendants du gaz russe depuis 2020. Cela montre l'importance de la rénovation énergétique en termes de résilience sur le plan climatique, mais également géopolitique et économique.

Le bouclier tarifaire mis en place pour répondre à l'urgence sociale et économique de la crise de l'énergie a consommé environ 30 milliards d'euros de dépenses publiques en 2022 et jusqu'à 45 milliards d'euros budgétés en 2023. Il est à comparer aux 3 milliards d'euros de budget pour MaPrimeRénov'. Nous nous situons sur un rapport de 1 à 10 qui interroge sur la gestion de la crise.

La première controverse concerne l'opposition entre une logique de décarbonation, liée au climat, et une logique d'efficacité, liée à l'énergie. Cette controverse est directement liée à deux autres controverses. L'une concerne la faisabilité technique et la pertinence économique des rénovations performantes. Tant que cette controverse ne sera pas débloquée, il sera difficile d'avancer sur la controverse inhérente à la décarbonation et à l'efficacité énergétique. L'autre controverse concerne la vision du parc de logements dans les scénarios prospectifs à l'horizon 2050. Cela renvoie à la possibilité d'atteindre la neutralité carbone en jouant uniquement sur la décarbonation de l'énergie, plutôt que sur l'isolation. En théorie, dans la stratégie politique de la France, cette controverse a déjà été dépassée. En effet, l'objectif BBC en 2050 figure dans le code de l'énergie. Le plan de rénovation énergétique des bâtiments de 2018 indiquait que l'objectif de rénovation de l'ensemble du parc de bâtiments au niveau BBC d'ici 2050 ne pourra qu'être confirmé, voire renforcé, en insistant sur le fait que c'était la clé pour décarboner.

D'autres objectifs que la décarbonation sont poursuivis à travers la performance des logements : l'obsolescence face aux impacts du changement climatique et la précarité énergétique. Ces questions doivent donc être appréhendées de manière plus large.

Nous appelons également à la vigilance sur le fait de ne pas succomber aux solutions un peu trop simples en apparence, comme l'idée d'installer des pompes à chaleur partout.

Attention également aux risques de déplacer l'effort de décarbonation. En effet, miser sur davantage de production d'énergie décarbonée signifie mécaniquement un accroissement de la pression en matière de décarbonation sur le secteur énergie. Nous serons forcément limités à ce niveau.

Il faut rester attentif au fait que le cadre des objectifs à l'horizon 2030 est en train d'être renforcé dans le contexte du paquet européen « Fit for 55 ». L'objectif actuel est de réduire 50 % des émissions dans le secteur des bâtiments d'ici 2030. A priori, ces objectifs seront renforcés et mettront encore plus l'accent sur la décarbonation. Dans ce contexte, la massification des rénovations performantes est importante.

La deuxième controverse concerne la rentabilité des rénovations énergétiques. Il est important de ne pas se focaliser sur les résultats des études économiques. En effet, certaines personnes présentent les rénovations performantes comme un optimum économique à long terme en tenant compte de l'ensemble des objectifs à atteindre. D'autres estiment que les rénovations performantes ne rapportent que très peu et que les durées d'amortissement sont supérieures à 30 ans.

Il est surtout important d'étudier les méthodologies et les hypothèses utilisées, ainsi que les périmètres de coûts et de bénéfices considérés dans les différentes études. Certaines s'intéresseront uniquement à la rentabilité financière directe des travaux pour le ménage. D'autres essaieront de chiffrer les gains en matière de confort, de valorisation du patrimoine, de bénéfice pour la santé publique, etc.

Les études n'ont pas nécessairement les mêmes objectifs. Certaines s'intéresseront à l'efficacité économique optimale pour l'État et les politiques publiques. D'autres s'intéresseront à la question de la rentabilité au niveau des ménages.

Nous proposons pour dépasser cette controverse de cesser de parler de rentabilité financière, car les ménages aujourd'hui ne réfléchissent pas en ces termes. Cela ne signifie pas que le paramètre économique n'est pas essentiel. Mais nous proposons d'y substituer la notion des conditions de viabilité économique des travaux de rénovation. La viabilité économique inclut notamment le critère d'équilibre en trésorerie.

Le deuxième enjeu essentiel est la solvabilité. Il est bienvenu d'avoir des prêts à taux préférentiels ou à taux zéro, mais pour des ménages déjà très endettés est-ce une solution ? Comment trouver des mécanismes de financement alternatifs ?

Les dispositifs politiques considèrent peu la perception des risques et de la garantie de qualité des travaux. Cela pose des questions de mutualisation des risques : des tiers de confiance pourraient assurer ce risque à la place des ménages.

Nous incitons à exiger une meilleure transparence sur la méthodologie des études économiques, de faire également attention au fait que beaucoup d'études économétriques ne précisent pas le type de rénovations énergétiques étudié.

De plus, les retours d'expérience en France sur le bilan économique des rénovations performantes sont peu nombreux. La majorité des études ne démontrent pas l'absence de rentabilité de la rénovation énergétique pour l'État ou les ménages, mais elles affirment que les outils politiques déployés aujourd'hui ne sont pas efficaces. Il est important d'appréhender les aspects économiques dans une vision dynamique et de ne pas uniquement regarder vers le passé, en partant du principe que la rénovation énergétique n'est pas rentable aujourd'hui. Nous devons nous demander quelles seraient les conditions qui permettraient d'assurer la viabilité économique des rénovations performantes et ainsi les massifier.

Mme Albane Gaspard, animatrice de secteur prospective du bâtiment et immobilier à l'Agence de la transition écologique (Ademe). - La troisième controverse concerne la notion de performance (rénovation, logement). Plusieurs politiques ont pour même objet physique le logement, mais leurs objectifs diffèrent. Par exemple, on distingue l'adaptation au vieillissement, les questions de consommation d'énergie, la décarbonation ou, encore, la lutte contre la précarité énergétique. Il existe des politiques à l'échelle du quartier : régénération des coeurs de ville, rénovation urbaine, etc. Tous ces objectifs ne prennent pas forcément en compte les autres. Ainsi, les occasions manquées se multiplient.

Il est possible de dépasser cet aspect en adoptant explicitement une vision large de la performance. Ainsi lorsqu'un processus de rénovation est entrepris, il concernerait simultanément des rénovations énergétiques, d'adaptation au changement climatique, de décarbonation, de confort, de régénération urbaine, etc. Ainsi, nous pourrions commencer à rompre avec cette logique de silo des politiques publiques.

Ensuite, il est nécessaire d'arbitrer et d'identifier les potentiels points de friction entre ces objectifs. Par exemple, agir contre la précarité énergétique peut signifier fournir des aides ponctuelles à des travaux d'urgence. Il est nécessaire de donner une place à ces aides, car elles ont un objectif social, pourvu qu'elles soient conditionnées à des audits énergétiques qui permettent de mieux comprendre les travaux. Si ces points de friction ne sont pas arbitrés, ils deviendront des blocages.

Enfin, il convient d'aligner ces dispositifs de politiques publiques autour d'un objectif de performance, qu'il s'agisse des aides financières, de la communication ou de l'accompagnement. Ils pourraient devenir davantage multithématiques. En effet, lorsqu'un ménage entreprend une rénovation, qui plus est, importante, il le fait tous les dix ou quinze ans. Il en profite alors pour appréhender des points autres que l'énergie pour son logement.

En résumé, à chaque fois que nous agissons sur un logement, nous pourrions nous donner comme objectif de viser un objectif global de performance et d'adapter les politiques publiques en conséquence. Cela peut être entrepris dès à présent en observant où est investi l'argent public en matière de rénovation du logement et en cherchant ces réorientations.

La quatrième controverse concerne l'opposition entre obligations et incitations parmi les outils de politiques publiques. Certains pensent qu'au vu de l'ampleur de la tâche, il est nécessaire d'obliger. D'autres considèrent qu'obliger serait synonyme d'écologie punitive et invoquent des questions de respect de la propriété privée.

Pour dépasser cette controverse, nous mettons en évidence que les outils ne s'opposent pas. Au regard de la politique actuelle, il existe déjà un mix entre obligations et incitations. L'enjeu concerne davantage leur point d'équilibre.

De plus, ce n'est pas tant la nature de l'outil qui compte, que sa force et la crédibilité du signal qu'il envoie aux acteurs. En effet, nous pouvons trouver des incitations fortes et bien conçues qui fonctionnent correctement ou des incitations faibles et mal calibrées. De même, des obligations peuvent être fortes si elles sont accompagnées, contrôlées et sanctionnées ou des obligations peuvent être faibles si elles ne remplissent pas ces conditions.

L'obligation de travaux embarqués lors du ravalement en copropriété constitue un exemple d'obligation faible. Cette obligation devait permettre d'effectuer de nombreuses rénovations, mais elle est peu suivie et sanctionnée. Ainsi, les conditions ne sont pas réunies pour que l'outil porte ses fruits.

La crédibilité du signal repose sur la qualité de la conception des outils. Les processus de conception des outils de politiques publiques, notamment d'évaluations ex ante, pourraient être largement améliorés. En l'absence de réelles évaluations en amont des travaux, il est difficile de trancher sur la question du point d'équilibre entre obligations et incitations. Parmi les priorités figurent deux aspects importants :

- l'évaluation ex ante de l'obligation à la mutation. Il est nécessaire d'étudier les impacts énergétiques et en termes de marché immobilier. À l'heure actuelle, personne n'en est capable, à notre connaissance, en ce qui concerne le marché immobilier ;

- le suivi de la loi Climat et résilience, l'interdiction de location des passoires constituant en effet une forme d'obligation.

La dernière controverse concerne la structuration de la filière professionnelle. Comment aider la filière à se structurer ? Cette question présuppose que le problème de structuration de la filière constitue un constat partagé. Or, ce n'est pas le cas. Certaines personnes évoqueront le manque de ressources humaines pour passer de 40 000 à 700 000 rénovations par an. Des représentants de la profession affirmeront que la filière s'est toujours adaptée et que l'appareil productif du bâtiment est résilient et a toujours fait face aux modifications d'activité.

Pour dépasser cette controverse, l'enjeu consiste d'abord à produire un chiffrage partagé avec les organisations professionnelles. Il doit être réalisé de telle sorte que les organisations professionnelles puissent faire valoir leur point de vue, mais également écoutent celui des autres. Ce chiffrage doit concerner l'ensemble des métiers de la rénovation, et pas seulement des travaux. En effet, la rénovation entraîne de nombreux services : accompagnement, contrat de garantie, performance et assurance. Cette matière grise doit être planifiée, car les besoins en main-d'oeuvre seront importants.

Ainsi se dessine une nouvelle filière industrielle de la rénovation. Elle présente un poids économique potentiel important et une forte valeur ajoutée au niveau local. Sa productivité a peu évolué sur ces trente dernières années. Il s'agirait d'une opportunité d'inscrire la rénovation dans la stratégie d'industrie verte de la France pour en faire un des piliers de notre stratégie industrielle.

En conclusion, nos travaux montrent la nécessité d'une programmation pluriannuelle qui répondrait à plusieurs objectifs :

- organiser le changement d'échelle en mettant en cohérence les besoins et les ressources, pour le financement, les ressources humaines, etc. Il est nécessaire d'identifier les grandes dimensions clés sur lesquelles l'offre doit égaler la demande ;

- organiser une gouvernance qui explicite et dépasse les controverses et les silos de politiques publiques ;

- organiser un travail de fond d'évaluation ex ante et ex post ;

- organiser les décisions à prendre à court terme. L'alignement des aides financières sur la performance, l'évaluation ex ante de l'obligation à la mutation et la structuration de la filière.

M. Guillaume Gontard, rapporteur. - Vos prédécesseurs évoquaient que l'année 2023 constituait un stade de réflexion sur l'orientation des politiques publiques en matière de rénovation thermique. Selon vous, quels sont les éléments qui fonctionnent ou non dans les politiques publiques actuelles ? Quels sont les axes d'amélioration ? Peut-être faudrait-il rester sur un système d'aides financières avec un accompagnement. Certaines propositions seraient en faveur d'une obligation avec un reste à charge nul ou un dispositif de prêts à long terme.

Des dispositifs comme le diagnostic de performance énergétique (DPE) et la labellisation des entreprises avec le RGE (label Reconnu garant de l'environnement) ont été mis en place. Nous pouvons faire confiance à une entreprise à travers un label, mais il existe peu de dispositifs pour vérifier la qualité des travaux et les performances obtenues. Quel est votre point de vue en termes d'évolution des politiques publiques ?

M. Andreas Rüdinger. - Des cadres crédibles à un horizon suffisamment lointain, propices à une anticipation des acteurs, constituent un point positif. Des politiques publiques qui changent année après année, sans visibilité et sans cap, constituent un point négatif. Aujourd'hui, les politiques publiques relèvent davantage de ce dernier cas de figure. Des évolutions plutôt favorables ont eu lieu dans les dispositifs d'aides (orientation vers des rénovations performantes, introduction d'obligations nouvelles), mais il n'existe pas de cap.

La programmation pluriannuelle répond à cet enjeu. En effet, nous n'avons pas su produire lors de ces quinze dernières années une feuille de route, une programmation sur un horizon de dix ans, année après année, qui détaille quelles seront les évolutions structurantes des dispositifs d'aide, de la réglementation, des dispositifs d'accompagnement, de la stratégie de filière et d'offre...

Nous pouvons comprendre les professionnels qui n'en peuvent plus et qui souhaitent être laissés tranquilles. Par exemple, avec l'ancien crédit d'impôt transition énergétique, nous avons connu ce système d'un pas en avant et deux pas en arrière, avec des règles changeantes. Il est impératif d'éviter une telle situation. Le point d'équilibre entre incitation et obligation répond à cette même problématique. Nous devons réussir à décliner une stratégie, idéalement partagée avec les acteurs, année après année, dotée de ressources budgétaires et de moyens humains.

De plus, il existe une sorte d'effervescence autour des enjeux de rénovation énergétique comme le montre votre commission d'enquête. La nouvelle feuille de route de décarbonation des bâtiments sera prochainement publiée. Le groupe de travail du Conseil national de l'information statistique (Cnis) doit également rendre sa copie. Si de nombreuses démarches sont en cours, j'ai l'impression qu'elles définiront de grands axes stratégiques, se dirigeront vers la rénovation globale, proposeront d'augmenter les aides, mais sans s'orienter vers le niveau d'opérationnalité requis, sans être suffisamment déclinées.

En outre, nos travaux montrent que des aides avec davantage d'accompagnement ou des obligations sans restes à charge vont de pair. Des aides correctement structurées justifient des obligations associées. Une obligation déployée à grande échelle n'est acceptable qu'à condition d'être mise en oeuvre avec des conditions adéquates en termes de financement et d'accompagnement. Nous devons nous demander comment y arriver progressivement lors des dix prochaines années.

En ce qui concerne la structuration de l'offre et de la qualité, tant qu'aucune feuille de route partagée avec les acteurs de l'offre n'existe, nous n'avancerons pas. Lors du débat national sur la transition énergétique (DNTE), nous avons débattu de ces sujets. Nous avions abouti à un consensus sur la fusion de l'ensemble des aides de manière à aboutir à une aide unique indexée sur la performance énergétique atteinte après travaux. Cet aspect figure dans la synthèse du DNTE et la loi sur la transition énergétique de 2015. En 2017, un rapport de l'Inspection générale des finances a affirmé qu'en dépit de sa pertinence, un tel dispositif restait impossible à mettre en oeuvre car, les experts thermiciens nécessaires, les tiers de confiance qui nous permettraient d'évaluer la qualité des travaux, faisaient défaut.

Mme Albane Gaspard - L'organisation de la phase de transition constitue peut-être l'élément le plus difficile à réaliser à l'horizon 2030. L'ensemble des scénarios prospectifs évoquent des chiffres de l'ordre de 700 000 rénovations en moyenne annuelle à l'horizon 2030. Personne n'a réellement détaillé cette phase de transition ni les types d'acteurs qui seront nécessaires. Lorsque des dispositifs d'accompagnement sont pensés, il est difficile de trouver des moyens si les ressources nécessaires ne sont pas anticipées. Il s'agit d'un problème similaire à celui de la poule et de l'oeuf, qui perdurera tant que la programmation ne sera pas résolue.

L'évaluation de la performance est déjà en place dans le tertiaire avec les contrats de performance énergétique. Nous pouvons imaginer transposer les outils, leurs méthodes et leur philosophie, et les adapter notamment aux ménages. Nous ne sommes pas loin de savoir et de pouvoir le faire. Positionner cette garantie de performance dans la phase de transition permettra d'entraîner la filière et de lui envoyer un signal clair.

L'aide financière a deux fonctions : inciter ou solvabiliser. Un dispositif d'obligations ne signifie pas que les aides ne sont plus nécessaires. La solvabilisation sera toujours nécessaire. Un dispositif d'obligations ne coûtera donc pas moins cher. Les ménages face à une obligation et qui ne disposent pas de moyens seront aidés. Dans tous les cas, les montants d'investissement seront importants.

M. Franck Montaugé. - Vous vous êtes placés du point de vue de l'État dans la conduite de la gestion des politiques publiques, or l'État n'est pas seul, il y a également les échelons infranationaux : les régions, les départements, les communautés de communes, etc. La complexité augmente en conséquence. Comment intégrez-vous cette dimension territoriale dans votre réflexion ?

Mme Albane Gaspard. - Il est hors de notre périmètre de conseiller sur le bon niveau de gouvernance de la rénovation énergétique. En revanche, l'échelon local, sur ces 30 dernières années, a été un terreau d'innovation particulièrement important. Nous n'aurions pas mis en place les démarches BBC en région, si des régions pionnières, comme la Normandie, ne s'étaient pas engagées. Des territoires se positionnent également d'ores et déjà en faveur d'aides en faveur du biosourcé. Il est impératif de prendre en compte cet aspect et de laisser la possibilité au local d'innover. Toutefois, les ménages ne doivent pas être confrontés à une diversité trop importante d'interlocuteurs et de dispositifs.

Ensuite, il est nécessaire de simplifier l'action publique pour le ménage. Il existe un déficit de design de politique publique. Très peu de dispositifs permettent de tester l'outil de politique publique avec des personnes qui représentent la diversité de la cible. Si davantage de dispositifs de design de politique publique existaient, nous nous rendrions compte par exemple que douze formulaires ne sont pas gérables dans le parcours de rénovation d'un ménage.

M. Franck Montaugé. - Vous en appelez donc à des démarches conceptuelles en matière de politiques publiques, comparables à des mises au point de produits, de tests quantitatifs et qualitatifs, en regardant les ressentis, etc.

Mme Albane Gaspard. - Pour être provocatrice, je dirais que davantage de design passe dans un yaourt que dans le dispositif de politique publique de rénovation. Des acteurs économiques ont besoin de vendre leurs yaourts, alors que le dispositif de politique publique peut vivre sans que nous y ayons recours.

M. Franck Montaugé. - Vous en appelez à du participatif au stade de la conception comme à celui de la révision ou de l'adaptation des politiques publiques ?

Mme Albane Gaspard. - Tout à fait. De nombreuses méthodologies existent. Par exemple, l'association La 27e région constitue un centre d'innovation en politique publique. Elle a pour objectif de confronter des prototypes à l'utilisateur final. Ils ont en général conscience de la diversité de ménages français. Ils visent cette diversité pour s'assurer que le prototype fonctionne. Ils le retravaillent ensuite. Lorsque le produit fonctionne, il est possible d'en faire une politique. Chaque concepteur de politique publique a des idées préconçues et a conscience d'un jeu de contraintes, lesquels donneront une forme spécifique à notre objet. Par conséquent, certaines personnes pourraient ne pas entrer dans le dispositif. Ainsi, l'évaluation ex ante et le design de politiques publiques constituent deux piliers pour réussir à concevoir des politiques qui ne manquent pas leur cible.

M. Andreas Rüdinger. - Dans notre groupe d'experts se trouvait notamment le premier réseau des acteurs régionaux du tiers financement de la rénovation énergétique : le réseau des services territoriaux de rénovation, accompagnement et financement (Serafin). Ils ont beaucoup d'éléments intéressants et de retours d'expérience sur la structuration des différents outils de tiers financement en région.

À ma connaissance, la région Occitanie, dans le développement de son service public intégré de la rénovation énergétique (SPIR), a mobilisé une approche en termes de design de politique publique pour essayer de coller davantage aux besoins des usagers.

De manière générale, il existe deux façons de gérer la multitude de dispositifs et réglementations :

- fusionner les aides en une aide unique, sans être certain que cela marche ;

- créer un guichet unique, qui, pour pouvoir opérer, doit fonctionner idéalement avec un portail unique. Le dossier unique d'aides doit permettre de combiner directement les C2E, MaPrimeRénov', les aides régionales, etc. Les critères techniques seraient idéalement harmonisés.

Nous pourrions réussir à mettre en place de telles actions, mais pour cela nous devons sortir des silos de gouvernance.

Mme Dominique Estrosi Sassone, présidente. - Un poste de coordinateur interministériel du plan de rénovation énergétique du bâtiment a été créé. Selon vous, cela va-t-il dans le bon sens ? Comment appréhendez-vous l'évolution de son rôle ?

Mme Albane Gaspard. - Cette piste va dans le bon sens, car un besoin de coordination est nécessaire mais un dispositif plus large de coordination de la performance du logement pourrait advenir. Elle permettrait de faire dialoguer les acteurs qui travaillent sur le vieillissement, l'adaptation au changement climatique, l'énergie, etc. Ce dispositif serait plus compliqué à mettre en place, mais sans doute beaucoup plus efficace pour réussir à traiter les occasions manquées de la rénovation énergétique.

Par ailleurs, la chance de remanier la rénovation énergétique ne se représentera pas avant longtemps. Dans une logique d'efficience de l'argent public investi, peut-être est-il nécessaire d'investir davantage pour atteindre les objectifs de BBC, plutôt que de devoir déposer un isolant insuffisamment épais et d'en ajouter ensuite un autre, ou de devoir surdimensionner un générateur de chauffage qui perdra en performance.

M. Andreas Rüdinger. - Les besoins de coordination sont considérables pour faire le lien avec l'industrialisation. Aujourd'hui, en France et au niveau européen, des actes législatifs pour l'industrie verte sont sur la table. On y trouve essentiellement les questions d'hydrogène, de nucléaire, de véhicules électriques et de renouvelables, mais pas de bâtiment ou de rénovation énergétique : cela est stupéfiant au regard des besoins d'investissements additionnels dans ce secteur.

De plus, le secteur du bâtiment possède la plus forte intensité en termes d'emploi par million d'euros investis et une des plus fortes intensités en termes de valeur ajoutée locale. Il s'agit d'un des seuls secteurs qui n'a pas vu sa productivité augmenter depuis des décennies. Il est plus que nécessaire de penser les questions de stratégies industrielles dans un secteur, qui, par ailleurs, présente des potentiels d'innovation extrêmement importants, en termes de standardisation de nouvelles solutions, de préfabrication hors site, d'utilisation de maquettes numériques, etc. Beaucoup d'initiatives sont lancées, mais elles ont des difficultés à être intégrées, car le secteur est considéré comme moins attractif sur le plan de l'innovation.

Mme Dominique Estrosi Sassone, présidente. - Nous vous remercions.

Ce point de l'ordre du jour a fait l'objet d'une captation vidéo qui est disponible en ligne sur le site du Sénat.

La réunion est close à 18 h 50.