Un quartier historique

Implantée sur la rive gauche de la Seine, Lutèce se déploie sur les versants de la montagne Sainte Geneviève à partir de l’axe fondateur de la ville, le cardo maximus, actuelle rue Saint-Jacques. D’une superficie d’une centaine d’hectares, elle abritait alors une population estimée entre 5 000 et 10 000 habitants.

La partie Nord-Ouest du Jardin du Luxembourg n’est située qu’à quelques dizaines de mètres du forum, le centre névralgique de la cité. Implanté en contrebas de la colline, le site du Jardin se trouve ainsi à la fois à l’intérieur de la ville et en dehors de ses limites supposées, l’absence d’enceinte ne permettant pas de connaître ses contours précis.

On retrouve dans les « Papiers VACQUER » des croquis  reconstituant le tracé des axes romains et l’emplacement des murs repérés.

Cette zone, particulièrement bien explorée par les archéologues, abritait, entre le Ie et le IIIe siècle, un secteur résidentiel gardant les traces d’habitations à la romaine, tout confort ; mais aussi une partie plus spécifiquement artisanale, et, principale caractéristique du site, une multitude de puits dont la fonction première demeure mystérieuse.

Des villas équipées de luxueuses installations balnéaires

Les maisons étaient bâties selon le modèle romain, autour d’une cour centrale. Aucun plan complet n’a pu être restitué, mais de nombreux éléments témoignent de leur confort. Dès 1862, l’archéologue Théodore VACQUER signalait des vestiges évoquant un hypocauste, dont la présence a été confirmée par les fouilles réalisées en 1956.

Un hypocauste est le nom donné au système de chauffage par le sol utilisé à l’époque romaine, dans l’ensemble de l’Empire, et notamment par les Gallo-romains dans les thermes romains et les bains.

En 1985, les archéologues ont mis au jour, à proximité du Grand bassin du Jardin du Luxembourg, les vestiges de bains privés, avec décor de mosaïque et fresques polychromes. Cette découverte dans le Jardin du Luxembourg de plusieurs maisons dotées de bains, alors que ce dispositif était très rare à Lutèce, suggère qu’il s’agissait d’un quartier privilégié.

L’édifice balnéaire découvert en 1985, tel que reconstitué par les archéologues, présentait un hypocauste complet ; le praefurnium (chaufferie des thermes) abritait un foyer puissant ; ainsi, le caldarium (partie des thermes pour les bains chauds), et, dans une moindre mesure, le tepidarium (pour les bains tièdes), plus éloigné, étaient chauffés par l’air chaud qui circule sous leur sol ainsi que par les parois.

Cet ingénieux système permettait de produire une température pouvant atteindre 30 degrés. La décoration de ces ensembles balnéaires apparaît particulièrement recherchée.

De nombreux fragments de peinture murale ont été trouvés un peu partout dans le Jardin du Luxembourg. Il a été possible de dresser une restitution graphique de l’ensemble le mieux conservé, qui représente, sur fond noir, des décors de candélabres.

Plan restitué d'une station balnéaire

Documents

Les bassins étaient quant à eux tapissés de tesselles ; leur format très allongé et leur position verticale sont caractéristiques des mosaïques destinées à des espaces en eau. Ces tesselles ont été importées de différentes régions de Gaule.

Elles étaient déjà attestées dans la planche IIII de l’ouvrage de Claude-Madeleine GRIVAUD de la VINCELLE.

A l’occasion des fouilles qu’il avait menées lors la campagne de 1807, l’archéologue évoquait les fragments d’un pavé circulaire en mosaïque parfaitement conservé, mais détruit en son absence :


« Il est fâcheux de convenir qu’elle fut impitoyablement brisée, et que les débris en furent ensevelis dans les remblais de la nouvelle chaussée ». Malgré ses efforts pour exhumer ces débris, il ne put retrouver que quelques fragments « qui avaient été ramassés par un curieux ».

La mosaïque exhumée en 1985 témoigne également du luxe de l’installation. Des fragments de verre à vitre. Le vitrage en verre apparait au Ie siècle. C’est non seulement un élément de confort mais également de décoration et d’ostentation. On le trouve surtout dans les édifices thermaux. Des fragments de marbre. Dont un fragment de placage mural importé d'Ariège. Des manches de clefs en bronze, très travaillés.

Claude-Madeleine GRIVAUD de la VINCELLE répertoriait d’autres clés, entrées de serrure et pièces de ferronnerie très ouvragés.

Clés, serrures et ferroneries

Les 4 dernières illustrations sont extraites de l’ouvrage Antiquités gauloises et romaines recueillies dans les jardins du palais du Sénat, Claude-Madeleine GRIVAUD de la VINCELLE, 1807, Source : Gallica.BnF.fr/Bibliothèque nationale de France

Un quartier artisanal vivant et varié

Plusieurs types d’ateliers artisanaux ont été identifiés dans la partie méridionale du Jardin du Luxembourg : poterie, travail de l’os, du verre ou du métal. Si la poterie nécessite des installations importantes qui ont pour partie pu être retrouvées, les autres activités n’ont besoin que d’installations légères et ne sont détectables que par les déchets qu’elles produisent.

Le four de potier, découvert en 1973, est visible actuellement dans la cour du 36 rue de Vaugirard. Cependant à l’origine il n’était pas posé sur le sol comme on peut le voir aujourd’hui, mais aux trois quarts enterré.

Un autre four a été mis au jour au 26 rue de Vaugirard et plusieurs autres encore dans les rues avoisinantes. Ces découvertes témoignent qu’au IIIe siècle, ce quartier de Lutèce était un centre de production de poteries important.

Autre témoignage de cette activité, l’ouvrage de Claude-Madeleine GRIVAUD de la VINCELLE recense également plusieurs fragments de moules.

« Cinq bassins profonds de deux mètres environ (à proximité de la terrasse Saint-Michel), de forme irrégulière, très rapprochés les uns des autres, qui servaient sans doute à la préparation des terres rougeâtres amoncelées dans le voisinage et avec lesquelles on fabriquait les poteries (…). Très vraisemblablement, c’étaient les vestiges d’un atelier de céramique (…) ».

Louis-Arthur HUSTIN

Four de potier découvert en 1973 © Sénat
Four de potier découvert en 1973

Travail de l'os

Le travail de l’os est également bien attesté. Une production artisanale liée au travail sur matière osseuse animale a été décelée, avec une utilisation importante d’ossements d’équidés pour la confection d’objets comme des baguettes et des épingles. (voir les documents ci-dessus)

À l’intérieur de ces tubes en os poli on plaçait des pièces en bois qui s’emboîtaient. Mis bout à bout, ces éléments formaient un long cylindre qui était assemblé, à l’aide de chevilles, à des parties de coffres ou de petits meubles que l’on voulait rendre mobiles.

L’os était également un matériau de prédilection pour la fabrication d’aiguilles, épingles à cheveux, sifflets, jetons(documents ci-dessus). Un autre type d’activité, tourné vers la récupération secondaire de produits bovins, a également été mis en évidence : les os longs des membres et les mandibules sont fortement concassés, de façon à pouvoir en extraire huile, gélatine ou moelle.

Travail du verre

Les résidus de verre (document ci-dessus) sont issus de restes d’un atelier de verrier dans lequel on fabriquait des objets à partir de matière brute importée d’Orient ou à partir d’objets refondus.

Un four de verrier d’époque tardive a été identifié à proximité de la façade Est du Palais du Luxembourg.

Ainsi que celui du bronze et de l’or (documents ci-dessus).

De très nombreux puits

Insoupçonnés aux yeux du promeneur contemporain, on dénombre pas moins de plusieurs centaines de puits sur le seul site du Jardin du Luxembourg, découverts au fil des interventions des archéologues !

L’absence (actuelle) d’eau et la présence de vases parfois entiers dans leur comblement ont favorisé les interprétations les plus diverses : puits de potiers, puits funéraires, votifs, cultuels, à offrandes, à sacrifice, latrines, silos, puits d’extraction de matériaux...

Ce qui est certain, c’est qu’ils ont été utilisés comme dépotoirs dans leur utilisation ultime. En tous les cas, pour les archéologues, la fouille de ces puits est toujours l’occasion de découvertes passionnantes ; car c’est tout le quotidien des habitants qui ressurgit : vaisselle, reliefs de repas, bijoux, lampes, figurines…. Mais aussi les restes de tout petits chiens de compagnie. Au total : près de 550 vases, dont certains intacts ; et plusieurs dizaines de kilos de coquilles d’huîtres et d’ossements de viande consommée.

Fouille d'un puits
Relevé de fouilles par Louis Travers en 1962 © Inrap

Figurine représentant un enfant

Une figurine représentant un enfant vêtu du cucullus (manteau court muni d’une capuche) typiquement gaulois.

Autour de son cou on distingue un col, à moins qu’il ne s’agisse d’un ornement ou d’un bijou. Le personnage tient dans les mains, dans un geste d’offrande, un plat ou une coupe. Ces statuettes, liées au culte domestique, sont présentes partout en Gaule. On les trouve dans des contextes funéraires, religieux ou domestiques. Produites à Autun et dans la vallée de l’Allier, elles bénéficient de méthodes de fabrication en série par la technique du moulage.

Fibules

Les fibules (broches servant à attacher les vêtements) évoluent au gré de la mode et sont de bons indices chronologiques pour les archéologues. Le modèle circulaire, décoré, au centre, d'une petit oiseau, est importé de Gaule de l'Est.

Fibules émaillées en bronze (IIe siècle)
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Flacon en verre

La petite taille de ce flacon le destine aux parfums ou aux huiles médicinales. La découverte d’objets en verre est exceptionnelle car ce matériau est toujours recyclé.

Amphore miniature

Ce type de vase en forme d’amphore miniature contenait des herbes médicinales, des préparations pharmaceutiques ou des parfums. Plusieurs ateliers de production sont connus : Autun, Chartres, Lyon ou Périgueux. Trois autres exemplaires ont été mis au jour sur ce site. À Lutèce de tels objets sont rares.

Perles de verre

Plusieurs perles de verres joliment travaillées font parti des découvertes. Connues en Égypte dès le XVème siècle avant Jésus-Christ, les perles en pâte de verre sont très en vogue durant les deux premiers siècles de notre ère. L’ouvrage de Claude-Madeleine GRIVAUD de la VINCELLE atteste des modèles comparables.

Ossements de chiens

Au moins huit restes de chiens, découverts dans l’un des puits fouillés en 1985. Mesurant entre 20 et 30 cm de hauteur, ils sont de taille inférieure aux plus petites races actuelles. Leur morphologie s’apparente à celle des ratiers de Prague. Ces petits chiens semblent être une spécialité lutécienne, mais ceux découverts dans ce puits sont les plus petits inventoriés pour cette époque. L’hypothèse d’animaux de compagnie est recevable au regard du statut social des habitants, ce qui n’empêche nullement qu’ils aient pu parfois être consommés.

Cave Canem
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Une économie ouverte

Les objets mis au jour sur le site du Jardin du Luxembourg témoignent de l’intégration de Lutèce à l’Empire romain.

Les vases en céramique en constituent un parfait exemple. Qu’ils aient été achetés pour eux-mêmes ou qu’ils ne soient que des emballages, ils traduisent l’intensité des flux commerciaux.

En effet, si certains sont produits localement, nombre d’entre eux sont importés du nord, de l’est, du centre ou du sud de la Gaule, mais aussi d’Italie ou d’Espagne et même des confins de l’Empire.

Lutèce était en effet un important port fluvial, qui collectait des denrées puis les redistribuait le long du fleuve.

Une amphore à vin importée de la région d’Éphèse (Turquie), IIIème siècle

Cette petite amphore contenait un vin de luxe, réputé pour être le meilleur de tous. Sa présence en Gaule est exceptionnelle. Des inscriptions gravées sur la paroi nous renseignent sur son contenu, du vin (PASSUM), sur ses pesées successives, mais aussi sur son propriétaire, DIONYSOS (DIONISANUS), à moins qu’il ne s’agisse d’une inscription à caractère bachique faisant référence à DIONYSOS, nom grec de BACCHUS, dieu du vin. Après son utilisation comme récipient à vin, cette amphore a été soigneusement découpée en deux pour une raison inconnue.