Mardi 14 mai 2024

- Présidence de Mme Marie-Pierre Monier, présidente -

La réunion est ouverte à 14 h 30.

Audition de M. Fabien Sénéchal, président, Association nationale des architectes des bâtiments de France (ANABF), Mme Emmanuelle Didier et M. Benjamin Aba-Perea, architectes des bâtiments de France et membres du conseil d'administration de l'ANABF

Mme Marie-Pierre Monier, présidente. - Notre mission d'information est consacrée au périmètre d'intervention et aux compétences des architectes des bâtiments de France. Nous enchaînerons aujourd'hui quatre auditions, en commençant par la vôtre, celle de l'association nationale des architectes des bâtiments de France (ANABF). Notre mission résulte d'une initiative du groupe Les Indépendants - République et Territoires du Sénat, qui a confié le rôle de rapporteur à Pierre-Jean Verzelen. Nous avons aujourd'hui le plaisir d'accueillir M. Fabien Sénéchal, président de l'association, accompagné de Mme Emmanuelle Didier et de M. Benjamin Aba-Perea, architectes des bâtiments de France (ABF) et membres du conseil d'administration de l'ANABF. Je vous remercie de vous être rendus disponibles, vous êtes au coeur de notre travail du moment. Cette audition est très attendue et le président de la commission des affaires culturelles nous fait l'honneur et l'amitié d'être présent aujourd'hui.

Vous exercez une mission très complexe et je ne doute pas que votre témoignage nous aidera à en approcher encore mieux la difficulté. Votre mission est parfois difficile auprès de certains élus locaux qui ne comprennent pas toujours le sens de vos décisions. Les premières auditions que nous avons menées et les réponses au questionnaire que nous avons dressé avec le rapporteur nous ont déjà appris beaucoup sur les conditions d'exercice de votre profession, mais aujourd'hui, il s'agit du moment fort pour nous dire réellement comment cela se passe. Depuis que nous avons mené un certain nombre d'auditions, nous avons le sentiment que vous êtes victimes d'une forme de saturation administrative. Votre intervention est en effet prévue par 71 dispositions législatives et réglementaires réparties dans 6 codes différents. Selon les données disponibles à ce jour, vous êtes environ 180 ABF et le nombre de dossiers que vous avez à traiter par an serait de l'ordre de 500 000, soit un peu moins de 3 000 dossiers par ABF par an, une moyenne de 13 dossiers travaillés par jour. Comment faites-vous ? Hiérarchisez-vous vos missions ? Ce sujet a également constitué l'un des axes du groupe de travail de la mission des unités départementales de l'architecture et du patrimoine (UDAP) de février 2024, longuement évoqué lors de l'audition de Jean-François Hébert, directeur général des patrimoines et de l'architecture.

Je vous propose d'ouvrir nos échanges avec un propos liminaire d'une vingtaine de minutes, sachant que vous pourrez nous envoyer par écrit ultérieurement tout ce à quoi vous ne pensez pas aujourd'hui.

M. Fabien Sénéchal, président de l'ANABF. - Merci beaucoup pour cette invitation que nous attendions avec impatience, car même s'il m'arrive fréquemment de venir m'exprimer auprès des sénateurs ou des députés, cela se fait souvent dans le cadre de l'élaboration de projets de loi et assez rarement dans le cadre d'une mission qui vise à étudier le sujet et poser le cadre de nos missions et de notre travail. Vous avez parlé de saturation administrative et, si vous le permettez, je vais en rajouter un peu. Nous devons effectivement rendre environ 500 000 avis par an, mais cela ne concerne que les dossiers d'instruction de permis de construire au titre du code de l'urbanisme. Or, nos missions ne comprennent pas uniquement l'instruction administrative des dossiers, mais également l'accompagnement, l'assistance à l'élaboration des projets, la promotion de la qualité architecturale et de la qualité paysagère, ainsi que toutes les missions relatives aux monuments historiques et au patrimoine de manière générale.

Les ABF sont des architectes. Au nombre de 189 sur le territoire national, nous ne sommes cependant pas tous seuls, car nous disposons de petits services administratifs au sein des départements : les UDAP comprennent environ 800 personnes en France. Les ABF ne sont donc pas seuls et, quand ils le sont, il s'agit plutôt d'une situation défavorable que le ministère de la culture tend à essayer de contrer de différentes manières. 800 personnes, cela reste cependant très peu pour les missions qui nous sont données par les textes et les lois en vigueur et qui concernent tous les champs de la qualité (architecturale, urbaine, paysagère). Au gré des crises récemment traversées, à savoir la crise sanitaire, mais également la crise sociale avec les gilets jaunes, nous avons pu voir combien la qualité ou la non-qualité de certains quartiers de nos villes et du logement cristallise un certain nombre de crises. Ces éléments ne sont pas quantifiés ni quantifiables.

La France est en retard par rapport aux autres pays européens, car le recours à l'architecte n'est pas obligatoire dans tous les cas, contrairement à la Suisse, la Belgique, en Espagne ou encore à l'Italie où le recours à l'architecte est obligatoire. Cela n'est pas le cas en France, où l'ABF est bien souvent le seul architecte que les gens vont rencontrer dans le cadre de l'élaboration de leur projet. Notre objectif consiste à faire en sorte que nous puissions faire notre métier de conseil le plus en amont possible des projets. Nous sommes persuadés que le fait que le ministère de la culture mette à disposition des élus et des citoyens des architectes professionnels pour les aider dans l'élaboration des projets et pour donner des avis sur les projets constitue une chance.

En ce qui concerne le cumul sur l'exercice de la maîtrise d'oeuvre, comme tous les fonctionnaires de l'État, les ABF peuvent cumuler des missions d'enseignement avec leur fonction, mais le droit d'exercer une activité de maîtrise d'oeuvre privée à titre personnel n'existe plus depuis la loi SRU de 2000. En 2000, cette possibilité avait été resserrée et il avait été demandé aux ABF de faire des déclarations et d'exercer en dehors de leur département. Puis, en 2004, ce droit a disparu. Je suis personnellement entré en 2008 au ministère de la culture et je n'ai jamais connu cette situation. Aujourd'hui, les ABF ne peuvent plus exercer le métier d'architecte à titre privé en plus de leurs fonctions.

Mme Marie-Pierre Monier, présidente. - Quel accompagnement faites-vous auprès des élus dans le cadre de votre mission ? Le point d'achoppement dans certains cas porte sur cette relation d'accompagnement avec les élus. Trouvez-vous le temps de réellement les accompagner, en particulier dans les petites communes ?

M. Fabien Sénéchal. - Il s'agit d'un sujet dont nous parlons régulièrement. Les ABF ont pour rôle d'être auprès des élus. Vous avez parlé d'embolie administrative et, effectivement, un certain nombre d'entre nous est débordé et ne parvient pas à être suffisamment auprès des élus, mais nous sommes tous convaincus que notre métier n'a de sens que si nous sommes auprès d'eux, et en particulier auprès de ceux des petites communes. L'ANABF défend âprement ce rôle, de manière réaliste cependant. Quand, dans un service de cinq personnes, l'une est en congé et une autre en arrêt maladie, il devient en effet très rapidement compliqué de répondre aux sollicitations administratives dans les temps tout en étant également sur le terrain. Néanmoins, selon les statistiques du ministère sur la France entière, les ABF instruisent leurs dossiers en 22 jours en moyenne, c'est-à-dire en moins de temps que celui qui nous est donné. Certes, nous sommes en situation de saturation administrative, mais les services parviennent néanmoins à répondre aux obligations qui sont les nôtres.

Mme Emmanuelle Didier, architecte des bâtiments de France (ABF) et membre du conseil d'administration de l'ANABF. - Le nombre d'autorisations d'urbanisme a augmenté de 108 % depuis 25 ans alors que les effectifs de nos services ont augmenté de moins de 10 %. Pour éviter d'émettre des avis défavorables au moment de l'exercice régalien qu'est la rédaction de l'avis, nous avons intérêt à traiter l'avant-projet pour fluidifier l'instruction et nous assurer d'avoir un dossier ayant intégré les différentes indications et les contraintes à prendre en compte.

Cet exercice régalien ne peut donc s'affranchir de la mission de conseil dans laquelle nous sommes particulièrement investis et qui nous occupe considérablement. Nous ne pouvons pas exercer le contrôle sans exercer le conseil. C'est par la solidarité et la mutualisation de nos forces que nous pouvons être pertinents pour accompagner les responsables de territoires, les élus, les services instructeurs, les responsables de service d'urbanisme, en travaillant en collégialité, en préparant les dossiers et en recevant les administrés. Accompagner un élu ne signifie pas uniquement accompagner son projet de demande d'autorisation d'urbanisme. Il s'agit également d'accompagner son projet de territoire, avec l'appui d'un document d'urbanisme et en prenant mieux en compte les enjeux du territoire concerné, non seulement au sein du périmètre qui nous intéresse, mais également en ce qui concerne les autres secteurs. Un élu dispose d'un expert architecte à ses côtés et il peut y recourir au-delà des discussions autour d'un projet pour lequel un avis défavorable pourrait être émis par l'ABF.

M. Fabien Sénéchal. - Parmi les questions abordées au cours de vos différentes auditions figure la question majeure de la prévisibilité des avis. L'une des clés, pour nous, concerne le travail en amont. Plus nous serons capables de recevoir les demandeurs et de discuter avec les élus en amont, mieux nous réussirons à donner de la visibilité et de la prévisibilité aux avis. Nous sommes tous des architectes, ce qui signifie que nous avons tous dans notre ADN la capacité à mener des projets et à les sortir. Émettre un avis défavorable sur un projet reflète un constat d'échec collectif, cela signifie que la discussion n'a pas eu lieu, que nous n'avons pas trouvé de terrain d'entente et que nous n'avons pas réussi à trouver le chemin permettant de faire le projet. En centre-ville comme en milieu rural, nous avons besoin d'habitants, d'activités, des commerces, des médecins, etc. Cela nécessite donc des projets de réhabilitation, des projets urbains, des projets de territoire et les ABF ont intérêt à ce que ces projets se mettent en oeuvre. À chaque fois qu'un avis défavorable est émis sur un projet individuel, voire structurant, nous savons que cela est dû à une marche ratée à un moment ou à un autre. Notre ministère de tutelle, le ministère de la culture, nous a transmis les différentes propositions et mesures sur lesquelles nous sommes en train de travailler collectivement, parmi lesquelles les questions de la prévisibilité et du travail en amont figurent en très bonne place, ainsi que le travail de coconstruction des avis.

Je voyais dans les questions que vous nous avez transmises celle d'un élu qui ne comprenait pas qu'un ABF ait donné un « avis contraire au règlement ». Or, s'il est possible qu'un ABF fasse une erreur, il n'est normalement pas possible qu'il donne un avis contraire à un règlement et ça l'est d'autant moins que la règle pour les sites patrimoniaux remarquables (SPR) est coconstruite et que la responsabilité d'appliquer cette règle est partagée entre l'ABF et les élus. Dès lors qu'une règle est fixée dans un SPR, il relève de la responsabilité partagée de l'ABF et du maire et de ses services de bien la faire appliquer. Dans ces cas, l'ABF doit essayer de gérer les questions d'architecture et d'urbanisme qui ne peuvent pas être prévues dans le règlement. En effet, la qualité architecturale se réglemente très difficilement, ce qui explique toute la modernité de l'administration de la Culture qui a placé auprès des opérateurs, des élus et des architectes, non pas une règle, mais une personne qui est capable d'analyser finement, en fonction du territoire et selon son expertise, l'adaptation à donner à la règle générale pour permettre le projet.

Mme Marie-Pierre Monier, présidente. - Cette construction du SPR se fait donc conjointement avec les élus et le plan local d'urbanisme (PLU) fait référence au SPR, n'est-ce pas ?

M. Fabien Sénéchal. - Il s'agit d'une servitude.

Mme Marie-Pierre Monier, présidente. - Toute personne qui souhaite faire des travaux sur une commune où il existe un SPR devra donc consulter le PLU. Est-ce clairement écrit ?

Mme Emmanuelle Didier. - Il s'agit d'une servitude d'utilité publique qui s'exerce de façon distincte sans rapport de compatibilité. Lors des échanges avec les élus, ces derniers n'ont pas conscience que l'ABF est autant responsable qu'eux de l'application de ce document de SPR. En ce moment, un élu a même déposé un recours contre l'avis que j'ai émis, dans lequel j'exprime simplement l'opposition de la règle. Il a été très difficile de faire comprendre que si la commune a été à l'initiative du document, nous l'avons néanmoins travaillé et étudié ensemble et nous sommes autant l'un que l'autre responsable de son application.

M. Fabien Sénéchal. - Les SPR représentent 1 000 documents sur le territoire national. Cependant, la prévisibilité ne règle pas tous les problèmes. Le conseil en amont constitue un sujet majeur, de même que la construction de la règle. Du point de vue du ministère de la culture, la règle du SPR constitue le meilleur vecteur, mais nous pouvons aussi travailler avec les orientations d'aménagement et de programmation (OAP) dans le cadre d'un PLU. Il faut cependant rester conscient que le temps du PLU n'est pas le temps du patrimoine. Le PLU constitue un projet urbain qui doit pouvoir bouger, être adaptable et évoluer en fonction des nécessités et des projets. La préservation du patrimoine a, quant à elle, pour objet de transmettre aux générations futures un héritage qui fait sens. Il ne s'agit donc pas de la même temporalité. Par expérience, nous savons qu'il est possible de travailler avec les collectivités pour élaborer des règles dans le cadre du PLU, mais cela est très chronophage et très facilement « détricotable ». Je l'ai vécu à l'occasion des dernières élections municipales : nous avons réalisé tout un travail avec une municipalité, puis la municipalité suivante est arrivée, avec des élus ayant un peu moins d'expérience que leurs prédécesseurs et qui ont pris le contre-pied de l'équipe précédente. En fin de mandature seulement, cette nouvelle équipe s'est pourtant rendu compte qu'il fallait refaire ce qui avait été défait. Il faudrait dès lors réfléchir à la manière d'amener un peu de pérennité dans ces règlements qui peuvent accompagner ces questions de patrimoine. La règle doit en outre être lisible et accessible. Nous nous rendons compte que les règlements ne sont pas toujours lus et qu'un certain nombre de difficultés interviennent parce que le projet se fait en méconnaissance de la règle. Je pense que nous avons beaucoup à faire ensemble avec les collectivités, notamment avec les services d'instruction des autorisations droit du sol (ADS).

Toujours dans le champ de la prévisibilité, vous avez posé une question concernant les périmètres délimités des abords (PDA). Certes, la modification du périmètre délimité des abords (500 mètres autour des monuments historiques) constitue probablement une réponse intelligente au sujet qui nous concerne, à savoir la difficulté de lecture et de compréhension du cadre d'intervention des ABF. En propos liminaire sur ce sujet, je voudrais dire que ce n'était pas mon avis quand je suis entré dans la fonction, mais que j'ai compris depuis lors. Le législateur, en établissant un périmètre arbitraire de 500 mètres autour des monuments historiques, a très subtilement et très finement ciblé la servitude par rapport à l'objectif de protection des abords des monuments historiques. Or, la société a aujourd'hui changé, avec davantage de monuments historiques. Nos citoyens et nos élus ont besoin de mieux comprendre cette règle du périmètre délimité des abords dont ils ont l'impression qu'elle est arbitraire. La covisibilité répond pourtant à des éléments très tangibles et est très cadrée par la jurisprudence. Néanmoins, nous pensons que développer le périmètre délimité des abords constituerait une bonne solution permettant de nous soulager et permettant à la population de mieux comprendre le sens de notre action sur le territoire.

S'agissant de la complexité de l'élaboration des PDA, le problème ne vient pas tant de la complexité de concevoir un PDA, car sauf à quelques exceptions près, créer un PDA demande une analyse historique et patrimoniale abordable par nos services ou par n'importe quel bureau d'étude. La difficulté porte plutôt sur la procédure administrative. Par exemple, en 2012, en Bretagne, nous avions commandé une étude pour concevoir 70 périmètres de protection modifiée (PPM, procédure antérieure aux PDA), que nous avons en réalité réalisés à 10 % en raison d'un achoppement sur les procédures administratives. Nous ne pouvons plus nous appuyer sur les préfectures ou sur les directions départementales des territoires (DDT), car elles nous renvoient à nos propres responsabilités.

Mme Emmanuelle Didier. - Le suivi procédural en préfecture dépend de la nature du territoire sur lequel le PDA se trouve. Dans un territoire à forte pression foncière comme celui que je peux connaître en métropole de Lyon, je peux réaliser des PDA en masse à l'occasion des modifications du document d'urbanisme. Nous écrivons avec les élus les enjeux qui se trouvent autour du monument, les enjeux qui caractérisent le tissu, sa sensibilité. Il s'agit aussi d'un moyen de qualifier le « porter atteinte » aux monuments, au même titre que la covisibilité. La loi LCAP a permis de mieux protéger ce qui constituait le tissu et les abords environnant le monument. Si le nombre de dossiers de PDA augmente, cela résulte du fait que les monuments historiques continuent à être protégés. Nous avons besoin de davantage d'aide sur les territoires ruraux, peut-être avec des préfectures ayant plus de moyens pour réaliser ce suivi procédural. Les ABF doivent se rendre disponibles au-delà des avis qu'ils émettent afin de pouvoir intervenir sur les documents d'urbanisme en cours d'élaboration.

M. Benjamin Aba-Perea, architecte des bâtiments de France (ABF) et membre du conseil d'administration de l'ANABF. - Le PDA constitue une servitude d'utilité publique qui n'est pas imposée, mais construite avec les élus. Certes, la zone de protection est validée par les ABF, mais elle est également votée en conseil municipal, ce qui implique un réel échange entre les collectivités et les services de l'État. Ces PDA permettent par ailleurs de s'affranchir de ce seuil de 500 mètres qui est parfois vécu comme injuste par certains et d'aller au-delà de la question de la covisibilité, bien qu'elle soit intégrée, en prenant en compte la cohérence même du tissu bâti.

M. Fabien Sénéchal. - Le ministère de la culture a questionné la mission juridique du Conseil d'État pour voir comment simplifier la procédure administrative. En effet, nous avons compris qu'il n'était pas possible de supprimer l'enquête publique, mais le ministère de la culture se questionne sur la possibilité de massifier ces enquêtes publiques, en réalisant des PDA conjoints à l'échelle d'un territoire plus large que celui des communes (département, région, etc.). Le deuxième point de simplification que nous avons en tête concerne l'interrogation des propriétaires de monuments historiques. La procédure administrative de PDA demande que le propriétaire du monument historique soit consulté, indépendamment de l'enquête publique dans le cadre de laquelle il peut s'exprimer. La plupart du temps, cela ne pose pas de problème, mais des difficultés apparaissent en cas de copropriété, ce qui conduit à de réelles fragilités juridiques.

Tout le temps que nous passons sur le terrain au service des élus et des administrés est un temps gagné pour la suite. En Bretagne, sous l'impulsion de nos élus qui ont souhaité que nous restions à leurs côtés pour les assister dans l'entretien de leurs monuments historiques, en particulier de leurs églises, nous organisons territorialement avec nos collègues de la conservation régionale des monuments historiques (CRMH) des missions d'assistance à maîtrise d'ouvrage pour les aider à faire des diagnostics et les accompagner sur les petits travaux de réparation sur leurs églises. Il s'agit certes du coeur de métier des architectes, mais cela permet de discuter autrement avec les élus, d'avoir un autre contact et un autre dialogue avec eux que sur les sujets d'urbanisme, ou d'avis défavorables qui pourraient fâcher. Cela permet d'apprendre à se connaître.

Mme Emmanuelle Didier. - Il est possible d'avoir accès à une consultation préalable de multiples façons, avec par exemple l'envoi par un usager de son avant-projet par e-mail et le fait de recevoir les usagers. Auprès des élus, la situation est différente. La collégialité consiste à mettre en place au niveau des établissements publics de coopération intercommunale (EPCI) des commissions d'examen préalable des dossiers d'urbanisme. Le meilleur avis qu'un ABF peut donner est un avis favorable sans prescription, car il n'est pas sujet à recours.

M. Pierre-Jean Verzelen, rapporteur. - Vous avez compris l'idée de la mission, il ne s'agit pas d'une remise en cause des ABF, mais il nous revient de la part d'élus plutôt ruraux et de la part de citoyens plutôt en ruralité et dans les communes n'ayant pas les moyens d'avoir des services d'urbanisme développés un certain nombre d'incompréhensions et de mécontentements. Depuis quelques auditions, nous comprenons que vous êtes pris les uns et les autres dans un effet ciseau très complexe : vos missions se sont étendues, le nombre de bâtiments classés s'est développé, le nombre de demandes s'est multiplié, alors que les effectifs n'ont pas progressé, voire ont baissé.

En ce qui concerne les bâtiments classés pour lesquels les mairies portent des projets, vous avez décrit une volonté d'être près des élus et j'en suis convaincu, même si cela dépend des moyens. Ce qui grippe le fonctionnement, et peut-être l'image des ABF, a plutôt trait aux demandes des concitoyens qui veulent changer leurs fenêtres, leurs ardoises, etc., et dont l'habitation n'est pas directement collée au bâtiment classé. Sur l'ensemble des missions qui vous sont confiées, en identifiez-vous quelques-unes qui, si elles vous étaient retirées, vous permettraient de vous concentrer un peu plus sur la conservation du patrimoine classé ? S'agissant du PDA, vos propos sont précis et permettent d'ouvrir des pistes de réflexion et de travail.

Par ailleurs, existe-t-il une animation du réseau des ABF au niveau national pour essayer de travailler une certaine cohérence, même si les décisions relatives au patrimoine relèvent en partie de l'arbitraire ?

M. Fabien Sénéchal. - Qu'abandonner ou déléguer ? Nos missions nous sont données par les textes, lois et règlements en vigueur. Les ABF ont pour rôle de parler de la qualité architecturale, paysagère et patrimoniale sur les territoires. L'État français a émis une position forte et il existe des raisons objectives d'être fiers de notre patrimoine et de nos paysages et d'être la première destination touristique dans le monde. Notre réponse administrative est à la hauteur de l'enjeu et de l'ambition portée, ainsi qu'à la hauteur du regard que les autres pays du monde portent sur nous. En tant que président de l'ANABF, je peux en témoigner, mais vous aussi certainement, car nous sommes régulièrement sollicités pour des interventions et des auditions par des pays européens et extraeuropéens qui souhaitent comprendre comment nous travaillons et qui souhaitent s'enrichir du dialogue et de la compréhension du système français qui fait référence. Néanmoins, quelques questions se posent. Nous avons parlé des cathédrales, monuments historiques classés appartenant à l'État dont nous sommes conservateurs et responsables uniques de sécurité (RUS). Autant la conservation des monuments historiques relève de notre métier, autant le fait d'être RUS constitue la limite du métier. Je suis conservateur d'un château en Bretagne, mais je n'en suis pas le RUS, car ce château est donné en gestion au département qui possède un certain nombre d'autres monuments qui sont en gestion avec un RUS unique, un fonctionnaire du conseil départemental. En tant que conservateur du château de Kerjean, j'ai une certaine assurance, car j'ai à mes côtés un RUS professionnel qui a une connaissance parfaite de toutes les règles, de tous les règlements incendie et qui suit toutes les procédures complexes. Il s'agit d'un réel sujet.

La question de la gestion de sites constitue un autre sujet. Les ABF exercent des missions de contrôle et d'avis sur les sites inscrits au titre du code de l'environnement et sur les sites classés. En 2016, l'étude d'impact de la loi biodiversité a établi de manière scientifique que l'avis simple donné par les ABF ne permettait pas d'assurer la permanence de l'objet pour lesquels nous avions protégé et inscrit ces sites naturels. L'avis simple ne permet donc pas d'assurer, sur les zones à tension urbaine et à pression foncière, la permanence de la qualité pour laquelle nous avons protégé les sites. Nous pourrions en revanche questionner le ministère en charge des sites pour savoir s'il faut toujours gérer ces sites de cette manière. Il faudrait par ailleurs commencer à appliquer les conclusions de la loi biodiversité de 2016 qui avaient établi qu'un quart des sites inscrits était irrémédiablement dégradé et méritait de recevoir une procédure de désinscription.

Mme Emmanuelle Didier. - Des vagues de désinscriptions, certes timides, ont déjà eu lieu. Si nous cherchons à déléguer, pourquoi ne pas utiliser des ETP du ministère de l'écologie pour instruire des dossiers qui concernent le code de l'environnement ? Certains sites classés urbains sont cependant aussi couverts en double par des abords de monuments historiques. Nous avons peu de pistes.

M. Fabien Sénéchal. - Parmi les différentes propositions ou pistes de travail que le ministère de la culture a en cours, la question de la co-instruction et de la coconstruction constitue une piste intéressante. Nous pouvons essayer de faire mieux ensemble. Nous pouvons essayer d'imaginer la mise en place de plateformes de co-instruction pour la généraliser, d'autant que nous pouvons témoigner qu'elle fonctionne. Quand j'étais à Brest, un architecte-conseil préinstruisait les dossiers, ce qui permettait d'avoir des échanges sur l'essentiel et d'aller plus rapidement et plus en profondeur sur les dossiers.

Mme Emmanuelle Didier. - Il s'agit également d'une question de compétences. Tout dépend de la nature de ces sites. Les ABF n'ont pas nécessairement de formation de paysagiste et certaines communes sont très démunies pour traiter de la valorisation de leurs paysages, notamment en territoire rural. Les DDT ont également en leur sein la possibilité de faire appel à des paysagistes-conseils de l'État ou à des architectes-conseils de l'État et ces vacations, lorsqu'elles existent, sont très efficaces et mériteraient d'être davantage abondées.

Au sein des préfectures, il existe des sous-préfets aux énergies renouvelables, lesquels entrent en contact avec les ABF lorsque des dossiers sont signalés. Nous sommes spécialistes du patrimoine, mais nous sommes également architectes-urbanistes de l'État et généralistes. La question des énergies renouvelables peut être considérée comme un prétexte pour parler d'aménagement du territoire d'une façon plus collégiale. C'est par le biais du conseil que nous pouvons vous apporter des plus-values.

M. Benjamin Aba-Perea. - Le guide ne prescrit pas et ne comprend donc pas de règles, car il n'existe pas de doctrine ABF sur le territoire national. En revanche, il existe une animation du réseau et les ABF se rencontrent. Nous militons d'ailleurs pour une augmentation du nombre des ABF, car pouvoir être plusieurs ABF au sein d'un service permet non seulement de supporter une charge plus importante de dossiers, mais également de discuter. Des instances régionales nous permettent de nous rencontrer pour échanger. En Île-de-France par exemple, nous avons eu une dizaine de réunions sur le sujet du photovoltaïque en 2023.

M. Fabien Sénéchal. - Il y a dix ans, nous demandions que les panneaux photovoltaïques soient intégrés dans le plan de la couverture, car cela permettait de mieux les faire disparaître. Or, nous nous sommes rendu compte que cela détruisait les charpentes et supprimait les ardoises et les tuiles. En outre, ces dispositifs ayant une durée de vie d'une dizaine d'années, cela conduisait à des trous dans les toits avec éventuellement la perte d'une charpente ancienne et de matériaux durables. Nous avons donc modifié notre appréhension du sujet et nous demandons aujourd'hui que les panneaux photovoltaïques soient plaqués sur la couverture et non pas encastrés dans la couverture.

Mme Emmanuelle Didier. - Les ABF s'adaptent aux réformes qui sont apparues depuis une vingtaine d'années.

Mme Sabine Drexler. - Pensez-vous que les ABF devraient pouvoir exercer encore davantage une activité de conseil même en secteur non protégé au regard de l'accélération des atteintes portées au patrimoine, notamment depuis la loi climat et résilience en 2021 avec les prescriptions d'isolation de façade ou de remplacement de menuiseries extérieures ? Comment y arriver le cas échéant ?

Pensez-vous qu'il faut systématiser l'identification de l'ensemble du patrimoine en France, y compris en secteur non protégé, afin de mieux pouvoir le protéger ?

M. Fabien Sénéchal. - Ce qu'il se passe en secteur protégé est sous un contrôle partagé entre nous. À quelques exceptions près, peu d'importants dégâts sont réalisés et nous sommes capables de valoriser les espaces protégés. En revanche, les élus sont seuls en ce qui concerne les espaces non protégés et l'effet de seuil est majeur. Le maintien de la qualité du territoire « ordinaire » constitue un vrai sujet qui se règle au travers des PLU et de documents d'urbanisme, mais il faut être en mesure de les utiliser et de les mettre en oeuvre, ce qui pose la question de la compétence. Dès lors que nous aurons organisé des manières de coconstruire les territoires avec les services des collectivités et les conseils d'architecture, d'urbanisme et de l'environnement (CAUE), peut-être cela permettra-t-il de faire émerger une compétence pour intervenir et conseiller sur l'ensemble du territoire.

Mme Emmanuelle Didier. - L'objectif ne consiste pas à créer un territoire à deux vitesses, mais l'existence des CAUE doit être défendue. Dans un rapport, le sénateur Yves Dauge plaide par ailleurs pour la création d'un corps comme celui des architectes urbanistes de l'État, mais à l'échelle des intercommunalités, qui ne serait pas soumis aux pressions locales et aux groupes d'influence.

M. Fabien Sénéchal. - L'ANABF milite depuis très longtemps pour l'identification et pour une meilleure visibilité des architectes au sein de la fonction publique territoriale. Nous militons pour l'élargissement de notre corps aux collectivités territoriales afin que les élus puissent utiliser ces fonctions, ces métiers et ces compétences qui sont les nôtres.

Mme Monique de Marco. - Au-delà du photovoltaïque, avez-vous une approche par rapport à l'éolien et en ce qui concerne les lignes à haute tension ? En effet, elle diffère selon les interlocuteurs quant à l'intégration du photovoltaïque. En cas de difficulté ou de conflit d'approche, existe-t-il un recours ?

Mme Sonia de La Provôté. - Ne pensez-vous pas que les ABF devraient systématiquement être consultés dans le cadre de l'élaboration des PLU afin que la question patrimoniale et paysagère soit envisagée au sein du projet d'aménagement et de développement durables (PADD) ?

Par ailleurs, de nombreux élus demandent une assistance à maîtrise d'ouvrage de la part des ABF, car il s'agit d'un réel besoin, notamment parce que les questions patrimoniales entrainent des complexités financières et techniques en matière de travaux. Combien de personnes supplémentaires vous faudrait-il dans vos services pour pouvoir retrouver cette fonction ?

M. Laurent Lafon. - Merci pour vos réponses précises et éclairantes. Pourriez-vous nous dire combien vous étiez il y a vingt ans par rapport à aujourd'hui ? S'agissant de l'attractivité de vos métiers, nous entendons qu'il existe des difficultés de recrutement et que les candidats au concours sont moins nombreux. Le confirmez-vous et que faudrait-il faire pour rendre vos métiers plus attractifs ?

M. Fabien Sénéchal. - Sur la question des énergies renouvelables, le recours existe. L'ABF émet un avis après discussion dans le respect d'un certain cadre : un guide sur le photovoltaïque, un prochain guide sur le DPE, un guide sur la prise en compte du patrimoine par les conseillers de MaPrimeRénov', un guide pour l'élargissement des critères de prise en compte de l'Agence nationale de l'habitat et un guide sur l'amélioration des performances énergétiques sur le bâti ancien. Il s'agit surtout de faire comprendre que lorsque l'ABF émet un avis, il le fait dans un cadre global construit, même s'il n'est pas exprimé par une règle. Il existe en outre un recours, avec la possibilité pour un demandeur ou un maire d'écrire un e-mail ou un courrier simple au préfet de la région afin de lancer une procédure. Il est par ailleurs possible de faire appel au médiateur. Ces systèmes fonctionnent, mais ils sont chronophages. Il est donc préférable de ne pas rater la première marche de la concertation et de la conciliation.

Mme Emmanuelle Didier. - En ce qui concerne l'éolien et les lignes à haute tension, il s'agit souvent de dossiers d'infrastructures très importants que nous ne pouvons pas rater en amont. Ces dossiers sont généralement abordés en consultation préalable entre les différents services de l'État et nécessitent souvent la consultation de la commission départementale de la nature, des sites et des paysages sous l'égide des préfets, au sein de laquelle l'avis des ABF est consultatif.

M. Fabien Sénéchal. - En ce qui concerne le PLU et le PADD, le « porter à connaissance » auprès des collectivités est exercé par le préfet qui intègre dans l'avis des services de l'État les contributions proposées par les ABF. Les PLU sont des documents très difficiles à construire et les bureaux d'étude qui construisent ces documents ont de nombreuses compétences, mais généralement pas les nôtres.

Mme Emmanuelle Didier. - Ce travail doit être élaboré avec les DDT qui sont en prise avec les communes pour les accompagner dans l'élaboration de leur document d'urbanisme.

M. Fabien Sénéchal. - La question de l'assistance à maîtrise d'ouvrage (AMO) constitue un sujet expérimental en Bretagne depuis 2009-2010. Il serait intéressant d'en tirer les conclusions, mais je pense qu'aucun élu breton n'abandonnerait les missions que nous faisons pour eux. Nous nous apercevons que le temps que nous « perdons » à exercer ces missions, nous le regagnons ensuite de manière informelle.

Les problèmes d'attractivité et de recrutement sont réels, mais cela n'est pas très étonnant au vu du contexte et des conditions dans lesquels les ABF exercent leurs missions. Il faudrait améliorer les conditions de travail dans les services et s'intéresser aux questions de rémunération qui ne sont pas neutres. Nous devons par ailleurs de notre côté travailler avec les écoles d'architecture.

Quant au personnel qu'il faudrait en supplément, l'ANABF a sondé ses adhérents et il est apparu que le besoin était estimé à 1 ou 1,5 ETP supplémentaire par UDAP.

M. Vincent Éblé. - J'ai cru comprendre qu'il existait une concurrence entre certains ingénieurs de l'État ou architectes qui étaient mieux payés dans certains ministères et que cette concurrence n'était pas au bénéfice du ministère de la culture.

M. Fabien Sénéchal. - Exactement et ce qui vaut pour les architectes urbanistes de l'État vaut également pour les techniciens, les ingénieurs et tous les corps techniques.

Mme Emmanuelle Didier. - L'attractivité du métier d'ABF a trait à ces questions de rémunération, au fait que les concours de la fonction publique sont en déshérence et à l'image délétère de l'ABF et de ses services. L'une des premières actions qui seront déclinées par le ministère dans le cadre de son plan d'action consistera justement à valoriser l'action des ABF à travers les illustrations que nous avons tenté d'expliquer aujourd'hui.

M. Fabien Sénéchal. - Nous avons vraiment besoin des élus sur cette question de l'image des ABF.

Mme Marie-Pierre Monier, présidente. - Nous avons un oeil globalement bienveillant sur les ABF de manière transpartisane. Je vous remercie infiniment.

Cette audition a fait l'objet d'une captation vidéo qui est disponible en ligne sur le site du Sénat.

Audition de M. François de Mazières, maire de Versailles

Mme Marie-Pierre Monier, présidente. - Notre mission d'information est consacrée aux architectes des bâtiments de France. Elle résulte d'une initiative du groupe Les Indépendants - République et Territoires du Sénat, qui a confié le rôle de rapporteur à Pierre-Jean Verzelen. Nous sommes très honorés de vous accueillir, monsieur le maire de Versailles. Quand nous parlons de patrimoine, la première chose à laquelle nous pensons en France, c'est Versailles. Votre commune constitue l'un des fleurons de la beauté de notre paysage et votre témoignage sera donc vraiment important. Certes, Versailles n'est pas qu'un musée à ciel ouvert et vous avez 85 000 habitants qui ont besoin de services publics et qui peuvent vouloir mener des travaux sur les façades de leurs biens immobiliers. Plusieurs membres de la mission ont ainsi souhaité vous entendre en qualité en quelque sorte de « grand témoin », car nous imaginons bien que vos relations avec les ABF doivent être très nombreuses, tant je vois peu de perspectives qui, dans Versailles, ne sont pas en prise directe avec un monument historique. Je vous propose de prendre la parole pour un propos liminaire d'une dizaine de minutes pour évoquer vos expériences et vos difficultés éventuelles. Je passerai ensuite la parole au rapporteur et à mes collègues.

M. François de Mazières, maire de Versailles. - Merci pour votre accueil. Effectivement, la ville de Versailles constitue un cadre très particulier, car elle bénéficie d'une protection unique, dénommée la protection du « trou de serrure », instituée par un décret de 1964. J'étais député au moment où la loi LCAP était examinée, loi qui faisait disparaître cette protection. J'avais alors présenté un amendement pour que cette protection demeure. Ce faisant, nous constituons un cas unique en France, car nous bénéficions d'une protection extrêmement forte de 5 000 mètres et non pas de 500 mètres, autour du château de Versailles, et même de 6 000 mètres dans le prolongement du grand canal. Nous constituons un cas spécifique, également car l'avis conforme ABF doit être donné sur quasiment l'ensemble des actes qui nous sont soumis au titre de l'urbanisme.

Ce cas d'école m'amène à faire des parallèles avec ce que j'ai pu connaître dans différentes fonctions antérieures, que ce soit lorsque j'ai dirigé la Fondation du patrimoine ou lorsque j'ai présidé la Cité de l'architecture et du patrimoine. La Cité de l'architecture et du patrimoine est d'ailleurs la seule institution que je connaisse qui est aussi intéressée par l'architecture contemporaine que par le patrimoine. Or, il s'agit au fond du grand enjeu : comment préserver une beauté patrimoniale tout en permettant la création architecturale de qualité. J'ai toujours défendu les ABF dans diverses tribunes que j'ai faites. Je l'ai également fait en tant que député avec Patrick Bloche, même si nous n'étions pas du même bord politique. Nous nous sommes en effet très bien entendus pour défendre les ABF, car si ces derniers n'existaient pas, ce serait pire. Nous en connaissons les limites, certains ABF posant difficulté ou étant parfois excessifs, car il s'agit de jugements humains, mais s'ils n'existaient pas, ce serait catastrophique. La ville de Versailles est préservée aujourd'hui grâce aux ABF. En tant qu'élus, lorsque nous sommes en outre parlementaires, nous sommes très sollicités sur le thème des ABF, en ce qu'ils seraient catastrophiques et empêcheraient de vivre et d'agir. Or, si les ABF n'existaient pas, la France serait plus laide que ce qu'elle est aujourd'hui.

J'ai lu les premières auditions de votre mission que j'ai trouvées extrêmement intéressantes. Je reprendrais la logique développée par Albéric de Montgolfier que je trouve très juste. Il commence par dire qu'il est impossible pour les ABF de bien faire leur travail. Je pense que nous sommes à peu près tous d'accord sur le fait que 189 ABF, ce n'est pas suffisant. Les ABF sont absolument débordés aujourd'hui. Ils ne mènent en outre pas uniquement des missions de contrôle, mais il leur est demandé d'être auprès du préfet pour le conseiller. Dans le département des Yvelines, le préfet s'appuie considérablement sur l'ABF, ce qui lui prend beaucoup de temps. Pour ma part, je suis maire depuis seize ans et j'ai la chance d'avoir deux ABF avec lesquels j'ai toujours très bien travaillé. Nous ne sommes pas toujours d'accord, mais nous avons un dialogue. Au fond, il faudrait cette capacité de dialogue entre les maires, les élus et les ABF dans tous les départements de France, ce qui permettrait d'avoir un système efficace. En effet, de nombreux maires n'ont aucune formation, voire aucune sensibilité en la matière. Il est donc facile de condamner les ABF, mais il faudrait aussi regarder quelle est la sensibilité des maires. Les villes préservées sont le fait d'équipes municipales et de maires qui ont été sensibles à la question. Les ABF ont joué un rôle majeur dans l'Histoire, notamment dans les années 1950 et 1960, quand des quartiers de centre-ville, qui seraient aujourd'hui des lieux touristiques comme le quartier du Marais à Paris, ont été détruits. À côté du château de Versailles se trouvait la Petite Place, qui a été détruite, mais quelques années plus tard, les ABF, appuyés par des associations, ont pu préserver les Carrés Saint-Louis, un autre endroit qui allait être rasé. La logique définie par Albéric de Montgolfier dans sa réponse me paraît ainsi très juste. Quoi qu'il puisse être reproché aux ABF, heureusement qu'ils existent et qu'il est possible d'avoir un dialogue constructif avec eux. J'ai personnellement un dialogue nourri avec l'ABF actuel, tout comme avec son précédent. Certes, je suis le maire d'une ville historique à laquelle les ABF font particulièrement confiance, mais cela provient également peut-être du fait qu'ils voient que je leur fais confiance et que je suis ouvert au dialogue. Il faut faire en sorte de préserver ce dialogue dans le maximum de départements de France.

À la question du nombre insuffisant d'ABF, la première réponse devrait être de chercher à augmenter le nombre d'ABF. Or, la réponse apportée vise plutôt à les alléger. Certes, il faut les alléger, mais à qui transmettre la charge ? Il faut une formation. Au sein de la Cité de l'architecture et du patrimoine dont j'ai été président, il existe trois départements, dont l'École de Chaillot, qui ne forme pas suffisamment de personnes. La façon de penser l'urbanisme et la ville a radicalement changé et la préoccupation première porte désormais sur l'environnement et le réchauffement climatique. Il s'agit en effet de préserver l'existant avant de le détruire et de le reconstruire. Avec cette logique, le « logiciel » devient plus favorable aux ABF : il s'agit de préserver l'existant pour le transformer. Tous les architectes de France s'inscrivent aujourd'hui dans cette logique, ce qui n'était pas le cas il y a quinze ans. Votre réflexion doit donc aussi intégrer ce changement de vision de l'urbanisme. Il faut commencer par réfléchir sur l'existant avant de vouloir le raser et le détruire. Pour cela, il faut des spécialistes de l'ancien, du patrimoine. L'École de Chaillot est aujourd'hui une petite école avec peu de recrues, tandis que dans les écoles d'architecture, la sensibilisation au patrimoine est extrêmement faible. Il existe donc un vrai sujet de formation et de nombre, avant de réfléchir à la manière d'alléger le travail des ABF, d'autant que, comme le dit Albéric de Montgolfier, il faut de plus en plus utiliser leur capacité de conseil de maîtrise d'ouvrage. La maîtrise d'ouvrage en France est en effet totalement insuffisante. En ce qui concerne l'allègement de la charge de travail des ABF, il est proposé la création de périmètres délimités des abords (PDA). Cette solution serait effectivement intéressante, bien que complexe à mettre en oeuvre. Il n'existe pas de règle générale possible en matière de patrimoine, car chaque territoire est différent. Il faut pouvoir favoriser les échanges entre le maire et l'ABF afin de déterminer les endroits de la ville sur lesquels il faut concentrer les efforts. Il faut garder un cadre qui crée des contraintes pour éviter les dérives, mais qui soit susceptible d'être adapté pour ne pas être trop lourd en termes de fonctionnement.

M. Pierre-Jean Verzelen, rapporteur. - Vous avez une expérience professionnelle et d'élu qui est à la fois très particulière et formidable dans une ville qui ne ressemble à aucune autre et avec un patrimoine qui ne ressemble à aucun autre. Notre expérience de l'ABF est liée au territoire dont nous venons et au mandat que nous avons exercé. Vous avez une relation plus fluide avec l'ABF que ne l'aurait un maire d'une commune de 200 habitants qui n'a jamais vu un ABF de sa vie. Néanmoins, je ne doute pas que vous avez été confronté à un certain nombre de difficultés, non pas en ce qui concerne le patrimoine classé, mais plutôt concernant des projets portés par des foyers qui n'ont pas nécessairement les moyens, dans des endroits où il n'existe pas de lien direct avec le bâtiment. Avez-vous été confronté à ce genre de situations et, vous qui avez des relations fluides avec les ABF, avez-vous réussi à trouver des solutions avec les foyers et les ABF ?

Par ailleurs, je voulais vous poser la question du « zéro artificialisation nette » (ZAN) par rapport à l'extension des villes. Il nous est en effet expliqué que nous manquons de logements et qu'il va falloir en construire, sachant que la doctrine, pendant longtemps, a consisté à arrêter de faire « monter » les villes et à plutôt les étendre. Or, tout cela sera remis en question avec le ZAN. Pour construire ces habitations, il faudra peut-être assumer le fait de revenir aux principes de « ville haute ».

M. François de Mazières. - J'ai bien entendu été confronté à ces situations. Il m'est arrivé d'être en opposition avec l'ABF, parce que la ville de Versailles, malgré sa protection très particulière, est comme toutes les villes, avec quatre quartiers totalement sociaux, des quartiers pavillonnaires, etc. La plus forte confrontation avec l'ABF se trouve dans les quartiers pavillonnaires, notamment en ce qui concerne les fenêtres en PVC, les couleurs des fenêtres, les panneaux photovoltaïques, etc. Je me dis parfois que les ABF permettent de limiter le « massacre » esthétique, mais d'autre fois, cela va un peu trop loin. Il faudrait un peu plus de règles nationales, mais qui ne soient pas trop impératives, car l'architecture est nécessairement un peu locale. Il ne faut jamais oublier cette question de l'esthétique urbaine, car je trouve que l'esthétique est actuellement beaucoup dégradée, alors que l'architecture constitue la première sensibilisation artistique et culturelle offerte à tous gratuitement. Être moins strict en ce qui concerne ce qui ne se voit pas de la rue, cela peut tout à fait s'entendre, mais parfois, les ABF l'entendent difficilement. Être un peu plus exigeant par rapport à ce qui peut être vu depuis la rue est en revanche une bonne chose. Cela se retrouve dans les principes de la Fondation du patrimoine qui permet de bénéficier d'un avantage fiscal pour les travaux qui se voient.

En présence d'un ABF un peu excessif, une procédure de recours existe et permet de faire appel à un médiateur. À Versailles, quand je ne suis pas d'accord avec l'ABF, nous discutons et nous trouvons des compromis. Quand un projet architectural a été étudié avec un ABF, il est d'ailleurs généralement meilleur.

Mme Anne-Catherine Loisier. - Merci, monsieur le maire, pour votre témoignage éclairé. Nous partageons le rôle essentiel des ABF dans la préservation de la qualité et de la beauté de nos patrimoines et nous sommes nombreux à avoir eu des périodes durant lesquelles nous avons pu travailler avec un ABF compréhensif et d'autres périodes durant lesquelles l'ABF était beaucoup moins ouvert à la discussion. Nous ne pouvons pas non plus nous satisfaire de cette situation et mettre tout un territoire et des projets de collectivités ou d'entreprises à la seule merci de la bonne volonté d'un acteur. Je pense que le recours qui existe est très lourd et n'apporte pas les solutions, le conseil et la compréhension. Envisageriez-vous une autre procédure ? Certains maires avaient suggéré que le préfet puisse intervenir, afin de ne pas se retrouver dans une situation de blocage, surtout en ce moment, avec tous les dispositifs existants (ZAN, reconstruire la ville sur la ville, etc.) et les enjeux actuels (DPE, isolation, panneaux photovoltaïques, etc.) qui nécessitent des échanges. Comment appréhendez-vous ces sujets pratiques ?

M. François de Mazières. - Cela pose la question du fonctionnement de la politique patrimoniale du ministère de la culture. Il faudrait avoir des possibilités de commissions de recours, car je ne suis pas certain que faire uniquement appel au préfet constitue la bonne solution. L'idéal serait d'avoir un système de commission d'appel avec un fonctionnement institutionnalisé et comprenant des acteurs qualifiés ayant une certaine sensibilité. Il s'agit en effet d'un sujet touchant aux questions de sensibilité et de formation, y compris des élus. Quand j'étais à la Cité de l'architecture et du patrimoine, j'avais essayé de créer des formations auprès des élus, car les personnes qui s'occupent de l'urbanisme sont pour certaines totalement démunies. Cette solution de commission serait plus visible que la solution actuelle de médiation et permettrait de rassurer beaucoup de monde.

La loi instituant les DPE a semé un vent de panique dans le patrimoine. Pour appliquer cette loi correctement, il faudrait des experts sur le patrimoine, car il présente un intérêt par rapport au réchauffement climatique. Les maisons anciennes sont naturellement plus adaptées à maintenir de la fraîcheur durant l'été. Or, il est appliqué à ces maisons des normes applicables aux bâtiments contemporains, ce qui n'a aucun sens. Cela conduit à interdire aujourd'hui la location de certains logements classés G ou F parce qu'ils sont anciens, alors qu'ils sont parfaits en été. Certes, ils ne sont pas idéaux en hiver, mais en tenant compte des inconvénients et des avantages été comme hiver, ces logements ne sont pas mieux ni moins bien qu'un bâtiment construit très récemment avec des murs très fins dans lequel il fait très chaud l'été, ce qui nécessite d'activer la climatisation. Il faut donc avoir une logique de finesse par rapport à ces DPE. De même pour le ZAN, il faut certes éviter l'étalement urbain, sans pour autant être doctrinaire en bloquant des projets de manière systématique. Le ZAN permet cependant de réfléchir différemment, notamment sur les friches. Je crois que nous avons maintenant dans toutes nos villes et dans tous nos villages des friches en quantité et la priorité doit porter sur la revalorisation des friches. Il faut également s'interroger sur la « bonne hauteur » des constructions. Une construction trop haute n'est pas idéale en termes environnementaux, car il faut généralement doubler les matériaux pour des raisons de sécurité. La hauteur de l'arbre constitue un critère intéressant et il faudrait pousser ce genre de réflexion pour arriver à un juste propos à ce sujet.

Mme Sabine Drexler. - Notre commission travaille sur la question du DPE. Nous avons rencontré les deux dernières ministres de la culture et le ministre de la transition énergétique et fait un certain nombre de préconisations que nous suivons régulièrement. Les choses avancent petit à petit et les ministères travaillent ensemble sur ces sujets, mais nous ne sommes pas certains que nous parviendrons à trouver des avancées sur le DPE. Il faut absolument continuer à travailler ensemble sur ce sujet afin de créer un DPE patrimonial.

Pensez-vous que l'État accompagne suffisamment les particuliers qui veulent réaliser des travaux vertueux de rénovation énergétique (aides financières, dispositions fiscales), sachant que nous réfléchissons à l'extension du label de la Fondation du patrimoine aux travaux d'isolation intérieure ? J'aimerais également avoir votre avis sur la question des normes pour tous les matériaux biosourcés et géosourcés qui devraient davantage pouvoir être utilisés, mais qui ne sont pas reconnus comme ils le devraient.

M. François de Mazières. - Merci pour le travail que vous faites. J'ai bien conscience que la réflexion des ministres progresse. Je copréside avec mon collègue de Clermont-Ferrand la commission culture l'Association des maires de grandes villes de France et, à l'occasion d'une rencontre avec la ministre actuelle, nous avons senti une certaine sensibilité sur le sujet. Le DPE patrimonial n'existe cependant pas encore. Nous revenons à la question de la formation professionnelle (il existe peu d'ABF et d'architectes du patrimoine) et à celle de la transformation de la pensée urbaine avec le souci de l'existant qui n'existait pas chez les architectes auparavant.

En ce qui concerne les matériaux biosourcés, vous avez tout à fait raison, d'autant que les architectes sont très intéressés eux-mêmes par cela, y compris les architectes contemporains. Ce qui me frappe, dans l'architecture contemporaine, c'est qu'un bâtiment va bénéficier d'une perception positive en fonction des matériaux avec lesquels il a été construit. Je crois beaucoup à cette importance des matériaux extérieurs. Cette révolution que nous sommes en train de vivre a un côté très positif, car elle revalorise la pierre et les matériaux naturels, contrairement au béton. La brique est un matériau extraordinaire, car il est à la fois ancestral et très moderne. Cependant, la brique n'est pas très bien notée dans les critères d'appréciation.

Sur la question des normes, les coûts de construction des logements explosent pour des normes parfois un peu excessives. J'ai notamment vécu l'obligation de construire des salles de bain accessibles aux personnes à mobilité réduite (PMR) dans tous les logements étudiants d'une résidence, ce qui n'avait pas de sens et coûtait très cher, laissant moins de budget pour la qualité du bâtiment. Il faut donc être prudent avec les normes, car à force de les accumuler, le risque est de bloquer la construction.

M. Laurent Lafon. - Comment faire pour introduire dans la définition des politiques nationales (notamment celles qui touchent au logement ou à l'environnement) la politique patrimoniale, plutôt que de laisser au niveau local les arbitrages, souvent par l'ABF, de problèmes qui n'ont pas été abordés en amont ? L'exemple du DPE patrimonial est très illustratif de ce sujet, car nous nous nous sommes aperçus que nous n'avions pas intégré le patrimoine dans la question de la transition énergétique et de la mise en place du DPE. Comment faire pour intégrer une dimension patrimoniale plus marquée au niveau des politiques publiques, notamment dans le domaine du logement et de l'environnement ?

M. François de Mazières. - Ces domaines sont de la responsabilité des ministères qui préparent les textes et ensuite de celle des parlementaires qui vont être amenés à discuter les textes présentés par les ministères. Le ministère qui protège le patrimoine est celui de la Culture et il faut qu'il soit suffisamment staffé pour que la question patrimoniale soit intégrée. Il existe aujourd'hui trois grandes directions au sein du ministère de la culture, alors que pendant plusieurs décennies, il existait plusieurs directions plus spécialisées. Or, la direction du patrimoine est peut-être aujourd'hui tellement vaste qu'elle a perdu une capacité d'expertise pour aller jusqu'au fond de certains sujets, même si elle reste une référence par rapport à d'autres pays. Au-delà de cette capacité d'expertise approfondie, l'arbitrage interministériel est également important. Or, je pense qu'une pression vers l'environnement a dû s'exercer. Un rôle majeur de direction doit être exercé dans ce domaine au niveau national, sans quoi la politique patrimoniale ne pourra pas être conduite.

Mme Marie-Pierre Monier, présidente. - Lorsque des administrés souhaitent rénover thermiquement leur maison et qu'ils doivent suivre l'avis de l'ABF, les accompagnez-vous ? Leur apportez-vous des conseils ? Faites-vous l'intermédiaire ?

M. François de Mazières. - Je passe effectivement beaucoup de temps sur ces sujets. J'organise une réunion par semaine avec mes services d'urbanisme et ils me montrent tous les projets qui ont une certaine forme d'importance. Je crois qu'il est important d'y passer du temps quand le maire le peut. Je décroche souvent mon téléphone et je vois les gens si nécessaire, avec mon adjointe avec laquelle nous nous répartissons les sujets selon leur importance. Quand les maires s'investissent, ils bénéficient d'une arme massive qu'est le PLU.

Mme Marie-Pierre Monier, présidente. - Vous avez insisté sur la qualité des matériaux. Existe-t-il de plus en plus d'entreprises et d'entrepreneurs capables d'apporter cette qualité architecturale tout en respectant le bâti ancien ?

M. François de Mazières. - Oui, il existe des associations très impliquées dans la défense du patrimoine. Quand je dirigeais la Fondation du patrimoine, j'avais proposé la création d'un lien entre toutes les associations et j'ai compris que la richesse de toutes ces associations qui maillent le territoire et qui peuvent conseiller sur les matériaux selon les identités des territoires.

Cette audition a fait l'objet d'une captation vidéo qui est disponible en ligne sur le site du Sénat.

Audition de représentants de la Fédération française du bâtiment (FFB) et de la Confédération de l'artisanat et des petites entreprises du bâtiment (Capeb)

Mme Marie-Pierre Monier, présidente. - Nous poursuivons les travaux de notre mission d'information consacrée au périmètre d'intervention et aux compétences des architectes des bâtiments de France avec une table ronde de représentants de la Fédération française du bâtiment (FFB) et de la Confédération de l'artisanat et des petites entreprises du bâtiment (Capeb). Acteur majeur de la filière du BTP, la FFB représente plus de 50 000 entreprises du bâtiment, dont 35 000 de taille artisanale. Toutes ces entreprises réalisent les deux tiers de la production annuelle du secteur et emploient les deux tiers des salariés travaillant dans le bâtiment. Quant à la Capeb, il s'agit d'un syndicat patronal de l'artisanat du bâtiment proposant aux entreprises artisanales du bâtiment de l'information, des conseils, des services ainsi que des outils de gestion. Elle assure également la promotion des métiers du bâtiment.

Nous avons le plaisir d'accueillir, pour la FFB, M. Thomas George, coprésident du Groupement des entreprises de restauration des monuments historiques (GMH), Mme Marion Rogar, secrétaire générale du GMH, M. Stéphane Chenuet, chef du service urbanisme de la FFB et Mme Léa Lignières, chargée d'études, et pour la Capeb, M. Éric Le Devéhat, artisan tailleur de pierre en Ille-et-Vilaine, en charge du dossier du patrimoine et administrateur national Capeb, M. Thibaut Bousquet, responsable des relations institutionnelles et Mme Florence Cannesson, chargée de mission à la direction économique. Je vous remercie d'avoir pu vous rendre disponibles pour cette audition qui nous fournira à n'en pas douter des observations et des remarques, ainsi que des éléments techniques essentiels à une meilleure compréhension des contraintes pesant sur les ABF dans le cadre de leurs missions de conservation et de contrôle.

Pour rappel, l'ABF s'assure du respect des normes imposées aux travaux pour éviter toute atteinte aux monuments historiques dans le périmètre des abords des monuments historiques ou dans les sites patrimoniaux remarquables, du respect de l'intérêt public attaché au patrimoine, à l'architecture, au paysage naturel ou urbain, à la qualité des constructions et à leur insertion harmonieuse dans le milieu environnant et du respect des règles du plan de sauvegarde et de mise en valeur ou du plan de valorisation de l'architecture et du patrimoine. Nous avons eu plusieurs auditions sur le sujet et elles ont souligné la complexité des missions des ABF. Leurs interventions sont régies par au moins 71 dispositions législatives et règlementaires réparties dans 6 codes différents. Vos témoignages nous permettront de mieux cerner les difficultés ainsi que ce qui peut se poser comme controverses issues de certains de leurs avis qui ne sont pas toujours compris par les élus de terrain.

Je propose d'ouvrir nos échanges. Vous allez commencer par un propos liminaire d'une dizaine de minutes par organisation, puis le rapporteur interviendra.

M. Thomas George, coprésident du Groupement des entreprises de restauration des monuments historiques (GMH). - Le GMH est le Groupement des entreprises de restauration des monuments historiques et regroupe au sein de la FFB toutes les entreprises ayant une qualification particulière pour travailler sur les monuments historiques. Le GMH représente 250 entreprises, soit environ 10 000 salariés et 1 000 apprentis.

Le rôle de l'ABF est prépondérant pour nous. Généralement, les entreprises interviennent sur des projets déjà montés par des collectivités locales ou par des porteurs de projets et une consultation est faite sur la base d'un programme qui a normalement déjà été validé par un ABF. Nous n'avons donc pas nécessairement de lien direct avec les ABF dans la majorité des cas, à l'exception de certains cas de construction qui regroupent architectes et entreprises dans le cadre d'un programme de restauration immobilière ou de construction neuve, où l'entreprise fait équipe avec les architectes pour monter le projet et échanger avec les ABF afin d'obtenir les autorisations. Les petites entreprises qui travaillent sur le patrimoine ne sont pas en lien direct avec les ABF, sauf dans le cadre de contrôles scientifiques et techniques qui peuvent être réalisés par les ABF sur des travaux de restauration d'églises ou d'édifices classés.

M. Stéphane Chenuet, chef du service urbanisme de la FFB. - Le spectre de la FFB est très large avec notamment des petits promoteurs et constructeurs de maisons individuelles qui montent des opérations et déposent des demandes de permis de construire et sont donc en lien avec les ABF, mais également des entreprises de rénovation énergétique qui sont contraintes par les prescriptions que peuvent émettre les ABF sur la possibilité ou non d'intégrer des panneaux photovoltaïques par exemple. Les règlementations des dernières années font de la performance énergétique un objectif majeur qui peut cependant se heurter à d'autres objectifs dans la pratique tels que la protection du patrimoine. Cela peut engendrer des difficultés en termes de coûts et de faisabilité technique et je pense que la rencontre de ce jour a pour objectif de discuter avec vous pour voir comment concilier la question de la protection du patrimoine et ces travaux obligatoires visant à améliorer la performance énergétique des bâtiments.

M. Thomas George. - Au sein même de la FFB, au-delà des entreprises qui sont plutôt orientées sur des programmes de construction neuve, il existe des entreprises spécialisées dans les monuments historiques avec des visions différentes et des sensibilités différentes. Ce volet spécifique patrimoine de la FFB permet d'avoir des avis différents avec des personnalités n'ayant pas nécessairement les mêmes critères, besoins et perspectives, afin de trouver des compromis sur l'évolution des normes et des lois. Il s'agit à la fois d'intégrer les nouvelles normes (thermiques, etc.) tout en trouvant des solutions permettant de respecter l'authenticité des monuments sans les dénaturer.

M. Éric Le Devéhat, artisan tailleur de pierre en Ille-et-Vilaine, en charge du dossier du patrimoine et administrateur national Capeb. - Merci de nous avoir invités à vos travaux. La Capeb, différemment de la FFB, rassemble des petites entreprises employant en moyenne trois salariés. Notre structuration et notre rayonnement correspondent assez bien aux UDAP, car nous travaillons sur notre département ou sur deux à trois départements. Nous avons donc une forte proximité avec les ABF, pour cette raison géographique et parce que nous travaillons souvent en direct avec les maîtres d'ouvrage, les propriétaires de maison qui sont soumis à l'avis conforme des ABF ou qui se trouvent dans du bâti ancien. La Capeb rassemble 62 000 entreprises qui représentent les 620 000 entreprises artisanales du bâtiment (97 % du secteur). Cela représente 25 % du marché et nous sommes fortement orientés sur le marché plus global de la rénovation (pas uniquement les sites protégés). 32 % des entreprises de petite taille réalisent 25 % de leur chiffre d'affaires sur les chantiers du patrimoine. Les entreprises réalisent environ six chantiers à caractère patrimonial par an et les sondages disent que l'activité est stable à 43 %. Il s'agit donc d'une part de marché qui nous intéresse.

Nous avons deux profils d'artisans intéressés par le patrimoine, à savoir ceux qui sont spécialisés, qui ont une connaissance et qui travaillent dans le réseau des travaux du patrimoine d'une part et des entreprises plus généralistes d'autre part. Lorsque l'artisan est confronté à des travaux spécifiques, la Capeb a pour rôle de l'aider et met en oeuvre une démarche pour acculturer ces entreprises. Même quand ces entreprises ne sont pas totalement acculturées au patrimoine, elles ont au moins une connaissance de leur territoire, de leur bâti, des matériaux existants, voire des modes constructifs auxquels elles sont confrontées. La Capeb présente par ailleurs la particularité d'avoir une définition du patrimoine non attachée à la date fatidique de 1948, ce qui nous permet de rencontrer les ABF sur d'autres types de projets. Comme nous les connaissons bien, nous estimons que la préservation du patrimoine n'appartient pas aux ABF, mais qu'elle est partagée par tous dans le cadre des projets de travaux ou du simple fait d'être propriétaire.

S'agissant du périmètre des 500 mètres, des solutions sont aujourd'hui proposées sur les PDA ou les SPR. Il est plus facile de faire passer les messages sur les zones directement concernées par le patrimoine qu'en englobant tout un secteur géographique par un diamètre qui peut recouvrir de l'habitat ne se sentant pas concerné par le bâtiment classé, voire étant en non-visibilité. J'ai entendu dans vos premiers échanges que des pistes sont explorées à cet égard et cela nous intéresse.

M. Stéphane Chenuet. - Nous partageons totalement cette idée que nous avions défendue dans le cadre de la loi architecture et patrimoine en 2016. Il s'agissait de mettre en place des périmètres adaptés plutôt que d'imposer des périmètres rigides de 500 mètres qui n'ont pas toujours du sens. À l'inverse, la possibilité d'avoir des périmètres adaptés qui sont à la main des acteurs locaux et des ABF a beaucoup de sens et il nous semble que l'idée de prescrire aux préfets d'engager ces procédures d'adaptation serait pertinente.

M. Pierre-Jean Verzelen, rapporteur. - Quel type de qualifications faut-il obtenir pour être référencé et pour pouvoir travailler sur les monuments historiques et comment les obtient-on ? Suffit-il de déposer un dossier ou de faire valider une expérience ?

Parvenez-vous à compiler les remontées de différentes communes ou de particuliers sur les projets qui ne sont pas réalisés en raison de trop fortes contraintes ?

Observez-vous à l'échelle nationale, par département et par territoire, des positions de l'ABF ou des UDAP qui sont divergentes, voire fortement divergentes ? Le cas échéant, pourriez-vous les décrire ?

M. Thomas George. - En ce qui concerne le système de qualification des entreprises, cela dépend des corps des métiers. La majorité des corps de métier oeuvrant sur les monuments historiques ont une qualification portée par Qualibat, un organisme de certification pour les normes RGE notamment. Pour obtenir la qualification « monuments historiques », qui constitue le plus haut niveau de qualification, les entreprises doivent déposer un dossier et démontrer qu'elles maîtrisent les différentes techniques qui sont requises par des exemples qu'elles réalisent sur des chantiers. Les entreprises sont analysées par une commission nationale ayant lieu à Paris, avec un jury composé de trois collèges (un collège entreprises, un collège architectes maîtres d'oeuvres et un collège maîtres d'ouvrage). L'analyse des entreprises est très détaillée et porte non seulement sur la maîtrise des techniques, mais également sur les assurances, la sinistralité, les équipements, le plan de formation, etc. Quand une entreprise obtient cette certification, qui est quadriennale, elle peut répondre aux appels d'offres sans devoir démontrer ses capacités systématiquement. Malheureusement, tous les métiers ne sont pas représentés au sein de la commission Qualibat et certains métiers doivent donc, pour chaque appel d'offres, démontrer leurs capacités, leurs compétences, leur personnel, etc. La qualification est recommandée, mais elle n'est pas obligatoire. Lors d'un appel d'offres, une entreprise n'ayant pas cette qualification peut justifier qu'elle possède les références équivalentes et être quand même sélectionnée.

M. Éric Le Devéhat. - Sur les importants projets de restauration de monuments historiques, nous sommes peu en contact avec les ABF, car les architectes en chef des monuments historiques en assurent la maîtrise d'oeuvre. Ce n'est pas tellement dans le cadre des monuments protégés que nous sommes confrontés aux ABF, mais dans un champ plus large dans lequel la qualification de monument historique est moins nécessaire. Nous n'avons pas le même dialogue avec les ABF dans ces deux types de marchés.

M. Stéphane Chenuet. - De par mes fonctions à la FFB, les problèmes me remontent souvent. Je sais que cela n'est pas nécessairement représentatif de ce qui se passe parfois très bien sur les territoires. Les remontées viennent surtout de promoteurs constructeurs et d'installateurs de panneaux photovoltaïques. J'étais récemment en mission en PACA et plusieurs promoteurs m'ont remonté le fait que dans certains territoires, les prescriptions des ABF ne concernaient pas uniquement des aspects esthétiques ou relatifs aux types de matériaux à utiliser, mais également des gabarits de bâtiments à respecter, ce qui revenait à minimiser les potentiels constructibles prévus par les PLU applicables, rendant l'opération économiquement non viable pour les opérateurs. Sur ce sujet, nous souhaitons une prévisibilité pour les entreprises. Il faut que lorsqu'un porteur de projet regarde la faisabilité d'une opération sur un territoire, il puisse d'ores et déjà anticiper les éventuelles prescriptions qui s'appliquent sur le territoire. Il faut que les ABF soient impliqués le plus en amont possible dans les travaux avec les élus locaux dans la rédaction des PLU, quitte à inclure leurs prescriptions dans les PLU, afin que les promoteurs en aient connaissance dès le lancement de la conception de son projet. Aujourd'hui dans la loi, le dialogue entre le porteur de projet et l'ABF n'est prévu qu'en cas de contentieux, lorsque le porteur de projet veut attaquer un refus émis par un ABF. Or, il n'est pas satisfaisant de constater que la loi n'encadre le dialogue qu'en cas de contentieux.

M. Thomas George. - Je rejoins mon collègue sur le problème de prévisibilité pour les porteurs de projet et sur le fait qu'ils se retrouvent devant le fait accompli quand ils lancent les consultations d'entreprise. Les porteurs de projet montent en effet un projet avec une enveloppe budgétaire définie, mais lorsqu'ils lancent les consultations d'entreprises, ils s'aperçoivent que les entreprises proposent des tarifs bien supérieurs à ce qu'ils ont prévu dans leur budget, en raison des contraintes imposées par l'ABF dans l'utilisation de tel ou tel matériau. Lorsqu'un dialogue s'installe, les porteurs de projet comprennent, mais cette situation intervient souvent au lancement du projet avec les entreprises. Ils ont donc le choix entre faire appel à des entreprises qui vont entrer dans leur enveloppe budgétaire, mais qui ne feront pas les travaux conformément aux demandes de l'ABF, ce qui présente le risque de devoir faire arrêter le chantier, ou faire appel à un architecte du patrimoine pour accompagner le projet et anticiper les problématiques. Il faudrait que les recommandations ABF soient publiques, ce qui représente cependant un travail colossal, car cela dépend de l'époque constructive que l'on veut conserver au sein du quartier en fonction du monument qui est concerné. Sinon, j'incite systématiquement les porteurs de projet à se faire entourer par des sachants comme des architectes du patrimoine, des architectes en chef des monuments historiques (ACMH) ou des bureaux d'étude spécialisés sur les monuments historiques qui connaissent les méthodes et des ABF et anticiperont les exigences d'un ABF lors du dépôt du permis de construire ou de la demande d'autorisation de travaux. Le problème principal a trait aux coûts qu'il faut anticiper en ce qui concerne les projets dans les zones concernées par un bâtiment historique. Sans parler au nom de toutes les entreprises du GMH, je n'ai pas entendu parler de chantier qui se serait annulé faute d'un accord ABF. Ces chantiers peuvent cependant être retardés.

Mme Marie-Pierre Monier, présidente. - Les porteurs de projet qui interviennent sur un secteur protégé doivent bien se douter qu'il existe des contraintes spécifiques.

M. Thomas George. - Nombreux sont ceux qui font la politique de l'autruche en pensant que cela passera.

Mme Marie-Pierre Monier, présidente. - Cela suppose un manque de pédagogie et d'information.

M. Éric Le Devéhat. - Je suis confronté à des situations allant bien au-delà de ce constat. Certains acquéreurs se méprennent parfois sur l'achat d'une maison et l'ajout d'une zone protégée peut constituer une « double peine ». Cela relève aussi de la responsabilité du maître d'ouvrage.

La notion de normes ne me semble pas souhaitable et même contradictoire avec la notion de patrimoine, car un bâti existant peut recouvrir plusieurs époques. Il faut un peu d'agilité, même si l'agilité d'un maître d'oeuvre est souvent liée à son économie. Il faut parler d'approche préalable, mais également de partenariat sur les projets. Nous apportons des solutions techniques qui peuvent rentrer dans une économie acceptable par le maître d'ouvrage tout en étant compatibles avec les contraintes du code du patrimoine et les exigences des ABF. Ces situations existent, avec notamment l'usage de matériaux biosourcés ou géosourcés ou le réemploi. Au sein de la Capeb, nous formons nos artisans par le biais du label CIP Patrimoine afin d'apporter cette approche différente.

En ce qui concerne la divergence de positionnement des ABF, il existe tellement de données pour un seul bâtiment qu'il est compréhensible que les ABF n'aient pas nécessairement une réponse unique. Il serait en outre compliqué d'imaginer qu'il n'existe pas de spécificités territoriales. Il est cependant possible de trouver des solutions adaptées par le biais d'un dialogue, toute la difficulté restant que le maître d'ouvrage puisse trouver un sens à son projet de base.

M. Thomas George. - La conciliation est en effet possible par le biais du dialogue, mais malheureusement, il manque en raison d'un déficit de moyens. La direction des patrimoines est consciente que le rôle de l'ABF est très important et que les sollicitations ont augmenté, mais que les moyens sont restés les mêmes, ce qui explique que les ABF ne peuvent pas faire face. Cela entraîne un manque de dialogue et un manque de sachants dans le domaine du patrimoine. Sans échange, il n'est pas possible d'aboutir à une conciliation.

M. Pierre-Jean Verzelen, rapporteur. - C'est bien tout le sujet. Sur le patrimoine classé appartenant à la commune, il est possible de dialoguer et de trouver les interlocuteurs, mais pour les particuliers, la seule relation avec l'ABF se limite souvent à un courrier de refus. Or, dans les communes dans lesquelles il n'existe pas de service instructeur et qui ne savent pas comment expliquer ce refus de l'ABF, cela entraîne une réelle incompréhension. Certes, il n'est pas possible d'envisager un système unifié au niveau national, mais il faudrait mettre en place des cahiers des charges à l'échelle des départements, des territoires et des intercommunalités afin qu'il soit au moins possible de sensibiliser la personne qui vient en mairie déposer son dossier.

M. Vincent Éblé. - Pour que cette pédagogie fonctionne, notamment à l'égard des maîtres d'ouvrage privés ou publics, le travail d'explication préalable est nécessaire, mais il se fait assez mal ou retombe sur les entreprises qui interviennent dans un second temps. D'autres modalités de circulation de cette pédagogie pourraient être imaginées, pas nécessairement dans le lien individuel, mais dans le cadre de notices ou de cahiers de prescriptions qui donneraient déjà une masse d'informations et dans lesquels les demandeurs pourraient trouver une part d'éclairage.

M. Thomas George. - Il est vrai qu'en ce qui concerne les collectivités et les pouvoirs publics, les maîtres d'ouvrage finissent par obtenir les réponses à leurs interrogations. À l'inverse, la situation des particuliers est plus problématique. Il n'est pas possible de demander à chaque commune d'avoir un sachant pour expliquer aux particuliers les exigences des ABF, mais peut-être serait-il plus pertinent de s'adresser aux intercommunalités qui peuvent disposer de ce type de sachants. Certains départements ont par ailleurs pris l'initiative de mettre en place des matériauthèques afin d'expliquer quels matériaux doivent être utilisés. Souvent, le souci au niveau des particuliers porte sur la faisabilité du projet en termes économiques, par exemple quand ils se voient contraints de faire des économies d'électricité, mais que l'installation de panneaux solaires leur est interdite.

M. Éric Le Devéhat. - Sans nier les difficultés, les choses ont évolué depuis quarante ans que je fais ce métier et il existe aujourd'hui une multiplicité d'acteurs et de ressources. Pourtant, nous nous retrouvons parfois confrontés à des difficultés liées au refus de l'ABF, lequel aurait pu être évité au vu des outils pédagogiques existants.

Mme Sabine Drexler. - Je vous rejoins et j'allais vous demander si le public était suffisamment informé des pratiques vertueuses qui existent. Si tant est que l'on s'y intéresse, on peut s'apercevoir qu'il existe de nombreuses initiatives et innovations. Pourtant, depuis la loi climat et résilience autour de la rénovation énergétique, des abominations en termes de travaux, notamment en termes d'isolation des façades, sont constatées.

Pensez-vous que le public, les particuliers notamment, est suffisamment accompagné par l'État pour prendre en charge les surcoûts liés à des matériaux ou à des pratiques plus vertueuses et respectueuses du bâti ? Pensez-vous que l'État joue son rôle à cet égard ? N'existe-t-il pas par ailleurs un sujet concernant la labellisation des matériaux ?

L'enjeu de transmission des gestes du patrimoine constitue-t-il un sujet ? Vos métiers sont-ils suffisamment valorisés ou une question se pose-t-elle quant au renouvellement des artisans ? Si nous parvenons à convaincre les particuliers de davantage restaurer leur patrimoine, existera-t-il suffisamment d'artisans pour faire les travaux ?

M. Éric Le Devéhat. - Nous pouvons toujours espérer de meilleures aides de l'État. En ce qui concerne les matériaux géosourcés ou biosourcés, nous parvenons à obtenir des produits suffisamment caractérisés pour être utilisés de façon pérenne par tout le monde. En revanche, le DPE n'est pas du tout adapté au bâti ancien. Il semblerait que des travaux soient en cours pour l'adapter au bâti ancien, mais nous ne savons pas où ils en sont.

S'agissant de la transmission du geste, la question s'est posée de savoir si, lorsque la cathédrale Notre-Dame a brûlé, les ressources et compétences existaient. Je pense que la réponse est aujourd'hui évidente, mais certaines personnes étaient plus alarmistes au départ. Le modèle économique des artisans est basé sur le geste et les gens entrent dans le métier par le geste. Nous sommes donc sensibles à tout ce qui peut préserver ce savoir-faire. Ces connaissances pourraient cependant disparaître et cela constituerait une perte pour tous.

M. Thomas George. - En ce qui concerne l'accompagnement des personnes, les problématiques sont tellement différentes d'un territoire à l'autre qu'il faudrait que la population trouve les informations au plus près de son territoire, pas nécessairement au niveau de la commune, mais par exemple au sein de l'intercommunalité. À Saint-Omer par exemple, le maire a décidé de lancer une campagne pour aider les riverains à restaurer leurs façades en centre-ville. Le centre-ville a été classé en tant que périmètre sauvegardé, ce qui offre des avantages fiscaux, et une importante campagne de communication a été portée par le maire et l'intercommunalité à ce sujet. Cette initiative ne peut cependant pas être généralisée, car elle dépend d'une commune, d'un département ou d'une région. Or, en expliquant clairement les coûts que de tels travaux représentent et les avantages fiscaux qu'il est possible d'en retirer, cela pourrait inciter les particuliers à mener ces travaux.

Sur la problématique du réemploi des matériaux, nous avons initié le sujet avec les réassureurs principaux des entreprises de monuments historiques (SMABTP et AXA). Il faut savoir que les entreprises qui ont la qualification pour travailler sur les monuments historiques ont une assurance particulière proposée par AXA et SMABTP et couvrant les travaux de technicité non courante. Il est donc important pour les maîtres d'ouvrage d'en avoir connaissance.

Mme Marie-Pierre Monier, présidente. - Avez-vous des interventions complémentaires ou des faits que vous souhaitez porter à notre connaissance, sachant que vous pourrez nous envoyer des contributions écrites ?

M. Thomas George. - En ce qui concerne l'attractivité des métiers, tout le monde s'est posé la question de savoir si les savoir-faire existaient encore en France pour reconstruire Notre-Dame, ce qui est heureusement le cas. Nous nous battons au quotidien pour maintenir ce savoir-faire. Nous menons notamment des actions sur tous les territoires et nous sommes partenaires de tous les campus universitaires d'excellence qui ont ouvert ces dernières années pour attirer les jeunes vers nos métiers. Nous proposons des démonstrations de métiers, des visites de chantiers, des visites d'ateliers, des villages métiers permettant aux jeunes de tester le geste et, peut-être, d'y prendre goût.

M. Stéphane Chenuet. - Il existe 35 000 entreprises artisanales sur les 50 000 entreprises adhérentes à la FFB.

M. Éric Le Devéhat. - Nous avons réalisé un travail sur la « génération Z » et nous avons constaté un réel intérêt de cette génération que nous avons quand même parfois du mal à comprendre au sein de nos entreprises. Il existe un réel intérêt pour ces sujets et le patrimoine est plutôt porteur sur ces sujets en termes de matériaux et de techniques employées.

Par ailleurs, la mesure des appels d'offres à moins de 100 000 euros, qui constitue une facilité pour les maîtres d'ouvrage publics, n'est pas suffisamment utilisée dans le domaine du patrimoine. Pour les petites communes, il est plus léger de porter un appel d'offres simplifié à moins de 100 000 euros et cela constitue l'occasion de réaliser des travaux d'entretien qui permettraient d'éviter à moyen terme de devoir réaliser des travaux plus lourds et plus coûteux. Or, cette mesure est peu connue.

M. Thomas George. - La plupart des maires qui réalisent des travaux sur leurs bâtiments cherchent des subventions, mais les directions régionales des affaires culturelles (DRAC) ont plutôt tendance à financer d'importants projets. Le Fonds incitatif et participatif (FIP) prévoit des enveloppes budgétaires pour les communes de moins de 10 000 habitants, mais ce dispositif reste peu connu des maires qui ont plutôt tendance à directement contacter les entreprises.

Mme Anne-Catherine Loisier. - Avez-vous eu à gérer des projets qui sont passés devant la commission de recours après l'avis négatif d'un ABF ?

M. Thomas George. - Non, mais nous avons dernièrement répondu à un projet de conception-réalisation pour la restauration d'une banque de France à Lille. Nous avions constitué un groupement avec un gros oeuvre, une entreprise MH sur l'enveloppe (façade et couverture), un architecte du patrimoine et un architecte d'intérieur. Nous avons soumis un projet à l'ABF qui nous a expliqué son refus, ce qui a permis d'engager un dialogue pour modifier le projet. Du fait de ces échanges pour obtenir un accord officiel, les travaux ont finalement démarré six mois plus tard.

M. Éric Le Devéhat. - Je ne sais pas s'il existe une réelle commission de recours. Il me semble que le recours est adressé à l'ABF directement et que l'ABF reste souverain dans sa décision.

M. Stéphane Chenuet. - Il existe différentes possibilités de recours. Si l'ABF émet un refus dans le cadre d'un avis conforme qui lie le maire, ce dernier n'a pas d'autre choix que de refuser l'autorisation d'urbanisme. Deux recours sont dès lors possibles. Dans une première option, le maire lui-même peut engager un recours en sollicitant le préfet de région qui va saisir la commission régionale d'architecture et du patrimoine (CRPA), laquelle examinera si l'avis de l'ABF était pertinent ou s'il faut revenir sur cet avis. Cette commission rend un avis pour le préfet de région qui peut soit décider de valider l'avis que l'ABF avait émis, soit décider de revenir sur cet avis et émettre un avis qui remplace celui de l'ABF. Le cas échéant, le maire peut de nouveau instruire la demande de permis sans que la demande n'ait à être redéposée. Il est cependant très rare que les maires engagent des recours contre les ABF. Dans une seconde option, le pétitionnaire ayant fait l'objet d'un refus de permis se trouve dans l'obligation, s'il veut faire un recours, de saisir le préfet de région par le biais d'un recours administratif préalable obligatoire, afin de lui demander cette même procédure devant la CRPA. Si le préfet de région valide l'avis de l'ABF, le seul autre recours possible pour le pétitionnaire consiste à saisir le tribunal administratif pour un fait de refus de permis engendré par un avis négatif d'ABF. Les délais des tribunaux administratifs sont cependant très longs et difficilement conciliables avec le temps des opérationnels, raison pour laquelle cette procédure est rare. Quant à la procédure de médiation qui est prévue par la loi ELAN, elle n'est possible que dans le cas extrême d'un pétitionnaire qui n'a pas obtenu gain de cause auprès du préfet de région et qui saisit le tribunal administratif, pour demander au président du tribunal administratif de nommer un médiateur. Elle intervient donc lorsque le contentieux est déjà bien avancé. Or, nous souhaiterions pouvoir engager des médiations beaucoup plus rapidement, en amont même des refus de permis.

M. Thomas George. - Parfois, certaines entreprises ont du mal à accepter que leur projet soit refusé, mais cela résulte du fait que ce projet ne correspond pas au code du patrimoine qui est imposé. Apparemment cependant, seuls 7 % des dossiers se voient attribuer un refus catégorique d'ABF et il n'existerait que 0,2 % de recours. Pour les entreprises qui se plaignent de recevoir systématiquement des refus, il faudrait pouvoir leur en expliquer les raisons pour qu'elles changent de méthode.

M. Pierre-Jean Verzelen, rapporteur. - Sur 100 dossiers négatifs, 7 dossiers reçoivent un avis négatif et, après négociation et discussions, seul 0,1 dossier enclenche une procédure de contestation.

M. Stéphane Chenuet. - En ce qui concerne le photovoltaïque, une instruction de 2020 vise à trouver une concordance entre le développement du photovoltaïque et la protection du patrimoine. Les entreprises du groupement photovoltaïque au sein de la FFB constatent cependant que les prescriptions faites par les ABF pour implanter du photovoltaïque quand ils l'autorisent, demandent une intégration au bâti, ce qui signifie que le panneau photovoltaïque doit remplacer la couverture, sachant que cela engendre des risques très forts de sinistralité que les assureurs ne veulent plus couvrir. Les ABF peuvent également imposer des contraintes de couleur, ce qui peut réduire le rendement des panneaux photovoltaïques, ou l'utilisation de matériau dont les coûts explosent. Il existe donc des possibilités, mais à des coûts qui ne seront parfois pas en cohérence avec ce qu'il est possible de faire pour certains maîtres d'ouvrage.

M. Thomas George. - Des projets de photovoltaïque sur les églises commencent à émerger, mais il faudrait prendre en compte la notion de visibilité de l'extérieur et de réversibilité. Les zones sauvegardées représentent par ailleurs 8 % du territoire français. Quand les 92 % restants du territoire auront été équipés en panneaux photovoltaïques, il sera toujours temps de s'occuper de ces 8 % plus tard. La plupart des populations vivent cependant dans des zones sauvegardées et il serait souhaitable de trouver des conciliations permettant d'éviter une visibilité directe de l'extérieur. En Belgique, des panneaux photovoltaïques ont été installés partout et ce n'est esthétiquement pas idéal. Il faudrait éviter cela, mais trouver un bon compromis entre les deux.

Mme Marie-Pierre Monier, présidente. - Je voudrais revenir sur les recours contre les décisions négatives des ABF. Le maire a sept jours pour contester auprès du préfet de région un avis négatif de l'ABF. Le préfet de région statue après avis de la CRPA et en cas de silence du préfet, le projet est réputé approuvé. En cas de contestation de la décision négative du maire par le demandeur, le recours est adressé par le demandeur au préfet de région et le demandeur a la possibilité à ce moment de faire appel à un médiateur désigné par le président de la CRPA parmi les membres de cette commission titulaires d'un mandat électif. Le préfet saisit la CRPA qui émet un avis. Le médiateur intervient donc pour le pétitionnaire et non pas pour les collectivités.

M. Thomas George. - Il est dommage d'arriver à une procédure de recours avant même d'engager un dialogue qui pourrait apaiser tout le monde et permettre de trouver des solutions.

Mme Marie-Pierre Monier, présidente. - Le manque de dialogue est un sujet fréquemment évoqué au cours des auditions que nous avons menées. Merci infiniment.

Cette audition a fait l'objet d'une captation vidéo qui est disponible en ligne sur le site du Sénat.

Audition de MM. Laurent Roturier, président de l'association nationale des DRAC, directeur régional des affaires culturelles (DRAC) d'Île-de-France, et Hilaire Multon, directeur régional des affaires culturelles des Hauts-de-France, membre du bureau de l'association des DRAC

Mme Marie-Pierre Monier, présidente. - Nous terminons aujourd'hui nos auditions par les directions régionales des affaires culturelles (DRAC), service déconcentré du ministère de la culture à l'échelon régional, dont dépendent les UDAP au sein desquelles exerce une grande partie des ABF. Nous avons le plaisir d'accueillir M. Laurent Roturier, président de l'association nationale des DRAC et directeur régional des affaires culturelles d'Île-de-France et M. Hilaire Multon, directeur régional des affaires culturelles des Hauts-de-France et membre du bureau de l'association des DRAC. Cette mission est une initiative du groupe Les Indépendants - République et Territoires du Sénat, qui a confié le rôle de rapporteur à Pierre-Jean Verzelen. Nous avons déjà mené plusieurs auditions et nous avons même ouvert notre cycle en recevant la Direction générale des patrimoines et de l'architecture, c'est-à-dire votre autorité hiérarchique, qui nous a fourni une analyse technique très approfondie. Nous avons également entendu plusieurs représentants d'élus locaux ainsi que des représentants de la profession d'ABF. L'éclairage central que vous pourrez nous apporter en tant que relais de la politique patrimoniale de l'État dans les territoires nous est maintenant indispensable pour compléter et éclairer ces points de vue parfois divergents qui se sont exprimés devant nous. Je vous propose de tenir un propos liminaire d'une vingtaine de minutes, après quoi je donnerai la parole au rapporteur et aux collègues présents à nos côtés.

M. Laurent Roturier, président de l'association nationale des DRAC et directeur régional des affaires culturelles d'Île-de-France. - Je voudrais vous remercier d'avoir souhaité auditionner l'association nationale des DRAC de France dans le cadre de votre mission dans un sujet d'importance que nous connaissons bien dans la mesure où les ABF sont sous notre autorité. Nous avons sollicité d'autres collègues des DRAC pour vous donner la photographie la plus précise possible, qui sera celle de témoignages d'acteurs de terrain mettant en oeuvre les orientations décidées par la ministre de la culture et les différentes administrations centrales dans l'ensemble des thématiques qui nous concernent, notamment celle du patrimoine. Merci également pour le questionnaire que vous avez bien voulu nous transmettre et qui nous a permis de préparer au mieux notre audition.

Les missions des DRAC ont été confirmées par le décret de 2010 dans l'ensemble des domaines que le ministère de la culture a à sa charge, que ce soit dans celui de la création, dans le soutien à l'action culturelle, ou dans le champ patrimonial. Nos missions dans le champ du patrimoine sont nombreuses, que ce soit en termes de monuments historiques, d'archéologie, de musées, mais d'abord en termes de protection. Dans le vocable des ABF, nous mettons beaucoup de choses et l'ABF est souvent devenu une figure symbolique qui cristallise un certain nombre de mécontentements, d'irritations et d'insatisfactions. Nous mettons en oeuvre nos métiers du ministère de la culture dans le champ du patrimoine à la fois dans nos équipes des conservations des monuments historiques, avec des conservateurs des monuments historiques qui vont agir sur les 44 000 édifices protégés au niveau national, mais également avec les architectes en chef des monuments historiques (ACMH) qui ont en charge la maîtrise d'oeuvre d'un certain nombre d'opérations, notamment pour les monuments appartenant à l'État, et avec les ABF qui ont un rôle bien défini, à la fois sur les abords des monuments historiques et dans le cadre de leurs missions de conservation d'un certain nombre de sites (dont les 86 cathédrales propriétés de l'État).

Nous disposons de 189 ABF à l'échelle nationale et environ 500 000 avis sont rendus chaque année (490 000), avec une forte augmentation sur la décennie écoulée, car les avis des ABF accompagnent la montée en puissance et le développement des territoires et dans les périodes d'expansion économique comme en sortie de crise sanitaire, le nombre des avis rendus par les ABF a sensiblement augmenté. Les principales missions des ABF consistent à sauvegarder, conserver et mettre en valeur les sites protégés qui relèvent du code du patrimoine (SPR, expertise sur les abords, PDA). Ils agissent également en interministériel, notamment dans le cadre départemental, en termes de sauvegarde des sites naturels protégés au titre du code de l'environnement. Ils rendent donc des avis pour le compte du ministère de la transition écologique au titre du code de l'environnement sur les sites classés et sur les sites inscrits. Ils participent aux commissions départementales de la nature, du paysage et des sites qui sont placées sous l'autorité de chaque préfet de département. Ils ont également une fonction de lien avec les services patrimoniaux de la DRAC pour agir dans la fonction de contrôle scientifique et technique avec des travaux sur les immeubles classés ou inscrits. Les UDAP sont notamment chargés d'établir les dossiers et de les transmettre. Ils peuvent aussi être conservateurs d'un certain nombre d'édifices, comme les cathédrales appartenant à l'État. Enfin, la quatrième grande mission des ABF est une mission de conseil au titre de la qualité paysagère. Environ 200 000 sont délivrés chaque année par les ABF dans le cadre de cette mission importante, bien que moins connue.

J'évoquais la hausse de l'activité qui a été constatée dans toutes les UDAP, à la fois en France métropolitaine, mais également dans les territoires ultramarins. Dans les territoires ultramarins d'ailleurs, les DRAC ont une fonction un peu plus élargie pour englober une fonction de conservateur régional des monuments historiques (CRMH) avec une compétence métier patrimoine importante. La présence des ABF dans les territoires ultramarins constitue un sujet d'importance pour accompagner la qualité paysagère et patrimoniale sur ces sujets. 490 000 avis ont été rendus en 2023 contre 300 000 en 2010 avec une très forte hausse en sortie de crise sanitaire. À l'aune des avis rendus par les différentes UDAP, nous avons pu voir comment nos concitoyens s'étaient emparés du sujet, notamment en Île-de-France : les autorisations pour le département des Yvelines ont dépassé celles données sur Paris en 2022. Le délai moyen d'instruction reste stable autour de 22 jours et le nombre de refus s'élève autour de 6 % à 7 % au niveau national, variable d'un territoire à un autre. Un peu moins d'un millier de recours sont déposés chaque année, à mettre en parallèle avec les 490 000 avis rendus. Depuis la circulaire mise en place par la ministre de la culture après la loi Élan, la médiation et les dispositifs de recours sont fortement montés en puissance. Les recours sont gérés par la CRPA présidée par un élu et deux maires sont en charge de la médiation dans la région Île-de-France. Ce dispositif de médiation aboutit dans la plupart du temps à un accord (80 % à 90 % d'accords en processus de médiation).

En ce qui concerne l'évolution des métiers en lien avec l'évolution des technologies, il faut noter le déploiement du logiciel Patronum qui consiste à dématérialiser l'ensemble des autorisations d'urbanisme sur toute la chaîne, depuis le départ en collectivité jusqu'à l'arrivée au sein de l'UDAP. Cela n'allège pas le temps de travail de l'ABF, mais celui de ses équipes.

Ces dernières années, nous avons rencontré des difficultés en termes de ressources humaines et de recrutement. L'attrait de la profession s'est étiolé et cela se constate par la baisse des inscriptions au concours. Il faut prendre en compte le fait que, de manière générale, le concours est considéré par les nouvelles générations comme un repoussoir plutôt que comme un attrait comme cela a pu être le cas pour nos générations. Cela s'est traduit par une réduction drastique des inscriptions au concours de l'École de Chaillot (quatre et trois élèves retenus pour douze postes ouverts pendant deux années). Cette attractivité est questionnée et sans la compétence et sans experts métiers, il sera difficile d'assurer les missions. Le ministère de la culture a été très proactif en permettant le recours à des architectes contractuels, mais ces derniers n'ont pas la possibilité de signer les actes. Il faut donc encore faire des efforts pour rendre ce métier attractif, d'autant qu'il est important que la France conserve la qualité de ses paysages et de son patrimoine. Par ailleurs, les réformes successives de l'État ont contribué au fait que les ABF constituent désormais les derniers services bénéficiant d'une expertise en termes de droit du sol. Dès lors que les Directions départementales des territoires (DDT) n'ont plus le rôle de l'instruction des permis de construire, les élus, notamment en zone rurale, se retournent vers les ABF pour leur demander une expertise métier droit du sol. Les ABF accompagnent par ailleurs les collectivités, notamment les collectivités les plus petites et les collectivités rurales sur la question de la maîtrise d'ouvrage.

Les DRAC sont d'ardents promoteurs du travail accompli par les ABF, de l'action qui est la leur, de l'ampleur des tâches qui leur incombe et de leur qualité d'expertise - même si nous sommes conscients des difficultés que nous essayons de résoudre. Nous sommes à l'aube de transitions et de transformations très importantes, notamment sur la transition écologique, avec par exemple la question de l'isolation thermique des bâtiments par l'extérieur, dont on peut craindre une forme d'uniformisation et une perte de la qualité de nos travaux. Cela nous incite à travailler en interministériel. En Île-de-France, nous avons pris l'initiative de travailler avec nos collègues de la direction régionale et interdépartementale de l'environnement, de l'aménagement et des transports (DRIEAT) d'Île-de-France.

M. Hilaire Multon, directeur régional des affaires culturelles des Hauts-de-France et membre du bureau de l'association des DRAC. - Le président de l'association a une vue large et je vais pour ma part donner des exemples concrets. Les UDAP constituent des services très importants pour un ministère qui n'a pas de niveau départemental et sont des interlocuteurs réguliers des élus, notamment dans les départements très éloignés des villes centres. J'ai la chance d'être à la tête d'une DRAC dans une région de cinq départements, ce qui permet d'aider dans le rapport au préfet. L'État doit fonctionner avec une logique très interministérielle et nous nous y appliquons, mais cela n'est pas transposable à l'ensemble des régions. Il s'agit de relations d'autorité : le directeur ou la directrice régional(e) constitue l'autorité hiérarchique des UDAP. Nous les évaluons et leur donnons un cap et ils sont régulièrement présents dans les réunions départementales qui se tiennent sous l'autorité des préfets et des préfètes de département le lundi matin en cas de sujets sensibles. Ils ont une relation fonctionnelle de travail, constante et régulière, à laquelle nous les incitons. Nous animons par ailleurs notre réseau des ABF : chaque DRAC comprend un collège des ABF auquel nous associons l'ensemble des acteurs de la chaîne patrimoniale, de l'archéologue jusqu'au conservateur. Avec les politiques des abords, cette relation de travail entre les conservations régionales des monuments historiques et les UDAP est essentielle, avec une notion de collégialité quand il s'agit d'instruire un projet de restauration. Nous nous employons à entretenir cette relation de travail à travers les collèges ABF qui donnent de grandes orientations. Nous travaillons à l'élaboration de guides d'intervention, d'autant plus que dans certaines régions, l'État a une politique prioritaire, avec une attention, des moyens et des leviers d'investissement particuliers. Nous rappelons aux agents qui sont sous notre autorité qu'il existe des engagements interministériels en termes de développement, d'attentions de populations, de spécificités.

Sur la question des crédits, il existe des crédits d'entretien courant des monuments historiques placés sous la responsabilité de l'État comme les cathédrales ou d'autres propriétés dont on doit assurer la conservation. Des lignes de crédits sont dédiées chaque année pour cette conservation et nous nous adaptons par rapport aux besoins. Le chef de l'UDAP ou l'un de ses adjoints est responsable unique de sécurité et conservateur des monuments de l'État.

En ce qui concerne les recours, nous sommes passés dans les Hauts-de-France de 38 000 avis à 40 000 avis de 2022 à 2023 et tous les départements sont concernés. Le nombre de recours est stable autour de 90. Ils sont instruits en CRPA et nous avons désigné une médiatrice élue pour assurer ces médiations qui ont effectivement doublé, ce qui illustre le caractère vertueux de cette logique.

Les PDA sont particulièrement lourds, car ils nécessitent une enquête publique et la sollicitation des élus à travers les assemblées délibérantes, ce qui se fait sur un temps long. Des propositions pourraient être faites, lorsque nous protégeons un site historique, de mettre en place un PDA, dans ce même mouvement de protection qui est au coeur des politiques du ministère de la culture qui sont suivies et qui sont donc placées sous la signature des préfets. Dans les Hauts-de-France, il existe très peu de PDA, sauf dans le département de la Somme qui en cumule 140 (sur les 3 000 PDA au niveau national). Cela suppose une souplesse législative, une capacité à accompagner les collectivités dans cette procédure.

En ce qui concerne enfin les obstacles, et notamment celui des effectifs, la mission d'accompagnement de l'urbanisation, des projets de développement économique et des projets d'aménagement en abord des monuments historiques, avec les politiques portées par le programme Action Coeur de ville, est très importante. Cependant, les effectifs sont constants en matière de plafond d'emploi. Pour avoir davantage d'effectifs au sein des UDAP, il faut donc les prendre ailleurs, ce que j'ai fait et ce que les syndicats m'ont d'ailleurs reproché. Je voulais qu'il soit possible de remplacer un ABF en cas d'absence. Les carrières des ABF sont aujourd'hui peu attractives et construire des liens pérennes avec les écoles d'architecture suppose de mieux se connaître et d'organiser des journées dédiées à l'architecture du patrimoine, ce que nous avons pu faire et ce que certains collègues ont fait avec le soutien du ministère auprès du réseau des écoles nationales d'architecture.

M. Pierre-Jean Verzelen, rapporteur. - Nous comprenons bien l'explosion des missions et l'inflation des demandes en face d'effectifs constants ou en diminution qui rendent l'équation compliquée. Nous entendons par ailleurs les difficultés de recrutement qui sont vraies dans ces métiers, mais également dans toute la fonction publique et même dans tous les métiers. De nombreux collègues remontent le fait qu'ils travaillent très bien avec les ABF et les UDAP, mais sur certains territoires et à certaines périodes, des ABF ont pu cristalliser énormément de difficultés. Comment peut-on gérer ce type de situations qui peuvent mettre en difficulté les maires et les citoyens dans un territoire ?

Souvent est revenue l'idée d'une forme de cahier des charges ou de guide à l'échelle des territoires à destination des maires. Est-ce souhaitable et cela vous paraît-il réalisable ?

Sur le sujet des recours, le médiateur semble très connu pour tous ceux qui sont dans le métier, mais je ne suis pas certain que cela le soit pour la population ni même pour les élus. Il faudrait donc mieux faire connaître leur rôle et ce qu'ils font. Quant aux commissions de recours, ne serait-il pas préférable de les départementaliser ? Peut-être pour améliorer les délais de traitement, mais surtout pour que les élus locaux sachent qui y siège.

M. Laurent Roturier. - Sur la question des ressources humaines, les UDAP sont de toutes petites équipes de 4 agents jusqu'à 16 pour les plus importantes. Dès qu'il manque une personne, cela met les équipes en difficultés et en tension, ce qui peut crisper la relation avec ceux qui sollicitent les UDAP. Un dossier qui n'a pas pu être traité dans les délais équivaut à un accord tacite. S'agissant des situations difficiles, je pense qu'il existe une question de génération et il faut tenir compte du fait que les métiers ont évolué. Pour l'avoir vécu dans plusieurs DRAC maintenant, les nouvelles générations sont extrêmement bien formées, compétentes et imprégnées de la question de la négociation. Les chefs de service ont par ailleurs un rôle à jouer dans ces situations. Quant à la médiation, elle est issue d'une circulaire de 2019 mettant en place ce dispositif, dont nous pouvons témoigner qu'il est extrêmement précieux, apprécié et utile, puisque dans l'immense majorité des cas, nous parvenons à trouver un accord avec le pétitionnaire. Ce dispositif mériterait d'être mieux connu. En Île-de-France, il s'est traduit par un doublement avec deux maires qui assurent ce travail. Lorsqu'il n'est pas possible de trouver des solutions, il existe toujours la possibilité de faire des recours auprès de la CRPA qui se réunit tous les mois. L'ABF a le pouvoir de prescription, ainsi que le rôle de veiller à l'application de règles définies par la commune ou l'intercommunalité.

En ce qui concerne la départementalisation des commissions de recours, nous n'y sommes pas favorables, car nous sommes de petits services peu nombreux et qu'il faut trouver la bonne distance en prenant du recul. La commission de recours est présidée par un élu. Le niveau régional semble constituer un bon échelon, sachant que le la commission de recours envoie seulement un avis au préfet de région qui prend la décision.

S'agissant du travail en direction des territoires, je crois beaucoup au guide avec les CAUE et je pense qu'il faut renforcer les passerelles entre les CAUE et les missions des ABF, notamment sur toute la partie relative aux conseils, car les CAUE comprennent des compétences métiers relativement similaires.

Mme Marie-Pierre Monier, présidente. - Vous avez dit que le nombre de médiations a doublé, sachant que la médiation n'intervient que lorsqu'un pétitionnaire n'est pas d'accord avec l'avis de l'ABF transmis par le maire. La médiation se déroule-t-elle toujours avec succès ?

Nous avons conscience de la large étendue des missions des ABF, et vous avez notamment cité la mission de RUS. Si nous souhaitions leur retirer cette mission, quels seraient les services départementaux les plus adaptés pour reprendre cette mission ?

Vous avez parlé de l'attractivité du métier et des effectifs et nous constatons que le nombre d'ABF est peu élevé. Au sein des UDAP, seuls les ABF ont-ils la possibilité de signer les avis ?

L'assistance à maîtrise d'ouvrage (AMO) est exercée par les ABF à titre expérimental en Bretagne. Si nous généralisions cette mission à tous les départements, combien d'ABF supplémentaires cela nécessiterait-il ?

En ce qui concerne le guide d'intervention, vous avez dit que vous étiez en cours d'élaboration d'un tel guide dans les Hauts-de-France. Pouvez-vous nous en dire plus ?

M. Laurent Roturier. - Nous menons environ 25 médiations par an et le succès de cette procédure est réel, car la moitié de ces médiations conduit à un retrait du recours. Les recours ont été acceptés dans 5 cas et rejetés dans 5 autres cas. Ce dispositif aboutit donc à 75 % ou 80 % à des accords et mériterait d'être plus connu, car il est efficace.

Mme Marie-Pierre Monier, présidente. - Ne pensez-vous pas qu'en insistant sur l'accompagnement, les recours seraient encore moins nombreux ?

M. Laurent Roturier. - Les recours sont très peu nombreux (0,1 % ou 0,2 %).

M. Vincent Éblé. - Il serait intéressant de connaître la part du contentieux parmi ces recours, au-delà de ceux qui sont retirés et de ceux qui donnent lieu à un accord.

M. Laurent Roturier. - En Île-de-France, 8 recours ont été portés au tribunal administratif en 2023, contre 6 en 2019, sur un total de 67 709 avis rendus par les ABF. Le nombre de recours est donc très faible, mais symboliquement, un refus a un poids important.

En ce qui concerne les missions de RUS pour les cathédrales, il s'agit d'un sujet traité dans le cadre du plan cathédrales et il est remonté la nécessité de renforcer la capacité des ABF à exercer cette mission, notamment en mettant à leurs côtés toute une série d'assistance à maitrise d'ouvrage (AMO) spécialisées (sécurité incendie, sûreté, etc.) afin qu'ils puissent mobiliser des compétences qui les dépassent. Il faut savoir que jusqu'à l'incendie de Notre-Dame, les services départementaux d'incendie et de secours (SDIS) et les pompiers considéraient qu'il n'existait pas de problème de sécurité incendie au sein des cathédrales du fait de la hauteur des édifices notamment. Cette notion n'est cependant plus la même aujourd'hui, mais il est ressorti des ateliers la nécessité de disposer de compétences qui ne sont pas aujourd'hui celles des ABF afin d'assurer la mission de RUS. À la question de savoir qui assurerait ce rôle si ce n'est les ABF, les cathédrales sont des propriétés de l'État et les mêmes problématiques se retrouveraient si ce rôle était assuré par la DDT par exemple.

Mme Marie-Pierre Monier, présidente. - Le SDIS intervient sur des bâtiments appartenant à la commune. Il pourrait dès lors être envisagé que le SDIS assume cette mission.

M. Laurent Roturier. - Un certain nombre de SDIS ont accepté que des alarmes soient reliées à leur centre d'intervention.

Mme Marie-Pierre Monier, présidente. - Où prendriez-vous l'AMO que vous suggérez ?

M. Laurent Roturier. - Il s'agirait de faire appel à des prestataires privés externes spécialisés dans le champ de la sûreté. Sur la question de la généralisation de l'AMO comme en Bretagne, il nous faudrait deux, voire trois ABF par département, sachant que la moitié des départements a actuellement un seul ABF.

Sur la question du guide, le directeur régional des affaires culturelles de la région Auvergne-Rhône-Alpes explique qu'il a consacré dans son document stratégique toute une partie relative à l'architecture, avec comme point d'entrée principal l'urbanisme. Il cite notamment le site de l'Hôtel-Dieu à Clermont-Ferrand dont le bâtiment va se transformer en bibliothèque. Je vous ferai parvenir ce document.

M. Hilaire Multon. - Les guides s'adaptent à la structure du bâti et aux typologies régionales. Les ABF travaillent donc déjà avec les collectivités, les départements, les CAUE, les EPCI parfois, pour définir des cadres d'intervention. Dans l'Oise par exemple, une charte d'intervention sur les commerces a été définie entre la ville de Beauvais et l'ABF de l'Oise. Cette coordination passe aussi par la promotion de l'architecture et donc par un travail de réseau et d'animation.

Sur les RUS et les moyens supplémentaires via l'AMO, cela est déjà en oeuvre avec les SDIS et des prestataires afin d'assurer une chaîne de sécurité. Le rôle de RUS soulève des enjeux importants, dont celui des astreintes, sachant que les ABF sont présents au niveau local en proximité. Sa compétence doit être assortie de moyens complémentaires et la plupart des SDIS procèdent aujourd'hui à des exercices en grandeur réelle.

Les guides d'intervention supposent un travail interministériel. Nos services sont souvent pris dans des injonctions contradictoires avec les différentes politiques de l'État. Aux côtés des ABF au sein des UDAP, il existe des ingénieurs, des techniciens et des agents administratifs qui commencent l'instruction et qui sont d'ailleurs très bien identifiés par les élus. Dans le cadre des projets de service que nous portons dans chaque DRAC, j'ai demandé à chaque chef d'UDAP de faire une cartographie de son territoire, ce qui suppose d'avoir un bon niveau de dialogue avec les élus et leurs représentants. Il est ainsi souhaitable d'avoir un temps d'échange lors des assemblées d'élus. Se pose la question des points de blocage et s'il est possible de faire évoluer un certain nombre d'interlocuteurs au sein d'un service, cela reste parfois très contraint.

Mme Monique de Marco. - En ce qui concerne le problème d'attractivité et d'inscription au concours, le président de l'ANABF a évoqué plusieurs pistes comme le fait de revoir le concours d'accès et la formation à l'École de Chaillot. Que faudrait-il faire pour rendre cette profession attractive ?

Mme Sabine Drexler. - Quelle est l'école pour former un ABF ? Est-ce seulement l'École de Chaillot ou est-ce possible de suivre une formation dans une autre école ?

Vous disiez que les métiers étaient peu attractifs, mais tous les postes d'étudiants sont-ils occupés actuellement ? Existe-t-il suffisamment de candidats à ces écoles ?

Quel est votre avis sur le DPE actuel ? Est-il adapté au bâti patrimonial ?

Vous avez dit que la ministre s'était saisie du sujet de l'isolation extérieure. Pourriez-vous nous en dire davantage ?

M. Adel Ziane. - Merci pour cette présentation détaillée et pour avoir remis en perspective la diversité des activités et des missions des ABF ainsi que la lourdeur de leur tâche, d'autant qu'avec 189 ABF et 500 000 dossiers par an, cela fait 2 500 dossiers par ABF par an, d'où le travail de médiation qui est proposé. Nous avons également pris en considération les problématiques RH avec l'explosion du nombre de dossiers à traiter, mais des effectifs stables. Je souligne, en tant qu'élu de Seine-Saint-Denis, le travail que nous menons avec la DRAC Île-de-France dont je remercie le président et les équipes.

Je voudrais insister sur le trio entre l'ABF, les services d'urbanisme et d'aménagement et l'élu en amont des médiations avec les pétitionnaires afin d'essayer de trouver des solutions. Je distingue en cela les territoires très urbanisés et le rural où les difficultés sont supérieures, car les services n'y sont pas toujours bien dotés.

J'insiste aussi sur le travail réalisé par les ABF, en particulier en Seine-Saint-Denis, sur un territoire en profonde mutation, où le regard et l'oeil des ABF sont essentiels sur le patrimoine industriel en pleine transformation et que nous voulons préserver.

Comment par ailleurs corréler ou adapter ce patrimoine industriel en mutation avec les normes écologiques comme le DPE qui parfois entrent en contradiction avec ce qu'il est possible de faire (l'isolation thermique par l'extérieur n'est pas toujours possible sur les bâtiments anciens) ? Comment travaillez-vous sur ce sujet et que faites-vous pour harmoniser autant que faire se peut les pratiques ?

Mme Marie-Pierre Monier, présidente. - S'agissant des recours, la DGPA nous a indiqué en réponse à notre questionnaire que les procédures de conciliation, à distinguer de la médiation, étaient abondamment utilisées par certaines DRAC, ce qui permettait d'éviter de nombreux recours dans certains départements. Pouvez-vous nous en dire davantage ?

M. Laurent Roturier. - En ce qui concerne l'attractivité du métier et la formation, le ministère de la culture doit engager un travail de pédagogie et d'explication de ces métiers. Nous avons notamment pris l'initiative en Île-de-France d'intervenir systématiquement devant les étudiants des écoles d'architecture pour expliquer ce qu'est le métier d'ABF et les inciter à préparer les concours. Le concours peut certes poser question, mais comment assurer l'égalité de tous pour l'accès aux charges publiques sans concours ? Ce travail de pédagogie en direction des étudiants doit être amplifié et systématisé et il faudrait même intégrer dans les cursus des écoles d'architecture un module de formation aux métiers du patrimoine. Nous devons par ailleurs mieux communiquer, peut-être par le biais de campagnes nationales de communication du ministère de la culture. Quant à savoir si seule l'École de Chaillot forme les ABF, cette école présente un gage de qualité, mais nous ne pouvons pas en tant que DRAC anticiper et dire si seule l'École de Chaillot formera les ABF à l'avenir. Le nombre d'inscrits au concours reste cependant faible et je partage vos préoccupations à ce sujet.

En ce qui concerne le DPE, un groupe de travail piloté par la direction des patrimoines a été constitué pour étudier le sujet et je suppose que la représentation nationale sera la première informée des travaux de ce groupe de travail.

Merci pour l'appréciation portée sur le travail avec les collègues de la DRAC en Seine-Saint-Denis. Le sujet du patrimoine industriel est évidemment concerné. À titre d'exemples réussis, nous avons participé au travail de la société de livraison des ouvrages olympiques (SOLIDEO). Tout est question de conciliation afin de trouver les bonnes solutions pour conserver ce bâti remarquable.

Nous croyons fortement que les PDA constituent une très bonne solution pour supprimer les différents conflits survenant autour de la notion de périmètre de 500 mètres. Nous avons d'ailleurs une proposition très simple à mettre en oeuvre et qui aura immédiatement un effet, à savoir la suppression de l'obligation d'enquête publique lorsque le PDA est inférieur au périmètre des 500 mètres.

En ce qui concerne les procédures de conciliation, elles sont utilisées dans le cadre du travail d'information en amont afin de limiter le nombre de recours.

M. Hilaire Multon. - Je voudrais illustrer par quelques exemples concrets. Le PDA permet à certains grands projets d'avancer, mais il peut constituer un point de blocage. Nous travaillons notamment sur les projets de patrimoine industriel délaissé (les friches) et la problématique est souvent liée à un projet de reprise et de développement économique. S'agissant par exemple d'une sucrerie dans la Somme, le projet de développement permet à l'ABF de proposer un PDA adapté au seul périmètre du bâtiment. Or, la démarche d'enquête publique nécessite un certain temps d'écoute entre le pétitionnaire, l'élu et l'ABF et la réponse qui est apportée porte en réalité sur les futures protections.

En ce qui concerne la rénovation par isolation par l'extérieur, vous parliez des diagnostics obligatoires dans le cadre législatif de la transition énergétique. Un groupe de travail de la sous-direction des monuments historiques et de la direction du logement travaille sur le patrimoine ancien pour construire une législation spécifique sur le patrimoine ancien.

Quant à savoir quelle école forme les ABF, il existe deux voies, à savoir celle des architectes urbanistes de l'État qui travaillent au sein du ministère de la transition écologique et celle des ABF. L'adaptation aux territoires passe cependant aussi par une école qui a des exigences, l'historique et des savoir-faire et qui travaille avec le réseau des écoles nationales d'architecture. Nous sommes attachés à créer des passerelles afin que les ABF et les architectes du patrimoine présentent leurs activités aux jeunes architectes.

Mme Marie-Pierre Monier, présidente. - Merci infiniment de vous être déplacés et pour la qualité de nos échanges.

Cette audition a fait l'objet d'une captation vidéo qui est disponible en ligne sur le site du Sénat.

La réunion est close à 20 heures.

Mercredi 15 mai 2024

- Présidence de Mme Marie-Pierre Monier, présidente -

La réunion est ouverte à 13 h 30.

Audition de Mme Françoise Gatel, sénateur, Présidente de l'association « Petites cités de caractère » de France, MM. Martin Malvy, président, et Jonathan Fedy, directeur-adjoint, de Sites & Cités remarquables de France

Mme Marie-Pierre Monier, présidente. - Nous recevons aujourd'hui les représentants des communes concernées au premier chef par la politique publique sur laquelle nous nous penchons, c'est-à-dire les communes ayant la chance de disposer d'un patrimoine architectural, mais également du devoir d'en assurer la protection et la valorisation.

Nous avons le plaisir d'accueillir notre collègue Françoise Gatel, présidente de la délégation sénatoriale aux collectivités territoriales et à la décentralisation, et également présidente de l'association Petites cités de caractère, et Martin Malvy, président de l'association Sites & Cités remarquables de France.

Je vous remercie de vous être rendus disponibles afin d'éclairer les travaux de notre mission consacrée aux architectes bâtiments de France (ABF). Je rappelle que l'initiative de cette mission revient au groupe Les Indépendants - République et Territoires. Le rapporteur est Pierre-Jean Verzelen.

Nous sommes convaincus que vous pourrez nous apporter un témoignage de première main sur la manière dont vos adhérents travaillent avec les ABF pour relever le défi immense de la protection et de la valorisation de leur héritage architectural avec, parfois, des moyens humains, juridiques et financiers un peu limités.

Je ne vous apprends rien en indiquant que l'ABF est parfois une figure controversée dans notre assemblée d'élus locaux, l'exercice de ses pouvoirs de contrôle dans les zones protégées pouvant occasionner des frictions avec les élus et les porteurs de projets. En tant qu'élue locale du département de la Drôme, je salue leur implication qui permet de préserver la beauté de nos sites et leur potentiel touristique (qui représente, selon les propos tenus au cours d'une précédente audition, 8 % du PIB, ce qui n'est pas négligeable).

Je vous passe la parole, puis laisserai notre rapporteur poser une première série de questions.

Mme Françoise Gatel, présidente de l'association Petites cités de caractère. - Je suis accompagnée de Laurent Mazurier, directeur de l'association Petites cités de caractère.

Je suis très heureuse d'intervenir aujourd'hui et de partager cette audition avec Martin Malvy, président de nombreuses associations patrimoniales, dont certaines ont pu s'afficher sur les grilles du Jardin du Luxembourg à l'occasion d'une exposition valorisant nos territoires.

Vous l'avez dit : le terme « ABF » génère beaucoup de passions, qui relèvent davantage de l'agacement que de l'enthousiasme spontané. Tous les ans, j'interviens à l'École de Chaillot, qui forme les futurs ABF. Je débute toujours mes propos en leur indiquant que les élus locaux les considèrent comme des « contrariants », au même titre que la DREAL et l'Inrap. C'est une réalité. Actuellement, des méthodes de travail sont élaborées afin de servir la cause portée par les ABF et les élus locaux. Le patrimoine bâti doit être un objet vivant et ouvert au public. Il fait partie de l'identité d'une société et se base sur des savoir-faire et des modes de vie qui méritent tout notre intérêt, car je crois qu'il s'agit de leviers d'avenir.

Laissez-moi vous raconter comment est née l'association Petites cités de caractère. Il y a bientôt cinquante ans, six maires de petites communes de Bretagne ont décidé de valoriser le patrimoine de leur commune respective, jugeant qu'il relevait de l'histoire de la Bretagne ou de la France. Les six maires ont donc eu l'idée de rencontrer le président du Conseil régional de Bretagne et l'ont convaincu que ce patrimoine représentait un réel levier de développement touristique pour les territoires ruraux, qui permettrait à terme de créer de nouveaux emplois et de remettre en lumière certaines petites communes. Le président de la région a jugé l'idée fort intéressante. Un compagnonnage a été initié et se poursuit encore aujourd'hui. Ces communes se sont ainsi regroupées dans une association qu'elles ont décidé d'appeler Petites cités de caractère. Aujourd'hui, elles sont 239 à travers toute la France. Je souligne la vitalité de ces communes et la fierté des habitants. Ce patrimoine est un levier extraordinaire et nous défendons cette idée. Naturellement, nous réalisons cette démarche avec l'aide des ABF.

Quelle relation entretenons-nous avec les AFB ? Les communes de cinq cents habitants n'ont pas les moyens financiers permettant de rénover leur patrimoine. Au-delà du manque de moyens, elles doivent conduire un projet qui n'a de sens que s'il implique un écosystème, une harmonie de l'environnement du bâtiment, comprenant la rénovation de domaines privés. C'est là que nous rentrons souvent en conflit avec l'ABF.

S'agissant de la proposition d'une loi de simplification de l'urbanisme émise précédemment par le Sénat, supprimer l'ABF reviendrait à supprimer à terme le patrimoine et à perdre la valeur ajoutée d'un territoire. Plutôt que de provoquer des conflits, parce que l'ABF n'a pas le temps de se déplacer, parce que l'acquéreur du bâtiment n'a volontairement pas été informé ni par le notaire ni par l'agent immobilier des contraintes liées à la maison, parce qu'il existe des incompréhensions, je pense que le patrimoine doit être un projet partagé par une commune et ses habitants. Hier, au ministère de la culture, nous avons donc proposé, dans le cadre du Printemps de la ruralité, de mettre en place une expérimentation afin d'assainir les relations entre les ABF, les maires et les habitants et de préserver ce qui est parfois l'unique levier de développement dans des territoires ruraux. Il convient de travailler différemment. Sur la base du volontariat des communes, nous proposons que soit annexé au plan local d'urbanisme (PLU) un document « d'urbanisme patrimonial ». Ce document serait élaboré en amont avec les habitants, les ABF et les artisans afin de déterminer, au sein de la commune, le périmètre et les actions à engager sur le patrimoine, rue par rue. Il s'agirait donc d'un projet partagé, engageant l'ensemble des acteurs et permettant aux ABF se succédant de s'y référer. Face à cette proposition, certains ont indiqué qu'elle risquait de prendre du temps. Malgré tout, les consultations d'ABF prennent actuellement beaucoup de temps, sont agaçantes et ne produisent aucun résultat. Au sein de Petites cités de caractère, la plupart des communes dénombrent cinq cents habitants ou moins ; leurs élus sont les premiers à porter le patrimoine, parce qu'ils sont convaincus qu'il s'agit de leur avenir et qu'ils veulent donner un usage au patrimoine restauré. À titre d'exemple, j'ai été longtemps maire d'une Petite Cité de Caractère. Nous avons restauré une chapelle romane lui avons donné un usage : nous l'avons ainsi réhabilitée en centre d'art contemporain, accueillant des résidences d'artistes, des enfants et des enseignants.

Par ailleurs, je pense que les ABF sont très en souffrance et qu'ils n'osent plus venir dans les communes, compte tenu des conflits qui s'engagent.

Enfin, pour faire le lien avec la mission portant sur la rénovation thermique des bâtiments, il me semble que le plus grand ennemi actuel de notre patrimoine est le diagnostic de performance énergétique (DPE). En effet, ce DPE correspond à des bâtiments du vingtième siècle. Or, comme vous le savez tous, le bâti ancien présente une cohérence, une logique. Il existe depuis mille ans. S'il est décrété que le bâti ancien ne peut pas être loué dans les villes parce qu'il ne répondra jamais à un DPE du vingtième siècle, alors tout le centre-ville sera condamné, au moment même où le patrimoine contribue à ramener de la vie et de l'activité. Je me répète, mais je plaide pour mettre en place un DPE spécifique bâti. La ministre de la culture tente de convaincre en ce sens le ministère de l'environnement.

Mme Marie-Pierre Monier, présidente. - Nous sommes tous d'accord avec vous.

M. Martin Malvy, président de Sites & Cités remarquables de France. - Je suis accompagné par Jonathan Fédy, directeur adjoint de l'association Sites & Cités remarquables de France, association ayant pris cette appellation après la loi relative à la liberté de la création, à l'architecture et au patrimoine (LCAP) de 2016. Auparavant, elle s'appelait l'association Villes et Pays d'art et d'histoire.

Notre association, créée il y a vingt ans, dénombre trois cents villes ou territoires au sein desquels nous discutons du patrimoine. Je dis « villes ou territoires », car de nombreuses intercommunalités, intégrant chacune cinquante ou soixante communes, adhèrent. Ces chiffres sont un peu faussés par la présence de Paris. Notre objectif est d'abord la protection du patrimoine, puis sa mise en valeur, ses usages et, en bout de piste, l'économie touristique (qui, dans certains cas, tient grâce à la présence du patrimoine). Les 8 % du PIB que vous évoquiez plus haut ne concernent pas uniquement le tourisme patrimonial, mais bien le tourisme dans sa globalité. Malgré tout, l'importance du patrimoine est évidente, à la fois sur le plan de l'Histoire, des traditions, des métiers et du développement économique.

L'association a été créée avec l'aide du sénateur Michel Bouvard, d'Yves Dauge, député-maire de Chinon, Jean Rouger, député-maire de Saintes, et moi-même.

La question du jour est celle des ABF. Je tiens à rappeler le discours d'André Malraux, en 1962, au cours duquel il alerte les députés, leur demandant d'imaginer ce qu'il adviendrait des quais de Seine, des abords de la cathédrale de Notre-Dame de Paris ou du château de Versailles sans protection du patrimoine. Il ne faut pas oublier cette période-là, qui était l'époque d'une France totalement défigurée. Des progrès considérables ont été réalisés dans la protection du patrimoine et je regrette que ceux-ci soient passés sous silence. Pourtant, la France d'aujourd'hui ne ressemble pas à la France défigurée d'il y a cinquante ans. C'était pourtant il y a peu. Je suis très inquiet par cet oubli et cet effacement de la mémoire.

J'ai récemment échangé avec un ami médecin qui venait d'être opéré. Il m'a expliqué qu'il était tombé sur un mauvais chirurgien : il me semble qu'il est plus problématique de tomber sur un mauvais chirurgien que sur un ABF un peu têtu. Si ce travail de restauration de la France a été initié, c'est en grande partie grâce aux ABF. Attention à la ruée vers les ABF, mais attention également à la mise en cause des élus locaux, et notamment des maires, en cas de suppression de l'avis conforme de l'ABF. C'est bien le maire qui se retrouve en première ligne et qui rencontre les mêmes problèmes que les ABF aujourd'hui. J'ai moi-même été élu très longtemps et je connais de nombreux maires : ils n'ont pas tous la fibre patrimoniale.

Par ailleurs, dans nos congrès, je n'ai jamais été confronté à des protestations contre les ABF. J'ai parfois entendu certains traiter un ABF « d'enquiquineur », mais personne n'a jamais remis en cause la fonction même d'ABF. J'aimerais également attirer votre attention sur un point : les unités départementales de l'architecture et du patrimoine (UDAP) dénombrent, entre les ABF et les techniciens, sept cents personnes. Elles traitent annuellement quatre cent mille dossiers d'après le ministère de la culture, et cinq cent mille d'après l'association des Architectes de France, soit plus de sept cents dossiers par individu. Le problème majeur est qu'il n'y ait pas deux ou trois cents ABF et collaborateurs des UDAP sur le terrain. Les ABF en sont incapables.

J'ai été maire pendant trente ans de Figeac, une ville de dix mille habitants. À l'époque, deux ABF, accompagnés de quatre ou cinq collaborateurs, nous rendaient visite tous les dix jours environ. Dorénavant, il n'y a plus qu'un ABF, alors que le nombre de dossiers à traiter a été multiplié par dix ou vingt ; ce nombre continue d'ailleurs à augmenter, compte tenu notamment des problèmes liés au changement climatique.

Oui, il faut préserver les ABF, l'avis conforme et le maire dans sa démarche patrimoniale, mais il convient pour cela d'améliorer les équipes. Je ne parle pas de milliers d'emplois : deux ou trois cents postes supplémentaires devraient suffire.

Je suis très inquiet quant à cette chasse aux ABF, qui finira par se retourner contre le patrimoine. Pour autant, et j'insiste sur ce point, cela ne signifie pas qu'il ne faut pas faire évoluer leur approche. La fonction même de l'ABF est nécessaire et la France d'aujourd'hui ne serait pas ce qu'elle est si son patrimoine n'avait pas été protégé au fil du temps.

En trente ans de vie municipale, je n'ai jamais rencontré de conflits réels avec les ABF. Pourquoi ? Parce qu'à l'époque, ils avaient le temps de nous rendre visite, de discuter avec nous et nos concitoyens, ce qui est aujourd'hui totalement exclu. À présent, soit nous nous contentons de la situation actuelle, et le système sera alors voué à disparaître d'ici quelques années, soit nous faisons évoluer l'approche afin d'améliorer le contexte dans lequel s'inscrivent les ABF.

Françoise Gatel a évoqué l'exposition mise en place sur les grilles du Jardin du Luxembourg. Cet événement a été organisé par l'association que nous avons créée ensemble, à savoir « France, Patrimoines et Territoires d'exception », qui est une association dont je suis pour l'instant le président, regroupant la Fédération des parcs naturels régionaux de France, les Plus Beaux Détours de France, les Plus Beaux Villages de France, les Petites cités de caractère, le Réseau des Grands Sites de France et les Villes et Métiers d'Art. Le but de ces associations n'est pas de se substituer aux autres, chacune répondant à un objectif différent. Elles ne sont pas en compétition. Toutes, d'une manière ou d'une autre, sont l'émanation d'une collectivité locale.

Mme Marie-Pierre Monier, présidente. - Merci pour vos propos respectifs. Vous le savez, nous sommes pour beaucoup membres de la commission de la Culture et sommes très attachés au patrimoine et à sa protection. C'est une idée pertinente que d'avoir mis sur la table le choix de cette mission d'information portant sur les ABF. Nous sommes nombreux à régulièrement, et parfois de manière transpartisane, à souligner le manque de personnel. Vous relevez chacun un point qui a été remonté dès le début de cette mission, à savoir le besoin de concertation en amont, ce qui simplifierait la mise en place d'un projet. Malgré tout, cette concertation requiert des moyens.

Monsieur Malvy, vos propos, notamment ceux relatifs à la nécessité d'octroyer davantage de moyens, me touchent particulièrement, car il me semble que vous avez occupé la fonction de ministre du budget. Françoise Gatel l'a bien souligné : les grandes villes mettent à disposition du personnel pour accompagner les élus, au contraire des petites communes, qui ne bénéficient ni des mêmes compétences à disposition ni des finances.

M. Pierre-Jean Verzelen, rapporteur. - Nous ne pouvons que partager vos remarques. Nous sommes tous ici très attachés au patrimoine et sommes conscients de ce qu'il représente en termes d'identité et de potentiel de développement d'une commune. Par ailleurs, personne ne remet en cause tout le bien qu'apportent les ABF. Malgré tout, nous ne pouvons pas ignorer les sollicitations de certains maires et concitoyens, qui nous font part de leur incompréhension (que nous partageons parfois). Nous sommes conscients que cette situation est perfectible. Ainsi, la finalité de cette mission d'information est de réfléchir à de nouveaux fonctionnements et périmètres.

Je rebondis sur les propos de Françoise Gatel, s'agissant du périmètre délimité des abords : il existe déjà, mais ne fonctionne pas correctement. La procédure est longue et très complexe. L'idée est de redéfinir ce périmètre en le raccourcissant afin qu'il concerne le bâtiment classé et les quelques rues à proximité. Hier, nous avons auditionné certaines directions régionales des affaires culturelles (DRAC). Celle d'Île-de-France portait cette idée-là, suggérant de supprimer l'enquête publique qui rallonge énormément les délais. À titre personnel, je suis très séduit par cette suggestion relative à la définition du périmètre. Le maire participerait aux travaux, accompagné de l'ABF. L'objectif reste de simplifier la procédure au maximum. Par ailleurs, lorsque la décision est prise d'imposer une couleur ou un matériau sur une même rue, il convient de se rappeler que certains habitants ne disposent pas des moyens suffisants pour engager les travaux demandés.

Françoise Gatel, et j'interroge ici davantage la présidente de la délégation sénatoriale aux collectivités territoriales et à la décentralisation : nous sommes tous confrontés, et cela me semble assez transpartisan, à une diversité de profils des ABF ; certaines relations sont plus tendues que d'autres. Nous sommes conscients que certains ABF travaillant dans les UDAP ont des caractères particuliers et de très lourdes exigences, ce qui peut mettre tout un territoire sous tension. La question se pose donc de savoir comment gérer ces profils. Les réflexions pourraient porter sur l'architecture administrative. Réviser les liens hiérarchiques permettrait-il de pallier ces difficultés ?

Dans un second temps, concernant les recours, il existe aujourd'hui un médiateur ainsi qu'une commission régionale. Cette commission paraît assez éloignée du terrain. Au cours des discussions, il a été proposé que cette commission devienne départementale. Ce point a fait débat. Des dizaines, voire des centaines de commissions départementales existent déjà et beaucoup sont peu utiles, soyons honnêtes. D'après vous, cette échelle départementale pourrait-elle favoriser la réactivité et la proximité avec le terrain ? Permettrait-elle de faire en sorte que les maires et pétitionnaires acceptent davantage les décisions ?

Enfin, suite aux travaux que nous avons réalisés, nous avons eu l'idée d'élaborer des sortes de cahiers des charges ou guides par territoire. Cette suggestion est séduisante en théorie, mais il convient de réfléchir à la pratique. J'aimerais connaître votre avis sur cette idée et son articulation. Quelle pourrait être la place des conseils d'architecture, d'urbanisme et de l'environnement (CAUE) ? Une échelle intercommunale pour bâtir ce type de projet serait-elle pertinente ?

Mme Françoise Gatel. - Je suis ravie que vous évoquiez ma fonction à la délégation sénatoriale aux collectivités territoriales et à la décentralisation. Je pense que c'est grâce au patrimoine que des leviers de développement économique sont créés dans les territoires ruraux et les petites communes. Ces endroits n'accueilleront jamais de grandes entreprises ou de start-ups : il faut donc activer d'autres leviers afin de faire la lumière sur ces territoires.

Je partage les propos tenus par Martin Malvy : il convient de faire attention à protéger les maires. J'ai moi-même assumé cette fonction et, lorsque l'avis de l'ABF était négatif, je me déchargeais de cette responsabilité.

En outre, au Sénat, nous pensons que la norme doit être proportionnée. Les règles édictées pour la ville de Paris ne peuvent pas être similaires à celle d'une commune de quatre cents habitants, au risque d'engendrer des problématiques. Il convient d'accompagner les élus sur ces sujets, d'où la mise à disposition d'une sorte d'expertise technique, qui pourrait être intercommunale, départementale par le biais des CAUE, ou celle de l'État. Je partage une nouvelle fois un exemple personnel : en 2008, j'étais maire de ma commune. Une magnifique chapelle romane menaçait de s'effondrer. La crise des subprimes était en cours et nous recherchions des plans de relance. La DRAC, après nous avoir demandé si nous souhaitions rénover la chapelle, a mis à notre disposition un conseiller assistant à maîtrise d'ouvrage afin que nous puissions organiser un concours d'architecture. C'est assez remarquable.

Je pense ainsi que les communes doivent être aidées selon leur taille. Comment ? L'intercommunalité peut être une piste. Dans notre réseau, une commune de cinq cents habitants, village préféré des Français, accueille huit cent mille touristes et se retrouve au sein d'une intercommunalité industrielle qui ne se soucie pas du patrimoine. L'intercommunalité qui porte en supplément la compétence relative au tourisme n'est pas aidante partout ; cela dépend de la dimension patrimoniale du territoire. Encore une fois, il faudrait mettre à disposition des compétences techniques qui peuvent venir dans certains départements de la DRAC. Au sein de la commune, et dans un dialogue avec l'ABF, les élus devraient pouvoir librement définir le périmètre.

Par ailleurs, la dernière loi patrimoniale fait état des sites patrimoniaux remarquables (SPR). En soi, le concept est formidable. Malgré tout, il est demandé à des communes de notre réseau d'élaborer un plan d'aménagement patrimonial, faute de quoi la région ne leur octroiera pas de moyens. Les ABF, pour les raisons évoquées plus haut, rechignent à mettre en place des SPR dans ces petites communes, arguant qu'elles n'ont personne, et privilégient les grandes villes. Pourtant, les SPR font office de vitalisation de la ruralité. Ces petites communes doivent être aidées. Nous avons rencontré cette problématique, à savoir le fait que de nombreuses communes étaient bloquées dans des départements. La situation tend à s'améliorer, car les SPR des grandes villes sont à présent mis en place. Là aussi, le SPR doit être dimensionné pour toutes les communes. En outre, compte tenu de la longueur de la procédure, les maires des petites communes privilégient d'autres activités et abandonnent le projet. Ils n'ont donc pas les moyens d'utiliser ce levier de développement du territoire.

Je reviens à ce que je disais : d'après moi, il convient de travailler autrement. Si, en amont, une commune indique que son levier de développement est le patrimoine, alors l'ABF pourrait travailler avec les élus de plusieurs communes à l'élaboration d'un document patrimonial. Qu'est-ce que cela signifie dans des petites communes comme les nôtres, où trois ou quatre rues pourraient faire l'objet d'un projet de rénovation ? Que, même si l'ABF est remplacé, le projet patrimonial se poursuit, car il aura été voté en conseil municipal, même en cas de commission de recours qui est alors obligée de prendre le document en compte.

Je suis d'accord avec les propos de Marie-Pierre Monier : parfois, on distribue aux artisans des tâches qu'ils ne parviennent pas à exécuter. Je rappelle que le patrimoine implique des emplois non délocalisables dans des territoires ruraux.

Quant à la commission de recours, je ne sais pas s'il vaut mieux qu'elle soit départementale ou régionale. Nous concernant, nous apprécions qu'elle soit régionale. Par exemple, au sein de notre réseau breton, si la commission approuve le projet d'une commune du Morbihan mais refuse celui d'une commune située juste à côté, la situation pourrait engendrer des tensions. À mon sens, il faudrait limiter les recours. La méthode que nous proposons permettrait d'élaborer un document que les élus et les habitants porteront, ce qui limitera les recours, évitera les indisponibilités des ABF et empêchera que le projet ne soit remis en cause en cas de changement de maire.

En résumé, je conseille de doser et proportionnaliser les obligations, sans mettre de côté les petites communes, qui sont celles qui ont le plus besoin de ces dispositifs, non seulement parce qu'elles ne disposent pas de compétences techniques, mais aussi pour ramener de la vie dans ces territoires. À titre d'exemple, en Loire et Haute-Loire, certaines Petites cités de caractère peinent à attirer des habitants. Elles rénovent actuellement tous leurs centres-bourgs, car elles conjuguent leur tourisme patrimonial avec un tourisme fluvial : les passants s'arrêtent dans ces jolies cités, visitent les boutiques, etc. Le gouvernement devrait financièrement investir dans le programme Petites Villes de Demain ; la compétence consiste parfois à accompagner en matière de tourisme. De plus, nous nous sommes battus pour que la moitié des Petites cités de caractère intègrent les programmes Petites Villes de Demain et Villages d'Avenir, dans lesquels il n'est d'ailleurs fait mention ni du tourisme ni du patrimoine. Enfin, pourquoi les Petites Villes de Demain ne bénéficient pas des mêmes aides que les coeurs de ville en matière d'aide à la rénovation des logements ?

M. Martin Malvy. - Je partage assez largement les remarques de Françoise Gatel, s'agissant notamment de la situation des petites villes. D'ailleurs, qu'entend-on par « petites villes » ? Car des communes de cinq mille ou dix mille habitants sont encore considérées comme des petites villes au regard d'autres.

Vous dites que personne ne remet en cause le travail des ABF : cela n'est pas le cas partout. Certains endroits souhaiteraient au contraire les supprimer, ou tout du moins leur retirer l'avis conforme.

S'il est envisagé de généraliser le plan directeur d'aménagement (PDA), alors l'enquête publique me paraît incontournable. En France, à partir du moment où il existe une servitude d'utilité publique, l'enquête publique est la règle. Le PDA me semble être une formule relativement risquée dans sa conception actuelle. En effet, aucun règlement ne lui est pour l'instant rattaché, au contraire du SPR, ce qui fait sa force. Un règlement permet un arbitrage, dont l'absence peut être une occasion supplémentaire de conflit, d'opposition ou d'incompréhension. Je suis donc très réservé quant au développement du PDA. Je comprends aussi pourquoi certains services de l'État y sont favorables : à terme, il allège leurs contraintes.

En réalité, nous tournons toujours autour des mêmes problèmes : la contrainte est terrible et les équipes sont insuffisantes. Nous nous targuons de disposer d'un patrimoine exceptionnel, d'en tirer des bénéfices et d'avoir évolué. Nous avons d'ailleurs beaucoup évolué sur l'usage du patrimoine à des fins économiques. Nous penchons donc vers ces solutions : soit un assouplissement de la réglementation, mais j'estime qu'elle sera source de conflits supplémentaires, soit des transferts vers la commune, le maire, le CAUE... Incontestablement, le CAUE est une bonne porte d'entrée. Attention cependant, car il n'existe pas partout et ceux mis en place sont déjà surchargés de travail. Les mettre à contribution sur de nouvelles fonctions, indépendamment du fait que ces tâches ne correspondent pas forcément à leur formation, pose ainsi question.

Par ailleurs, le SPR est un bon outil. Les Plans de Sauvegarde et de mise en valeur (PNSV) sont moins nombreux qu'avant - il en existe une centaine. Entre huit et neuf cents SPR sont actuellement dénombrés, mais ce nombre est encore insuffisant. Nous plaidons pour qu'il y en ait un nouveau par département et par an ou tous les deux ans. Malheureusement, les services n'ont ni la capacité ni le temps.

En France, le patrimoine est relativement bien préservé. Le problème soulevé par Françoise Gatel, à savoir la capacité des petites communes à répondre, est un vrai sujet. Dans ma commune, je l'ai résolu grâce à l'intercommunalité, qui gère le service de l'urbanisme. Cette intercommunalité est composée de 92 communes. Encore faut-il s'assurer que les collaborateurs du service de l'urbanisme sont sensibilisés au patrimoine.

Il n'existe pas de système idéal. Notre système dérape, car il est insuffisamment nourri. Il n'y a pas d'autres difficultés que celles qui peuvent être résolues en faisant évoluer les approches de certains. C'est vrai qu'il existe des ABF un peu « rugueux » ; mais ils doivent traiter plusieurs centaines de milliers de dossiers par an, ce qui devient complètement incohérent.

Mme Françoise Gatel. - Pour compléter ces propos, que je partage totalement, je rappelle l'esprit des Petites cités de caractère : le réseau accompagne les communes en matière de stratégies et nous travaillons tous ensemble. À titre d'exemple, le réseau des Petites cités de caractère de la Sarthe a réalisé une charte de qualité de la restauration, incluant des exemples concrets et des suggestions. Ce document est mis gratuitement à disposition de l'ensemble des communes du réseau.

S'agissant du financement de ce réseau, tous les élus sont bénévoles et nous parvenons à mutualiser du personnel. En outre, des spécialistes de régions spécifiques fournissent leurs contributions à l'ensemble du réseau. Nous sommes financés par la cotisation des élus et faisons l'objet d'une reconnaissance nationale. Nous apportons une sécurité aux petites communes ; le réseau, qui est contributif, les soutient. Nous sécurisons par exemple les conseils régionaux, qui sont souvent des partenaires de nos collectivités et apportent des financements en faveur de l'aménagement et la restauration de l'espace public, mais aussi des maisons privées. Les conseils régionaux ont conscience que l'association est la garante de la solidité et de l'engagement des communes. Nos actions dépendent de nos moyens, peu élevés. Les réseaux s'échangent les compétences, organisent des journées nationales.

L'idée de se regrouper en réseau est pertinente. Il faut que l'État soit présent (c'est votre volonté et je vous en remercie), parce que le patrimoine n'est pas un caprice. C'est une fierté pour les habitants des campagnes. Fournir du beau aux habitants permet de changer la société. Il me semble que cela vaut bien quelques créations de postes. Il s'agit d'une contribution à un équilibre territorial et à la ruralité vivante, forte et pleine d'avenir et qui offre aux citadins un tourisme durable et de proximité.

Mme Sabine Drexler. - Pensez-vous que les ABF devraient pouvoir exercer davantage de missions de conseils, notamment en zones qui ne bénéficient d'aucune forme de protection, au regard de la situation actuelle en termes d'atteinte liée à la loi Climat et Résilience ? Je pense notamment au DPE ou aux prescriptions d'isolation de façade ou de remplacement de menuiserie extérieure. En outre, pensez-vous qu'il faille a minima systématiser une forme d'inventaire de l'ensemble du bâti d'un territoire afin d'en favoriser la protection ? Ainsi, nous pourrions savoir sur quel bâti appliquer un DPE spécifique. Enfin, pensez-vous que l'État accompagne suffisamment les particuliers dans la réalisation de travaux vertueux, qui engendrent un surcoût par rapport à des travaux classiques ?

M. Adel Ziane. - Merci à tous deux pour vos propos. Vous êtes parvenus à exprimer cette réémergence de l'attachement des Français pour leur patrimoine et sa préservation. Depuis quelques années, une réappropriation du patrimoine par les Français apparaît dans les villes et les territoires, tant sur la dimension du bâti que paysagère.

Je suis élu de Seine-Saint-Denis et de Saint-Ouen et l'un de nos conseillers municipaux est membre de Sites & Cités remarquables de France. Nous avons donc conscience de l'apport de votre association sur des territoires, notamment en pleine mutation, de friches industrielles à territoires sur lesquels les promoteurs immobiliers arrivent avec une grande force de frappe. C'est là où les ABF jouent un rôle essentiel : comment préserver ce patrimoine industriel du XIXe siècle, notamment sur les dimensions bourg, faubourgs et aménagement des quartiers qui tendent parfois à disparaître ?

À Saint-Ouen, nous disposons d'une intercommunalité, de services auprès de la ville et des élus qui s'impliquent et qui jouent un rôle d'intermédiaires avec les habitants sur certaines demandes. Madame Gatel, vous avez évoqué un dispositif similaire, mais nous avons lancé une expérimentation relevant de l'élaboration de fiches patrimoniales, ville par ville, en concertation avec les habitants. Voilà une piste à explorer : ce dispositif devrait-il être systématisé ? Je pense qu'il s'agit d'un point à prendre en considération.

Par ailleurs, au cours de son audition, le DRAC d'Île-de-France nous a indiqué que le nombre de dossiers traités était passé de 300 000 en 2010 à 500 000 aujourd'hui, pour les mêmes effectifs. Cette augmentation entraîne des difficultés de déplacement auprès des mairies. Il convient de traiter ce point.

Enfin, vous avez donné l'exemple de la rénovation d'une chapelle romane en centre contemporain. Se pose alors la question en termes écologiques. Ce lien est destiné à accueillir du public et consommera de l'énergie. Ainsi, comment concilier sur le long terme ce besoin d'économie d'énergie avec la rénovation du patrimoine dans sa dimension esthétique ?

M. Jean-Claude Anglars. - Je partage les propos tenus par nos deux intervenants. Je viens de l'Aveyron, qui dénombre cinq Petites cités de caractère et un certain nombre de sites classés au Patrimoine mondial de l'Unesco. Mme Gatel a rappelé les politiques publiques lancées. L'Aveyron dénombre 19 Petites Villes de Demain. Dans le contexte de l'obligation pour les communautés de communes d'élaborer un PLUI avant 2026, quelles pourraient être les propositions afin d'obliger les territoires à se pencher sur cette question du patrimoine avec l'appui de l'ABF ?

Mme Françoise Gatel. - Il me semble qu'il existe un sujet de charge des ABF. J'aurais tendance à les centrer sur les communes où la loi les oblige à donner un avis. Par ailleurs, et certains ont mis en lumière l'inadéquation d'un DPE du XXe siècle sur un patrimoine ancien, il existe une volonté au sein du ministère de la culture d'aboutir à un DPE adapté au patrimoine. Il conviendrait que les sénateurs continuent de soutenir cette idée.

En outre, j'invite les communes à réaliser l'inventaire du bâti de leur territoire. Certaines l'ont déjà fait spontanément et élaborent des fiches patrimoniales et de restauration. De plus, quand un document annexe, type fiche maison par maison, est élaboré, sa sécurité juridique peut représenter une difficulté : il faut l'inscrire dans la loi. Malgré tout, combien de fois allez-vous faire face à des recours de propriétaires ? Inscrire l'élaboration de ce document dans la loi en vaut-il la peine ? Je serais assez favorable à ce que la loi stipule que les villes patrimoniales doivent disposer d'un document annexe au PLU. Pour cela, il conviendrait de réaliser une étude d'impacts.

Vous évoquez également le patrimoine industriel ; il est remarquable, car octroyant une identité à des territoires que l'on ne considère pas comme des lieux patrimoniaux. Il faut donc protéger les sites industriels, gages pour les habitants d'identité et de fierté.

Enfin, il convient de structurer les recours. S'agissant des intercommunalités, une majorité d'élus pense que si un territoire dispose d'un patrimoine, il est déjà riche et doit s'en contenter. Ces élus n'ont pas compris que les Villes d'art et d'histoire ou les Petites cités de caractère rayonnaient sur toute l'intercommunalité.

M. Martin Malvy. - Je ne pense pas non plus qu'il faille envisager d'élargir le champ de responsabilités des ABF. Il convient de réfléchir à la manière de bien accomplir celles d'aujourd'hui.

Très certainement, il y a lieu de réviser les plus anciens SPR : ils sont très incomplets, leur réglementation est insuffisante, parfois mal adaptée, et ils sont source de contentieux entre les ABF et les élus ou les particuliers.

Quant au budget consacré par le ministère de la culture au SPR, il est totalement ridicule : quatre millions d'euros à répartir sur 101 départements. Il existe donc une défaillance à ce niveau-là. Cette situation est alarmante. À titre d'exemple, le DPE a été élaboré par le ministère de l'environnement sans que le ministère de la culture n'y soit associé : c'est invraisemblable. En outre, l'argument stipulant que la solution pour le DPE serait de dispenser une meilleure formation pour les diagnostiqueurs ne tient pas la route. Un diagnostic coûte 80 euros, soit un temps très court. Sollicitez l'intervention d'un technicien chez vous et constatez son tarif horaire ! J'ai fait le test chez moi : le technicien est resté vingt minutes, a conclu qu'il fallait installer une pompe à chaleur, ce qui est impossible dans l'appartement que j'occupe. Nous marchons sur la tête. Si un DPE spécifique au bâti ancien n'est pas élaboré, la situation n'évoluera pas. Il existe par ailleurs une lourde responsabilité de la part de l'État sur le DPE. En effet, d'après certains experts, les travaux recommandés dans les DPE pourraient, à terme, porter atteinte à l'habitat et son fonctionnement. Cela pourrait conduire d'ici quelques années à une batterie de procès d'habitants qui, expertise à l'appui, se plaindront que le DPE les a conduits à réaliser des travaux incompatibles avec leur bâti.

Enfin, il appartient également à nos associations de fournir des conseils. Nous avons développé un certain nombre d'outils (tels que des fiches pratiques) souvent en collaboration avec le ministère de la culture, et les avons largement diffusés. Nous avons travaillé sur le bâti et la manière de réaliser des travaux sur le bâti ancien. Avec le Cerema, nous avons créé le portail CREBA, à destination du public et des professionnels, apportant une assistance aux travaux.

M. Pierre Barros. - Merci pour vos propos. Je sais que le PLUi d'Est Ensemble a réalisé un travail important sur le recensement du patrimoine sur son secteur ; ce travail est très intéressant et introduit une dimension patrimoniale, même sur les petits territoires ou les industriels. Les intercommunalités ont réalisé un travail exemplaire et se sont fait accompagner par des professionnels. Parfois, même les maires ou élus locaux ne connaissent pas bien leur patrimoine et ne le regardent pas du bon angle. C'est pourquoi se faire accompagner par des professionnels qui savent lire les choses et les retransmettre de manière lisible me paraît pertinent.

Par ailleurs, les maires introduisent, dans les règles qu'ils imposent aux autres, la capacité de déroger eux-mêmes à ces règlements. S'autoriser à ne pas appliquer une règle imposée aux autres est un concept qui pose une problématique de pouvoir et qu'il est difficile de partager avec les ABF.

Positionner l'ABF en amont, dans le cadre de la production d'un travail favorisant la synergie des acteurs du territoire, permettrait au ABF de s'extraire de cette image de « sanctionneur ». Je suis ravi d'entendre que les ABF sont nécessaires et sont gardiens de notre patrimoine. Les élus locaux sont dépositaires, et non propriétaires, de leur patrimoine.

Mme Marie-Pierre Monier, présidente. - Merci à tous pour votre temps et disponibilité.

La réunion est close à 14 h 50.

Cette audition a fait l'objet d'une captation vidéo qui est disponible en ligne sur le site du Sénat.

La réunion est ouverte à 18 h 30.

Audition de Mme Marjan Hessamfar, vice-présidente du Conseil national de l'Ordre des architectes (CNOA), et architecte conseil de l'État auprès de la direction régionale des affaires culturelles (DRAC) des Hauts-de-France

Mme Marie-Pierre Monier, présidente. - Nous auditionnons Mme Marjan Hessamfar, vice-présidente du Conseil national de l'Ordre des architectes, et architecte conseil de l'État auprès de la direction régionale des affaires culturelles (DRAC) des Hauts-de-France. Chargé de missions de service public et placé sous la tutelle du ministre de la culture, l'Ordre des architectes a pour objectif de préserver et de promouvoir la qualité architecturale. Il encadre la profession et veille au respect des bonnes pratiques. Il joue également un rôle de conciliateur en cas de litige entre l'architecte et le maître d'ouvrage.

Madame, je vous remercie d'avoir pu vous rendre disponible pour cette audition qui nous fournira certainement des éléments d'appréciation essentiels à une meilleure compréhension des relations qu'entretiennent les architectes avec les ABF, que ce soit dans le cadre des missions de conservation, de conseil ou de contrôle, de ces derniers.

Certains élus déplorent un dialogue lacunaire, voire absent en cas de conseil ou des avis parfois arbitraires dans le cadre des missions de contrôle. Vous pourrez nous faire part de votre retour d'expérience.

Les premières auditions que nous avons menées ont déjà mis en exergue l'inachèvement de la rationalisation du périmètre d'intervention des ABF, les lacunes du dialogue entre ABF et élus ou particuliers, les difficultés matérielles des ABF à exercer leurs missions, le nombre important de postes vacants, et, enfin, l'immensité du défi consistant à concilier la protection du patrimoine et la transition écologique.

Votre témoignage nous permettra de mieux cerner ces difficultés ainsi que les problèmes qui sont à la base des controverses liées aux ABF.

Mme Marjan Hessamfar, vice-présidente du Conseil national de l'Ordre des architectes, et architecte conseil de l'État auprès de la direction régionale des affaires culturelles (DRAC) des Hauts-de-France. - Merci pour cette invitation à parler de nos confrères ABF, qui sont avant tout des alliés sur les territoires : ce n'est pas toujours perçu, en raison généralement de chicaneries, mais il y a accord, dans le fond, sur l'utilité de la fonction.

Quelques mots sur l'Ordre des architectes. Il a une délégation de service public pour la tenue des tableaux des architectes - qui sont au nombre d'environ 30 000 répartis sur tout le territoire, dont 25 000 entreprises. L'Ordre des architectes est organisé en 17 conseils régionaux et un conseil national, dont je suis la vice-présidence. L'Ordre a pour missions de veiller à la bonne formation des architectes, à leur assurance et au respect de la déontologie, laquelle prévoit en particulier d'énoncer tout lien économique avec la maîtrise d'ouvrage - ces missions visent à garantir la qualité du travail de l'architecte pour le client, qu'il soit public ou privé. À la différence d'un syndicat qui défend les intérêts d'une profession, nous défendons donc l'intérêt général. Au sein de l'Ordre des architectes, nous sommes tous des professionnels, élus, et nous entendons valoriser le travail des architectes au-delà de la maitrise d'oeuvre, le valoriser dans la maitrise d'ouvrage - et nous sommes tout à fait dans l'esprit d'un dialogue plus nourri et enrichissant avec nos consoeurs et confrères ABF.

Je suis également architecte conseil de l'État (ACE), auprès de la DRAC des Hauts-de-France. C'est une fonction méconnue, alors qu'elle répond à bien des questions que vous vous posez au sein de cette mission d'information. Les ACE sont recrutés sur dossier et audition interministérielle - par le ministère de la transition écologique et le ministère de la culture - parmi les architectes praticiens depuis au moins 15 ans ; nous sommes quelque 160 à l'échelle nationale, nous sommes sollicités comme experts sur des sujets très divers par les directions départementales des territoires et de la mer (DDT-M), les directions régionales de l'environnement, de l'aménagement et du logement (Dreal) et les directions régionales des affaires culturelles (DRAC). Nous renforçons les ABF pour apprécier des situations complexes, et nous avons aussi un travail de médiation entre collectivités, opérateurs privés et ABF, avant le dépôt de plainte à la commission régionale du patrimoine et de l'architecture (CRPA) contre la décision de l'ABF. Ce travail de médiation est important, mais nous ne sommes au mieux que deux ACE par DRAC et deux ACE en central à pouvoir le faire, ce n'est pas suffisant. J'ajoute que les ACE continuent leur profession d'architecte et n'interviennent que sur des missions précises pour le compte de l'État, ceci hors de la région où ils exercent leur profession d'architecte, pour qu'il n'y ait pas conflit d'intérêts. Le corps comprend également des paysagistes conseils de l'État, je pense que cette fonction est très utile et qu'elle fait encore trop défaut à bien des projets, en particulier d'implantation d'éoliennes - je vous suggère d'auditionner la présidente de l'association des architectes conseils de l'État pour mieux connaître ces fonctions.

Les ABF sont les gardiens du temple : sans eux, les intérêts particuliers, économiques, feraient que les projets réalisés ne seraient pas à la hauteur de l'espérance culturelle française - c'est essentiel, les ABF protègent la qualité architecturale française. Je sais que vous en avez conscience, la commission de la culture du Sénat est bienveillante envers les ABF, mais il faut le répéter. Les ABF sont des alliés des architectes face aux intérêts économiques qui font pression sur l'architecte en charge de construire pour qu'il fasse moins cher, moins durable - et c'est main dans la main, en dialogue avec l'ABF, qu'on maintient la qualité architecturale. Ceci est donc le socle ; ensuite, il y a des pierres d'achoppement : les ABF sont une profession en saturation administrative évidente, les chiffres sont éloquents - le nombre de dossiers a plus que doublé en quelques années, alors que 10 % des postes sont vacants, la charge est très lourde. En réalité, un ABF ne peut pas répondre à toutes les demandes - le chiffre vous a été cité de 13 dossiers par jour, je ne vois pas comment cela est possible, concrètement.

Il faut donc plus d'ABF, mais aussi plus d'agents pour traiter les dossiers, plus d'architectes pour l'assistance à la maitrise d'ouvrage (AMO), plus d'architectes et de paysagistes conseils de l'État à l'échelon départemental, tout ceci pour une meilleure instruction des dossiers, ce qui suppose aussi une meilleure formation aux questions du patrimoine d'une manière générale et pour les services instructeurs en particulier. Nous savons bien que le ministère de la culture a peu de moyens, alors il faut veiller à ce que les recrutements se fassent aux différents niveaux.

Le métier d'ABF manque d'attractivité, car c'est un métier exposé et peu rémunéré, compte tenu de la pression qu'il faut assumer. Je l'ai découvert en fréquentant des ABF, j'ai vu leur grande compétence, leur attachement à leurs fonctions, mais j'ai vu aussi qu'ils étaient souvent au bord du burn out, et je n'hésite pas à le dire : ce n'est pas normal que des gens sur qui l'on se repose autant pour la qualité, soient si malmenés dans la vie, on les regarde comme des empêcheurs de tourner en rond alors que ce sont des garants de qualité et qu'ils sont au coeur de la politique patrimoniale de l'État.

La question de la formation se pose à toutes les échelles de la construction, de la maitrise d'ouvrage aux constructeurs, elle concerne aussi les ABF. L'adaptation au changement climatique oblige à changer de paradigme, c'est un bouleversement pour les architectes qui sont appelés à changer de matériaux de construction, de manière de les assembler, de lieux d'approvisionnement, ce qui modifie aussi toutes les données économiques des projets, sans compter les nouvelles règles de construction, les incitations à utiliser les énergies renouvelables - et il faut composer également avec les changements de la demande sociale, en particulier pour plus de qualité et de durabilité. Les ABF ont donc aussi besoin de se former, et je ne vois pas quand ils peuvent le faire avec leur charge de travail déjà excessive. Il faut penser, également, à former les médiateurs élus des CRPA, parce qu'ils doivent pouvoir être au même niveau d'information que l'ABF et des architectes, c'est primordial.

Ensuite, les périmètres délimités des abords (PDA) font parler, je crois qu'ils sont pertinents, parce que la règle des 500 mètres ne suffit pas, surtout avec les enjeux urbanistiques nouveaux posés par exemple par l'implantation des éoliennes, des panneaux solaires. Cependant, sachant qu'il y a 45 000 monuments historiques et seulement 3 000 PDA, on comprend qu'il faut aller plus loin, donc simplifier les démarches pour définir les PDA, massifier en quelque sorte - le ministère de la culture y travaille, c'est une bonne idée, comme professionnelle je crois qu'il faut aller dans ce sens.

L'ABF protège le patrimoine, mais il a aussi pour mission de promouvoir une architecture de qualité. Or, cet aspect pourtant essentiel passe en second parce que les ABF ne sont pas suffisamment associés en amont aux projets, ils arrivent trop tardivement, c'est d'autant plus dommage que cette partie du travail rend le métier attractif.

J'ai interrogé un confrère ABF sur sa façon de travailler, je vous rapporte son témoignage. Il me dit que dans son appréciation d'un projet, il regarde essentiellement comment sa consoeur ou son confrère architecte a pris en compte la valeur de l'existant, des avoisinants, ce qui fait sens et caractérise une architecture, un quartier, une ville, un paysage. Il me dit aussi que l'ABF n'est pas un conservateur, mais qu'il accompagne des projets pour les inscrire dans une évolution de la ville, du paysage, de ce qui fait sens. C'est très important : les ABF interprètent la réglementation pour aider à composer notre paysage, et c'est pour cela qu'il vaut mieux les associer en amont, les faire dialoguer avec les porteurs de projet. Vous savez que le recours à un architecte n'est pas obligatoire pour les projets de moins de 250m2, aussi l'ABF, dans les zones protégées, est parfois le seul architecte à examiner les projets, c'est alors un véritable garant de la qualité.

M. Pierre-Jean Verzelen, rapporteur. - Comment intervenez-vous dans vos fonctions d'architecte conseil de l'État ? Ensuite, est-ce qu'il y a des départements où un échange régulier se fait avec l'ABF ? Est-ce que ce serait une bonne idée de le prévoir ? Que pensez-vous de l'idée d'une certification particulière des architectes pour travailler dans les zones classées ? Enfin, comment définissez-vous la co-visibilité ?

Mme Marjan Hessamfar. - L'ACE, quand il est missionné par la DRAC, intervient à plusieurs niveaux. Quand un maire, par exemple, conteste l'avis de l'ABF, on nous demande une médiation avant que le dossier ne parte en CRPA ; on réunit alors les parties et on dialogue, pour décortiquer les raisons de chacun de penser que l'autre a tort. Nous essayons alors de progresser en trouvant des solutions techniques là où l'opérateur prétendait qu'il n'y en avait pas, ou trouver un moyen de satisfaire les exigences de l'ABF tout en restant dans les contraintes économiques du projet. Nous intervenons aussi en amont de certains projets, avant le dépôt du permis de construire, nous pouvons aussi alors accompagner l'ABF et l'architecte du projet. Je pense à un projet d'implantation d'un cinéma dans un centre-ville très patrimonial, un projet partie prenante d'une opération « Coeur de ville » où il aurait été malvenu que l'ABF empêche la réalisation d'un cinéma, mais où l'opérateur exigeait un tel nombre de places pour ce cinéma, qu'il projetait un bâtiment qui aurait enlaidi ce centre-ville ; nous avons avancé à petits pas, en montrant à l'opérateur qu'il pouvait aller chercher de la place en sous-sol, puisqu'il était obligé de faire des fouilles d'archéologie préventive en tout état de cause, et à l'ABF qu'il suffisait de réaménager les murs actuels pour dissimuler une partie de l'ensemble qui pourrait gêner l'ensemble - je n'entre pas dans le détail de ce dossier, ce que je veux dire, c'est que nous ne savons pas mieux que nos confrères et consoeurs architectes du projet et ABF, mais que nous cherchons des solutions dans la concertation...

M. Pierre-Jean Verzelen, rapporteur. - C'est d'autant plus utile que la concertation a manqué au départ...

Mme Marjan Hessamfar. - Oui, nous aidons à trouver des solutions. Nous sommes aussi utiles, comme ACE, lorsque par exemple l'ABF voit qu'un problème pour un bâtiment sur lequel il est saisi, parce que ce bâtiment est dans son périmètre, se pose en fait pour d'autres bâtiments, à une échelle plus large - et il nous demande d'intervenir pour faire prendre en compte la qualité architecturale à une échelle plus large.

M. Pierre-Jean Verzelen, rapporteur. - Comment êtes-vous rémunérés ?

Mme Marjan Hessamfar. - J'ai 26 vacations par an, soit 2 jours par mois pendant lesquels je dois être disponible - et je suis payé à un tarif jour.

Les échanges réguliers, oui, sont une très bonne idée : il faut des lieux d'échange. En Hauts-de-France, nous avons installé une conseillère architecture, pour animer le réseau : elle réunit régulièrement les architectes de terrain et les ABF, pour partager la culture du territoire, montrer des exemples réussis d'isolation sur du patrimoine historique, d'implantation de panneaux solaires, par exemple, c'est un lieu où l'on ne traite pas des dossiers, mais où l'on parle architecture ; nous avons aussi mis en place un guide, nous faisons des fiches techniques, pour mettre de l'ordre dans le foisonnement des initiatives, le ministère de la culture centralise une information pour donner un cadre et des exemples.

Des architectes sont formés sur le patrimoine, c'est vrai que le dialogue avec l'ABF est de meilleure qualité quand il y a une expérience de travail sur un patrimoine remarquable - ce qui ne veut pas nécessairement dire ancien, on a de plus en plus de patrimoine remarquable assez récent, du 20ème siècle, qu'il va falloir rénover, et c'est là aussi où l'ABF est utile, il apporte sa compétence, pour autant qu'on le consulte suffisamment en amont.

Je préfère laisser l'Association nationale des ABF vous répondre par écrit sur la co-visibilité, c'est une notion sujette à de nombreuses interprétations.

Mme Sabine Drexler. - Vous évoquez la complexité de la mise en place du PDA, avez-vous des propositions pour simplifier les procédures ?

Mme Marjan Hessamfar. - Non, la réponse est du côté de l'administration et, comme praticiens, nous avons du mal à faire des propositions dans l'ordre administratif. J'ai compris que les délais étaient particulièrement longs quand le PLU évoluait aussi, et que les concertations rendaient les choses plus compliquées encore - je ne sais pas comment les choses se passent précisément, mais je dirais que pour cette consultation sur les périmètres, il faut un certain niveau d'expertise et du temps de travail pour se prononcer de manière éclairée.

Mme Sabine Drexler. - On évoque l'idée de ne pas en passer par une enquête publique...

Mme Marjan Hessamfar. - Je ne vois pas en quoi une enquête publique aiderait à délimiter le périmètre, la question est très pointue, il faut de l'expertise. L'avis de la population, qui est une somme d'intérêts particuliers, va, me semble-t-il, comme parasiter une réflexion construite sur le périmètre.

Pour renforcer l'attractivité du métier d'ABF, il faudrait agir sur plusieurs leviers, très largement. Il faudrait que les stages de fin d'études et d'habilitation à la maitrise d'oeuvre (HMO) soient plus nombreux au sein des unités départementales de l'architecture et du patrimoine (UDAP), il faudrait que les étudiants en architecture soient mieux formés aux questions du patrimoine et que les ABF aillent davantage dans les écoles d'architecture, qu'ils soient dans les jurys - ce qui suppose qu'ils aient du temps pour le faire.

Enfin, s'agissant de la notion de cartographie et de PDA, je crois intéressant qu'on ne pense pas seulement que l'ABF est censé dire oui ou non à l'emplacement de tel équipement à tel endroit, et selon telle ou telle modalité, mais qu'on le sollicite davantage pour faire des propositions. Actuellement, il motive son refus, et il serait intéressant de lui demander des propositions alternatives, cela mobiliserait sa compétence de lecture du territoire, du paysage, au nom de la qualité architecturale.

Avec l'Ordre des architectes, nous avons mis en place le dispositif « Un maire, un architecte », pour que les maires, en particulier ruraux, puissent s'appuyer sur des professionnels qui soient en mesure de leur donner des conseils de programmation en amont, nous avons aussi mis en place des formations en ce sens pour les architectes.

Mme Marie-Pierre Monier, présidente. - La cartographie n'existe pas, et vous la recommandez ?

Mme Marjan Hessamfar. - Oui, l'idée c'est que, dès lors qu'il y a un PDA, l'avis soit demandé de manière plus large, le PDA servant à la cohérence d'ensemble.

Mme Marie-Pierre Monier, présidente. - Le ministère de la culture a publié le 9 décembre 2022 une instruction sur l'installation de panneaux photovoltaïques : y avez-vous été associés en amont ? En avez-vous déjà un bilan ? Est-ce une démarche à élargir, à généraliser ?

Mme Marjan Hessamfar. - La co-visibilité est une notion complexe, on doit en réalité raisonner en fonction du site, à l'échelle de la commune, sur la pertinence du projet - et pas seulement sur le fait qu'il y ait visibilité stricto sensu, ou pas. L'ABF est un sachant, qui peut donner aussi des alternatives, pour accompagner les communes dans la valorisation de leur patrimoine. On se plaint des règles, mais on demande aussi une application mécanique des autorisations... En réalité, un guide peut apporter des exemples, mais il ne peut servir de modèle applicable tel quel. Il faut aussi penser à l'échelle territoriale, les patrimoines ne sont pas les mêmes selon les régions, c'est ce qui rend intéressant le rattachement des ABF aux DRAC, la concertation des ABF à l'échelle régionale est intéressante, c'est un creuset de la cohérence.

Mme Marie-Pierre Monier, présidente. - Les PDA pourraient-ils intégrer des recommandations techniques, sur l'utilisation de certains matériaux par exemple ?

Mme Marjan Hessamfar. - Oui, c'est pertinent et cela se fait. Le patrimoine n'est pas un matériau renouvelable, nous construisons aujourd'hui le patrimoine de demain et s'il n'est pas durable, nous préparons des ruines - il faut penser l'échelle de temps.

M. Pierre-Jean Verzelen, rapporteur. - Quel rôle les ABF jouent-ils dans le déploiement de l'éolien ? Sont-ils intervenus par exemple dans les Hauts-de-France, où la Somme et l'Aisne ont vu beaucoup d'éoliennes être implantées - trop, même, selon certains ?

Mme Marjan Hessamfar. - Oui, ils donnent des avis dans leur périmètre d'intervention. Il y a saturation d'implantations d'éoliennes dans les Hauts-de-France, on comprend que, là aussi, les ABF seraient utiles pour la préservation du paysage. Il faut penser aussi aux socles de béton des éoliennes, que les opérateurs ne sont pas obligés de retirer quand ils enlèvent l'équipement, et qui risquent de miter le paysage tout en réduisant la surface naturelle...

Mme Marie-Pierre Monier, présidente. - Merci pour toutes ces informations.

Cette audition a fait l'objet d'une captation vidéo qui est disponible en ligne sur le site du Sénat.

La réunion est close à 19 h 25.