Mardi 9 avril 2024

- Présidence de M. Jean-François Longeot, président -

La réunion est ouverte à 13 h 30.

Proposition de loi visant à concilier la continuité du service public de transports avec l'exercice du droit de grève - Examen des motions et des amendements au texte de la commission

M. Jean-François Longeot, président. - Mes chers collègues, nous sommes réunis afin d'examiner les motions et les amendements déposés sur la proposition de loi visant à concilier la continuité du service public de transports avec l'exercice du droit de grève, qui va être examinée en séance publique cet après-midi.

EXAMEN DES MOTIONS

Exception d'irrecevabilité

La commission émet un avis défavorable à la motion n° 1 tendant à opposer l'exception d'irrecevabilité à la proposition de loi.

Question préalable

La commission émet un avis défavorable à la motion n° 9 tendant à opposer la question préalable à la proposition de loi.

EXAMEN DES AMENDEMENTS AU TEXTE DE LA COMMISSION

La commission a donné les avis suivants sur les amendements dont elle est saisie, qui sont retracés dans le tableau ci-après :

Auteur

N° 

Objet

Avis de la commission

Motion

M. BARROS

1

Exception d'irrecevabilité

Défavorable

M. FERNIQUE

9

Question préalable

Défavorable

Article 1er

M. JACQUIN

2

Suppression

Défavorable

M. FERNIQUE

11

Suppression

Défavorable

M. GROSVALET

18 rect.

Suppression

Défavorable

M. BARROS

25

Suppression

Défavorable

Article 2

M. JACQUIN

3

Suppression

Défavorable

M. FERNIQUE

12

Suppression

Défavorable

M. GROSVALET

20 rect.

Suppression

Défavorable

M. BARROS

26

Suppression

Défavorable

Article 3

M. JACQUIN

4

Suppression

Défavorable

M. FERNIQUE

13

Suppression

Défavorable

M. GROSVALET

21 rect.

Suppression

Défavorable

M. BARROS

27

Suppression

Défavorable

Article 4

M. JACQUIN

5

Suppression

Défavorable

M. FERNIQUE

14

Suppression

Défavorable

M. GROSVALET

22 rect.

Suppression

Défavorable

M. BARROS

28

Suppression

Défavorable

Article 5

M. JACQUIN

6

Suppression

Défavorable

M. FERNIQUE

15

Suppression

Défavorable

M. GROSVALET

23 rect.

Suppression

Défavorable

M. BARROS

29

Suppression

Défavorable

M. MANDELLI

10

Extension à Mayotte des dispositions relatives à la continuité du trafic en cas de perturbation prévisible aux transports maritimes réguliers publics

Favorable

Article 6

M. JACQUIN

7

Suppression

Défavorable

M. FERNIQUE

16

Suppression

Défavorable

M. GROSVALET

24 rect.

Suppression

Défavorable

M. BARROS

30

Suppression

Défavorable

Article 7

M. JACQUIN

8

Suppression

Défavorable

M. FERNIQUE

17

Suppression

Défavorable

M. GROSVALET

19 rect.

Suppression

Défavorable

M. BARROS

31

Suppression

Défavorable

La réunion est close à 13 h 45.

Mercredi 10 avril 2024

- Présidence de M. Jean-François Longeot, président -

La réunion est ouverte à 9 h 00.

Proposition de loi visant à endiguer la prolifération du frelon asiatique et à préserver la filière apicole - Examen des amendements au texte de la commission

M. Jean-François Longeot, président. - Nous examinons aujourd'hui les amendements de séance sur la proposition de loi visant à endiguer la prolifération du frelon asiatique et à préserver la filière apicole.

EXAMEN DES AMENDEMENTS DU RAPPORTEUR

Article unique

Les amendements 12, 13, 14 et 15 sont adoptés.

EXAMEN DES AMENDEMENTS AU TEXTE DE LA COMMISSION

Article unique

M. Jean-Yves Roux, rapporteur. - L'amendement no  10 apporte une précision utile à la lutte contre le frelon, afin d'éviter la rémanence des produits toxiques dans l'environnement. Avis favorable.

La commission émet un avis favorable à l'amendement n° 10.

M. Jean-Yves Roux, rapporteur. - Avis défavorable à l'amendement no  3, dans la mesure où l'intention de son auteur est satisfait par l'écriture proposée à l'amendement 13.

Mme Kristina Pluchet. - Je le retirerai en séance.

La commission émet un avis défavorable à l'amendement n° 3.

M. Jean-Yves Roux, rapporteur. - Avis favorable à l'amendement no  2.

La commission émet un avis favorable à l'amendement n° 2.

M. Jean-Yves Roux, rapporteur. - L'amendement no  11 rectifié vise à consolider le plan départemental de lutte contre le frelon asiatique élaboré par le préfet, en prévoyant que celui-ci organise l'évaluation du niveau de danger sanitaire des nids de frelons asiatiques, ainsi que la procédure de signalement et de destruction à suivre. Avis de sagesse.

La commission s'en remet à la sagesse du Sénat sur l'amendement n° 11 rectifié.

M. Jean-Yves Roux, rapporteur. - L'amendement no  9 prévoit de renforcer le rôle du maire dans le dispositif de lutte contre la prolifération du frelon asiatique en l'obligeant à recueillir les déclarations de nids de frelons asiatiques et à les transmettre au préfet. Il aurait été plus judicieux d'ouvrir cette faculté aux maires qui le souhaitent, sans en faire une obligation qui incombe à tous les maires Avis défavorable.

Mme Nicole Bonnefoy. - Je le retirerai.

La commission émet un avis défavorable à l'amendement n°  9.

M. Jean-Yves Roux, rapporteur. - L'amendement no  1 prévoit que le propriétaire d'une parcelle sur laquelle est situé un nid de frelons asiatiques puisse également procéder à son signalement à un organisme à vocation sanitaire, et non pas seulement au préfet. Avis de sagesse.

La commission s'en remet à la sagesse du Sénat sur l'amendement n° 1.

M. Jean-Yves Roux, rapporteur. - L'amendement no  4 prévoit que les nids signalés au préfet entre le 1er janvier et le 1er juillet fassent systématiquement l'objet d'une destruction. La destruction hivernale et automnale ne présente pas d'intérêt, car les nids sont vides et ne seront pas recolonisés. Avis défavorable.

La commission émet un avis défavorable à l'amendement n° 4.

M. Jean-Yves Roux, rapporteur. - Par l'amendement no  5, le préfet pourrait évaluer l'opportunité de faire procéder à la destruction d'un nid de frelons asiatiques en fonction des dégâts que celui-ci est susceptible de causer aux ruchers. Cette estimation serait particulièrement complexe, dans la mesure où il faudrait évaluer l'impact potentiel d'un nid donné sur l'ensemble des ruchers. Avis défavorable.

La commission émet un avis défavorable à l'amendement n° 5.

M. Jean-Yves Roux, rapporteur. - L'amendement no  6 vise à revenir à la version initiale du texte en matière de régime indemnitaire. Il est préférable de le réserver aux exploitants apicoles qui tirent une partie substantielle de leur revenu de la vente des produits de la ruche. Avis défavorable.

La commission émet un avis défavorable à l'amendement n° 6.

M. Jean-Yves Roux, rapporteur. - L'amendement no  7 tend à ouvrir le bénéfice du régime indemnitaire à tout propriétaire de plus de quarante-neuf ruches. Avis défavorable, pour les mêmes raisons que celles que j'ai exprimées à l'amendement no 6.

La commission émet un avis défavorable à l'amendement n° 7.

M. Jean-Yves Roux, rapporteur. - L'amendement no  8 a pour objet de gager les conséquences financières, pour les collectivités territoriales, qui résultent de l'application du présent texte en affectant 0,1 % du produit de la taxe sur les produits phytopharmaceutiques. Avis de sagesse.

La commission s'en remet à la sagesse du Sénat sur l'amendement n° 8.

Les avis de la commission sur les amendements de séance sont repris dans le tableau ci-après :

Article unique

Auteur

N° 

Objet

Avis de la commission

M. DANTEC

10

Absence de nocivité environnementale des techniques de destruction des nids de frelons asiatiques

Favorable

Mme PLUCHET

3

Financement, par le plan national, de techniques de lutte contre le frelon asiatique

Défavorable

Mme PLUCHET

2

Évaluation de l'opportunité de classer le frelon asiatique parmi les dangers sanitaires de deuxième catégorie pour l'abeille domestique

Favorable

Mme PHINERA-HORTH

11 rect.

Détermination des procédures de signalement et de destruction des nids de frelons asiatiques au niveau départemental

Sagesse

Mme BONNEFOY

9

Signalement des nids de frelons asiatiques auprès du maire de la commune concernée

Défavorable

M. CHEVROLLIER

1 rect. bis

Possibilité de déclarer un nid de frelons asiatiques à l'organisme à vocation sanitaire

Sagesse

Mme BONNEFOY

4

Obligation pour le préfet de procéder à la destruction des nids de frelons asiatiques entre le 1er janvier et le 1er juillet

Défavorable

Mme BONNEFOY

5

Évaluation de l'opportunité de procéder à la destruction d'un nid de frelons asiatiques en fonction des dégâts causés aux ruchers

Défavorable

Mme BONNEFOY

6

Ouverture du bénéfice du régime indemnitaire aux ruchers exploités à des fins commerciales

Défavorable

Mme BONNEFOY

7 rect.

Ouverture du bénéfice du régime indemnitaire à tout propriétaire de plus de 49 ruches

Défavorable

Mme BONNEFOY

8

Modification du gage

Sagesse

Intensification des risques épidémiologiques sous l'effet du changement climatique - Audition

M. Jean-François Longeot, président. - Notre ordre du jour porte sur un sujet majeur auquel notre commission a déjà consacré plusieurs de ses travaux : l'adaptation au changement climatique et l'anticipation de ses effets par l'élaboration de politiques publiques qui intègrent le plus en amont possible la nouvelle donne climatique et les modifications environnementales qui en découlent.

Je pense notamment à la mission d'information conduite par Jean-Yves Roux sur les inondations, aux travaux de contrôle de nos collègues Rémy Pointereau et Hervé Gillé sur la gestion durable de l'eau dans un contexte où la disponibilité de la ressource sera plus sensible aux saisons ou encore aux apports sénatoriaux de nos collègues Jean Bacci et Pascal Martin sur l'intensification du risque incendie, pour ne citer que les thèmes les plus récents.

Ce matin, notre regard se tournera vers l'intensification des risques épidémiologiques sous l'effet du changement climatique. Il s'agit d'une thématique chère à notre collègue Stéphane Demilly, dont le fort intérêt pour l'accroissement du risque des maladies vectorielles l'a conduit à proposer l'organisation de cette table ronde.

La littérature scientifique et les travaux de l'Organisation mondiale de la santé (OMS) ont mis en évidence les multiples répercussions du changement climatique sur la santé : décès et maladies dus à des phénomènes météorologiques extrêmes, perturbation des systèmes alimentaires, augmentation des risques de zoonoses, des maladies d'origine alimentaire et à transmission hydrique ou vectorielle, ainsi que problèmes de santé mentale. Les évolutions climatiques ont un impact à la fois direct et indirect sur la santé : les conséquences sont variables selon les pays, car elles sont fortement influencées par des déterminants environnementaux, sociaux et de santé publique.

En outre, les variations de température et de précipitations sont autant de facteurs favorables à la propagation des maladies à transmission vectorielle. Selon l'OMS, en l'absence de mesures préventives, le nombre de décès dus à ces maladies, qui s'élève actuellement à plus de 700 000 par an, risque d'augmenter et de toucher de nouveaux territoires.

Nous évoquions tout à l'heure le frelon asiatique. L'implantation du moustique tigre en France, dans plus de 70 départements, répond aux mêmes logiques d'infestation territoriale qui s'expliquent par des conditions climatiques favorables et l'intensification des échanges intercontinentaux. Cet insecte fait peser de sévères menaces pour la santé humaine, puisqu'il peut transmettre le virus Zika, la dengue ou le chikungunya. Mais si le moustique tigre est bien identifié par le grand public, il existe d'autres menaces à bas bruit imputables au changement climatique, avec l'intensification du risque épidémiologique.

L'histoire sanitaire de l'humanité est jalonnée d'épidémies qui ont fortement marqué les populations et entraîné des baisses drastiques de la démographie. Le 21ème siècle ne fait pas exception à ces tendances de long terme, avec notamment le syndrome respiratoire aigu sévère (SRAS), le virus H1N1, connu sous le nom de grippe porcine, les fièvres hémorragiques, mais également, je ne l'apprends à personne, le Covid qui a maintenu confinée plus de la moitié des habitants de la planète... Force est de constater que les progrès de la médecine ont toujours un temps de retard par rapport aux nouveaux virus émergents, dont les capacités de propagation peuvent être fulgurantes.

Pour évaluer la recrudescence des risques épidémiologiques et la manière dont nous pouvons préparer notre système de santé à ces nouvelles pressions, nous avons le plaisir d'accueillir Brigitte Autran, présidente du Comité de veille et d'anticipation des risques sanitaires (COVARS), professeure émérite de la Faculté de Médecine Sorbonne-Université ; Didier Ménard, professeur des universités, praticien hospitalier, chercheur à l'Institut de parasitologie et de pathologie tropicale de Strasbourg, spécialiste du paludisme ; Anna-Bella Failloux, professeure en entomologie médicale à l'Institut Pasteur, chef de l'unité « arbovirus et insectes vecteurs » et Thierry Lefrançois, directeur du département Systèmes Biologiques (BIOS) du Centre de coopération internationale en recherche agronomique pour le développement (CIRAD), membre du COVARS.

Nous avons la chance d'avoir devant nous ce matin d'éminents scientifiques dont les recherches en matière d'immunologie, d'épidémiologie et d'infectiologie, inspirées par l'approche « Une seule santé », permettront de répondre à toutes nos questions.

Afin d'amorcer les échanges avec la commission, j'aimerais que vous nous présentiez la nature des risques épidémiologiques auxquels nous faisons face aujourd'hui en France et leur probabilité de survenance, mais également que vous évoquiez notre capacité à les anticiper et les outils dont nous disposons pour les éliminer - je pense notamment à l'action du COVARS, de l'Institut Pasteur et de l'ensemble de notre écosystème de recherche. Pourriez-vous dresser un bilan de la lutte antivectorielle et nous indiquer les points de vigilance que vous surveillez particulièrement ? Les autorités sanitaires et les médecins sont-ils suffisamment sensibilisés à ces problématiques ? Que nous a appris le Covid des forces et faiblesses de la capacité de notre système de santé à répondre à ces menaces ? Quelles épidémies faut-il craindre et comment les anticiper dans une France à + 4 °C en 2100 ?

Je ne serai pas plus long, afin de laisser le temps aux échanges à travers les habituelles séries de questions et de réponses. Après l'intervention de Stéphane Demilly, j'invite titre liminaire chaque intervenant à nous présenter, en 5 minutes, le fruit de ses recherches ou de son expérience en lien avec les questions que je viens de poser.

M. Stéphane Demilly. - Je remercie notre président d'avoir organisé cette table ronde sur une thématique qui me préoccupe depuis longtemps. Je ne voudrais pas d'emblée rendre l'ambiance pesante, mais les questions dont nous sommes saisis se rapportent à un sujet grave et très sous-estimé. Ce sujet me tient particulièrement depuis un litige personnel avec un moustique africain, combat que j'ai failli perdre contre ce super poids plume de 5 milligrammes. Ce type d'expérience alimente votre modestie et votre discernement. Ce sujet grave est celui des conséquences sanitaires potentielles du réchauffement climatique.

Je ne sais pas si la pandémie de Covid-19 n'est que le début d'une série, comme le redira peut-être Anna-Bella Failloux, mais il est certain que ce sujet n'est pas suffisamment anticipé, même si une prise de conscience commence à émerger, comme en témoignent les travaux de la COP 28 de Dubaï en décembre dernier qui, pour la première fois, ont abordé les effets sanitaires du dérèglement climatique. S'il est naturellement difficile de prédire des épidémies d'une ampleur équivalente à celle du Covid, de très nombreux spécialistes craignent une multiplication des pandémies liée au réchauffement climatique. C'est d'ailleurs ce qu'a rappelé Valérie Masson-Delmotte -- climatologue au Commissariat à l'énergie atomique et aux énergies alternatives (CEA) et experte du Groupe d'experts intergouvernemental sur le climat (GIEC) - lors de la cérémonie de remise de diplômes des doctorants de l'Institut Pasteur.

Il suffit d'ailleurs d'observer la situation au Pakistan, où les infections liées au paludisme ont été multipliées par quatre après les inondations dévastatrices de l'année dernière, atteignant 1,6 million de cas selon l'OMS, ou encore de suivre l'actualité du Malawi où le cyclone Freddy, ayant provoqué en quelques jours l'équivalent de six mois de précipitations dans ce petit pays de l'Afrique de l'Est, a généré une augmentation spectaculaire des cas de paludisme. Dans ces deux pays, les eaux stagnantes ont naturellement créé un terrain de reproduction idéal pour les moustiques vecteurs de la maladie.

Ce matin, nous pourrions parler des travaux menés par des scientifiques danois, belges et britanniques qui ont calculé, à partir d'une analyse de l'eau de fonte des glaces, que le changement climatique entraînera la libération de 100 000 tonnes de microbes dans l'environnement. Nous pourrions également évoquer l'étude publiée dans la revue Nature de janvier 2022 indiquant que la fonte du permafrost pourrait libérer dans l'atmosphère de fortes doses de bactéries, virus et microbes. Ou de cet autre article de la même revue scientifique américaine affirmant qu'au cours des 50 prochaines années, des milliers de virus passeront d'une espèce animale à l'autre et feront émerger de nouvelles maladies transmissibles à l'homme, que le biologiste Colin J. Carlson - enseignant-chercheur à l'université de Georgetown - a conclu avec une formule glaçante « les résultats de cette étude sont effroyables et urgents ».

Cette alerte a été confirmée par son collègue écoépidémiologue Gregory Albery qui affirme que « nous apportons la preuve que dans les décennies à venir, le monde sera non seulement plus chaud, mais aussi plus malade », s'appuyant sur la conviction qu'au moins 15 000 transmissions virales entre espèces pourraient se produire d'ici à 2070.

Ce matin, nous évoquerons seulement les pandémies qui nous sont familières. Des pandémies que nous observons surtout chez les autres, mais que nous avons commencé ou allons commencer à rencontrer chez nous, à savoir le paludisme, la dengue et la borréliose de Lyme, transmise par les tiques.

La hausse des températures élargit l'habitat des animaux vecteurs de maladies, de même que leur période d'activités, et des régions jusque-là épargnées deviendront effectivement vulnérables à ces trois pandémies. Pour le dire autrement, la menace des maladies tropicales s'insinue dans de nouveaux territoires aux climats dits tempérés et mettra sous pression les systèmes de santé de nombreux pays. L'épidémiologiste de l'Institut Pasteur Arnaud Fontanet, qui devait être à nos côtés aujourd'hui - remplacé par le professeur Lefrançois - rappelait pour sa part, il y a quelques semaines, que « la durée saisonnière des maladies transmises par les moustiques augmentant, des maladies comme la dengue ou le chikungunya vont devenir des préoccupations majeures dans les pays du Nord. »

C'est la raison pour laquelle le projet de création d'un Centre des maladies à transmission vectorielle à l'Institut Pasteur - dont l'inauguration est prévue en 2026 - où se regrouperont de très nombreux experts mérite d'être salué.

Pour ceux qui ne les connaîtraient pas encore, je souhaiterais introduire nos trois nouveaux colocataires que sont les moustiques palus, les moustiques tigres et les tiques. À tout seigneur, tout honneur, commençons par le pire assassin de la planète, un tueur en série qui a tué 608 000 personnes l'année dernière, dont 80 % d'enfants de moins de 5 ans, le moustique porteur du paludisme. Un enfant meurt du paludisme chaque minute. En 2022, l'OMS a estimé à 249 millions le nombre de cas de paludisme ; ce qui est à la fois beaucoup et peu au regard des 3,2 milliards de personnes potentiellement exposées, à l'échelle mondiale, au risque de contracter la malaria. Et notamment la malaria cérébrale à laquelle j'ai miraculeusement survécu et qui est responsable de 90 % des décès.

De premiers vaccins antipaludiques suscitent beaucoup d'espoir : le RTS-S (ou Mosquirix) développé par le géant pharmaceutique britannique GSK, d'abord testé au Kenya, au Malawi et au Ghana, et actuellement administré aux enfants au Cameroun et le R21/Matrix-M développé par des scientifiques de l'université d'Oxford, avec une formule légèrement différente, contenant davantage de substances actives. Ces deux vaccins ont suscité, vous l'imaginez bien, beaucoup d'espoir, car ils bloquent le passage du parasite dans le foie, où il se reproduit avant de passer dans le sang. Toutefois, leurs taux de réussite pour éviter les formes les plus graves n'oscillent qu'entre 66 et 75 %.

Deuxième invité à la table de nos débats : la dengue, aujourd'hui considérée comme une maladie ré-émergente. Entre 2000 et 2019, le nombre annuel de cas signalés à l'échelle mondiale est passé de 500 000 à 5,2 millions. Initialement présents dans les zones tropicales et subtropicales, ils touchent dorénavant de nouvelles zones géographiques et notamment l'Europe depuis 2010. Selon l'OMS, ce sont entre 100 et 400 millions d'infections qui surviennent chaque année, sachant que dorénavant la moitié de la population mondiale est exposée au risque de dengue. Au Brésil, les autorités sanitaires peinent à faire face à l'explosion des cas, dont une des explications est la combinaison climatique d'une grande sécheresse suivie de fortes pluies, équation idéale pour la prolifération des moustiques. En France, 800 nouveaux cas apparaissent chaque semaine en début d'année en Guyane. Et pour la métropole, on estime que ce moustique vecteur est dorénavant implanté dans 71 départements français.

Enfin, troisième invité d'honneur de notre table ronde, la tique, qui fait partie de la famille des acariens. D'une taille comprise entre 3 millimètres et 1 centimètre, on en compte près de 900 variétés, dont une quarantaine sont présentes en France. Au moment de la piqûre, la tique peut transmettre une bactérie responsable d'une maladie dont on parle de plus en plus : la Borréliose de Lyme. En l'absence de traitement, des signes neurologiques peuvent apparaître quelques semaines - voire plusieurs années ! - après la piqûre : fatigues intenses, paralysie du visage, atteinte des nerfs, du cerveau ou des articulations... La piqûre d'une tique est indolore et peut passer inaperçue. C'est la raison pour laquelle on invite souvent les randonneurs à s'inspecter le corps après une expédition et à retirer d'éventuelles tiques avec beaucoup de précaution et de précision.

Pour nous parler de ces trois invités, nous accueillons quatre autres invités de grande qualité que je souhaite saluer et remercier chaleureusement pour leur présence. Merci à vous mesdames et messieurs d'avoir répondu à cette invitation. Nous sommes impatients de vous écouter.

Mme Brigitte Autran, présidente du Comité de veille et d'anticipation des risques sanitaires (COVARS). - Le COVARS a été créé par le Gouvernement à la fin de l'urgence sanitaire en remplacement du Conseil scientifique Covid19 et des autres comités scientifiques ad hoc. Ce comité conseille les ministres chargés de la santé et de la recherche sur les risques infectieux et environnementaux, notamment alimentaires, qui sont susceptibles d'advenir. Nous sommes chargés de faire une veille scientifique, d'anticiper les crises qui peuvent survenir et surtout émettre des recommandations sur les moyens de guérir ces problèmes infectieux.

Les ministres de la santé et de la recherche ont saisi le COVARS en décembre 2023 sur la question des risques sanitaires majeurs susceptibles de survenir dans notre pays, en métropole et dans les territoires d'outre-mer dans les deux à cinq prochaines années. Nous rendons public cet avis aujourd'hui et nous l'avons présenté hier aux ministres de la santé et de la recherche. Nous avons dressé un état des lieux, pour permettre à la France de faire face à une situation pandémique, qui malheureusement ne se limite pas aux trois invités que le sénateur Demilly a cités, il y en a beaucoup d'autres. Nous avons analysé plus de cinquante documents issus des institutions françaises et internationales traitant du sujet.

Grâce à cette expertise collective des membres du COVARS - qui regroupe à la fois des vétérinaires, des infectiologues, des médecins de premier recours, des entomologistes, des spécialistes de sciences humaines et sociales, des spécialistes de la démocratie sanitaire et des épidémiologistes - nous avons listé un certain nombre de maladies susceptibles de créer des pandémies.

Parmi les risques infectieux susceptibles d'affecter notre pays de manière majeure, il y a bien sûr les arboviroses, qui peuvent survenir aussi bien en métropole que dans les territoires d'outre-mer. Les deux risques d'arboviroses que nous avons dressés sont, d'une part, pour la métropole, le risque de dengue, qui est particulièrement fort et pour lequel la métropole est insuffisamment préparée. Nous avons déjà transmis l'année dernière un avis au Gouvernement sur la nécessité de mieux préparer les médecins et la population française à la survenue d'une épidémie de dengue d'ampleur, cette année d'autant plus que la France accueille les Jeux olympiques et paralympiques. D'autre part, un autre risque infectieux transmis par le moustique menace la métropole, c'est le virus du Nil occidental, beaucoup moins connu en France, qui sévit depuis des années en Italie, dans les régions humides. C'est une zoonose, encore plus grave que la dengue, qui sévit pour l'instant dans le sud de la France et en Gironde, mais qui est susceptible de s'étendre.

Au-delà de ces zoonoses, nous avons également alerté à propos des infections pandémiques à virus respiratoire. Bien sûr, un éventuel nouveau coronavirus, bien qu'il soit impossible à prédire, pourrait surgir. Il est vraisemblable qu'il puisse surgir, peut-être pas dans les prochaines années. Par ailleurs, nous avons alerté sur une épidémie potentielle de grippe zoonotique, transmise par les oiseaux, mais également, de façon peut-être plus dramatique encore, par les porcs.

Nous avons beaucoup insisté auprès du Gouvernement sur le lien très étroit entre le changement climatique et les infections. Les vagues de chaleur permettent aux moustiques de s'installer, tandis que les inondations plus fréquentes font le lit de nombreuses pathologies infectieuses, et pas seulement de prolifération de moustiques. Les inondations sont probablement l'une des causes des invasions côtières par le norovirus et des infestations des huîtres. De plus, la perturbation des réseaux sanitaires favorise l'émergence de bactéries résistantes à des antibiotiques. Il y a donc un lien très étroit entre l'environnement et de nombreuses maladies infectieuses. Il y a également un lien marqué entre la lutte contre le réchauffement climatique qui conduit à « verdir » les villes et le risque de prolifération des moustiques. Nous avons averti le Gouvernement l'année dernière sur la nécessité de mener une réflexion sur l'urbanisme pour éviter les réservoirs d'eau stagnante. Enfin, nous insistons sur le fait que la pollution atmosphérique, qui a reflué dans notre pays avec la diminution des particules fines, persiste dans les grandes métropoles françaises, au-dessus des seuils réglementaires. Cette pollution exacerbe les maladies infectieuses, en particulier pour les maladies respiratoires et aggrave la manifestation de ces maladies chez les patients souffrant de troubles cardiorespiratoires.

Évidemment, il y a une autre maladie, qu'on appelle la « maladie X ». On ne sait ni quand elle peut survenir ni sous quelle forme, mais ce qu'on sait c'est que les dérèglements climatiques et les bouleversements environnementaux font le lit des épidémies depuis l'aube de l'humanité. Nous assistons aujourd'hui à une accélération de ce mouvement.

Pour finir, nous recommandons aux autorités de se préparer à ces événements infectieux en lien avec l'environnement. Cette préparation passe par la prévention et le développement de la recherche : il reste énormément de lacunes dans les connaissances que nous avons de ces phénomènes. Je considère que les dépenses de recherche sont un investissement pour mieux se défendre contre ces maladies, tout comme un investissement militaire permet de mieux se défendre. Nous plaidons pour que ces recherches soient intersectorielles, en associant la santé et l'environnement, pour combler les manques de connaissance et mieux affronter les risques sanitaires.

M. Thierry Lefrançois, directeur du département Systèmes Biologiques (BIOS) du Centre de coopération internationale en recherche agronomique pour le développement (CIRAD), membre du COVARS. - Je souhaite pour ma part insister sur la connexion entre santé humaine, santé animale et environnement. Parmi les risques infectieux que nous avons étudiés au sein du COVARS, nous pouvons citer l'influenza zoonotique, un nouveau coronavirus pandémique, le virus du Nil occidental, la fièvre de Crimée-Congo, la fièvre de la vallée du Rift, la fièvre jaune et la rage qui sont toutes des zoonoses, c'est-à-dire des maladies transmissibles à l'animal et à l'homme et des maladies vectorielles comme la dengue, le virus du chikungunya et le paludisme, qui ne sont pas des zoonoses, mais qui sont vectorisées par les moustiques et donc sous dépendance forte de l'environnement et des changements anthropiques du climat et de la biodiversité.

Il y a une interdépendance évidente entre ces risques sanitaires majeurs, bien décrite par la recherche : le changement climatique introduit par exemple des espèces dans de nouvelles niches écologiques. L'émergence de nouveaux réservoirs, qui vont se trouver plus en contact avec l'animal domestique ou l'animal sauvage, augmente également les risques, tout comme l'évolution de la durée de présence des moustiques durant les différentes saisons. Ces risques sanitaires majeurs sont également liés aux changements globaux et à la mondialisation, qui permettent ces changements de vecteurs et de réservoir et ont un impact direct sur leur physiologie et sur les pathogènes eux-mêmes.

Une de nos recommandations principales est relative à la nécessité d'avoir une vision intégrée, que ce soit au niveau de la recherche ou de la surveillance, pour essayer de comprendre ces interrelations, identifier quels risques sont majeurs et anticiper les déterminants de ces émergences, qui sont essentiellement environnementaux au sens large.

Par exemple, je citerai les questionnements actuels aux États-Unis relatifs au virus aviaire que l'on observe pour la première fois de manière généralisée dans des élevages de ruminants domestiques, avec un humain et un chat contaminés en infection directe. Le même virus aviaire H5N1 circule depuis deux ans dans les mêmes espèces avec une circulation intense dans les élevages domestiques, avec des impacts économiques et sanitaires majeurs. De plus en plus, ce virus circule chez de nombreuses espèces de mammifères et nous craignons une multiplication et une transmission intermammifères qui permettraient au virus de s'adapter et d'acquérir un récepteur qui le rendrait transmissible chez l'homme. Cette transmission est particulièrement inquiétante chez certaines espèces comme le porc, qui peut à la fois héberger des virus aviaires et porcins. Nous devons donc adopter une approche intégrée, en essayant par exemple de comprendre les voies de migration des oies sauvages et l'impact du changement climatique sur ces déplacements, de surveiller les zones de réservoir et de contact et d'assurer un suivi étroit du comportement animal et du comportement humain, en faisant travailler de concert le ministère de l'agriculture et le ministère de la santé sur les contrôles en cas de suspicion de grippe aviaire.

Je prends un autre exemple, la fièvre de Crimée-Congo, une fièvre hémorragique vectorisée par la tique Hyalomma marginatum, observée en Corse depuis longtemps et dans le pourtour méditerranéen depuis quelques années. Pour la première fois en octobre 2023, on a identifié ce virus dans une tique trouvée en France. Il y a eu 13 cas humains de fièvre de Crimée-Congo en Espagne durant les dix dernières années avec deux décès, il s'agit donc une fièvre avec une forte mortalité. Ce n'est pas une fièvre d'une ampleur pandémique, mais cette infection doit être surveillée de manière combinée : c'est un virus transmis par une tique avec un réservoir bovin, mais pour lequel les animaux ne sont pas malades. Une coopération entre les ministères de la santé, de l'environnement et de l'agriculture est donc nécessaire en matière de recherche pour surveiller la présence de ce virus.

Au-delà des effets du changement climatique sur les vulnérabilités, il y a aussi un effet indirect du changement climatique sur les crises sanitaires via la biodiversité. Les événements extrêmes et les changements de température et d'humidité vont avoir des conséquences sur la biodiversité animale et végétale : des espèces invasives vont s'introduire dans des écosystèmes, ce qui diminuera la biodiversité, y compris végétale, modifiant ainsi le contact entre animaux sauvages, animaux domestiques et humains, ce qui pourrait générer des émergences. Concernant la journée santé de la COP28 que vous évoquiez, nous saluons cette bonne initiative, mais nous recommandons aussi à l'échelle internationale de travailler à l'interconnexion entre les COP : les questions de santé, de biodiversité et de climat sont étroitement liées, il faut adopter une approche « Une seule santé » qui intègre ces enjeux.

Mme Anna-Bella Failloux, professeure en entomologie médicale à l'Institut Pasteur, chef de l'unité « arbovirus et insectes vecteurs ». - Environ 500 virus sont transmis par des arthropodes, dont la moitié par des moustiques. Parmi ces virus, une centaine sont pathogènes pour l'homme. Nous avons dans l'hexagone des cas autochtones récurrents de dengue, de Zika et de chikungunya, ces virus étant initialement considérés comme réservés aux pays tropicaux. Comme le disaient mes collègues, environ 700 000 décès chaque année sont liés aux moustiques. La femelle moustique, en piquant, va absorber du sang contaminé et transmet ainsi le virus à un individu sain : c'est la raison pour laquelle nous parlons de transmetteur vectoriel. Il y a environ 3 700 espèces de moustiques dans le monde, dont 56 sont présentes en France.

L'une de ces espèces, le moustique tigre est une espèce invasive. De par sa biologie, il est capable d'envahir l'écosystème urbain et humain, dans lequel il y avait jusqu'alors peu de moustiques. Un oeuf de moustique tigre peut supporter à la fois la sécheresse et les basses températures de l'hiver, ce qui a facilité l'adaptation de cette espèce sous nos latitudes. L'espèce est arrivée en France en 2004, via l'Italie. La première introduction en Europe du moustique tigre date de 1967, il n'en est cependant pas sorti, en raison du communisme qui a maintenu fermées les frontières ! En 1990, l'espèce est arrivée de nouveau, des États-Unis cette fois-ci, dans des pneus usagés. Apparue dans le port de Gênes, elle a proliféré en Italie. Elle a traversé la frontière en 2004 et prolifère maintenant partout en France. Ce moustique va rester, il colonisera tous les espaces qu'il pourra, et notamment les espaces urbains. Il aime pondre dans des petits contenants d'eau relativement propres, à la différence du moustique Culex, présent dans le métro parisien et qui peut être vecteur du virus du Nil occidental. Le moustique tigre est reconnaissable à ses pattes rayées noires et blanches, il a la particularité de pouvoir prendre du sang chez l'homme, alors que seuls 15 % des espèces de moustiques piquent l'homme. Ce moustique tigre est à l'origine chaque année des cas autochtones de dengue dans le sud de la France. Il n'y a pas de cycle établi de cas autochtones, ils sont très majoritairement liés à des cas importés. La surveillance globale au niveau international de l'épidémie est donc extrêmement importante, elle conditionne l'action en France, la lutte antivectorielle doit être adaptée aux spécificités des différents types de moustiques.

M. Didier Ménard, professeur des universités, praticien hospitalier, chercheur à l'Institut de parasitologie et de pathologie tropicale de Strasbourg. - Mon propos traitera du paludisme, maladie à laquelle j'ai consacré bon nombre de mes recherches. Cette table ronde est importante, car il s'agit d'un sujet d'actualité : les publications relatives au lien entre paludisme et changement climatiques répertoriées sur le site PubMed ont été multipliées par 10 en 20 ans : il y avait 7 publications en 2000, on en recense quasiment 80 en 2023. Le dernier rapport World Malaria Report de l'OMS consacre pour la première fois un chapitre entier au changement climatique. L'OMS déclare dans ce chapitre que le changement climatique est l'une des menaces importantes pour la santé à laquelle doit faire l'humanité. Il est certain que les facteurs environnementaux et climatiques auront un impact sur la transmission du paludisme. La collaboration et les échanges entre les experts du paludisme et les experts du changement climatique restent insuffisants. Le changement climatique est une menace pour l'atteinte de l'objectif d'élimination du paludisme.

Il existe cependant des divergences scientifiques, certains chercheurs estiment que le changement climatique n'aura aucune incidence sur notre lutte contre le paludisme, d'autres considèrent que cela aura un impact majeur. La difficulté à laquelle on est confronté quand on étudie le paludisme est qu'il ne s'agit pas d'une maladie unique, mais des maladies, qui dépendent des contextes épidémiologiques qui créent une situation différente selon les continents, les pays voire même les régions. Par exemple, deux sites d'études de l'Institut Pasteur au Sénégal, situés à cinq kilomètres l'un de l'autre dans deux villages différents, observent des niveaux de transmission totalement différents.

95 % des cas de paludisme concernent l'Afrique. Quatre pays d'Afrique représentent la moitié des cas : le Nigeria, la République démocratique du Congo, l'Ouganda et le Mozambique. La région européenne, au sens de l'OMS, est exempte de paludisme depuis 1975. Quelques cas autochtones ont été observés, mais il s'agit de cas autochtones d'importation qui ne durent pas et s'éteignent rapidement.

La question du financement de la lutte contre le paludisme est centrale. Quatre milliards de dollars sont alloués chaque année à la lutte contre le paludisme, il faudrait - d'après les experts - doubler ce budget pour être efficace.

Au-delà du changement climatique, j'aimerais évoquer d'autres menaces qui nous préoccupent. La première menace vient du parasite : des souches de parasites ont muté, elles ont éliminé des gènes détectés par les tests de diagnostic rapide, ce qui cause des faux négatifs. Ces parasites sont surtout présents dans la Corne de l'Afrique et sont en train de s'étendre. La deuxième menace est la résistance aux antipaludiques - c'est ma spécialité. Nous avons trouvé des parasites résistants aux traitements en Afrique, ils étaient déjà apparus en Asie depuis une quinzaine d'années. Pour l'instant, les traitements restent efficaces, mais cette efficacité est menacée. La troisième menace est la résistance des vecteurs aux insecticides. Le nombre de vecteurs résistants est en augmentation, particulièrement en Afrique. La quatrième menace qui paraît importante, c'est une espèce asiatique venant d'Inde qui s'appelle Anopheles stephensi et qui est en train d'envahir l'Afrique, avec des spécimens découverts au Ghana. Le problème de cette espèce est qu'elle résiste aux pesticides et surtout qu'elle est capable de se reproduire dans un environnement urbain. C'est une espèce capable de créer une épidémie en milieu urbain, c'est ce qui est arrivé récemment en Éthiopie, alors que le vecteur classique du paludisme est plutôt rural.

Pour résumer, sur la relation entre climat et paludisme, les variables à prendre en compte sont les précipitations et l'humidité. Ces facteurs peuvent modifier la transmission du paludisme, bien que cette relation soit non linéaire et complexe. L'intensification des pluies ne conduit pas nécessairement à plus de transmissions. D'autre part, nous devons nous attendre, avec le changement climatique, à des phénomènes extrêmes qui peuvent entraîner une explosion des cas de paludisme, comme ce fût le cas au Pakistan.

Conceptuellement, le changement climatique peut influencer le paludisme de façon directe ou indirecte. De manière directe, la zone d'extension du paludisme peut progresser, et conduire à une réintroduction du paludisme dans les zones où il avait disparu ou une augmentation du nombre de transmissions. Le nombre de cas de paludisme pourrait également diminuer, si les températures moyennes dépassent les 28 °C, le paludisme pouvant se transmettre plus difficilement. Le nombre de cas de paludisme pourrait également connaître une stabilisation, si les températures augmentent de 1 à 2 °C seulement. De manière indirecte, le changement climatique pourrait avoir des incidences sur les cas de paludisme du fait de la perte de moyens de subsistance, de l'insécurité économique et alimentaire ainsi que des déplacements de population d'une zone où il n'y a pas de paludisme vers une zone infectée, ces populations étant particulièrement vulnérables à la maladie. On peut imaginer également une interruption de l'accès au système de santé, une augmentation de son coût ou encore une dégradation accélérée des produits médicaux avec l'augmentation de la température.

M. Guillaume Chevrollier. - Merci pour votre présentation. Les chiffres de la Banque mondiale évoquent un nombre important de déplacés climatiques : 230 millions en 2030 et 1 milliard en 2025. Nous observons déjà des mouvements de population qui vont aussi entraîner des mouvements de maladies, avec différents vecteurs, vous avez évoqué les insectes. Vous avez abordé le concept de « Une seule santé », qui permet d'aborder conjointement la santé humaine, végétale et animale. C'est un concept, mais comment le rendre opérationnel et juguler les risques sanitaires ? Quelle place pour les collectivités territoriales dans la mise en oeuvre opérationnelle de cette approche « Une seule santé » ?

M. Michaël Weber. - Nous savons bien qu'avec le changement climatique, la circulation des virus et des insectes est une question qui se pose à l'échelle planétaire. Je souhaiterais savoir si, à votre connaissance, certains de ces virus ou insectes s'adaptent mieux dans un milieu nouveau par rapport à leur milieu d'origine. Je prends l'exemple concret d'un insecte qui passerait de l'Amérique du Sud à l'Europe du Nord, qui s'adapterait mieux et pourrait donc nuire aux espèces locales. Ma deuxième question porte sur les mesures d'adaptation et de lutte contre les vecteurs de ces pathologies. Ces mesures pourraient avoir pour conséquence une perte de biodiversité. Par ailleurs, quel serait le coût de ces actions d'après vous, tout en respectant un équilibre en termes de biodiversité ?

M. Louis-Jean de Nicolaÿ. - Concernant le paludisme, je souhaiterais savoir s'il existe une alternative aux traitements chimiques. On parle beaucoup de l'Artemisia, est-ce une solution utile ?

Mme Nicole Bonnefoy. - En somme, l'espèce la plus dangereuse, la plus désastreuse, c'est l'Homme lui-même. Tout ce dont vous parlez est lié au réchauffement climatique, or ce sont les activités qui en sont responsables. Nous ne nous remettons pas en question pour autant, puisque depuis la fin de la crise Covid, nous répétons à peu près les mêmes erreurs. Que font les politiques, si ce n'est réduire les moyens ? Les quelques décisions que nous prenons sont largement insuffisantes. J'ai notamment porté un texte destiné à préserver nos sols, qui a été rejeté compte tenu de la crise agricole. Nous devons être plus courageux que nous ne le sommes aujourd'hui, et j'aimerais connaître les solutions que vous préconisez.

M. Hervé Gillé. - Je vais compléter l'intervention de Nicole Bonnefoy. On voit que le COVARS n'est pas encore suffisamment connu et on a du mal à voir de quelle manière des propositions peuvent s'inscrire dans des politiques territoriales, même modestes. Je crois beaucoup à ces petites briques qui permettent progressivement de constituer une action de prévention globale. Il y aurait un intérêt à ce que de premières propositions très concrètes soient mises en oeuvre, afin de déployer un système de prévention qui puisse être mis en oeuvre à l'échelle des collectivités territoriales. La dengue et le chikungunya sont déjà là, il faut agir. Par ailleurs, je souhaiterais obtenir un éclairage de votre part au sujet de l'adaptation de notre système sanitaire à ces nouveaux enjeux.

Mme Marta de Cidrac. - Je suis également intéressée par votre vision quant à la capacité des territoires à faire face aux enjeux sanitaires dont nous discutons. Mais j'ai également une question qui porte sur l'échelle plus globale. Quelle est la position de la France, notamment à travers l'action de l'Agence française de développement (AFD), dans la lutte contre le développement de nouveaux organismes pathogènes dans le monde ? Le Covid nous a rappelé que le risque épidémiologique s'appréhendait à l'échelle mondiale.

M. Ronan Dantec. - À propos de l'approche One Health, il faut dire que nous sommes culturellement très en retard en France. Pour vous donner une idée, le grand muséum d'Histoire naturelle à Washington propose plusieurs salles consacrées uniquement à cette approche. Nous faisons face à une difficulté majeure, puisque nous ne disposons pas encore de toutes les solutions pour répondre aux défis auxquels nous sommes confrontés. Nous allons devoir vivre avec le moustique tigre par exemple, on ne pourra pas l'éradiquer. Nous sommes également face à des injonctions contradictoires : il est certain que végétaliser les villes peut attirer des moustiques, mais d'un autre côté, si nous ne les végétalisons pas, nous allons mourir de chaud, ce qui n'est pas mieux en termes de santé publique. Donc notre premier défi est sanitaire, puisque s'agissant de l'environnement, nous n'avons pas beaucoup de marges de manoeuvre, si ce n'est de le protéger. Nous ne pourrons pas répondre au problème de la transmission des épidémies en répandant des pesticides partout. Il faut donc agir sur le plan sanitaire avant tout.

M. Simon Uzenat. - Mon département, le Morbihan, est le deuxième département breton colonisé par le moustique tigre, après l'Ille-et-Vilaine. On voit bien les rapports de l'Agence régionale de santé (ARS) sur ce sujet. Est-ce que les Agences régionales de santé vous sollicitent et de quelle manière le font-elles ? Par ailleurs, on voit que beaucoup de sites générateurs de moustiques sont des lieux de stockage de pneus et on lit dans certains rapports que l'élimination de ces espèces est probable, cela nous paraît être un voeu pieux, qu'en pensez-vous ? Enfin, sur les outre-mer, pouvez-vous nous faire un point de situation ? Ces territoires sont aux avant-postes de ces problématiques et leurs attentes sont très fortes.

M. Georges Naturel. - Pour faire écho à ce qui vient d'être dit, je tiens à rappeler que nous vivons avec le moustique depuis toujours en Nouvelle-Calédonie. Quant à la tique, importée des États-Unis, nous sommes parvenus à l'éliminer pour protéger nos élevages bovins. S'agissant du paludisme, nous l'avons à proximité de chez nous. Concernant particulièrement le moustique, la dengue et le chikungunya, nos territoires font de la recherche depuis toujours, j'aimerais le rappeler. Les maires, de par leurs compétences en matière d'hygiène et de sécurité, ont un rôle à jouer en matière de prévention, même si cela n'est pas toujours aisé. Nous avons expérimenté, en partenariat avec l'université de Melbourne, un procédé dit « Wolbachia », qui consiste à importer des moustiques porteurs de la bactérie Wolbachia, qui les empêche de transmettre les arbovirus tels que la dengue, qui remplacent les précédentes espèces de moustiques. Ce procédé biologique est très efficace, le traitement a déjà été déployé à Nouméa puis dans toute l'agglomération, qui accueille 180 000 des 270 000 habitants de Nouvelle-Calédonie, et nous n'avons pratiquement plus de cas de dengue aujourd'hui. Je souhaite savoir si cette démarche, qui a prouvé son efficacité, pourrait être utile pour lutter contre l'arrivée de la dengue dans l'Hexagone.

M. Jean-François Longeot. - J'aimerais appuyer la question de Louis-Jean de Nicolaÿ sur l'Artemisia. Pourquoi cette plante n'est-elle pas reconnue en France, que pourrions-nous faire alors que les principes actifs de cette plante sont très utiles ? Nous voudrions être guidés.

M. Didier Ménard. - L'Artemisia est déjà à la base du traitement actuel contre le paludisme. Le traitement recommandé par l'Organisation mondiale de la Santé (OMS) et utilisé partout dans le monde est une combinaison à base d'un dérivé d'artémisinine, auquel on ajoute un médicament partenaire. Ce dérivé est extrait de la plante Artemisia.

M. Stéphane Demilly. - Mais il existe un débat pour savoir si les tisanes à base d'Artemisia peuvent être consommées pour lutter préventivement ou de manière curative contre le paludisme.

M. Didier Ménard. - Cette question me place dans une position difficile. Je ne recommande pas d'utiliser de la tisane pour lutter contre le paludisme. Je recommande d'utiliser une polythérapie à base d'artémisinine (ACT). Nous pourrions mener des études afin d'évaluer les effets de tisanes sur le paludisme, mais j'attends que ces études soient publiées dans des revues sérieuses.

Mme Brigitte Autran. - S'agissant des relations entre le COVARS et le politique, vous avez raison de souligner que le réchauffement climatique est le fait de l'Homme. Mais peut-on limiter le nombre d'humains sur la planète ou les activités humaines ? Je ne me prononcerai pas sur de telles questions. Nous devons promouvoir la prévention et limiter autant que possible les effets de l'activité humaine sur la planète et à ce titre les responsables politiques ont un rôle majeur à jouer. Le rôle du COVARS consiste justement à aider les responsables politiques à prendre des décisions sur des bases scientifiques solides et rationnelles. Ce que j'ai dit sur la pollution atmosphérique tout à l'heure est un bon exemple, parce qu'il y a un réel progrès, lié au fait que les scientifiques et les médecins ont persuadé, études à l'appui, les responsables politiques européens à mettre en oeuvre des réglementations sévères. La France est en train de passer, tendanciellement, sous le niveau de toxicité fixé. Nous ne souhaitons pas vous effrayer, nous produisons des données, qui permettent de décider quelle politique mener en adoptant des réglementations qui aillent dans le bon sens.

S'agissant des relations entre le Covars et les territoires, je rappelle que nous sommes placés sous l'autorité du ministre de la Santé. Dans la mesure où la création de notre instance a été décidée par la Première ministre, nous participons à des réunions interministérielles qui réunissent à Matignon le ministère de l'Intérieur, le ministère de la Santé, le ministère de la Recherche et le ministère de la Transition écologique, où nous présentons nos recommandations dans une logique One Health, de manière à ce que les différentes composantes de l'action publique soient convergentes. Nos recommandations sont prises au sérieux, nous faisons d'ailleurs le même travail avec l'Élysée. Nous sommes très heureux de pouvoir vous rencontrer, mais nous serions aussi très heureux de vous présenter régulièrement nos recommandations. Ce qui est rassurant, c'est que nous constatons une réelle prise de conscience, du côté politique, mais également du côté de la société, particulièrement chez les jeunes. Nous sommes portés par ce mouvement et les gouvernants sont de plus en plus attentifs à ces questions. Il est vrai, en revanche, que nous peinons encore à atteindre les territoires. Par exemple, c'est plutôt nous qui contactons les Agences régionales de Santé pour le moment. Lorsque nous établissons des avis, nous contactons les différentes agences, ainsi que les autres acteurs concernés, les chambres d'agriculture par exemple. Nous nous efforçons de diffuser nos avis au plus proche des territoires, mais il faudrait qu'un dialogue plus fourni et régulier se développe. Nous recommandons également à la Direction générale de la Santé d'encourager notamment les Agences régionales de Santé à développer un réseau de dialogue interrégional. Par exemple, dans la lutte contre la dengue, les territoires français ne sont pas suffisamment formés. Or, certaines Agences régionales de santé sont mieux formées que d'autres, à l'image de l'agence de PACA ou en Aquitaine, tandis que d'autres, qui vont être exposées à ces difficultés, en Bretagne notamment, ne sont pas préparées. Une interconnexion entre les Agences régionales de santé permettrait donc un partage de connaissances et d'expériences, de sorte que l'ensemble des territoires puisse bénéficier des retours d'expériences des autres.

M. Thierry Lefrançois. - L'approche One Health est à la mode en ce moment, mais cela fait plusieurs dizaines d'années que nous travaillons avec cette logique. Lorsque je travaillais au Burkina Faso sur la transmission entre les mouches tsé-tsé, les élevages porcins et les animaux sauvages en fonction du changement climatique, c'était déjà cette approche qui guidait mes travaux. La particularité, depuis la crise Covid, c'est le retour sur le devant de la scène de cette approche globale parmi d'autres approches et le développement d'une définition internationale, établie par la quadripartite, c'est-à-dire l'Organisation mondiale de la Santé (OMS), l'Organisation mondiale de la santé animale (OMSA), l'Organisation des Nations Unies pour l'alimentation et l'agriculture (FAO) et le Programme des Nations unies pour l'environnement (PNUE). La définition retenue est assez inclusive, elle postule l'interdépendance entre la santé humaine, la santé animale et l'environnement, et indique que le problème doit être traité de manière intersectorielle, interdisciplinaire, puisqu'il faut aller de la biologie moléculaire aux sciences humaines et sociales, en passant par l'épidémiologie par exemple. Enfin, elle préconise une approche multi-acteurs, puisqu'il s'agit d'impliquer les chercheurs, les décideurs politiques, les agriculteurs, les éleveurs, les gestionnaires de parcs naturels et finalement l'ensemble des citoyens. Il faut ensuite faire descendre cette action complexe au niveau des territoires. Donc il faut travailler sur une problématique spécifique, par exemple les tiques sur un territoire précis, puis réunir l'ensemble des acteurs capables d'apporter de la compétence pour traiter une question spécifique dans une approche intégrée, en reconnaissant aux autres des compétences complémentaires à ses propres connaissances. Des initiatives ont été lancées dans ce sens, par exemple pour le cas du virus du Nil occidental, nous réunissons des médecins, des vétérinaires, l'Agence régionale de Santé et la Direction départementale de protection des populations (DDP), qui travaillent ensemble en Nouvelle-Aquitaine pour mettre en place, en partenariat avec les parcs nationaux rattachés à l'Office français de la biodiversité (OFB), des systèmes de surveillance des moustiques et des chevaux, afin de détecter les premiers cas de propagation du virus du Nil occidental chez les animaux avant qu'il ne se transmette à l'Homme. Donc nous nous intéressons à l'environnement dans un objectif de protection anthropique. Nous nous demandons s'il ne serait pas possible, d'ailleurs, que les comités territoriaux de santé adoptent une approche One Health également, en s'intéressant à la santé animale, des plantes, de l'écosystème.

L'objectif est de travailler sur des socio-écosystèmes qui seraient en bonne santé, car nous ne pouvons pas nous séparer de la nature. Il faut donc concevoir des écosystèmes en bonne santé, en plaçant les problématiques de santé humaine sur le même niveau que la santé animale ou la santé des plantes. J'ai entendu que la France était en retard sur le One Health, je dirais que c'est en partie le cas. Certaines expériences sont en cours dans d'autres pays. Au niveau institutionnel, le président du Sénégal a par exemple un conseiller One Health. Dans de nombreux pays africains, des plateformes One Health ont été créées, qui ont un certain pouvoir au niveau de la primature. En France, le COVARS a été créé avec une logique One Health. Il existe d'autres initiatives : la France a notamment poussé, à travers le ministère des Affaires étrangères, pour la création du Comité d'experts One Health (OHHLEP). S'agissant de l'Agence française de développement, elle finance des programmes en lien avec l'approche One Health, notamment le projet « Santé Territoires », développé au Sénégal, au Bénin, au Cambodge et au Laos, qui visait justement à comprendre les socio-écosystèmes en bonne santé. Je peux aussi citer la création de l'initiative PREZODE, pour « Prévention des émergences zoonotiques », qui a été décidée au One Planet Summit par le Président de la République, il y a maintenant 3 ans, qui est financée à hauteur de 30 millions d'euros par l'Agence française de développement et 30 millions d'euros par le ministère de la Recherche. L'émergence des pandémies est une problématique mondiale, donc il est logique de travailler sur la prévention, plutôt que sur la seule prévention des émergences, dans les foyers privilégiés, notamment en Afrique. Il faut évidemment s'assurer que le système de santé fonctionne, mais il faut une forte dimension de prévention, en développant des outils de surveillance et de contrôle, pour avoir une approche complète.

Mme Anna-Bella Failloux. - Je vais répondre à la question sur la triade virus, moustique et humain et sur l'adaptation qui peut être envisagée par rapport au moustique, qui est très dépendant de l'environnement dans lequel il évolue. Si on prend le cas de la dengue, c'est un virus qui affectait les animaux, au sein d'un cycle sauvage, dans les forêts d'Afrique, qui faisait intervenir des singes et des moustiques zoophiles, c'est-à-dire qui ne piquent pas l'Homme. La question est de savoir à quel moment ce virus est sorti de la forêt pour infecter des animaux domestiques puis l'Homme. Nous cherchons à comprendre comment un virus s'adapte à de nouveaux moustiques et comment de nouveaux moustiques s'adaptent à de nouveaux espaces. On s'intéresse à l'impact des activités humaines sur la modification de l'environnement de ces sanctuaires de virus, à travers les changements de pratique agricole, de l'élevage ou la déforestation notamment. C'est à ce type d'endroits qu'ont lieu les émergences, parce qu'on simplifie le système vectoriel, avec un hôte et un moustique, qui s'adapte à l'environnement qu'on change, alors qu'auparavant, ce même milieu était bien plus dense, avec une large biodiversité. Les initiatives comme PREZODE sont donc très importantes, puisqu'ils permettent d'identifier les virus capables de sortir de la forêt, donc de prévenir, plutôt que de simplement réagir lorsque l'un de ces virus émerge. Il faut comprendre quels facteurs expliquent ces sorties de la forêt, même s'il s'agit de forêts situées en Asie ou en Afrique, puisque ce qui se passe là-bas nous concerne aussi ici. Dans cette idée, il est important de développer des outils de détection et d'analyse. Par exemple, le virus de la fièvre jaune a été isolé pour la première fois en 1927 et on observe aujourd'hui qu'il émerge à nouveau en Amérique du Sud et en Afrique. En 1927, nous avons été capables de détecter la fièvre jaune, ce qui illustre l'importance des outils de détection, qui vont nous permettre de détecter des pathogènes déjà présents, que nous ne voyons pas encore.

Pour répondre à la question qui portait sur la bactérie Wolbachia, il faut savoir qu'elle existe chez 60 % des insectes. On l'a isolée, puis inoculée dans un moustique présent en Nouvelle-Calédonie et en Polynésie française, afin d'interrompre la transmission de la dengue en remplaçant les espèces de moustiques déjà présentes par cette espèce porteuse de la bactérie Wolbachia. Cette opération a commencé en 2019, et on ne rencontre plus aucun cas de dengue à Nouméa. Cette stratégie est un succès, parce qu'elle a été employée dans des îles : Nouvelle-Calédonie, Polynésie française, La Réunion notamment. Une autre méthode consiste à déployer des mâles stériles. On peut évaluer l'efficacité de ces stratégies parce que la recolonisation par une autre espèce sur une île est quasiment impossible. Cette stratégie est bien plus difficile à déployer à l'échelle d'un continent, comme en Europe. En plus de cela, la réglementation est extrêmement restrictive, puisqu'elle interdit l'utilisation de moustiques avec Wolbachia sur le terrain. Étant donné que nous sommes sur un continent, il existe plus d'une centaine d'espèces de moustiques, qui peuvent venir recoloniser les espaces. Donc des stratégies sont à l'étude en Europe, mais il faudrait pouvoir mettre ces méthodes en expérimentation sur le terrain en Europe.

M. Didier Ménard. - En ce qui concerne le paludisme, la lutte antivectorielle est assez classique, elle consiste à répandre des insecticides, d'autant qu'il a été prouvé que cette méthode fonctionne, y compris dans des territoires touchés par le réchauffement climatique.

M. Stéphane Demilly. - J'aimerais remercier le président Longeot et nos invités pour l'organisation de cette table ronde et terminer par un dernier message. Nous sommes amenés les uns et les autres à voyager à l'étranger, en tant que parlementaires. C'est dans le cadre d'une mission parlementaire en Afrique que j'ai contracté la malaria cérébrale. Donc je vous invite à considérer que ces infections n'arrivent pas qu'aux autres. N'oubliez pas de prendre votre traitement le jour du départ et sept jours après votre retour, c'est très important, car je ne souhaite à personne l'expérience que j'ai vécue.

Ce point de l'ordre du jour a fait l'objet d'une captation vidéo qui est disponible en ligne sur le site du Sénat.

Proposition de loi, adoptée par l'Assemblée nationale, visant à réduire l'impact environnemental de l'industrie textile - Désignation d'un rapporteur

M. Jean-François Longeot, président. - Mes chers collègues, j'en viens désormais au dernier point de notre ordre du jour avant les questions diverses. Nous devons procéder à la désignation d'un rapporteur sur la proposition de loi n° 431 (2023-2024) visant à réduire l'impact environnemental de l'industrie textile.

Cette proposition de loi part d'un constat qui pourrait sembler positif pour le pouvoir d'achat de nos concitoyens : le prix moyen des vêtements baisse et les quantités achetées augmentent...

Toutefois, cette évolution traduit en réalité un phénomène de surconsommation de vêtements lié au développement de marques ou enseignes relevant de la « fast fashion », dite « mode express » ou « mode éphémère » en bon français.

Cette situation est problématique à plusieurs titres.

D'une part, la « fast-fashion » permet de casser les prix en encourageant la délocalisation de la production dans des pays à bas coût et au détriment des exigences sociales, sanitaires et environnementales élémentaires du tissu économique national et européen.

D'autre part, cette surproduction a des effets délétères sur l'environnement, que ce soit en amont de la chaîne de fabrication en raison de la surconsommation de ressources ou en aval, compte tenu de l'augmentation des besoins de recyclage.

Ce texte vise à réguler davantage ces pratiques commerciales, « afin de réduire leur impact environnemental et de promouvoir une production plus durable ».

Il s'inscrit dans la continuité de nombreux travaux conduits par notre commission ces dernières années, notamment dans le cadre de l'examen de la loi relative à la lutte contre le gaspillage et à l'économie circulaire (AGEC) en 2020, de la loi portant lutte contre le dérèglement climatique et renforcement de la résilience face à ses effets (« Climat et résilience ») en 2021, ou encore de la loi visant à renforcer la régulation environnementale du numérique en 2021.

Aussi, la proposition de loi repose sur trois idées-forces :

- la définition de la pratique commerciale de « mode express » et l'amélioration de l'information des consommateurs sur l'impact environnemental et la durabilité des articles de mode qu'ils achètent ;

- le renforcement de la filière de responsabilité élargie du producteur (REP) portant sur les textiles d'habillement ;

- et l'interdiction de la publicité pour les produits relevant de la « mode express ».

Cette proposition de loi, déposée le 30 janvier 2024 par la députée Anne-Cécile Violland et près de trente collègues, a été adoptée par l'Assemblée nationale le 14 mars dernier en première lecture. Le Gouvernement ayant engagé la procédure accélérée, ce texte devrait être examiné dans les prochaines semaines par notre assemblée.

Sans indication précise quant au calendrier qui pourrait être retenu et compte tenu des délais possiblement très contraints qui pourrait être imposés pour l'examen de ce texte, il m'a semblé opportun d'anticiper et de désigner, dès à présent, un rapporteur afin qu'il puisse mener ses travaux préparatoires dans de bonnes conditions.

En vue de cet examen, j'ai reçu la candidature de Mme Sylvie Valente Le Hir. Je vous propose donc de la désigner en qualité de rapporteure.

Il n'y a pas d'opposition ?

Il en est ainsi décidé.

La réunion est close à 11 h 20.