Création sur internet (Conclusions de la CMP)

M. le président.  - L'ordre du jour appelle l'examen des conclusions de la commission mixte paritaire sur le projet de loi favorisant la diffusion et la protection de la création sur internet.

Discussion générale

M. Michel Thiollière, rapporteur pour le Sénat de la CMP.  - L'adoption de ce projet de loi marquera l'aboutissement d'un long processus initié par le Président de la République pour mieux lutter contre le piratage sur internet. Ce texte, issu des travaux de la mission de concertation confiée à M. Denis Olivennes, qui a débouché sur les accords du 23 novembre 2007, a été déposé sur le bureau du Sénat le 18 juin 2008, date à partir de laquelle notre commission des affaires culturelles a procédé à de nombreuses auditions. Adopté à la quasi-unanimité le 30 octobre dernier, son examen avait donné lieu à la discussion de 84 amendements, dont 48 de notre commission et 10 de la commission des affaires économiques. Après que l'Assemblée nationale l'a adopté à son tour, la CMP s'est réunie le 7 avril. L'utile travail que le Sénat a mené pour réconcilier le monde de la création et celui d'internet et accompagner le passage de la pratique répandue du piratage à une pratique républicaine de l'internet, respectueuse des auteurs et de la création, a été apprécié par nos collègues députés.

A l'issue des travaux de la CMP, le texte est équilibré, efficace et pédagogique. En CMP, nous avons combattu -je vous rassure, de façon courtoise et républicaine- (sourires) non par corporatisme de chambre, mais pour défendre la culture et la création auxquelles le Sénat est, par tradition, attaché. Pour nous, la culture et la création sont une composante essentielle d'une république moderne ; elles sont la part d'humanité qui nous revient dans un monde en constante évolution et, aujourd'hui, en crise.

Ce texte est l'occasion d'adresser un signe aux jeunes générations. Tout d'abord, aux jeunes créateurs qui ont besoin de notre reconnaissance, de notre soutien, de notre confiance. S'ils savent que, demain, leurs droits seront spoliés et qu'ils ne seront pas récompensés de leurs talents, ils se détourneront de leur vocation créatrice. Ensuite, la vie en société exige le respect de valeurs et de la hiérarchie des valeurs. A nous de remettre du sens et de la hiérarchie dans ce monde plat d'internet où toutes les valeurs sont mises sur le même plan, où tous les portails sont équivalents. Internet, ce territoire virtuel, sympathique et accueillant, doit être policé, au sens républicain du terme, pour devenir respectueux des droits de chacun.

A cet égard, le Sénat a pris ses responsabilités. Nous avons voulu répondre au scepticisme ambiant. « Va-t-on laisser durablement les oeuvres être pillées sur internet ? Va-t-on laisser s'effondrer l'économie de la création ? », s'inquiètent les acteurs de la création, qui représentent 2,4 % des actifs de notre pays. Cette question n'est pas indifférente en temps de crise... Nous avons également voulu répondre au cynisme ambiant, au double langage que certains tiennent sur l'objectif du projet de loi : « Va-t-on fliquer les internautes ? Va-t-on les pénaliser ? »

Or, nous ne voulons ni fliquer, ni pénaliser, mais faire respecter les libertés et les droits des uns et des autres pour mieux assurer la diversité des oeuvres et combattre la dérive populiste prétendant que tout peut être consommé sans contrepartie.

Je reviens aux conclusions de la CMP.

Tout d'abord, nous avons voulu promouvoir l'offre légale qui permet aux internautes de consommer les créations en toute sécurité.

Nous avons adopté un recueil d'usage, conçu comme un cadre incitatif destiné aux utilisateurs. Dans le même esprit, l'Hadopi pourra référencer des portails pour valoriser les diffusions légales d'oeuvres. La CMP s'est également penchée sur la chronologie des médias, afin que les diffusions légales d'oeuvres ne compromettent pas leur diffusion dans les salles de cinéma. Ainsi, les DVD pourront être disponibles environ quatre mois après la sortie en salle.

Ensuite, nous avons tenu à ce que l'Hadopi soit irréprochable et qu'elle assure l'accompagnement pédagogique des internautes vers un chemin plus vertueux. Mme Morin-Desailly a présenté un amendement faisant élire par ses pairs le président de la nouvelle haute autorité.

La sanction alternative modulant le débit a été supprimée en CMP, ce que nous avons accepté bien que cette disposition ait été introduite par le Sénat, car son application aurait été trop difficile. En revanche, nous avons été fermes à propos de la sanction, car la suspension de l'abonnement ne peut porter atteinte au contrat passé entre le fournisseur d'accès et l'internaute. Certains ont fait observer que si le permis de conduire était suspendu, cela ne dispensait pas de continuer à rembourser les traites liées à l'achat de la voiture que l'on ne peut plus conduire. A ce propos, je veux m'élever contre certains raccourcis. J'ai été abasourdi d'entendre ce matin l'expression « double peine » sur une grande chaîne télévisée de service public ! Nous avons simplement maintenu le contrat en cours. Par contraste, je salue le travail pédagogique de la chaîne Public Sénat.

Nous avons également exclu toute amnistie des trafiquants, qui pirataient en vue de faire commerce. Nous avons également refusé de reconnaître une circonstance atténuante aux internautes ayant commis un téléchargement illégal en l'absence d'offre légale, car cela reviendrait à autoriser de voler son voisin dès lors que l'on n'a pas trouvé au supermarché le produit que l'on recherchait !

En définitive, l'indépendance de l'Hadopi est confortée, tout comme la protection des données personnelles. L'offre légale sera plus étoffée, la nouvelle haute autorité ayant un rôle d'explication, d'information, de conseil et, éventuellement, de sanctions.

Enfin, la CMP s'est penchée sur la presse. Nous avons ainsi conforté les droits d'auteur des journalistes tout en consolidant le statut des éditeurs de presse en ligne, la presse sur papier et celle diffusée par internet étant de plus en plus complémentaires au sein du média global.

Adoptée après une démarche qui aura duré dix-huit mois, ce texte adresse un signal fort au monde de la création : nous avons besoin de nos auteurs et de nos artistes, car la culture est un moteur de notre mode de vie.

Nous devons protéger les droits d'auteur, renforcer la liberté de créer et de commercialiser des oeuvres dans l'égalité républicaine de traitement des uns et des autres, indispensable à la fraternité. La République s'adapte aux nouvelles technologies, mais sans abdiquer de ses valeurs ! Elle ne se laisse pas engloutir par l'évolution technique ! (Applaudissements à droite et au centre)

Mme Catherine Morin-Desailly.  - Plus de 8 millions de MP3 et plus de 500 000 films sont échangés illégalement chaque jour sur internet. Il est donc urgent d'endiguer cette attaque massive aux droits de propriété intellectuelle, qui menace les industries culturelle, musicale et cinématographique.

A ce jour, ce délit est assimilé à la contrefaçon, passible de trois ans de prison et de 300 000 euros d'amende. Pragmatique, le groupe centriste approuve les mesures alternatives à cette pénalisation illusoire des internautes instituée par la loi du 1er août 2006 sur le droit d'auteur et les droits voisins dans la société de l'information (Dadvsi), contre laquelle il avait voté. En effet, notre groupe est attaché la prévention et à la graduation des sanctions. Certains de ses membres sont réservés face à la double peine associant la suspension de l'abonnement internet et la poursuite du paiement. Ils mesurent toutefois la difficulté représentée par les offres dites «triple play» associant internet, télévision et téléphone, dès lors que la télévision et le téléphone doivent rester disponibles. En effet, le projet de loi impose de dissocier les services proposés initialement dans le cadre d'une offre globale. Cette dissociation a un coût. Qui doit le supporter ? Ni les fournisseurs d'accès, ni les contribuables !

Le groupe centriste est particulièrement sensible au respect des grands équilibres définis par les accords interprofessionnels dits « de l'Élysée », qui ont inspiré l'élaboration du projet de loi. Nous apprécions également le respect des grandes lignes du texte voté à la quasi-unanimité du Sénat en première lecture.

Les députés avaient adopté un amendement instituant la nomination du président de l'Hadopi par décret, alors que le Sénat voulait le faire élire par le collège de la haute autorité, à la suite d'un amendement présenté par notre groupe pour garantir son indépendance et son impartialité grâce à un système d'élection reprenant celui retenu pour la Cnil. La commission mixte paritaire a rétabli le dispositif du Sénat.

Le texte de la CMP confirme les dispositions qui favorisent une accessibilité plus immédiate de l'offre légale, dans le domaine de la musique et des oeuvres cinématographiques, avec un délai ramené à quatre mois entre la sortie en salle et l'exploitation sous forme de vidéogramme. Il reste que cette loi ne règle pas définitivement le sujet, car la technologie évolue plus vite que le droit. Il faudra donc s'adapter, notamment à la lumière des travaux de l'Hadopi, qui doit aussi réfléchir aux améliorations.

Pour être transitoire, cette loi ne doit pas moins constituer une étape importante dans une prise de conscience collective. Il est indispensable de transmettre un message clair aux internautes : la culture a un coût et les droits de propriété intellectuelle doivent être respectés. A quoi bon multiplier les canaux de diffusion si la diversité des contenus disparaît ?

Je me réjouis que le texte de la CMP permette d'accompagner les nouveaux usages, à la fois protecteurs des oeuvres et ouverts au monde de la création, venant se substituer aux pratiques qui nuisent à celle-ci. Les consommateurs naviguent aujourd'hui d'une plate-forme à une autre, d'un baladeur à l'autre en gardant la jouissance d'oeuvres légalement acquises. Le marché du disque vendu à l'unité a fait long feu.

Quant aux créateurs, producteurs, éditeurs, artistes, ils doivent se remettre en cause, trouver de nouveaux modèles économiques, car le phénomène internet n'est pas temporaire : il faut le transformer en atout plutôt que chercher à le combattre. Les acteurs doivent se rapprocher davantage, le monde de la création et le monde numérique ne peuvent plus continuer à s'ignorer ; ils doivent réfléchir ensemble au développement de moyens innovants qui permettront demain d'offrir aux internautes un accès aux savoirs et à la création.

Je me félicite que le texte favorise la transaction, qui est plus pédagogique. Certains ont vu dans le passage de la suspension de l'accès internet à un minimum de deux mois un renforcement de la répression, mais la possibilité d'une transaction entre l'Hadopi et l'abonné est clairement gage de souplesse.

Un mot enfin de la prévention, l'objectif de la réponse graduée étant de faire évoluer les mentalités et les comportements. Il importe que les jeunes générations prennent conscience des conséquences du téléchargement illicite sur la création artistique. Nous avions plaidé en 2006 pour l'éducation de nos concitoyens à la culture dès lors que l'idée se répand que celle-ci ne coûte rien. C'est méconnaître l'investissement personnel, intellectuel et financier des artistes. Comment peut-on dire qu'encadrer l'utilisation des oeuvres est une atteinte liberticide aux droits essentiels de l'homme ? Je me félicite que le texte prévoie une information des élèves dans le cadre de l'éducation nationale ; il est également bienvenu que les fournisseurs d'accès soient mis à contribution dans les actions de sensibilisation des internautes.

L'enjeu de ce projet de loi est d'assurer l'avenir de la création culturelle, ce qui impose un juste équilibre entre les droits légitimes des auteurs et ceux des citoyens à l'accès, au partage et à la diffusion de la culture. Le sujet, difficile, nous appelle à l'humilité.

Je salue le travail du rapporteur, ainsi que celui de M. Retailleau qui a su poser avec courage de bonnes questions. Le groupe de l'Union centriste votera le texte. (Applaudissements au centre et à droite)

M. Serge Lagauche.  - Le marasme économique dans lequel sont plongées les industries phonographiques et cinématographiques commandait d'agir, notamment contre le piratage. Nous déplorons que ce texte si controversé ait été présenté au Sénat près d'une année après la signature des accords Olivennes ; rien n'a été fait dans l'intervalle pour consolider le consensus alors obtenu, si bien que certains l'ont depuis dénoncé... Il aura fallu au total plus de deux ans et demi, depuis l'échec de la loi Dadvsi, pour tenter de trouver une réponse à un piratage destructeur pour la création et les auteurs.

Le dispositif de la riposte graduée nous semble un compromis acceptable entre les droits et obligations des internautes, des créateurs et des FAI. Nous sommes satisfaits en particulier de la solution retenue par la CMP s'agissant de la suspension de l'abonnement, dernier étage de la riposte, solution que nous avions votée ici en première lecture ; les abonnés sanctionnés continueront à payer leur abonnement le temps de la sanction. On ne pouvait rendre les FAI responsables des manquements commis par leurs abonnés.

Les nouvelles pratiques d'accès aux biens culturels par internet et le développement de l'offre légale imposaient d'adapter la chronologie des médias. Nous avions, en première lecture, proposé de ramener la fenêtre d'exploitation des films en DVD entre quatre et neuf mois après la sortie en salle, mais nous nous étions ralliés à l'amendement de la commission qui souhaitait, en quelque sorte, donner une dernière chance à la négociation interprofessionnelle. Cet accord n'étant pas intervenu, c'est opportunément que la CMP unanime a permis la sortie des films en DVD quatre mois après la sortie en salle, des dérogations étant cependant possibles. Le même délai s'appliquera à la vidéo à la demande en absence d'accord interprofessionnel dans le mois suivant la publication de la loi. Cette évolution de la chronologie des médias devrait renforcer l'attractivité de l'offre légale de films et contribuer à l'érosion du piratage.

Les éditeurs phonographiques sont incités à renoncer aux mesures techniques de protection, ce qui renforcera l'intérêt pour l'offre légale numérique de musique.

Le texte de la CMP n'est cependant pas parfait. S'il pose comme principe que le piratage des oeuvres culturelles est un vol vis-à-vis du droit d'auteur auquel il convient de répondre par une sanction graduée et proportionnée, il manque cruellement d'un volet pédagogique. Il faut en effet expliquer aux jeunes internautes et à leurs parents les dangers du piratage, insister sur le fait que, sur internet comme ailleurs, tout se paie et que cette rémunération est la source indispensable du financement du cinéma, de la musique et de l'ensemble de la création artistique. A défaut, le dispositif de la riposte graduée ne sera ni compris ni accepté.

Le texte de l'Assemblée nationale disposait que le président de l'Hadopi serait nommé par décret -autant dire par l'Élysée. La CMP est revenue sur cette disposition et a prévu qu'il serait élu par le collège : la démocratie y gagnera.

Nous regrettons tous que le texte ne réponde pas de manière satisfaisante à la question de la rémunération de la création à l'ère numérique ; un modèle reste à inventer pour préserver le développement du cinéma, de l'édition et de la musique enregistrée. Dans le contexte actuel, il n'est guère opportun d'asseoir ce modèle sur des recettes publicitaires de plus en plus incertaines. Il nous faudra simultanément réfléchir à la démocratisation culturelle en prenant en compte les nouvelles pratiques artistiques et sociales qui se déploient sur le net. Nous serons toujours disponibles pour participer à la recherche d'une solution respectant le droit d'auteur et favorisant dans le même temps la diffusion culturelle pour le plus grand nombre.

Nous restons au total sceptiques sur l'efficacité de ce texte. Pour manifester notre soutien aux auteurs, nous avions accepté de le voter lors de son examen au Sénat. Mais vous avez beaucoup tardé, madame la ministre... J'ajoute que l'amendement de M. Kert, qui est un cavalier, prévoyant que la collaboration des journalistes dans une entreprise de presse est désormais multi-supports est inacceptable sans l'accord des journalistes. Un débat sur la presse est tout à fait indispensable.

Pour toutes ces raisons, le groupe socialiste du Sénat s'abstiendra...

M. Ladislas Poniatowski.  - Dommage !

M. Serge Lagauche.  - ...en souhaitant que le texte permette réellement de réduire le piratage et favorise la prise de conscience des internautes sur ses conséquences pour la création et la diversité culturelle. (Applaudissements à gauche)

Mme Françoise Laborde.  - Le monde de la culture doit faire face à une révolution technologique et aux bouleversements profonds qu'elle entraîne. La mise en place de verrous anti-copie par les industriels pour tenter de protéger les droits des auteurs et la production artistique n'a pas suffi à enrayer le téléchargement illégal, loin de là. Comment la législation peut-elle ne pas avoir en permanence un temps de retard ? Les enjeux économiques de la copie par les particuliers sont considérables : le nombre de téléchargements quotidiens de films en France est égal à celui des entrées en salle, et les ventes de disques ont chuté de 50 % en cinq ans. Un secteur économique et culturel entier est en péril.

Le texte Hadopi a suscité polémiques, débats et passions, parfois au-delà du raisonnable, notamment sur les bancs de l'Assemblée nationale... Il faut pourtant revenir à l'essentiel et éviter de se laisser submerger par l'émotion et la démagogie. L'enjeu majeur est la protection de la création culturelle. La pédagogie est indispensable pour responsabiliser et sensibiliser les consommateurs, notamment les jeunes, à la notion de droits d'auteur.

Le numérique est une opportunité sans précédent pour la culture, dont le potentiel est considérable ; nous devons l'apprivoiser et apprendre à l'utiliser à bon escient, c'est-à-dire jamais au détriment des artistes.

Le compromis auquel la CMP est arrivé, auquel j'ai eu l'honneur de contribuer, me semble tout à fait équilibré, même s'il n'est pas à tous égards satisfaisant. Le texte sera parfois difficile à appliquer, mais il invite au respect de la création artistique. La riposte graduée est efficace, appliquée à des utilisateurs plus ou moins mal intentionnés. Les pirates seront sanctionnés en vertu du délit de contrefaçon des droits voisins.

La limitation du débit ne me semblait pas judicieuse. La suspension de la connexion est une sanction compréhensible et proportionnée. Dans le cadre des offres combinées, seule la connexion internet sera suspendue, non l'accès aux autres services. L'internaute ne sera pas dispensé du paiement de l'abonnement. Ce n'est pas une double peine mais une mesure d'équité et de justice...

M. Jacques Legendre, président de la commission des affaires culturelles.  - Très bien.

Mme Françoise Laborde.  - Pour quelle raison en effet le fournisseur d'accès devrait-il supporter le poids financier de la sanction ? II pourrait se retourner contre l'État ! La création d'une Haute autorité pour la diffusion des oeuvres et la protection des droits sur internet était indispensable ; la CMP a retenu la proposition du Sénat de faire élire et non pas nommer son président. C'est, par les temps qui courent, un progrès ! L'Hadopi luttera contre le piratage, surveillera et encouragera le développement de l'offre légale en ligne. Notons qu'elle n'aura pas à tenir compte du contenu de l'offre légale pour apprécier la gravité des manquements. La sanction doit être appliquée quelle que soit l'offre. Mais il est fondamental de développer une offre légale alternative.

L'Assemblée nationale a introduit des dispositions tendant à réformer le droit d'auteur des journalistes, suivant les recommandations issues des états généraux de la presse à l'automne dernier. La législation relative aux droits d'auteur des journalistes était désuète et inadaptée à la nouvelle économie du secteur, marquée par l'essor des nouveaux modes de transmission de l'information. Désormais l'ensemble des supports d'un titre de presse sera susceptible de publier le travail d'un journaliste ayant conclu un contrat de travail avec l'entreprise -sauf à le préciser dans le contrat de travail ou dans une convention de collaboration ponctuelle.

Ce travail de longue haleine a montré des divergences de points de vue, entre les deux assemblés et au-delà. Espérons que ces débats déboucheront sur une réelle prise de conscience. La création et les artistes doivent être respectés. Madame la ministre, nous attendons une politique culturelle plus ambitieuse, mieux dotée en moyens budgétaires, pour mieux aider les producteurs indépendants et les auteurs. La majorité du groupe RDSE votera le texte issu de la CMP. (Applaudissements à droite)

M. Ivan Renar.  - Fort de son exception culturelle et de son système de soutien juridique, fiscal, industriel, notre pays est riche d'une production musicale et cinématographique enviée à l'étranger. Il est essentiel de préserver cette vitalité culturelle et artistique, symbole de résistance à l'uniformisation et à la standardisation. La culture est la clef de voûte du développement humain. Et la révolution numérique offre de nouvelles opportunités de création et de démocratisation culturelle. La dématérialisation favorise l'accès aux oeuvres de l'esprit, elle concrétise cette utopie d'un partage désintéressé et sans limite.

La rémunération équitable des artistes et interprètes n'en reste pas moins un enjeu important. Les mutations en cours sont une belle occasion de remettre les artistes au coeur du dispositif de soutien, d'autant que la plupart d'entre eux vivent dans un grand dénuement. Est-il légitime que l'auteur perçoive de 2 à 7 centimes par téléchargement sur les sites légaux? La crise du capitalisme remet en cause le profit pour le profit. Les jeunes générations ont de moins en moins le réflexe de l'appropriation, davantage celui de l'usage. Le moment est donc venu d'inventer un nouveau modèle économique du droit d'auteur. Hélas le projet de loi ne contribue en rien à améliorer les offres légales sur le web. Il est essentiellement répressif, avec une efficacité aléatoire. Surtout, il ne répond pas à la question cruciale : comment améliorer la rétribution des créateurs en tenant compte d'une circulation sans précédent -et utile- des oeuvres de l'esprit ? Il sera finalement un coup d'épée dans l'eau. Les fameux verrous numériques de la loi « Dadvsi » sautent peu à peu ; et les sanctions pénales prévues étaient tellement disproportionnées qu'elles n'ont pu être appliquées. Le présent texte est menacé du même sort car il est fondé sur les mauvaises analyses des majors qui souhaitent arrêter le progrès. Ce projet de loi se présente comme un désastre annoncé.

N'est-il pas paradoxal de miser sur l'extension du haut débit comme facteur de croissance et de suspendre l'accès à internet, nouveau service universel? Non conformité au droit européen sur les libertés fondamentales, problèmes techniques non résolus, dérives d'une surveillance généralisée : il y a de quoi s'inquiéter ! Et comment adhérer à un texte dont l'impact économique sur la filière culturelle sera marginal ? Comment ne pas s'opposer à un texte qui bafoue la justice la plus élémentaire ? Aucune procédure contradictoire n'est prévue, la présomption d'innocence est oubliée ; la suspension de l'abonnement est une atteinte aux libertés individuelles, une véritable mise en quarantaine dans la société d'aujourd'hui.

On sait déjà que l'identification des contrevenants sera complexe et fastidieuse. Des internautes pourront être sanctionnés à tort et la « riposte graduée » produira des injustices et du contentieux. Cela est d'autant plus grave que les droits de la défense ne sont pas pleinement respectés. Surtout, on ne s'attaquera qu'aux plus novices, à ceux qui ignorent comment masquer leur adresse IP ; les véritables délinquants savent échapper à la surveillance ! Le plus curieux, c'est que les internautes ne seront pas sanctionnés pour téléchargement illégal mais pour défaut de sécurisation de leur connexion à internet ! Et rien ne garantit que la riposte graduée gonflera les achats de disques ou de musique en ligne. Tout le monde se plaint, à juste titre, de l'insuffisance de l'offre : catalogues bien minces, titres inédits et épuisés introuvables, prix trop élevés. Si le chiffre d'affaires des majors est en berne, elles en sont les premières responsables, par leur inertie. Elles invoquent la gratuité du net pour expliquer leurs difficultés, alors que, comme le dit le manager d'un des plus grands groupes mondiaux, « La musique gratuite a une vraie valeur économique » -fidélisation du public, vente de places de concert... Le film le plus téléchargé, Bienvenue chez les Ch'tis, est aussi celui qui a battu tous les records d'entrées en salle. Les internautes ne souhaitent pas léser les artistes qu'ils apprécient !

Le Président de la République a considéré que l'entrée payante dans les musées constituait un frein à la fréquentation des jeunes. Il a instauré la gratuité pour les moins de 25 ans et il en attend un gain : que les bénéficiaires continuent à fréquenter les musées tout au long de leur vie. Le calcul est le même avec l'abonnement gratuit à un journal de leur choix pour tous les jeunes atteignant l'âge de 18 ans. La création d'un statut d'éditeur en ligne est une évolution indispensable : mais elle ne dispense pas de répondre aux inquiétudes qu'elle suscite chez les journalistes et les auteurs.

Les industries culturelles s'obstinent à camper sur le modèle pourtant obsolète de la vente à la copie. Pourquoi n'offrent-elles pas de vrais services sur internet : un son de bonne qualité, les paroles des chansons, des exclusivités, l'exhaustivité des catalogues et des prix abordables ? Les coûts de reproduction et de distribution sont devenus dérisoires avec la numérisation. Aujourd'hui, la tendance est à l'écoute à la demande, gratuite comme à la radio et financée par la publicité, sur des sites qui ont signé avec les maisons de disques des accords sur le partage des revenus. On passe d'une logique de stockage à une logique de flux, comme pour la vidéo. Quelles seront les pratiques de demain ? Au lieu d'anticiper, ce texte de loi persiste à prendre toujours plus de retard. Il néglige la question de fond, l'adaptation du droit d'auteur et des droits voisins à l'ère numérique. D'autant que les grandes entreprises s'accaparent de plus en plus les contenus, en expropriant les artistes de leurs droits. Elles n'ont de cesse de transformer l'immatériel en actifs financiers et rentables. Et s'il est primordial de faire respecter la propriété intellectuelle, cela peut se faire sans opposer les artistes à leur public. Le droit d'auteur a été initialement créé pour protéger l'artiste du marchand ; à l'ère numérique, l'auteur n'a pas changé, mais le marchand, oui. Or tous les amendements visant à les faire participer au financement de la création artistique dont ils tirent d'énormes bénéfices ont été rejetés. Il est pourtant essentiel d'éviter, selon la forte formule de Jack Ralite, que l'esprit des affaires l'emporte sur les affaires de l'esprit ! Même la plate-forme publique de téléchargement visant à promouvoir les oeuvres absentes de l'offre commerciale est en retard. Pourtant, la musique est partout et n'a jamais été aussi écoutée car nos concitoyens ont besoin d'imaginaire et d'émotion.

Malgré la crise financière et économique qui les frappe durement, les salles de spectacles et de cinéma, les musées et les festivals ne désemplissent pas, car l'art apporte d'indispensables repères et redonne du sens à ce monde qui marche sur la tête. On constate un véritable attachement à la culture et aux principes d'émancipation, d'ouverture et de liberté qui lui sont attachés. C'est pourquoi nous déplorons que la culture, la connaissance, la recherche et les libertés n'aient jamais été autant disqualifiées et maltraitées par le Gouvernement. Ce texte participe de cette logique puisqu'il oppose les artistes au public alors que leurs intérêts convergent. Le public a besoin des artistes et réciproquement. La dématérialisation numérique permet de concilier durablement le droit d'auteur et le droit à la culture pour tous. Or, ce projet de loi renonce à ce nouveau saut de civilisation que le progrès technologique et l'innovation permettent aujourd'hui.

Toutefois, malgré nos réserves, nous prenons acte que cette loi est soutenue par de nombreux artistes et par plusieurs organisations représentatives du monde de la culture. Notre groupe confirme donc son abstention, mais nous resterons combatifs avec l'espoir que les artistes s'associent au public et construisent ensemble un système de licence inédit, audacieux, adapté au numérique et plus juste pour tous les ayants-droit. Compte tenu de l'échec annoncé de la loi Hadopi, il est indispensable pour que vive la création de penser à de nouveaux financements. Il y a urgence car, comme le disait Antonio Gramsci, « L'ancien se meurt, le nouveau ne parvient pas à voir le jour, c'est dans ce clair-obscur que surgissent les monstres » (Applaudissements à gauche)

M. Jacques Legendre, président de la commission.  - Il y a des petits miracles dont notre assemblée peut être fière. On disait que ce débat serait difficile, passionné et pourrait tourner à l'affrontement. Mais, dans cette enceinte, nous avons été au fond des choses, nous nous sommes écoutés et nos points de vue se sont rapprochés : il est tout à fait significatif que notre assemblée ait adopté ce texte à l'unanimité, mises à part les abstentions.

Comment sommes-nous parvenus à ce résultat ? Au-delà de nos légitimes divergences, et conscients de la difficulté de légiférer dans pareil domaine, nous avons tous voulu protéger la création des menaces qui pèsent sur elle. La réponse n'était pas facile car il fallait faire comprendre au public que si le piratage continuait comme aujourd'hui, c'était le sort même des créateurs qui était en jeu. Bien évidemment, on peut diverger sur les méthodes et sur les réponses techniques, mais nous nous sommes tous employés à trouver les solutions les mieux adaptées. Nous avons donc décidé de sanctionner le piratage abusif, mais en le faisant de façon pédagogique. Il ne s'agissait pas de constater et de frapper, mais d'avertir une première puis une deuxième fois avant de se résoudre à la sanction qui ne touchera que les internautes les plus engagés dans de mauvaises habitudes. Certains de ces internautes considèrent le piratage comme un sport et il sera difficile de les faire renoncer à ces mauvaises pratiques mais, pour la grande majorité, la tentation s'estompera dès le premier message d'alerte envoyé.

Nous avons aussi beaucoup entendu parler de double peine. Il était inconcevable que les fournisseurs d'accès soient sanctionnés du fait du comportement fautif de leurs abonnés. L'État n'avait pas non plus à en supporter le coût.

Nous sommes donc en présence d'un texte équilibré qui met un terme aux atermoiements qui avaient été dénoncés en octobre lors de l'examen du projet : l'offre légale était jusqu'à présent mise en ligne bien trop tard et nous avons considéré que quatre mois était un délai tout à fait raisonnable. Nous ne sommes donc pas en présence d'un texte anti-internautes mais d'une loi raisonnable qui défend la création. Sera-t-elle applicable et pérenne ? Les technologies et le monde évoluent mais ce n'est pas pour autant qu'il faut s'interdire de légiférer : à un moment ou à un autre nous devrons nous interroger sur l'efficacité de ce texte et le faire évoluer.

Nous sommes arrivés à un relatif consensus et je m'en réjouis : une fois de plus, le Sénat a démontré qu'il était le lieu où les débats pouvaient se dérouler dans le respect des convictions des uns et des autres. (Applaudissements à droite)

Mme Christine Albanel, ministre de la culture et de la communication.  - Comme vient de le rappeler le président Legendre, cette loi était très attendue : la mobilisation du monde culturel et artistique a été très forte avec les 10 000 signataires de l'appel et les 37 cinéastes de premier plan qui se sont manifestés en Europe.

Cette loi n'est pas celle des majors, comme cela a été dit, mais de cette multitude de petites entreprises indépendantes : 99 % des sociétés qui éditent de la musique emploient moins de vingt salariés. Elles attendaient avec impatience que nous définissions un cadre pour empêcher le téléchargement illégal dont la France est championne du monde.

Ce texte a été précédé d'accords interprofessionnels : des mois de négociations ont eu lieu avant la rédaction. Nous avons voulu une loi pédagogique composée de deux volets : le développement de l'offre légale et la mise en place d'une dissuasion du piratage : ce n'est qu'après la réception de la lettre recommandée qui permet d'engager la responsabilité parentale que la suspension d'accès intervient, mais elle peut être discutée entre le contrevenant et la Haute autorité. Ce système, imaginé par les professionnels et les fournisseurs d'accès, me semble très équilibré.

Je remercie les rapporteurs, le président Legendre, les deux commissions et tous ceux qui ont enrichi au fil des débats cette loi. L'apport du Sénat a été considérable, avec la suppression de la DRM qui va changer le paysage musical, le raccourcissement de la chronologie des médias, le renforcement de l'indépendance de la Haute autorité avec l'élection du président et le renforcement du référencement des sites proposant des téléchargements légaux. Je me réjouis également de la position prise par le Sénat sur la poursuite du paiement de l'abonnement en cas de suspension pour téléchargement illégal. Lorsqu'on achète une voiture à crédit, les traites ne sont pas suspendues si votre permis vous est retiré.

Je tiens également à vous remercier sur les dispositions pédagogiques : il ne faut pas partir du principe que les jeunes sont incapables de comprendre que la destinée des artistes est en jeu. Nous sommes un pays de grande tradition culturelle qui défend le droit des auteurs.

Les conclusions des états généraux de la presse ont été rendues après l'examen de ce texte au Sénat : l'Assemblée a introduit la question du droit d'auteur des journalistes et le statut des éditeurs en ligne. En revanche, la collaboration entre les journalistes et les entreprises de presse n'a pas fait l'objet de ce que l'on a appelé le « blanc » : c'est pourquoi le Gouvernement s'en est remis à votre sagesse, estimant qu'une telle question était plutôt du ressort des discussions dans les entreprises plutôt que de la loi. M. Lagauche a d'ailleurs rappelé sa réticence sur ce point, même s'il figure en définitive dans la loi.

Il était important que cette loi porte enfin sur le statut des éditeurs en ligne afin de leur faire bénéficier des mêmes conditions fiscales que l'ensemble des éditeurs de presse.

Au total, il s'agit d'une loi modeste : les innovations technologiques seront multiples et il sera toujours possible de trouver des ruses ou des parades pour la contourner. Ce n'est pas parce qu'on a un mouchard qui permet de détecter les radars sur la route que l'on renonce au code de la route. Il était indispensable d'affirmer des valeurs et de créer un cadre juridique et psychologique qui encourage la création et qui entrave le petit piratage. Celui-ci se pratique le plus souvent sans intention de nuire mais ses conséquences finissent par être désastreuses.

Je remercie ceux qui ont enrichi le débat : le texte approuvé par le Sénat était très bon, la version finale en est très proche. Le groupe communiste s'était abstenu dans un premier temps, mais aujourd'hui l'approbation est massive. Au-delà des clivages, nous pouvons donc nous retrouver sur certains principes. (Applaudissements à droite et au centre)

M. le président.  - En application de l'article 42 du Règlement, le Sénat, examinant avant l'Assemblée nationale le texte élaboré par la commission mixte paritaire, se prononce par un seul vote sur l'ensemble du texte. Je n'ai été saisi d'aucun amendement. Il y a une demande de parole sur l'article 10 bis A.

Article 10 bis A

1I.  -  Le code de la propriété intellectuelle est ainsi modifié :

21° Le dernier alinéa de l'article L. 121-8 est remplacé par deux alinéas ainsi rédigés :

3« Pour toutes les oeuvres publiées dans un titre de presse au sens de l'article L. 132-35, l'auteur conserve, sauf stipulation contraire, le droit de faire reproduire et d'exploiter ses oeuvres sous quelque forme que ce soit, sous réserve des droits cédés dans les conditions prévues à la section 6 du chapitre II du titre III du livre Ier.

4« Dans tous les cas, l'exercice par l'auteur de son droit suppose que cette reproduction ou cette exploitation ne soit pas de nature à faire concurrence à ce titre de presse. » ;

52° Le chapitre II du titre III du livre Ier de la première partie est complété par une section 6 ainsi rédigée :

1« Section 6

2« Droit d'exploitation des oeuvres des journalistes

6« Art. L. 132-35.  - On entend par titre de presse, au sens de la présente section, l'organe de presse à l'élaboration duquel le journaliste professionnel a contribué, ainsi que l'ensemble des déclinaisons du titre, quels qu'en soient le support, les modes de diffusion et de consultation. Sont exclus les services de communication audiovisuelle au sens de l'article 2 de la loi n°86-1067 du 30 septembre 1986 relative à la liberté de communication.

7« Est assimilée à la publication dans le titre de presse la diffusion de tout ou partie de son contenu par un service de communication au public en ligne ou par tout autre service, édité par un tiers, dès lors que cette diffusion est faite sous le contrôle éditorial du directeur de la publication dont le contenu diffusé est issu ou dès lors qu'elle figure dans un espace dédié au titre de presse dont le contenu diffusé est extrait.

8« Est également assimilée à la publication dans le titre de presse la diffusion de tout ou partie de son contenu par un service de communication au public en ligne édité par l'entreprise de presse ou par le groupe auquel elle appartient ou édité sous leur responsabilité, la mention dudit titre de presse devant impérativement figurer.

9« Art. L. 132-36.  - Sous réserve des dispositions de l'article L. 121-8, la convention liant un journaliste professionnel ou assimilé au sens des articles L. 7111-3 et suivants du code du travail, qui contribue, de manière permanente ou occasionnelle, à l'élaboration d'un titre de presse, et l'employeur emporte, sauf stipulation contraire, cession à titre exclusif à l'employeur des droits d'exploitation des oeuvres du journaliste réalisées dans le cadre de ce titre, qu'elles soient ou non publiées.

10« Art. L. 132-37.  - L'exploitation de l'oeuvre du journaliste sur différents supports, dans le cadre du titre de presse défini à l'article L. 132-35 du présent code, a pour seule contrepartie le salaire, pendant une période fixée par un accord d'entreprise ou, à défaut, par tout autre accord collectif, au sens des articles L. 2222-1 et suivants du code du travail.

11« Cette période est déterminée en prenant notamment en considération la périodicité du titre de presse et la nature de son contenu.

12« Art. L. 132-38.  - L'exploitation de l'oeuvre dans le titre de presse, au-delà de la période prévue à l'article L. 132-37, est rémunérée, sous forme de droits d'auteur ou de salaire, dans des conditions déterminées par l'accord d'entreprise ou, à défaut, par tout autre accord collectif.

13« Art. L. 132-39.  - Lorsque la société éditrice ou la société qui la contrôle, au sens de l'article L. 233-16 du code de commerce, édite plusieurs titres de presse, un accord d'entreprise peut prévoir la diffusion de l'oeuvre par d'autres titres de cette société ou du groupe auquel elle appartient, à condition que ces titres et le titre de presse initial appartiennent à une même famille cohérente de presse. Cet accord définit la notion de famille cohérente de presse ou fixe la liste de chacun des titres de presse concernés.

14« L'exploitation de l'oeuvre du journaliste au sein de la famille cohérente de presse doit comporter des mentions qui permettent une identification dudit journaliste et, si l'accord le prévoit, du titre de presse dans lequel l'oeuvre a été initialement publiée.

15« Ces exploitations hors du titre de presse tel que défini à l'article L. 132-35 du présent code donnent lieu à rémunération, sous forme de droits d'auteur ou de salaire, dans des conditions déterminées par l'accord d'entreprise mentionné au premier alinéa du présent article.

16« Art. L. 132-40.  - Toute cession de l'oeuvre en vue de son exploitation hors du titre de presse initial ou d'une famille cohérente de presse est soumise à l'accord exprès et préalable de son auteur exprimé à titre individuel ou dans un accord collectif, sans préjudice, dans ce deuxième cas, de l'exercice de son droit moral par le journaliste.

17« Ces exploitations donnent lieu à rémunération sous forme de droits d'auteur, dans des conditions déterminées par l'accord individuel ou collectif.

18« Art. L. 132-41.  - Lorsque l'auteur d'une image fixe est un journaliste professionnel qui tire le principal de ses revenus de l'exploitation de telles oeuvres et qui collabore de manière occasionnelle à l'élaboration d'un titre de presse, la cession des droits d'exploitation telle que prévue à l'article L. 132-36 ne s'applique que si cette oeuvre a été commandée par l'entreprise de presse.

19« Les conditions dans lesquelles le second alinéa de l'article L. 121-8 s'applique aux oeuvres cédées en application du premier alinéa du présent article sont précisées par un accord collectif ou individuel.

20« Art. L. 132-42.  - Les droits d'auteur mentionnés aux articles L. 132-38 et suivants n'ont pas le caractère de salaire. Ils sont déterminés conformément aux articles L. 131-4 et L. 132-6.

21« Art. L. 132-43.  - Les accords collectifs peuvent prévoir de confier la gestion des droits mentionnés aux articles L. 132-38 et suivants à une ou des sociétés de perception et de répartition de droits mentionnées aux articles L. 321-1 et suivants.

22« Art. L. 132-44.  - Il est créé une commission, présidée par un représentant de l'État, et composée, en outre, pour moitié de représentants des organisations professionnelles de presse représentatives et pour moitié de représentants des organisations syndicales de journalistes professionnels représentatives.

23« Le représentant de l'État est nommé parmi les membres de la Cour de cassation, du Conseil d'État ou de la Cour des comptes, par arrêté du ministre chargé de la communication.

24« A défaut de conclusion d'un accord d'entreprise dans un délai de six mois à compter de la publication de la loi n°       du         favorisant la diffusion et la protection de la création sur Internet, et en l'absence de tout autre accord collectif applicable, l'une des parties à la négociation de l'accord d'entreprise peut saisir la commission aux fins de déterminer les modes et bases de la rémunération due en contrepartie des droits d'exploitation. La demande peut également porter sur l'identification des titres composant une famille cohérente de presse au sein du groupe, en application de l'article L. 132-39.

25« Pour les accords d'entreprise conclus pour une durée déterminée qui arrivent à échéance ou pour ceux qui sont dénoncés par l'une des parties, la commission peut être saisie dans les mêmes conditions et sur les mêmes questions qu'au précédent alinéa, à défaut de la conclusion d'un nouvel accord d'entreprise dans les six mois suivant la date d'expiration de l'accord à durée déterminée ou à défaut de la conclusion d'un accord de substitution dans les délais prévus à l'article L. 2261-10 du code du travail à la suite de la dénonciation du précédent accord.

26« La commission recherche avec les parties une solution de compromis afin de parvenir à un accord. Elle s'appuie, à cet effet, sur les accords existants pertinents au regard de la forme de presse considérée. Elle rend sa décision dans un délai de deux mois à compter de sa saisine.

27« La commission se détermine à la majorité de ses membres présents. En cas de partage des voix, le président a voix prépondérante.

28« Les décisions de la commission sont exécutoires si, dans un délai d'un mois, son président n'a pas demandé une seconde délibération. Elles sont notifiées aux parties et au ministre chargé de la communication, qui en assure la publicité.

29« L'intervention de la décision de la commission ne fait pas obstacle à ce que s'engage dans les entreprises de presse concernées une nouvelle négociation collective. L'accord collectif issu de cette négociation se substitue à la décision de la commission, après son dépôt par la partie la plus diligente auprès de l'autorité administrative, conformément à l'article L. 2231-6 du code du travail.

30« Un décret en Conseil d'État fixe les conditions d'application du présent article et notamment la composition, les modalités de saisine et de fonctionnement de la commission ainsi que les voies de recours juridictionnel contre ses décisions.

31« Art. L. 132-45.  - L'article L. 132-41 s'applique à compter de l'entrée en vigueur d'un accord de branche déterminant le salaire minimum des journalistes professionnels qui tirent le principal de leurs revenus de l'exploitation d'images fixes et qui collaborent de manière occasionnelle à l'élaboration d'un titre de presse. Cet accord prend en compte le caractère exclusif ou non de la cession.

32« A défaut d'accord dans un délai de deux ans à compter de la publication de la loi n°         du                  favorisant la diffusion et la protection de la création sur internet, un décret fixe les conditions de détermination de ce salaire minimum. »

33II.  -  Le code du travail est ainsi modifié :

341°A Après l'article L. 7111-5, il est inséré un article L. 7111-5-1 ainsi rédigé :

35« Art. L. 7111-5-1.  - La collaboration entre une entreprise de presse et un journaliste professionnel porte sur l'ensemble des supports du titre de presse tel que défini au premier alinéa de l'article L. 132-35 du code de la propriété intellectuelle, sauf stipulation contraire dans le contrat de travail ou dans toute autre convention de collaboration ponctuelle. » ;

361° L'article L. 7113-2 est ainsi rédigé :

37« Art. L. 7113-2.  - Tout travail commandé ou accepté par l'éditeur d'un titre de presse au sens de l'article L. 132-35 du code de la propriété intellectuelle, quel qu'en soit le support, est rémunéré, même s'il n'est pas publié. » ;

382° Le chapitre III du titre Ier du livre Ier de la septième partie est complété par deux articles L. 7113-3 et L. 7113-4 ainsi rédigés :

39« Art. L. 7113-3.  - Lorsque le travail du journaliste professionnel donne lieu à publication dans les conditions définies à l'article L. 132-37 du code de la propriété intellectuelle, la rémunération qu'il perçoit est un salaire.

40« Art. L. 7113-4.  - La négociation obligatoire visée aux articles L. 2241-1 et L. 2241-8 du présent code porte également sur les salaires versés aux journalistes professionnels qui contribuent, de manière permanente ou occasionnelle, à l'élaboration d'un titre de presse. »

41III.  - Après l'article L. 382-14 du code de la sécurité sociale, il est inséré un article L. 382-14-1 ainsi rédigé :

42« Art. L. 382-14-1.  - Les revenus versés en application de l'article L. 132-42 du code de la propriété intellectuelle sont assujettis aux cotisations dues au titre des assurances sociales et des allocations familiales dans les conditions prévues au présent chapitre. »

43IV.  -  Durant les trois ans suivant la publication de la présente loi, les accords relatifs à l'exploitation sur différents supports des oeuvres des journalistes signés avant l'entrée en vigueur de la présente loi continuent de s'appliquer jusqu'à leur date d'échéance, sauf cas de dénonciation par l'une des parties.

44Dans les entreprises de presse où de tels accords n'ont pas été conclus à la date d'entrée en vigueur de la présente loi, les accords mentionnés à l'article L. 132-37 du code de la propriété intellectuelle fixent notamment le montant des rémunérations dues aux journalistes professionnels en application des articles L. 132-38 à L. 132-40 dudit code, pour la période comprise entre l'entrée en vigueur de la présente loi et l'entrée en vigueur de ces accords.

Mme Marie-Christine Blandin.  - Cet article n'est pas anodin ; il n'a d'ailleurs été diffusé qu'hier après-midi par les services du Sénat. La sérénité dont le président de la commission et Mme la ministre se sont félicités ne peut s'accommoder de ces mauvaises pratiques : cet amendement de plusieurs pages sur la propriété intellectuelle est un cavalier dont seule l'Assemblée nationale a pu débattre. Comment admettre que le code du travail soit en outre modifié par un sous-amendement ? Est-ce cela, l'effet « promotion du Parlement » vanté par les thuriféraires de la réforme constitutionnelle ? D'abord l'urgence, puis le contournement du Sénat, enfin le court-circuitage du dialogue social avec les professions du journalisme...

Le sous-amendement déposé par Christian Kert autorise le détournement de textes ou de photographies au profit d'autres supports appartenant au même employeur. On a invoqué Beaumarchais pour défendre ce texte, mais celui-ci doit se retourner dans sa tombe ! Notre commission, puis le Sénat ont été exclus du débat ; la chambre la plus réactionnaire n'est pas celle que l'on croit... Le Sénat avait résisté à l'exception des droits d'auteur des photographes dans la loi Dadvsi : notre commission les avait défendus avec succès par un amendement que j'avais déposé. Ce contournement de la Haute assemblée est scandaleux. Après la loi audiovisuelle qui s'appliquait avant d'avoir été votée, vous inventez la « loi cavalier » qui ne passe que dans une chambre...

Chers collègues, avec la loi Hadopi, vous allez voter la cession à titre exclusif des oeuvres, la limitation arbitraire de la propriété intellectuelle, une modification du code du travail et une proposition contraire aux conclusions des états généraux de la presse... A la concentration des médias s'ajoutent l'uniformisation des sources et la fragilisation des journalistes : cette démocratie-là ne convient pas aux Verts. (Applaudissements à gauche)

M. Jacques Legendre, président de la commission.  - Notre commission se préoccupe depuis longtemps de la protection du droit d'auteur des journalistes. Le groupe de travail que nous avons constitué a émis des propositions dès 2007. Nous avons présenté un amendement signé également par Louis de Broissia en juin 2008, lors de l'examen de la loi LME : il a été retiré alors, car prématuré, mais était conforme à ce projet de loi. Certes, je regrette moi aussi de n'avoir pu examiner la disposition contenue dans l'article 10 bis A mais nous avons déjà débattu du sujet et avons abouti à une position commune.

Vote sur l'ensemble

Mme Colette Mélot.  - Au nom du groupe UMP, je remercie le rapporteur Michel Thiollière et le président Jacques Legendre, qui ont contribué à l'amélioration du projet de loi et à la recherche d'un juste équilibre entre la défense du droit d'auteur et la liberté de l'internaute. Cessons d'opposer les droits des internautes et ceux des créateurs. Le « piratage » recoupe des réalités diverses, des actes en série commerciaux justifiant une peine lourde comme des copies réalisées par des jeunes inconscients du tort qu'ils portent à des artistes que, pourtant, ils admirent.

Le dispositif proposé par ce texte est pédagogique et préventif. Le système de réponse graduée allant du message d'avertissement à la suspension de l'abonnement sera dissuasif. Il ne s'agit pas d'entraver la liberté des internautes mais de moraliser l'usage d'internet. Le débat que nous avons eu a amélioré et enrichi ce texte : les attributions et l'indépendance de la Haute autorité pour la diffusion des oeuvres et la protection des droits sur internet ont été consolidées, la situation des internautes a été sécurisée et le développement de l'offre légale encouragé.

Le texte issu de la CMP reprend la plupart des dispositions votées par le Sénat. Ainsi, l'internaute continuera à payer son abonnement en cas de suspension de l'accès à internet ; le téléphone et la télévision ne seront pas interrompus s'il dispose d'un triple play. A défaut, comme l'a expliqué notre rapporteur, le coût de la suspension aurait pesé sur les fournisseurs d'accès, exposant le texte à un risque d'inconstitutionnalité. Notre groupe se réjouit du consensus ainsi trouvé avec les professionnels de la culture, d'internet et des télécommunications.

Nous voterons ce texte qui répond à une attente forte : l'enjeu essentiel qui nous rassemble, quelles que soient nos convictions, est la préservation de la création culturelle à l'ère du numérique. (Applaudissements à droite et au centre ; Mme Françoise Laborde applaudit aussi)

Mme Marie-Christine Blandin.  - Pour préserver la création, il est indispensable de rémunérer correctement les créateurs et les diffuseurs, à condition que les seconds ne spolient pas les premiers. Dans le climat de sérénité évoqué, nous nous sommes abstenus sur ce nouveau dispositif qui renonce aux excès liberticides de la loi Davdsi. Le texte élaboré par la CMP conserve le même ton mais la loi Davdsi reste en vigueur. En outre, sont introduites des innovations judiciaires hasardeuses et la promesse de choix cornéliens entre la suspicion arbitraire et l'infaisabilité. Ainsi, les utilisateurs de logiciels libres ne peuvent jamais faire preuve de dispositifs de protection. Les héros de Corneille étaient tiraillés par les scrupules : formons des voeux pour l'Hadopi !

Que de temps perdu pour le soutien de la création et la prise en main d'internet afin que ces réseaux n'échappent pas à l'éthique ! Que de temps perdu pour trouver un accord sur le délai de mise à disposition des oeuvres ! Que de temps perdu avec les erreurs de la Davdsi, les incompatibilités, les menaces ! Et soudain, c'est l'urgence... On court-circuite le Sénat, on spolie les journalistes et les photographes par un cavalier. Louis de Broissia avait travaillé sur la mise en ligne des articles des journalistes sur internet mais là, nous allons plus loin en autorisant un texte à changer de titre dans la presse écrite.

L'article 10 bis A remet profondément en cause la propriété intellectuelle des journalistes : les Verts voteront donc contre ce texte. Nous en appelons à tous les créateurs et artistes pour qu'ils se penchent sur des dispositions qui sabotent une profession culturelle au prétexte de la défendre. (MM. Jacques Muller et Jack Ralite applaudissent)

Les conclusions de la CMP sont adoptées.

La séance, suspendue à 11 heures, reprend à 11 h 15.