Audition de M. Denis Pallier, Doyen de l'inspection générale des Bibliothèques

Mardi 17 mars 1998


M. Denis Pallier a, dans un premier temps, présenté les activités de l'Inspection générale des bibliothèques (IGB). Il s'agit d'une petite inspection qui ne comporte que huit membres, dont un inspecteur général et six conservateurs généraux des bibliothèques chargés d'une mission d'inspection, le corps des inspecteurs généraux étant appelé à disparaître. Six emplois relèvent du ministère de l'Education nationale, celui de la Culture ayant contribué à la reconstitution du service en mettant à disposition, à partir de 1996, trois conservateurs généraux des bibliothèques.

M. Denis Pallier a, en effet, insisté sur la particularité du statut de l'IGB.

De 1945 à 1975, une direction du ministère de l'Education nationale prenait en charge les bibliothèques publiques, les bibliothèques universitaires et les personnels d'Etat des bibliothèques. En 1975, l'IGB resta sous la tutelle du ministère de l'Education nationale mais fut également appelée à travailler pour le ministère de la Culture. Cette sorte de double tutelle posa dès lors des problèmes d'ordre existentiel à l'IGB, d'autant que l'extinction progressive du corps des inspecteurs généraux des bibliothèques fut programmée au cours des années qui suivirent.

En 1992, Jack Lang devint ministre de l'Education nationale et de la culture, cette situation tendant à rassurer l'IGB sur son existence à long terme, même si ses modalités de fonctionnement ne s'en sont guère trouvées améliorées, du fait notamment de l'établissement d'un double programme de travail, parfois peu complémentaire, par les deux ministères. Cependant, les modalités de fonctionnement de l'inspection devraient être améliorées par la sortie d'un décret organisant le service, ce texte ayant fait l'objet d'un accord entre les deux ministères dès la fin de 1996.

M. Denis Pallier a, ensuite, rappelé que depuis 1995, l'IGB avait effectué un peu moins de quarante inspections de bibliothèques universitaires, ajoutant que, en 1995 et 1996,l'IGB avait contrôlé pour la première fois des unités régionales de formation à l'information scientifique et technique (URFIST), dont la mission est de former les personnels des bibliothèques et les enseignants des troisièmes cycles aux nouvelles technologies.

Les services de documentation dont l'inspection est demandée par les programmes fixées par le ministre de l'Education nationale sont généralement ceux d'universités dont les contrats avec le ministère sont à mi-parcours. S'y ajoutent chaque année l'inspection de quelques-unes des bibliothèques interuniversitaires parisiennes et des cas particuliers (partages de collections, arrivée d'un nouveau directeur dans une bibliothèque, problèmes de personnel...). A ces "photographies" ponctuelles d'organismes documentaires, l'inspection a proposé d'ajouter l'inspection de services communs de la documentation (SCD) d'universités particulièrement concernées par l'organisation de leur documentation : universités nouvelles et universités auparavant desservies à Paris (Paris 2) ou en région par une bibliothèque interuniversitaire (Lyon, Nancy, Strasbourg, Toulouse...). C'est dans les universités qui ont récemment acquis l'autonomie documentaire que l'on trouve quelques-unes des politiques documentaires les plus actives.

Dans ce domaine, l'IGB a axé son travail sur l'organisation documentaire des bibliothèques universitaires, notamment dans les universités nouvelles, sur les bibliothèques interuniversitaires (BIU) parisiennes, puis sur la constitution des centres d'acquisition et de diffusion de l'information scientifique et technique (CADIST).

M. Denis Pallier a, par conséquent, tenu à préciser que le contrôle des bibliothèques universitaires ne constituait qu'une partie de l'activité de l'IGB, cette dernière en raison de se reconstitution récente, ne pouvant disposer d'une vision complète fondée sur le contrôle de ce sujet.

M. Jean-Philippe Lachenaud a souhaité connaître la situation des bibliothèques universitaires, près de dix ans après la parution du rapport Miquel.

M. Denis Pallier a rappelé que le rapport Miquel appelait la mise en oeuvre de moyens nouveaux considérables en faveur des bibliothèques universitaires, insistait sur le nécessaire développement des technologies nouvelles en leur sein, et souhaitait l'insertion de ces bibliothèques dans l'université, alors qu'elles n'en constituaient à l'époque qu'un service, souvent simplement juxtaposé.

M. Denis Pallier a estimé que les bibliothèques universitaires avaient connu, depuis 1989, un mouvement conforme aux préconisations du rapport Miquel, notamment en matière de crédits documentaires.

Un effort notable a notamment été constaté en faveur des locaux, même si la croissance continue des effectifs d'étudiants a contribué à le relativiser : le rapport Miquel préconisait la construction de 370.000 mètres carrés : 173.000 ont été ouverts, soit 47 % des recommandations.

Une insuffisance en matière de personnels des bibliothèques peut également être encore constatée.

M. Denis Pallier a ensuite souligné que l'usage plus répandu des technologies nouvelles et le développement des banques de données étaient indéniables, la mise en oeuvre de moyens documentaires nouveaux, réalisée par voie contractuelle avec les universités, ayant permis l'établissement de meilleures relations entre les bibliothèques universitaires et les enseignants.

Ces nouveaux moyens techniques se sont aujourd'hui largement banalisés, si bien que 95 % des bibliothèques universitaires ont, en matière d'acquisition et de consultation d'ouvrages, un système informatique moderne qui autorise un élargissement considérable du champ documentaire : l'accès aux documents numérisés notamment permet désormais aux bibliothèques universitaires françaises de rivaliser, en la matière, avec les bibliothèques allemandes ou néerlandaises.

M. Denis Pallier a fait valoir que la construction de nouveaux locaux permettait une mise en valeur des moyens techniques, la conjonction d'une rénovation immobilière et d'une rénovation technique ayant nettement amélioré les conditions de travail des étudiants.

Il a en effet souligné le net changement relatif à l'image des bibliothèques universitaires auprès de leurs utilisateurs, notamment les étudiants, qui les fréquentent davantage que par le passé. Il a ajouté que la forte augmentation des acquisitions expliquait largement ce phénomène, le nombre de titres de périodiques ayant doublé et les acquisitions d'ouvrages, triplé. Il a ainsi souligné que 65 % des étudiants, en 1991, étaient inscrits dans une bibliothèque universitaire, au lieu de 50 % en 1987, les consultations sur place ayant crû de 50 %, le prêt entre bibliothèques de 75 %, passant de 400.000 à 700.000, et les entrées dans les bibliothèques universitaires de 100 %, passant de 20 à 42 millions par an.

M. Denis Pallier a indiqué que la politique documentaire des bibliothèques universitaires avait fait l'objet d'une inspection de l'IGB, en 1980, conjointement à l'inspection générale de l'administration de l'éducation nationale, puis en 1992. L'IGB a ainsi pu tirer plusieurs conclusions de ces études menées à douze ans d'intervalle.

La politique documentaire est désormais définie par l'université, ce qui n'était guère le cas auparavant, même si le plus grand désordre découle nécessairement de l'existence de plus de 3.000 pôles documentaires aux statuts très variés, cette situation étant l'objet d'une double préoccupation liée à l'insuffisance de la mutualisation des moyens et à un éparpillement nuisible au développement des nouvelles technologies. En revanche, en France, les modalités de la politique documentaire sont assez souples, à l'inverse de ce qui existe en Allemagne, puisque les bibliothèques universitaires ont privilégié la coopération, en matière de formation ou d'élaboration de catalogues collectifs par exemple, ainsi que le regroupement, voire l'intégration de bibliothèques d'unités de formation et de recherche (UFR), les bibliothèques d'UFR devant, en effet, être réorganisées afin de pouvoir jouer un rôle plus important dans l'université, notamment eu égard aux besoins des utilisateurs concernés, à l'image de ce qu'a fait l'université Louis Pasteur de Strasbourg.

M. Denis Pallier a conclu sur le caractère complexe de la politique documentaire des bibliothèques universitaires en France, un modèle unique étant condamné à l'échec mais une impulsion coordinatrice étant nécessaire.

M. Denis Pallier a ensuite évoqué la question de l'intégration de la bibliothèque universitaire au sein même de l'université. Il a, à ce propos, noté un profond changement par rapport au passé, qui s'explique avant tout par une volonté politique illustrée, par exemple, par la grande implication des responsables universitaires (présidents et secrétaires généraux notamment) dans l'importance accordée aux bibliothèques . Les politiques d'intégration des bibliothèques universitaires les plus actives ont été rencontrées à Lyon et à Strasbourg, mais ce travail d'intégration est assez lourd et nécessite d'importants moyens ; mais, il est voué à l'échec si des objectifs structurants, universitaires et pas seulement bibliothécaires, n'ont pas été définis de manière préalable.

Puis, M. Denis Pallier a abordé des points plus précis.

En matière d'offre de nouveaux supports, il a noté que la mise en place de réseaux de CD-Rom était maintenant effective, mais que la mutualisation de ces outils très coûteux était encore insuffisamment réalisée, alors même que la numérisation croissante des documents rend cette mutualisation indispensable, au regard de la problématique coût/efficacité.

L'inspection a constaté que la mise en place de réseaux de cédéroms accessibles de tous points de l'université s'accompagnait rarement de politiques de cofinancement SDC/bibliothèques de recherche.

La fourniture par les éditeurs de périodiques électroniques, qui commence en sciences et en médecine, devrait poser le problème à plus grande échelle.

Desservant une communauté, la bibliothèque doit lui garantir un dispositif souple, évolutif, adapté à l'utilisation. L'accès aux périodiques électroniques devra répondre à deux types de besoins. Si un titre n'a qu'un intérêt majeur, elle recherchera un abonnement électronique, garantissant un accès itératif au document pour des utilisateurs multiples. Pour le maintien ensuite du contenu des périodiques, un réservoir local ou régional peut être une meilleure solution que le recours à un serveur national ou international.

L'objectif devrait être de dépenser mieux en achetant une fois chaque source utile et en la rendant accessible à l'ensemble d'une communauté universitaire, dans ses différents sites, sur des infrastructures techniques communes. Au vu des coûts, il est intéressant de constituer un consortium, de réfléchir à un partage de ressources entre plusieurs établissements. L'usage de la documentation électronique peut être recherché à la fois pour les périodiques et pour les manuels, parce qu'il permet de résoudre des problèmes graves : augmentation de la population d'étudiants, dispersion de la population universitaire sur plusieurs campus.

C'est sans doute un des secteurs où le service de documentation devrait être la boîte à outils commune des étudiants et des enseignants-chercheurs.

S'agissant de la question des personnels, il a d'abord fait part de ses observations relatives à l'organigramme et à la répartition des tâches entre les différents services, au sein des bibliothèques universitaires.

La caractéristique des bibliothèques universitaires françaises, dans leur grande majorité, est d'être découpées en sections, correspondant aux anciennes facultés (Lettres, Droit, Sciences, Médecine). C'est un choix qui a été fait lors de la consolidation des bibliothèques universitaires, qui a accompagné l'expansion universitaire des années 1960. L'objectif était de décentraliser le bibliothèque universitaire, dans l'espoir de fédérer les bibliothèques d'instituts et de laboratoires. Chaque section a regroupé rapidement à la fois services intérieurs (acquisitions, catalogage...) et services au public. Par là, les bibliothèques universitaires françaises diffèrent de leurs homologues étrangères, où prévaut un schéma encyclopédique et centralisé, moins coûteux en fonctionnement : une bibliothèque centrale organisée par fonctions techniques (acquisitions, catalogage, service public, conservation) avec quelques annexes spécialisées, à fonction de diffusion.

De ce fait, l'organigramme-type était en France : un directeur, chargé de l'administration, du personnel, des programmes, et des chefs de section, en charge des unités fonctionnelles majeures. Cette situation a été fixée par le décret de 1985, qui a officialisé les chefs de section. Les fonctions de directeur et de chef de section sont la base de la répartition des indemnités.

Depuis quelques années, la situation change, dans le cadre des politiques documentaires d'université qu'ont permis le décret de 1985, la contractualisation et les moyens attribués à la suite du rapport MIQUEL. Les directeurs ont fréquemment auprès d'eux un conservateur-adjoint ou des chargés de mission, pour piloter la mise en place des nouvelles technologies, l'intégration de bibliothèques ou l'organisation de la formation continue des personnels. Le rôle fédérateur des sections est moins évident que les politiques impulsées par les directeurs et ce service central, toujours réduit mais très actif.

M. Denis Pallier a également relevé que la pyramide des emplois n'était guère adaptée à la situation actuelle et à venir de bibliothèques universitaires. Elle est en effet caractérisée par un encadrement important (24 % de conservateurs, contre 14 % en Allemagne), un encadrement intermédiaire très insuffisant (6 % de bibliothécaires, contre 38 % outre-Rhin) et par la pléthore des personnels de service (46 % contre à peine 6 % en RFA). Or, l'évolution des bibliothèques nécessite un nombre beaucoup plus important de bibliothécaires et bibliothécaires-adjoints, et une reconversion des personnels de service en personnels techniques, afin qu'apparaissent de véritables "techniciens de bibliothèque" comme il existe des techniciens de laboratoire.

En matière de formation continue, celle-ci est assurée, depuis 1992, à trois niveaux :

- au niveau national, des formations ont été proposées par l'Institut de formation des bibliothécaires (IFB) qui devrait fusionner à court terme avec l'Ecole nationale supérieure des sciences de l'information et des bibliothèques (ENSSIB) ;

- au niveau régional, par les centres régionaux de formation aux carrières des bibliothèques, du livre et de la documentation (CFCBLD) ;

- au niveau de l'établissement, par un correspondant formation, dont la tâche est de prendre en considération des éléments pédagogiques comme la réalité de l'ensemble des services.

Abordant la question de la recherche, M. Denis Pallier a rappelé que le rapport Miquel souhaitait favoriser l'accueil documentaire des premiers et deuxièmes cycles dans les bibliothèques.

Il a souligné qu'existaient deux niveaux de service proposables par une bibliothèque universitaire :

·  les services "de masse" pour les étudiants de premier et deuxième cycles : accueil sur des horaires larges, initiation documentaire, documents acquis en plusieurs exemplaires et mis à disposition en libre accès, catalogues informatisés avec un accès ergonomique, prêt à domicile géré par un système informatique... A ce niveau, l'enjeu actuel est le développement de la formation documentaire des étudiants, enjeu identifié tant par les présidents d'universités que par les directeurs de bibliothèques.

·  une bibliothèque de recherche, comme la Bibliothèque interuniversitaire de médecine de Paris, où les collections de périodiques sont dominantes, offre d'autres types de service, plus coûteux en personnel, pour un public de spécialistes : conservateurs disponibles pour le renseignement (qu'on intitule service de référence), aide à la recherche documentaire, outils spécifiques (par exemple une base de données dépouillant les congrès médicaux), prêt interbibliothèques...

Toutes les bibliothèques universitaires ne sont pas en mesure d'offrir des services "recherche" aussi développés. Elle constituent cependant ensemble une véritable infrastructure de la recherche française. Au niveau local, elles offrent les principaux outils techniques : catalogues automatisés, réseaux de cédéroms, accès aux bases de données et internet. Respectant les normes internationales de traitement des documents, ce sont elles qui ont constitué les principaux catalogues collectifs nationaux de périodiques et de monographies. Elles gèrent l'essentiel des collections universitaires accessibles. L'accès à distance au document en France repose pour moitié sur le réseau des BU et pour moitié sur l'INIST.

M. Jean-Philippe Lachenaud s'est interrogé sur la bibliothèque de l'université nouvelle de Cergy-Pontoise, eu égard notamment à la construction très controversée d'une bibliothèque centrale.

M. Denis Pallier a jugé très satisfaisant le fonctionnement de cette bibliothèque, qui connaît un taux de fréquentation assez élevé pour une université nouvelle.

M. Jean-Philippe Lachenaud a émis l'idée de réserver, dans le cadre du tutorat mis en place par la réforme dite Bayrou des universités, un certain nombre de tuteurs affectés aux bibliothèques universitaires.

Il a ensuite voulu savoir s'il existait des normes en matière de bibliothèques universitaires.

M. Denis Pallier a considéré qu'il était difficile de parler de normes en France, mais qu'il existait en revanche des objectifs qui étaient déterminés de manière souple et évolutive, afin de tenir compte de phénomènes nouveaux, comme l'introduction des technologies nouvelles.

M. Jean-Philippe Lachenaud s'est demandé si l'Allemagne ne constituait pas, s'agissant des bibliothèques universitaires, une référence en Europe et quelles en étaient les raisons.

M. Denis Pallier a expliqué que le modèle allemand avait été suivi lorsqu'on été créées en France les bibliothèques universitaires centrales, entre 1873 et 1886. Cette création était un des moyens par lesquels le gouvernement préparait la réforme de l'enseignement supérieur. Elle a précédé la création des universités par réunion des facultés (1896).

La référence aux bibliothèques allemandes depuis les années 1970-1980 a eu au moins deux motifs. D'une part, les populations étudiantes étaient comparables en Allemagne et en France. Mais il était visible que le volume des moyens documentaires (acquisitions, personnel, mètres carrés) disponibles en Allemagne, ainsi que le volume des services fournis par les bibliothèques allemandes, étaient bien supérieurs. D'autre part, les universités allemandes, confrontées à un éparpillement documentaire analogue à celui des universités françaises, avaient préconisé et appliqué assez tôt des solutions viables (recommandations de 1964 et 1970). Elle affirmaient l'autorité de l'université sur ses bibliothèques, préconisaient la centralisation des services techniques et la déconcentration des lieux de distribution, modèle repris par les Pays-Bas.

M. Denis Pallier a conclu en regrettant que, contrairement à la situation allemande, les bibliothèques universitaires françaises n'étaient pas considérées comme un outil d'une politique globale de recherche et qu'elles n'étaient réservées qu'aux seuls universitaires, le nombre d'utilisateurs extérieurs étant extrêmement faible (6 à 7 %).