Mercredi 10 avril 2024

- Présidence de Mme Marie-Pierre Monier, présidente -

La réunion est ouverte à 16 h 30.

Audition de représentants d'associations d'élus locaux

Mme Marie-Pierre Monier, présidente. - Nous poursuivons notre mission d'information consacrée au périmètre d'intervention et aux compétences des Architectes des bâtiments de France (ABF) avec une table ronde fort attendue rassemblant les associations d'élus locaux. Je salue la présence en visioconférence :

- de M. David Nicolas, référent patrimoine de l'Association des maires de France (AMF), maire d'Avranches et président de l'agglomération du Mont-Saint-Michel Normandie ;

- de M. Vincent Joineau, maire de Rions, pour l'Association des maires ruraux de France (AMRF), en remplacement de Mme Nadine Kersaudy.

Notre mission résulte d'une initiative du groupe Les Indépendants - République et Territoires du Sénat, qui a confié le rôle de rapporteur à Pierre-Jean Verzelen.

Le Sénat, vous le savez, est la maison des élus locaux. L'ABF est une figure parfois controversée dans notre assemblée. Ayant pour mission principale la protection du patrimoine et de la qualité architecturale dans les zones protégées, il dispose de pouvoirs de contrôle propres dont l'exercice peut occasionner des frictions avec les élus et les porteurs de projets. En tant qu'élue locale d'un village de la Drôme, je travaille régulièrement avec l'ABF, dont je salue l'implication, qui permet notamment de préserver un potentiel touristique qui n'existe que par la beauté des sites.

Nous en sommes au début de nos travaux. Nos premières auditions nous permettent de mieux comprendre la complexité et la diversité des tâches qui incombent aux ABF dans les territoires. De nombreuses tâches leur sont demandées - peut-être trop. Il en résulte sans doute une forme de saturation administrative qui ne leur laisse pas toujours le temps d'effectuer leurs missions avec la concertation et la pédagogie nécessaires, notamment dans les territoires ruraux. Notre collègue Guylène Pantel expliquait qu'un seul ABF avait la charge de tout le département de la Lozère, qui n'abrite que 77 000 habitants, mais avec un territoire vaste et un patrimoine très varié.

Je vous propose d'ouvrir les échanges par un propos liminaire d'une dizaine de minutes chacun pour nous présenter votre retour d'expérience. Je donnerai ensuite la parole à notre rapporteur puis à mes collègues.

M. David Nicolas, référent patrimoine de l'Association des maires de France (AMF), maire d'Avranches et président de l'agglomération du Mont-Saint-Michel Normandie. - Je suis effectivement référent Patrimoine pour l'AMF et maire d'une ville dont le site patrimonial remarquable (SPR) est en cours de validation. Mon agglomération porte par ailleurs un projet de reconnaissance « Ville et Pays d'art et d'histoire ». Je suis également président de la commission régionale du patrimoine et de l'architecture (CRPA) de Normandie. La thématique patrimoniale me colle donc à la peau. Je connais bien les ABF. Je comprends parfaitement les difficultés que peuvent avoir certains collègues élus, dans leurs échanges avec eux ou dans les situations qu'ils rencontrent.

Je vais donner mon point de vue personnel, en tant que maire et témoin de la relation entre maires et ABF, puis en tant que référent Patrimoine de l'AMF - les deux convergent fortement.

Vous évoquiez la pédagogie. Cela me semble être un mot-clé à valoriser. Lorsqu'un contact régulier se fait entre l'ABF et les élus locaux, les choses se passent bien. L'ABF retrouve alors pleinement le coeur de sa mission : celle de conseil, et non de censeur. L'Architecte des bâtiments de France ne doit pas être le contradicteur systématique des bonnes volontés.

Les pétitionnaires qui souhaitent rénover leur maison se trouvent confrontés à une double injonction : d'une part, la réalisation d'économies énergétiques - via l'isolation ou l'installation de panneaux photovoltaïques, par exemple - et d'autre part, la réglementation ayant trait au patrimoine et dont l'ABF est le gardien. Nous arrivons parfois à des contradictions, voire des incohérences, dont la règle du rayon de 500 mètres est un exemple.

Les contradictions entre les problématiques environnementales, énergétiques et patrimoniales, génèrent beaucoup de difficultés. La pédagogie, le dialogue et la médiation me paraissent être une voie de passage intéressante pour faire de l'ABF un vrai conseiller, un vrai accompagnateur de projets susceptibles de ménager les patrimoines et les besoins de nos contemporains en matière de rénovation de l'habitat.

Je m'arrêterai là pour mon propos liminaire.

M. Vincent Joineau, maire de Rions, pour l'Association des maires ruraux de France (AMRF). - Je vous remercie de votre invitation. Je suis maire d'une petite commune rurale du sud de Bordeaux qui dispose depuis 2009 d'une ZPPAUP (zone de protection du patrimoine architectural urbain et paysager). Je suis par ailleurs médiateur pour traiter les recours effectués contre les Architectes des bâtiments de France, mais aussi chercheur à l'université Bordeaux Montaigne, où j'enseigne le patrimoine.

Je constate un déficit dans le dialogue avec les ABF. Il faut du temps pour bâtir la confiance, comprendre la doctrine des uns et des autres. Je ne reviendrais pas sur les propos que je partage de M. Nicolas.

Il existe des différences d'appréciation entre les Architectes des bâtiments de France. Certains se contredisent. Or, l'État doit parler d'une seule et même voix. Lorsqu'un nouvel ABF m'explique que son prédécesseur a accepté un projet qui n'aurait pas dû l'être au regard du règlement, cela me pose un souci, d'autant que l'avis de l'ABF peut donner lieu à jurisprudence.

La capacité des règlements à intégrer les nouveaux besoins de construction pose également une difficulté - je ne parle pas uniquement de photovoltaïque -, même si le décret du 2 décembre 2022 a permis des évolutions positives sur le sujet des alentours et du rayon de 500 mètres.

Je m'interroge sur la capacité de dialogue entre les élus et l'ABF. Souvent, l'ABF se cantonne au règlement en vigueur, au motif que celui-ci a été imposé par le maire. Pour ne prendre que l'exemple de ma commune, le règlement date de 2009. La société a fortement évolué depuis. Or, la modification de la ZPPAUP représenterait une dépense de 100 000 euros pour ma commune. Nous ne pouvons donc pas la faire évoluer tous les trois ans. Comment dépasser le règlement ? Comment l'actualiser plus régulièrement tout en préservant la qualité paysagère de notre territoire ? Je ne connais aucun maire qui souhaite altérer la qualité paysagère de sa commune, mais nous avons besoin d'outils pour répondre à des situations auxquelles nous ne pensions pas lorsque le règlement a été construit.

Il existe par ailleurs une différence entre l'urbain et le rural en matière d'ingénierie. Dans nos communes, nous ne disposons pas de service à même de suivre l'évolution d'un immeuble ou de conseiller les pétitionnaires. En tant que médiateur, je constate que les petites communes peinent à accompagner les pétitionnaires, car elles ne disposent pas de cette compétence technique qu'ont les services du patrimoine des communes de plus grande taille.

Mme Marie-Pierre Monier, présidente. - Je vous remercie. Je donne la parole à notre rapporteur.

M. Pierre-Jean Verzelen, rapporteur. - Merci. Je pense qu'un certain nombre d'élus partagent vos constats.

La CRPA a parmi ses missions la gestion des recours. Pourriez-vous nous en dire plus sur son fonctionnement ? Je perçois beaucoup de frustration de la part des pétitionnaires et des maires quant à ces procédures. Comment ces commissions travaillent-elles ?

Pourriez-vous également nous expliquer le rôle du médiateur, qui a été évoqué la semaine dernière lors de nos auditions, mais que beaucoup d'entre nous ne connaissent pas ?

Le périmètre des abords (PDA) est aussi venu dans le débat. Les communes peuvent conduire un travail en amont avec l'ABF pour restreindre ce périmètre des 500 mètres. Cette démarche semble complexe et peu connue. Quel est votre avis sur le sujet ?

Enfin, quelles sont les préconisations de l'AMF et de l'AMRF pour fluidifier les relations avec l'ABF ?

M. Vincent Joineau. - La mission de médiateur m'a été confiée il y a deux ans environ par la DRAC et, plus particulièrement, par la conseillère Architecture de la CRPA, sur proposition du préfet. Cette fonction m'a été proposée en vertu de ma formation et de mes fonctions de maire.

Mme Marie-Pierre Monier, présidente. - Vous avez donc été désigné par la DRAC sur proposition du préfet ?

M. Vincent Joineau. - Absolument.

La CRPA tente de trouver un accord avant que le décisionnaire engage un recours auprès du juge. Un délai d'un mois s'écoule entre la saisie du préfet et la production de sa décision. Ce délai est très court.

Le travail de médiation ne concerne pas uniquement le médiateur ; un premier traitement est réalisé en interne à la DRAC pour orienter le pétitionnaire et, parfois, le dissuader d'aller au bout de la procédure. Sans ce travail de dissuasion, le nombre de dossiers arrivant sur mon bureau serait bien plus important. En deux ans, j'ai enregistré environ deux médiations par mois. Il semblerait qu'un deuxième médiateur ait été nommé pour la région Nouvelle-Aquitaine.

Concrètement, les services de la DRAC m'envoient les documents de la procédure - chacun étant plus ou moins lisible et exploitable. J'étudie le dossier. Un rendez-vous est ensuite pris avec le pétitionnaire et l'ABF ayant instruit la demande. J'écoute les deux parties. Sur cette base, j'émets un avis que j'envoie à la DRAC, qui le transmet au préfet pour décision finale.

Environ deux tiers des médiations portent sur l'installation de panneaux photovoltaïques. Les autres dossiers ont trait aux enseignes, aux extensions et aux projets architecturaux dont l'ABF conteste la qualité.

Mme Anne-Marie Nédélec. - Puisque vous êtes désigné par le préfet, je suppose que vous intervenez à l'échelle du département.

M. Vincent Joineau. - Non, à l'échelle de la région.

Mme Marie-Pierre Monier, présidente. - Le médiateur est-il nommé par le préfet de région ou de département ?

M. Vincent Joineau. - Par le préfet de région.

Mme Anne-Marie Nédélec. - Tout se fait sur dossier ? Vous ne vous rendez pas sur place ?

M. Vincent Joineau. - Non. Lorsque je demande au pétitionnaire et à l'ABF de m'expliquer la procédure telle qu'ils l'ont vécu, je constate le plus souvent qu'aucun échange écrit ou oral n'a eu lieu en amont entre les deux parties. Généralement, je propose que le dossier soit entièrement repris et que des rencontres s'organisent sur le terrain pour trouver un accord. J'ai mis en place des permanences patrimoniales dans cette optique lors de ma prise de fonction en 2020 : l'ABF vient sur le territoire tous les mois pour échanger.

Mme Marie-Pierre Monier, présidente. - Si je comprends bien, il n'y a pas de rencontre entre le pétitionnaire et l'ABF avant que le dossier vous parvienne ?

M. Vincent Joineau. - En effet, dans la majorité des cas.

Mme Marie-Pierre Monier, présidente. - Lorsque vous évoquiez la nomination d'un deuxième médiateur, est-ce à l'échelle de la région ?

M. Vincent Joineau. - Cette nomination reste au conditionnel, car elle ne m'a pas été confirmée par la conseillère en architecture. Consciente du travail à produire, cette dernière m'avait fait savoir qu'une procédure était en cours pour que le préfet nomme un second médiateur.

Mme Marie-Pierre Monier, présidente. - Traitiez-vous deux dossiers par mois avant cette nomination ou depuis ?

M. Vincent Joineau. - Avant. Le rythme a changé il y a six ou sept mois. Je reçois désormais une demande tous les mois et demi environ.

Mme Guylène Pantel. - Qui peut être nommé médiateur ?

M. Vincent Joineau. - J'ai été choisi en raison de mes compétences en histoire et en archéologie. Je suis aussi connu des services de la DRAC.

Mme Marie-Pierre Monier, présidente. - La deuxième question du rapporteur portait sur les recours et le PDA.

M. David Nicolas. - J'aimerais tout d'abord apporter un éclairage sur le rôle du médiateur et de la CRPA, étant précisé que je suis président de la CRPA de Normandie.

Le médiateur est désigné parmi les membres de la Commission. La loi du 7 juillet 2016 relative à la liberté de la création, à l'architecture et au patrimoine (LCAP) prévoit que les CRPA soient présidées par des élus, mais elle préconise également que le médiateur soit un élu. Le médiateur intervient aux côtés de l'ABF et des services du préfet pour « déminer » les contentieux pouvant apparaître. En Normandie, les recours semblaient plus importants lors du précédent mandat. La loi LCAP a amélioré le travail d'accompagnement, ce qui permet d'arriver plus facilement à un compromis et évite les recours devant le juge. Cela reste à vérifier auprès des DRAC, mais je crois aussi que la consigne édictée en central est d'éviter les situations de blocage - au moins en Normandie. Le président de la CRPA peut demander l'organisation d'une commission pour étudier spécifiquement un dossier. Le plus souvent, le contentieux se règle en réunissant le pétitionnaire, l'ABF et l'administration compétente.

Mme Marie-Pierre Monier, présidente. - Les parties ne se rencontrent jamais avant que la demande soit portée en CRPA ?

M. David Nicolas. - Je pense que si. Nous devrions étudier des situations concrètes de blocage pour en identifier la cause. Dans les cas que j'ai en tête, le blocage émane des deux parties. Un ABF peut adopter une posture un peu bloquante sur un sujet donné. Parfois, le pétitionnaire ne suit pas les préconisations et s'entête, quitte à aller au point de rupture. C'est la raison pour laquelle la pédagogie et la concertation amont sont, pour moi, la clé de la réussite.

Parfois, le nombre d'ABF disponibles est insuffisant pour assurer cette mission de conseil. Les pétitionnaires, publics comme privés, ont souvent besoin de cet accompagnement pour poursuivre sereinement le projet. Avec le dialogue, nous parvenons toujours à trouver une solution, que cela soit sur des aspects esthétiques dans le cadre d'un SPR ou des abords d'un monument historique ou qu'il s'agisse d'un projet de rénovation énergétique.

Mme Anne-Marie Nédélec. - Est-il obligatoire de désigner un médiateur dans chaque région ?

M. David Nicolas. - Oui, cette nomination fait partie des obligations réglementaires. Elle est soumise à la validation du CRPA.

Mme Marie-Pierre Monier, présidente. - S'il n'y a pas d'autres questions sur le rôle du médiateur, je vous propose de passer à la question des abords et des préconisations.

M. Vincent Joineau. - Préconiser un dialogue amont interroge quant à la manière dont l'agent en charge de l'urbanisme réceptionne les dossiers en mairie : est-il en capacité d'identifier ceux devant faire l'objet d'un dialogue avec l'ABF ? Il y a un problème d'ingénierie dans les petites communes où ni l'élu ni l'agent n'ont nécessairement de compétence en la matière.

Les commissions locales des SPR restent peu utilisées. Elles sont pourtant pertinentes. Les CLSPR ont un rôle dans la médiation en cas de problème d'interprétation entre les services de l'État et l'agent des villes. L'instance est composée de représentants de l'État, de la mairie et de personnes qualifiées. Elle étudie le dossier et rédige un avis, qui se doit d'être un compromis. Cet avis doit être retenu. Pour les dossiers qui concernent des périmètres protégés dans les petites communes, pourquoi ne pas prévoir une concertation globale ? Pourquoi ne pas étudier les dossiers les uns après les autres, quitte à déroger au règlement - ce qui est le cas dans les CLSPR si un accord est trouvé ?

Se pose ensuite la question du règlement, très lourd à produire et à faire évoluer. Une souplesse ne pourrait-elle pas être trouvée pour le modifier sans passer par des processus complexes ? Les maires et les ABF utilisent le règlement pour justifier de ne rien faire. Nous devons y apporter de la plasticité.

Nous devons aussi rendre la qualité architecturale plus tangible et moins soumise à l'avis de l'ABF. Comme nous, chaque Architecte des bâtiments de France a sa propre culture. Or, cette culture ne doit pas s'imposer de manière implacable à la commune. Le dialogue est indispensable. Plus largement, nous devons clarifier la notion de qualité architecturale.

Mme Marie-Pierre Monier, présidente. - À quel « règlement » faites-vous référence ?

M. Vincent Joineau. - Le règlement patrimonial, qui est souvent adossé au PLU - le PLU reprend in extenso des pans entiers du règlement patrimonial.

M. David Nicolas. - Je rejoins ce qui a été dit. D'un ABF à l'autre, la messe n'est pas chantée de la même manière. Ce constat est d'autant plus vrai sur les territoires qui comptent des monuments historiques protégés de longue date. Il serait d'ailleurs souhaitable que la valeur patrimoniale des monuments inscrits soit réinterrogée. Nous en discutons en CRPA Normandie lorsque l'objet MH protégé fait plus ou moins patrimoine au sens actuel du terme. Il y a un vrai sujet.

Quoi qu'il en soit, le droit commun s'applique aux servitudes liées aux abords des monuments historiques. Or, selon l'ABF, l'appréciation du droit commun varie. Encore une fois, le dialogue est impératif sous peine de faire naître des tensions, des incompréhensions, des blocages, voire des contentieux.

Le périmètre délimité des abords devant supporter une servitude du fait de la proximité d'un monument historique doit être modifié. Selon moi - et selon l'AMF -, la meilleure manière pour ce faire est de constituer un site patrimonial remarquable. Tous les SPR étudiés en CRPA de Normandie sont d'anciennes aires de mise en valeur de l'architecture et du patrimoine (AVAP) révisées. Les SPR validés sans AVAP préalables ont été initiés à l'époque où ces aires existaient, mais ils ont mis huit ou dix ans pour être finalisés. Plus d'un mandat municipal est donc nécessaire pour sortir du droit commun les servitudes liées aux abords d'un monument historique. Une volonté politique considérable est nécessaire, en termes budgétaires comme de suivi.

Pour la plupart des monuments historiques en France, la servitude créée par le rayon de 500 mètres occasionne une immobilité qui ne permet pas d'avancer vers une meilleure définition des périmètres et des limites des abords du monument.

L'ingénierie d'élaboration des SPR et de délimitation des limites et des abords des monuments historiques est coûteuse. Une ingénierie supplémentaire est ensuite nécessaire pour suivre au long cours le règlement produit localement, le faire vivre et accompagner les pétitionnaires. La disparition du droit commun laisse la place à un règlement spécifique qui doit être mis en oeuvre et suivi localement. Il revient souvent aux services municipaux d'orienter les pétitionnaires, de leur expliquer ce qu'il est possible de faire et ce qui ne l'est pas.

J'insiste sur un point : un bon règlement de SPR doit permettre, non pas d'assouplir, mais d'adapter les préconisations aux réalités de terrain. Il s'affranchit des règles de droit commun, très sèches et qui, appliquées trop mécaniquement par les ABF, aboutissent à des interdictions. Un bon SPR doit permettre d'utiliser certains matériaux ou de poser des panneaux photovoltaïques sur un bâtiment ancien.

Le SPR est la clé, mais sa mise en oeuvre nécessite une volonté politique très forte.

M. Vincent Éblé. - Cela fait tomber la logique des abords au compas. La zone est cartographiée sur les documents d'urbanisme.

Mme Marie-Pierre Monier, présidente. - Absolument. C'est le périmètre intelligent souhaité par la loi LCAP.

Mme Anne-Marie Nédélec. - Le SPR est-il un préalable au périmètre délimité des abords ?

Mme Marie-Pierre Monier, présidente. - Non, ce sont deux choses différentes. Le PDA est spécifique à un monument tandis que le SPR concerne une commune. La loi permet désormais d'affiner les périmètres en fonction des particularités.

Mme Anne-Marie Nédélec. - Des moyens et de l'ingénierie sont nécessaires pour effectuer ces adaptations, ce qui exclut d'office un ensemble de communes.

M. Vincent Éblé. - Oui, cela revient à une révision de PLU. Une enquête publique est même nécessaire.

Légitimement, votre vision est territoriale, voire micro-territoriale : l'approche parlementaire est en revanche nationale. De même, vous observez les différences et l'évolution des positionnements des ABF dans le temps : nous les observons d'un territoire à l'autre.

Le caractère solitaire de la décision de l'ABF est perturbant. Beaucoup d'élus perçoivent ces décisions comme arbitraires. Des décisions plus collégiales, prises au sein d'une commission d'appel, seraient opportunes. L'ABF dispose toutefois d'une culture et d'une expertise. Nous ne pouvons pas passer outre cette expertise lorsqu'elle ne nous convient pas et confier la décision à un préfet qui n'a pas suivi d'études d'architecture ou d'histoire de l'art. C'est la raison pour laquelle un délibéré collectif me paraît plus adapté. Il apporterait des garanties, une sorte de jurisprudence pouvant être reprise d'une période à l'autre, d'un dossier à l'autre. Une telle orientation renvoie à la question des moyens dont disposent les services de l'État pour instruire les dossiers.

La charge de travail des ABF est conséquente. Des missions complémentaires leur sont adjointes. De fait, ils instruisent très rapidement les dossiers, avec une forme d'automaticité, sans étudier les circonstances particulières.

M. David Nicolas. - Je ne retire rien de vos propos. Les ABF peuvent être des conseils formidables s'ils ont du temps à consacrer au terrain. J'essaie toujours de casser cette image d'empêcheur de tourner en rond. Un ABF présent et à l'écoute passe de méchant censeur à conseiller pertinent, particulièrement si la démarche n'implique pas un élu, mais un agent chargé d'urbanisme qui connaît les sujets patrimoniaux et qui vient mettre de l'huile dans les rouages. Il y a toujours - ou presque - une voie de passage pour que chacun s'y retrouve.

J'insiste sur le SPR. Le règlement est difficile à construire, mais, au même titre qu'un plan local d'urbanisme, c'est un bel objet. L'approche est très locale. Le règlement prend en compte toutes les composantes du patrimoine, quasiment à l'échelle de la parcelle. Une fois le diagnostic posé, le règlement emporte le consensus, car il est questionné auprès de la population. Des ateliers participatifs s'organisent pour associer les habitants. Un document approfondi apporte une réelle souplesse, bien plus que le droit commun applicable aux monuments historiques. Ce dernier ne fonctionne plus. Ajouté au manque de temps des ABF, nous arrivons à des situations de blocage.

Mme Marie-Pierre Monier, présidente. - Nous n'avons pas interrogé M. le directeur général des patrimoines et de l'architecture sur le sujet, mais j'aimerais connaître la montée en puissance des SPR.

Mme Nadine Bellurot. - Nous sommes plusieurs ici à avoir été maires et à avoir échangé avec des ABF. En fonction de la personne, les avis divergent. Pour un même site et une même demande, j'ai connu des positionnements complètement contraires. La décision ne dépend pas de données objectives, mais de la personne.

Comme vous, je regrette que nous soyons soumis à une décision couperet. Les élus sont responsables et connaissent leurs territoires. Certes, ils ont leur idée subjective du beau, mais ils restent en capacité de savoir ce qui peut être fait dans leur collectivité. Prenons l'exemple d'un bâtiment sans intérêt et non-entretenu de ma commune, dont la destruction a été refusée par l'ABF. Il avait échangé avec le propriétaire, qui n'avait pas les moyens de restaurer la toiture. Depuis, un trafic de drogue s'est mis en place dans ce bâtiment laissé à l'abandon.

Cet exemple est effrayant. Il résulte de l'obstination d'un ABF. Il ne me semble pas opportun de laisser à une seule personne une décision qui pourrait donner lieu à beaucoup plus de concertation. Nous avons trop d'exemples qui montrent qu'il serait préférable de prendre une décision collégiale, peut-être préfectorale. Le conseil des ABF est très intéressant pour éclairer les travaux, préciser l'aménagement que l'élu a en tête. Pour autant, il ne peut plus s'agir d'une décision unique.

Comment concevez-vous cette collégialité ? La décision pourrait-elle in fine être du ressort du préfet ?

M. David Nicolas. - Il revient précisément à la CRPA d'arbitrer les avis des ABF qui apparaîtraient comme trop brutaux. L'exemple que vous présentez devrait être arbitré en commission. Les CRPA associent des élus, des spécialistes du patrimoine ainsi que des historiens et des chercheurs à même de rendre un avis sur la qualité intrinsèque du bâti. Pour moi, cette instance est le lieu de débat idéal, sous réserve que le président de la CRPA accepte de la réunir pour échanger.

Mme Marie-Pierre Monier, présidente. - L'avis final revient-il au préfet de région ?

M. David Nicolas. - Oui.

M. Vincent Joineau. - Les instances de dialogue existent. La CLSPR est à la main de la communauté de communes, qui dispose de la compétence d'urbanisme. Elle étudie et suit le dossier. Si une médiation est nécessaire, le dossier passe en CLSPR.

De mon expérience, la CLSPR reste peu plébiscitée, car la procédure est lourde. En outre, la communauté de communes se sent moins concernée par ces problématiques communales. Fort de ces constats, cette commission locale doit-elle rester à la main de la communauté de communes ? Pour que l'instance soit plus opérationnelle, il me semble préférable que la commission soit à la main de la commune, qui invitera la communauté de communes au titre de sa compétence d'urbanisme.

M. David Nicolas. - Je suis d'accord, d'autant que le SPR va se développer au niveau communal. Il est évident que la commission qui statue sur des situations complexes à l'échelle d'une communauté ou d'un EPCI, sur un SPR communal, doit rester aux mains de la commune. Pour avoir du sens, la commission doit aussi être majoritairement composée d'élus issus de la commune.

Mme Sabine Drexler. - En cas de création d'un SPR ou d'un PDA, à qui revient-il d'effectuer un inventaire des bâtis bénéficiant d'une protection particulière ? Qui sont les membres de la CRPA ?

M. David Nicolas. - Pour mettre en place un SPR, un chargé d'études doit être désigné. Il peut d'agir d'un cabinet d'urbanisme avec une forte composante patrimoniale ou d'un architecte du patrimoine. Le diagnostic est objectif ; il s'appuie sur la compétence patrimoniale du chargé d'études. Une cartographie de la commune ou du territoire est réalisée pour révéler le caractère patrimonial des lieux. Certains SPR contiennent une étude à l'échelle de la parcelle, c'est-à-dire du bâtiment. D'autres identifient même plusieurs composantes patrimoniales sur une même parcelle en distinguant un jardin, une fontaine ou un puits détaché du bâti, qui ferait patrimoine.

Il revient ensuite aux membres de la CLSPR de définir le patrimoine à mettre en avant. La commune a la main. Le règlement ainsi établi à l'échelle locale permet de s'affranchir d'une lecture très dogmatique et brutale du droit commun.

Les CRPA sont composées de fonctionnaires de l'État, des DRAC, des conservateurs des monuments historiques et des conservateurs des services d'antiquité départementaux, éventuellement du directeur du service régional de l'archéologie. Les commissions comptent aussi des Architectes des bâtiments de France, des associations du patrimoine - y compris parfois des associations régionales ou locales et des sociétés d'histoire locales. Bien sûr, des élus communaux, départements et régionaux désignés par le préfet siègent en CRPA. Enfin, les commissions comptent un collège de scientifiques. En CRPA de Normandie, nous invitons des chercheurs du CNRS, dont le regard contredit souvent les assertions des professionnels du patrimoine. Ce dialogue amène beaucoup de richesses.

En tant que président de CRPA, j'estime avoir la chance de siéger dans une commission dont les membres acceptent et nourrissent l'échange. Les débats permettent de sortir de lignes préétablies par les chargés d'études de la DRAC. À l'issue du débat, le pressentiment initial du service instructeur n'est pas toujours suivi.

Mme Guylène Pantel. - Toutes les communes ne peuvent pas financer l'ensemble des documents d'urbanisme nécessaires.

La présidente le disait dans son introduction : la Lozère compte un seul ABF. Dans le département, 72 % des communes ne disposent pas de document d'urbanisme. De fait, le rayon de 500 mètres s'applique automatiquement. Tous les villages sont couverts. Nous sommes bloqués.

Bien avant que cette mission soit mise en place, j'ai déposé dans la niche RDSE une PPL visant à supprimer les décisions descendantes émanant d'un seul ABF pour instaurer des décisions collégiales avec le maire, la préfecture.

M. Hervé Reynaud. - Ce qui est décrit par M. Nicolas est vrai. Souvent, soit les élus n'ont pas la formation nécessaire, soit ils renoncent. Les démarches sont extrêmement lourdes et dépassent l'échéance d'un mandat. Beaucoup d'élus renoncent à s'engager dans les procédures de SPR. En outre, les SPR génèrent des contraintes nouvelles.

Si nous appelons à davantage de pédagogie, de dialogue et de médiation, c'est bien qu'il en manque. Les ABF sont relativement isolés, les élus locaux sont démunis. Certaines communes ou communautés de communes ne disposent pas d'ingénierie. Des départements et des élus locaux ne connaissent pas les médiateurs.

M. Pierre-Jean Verzelen, rapporteur. - Nous partageons tous deux constats. Tout d'abord, il est préférable de rencontrer l'ABF en amont. Ensuite, les Architectes des bâtiments de France ont trop de travail. Il ne semble pourtant pas dans l'air du temps d'accroître leur nombre. Dans ces conditions, comment alléger leur quotidien ?

Quel est votre point de vue sur l'avis conforme dans le périmètre des 500 mètres ?

M. Vincent Joineau. - Fort de l'expérience de mes fonctions de médiateur, je constate un problème de cadre méthodologique. Les pétitionnaires peinent à savoir les documents qu'ils doivent fournir.

L'AMRF 33 a rédigé des propositions concrètes à la DRAC en vue d'établir une charte de bonnes pratiques et un document d'appui à destination des maires pour qu'ils accompagnent correctement les pétitionnaires. Nous les avons formulées en réunion, devant le préfet, notamment. Tout le monde y était favorable. Pourtant, rien n'a été fait. Il apparaît que la DRAC Nouvelle-Aquitaine a adressé un document au ministère pour validation, sans avoir associé les élus locaux à la réflexion. Nous sommes très mécontents. Nous étions prêts à nous impliquer dans l'élaboration de ce document-cadre.

Sur ma commune, il n'est pas possible d'installer plus de quatre mètres carrés de panneaux photovoltaïques. Un pétitionnaire souhaitait en installer 600 mètres carrés. Je lui ai dit que je soutiendrais son dossier s'il apportait une preuve de l'absence de co-visibilité. L'ABF a refusé le projet. Je l'ai pour ma part autorisé. J'ai écrit au préfet pour lui faire connaître ma position, en lui joignant le dossier et en soulignant l'absence de co-visibilité. J'ai accompagné le pétitionnaire, mais ce n'est pas toujours possible.

Nous devons a minima disposer d'un cadre travaillé par la DRAC avec les élus.

Mme Marie-Pierre Monier, présidente. - Dans cet exemple, êtes-vous parvenu à faire accepter à l'ABF un dossier qui n'entrait pas dans le cadre de votre règlement ?

M. Vincent Joineau. - Non, l'ABF a refusé le projet, considérant que le règlement de la commune devait s'appliquer. Elle avait toutefois fait savoir qu'elle n'engagerait pas de recours.

Mme Marie-Pierre Monier, présidente. - Le projet a-t-il finalement pu se mettre en oeuvre ?

M. Vincent Joineau. - Oui.

M. David Nicolas. - L'AMF avait émis des doutes sur la suppression des prérogatives de l'ABF en matière d'avis conforme. Dans certains territoires, les élus locaux sont soumis à des pressions de promoteurs et de divers acteurs qui profitent du vide laissé par l'ABF pour faire n'importe quoi. Il est difficile de trouver la ligne de crête.

Il pourrait être opportun de mieux représenter les élus dans les CRPA, en nombre et dans la qualité de la sélection. Les associations départementales pourraient cibler les élus locaux à même d'être réellement actifs dans ces commissions et d'intervenir en tant que relais. L'AMF demandait une meilleure représentativité des élus locaux dans les CRPA qui, je le rappelle, sont désormais présidées par des élus.

M. Pierre-Jean Verzelen, rapporteur. - La région est-elle la bonne échelle ? Une commission départementale ne serait-elle pas plus efficace ?

M. David Nicolas. - C'est une bonne question. La Normandie a la chance d'être une région historique. Je suppose que dans des régions telles que l'Occitanie, le découpage est moins pertinent.

M. Pierre-Jean Verzelen, rapporteur. - Avant le lancement de cette mission d'information, je connaissais peu les CRPA. J'ignore même qui est le médiateur de ma région. À titre personnel, je pense que l'échelle régionale n'est pas la bonne.

M. David Nicolas. - Les CRPA ont été calés sur les DRAC.

Mme Marie-Pierre Monier, présidente. - S'il n'y a pas d'autres questions, je vous propose de conclure. Si vous avez des documents complémentaires à nous communiquer, n'hésitez pas.

M. Pierre-Jean Verzelen, rapporteur. - Vous pouvez également nous communiquer des positions ou des propositions écrites émanant de vos associations respectives que nous pourrions reprendre dans notre rapport.

Mme Marie-Pierre Monier, présidente. - Je vous remercie pour votre temps et pour la qualité des échanges.

La réunion est close à 17 h 50.

Audition de MM. Patrick Brie, adjoint à la sous-direction de la qualité du cadre de vie, Benoît Bergegère, chef du bureau des sites protégés, et Yannick Pache, chef du bureau de la réhabilitation du parc et des évaluations économiques, direction générale de l'aménagement, du logement et de la nature (DGALN) (sera publié ultérieurement)

Le compte rendu de cette audition sera publié ultérieurement.

La réunion est close à 19 h 30.