Lutte contre l'épidémie de fièvre catarrhale ovine (Question orale avec débat)

Mme la présidente.  - L'ordre du jour appelle la discussion de la question orale avec débat de M. Bailly à M. le ministre de l'agriculture sur la lutte contre l'épidémie de fièvre catarrhale ovine.

M. Gérard Bailly, auteur de la question  - L'épidémie de fièvre catarrhale ovine, dite aussi maladie de la langue bleue, est au coeur de l'actualité. J'ai auditionné sur le sujet à l'automne, en ma qualité de président du groupe d'étude sur l'élevage, et rédigé avec M. Fortassin un rapport adopté à l'unanimité par la commission des affaires économiques, qui en traitait notamment.

Je sais que l'épidémie vous inquiète autant qu'elle inquiète la filière, monsieur le ministre, et je suis heureux que votre collègue irlandaise ait attiré l'attention de Bruxelles sur la gravité de la situation. J'espère que la présidence française de l'Union européenne, au second semestre, sera l'occasion de prendre des mesures favorables à la filière. Selon la Fédération nationale des groupements de défense sanitaire (FNGDS), la crise est une des plus importantes depuis la Deuxième Guerre mondiale et la plus grave depuis la fin des années 1960.

La fièvre catarrhale ovine est une maladie infectieuse, non contagieuse, due à un virus transmis par les insectes piqueurs, qui revêt 24 formes sérotypiques différentes. Elle touche l'ensemble des ruminants. Issue des zones subtropicales, elle s'est propagée du fait du réchauffement climatique et de la globalisation des échanges. Elle peut au gré des vents progresser de trente kilomètres par jour. Présente depuis quelques années dans les pays du sud de l'Europe, elle a fait son apparition aux Pays-Bas en août 2006 sous la forme de son sérotype 8 ; Belgique, Royaume-Uni, Allemagne et France ont ensuite été touchés dans des proportions variables. Notre pays n'a pas résisté à l'explosion de l'épizootie à l'été 2007 : une demi-douzaine de cas en 2006, mais 10 000 en 2007 et plus de 18 000 aujourd'hui. La situation s'est encore compliquée avec l'apparition du sérotype 1 en provenance d'Espagne : la France s'est trouvée prise en tenailles par deux sérotypes différents, qui requièrent des traitements différents. Cinquante départements sont à ce jour en zone règlementée : les éleveurs y sont confrontés à une situation économique et sanitaire critique.

Les conséquences de la maladie sont dramatiques, sans toutefois altérer le goût ni la qualité de la viande : affaiblissement général des animaux, amaigrissement et retards de croissance, difficultés de reproduction et stérilité, taux de morbidité et de mortalité importants. Au plan économique, les éleveurs sont touchés de plein fouet : baisse de la production de lait et de viande, augmentation des charges sanitaires, baisse de la fertilité des animaux, image dépréciée auprès des consommateurs, baisse consécutive des revenus, restrictions de circulation, diminution des échanges intracommunautaires, baisse des prix. L'Italie, qui importe 84 % de nos broutards, a décidé le 3 mars un blocus des importations de bovins non vaccinés issus des zones règlementées -soit 80 % de la production française. Ce sont au total 200 000 broutards qui ne peuvent être exportés en attendant que le programme de vaccination soit mis en place. Cette crise survient alors que le marché des broutards connaît une baisse structurelle inquiétante, du fait de la flambée des cours des céréales, de la baisse de la consommation et de la concurrence des pays de l'est de l'Europe et d'Amérique latine.

La situation de la filière ovine n'est guère meilleure. Notre cheptel a diminué d'un quart depuis les années 1980 et les revenus des producteurs stagnent dans le meilleur des cas. La France doit importer plus de la moitié des ovins qu'elle consomme alors qu'elle dispose de tant d'espace ! C'est pour la filière ovine que les conséquences de la maladie sont les plus graves : taux de mortalité de 10 % à 50 %, frais de vétérinaire plus élevés, pourcentage de contamination plus important. Selon un rapport de la Chambre d'agriculture des Ardennes, 45 % des béliers sont devenus stériles, le taux de prolificité des brebis est passé de 1,25 agneau à 0,43.

L'impact est aussi important sur les élevages bovins laitiers. Les exploitations laitières ardennaises sont pour les deux tiers mixtes, avec des troupeaux allaitants de type naisseur mais surtout naisseur-engraisseur. La chute de la production laitière y est très significative, les problèmes de vêlage se multiplient. Les vaches ayant vêlé en fin d'hiver ou au printemps sont pour la plupart vides aujourd'hui, la mise à la reproduction des génisses, pour des vêlages au printemps 2008, a des résultats très faibles. La morbidité des veaux est inquiétante pour la stabilité des troupeaux.

L'impact sur les élevages allaitants risque aussi d'être très lourd. Le prix du broutard est en forte baisse -la perte est d'environ 200 euros par animal vendu. Les broutardes devant être gardées sur les exploitations pendant l'hiver, il faut les loger et les alimenter, pour un coût de 1,5 euro par jour et par animal.

Les pouvoirs publics ne sont pas restés inactifs, la profession non plus : la FNGDS a mis en place une caisse de solidarité, alimentée par les cotisations des éleveurs, pour aider les plus en difficulté.

La Commission européenne a pris le dossier à bras-le-corps et consenti à cofinancer à hauteur de 50 % les plans nationaux de vaccination. Vous-même, monsieur le ministre, avez rapidement saisi l'ampleur du problème ; à peine nommé, vous avez mis en place un plan d'intervention doté de 7 millions d'euros, permettant d'indemniser les producteurs dont des animaux sont morts des suites de l'épidémie, et avez demandé à l'Europe d'augmenter la règle de minimis. Vous avez également lancé un appel d'offres pour la fabrication de 33 millions de vaccins. La nouvelle vague de contamination vous a conduit à accélérer le plan de vaccination : seize départements prioritaires commencent à être traités contre le sérotype 8, et six autres contre le sérotype 1. D'ici le mois d'août, plus de 33 millions de doses de vaccin devraient être disponibles.

Vous avez également porté l'indemnisation des éleveurs victimes de l'épidémie à 600 euros pour les bovins adultes, 800 pour ceux de haute valeur génétique, et respectivement 100 et 150 pour les ovins, soit une enveloppe globale de 4 millions d'euros. Vous avez également accordé des facilités de trésorerie à hauteur de 3 millions d'euros.

Vous avez enfin fait pression pour obtenir le déblocage du marché italien. Le jour même de l'activation par l'Italie de la clause de sauvegarde, le 3 mars, vous avez demandé à la Commission européenne de faire respecter le droit communautaire et de faire lever le blocus. Vous avez, dans le même temps, alerté les autorités italiennes et, sans réaction de leur part, saisi à nouveau Bruxelles le 12 mars. Vous avez enfin saisi la Cour de Luxembourg d'un recours en manquement vis-à-vis des autorités sanitaires italiennes, le 19 mars, en application de l'article 227 du Traité.

Si toutes ces actions sont à mettre à votre actif, monsieur le ministre, de nombreuses questions restent en suspens. Premièrement, pouvez-vous nous livrer un point précis sur la situation actuelle en termes d'animaux et de territoires contaminés, de conséquences sanitaires et économiques, d'avancement des traitements et de mobilisation financière pour accompagner la filière ?

Deuxièmement, sera-t-il possible d'accélérer les procédures afin de minimiser les pertes, soit en vaccinant plus rapidement, soit en réduisant le délai de trente jours entre la première vaccination et le rappel, puis de soixante jours pour la phase « d'acquisition » ? Compte tenu de ces délais, nos broutards n'obtiendront leur passeport pour l'Italie que dans trois mois. En attendant, leur maintien dans les exploitations n'est pas sans coût pour les éleveurs. Autre solution, l'obtention rapide d'une décision judiciaire communautaire favorable. La Commission européenne dispose d'un délai de trois mois pour statuer sur le recours. Savez-vous dans quels délais les deux institutions européennes impliquées se prononceront, et quelles sont les chances de les voir donner raison à notre pays ?

Troisièmement, quand les vaccins seront-ils disponibles ? Vingt-cinq mille doses ont été expédiées au début de ce mois ; quand les cent soixante quinze mille autres le seront-elles ? Qu'en est-il des trente-trois millions de doses annoncées d'ici l'été ? Ces traitements seront-ils satisfaisants au regard des normes sanitaires, notamment européennes, en vigueur ? Un récent rapport de l'Office alimentaire et vétérinaire européen semble en douter.

Quatrièmement, ne pensez-vous pas que priorité doit être donnée pour les vaccins aux géniteurs mâles dans les centres d'insémination (bovins et ovins) du fait des conséquences pour nos élevages d'une perte de valeur génétique ? Pourrait-on donner aux éleveurs la possibilité de réaliser eux-mêmes les injections vaccinales, tout au moins pour les animaux qu'ils ne souhaitent pas commercialiser ?

Cinquièmement, en cas de poursuite de la situation de blocage avec l'Italie, quelles mesures envisagez-vous pour gérer au mieux nos contingents de broutards non exportés ? Qu'en est-il du plan de soutien à l'engraissement et de maintien des animaux sur les exploitations en vue de les exporter comme animaux semi-finis vers l'Italie ?

Enfin, quels moyens faudrait-il mobiliser pour anticiper ce type de crise sanitaire ? L'Organisation mondiale de la santé animale a inscrit la fièvre catarrhale sur la liste des maladies ayant « un grand pouvoir de diffusion, susceptibles de s'étendre au-delà des frontières nationales, dont les conséquences socio-économiques ou sanitaires sont graves et dont l'incidence sur le commerce international des animaux et des produits d'origine animale est très importante ». Face à la mondialisation des risques, nous sommes très attachés à un bouclier sanitaire européen. L'Europe doit être en mesure de gérer les risques sanitaires et économiques.

Voilà, monsieur le ministre, quelques pistes de discussion que vous ne manquerez pas de compléter. Notre filière élevage se trouve confrontée à ce problème pour la deuxième, voire la troisième année de suite pour certains des départements. Nous avons bon espoir que le blocage se dénoue, dans l'intérêt de l'Italie, dont un tiers de la viande consommée provient de broutards français, et de notre pays -je pense aux territoires de hauts plateaux ou de montagne difficilement reconvertibles vers d'autres productions agricoles, comme le Massif central. (M. Moreigne approuve)

Mme Nathalie Goulet.  - Ou la Normandie !

M. Gérard Bailly, auteur de la question  - La filière a besoin de se sentir épaulée pour passer ce cap difficile, comme par le passé. Monsieur le ministre, tous les éléments que vous pourrez nous livrer en ce sens seront attentivement entendus. Sachant votre attachement à cette filière et à ses territoires, je ne doute pas que vous aurez à coeur de les soutenir, comme vous l'avez déjà fait, et comme vous le ferez demain. (Applaudissements sur tous les bancs)

Mme Nicole Bricq, rapporteure spéciale de la commission des finances.  - Je remercie MM. Bailly et Émorine de nous donner l'occasion de débattre de cette question, et au président de la commission des finances et au président Poncelet de m'autoriser à intervenir en l'absence de conférence des présidents durant l'intersession.

En ma qualité de rapporteure spéciale des crédits de la mission « Sécurité sanitaire » au nom de la commission des finances du Sénat, j'ai décidé de mener une mission de contrôle budgétaire sur la gestion de la crise de fièvre catarrhale ovine. Ce choix a été motivé tout d'abord par l'ampleur de la crise, même si cette maladie est sans risque pour l'homme. Au moment de l'examen du projet de loi de finances pour 2008, vos services évoquaient une « diffusion explosive ». Cela s'est confirmé puisque l'épizootie s'annonce comme la plus grande crise sanitaire que la France ait jamais connue depuis la fièvre aphteuse, il y a une cinquantaine d'années, en termes de rapidité de diffusion et de conséquences économiques. Elle semble plus difficile à contenir en raison de son mode de propagation -par moucherons- et du manque de moyens de lutte efficaces.

Les sous-budgétisations m'ont également incitée à choisir ce thème. Lors de l'examen des projets de loi de finances pour 2007 et pour 2008, j'ai attiré votre attention sur ce risque. Mes craintes se sont malheureusement révélées fondées puisqu'un décret d'avances daté du 25 octobre 2007 a été nécessaire pour obtenir 6,5 millions d'euros supplémentaires et lever la mise en réserve à hauteur de 4,96 millions d'euros sur le programme « Sécurité et qualité sanitaires de l'alimentation ». Pour 2008, vos services m'ont indiqué que le montant des crédits inscrits -moins de 2 millions d'euros- serait très insuffisant et m'ont fait part ensuite d'un besoin de près de 25 millions d'euros ! Monsieur le ministre, quand allez-vous solliciter auprès du Parlement un décret d'avances ou la levée de la mise en réserve ?

Ma mission de contrôle m'amènera tout d'abord à vérifier l'efficacité des mesures prises par votre ministère pour lutter contre la fièvre catarrhale ovine. Votre plan de vaccination contre le sérotype 8 a été contraint par les délais de fourniture des doses de vaccins. Faute de quantités suffisantes, les injections risquent d'être facultatives et certains territoires privilégiés, engendrant la frustration des autres.

M. Michel Moreigne.  - C'est déjà fait !

Mme Nicole Bricq, rapporteure spéciale.  - Je serai également amenée à vérifier l'efficacité de l'intervention des structures administratives et la capacité d'anticipation du ministère. L'Afssa et l'Organisation mondiale de la santé animale (OIE) soulignaient dès 2006 la nécessité de réfléchir à un plan de vaccination. Cette épizootie doit vous inciter à tirer les leçons de la crise et à mieux prendre en compte le risque, lié à la mondialisation, d'émergence sur le territoire européen de maladies jusqu'alors considérées comme « exotiques », telle la fièvre de la vallée du Rift. Je m'interroge également sur l'articulation entre les instances chargées de l'évaluation -l'Afssa notamment- et celle chargée de la gestion du risque sanitaire -le Gouvernement. Elles ne semblent pas avoir développé, face à la fièvre catarrhale ovine, la même approche, l'Afssa agissant dans une logique scientifique d'éradication de l'épizootie, le Gouvernement dans une stratégie de gestion de la pénurie de vaccins et des conséquences de la crise pour certaines filières.

Je compte me rendre dans les départements touchés pour apprécier les actions menées par les services déconcentrés de votre ministère et y aborder la question de l'application de la Lolf dans le cadre de la réforme de la cartographie des budgets opérationnels de programme.

Ma mission de contrôle me permettra d'aborder deux des thèmes que vous considérez comme prioritaires pour 2008 : la réforme du mode de financement des risques sanitaires par un cofinancement des pouvoirs publics et des éleveurs et du renforcement de la coopération sanitaire au niveau européen. Alors que celle-ci est rendue indispensable par la globalisation et le réchauffement climatique, les échanges d'informations entre États membres sont difficiles et l'Agence européenne de sécurité des aliments peine à trouver sa place.

Ces deux thèmes seront, je l'espère, abordés dans le cadre de la présidence française de l'Union européenne et du « bilan de santé de la PAC ». Vous pouvez, monsieur le ministre, nous rassurer sur ce point. (Applaudissements sur tous les bancs)

M. Michel Moreigne. - Tout d'abord, je veux remercier M. Bailly pour la brillante synthèse qu'il vient de nous présenter.

Le 20 mars, vous avez, monsieur le ministre, signé un arrêté pour prendre des mesures techniques et financières de police sanitaire relatives à la fièvre catarrhale. Ce document est très intéressant mais il laisse en suspens de trop nombreuses questions, notamment le dispositif forfaitaire d'indemnisation.

Les mesures relatives à la mortalité des animaux ont été vivement critiquées par le député Marty lors d'une question d'actualité du 9 janvier car elles ne tiennent pas compte de la valeur réelle des animaux. Monsieur le ministre nous attendons des précisions. Sur la morbidité, trop de questions restent encore sans réponse. Pourriez-vous, monsieur le ministre, nous indiquer la répartition du fonds d'allègement des charges entre les départements ?

Le problème posé par cette épidémie n'est pas récent : en témoignent les nombreuses questions qui vous ont été posées par MM. Piras, Vantomme et moi-même et les communiqués de la FNSEA du 14 décembre 2006 et du 6 septembre 2007. Nous sommes maintenant en pleine crise et les réponses qui ont été apportées jusqu'à présent ne sont pas à la hauteur des attentes.

Le président de la FNSEA de mon département, la Creuse, a lancé un cri du coeur : « Rien n'est fait, à ce jour, pour sortir les éleveurs de cette impasse. Nous sommes en train de perdre 16 millions d'euros, or le montant des compensations ne dépasse pas 20 euros par exploitation ». Cet homme nous demande si nous n'avons pas honte, nous, les élus ? « Quand il faut mettre la main à la poche, il n'y a plus personne » et il ajoute « Sous prétexte que la vaccination est arrivée, les élus pensent qu'on est sorti d'affaire. Or, ce n'est pas le cas, il va falloir encore attende 90 jours avant de sortir nos animaux ».

Je n'insiste pas : tout le monde m'aura compris et je sais bien, monsieur le ministre, que vous ne pouvez pas faire l'impossible. D'ailleurs, vous avez envoyé aux parlementaires creusois de tous bords trois courriers successifs, le 25 février et les 4 et 12 mars, pour les tenir informés. Ils y ont été très sensibles. Je tiens aussi à souligner la forte mobilisation du préfet qui a tenu de nombreuses réunions d'information.

Le 13 mars, vous avez dit, monsieur le ministre, que vous envisagiez un plan de maintien des animaux dans les exploitations : les éleveurs y ont été extrêmement sensibles, mais il faudrait maintenant nous en dire plus. J'essaye de me mettre à votre place, monsieur le ministre, mais je dois avouer que je n'aimerais pas y être ! (Sourires)

Aujourd'hui même, les éleveurs de la Loire ont manifesté devant votre ministère pour demander une reprise des exportations des animaux vaccinés.

A mon tour, je lance un cri du coeur, et je m'y sens d'autant plus autorisé que la Creuse compte un des plus grands cheptels de bovins allaitants.

Avant de conclure, je veux vous rapporter ces quelques mots prononcés par un éleveur du canton de Felletin dans un quotidien local : « à Ussel, le marché au cadran a considérablement chuté. J'ai douze bêtes de plus de 500 kilos que je n'ai pas amenées car je sais que je ne pourrai pas les vendre. »

Et cet éleveur poursuit en rappelant que le maintien de ces bêtes sur son exploitation entraîne un surcroît de travail et un surcoût pour leur alimentation du fait de l'augmentation du prix des céréales. De plus, il n'y a aucune garantie de prix lorsque les premiers broutards vaccinés arriveront dans trois mois sur le marché.

Voilà, monsieur le ministre, la réalité du terrain. Il faut que vous apportiez les réponses que les éleveurs attendent. (Applaudissements sur les bancs socialistes)

M. Bernard Barraux.  - Il est quelque peu présomptueux d'intervenir après M. Bailly, qui a parfaitement exposé le problème, et après M. Moreigne, le département de l'Allier étant voisin de celui de la Creuse.

Si les éleveurs réussissent à se sortir de la situation actuelle, il ne pourra plus rien leur arriver, car ils ont connu un nombre incalculable de catastrophes depuis dix ans ! Ils ont été accusés de polluer, d'empoisonner et de massacrer la nature, ils ont dû faire face à l'ESB, à la fièvre porcine, et j'en passe. A chaque fois, ces phénomènes n'étaient pas de leur fait et ils avaient tout tenté pour les éviter. Il n'en reste pas moins que les marchés ont été gravement perturbés.

L'épizootie la plus récente est apparue en juillet 2006 vers le sud, elle nous est arrivée après un détour par la Hollande ; elle est maintenant bien là et nous touche de plein fouet. Mes chiffres sont bien modestes -5 500 cas- mais ils datent d'octobre alors que M. Bailly compte 15 000 cas aujourd'hui. Quoi qu'il en soit, on se demande s'il y a encore un département qui ne soit pas concerné.

On a adopté dans l'urgence des mesures de sécurité sanitaire. Les vaccins arrivent bientôt -l'Allier ne se plaint pas- mais il faudra les fabriquer en grand nombre. Cependant, l'efficacité des dispositifs repose d'abord sur le professionnalisme des éleveurs, qui subissent d'insupportables contraintes et voient le fonctionnement de leurs exploitations perturbé. Les dernières crises sanitaires démontrent la nécessité d'une nouvelle organisation préventive.

La fièvre catarrhale aura un grand impact sur la commercialisation des produits alimentaires ; elle menace les élevages français. Rendons grâce à ce qui a été fait, et saluons les crédits prévus dans le budget 2008 mais cela suffira-t-il face à la menace qui gagne maintenant le sud de la France ? Si la prise en charge sanitaire est d'abord l'affaire de l'État, bien des coûts restent supportés par les éleveurs et des caisses de solidarité professionnelles restent à inventer. Il faut explorer de nouvelles modalités de couverture des risques et imaginer un plan Orsec contre les crises sanitaires. Quels moyens envisagez-vous, monsieur le ministre ?

Avec la mondialisation, on doit développer une coordination au niveau international et européen. Il nous reste aussi des progrès à accomplir pour élaborer des indicateurs plus exigeants, des mesures plus ambitieuses contre les risques sanitaires.

L'Allier, dont je suis l'élu, est un département d'élevage. Son troupeau d'ovins est atteint aussi bien que le cheptel allaitant et les éleveurs connaissent une situation bien difficile. Bien sûr, la fièvre catarrhale n'affecte pas directement la qualité de la viande mais elle diminue la confiance du consommateur, gêne les exportations dans l'Union européenne et compromet l'équilibre de la filière. Les Italiens bloquent les expéditions de broutards en exigeant une vaccination alors que nous manquons de vaccins, ce qui arrange bien nos voisins transalpins dont le marché est engorgé.

Même si l'Allier est privilégié pour les vaccins, je rappelle que qui dit vaccination dit rappel puis examens immunologiques, donc délais et incertitudes. Dans ces conditions, il importe de soutenir la filière de l'élevage, confrontée à une augmentation des coûts de l'alimentation du bétail et un renchérissement de l'énergie qu'elle ne peut répercuter sur ses prix de vente : le marché, trop versatile, n'y autorise pas les éleveurs.

La filière souffre également de la concurrence des grands exportateurs de l'hémisphère sud pour lesquels le gigot n'est qu'un sous-produit de la laine -lequel n'a d'ailleurs pas dans notre alimentation la place qu'il mérite. Il faut donc recentrer les aides sur la dimension agro-environnementale et adapter l'offre.

Peut-on, monsieur le ministre, espérer raisonnablement disposer bientôt de suffisamment de vaccins ? Les moyens pour lutter contre la fièvre catarrhale seront-ils réévaluées et nous préparerons-nous à prévenir d'autres épizooties ? Quelles dispositions nouvelles comptez-vous prendre aux niveaux national et européen ? Sans doute ne faut-il pas espérer pour entreprendre mais quelques paroles d'espoir nous feraient du bien. (Applaudissements à droite et au centre)

M. Gérard Le Cam.  - Depuis une vingtaine d'années, la filière ovine a subi la dérégulation européenne : guerre économique intracommunautaire, abandon de la préférence communautaire, marché offert aux producteurs à bas prix, montants compensatoires insuffisants. Et la crise va s'aggravant : la hausse du cours des matières premières et la baisse des prix de vente amputent le revenu des éleveurs, dont le revenu moyen, le plus bas de la profession, ne représente que la moitié de celui de l'ensemble des exploitants. La France a perdu 10 000 éleveurs ovins depuis dix ans et l'on produit un million de brebis de moins, si bien que les importations représentent désormais 60 % de notre consommation.

S'y ajoute maintenant la fièvre catarrhale qu'une brochure gouvernementale chiffrait en 2007 à 5 645 foyers notifiés et 8 438 cas confirmés. Les conséquences risquent d'être considérables, surtout dans les régions difficiles déjà touchées par le découplage des aides. Les autorités françaises et européennes doivent apporter des éclaircissements et des précisions : la question de M. Bailly confirme le besoin d'information.

En 2007, la maladie de la langue bleue a touché toute l'Europe. On a identifié ses vecteurs, des diptères piqueurs originaires des zones chaudes et qui se sont adaptés à notre climat. L'épizootie gagne de nouveaux territoires : en décembre 2005, alors qu'elle se limitait à la Corse, le ministre déclarait que des mesures de protection avaient été mises en place dans les départements à risque du bassin méditerranéen. Cela n'a pas été suffisant.

Les éleveurs subissent aussi d'importantes pertes dues aux frais vétérinaires et à la naissance d'animaux mort-nés ou mal formés.

Il est urgent de renforcer la surveillance et l'échange d'information. Des programmes de surveillance comportant un volet clinique, sérologique et entomologique doivent être mis en oeuvre de manière homogène dans tous les États membres. Quid du dispositif de suivi et de surveillance en France ? Quels sont les moyens financiers et humains mis en oeuvre pour répondre aux exigences européennes ? Le syndicat unique de la profession vétérinaire craint de voir son rôle de sentinelle négligé par les autorités publiques.

Dans les zones réglementées, les exigences minimales vont du suivi sérologique à l'aide d'animaux sentinelles au suivi entomologique. Hors des zones réglementées, les États doivent assurer une surveillance sérologique et entomologique en plus de la surveillance clinique passive.

Ces analyses ont un coût ; comment seront financées les analyses sanguines ? Le coût des analyses pour les mouvements des animaux provenant des périmètres interdits est pris en charge par l'État. La Commission entend-elle cofinancer les tests nécessaires pour prévenir le risque de dissémination ?

L'Union européenne financerait intégralement l'acquisition de quelque 200 millions de doses de vaccins, soit 100 millions d'euros, et la moitié des coûts de leur administration, via un Fonds vétérinaire européen. Cette campagne de vaccination, à partir de la souche la plus récente de la maladie, doit empêcher l'extension de l'épizootie. En France, les premières vaccinations ont eu lieu le 5 mars dernier. L'ensemble des cheptels européens pourront-t-ils être vaccinés avant mai, période du retour du moucheron vecteur de la maladie ? Le Gouvernement peut-il nous préciser le calendrier des vaccinations pour la France ? Il est impératif de s'assurer de l'innocuité et de l'efficacité des vaccins, alors que la durée exacte de la protection apportée demeure incertaine. D'autres moyens de prévention et de lutte doivent également être envisagés à plus long terme.

L'Union européenne a décidé d'alléger les règles restreignant le mouvement des animaux vivant dans une zone contaminée. Les éleveurs français dénoncent en effet les restrictions aux exportations vers l'Italie et l'Espagne, alors que la France exporte 100 000 broutards chaque année, pour environ un milliard d'euros. En vertu du code de l'OIE, il est interdit d'expédier dans des pays tiers des animaux originaires de la zone de vingt kilomètres testés négativement, même si le pays tiers donne son accord. Ne peut-on voir dans cette disposition une violation de la libre circulation des marchandises ? Les experts vétérinaires européens ont donné leur accord à un texte autorisant un assouplissement des déplacements d'animaux à certaines périodes froides.

En réponse à une question écrite du 25 janvier 2007, le Gouvernement affirmait que le principe de l'accord du pays de destination pour l'échange d'animaux provenant de zones réglementées avait été supprimé et que des dérogations étaient prévues si un abattage direct avait lieu. Pourriez-vous confirmer ces informations, monsieur le ministre ?

Cette crise sanitaire aggrave les difficultés des éleveurs dans un secteur très fragilisé. Vous avez annoncé une aide de 1,5 million au maintien des veaux et des broutards dans le périmètre de protection. Une seconde mesure d'indemnisation a été annoncée pour les éleveurs ayant vendu leurs animaux sur un marché perturbé. Avez-vous des éléments supplémentaires sur la position de la Commission européenne suite au mémorandum communautaire ? Des mesures exceptionnelles de soutien des marchés bovins et ovins pourraient-elles être cofinancées par l'Union européenne ?

Quelles mesures seront prises pour garantir un revenu aux agriculteurs concernés et éliminer rapidement cette maladie ? L'État doit indemniser les éleveurs à hauteur du préjudice subi. Comment comptez-vous évaluer les pertes subies par la filière et quel sera le délai de réaction ?

Mme Nathalie Goulet.  - Lors de l'examen de la mission sécurité sanitaire, Daniel Soulage, rapporteur pour avis, avait détaillé dans son rapport les mesures de lutte contre la fièvre catarrhale, les dérogations mises en place pour éviter l'écroulement commercial et les difficultés d'application du récent accord communautaire concernant l'envoi des broutards français en Italie. Il avait également dénoncé une sous-évaluation des crédits au regard des besoins probables.

Le Gouvernement avait présenté les mesures prises ou envisagées : saisine de la Commission européenne pour demander la mise en place d'une stratégie communautaire de vaccination et soutien immédiat de 13,5 millions.

Nous voilà, à l'approche des beaux jours, au coeur du problème. Avec 9,3 % de sa population dans le secteur agricole, soit trois fois plus que la moyenne nationale, l'Orne est particulièrement sensible aux crises sanitaires. Les acteurs de la filière viande, rudement touchés par les précédentes épizooties, sont inquiets. Alors qu'une dizaine de cas ont été signalés, l'ensemble du département est en périmètre interdit depuis le 18 octobre 2007.

Confrontés à des problèmes de fertilité, de retards de croissance, de mortalités et d'avortements, les éleveurs voient les coûts vétérinaires s'accroître. La concentration des animaux dans les bâtiments entraîne une augmentation des pathologies respiratoires et digestives. La fermeture de la frontière italienne aux broutards non vaccinés ne vient pas arranger les choses.

Pour la Coordination rurale, le report de paiement des cotisations MSA, des prêts à taux zéro, des aides d'urgence à la trésorerie permettraient de résoudre les problèmes rencontrés dans les exploitations. Le syndicat demande également la constitution d'une cellule de crise au niveau national.

Le planning de vaccination doit être revu afin de mieux protéger les départements les plus actifs. L'Orne organise de nombreux comices agricoles, qui participent au maillage du territoire. Il faut avancer la date des vaccinations pour ne pas interférer en particulier avec le comice agricole de la commune de Goulet, prévu en juin ! (Sourires) Près de 276 000 animaux sont susceptibles d'être vaccinés, soit beaucoup plus que dans d'autres départements moins ruraux. Les départements les plus sensibles doivent recevoir les vaccins en priorité !

Vous aviez annoncé un plan de soutien, un fonds d'allégement des charges, un dispositif « Agriculteurs en difficulté » de la MSA, des fonds de prévention des aléas sanitaires, et appelé de vos voeux l'instauration de mécanismes nouveaux de couverture des risques sanitaires. L'État a déjà fait beaucoup mais la vaccination, moyen le plus sûr de lutter contre la maladie, restera facultative. Son organisation sera à la charge des éleveurs. Il faut favoriser cette démarche via une aide financière.

De même, le coût des insecticides et les difficultés d'application risquent de dissuader les éleveurs.

Pourriez-vous nous préciser votre projet de fonds sanitaire permettant d'indemniser les conséquences des aléas sanitaires ?

Monsieur le ministre, nous ne doutons pas de votre engagement et je tiens, au nom des agriculteurs comme des élus, à vous remercier pour votre présence quasi sédentaire au Salon de l'agriculture : chacun a pu débattre avec vous, et voir un ministre de l'agriculture ainsi impliqué auprès des agriculteurs, cela nous a donné du baume au coeur ! L'Orne n'a aucun doute sur le fait que vous gérerez cette crise sanitaire avec compétence et pragmatisme, elle espère que vous saurez mobiliser de l'aide pour ce petit département qui en a bien besoin ! (Applaudissements à droite et au centre)

M. Daniel Soulage.  - Face à l'épidémie de fièvre catarrhale ovine, qui se propage à grande vitesse, le ministère de l'agriculture informe les éleveurs et les populations de façon précise et actualisée. Dans le sud-ouest cependant, le problème sanitaire est particulier en ce que deux virus coexistent, le sérotype 8, arrivé d'Europe du nord en 2006, et le sérotype 1, arrivé d'Espagne à l'automne 2007. La vaccination contre le sérotype 8, qui débute en avril, placera les territoires concernés en zone réglementée, tandis que la vaccination contre le sérotype 1 devrait créer une zone de surveillance, en application du règlement européen sur la fièvre catarrhale ovine. De fait, une zone tampon sera créée, sans vaccination, entre les deux zones réglementées.

L'Italie exige que les broutards en provenance de zones réglementées soient vaccinés, ce qui représente une durée d'attente de trois mois avant de les exporter, et nos voisins refusent l'importation d'animaux en provenance des zones non réglementées, ce qui correspond à la zone tampon que j'évoquais. Monsieur le ministre, quelle est votre analyse ? Les Italiens reviendront-ils sur leurs conditions d'importation, ou bien accepteront-ils le droit commun, d'importation d'animaux de zones indemnes à partir de tests virologiques ?

Au-delà, vous avez évoqué un plan de maintien des animaux sur les exploitations. Il en coûterait environ 2 euros par animal et par jour. La vaccination impose un délai de soixante jours avant l'exportation, il serait moins coûteux de réaliser un test virologique individuel sur les animaux : qu'en pensez-vous ? De plus, il faut compter l'élévation du prix de l'acte, en particulier les frais de visite liés à l'éloignement des exploitations.

Monsieur le ministre, une partie du sud-ouest, en particulier le Lot-et-Garonne, se trouve au carrefour des deux sérotypes, en zone réglementée et en zone tampon, c'est inquiétant pour les exportations ! De plus, que se passera-t-il en cas de mélange des deux sérotypes ? Une double vaccination est-elle envisageable ?

Nous comptons sur vous, parce que nous connaissons votre engagement sans faille pour les agriculteurs et les éleveurs ! (Applaudissements à droite et au centre)

M. René Beaumont.  - Je vous apporterai le témoignage d'un vétérinaire issu d'un grand département allaitant de la belle région bourguignonne : c'est une des difficultés de votre métier, monsieur le ministre, que de devoir régler les problèmes de territoires si différents que compte la France !

Vu de Bourgogne, le plan de maintien des animaux sur les exploitations, paraît bien utopique. Nous n'avons pas les moyens de maintenir sur place un cheptel de 650 000 têtes ! La chambre d'agriculture de Saône-et-Loire a chiffré le préjudice à 37 millions d'ici juin : monsieur le ministre, il vous faut convaincre nos amis italiens de changer leur position d'ici là !

S'agissant de la vaccination, disposons-nous des doses nécessaires à l'ensemble du cheptel ?

Certains voudraient, pour aller plus vite, confier les vaccins aux éleveurs, pour qu'ils les administrent eux-mêmes aux animaux. Cette solution donnerait lieu à des fraudes, certains éleveurs se contenteraient d'acheter les vaccins sans les administrer, pour s'éviter l'opération très lourde qui consiste à rassembler, à deux reprises, 250 animaux répartis sur une centaine de pâturages... Et s'il y a quelques fraudeurs seulement, c'est toute la campagne de vaccination qui est compromise et la propagation de la maladie, assurée. Le système de veille sanitaire que le monde nous envie repose sur les vétérinaires ruraux.

Utilisez ce maillage national inégalé ! Si on ne leur confie pas les vaccinations rétribuées, les vétérinaires libéraux se feront de plus en plus rares en campagne. L'État recourt du reste à leurs services dans l'illégalité la plus complète : il est le seul employeur qui fasse ainsi travailler à l'année des vacataires sans la moindre déclaration ni cotisation de retraite ou de maladie. Arrivés à l'âge de la retraite, les intéressés voient leur retraite calculée sur la moitié de leurs revenus ! Il y a un vrai malaise et il faut le traiter afin de préserver la présence vétérinaire en milieu rural. Enfin, je demande que soit créée une cellule nationale de crise pour la meilleure information de tous. Et si la participation de quelques sénateurs vétérinaires est requise, je suis partant ! (Applaudissements sur les bancs UMP)

Mme Anne-Marie Payet.  - M. Bailly nous invite à nous pencher sur la question de la sécurité sanitaire. Si le virus de la rhinotrachéite infectieuse bovine (IBR) existe à La Réunion, il est peu virulent. La circulation du virus est faible et les animaux contaminés ne présentent généralement pas les signes cliniques de la maladie. Mais en 2003, 444 animaux ont été importés de France métropolitaine et d'Allemagne sur le même bateau ; 164 avaient une sérologie négative à l'IBR, les 125 autres, bénéficiant d'un vaccin vivant, l'Iffavax, n'ont pas été testés. Mais six bêtes étaient sérologiquement positives avant leur départ. Il en est résulté une flambée de la maladie dans l'île. Livrés aux éleveurs après quatre semaines de transport maritime, ces animaux ont pu contaminer l'ensemble du cheptel. La maladie affaiblit les bovins et son action débilitante favorise d'autres affections, notamment la fièvre catarrhale.

Je suis ainsi intervenue à plusieurs reprises auprès du ministre de l'Agriculture pour l'alerter sur le dossier d'un éleveur dont le cheptel entier a été contaminé par l'IBR et qui a dû attendre 2007 et la nomination d'un nouveau directeur des services vétérinaires pour obtenir gain de cause. Je voulais aussi savoir pourquoi le dépistage de l'IBR, en 2006, a été rendu obligatoire en France métropolitaine mais non outre-mer. Je demandais une mission d'enquête ; je vous remercie d'avoir ordonné une expertise sanitaire.

Un arrêté préfectoral de force majeure a été pris et le cheptel abattu ; l'éleveur a été indemnisé en conséquence. Son cas n'est malheureusement pas unique et les autres méritent la même indemnisation. Les risques de contaminations ont incité le groupement régional de défense sanitaire des bovins de La Réunion à élaborer une charte sanitaire d'introduction, prévoyant en particulier un test individuel négatif de moins de trois mois ; le vétérinaire doit préciser que « le troupeau est régulièrement contrôlé à l'égard de l'IBR et n'a pas connu dans les trois dernières années de sérologie positive, ni de manifestation clinique de cette maladie ».

J'ajoute que le sérotype de FCO présent à La Réunion est différent de celui dont étaient porteuses les bêtes malades importées. Les experts locaux redoutent une mutation génétique et l'émergence d'une nouvelle souche du virus qui pourrait être beaucoup plus virulente. Je demande donc une analyse sur tous les cheptels du département pour déterminer précisément les sérotypes de FCO présents dans l'île, mais aussi des analyses sérologiques pour les autres maladies existantes, notamment chlamydiose, coxiellose ou leucose. Un exploitant est atteint de chlamydiose, dont les conséquences peuvent être très graves. L'éleveur que j'évoquais à l'instant a contracté une fièvre qui correspond à la qualification humaine de la FCO. Un premier test a été réalisé pour la fixation du point zéro de l'infection, un second est en cours d'analyse pour vérifier la contamination.

Pour l'avenir, il convient, comme le proposent MM. Bailly et Fortassin, de dresser le bilan des pertes économiques, de revaloriser l'indemnisation de l'animal mort et d'indemniser les éleveurs pour tous les animaux morts ou euthanasiés depuis le début de la période de circulation virale. A plus long terme, la mise en place d'un fonds sanitaire s'impose. Le ministère y réfléchit. A l'heure actuelle, les modalités de financement sont différentes pour le végétal et l'animal. Restaurons d'urgence un dispositif cohérent ! (Applaudissements au centre et à droite)

M. Claude Biwer.  - C'est la troisième fois en l'espace de quelques mois que j'interviens sur la FCO : la crise est très grave et touche, dans soixante-cinq départements, aussi bien les élevages ovins que bovins. La Meuse n'est pas épargnée, et après un premier épisode en 2006, la maladie s'est propagée depuis l'été 2007 -les charges vétérinaires, l'infertilité, les problèmes de reproduction et l'insuffisance des débouchés pèsent lourd désormais dans les résultats des éleveurs...

Ceux-ci ont besoin de clarté : les tergiversations sur l'origine de la FCO leur ont fait perdre beaucoup de temps. Ils ont le sentiment que les autorités sanitaires et administratives ont découvert les subtilités de cette maladie en même temps qu'eux. Pendant ce temps, les animaux mouraient. Certes, votre ministère n'est pas resté inactif mais les fonds dégagés sont insuffisants. L'aide mortalité ne semble pas soumise à la règle de minimis. La campagne de vaccination annoncée a suscité de grands espoirs chez les éleveurs mais c'est à eux qu'il appartient de préciser avec leurs vétérinaires les modalités de cette vaccination : cette manière peu cohérente de procéder risque de compromettre le succès de ce programme ! Celui-ci intervient en outre après la date de mise à l'herbe, il laissera donc de côté de nombreux animaux. Alors qu'il devrait être élargi et rendu obligatoire.

Mais, monsieur le ministre, le pire n'est-il pas à venir ? Je crains une déstructuration de l'élevage ovin. La mortalité des brebis est considérable, la collecte des équarisseurs a augmenté de plus de 75 % l'automne dernier. Certains éleveurs renoncent à leur exploitation. La filière ovine risque à très court terme de manquer d'agneaux. Dans une région intermédiaire comme la Meuse, l'élevage ovin pourrait disparaître. Méditez l'expérience du Nord de l'Europe. Le risque sanitaire n'est pas cloisonné et ne disparaît pas. Il nous impose à tous une très grande réactivité pour mobiliser recherche, main d'oeuvre... et moyens financiers à la hauteur de l'événement. Dans l'immédiat, je souhaite que la campagne de vaccination réussisse, que les éleveurs soient justement indemnisés et reprennent confiance. Et, pour l'avenir, que les autorités sanitaires soient plus réactives et que L'Europe mette en place un fonds d'accompagnement. Mais monsieur le ministre, au vu de vos efforts, je reste confiant.

M. Michel Barnier, ministre de l'agriculture et de la pêche.  - Vous avez eu une fort utile initiative, monsieur Bailly, sur un sujet majeur. La FCO se propage très rapidement -M. Bailly a donné une présentation très complète des étapes de la maladie et des mesures prises.

J'ai été sensible à vos propos sur l'engagement des services de l'État. Je note que les vétérinaires, la FNGDS, les organisations professionnelles ont fait preuve de leur côté d'un grand sens des responsabilités face à la crise la plus grave que nous ayons connue depuis plusieurs décennies.

On compte à ce jour 18 916 cas de fièvre catarrhale ovine ; soixante-quinze départements sont touchés par le sérotype 8 et deux par le sérotype 1, la Corse étant affectée par les sérotypes 2, 4 et 16 depuis de longues années. Dix pays de l'Europe du Nord sont atteints par le sérotype 8 et vont vacciner leurs animaux, monsieur Le Cam, d'ici l'année prochaine. Pouvions-nous, mesdames Bricq et Goulet, monsieur Barraux, anticiper les financements ? Même en décembre dernier, lors de la présentation du projet de loi de finances, les incertitudes étaient grandes, sur les dépenses comme sur les sommes à attendre de Bruxelles. Je confirme à Mme Bricq que je demanderai en avril la levée de la mise en réserve de 10 millions d'euros sur le programme 206, étant entendu que nous avons obtenu 87 millions d'aides européennes pour les opérations de vaccination.

Les conséquences de la maladie sont connues, directes, comme la mortalité ou la baisse de la fertilité des animaux, et indirectes, comme la restriction des mouvements et donc de la commercialisation. Je me suis beaucoup battu pour le règlement sanitaire communautaire : je vous confirme qu'il est toujours valable. C'est bien l'origine de notre problème avec l'Italie, qui ne le respecte pas. Les pertes sont difficiles à estimer ; mais on sait qu'entre juillet et décembre 2007, 15 000 ovins et 8 000 bovins sont morts. Un observatoire a été mis en place pour suivre la mortalité, la fécondité, la production laitière des animaux.

En 2006 et 2007, nous avons d'abord lutté contre les vecteurs de la maladie, ces moucherons auxquels M. Le Cam a fait référence, et limité les mouvements d'animaux. Ces mesures étaient à l'époque les seules possibles dans l'attente du développement d'un vaccin.

S'agissant des mesures d'accompagnement, j'ai annoncé en février des crédits supplémentaires de soutien au profit des éleveurs en difficulté : 3 millions pour renforcer le Fonds d'allègement des charges -pour la Creuse, monsieur Moreigne, 19 223 euros seront débloqués ; 3 millions pour financer une aide à la perte de chiffre d'affaires des entreprises de commercialisation ; 4 millions pour revaloriser les indemnisations existantes, portées à 600 euros par bovin et 100 par ovin.

MM. Bailly et Soulage m'ont interrogé sur les délais de déblocage des animaux destinés à l'Italie. Les autorités transalpines ont unilatéralement décidé de n'accepter que les animaux valablement vaccinés ; or le délai entre la première vaccination et l'exportation est de 90 jours, 67 si un test virologique est pratiqué. Vous savez que j'ai engagé un recours en manquement en application de l'article 227 du Traité. Cette procédure rarement mise en oeuvre prévoit la notification préalable à la Commission de l'intention de poursuivre, celle-ci ayant trois mois au plus pour donner son avis. C'est long. Mais j'ai bon espoir qu'elle se prononce dans les toutes prochaines semaines pour une solution conforme au droit communautaire. J'ai dit à mes collègues italiens que nous souhaitions un accord. La nouvelle commissaire à la santé, Mme Vassiliou, a programmé une réunion du Comité vétérinaire spécialisé pour définir rapidement des règles harmonisées, acceptées et respectées par tous les États membres.

Certains d'entre vous ont souhaité, pour accélérer les choses, que les vaccinations puissent être effectuées par les éleveurs. Mais la vaccination, aux termes de la loi, est un acte vétérinaire ; et personne ne souhaite prendre le risque de voir le statut d'un animal destiné à l'exportation remis en question faute d'un certificat vétérinaire. Bruxelles finance la moitié de la campagne de vaccination et l'État assurera le paiement direct des aides européennes aux vétérinaires.

La vaccination contre le sérotype 1 a été rendue obligatoire afin de protéger le reste du territoire ; elle est pour l'instant facultative contre le sérotype 8, madame Bricq, monsieur Biwer, parce que nous n'avons pas assez de doses : nous avons ciblé les animaux en production. L'opération et sa facturation seront traitées dans le cadre des relations habituelles entre l'éleveur et son vétérinaire.

Le coût de l'épidémio-surveillance, monsieur Le Cam, est estimé à 12 millions d'euros par an ; nous avons sollicité un cofinancement communautaire.

Nous avons été les premiers en Europe, messieurs Bailly et Barraux, à lancer un appel d'offres pour les vaccins fin 2007 ; la vaccination contre le sérotype 8 a démarré dans les seize départements prioritaires. Un premier lot de 400 000 doses permettra de vacciner 200 000 bovins destinés à l'exportation, un autre de 300 000 concernera les petits ruminants ; un nouveau lot de 1 300 000 doses doit être livré fin mars et sera utilisé en priorité pour vacciner les ovins et les caprins des seize départements -150 000 doses permettront de vacciner les animaux exportés. Les livraisons ultérieures s'échelonneront de telle sorte que d'ici fin août nous pourrons vacciner 15 millions de bovins et 10 millions de petits ruminants. L'Orne, madame Goulet, devrait être servie en juin et le comice agricole de Goulet devrait pouvoir se dérouler normalement.

Mme Nathalie Goulet.  - Vous y êtes invité, monsieur le ministre !

M. Michel Barnier, ministre.  - Les priorités du plan de vaccination, je peux vous l'assurer, ont été définies en étroite concertation avec les professionnels : bovins, petits ruminants reproducteurs, animaux en transhumance ou destinés à l'exportation ... Cinq départements du Sud-Ouest -l'Aveyron, la Gironde, le Lot, le Lot-et-Garonne et le Tarn-et-Garonne- sont en outre ciblés pour prévenir la diffusion du sérotype 8 vers les zones déjà touchées par le sérotype 1.

Je peux vous rassurer sur l'efficacité des vaccins, qui ont été évalués par l'Afssa avant leur autorisation. Le rapport de l'Office alimentaire vétérinaire auquel vous faites référence ne concerne que la mise en oeuvre d'actions de prévention en 2007 : certaines faiblesses ont conduit l'Italie à prendre des mesures unilatérales et des réunions techniques se tiennent cette semaine pour examiner l'adaptation aux recommandations formulées par la Commission européenne suite à l'inspection de l'Office alimentaire vétérinaire.

Comme l'a indiqué M. Soulage, qui s'inquiète au sujet de la zone tampon et de la rencontre entre le sérotype 1 et le sérotype 8, une zone de surveillance doit être mise en place autour de la zone vaccinée par le BTV1. Les animaux y seront vaccinés contre le sérotype 8 et feront l'objet d'une surveillance particulière pour le sérotype 1. Le test virologique nécessaire pour l'exportation est pris en compte dans les discussions communautaires.

MM. Soulage, Beaumont et Bailly s'interrogent sur les conséquences d'une poursuite du blocage avec l'Italie. Dans ce cas, j'étudierai avec les professionnels des dispositifs d'aide au maintien des animaux dans les exploitations si l'embargo dure trois ou quatre mois. Nous souhaitons mettre en place une mesure similaire à celles prises en 2006, en tenant compte de la hausse du coût de l'alimentation. M. Beaumont a signalé que, dans le grand département d'élevage qu'est la Saône-et-Loire, les éleveurs n'ont pas les moyens de maintenir les animaux sur les exploitations. Nous réfléchissons à plusieurs sortes d'aides pour prendre en compte la diversité des situations, et évaluons le montant et les modalités de ces mesures. Les éleveurs qui commercialisent leurs broutards devront faire face à des coûts supplémentaires et à des problèmes de trésorerie. M. Moreigne a signalé le cas des éleveurs possédant des bêtes de plus de cinq cents kilos. Il est envisageable d'apporter une aide à l'engraissement afin d'évacuer les broutards lourds qui ne trouvent pas de marché au profit de bovins « rajeunis ». Par ailleurs, j'ai indiqué à la mutuelle sociale agricole (MSA) que la crise de la fièvre catarrhale ovine faisait partie des priorités pour la prise en charge des cotisations.

Monsieur Bailly, votre dernière question porte sur les moyens d'anticiper ce type de crise sanitaire de grande ampleur. Nous ne devons effectivement pas seulement agir dans l'urgence, mais tirer les leçons qui s'imposent, d'autant que les risques ne peuvent que s'accroître avec la mondialisation et le réchauffement climatique. Ainsi, la fièvre catarrhale s'est répandue dans le Nord, alors qu'elle aurait dû remonter depuis le sud, et le chikungunya est apparu récemment dans le Nord de l'Italie. Ces pathogènes émergents menacent les végétaux et les animaux européens tout autant que les hommes.

Face à la montée de risques fort bien décrits par M. Barraux, nous avons obtenu que soit inscrite dans le bilan de santé de la PAC -dont les orientations viennent d'être adoptées à la quasi-unanimité par le conseil des ministres- une boîte à outils adaptée aux aléas climatiques et aux crises sanitaires. La commission a accepté ma proposition de la financer en écrêtant le premier pilier, économique, de la PAC dès 2008, sous la présidence française, pour une application dès 2009. Ces aides accompagneront les financements professionnels assurantiels.

Depuis que je suis ministre, je dois gérer de telles crises chaque semaine et je ne veux pas laisser les entreprises agricoles les plus vulnérables sans protection, accompagnement mutualisé ou système d'épargne. Je veux, avec votre soutien et dans le cadre européen, les doter d'un dispositif durable d'aide et de gestion des crises.

Mesdames Bricq, Goulet et Payet, vous avez évoqué ce type de fonds sanitaire, qui mobiliserait conjointement des fonds nationaux, communautaires et professionnels. Le projet des professionnels de la filière bovine dans le cadre du fonds national de l'élevage (FNE) s'inscrit lui aussi dans cette perspective.

Madame Bricq, les pathologies émergentes sont prises très au sérieux au niveau européen. Un projet de mise en réseau permettra de mutualiser les programmes de recherche. Il s'agit de créer une politique de santé animale communautaire, sur laquelle un précédent commissaire a réalisé un rapport. Cela sera une de mes priorités durant la présidence française.

Nous devons développer la recherche et améliorer nos systèmes d'épidémio-surveillance et de veille des risques émergents. J'ai ainsi débloqué 1 million d'euros pour des recherches sur la fièvre catarrhale ovine, et signé avec les ministres de l'environnement, de la recherche et de la santé une lettre de mission à l'attention de l'Institut de recherche et de développement (IRD). Il faut surveiller les populations vectorielles, former des experts et orienter nos recherches. Les résultats sont attendus dans les mois qui viennent.

J'ai été sensible au témoignage de Mme Goulet lié à ma présence au salon de l'agriculture. Monsieur Beaumont, la tâche est difficile, mais passionnante, et je souhaite avant tout être le ministre des agricultures. Comme vous, j'estime que le suivi doit être permanent : mon cabinet réunit d'ores et déjà une cellule de crise rassemblant tous les mois une quarantaine de responsables, et je présiderai la prochaine réunion le 17 avril.

Je vous remercie de m'avoir donné l'occasion de m'exprimer devant le Sénat, le monde agricole et les citoyens sur la gestion de cette crise que je continuerai à mener -y compris en outre-mer, madame Payet- dans la transparence, la rigueur et l'équité, avec volontarisme et avec le souci de la concertation avec l'ensemble des acteurs européens. (Applaudissements à droite et au centre)