Débat sur la crise de la filière laitière

M. le président.  - L'ordre du jour appelle un débat sur la crise de la filière laitière.

M. Gérard Bailly, au nom du groupe UMP, auteur de la demande d'inscription à l'ordre du jour.  - (Applaudissements sur les bancs UMP) Permettez-moi d'abord, monsieur le ministre, de vous adresser mes plus sincères félicitations pour votre nomination à la tête de ce grand ministère et de me réjouir que l'alimentation figure désormais dans votre titre. C'est en effet la marque de fabrique de notre paysannerie.

Il est particulièrement opportun que nous ayons le présent débat à la suite du précédent. La colère des producteurs laitiers est réelle. Après que 12 000 d'entre eux ont manifesté le 12 mai dernier, bloquant laiteries, usines et supermarchés, le mouvement s'est radicalisé avec des manifestations à Bruxelles et Luxembourg et le blocage les 13 et 14 juin d'une quarantaine de plateformes d'approvisionnement de la grande distribution. La tension monte, la suite des événements est imprévisible si aucune solution n'est trouvée rapidement. Je ne souhaite pas que le dossier passe de vos mains à celles de votre collègue de l'intérieur...

L'origine de la crise est connue : la baisse soudaine et brutale du prix du lait. Après la chute des années 2001-2006 puis la flambée de 2006-2008, le prix est retombé à un niveau historiquement bas : 31 centimes le litre en 2001 en moyenne, 26,7 en 2006, 33,6 en 2008 et aujourd'hui de 20 à 23 centimes selon les régions et les productions, soit un niveau très inférieur au coût de production. En avril, les producteurs ont été confrontés à une baisse de 30 % décidée unilatéralement par les entreprises de transformation. Cette baisse est d'autant plus choquante qu'elle ne se retrouve pas au niveau des consommateurs -2 % seulement. Pourquoi ? Dans les supermarchés, j'ai pu le constater moi-même, on trouve le litre de lait entier à 0,95 ou 0,99 euro et le litre de demi-écrémé à 0,8 euro... et aussi, mais loin des yeux des consommateurs et au milieu des eaux minérales, des briques à 0,59 euro. Quelles sont les charges qui justifient de telles plus-values ? Quand les transformateurs cesseront-ils leurs pratiques opaques que personne n'ose dénoncer de peur de se faire déréférencer ?

La filière rassemble 95 000 producteurs -ils étaient 151 000 en 1988- 700 000 entreprises et coopératives, 200 000 emplois. Elle a réalisé un chiffre d'affaires de 23 milliards d'euros en 2007, pour un excédent commercial de 2,9 milliards. Les éleveurs jouent un rôle déterminant pour l'aménagement du territoire ; les zones d'herbages se transformeront vite en friches si nous n'y prenons garde. Le nombre de vaches laitières est passé de 7,16 millions en 1983 à 3,8 millions aujourd'hui, tandis que le nombre de têtes d'ovins tombait de 11 à 8 millions. Cette situation ne manque pas d'inquiéter pour notre environnement. Je me réjouis que la réforme de la PAC ait permis la revalorisation de la prime à l'herbe pour 2010, mais d'ici là ?

N'oublions pas non plus le rôle stratégique de la filière, en ce qu'elle contribue à la préservation de notre indépendance alimentaire. Qu'adviendrait-il si nous ne maîtrisions plus nos approvisionnements ? Comment garantir la qualité et la sécurité sanitaire de produits provenant d'autres pays qui n'ont pas nos exigences ? Pensons aussi aux objectifs du Grenelle de l'environnement.

Le lait est un produit volumineux et fragile qui ne peut être stocké longtemps. Le métier est difficile, qui laisse peu de temps libre pour la vie privée. Ceux qui l'abandonnent n'y reviennent jamais. Les investissements sont lourds, ce qui rend l'installation délicate, et ne sont rentabilisés qu'au terme de nombreuses années. Enfin, les producteurs ne connaissent le prix qui leur sera payé qu'un mois et demi après la livraison de leur lait. C'est dire que celui-ci, produit vivant, n'est pas un bien industriel comme un autre.

Ces dernières années, le prix du lait faisait l'objet d'une recommandation nationale trimestrielle du Centre national interprofessionnel de l'économie laitière (Cniel), non obligatoire cependant. C'est au sein des structures régionales du Cniel qu'étaient discutés les prix de base entre producteurs et transformateurs ; la filière laitière était souvent citée en exemple pour son organisation et son sens des responsabilités. Mais la direction générale de la consommation, de la concurrence et de la répression des fraudes (DGCCRF), a demandé en avril 2008 à l'interprofession laitière de cesser ses recommandations, assimilant l'accord interprofessionnel à une entente interdite par la réglementation communautaire -la filière de la viande bovine en avait déjà fait les frais. Le Cniel a obtempéré et le système a volé en éclats. Transformateurs et distributeurs ont cessé de jouer le jeu.

Votre prédécesseur n'est pas resté inactif.

M. Charles Revet.  - C'est vrai !

M. Gérard Bailly, auteur de la demande d'inscription.  - Deux médiateurs ont été nommés pour encourager la reprise des négociations ; et celles-ci ont abouti le 3 juin à un accord qui réévalue légèrement à la hausse le prix du lait pour les prochaines livraisons. S'il ne règle pas les problèmes sur le long terme, il permet à la filière de sortir de l'ornière dans l'urgence. Le futur projet de loi de modernisation de l'agriculture, attendu d'ici la fin de l'année, offrira de nouveaux outils pour améliorer la transparence et mieux organiser la filière. Pourriez-vous, monsieur le ministre, nous en dire un peu plus ?

Votre prédécesseur a obtenu, dans le cadre du bilan de santé de la PAC, deux nouveaux rendez-vous à mi-parcours sur le marché laitier, en 2010 et 2012. Et l'idée d'un maintien du système des quotas après 2013 n'est peut-être pas écartée, au vu de la conjoncture. Les instances européennes sauront peut-être vous écouter. La crise du lait a été mise, sur initiative française, à l'ordre du jour du conseil des ministres européens de l'agriculture du 25 mai dernier, et quelques mesures de soutien ont été annoncées ; mais la Commission a rejeté toute remise en cause de la hausse progressive des quotas d'ici 2013, puis de leur suppression. Pour Mme Fischer Boel, ce sont la surproduction mondiale et la baisse de la consommation qui expliquent avant tout la crise actuelle, ce qui ne manque pas d'interroger.

M. Charles Revet.  - En effet !

M. Gérard Bailly, auteur de la demande d'inscription.  - Pensez-vous que nos partenaires évolueront et que la décision de la Commission, prise dans un contexte aujourd'hui caduc, pourra être révisée ?

La commission des affaires économique, par l'intermédiaire du groupe d'études sur l'élevage que j'anime, a beaucoup travaillé sur le sujet. Elle a reçu les Jeunes agriculteurs ; M. Bédier, président de la Fédération du commerce et de la distribution ; les entreprises Entremont et Danone ; la Fédération nationale des producteurs de lait et le Cniel ; M. Luc Chatel, la semaine dernière. Nous poursuivrons nos auditions dans les semaines à venir.

Nous devrions encore recevoir la DGCCRF, l'Observatoire des prix et des marges, les médiateurs nommés par le Gouvernement et le président de l'Autorité de la concurrence.

Une baisse du prix à la consommation pénaliserait les producteurs ; il faut avant tout une répartition de la valeur ajoutée plus équilibrée et plus équitable tout au long de la filière. Est-il normal qu'un producteur qui a vendu son litre de lait 20 centimes le voit vendu un euro en grande surface ? Il faut plus de transparence dans la formation du prix final. L'Observatoire des prix et des marges, créé par la loi de modernisation de l'économie, doit y travailler.

Producteurs, transformateurs et distributeurs devront discuter ouvertement de la répartition des prix. Transformateurs et distributeurs devront communiquer leurs chiffres et assumer leurs marges. M. Bédier accepte de participer à l'Observatoire des marges, à condition de ne pas être « sur un strapontin ».

La réunion du 17 juin entre les acteurs n'a rien laissé présager de bon. Toutes les grandes enseignes de la distribution n'étaient pas présentes, et les positions paraissent irréconciliables. Pourquoi les grandes et moyennes surfaces ne réduiraient-elles pas leurs marges de quelques centimes, dans un souci d'apaisement, en cette période de crise ?

Au-delà des mesures conjoncturelles, les producteurs devront mieux s'organiser en amont, afin de renforcer leur pouvoir de négociation. Il faut une contractualisation équilibrée pour protéger les éleveurs contre la pression de l'aval de la filière. La mise en place de brigades de contrôle dans chaque département sera très utile aux producteurs qui hésitent à dénoncer les pratiques illégales de commercialisation. L'élaboration d'un cadre interprofessionnel, issu de l'accord du 3 juin, permettra la mise en place d'une contractualisation à partir de 2010.

Au niveau européen, il faudra rediscuter de la fin programmée des quotas laitiers. Les marchés agricoles, soumis aux aléas climatiques, sanitaires ou économiques, doivent être régulés par les pouvoirs publics. Des mécanismes de stockage et de dégagement, efficaces pour lisser les prix en cas de sur ou sous production, doivent être maintenus voire amplifiés -les États-Unis viennent d'ailleurs de décider d'un vaste programme d'abattage de vaches laitières. L'Europe doit également développer l'assurance récolte pour la filière, comme le permet le bilan de santé de la PAC.

Comment discuter publiquement de marges sans tomber dans l'entente et sans revenir au contrôle des prix ? M. Bédier, président de la Fédération des entreprises du commerce et de la distribution (FCD), a proposé d'instaurer un prix directeur entre producteurs et industriels. L'établissement d' « indices de prix » par le Cniel pour « éclairer les acteurs de la filière » est une bonne chose. A l'initiative du président Émorine, notre commission a saisi l'Autorité de la concurrence de la question ; ses conclusions sont attendues pour octobre.

Pourrait-on interdire la vente de lait en deçà de son coût de production, comme on interdit la revente à perte ? Les éleveurs ont vu leurs charges s'envoler sans pouvoir les répercuter, comme le font les autres maillons de la filière.

Nous devons trouver des solutions à cette crise, quitte à légiférer si nécessaire. Notre assemblée est concernée, ce débat le prouve. Je sais, monsieur le ministre, que vous aurez à coeur de travailler avec nous. Votre connaissance des problèmes européens, de l'Allemagne, des mécanismes de l'OMC sera un atout. Il vous faudra être convaincant pour favoriser l'organisation de filière et renforcer les interprofessions. Nous attendons également le contrôle des marges, comme Michel Barnier et Luc Chatel s'y sont engagés. Enfin, j'espère que vous saurez convaincre Mme Fischer Boel tout à l'heure : bon appétit ! (Sourires et applaudissements à droite)

M. Charles Revet.  - Très bien.

Mme Jacqueline Gourault.  - Je vous félicite à mon tour pour votre nomination, monsieur le ministre. Élu d'un département agricole, vous savez la place fondamentale de l'agriculture dans notre économie. Personne ici n'imagine la ruralité sans agriculteurs, sans exploitations familiales, à dimension humaine.

La crise en 2009 n'aurait pas été possible avant les réformes de la PAC de 2003 et 2006. Face à la flambée des cours des matières premières, aux sécheresses simultanées en Australie et Océanie, au retournement brutal des marchés, les mécanismes de régulation auraient permis de déclencher l'achat au prix d'intervention, de soutenir les exportations permettant les dégagements de marché, d'organiser le marché en recourant aux quotas. Or les réformes purement idéologiques de la PAC l'ont privée de ces leviers.

Résultat : une crise conjoncturelle conduit à une hécatombe économique et sociale. Dernièrement, lors des comices agricoles de La Chaussée-Saint-Victor, dans le Perche, j'ai vu les producteurs laitiers fiers de leur bétail, fêtant l'agriculture -car les comices agricoles sont une fête...

M. Charles Revet.  - Une très belle fête !

Mme Jacqueline Gourault.  - Derrière leur volonté de se battre pour sauver leur métier, on lisait toutefois dans leur regard le désespoir...

M. Charles Revet.  - C'est aussi vrai.

Mme Jacqueline Gourault.  - Il faut prendre des décisions rapidement pour éviter les drames humains.

Le système de quotas et de régulation avait permis à la filière laitière d'avoir les prix les plus stables, de renouveler mieux que toute autre ses actifs, tout en coûtant très peu au budget de l'Union. La suppression des quotas est une impasse. Sans contingentement de la production pour équilibrer les négociations, les producteurs sont désarmés face aux entreprises d'aval. C'est un phénomène en cascade.

Cette filière est à la merci d'un retournement des marchés. Aucun espoir n'est possible sans régulation au niveau du pays ou de chaque bassin de production. On blâme beaucoup la grande distribution et les industriels, mais les décideurs politiques nationaux et communautaires doivent eux aussi prendre leurs responsabilités et permettre aux producteurs de s'organiser pour que les négociations commerciales soient enfin rééquilibrées. J'espère, monsieur le ministre, que vous saurez apporter une solution réelle à la crise. (Applaudissements sur la plupart des bancs)

M. Gérard Le Cam.  - La crise laitière de 2009, pressentie depuis 2008, s'inscrit dans le paysage habituel des crises frappant les productions agricoles alimentaires. Chaque crise apporte son lot de colère, d'exaspération, de renoncement et de faillites chez les producteurs qui constituent pourtant la trame de notre ruralité. Chaque fois la concentration des exploitations s'en trouve renforcée, au seul bénéfice des transformateurs et de la grande distribution : le nombre de vaches laitières a baissé de 14,2 % au cours de la période 2001-2007 et plus de 28 000 exploitations ont disparu. Alors que la population a augmenté de 10 millions d'habitants depuis 1985, la collecte annuelle de lait a reculé de 25 à 23 milliards de litres.

Les causes des crises laitières sont multiples et bien identifiées : la répétition des crises affaiblit les producteurs ; le pouvoir d'achat des Français diminue ; la production de la filière du veau, grande consommatrice de poudre de lait, est passée de 405 000 tonnes en 1980 à 274 000 aujourd'hui ; les règles de la concurrence imposent la loi de la jungle et conduisent à des importations extracommunautaires ; la grande distribution se comporte comme un prédateur et réalise des marges abusives via ses centrales d'achat ; les transformateurs, sous la pression de la grande distribution, camouflent leurs marges et répercutent les baisses de prix sur les producteurs ; les aides européennes à la production de produits dérivés comme le beurre et la poudre de lait ont diminué ; l'Europe libérale, en accord avec l'OMC, supprime progressivement tous les outils de régulation, en particulier les quotas, et libéralise à outrance le marché laitier pour imposer le prix de référence mondial, qui ne vaut que pour 6 % des échanges.

Lors de son audition devant la commission des affaires économiques la semaine dernière, M. Luc Chatel a tenté de justifier la loi de modernisation de l'économie et de minimiser son impact négatif sur la filière laitière. Pourtant cette loi, bien loin d'avoir amélioré les relations commerciales, les a dégradées en laissant les producteurs et les transformateurs désarmés face aux diktats des centrales d'achat. Cela n'a rien de surprenant, quand on sait que de nombreuses dispositions de cette loi ont été concoctées par le Président Sarkozy en étroite collaboration avec M. Michel-Édouard Leclerc...

Il y a un an votre Gouvernement, cédant une nouvelle fois aux sirènes libérales de Bruxelles, a retiré au Cniel le droit de formuler des recommandations trimestrielles sur le prix du lait. Les mesures que vous proposez aujourd'hui sont vouées à demeurer inefficaces. Vous voulez autoriser l'interprofession à établir des indices de prix ; mais les centres d'économie rurale disposent déjà des statistiques relatives au prix de revient. Vous envisagez de multiplier les contrôles par la DGCCRF après avoir affaibli cet organisme dans le cadre de la RGPP. Vous souhaitez enfin réformer l'Observatoire des marges et des prix ; mais ni les constats, ni les contrôles ne suffisent à garantir aux producteurs un prix rémunérateur. Pendant des années, les producteurs se sont laissés endormir par les outils de régulation classiques, qui n'empêchaient pas les crises ni la concentration mais rendaient un peu moins douloureuse la situation des exclus. La crise actuelle appelle autre chose que des mesurettes ou de l'enfumage.

Les statistiques du centre d'économie rurale des Côtes-d'Armor permettent de mesurer l'ampleur de la crise. Ces dernières années, une exploitation laitière dégageait en moyenne entre 15 000 et 16 000 euros de revenu par an et par unité de travail humain. Le revenu net mensuel d'un exploitant travaillant seul et produisant 200 000 litres par an s'élevait donc à 1 250 euros. Suite à la baisse de 4 centimes du prix du litre à partir du quatrième trimestre 2008, ce revenu est tombé à 666 euros. Avec les prétentions des industriels, ce revenu deviendrait négatif !

Les communistes proposent depuis longtemps d'encadrer les marges abusives, de mettre en place un prix minimum garanti, de recourir au coefficient multiplicateur afin de lier le prix à la production au prix à la consommation, de partager équitablement les marges afin de permettre aux producteurs de vivre des fruits de leur travail sans pénaliser les consommateurs. Chaque fois nos propositions sont caricaturées : on nous accuse de vouloir « soviétiser » l'économie... Pourtant la FNSEA demande aujourd'hui « la mise en oeuvre d'un dispositif particulier d'encadrement des marges ou de coefficients multiplicateurs pour les produits alimentaires de base, qu'il s'agisse de produits agricoles bruts ou de première transformation ». M. Lemétayer serait-il devenu communiste ? (Mmes Annie David et Jacqueline Gourault s'amusent) Non, mais le bon sens et la pression des campagnes le conduisent à infléchir les règles intangibles du libéralisme. La contractualisation permet de fixer des prix planchers dans le cadre actuel de la LME, mais cela ne suffira pas. Il faut réviser cette loi en faveur des producteurs, garantir la survie des transformateurs et encadrer la grande distribution qui assure plus de 75 % de la mise sur le marché. Espérons que ne se reproduise pas la mésaventure du coefficient multiplicateur pour les fruits et légumes voté par le Sénat mais rendu inapplicable par le Gouvernement ! Ne laissez pas la grande distribution répercuter ailleurs la diminution de ses marges, comme elle l'a fait tant de fois !

Avant de légiférer, il est urgent de réunir une table ronde au second semestre 2009. La situation difficile d'Entremont-Alliance dans l'ouest laisse présager les pires difficultés si le Gouvernement n'agit pas en accordant prioritairement son aide aux producteurs dont le lait est payé en fonction des débouchés comme le beurre et la poudre, et en mettant en place des instruments de péréquation nationale et de gestion collective des volumes excédentaires. Nous craignons de voir demain les laiteries abandonner les producteurs trop petits ou trop éloignés, et la grande distribution racheter les outils de transformation, ce qui accentuerait encore la dépendance des producteurs. Monsieur le ministre, votre responsabilité est immense. Il vous incombe d'assurer la survie d'une agriculture française et européenne capable de résister à la mondialisation des échanges. (Applaudissements à gauche)

M. Jean Bizet.  - (Applaudissements à droite) Comme vous tous, j'entends chaque jour dans nos campagnes la colère et les attentes des éleveurs. Mais il faut raisonner à l'échelle du continent, car cette crise s'étend à l'Europe entière. C'est la mission que m'a confiée notre commission des affaires européennes. Au cours des débats actuels et surtout des négociations à venir sur la PAC, nous devons avoir une stratégie d'alliance et écouter les autres. Votre nomination à ce poste, monsieur le ministre, est la preuve parfaite des liens entre agriculture et questions européennes.

Le tour d'horizon que j'ai accompli par internet m'a permis de comprendre nos similitudes et nos différences ; mon rapport doit être distribué aujourd'hui. Tous les États européens acceptent les nouvelles règles du marché. Même si la révolution du secteur date d'une dizaine d'années à peine, le régime des prix indicatifs est oublié : il n'y a plus que le marché et son produit, inconnu du consommateur mais essentiel pour l'industriel : la poudre de lait, dont le prix sert en quelque sorte de prix directeur.

Tous les États sont très attachés à la liberté contractuelle entre producteurs et acheteurs. Dans plusieurs pays, ces derniers sont des coopératives codétenues par les éleveurs ; le poids de l'industrie de transformation dans les achats de lait est une spécificité française.

Tous les pays ont connu des variations de prix considérables. L'année 2007-2008 fut marquée par une flambée des prix, l'année suivante par une baisse tout aussi brutale. La situation des nouveaux États-membres est très préoccupante : ils avaient moins profité de la hausse et ont davantage souffert de la baisse, ce qui les rend amers. Votre expérience européenne, monsieur le ministre, sera précieuse dans les négociations à venir.

En France, il faut régler le problème des revenus des éleveurs et celui des variations de prix. Il ne sert à rien de plaider en faveur du maintien des quotas laitiers : nos partenaires n'ont pas changé d'avis à ce sujet. Tous les analystes considèrent que la crise actuelle est liée à l'insuffisance de la demande et non à l'excès de l'offre : l'augmentation des quotas ne change donc rien. De nombreux pays n'atteignent pas leur quota : la France produit environ un milliard de litres de moins qu'elle n'en a le droit. La production s'est adaptée : on annonce déjà que la collecte de lait à l'automne sera l'une des plus faibles des dix dernières années.

Ensuite, plusieurs pays ont intérêt à l'augmentation des quotas, soit pour valoriser un potentiel qui leur semble entravé par ce carcan réglementaire, soit pour éviter une baisse brutale des prix avant l'abandon des quotas.

Nous avions dans ce domaine un allié de poids, l'Allemagne, mais c'était plutôt un allié de circonstance. Les Allemands acceptent l'abandon des quotas, décidé en 2005 et programmé en 2008 : il n'est pas dans leurs habitudes de remettre en cause les décisions collectives du Conseil européen. La France me paraît plutôt isolée. Même notre principal allié dans les négociations sur la PAC, l'Irlande, ne nous suit pas sur ce point.

Dans la stratégie d'alliances que j'appelle de mes voeux, il faut choisir d'autres combats. Face à la volatilité des prix, je crois nécessaire de maintenir des instruments publics de régulation. Nous devrions pouvoir trouver une majorité pour les approuver. A Bruxelles, on se méfie des interventions de l'État car on se souvient des « montagnes de beurre »... Mais l'intervention doit être conçue, non pas comme un moyen de réduire des excédents, mais comme un moyen de réduire les variations de prix. Le stockage régulateur est un outil parfaitement adapté et facile d'utilisation. D'ailleurs, le bilan de santé de la PAC n'a nullement remis en cause les instruments de régulation classiques comme les restitutions.

L'intervention n'a pas eu la pertinence voulue parce que la signature politique reste sous-dimensionnée.

Les DPU, indispensables pour assurer des revenus aux éleveurs en temps de crise sont-ils indispensables lorsque les prix flambent ? Ils pourraient être modifiés.

La PAC doit être mieux évaluée. On évalue toutes les politiques européennes, sauf elle ! L'élevage ne peut être évalué avec les seuls critères de prix et de coût. Il y a d'autres critères à prendre en compte, comme celui de la biodiversité.

Ces politiques publiques peuvent concerner tous les États-membres, mais cela ne doit pas nous exonérer d'une réflexion sur notre propre organisation. La contractualisation est une piste, certes semée d'embuches que j'évoque dans mon rapport, mais utile et incontournable. Les éleveurs ont besoin d'une visibilité. Celle-ci était assurée par les quotas, décidés par la puissance publique mais vécus comme une sorte de contrat moral. Avec la fin annoncée des quotas, il faut passer de cette sorte de contrat moral public à des contrats privés professionnels, régionaux, qui associeraient la distribution.

J'apporte dans mon rapport quelques précisions utiles pour éviter d'être trop manichéen, en faisant la distinction, par exemple, entre lait et produits laitiers, mais il y a aujourd'hui trop de non-dits qui laissent une détestable impression. Quelques correctifs à la LME seraient utiles. J'évoque aussi quelques pistes nationales : quels sont les moyens du ministère acceptables sur le plan communautaire pour accompagner la restructuration des élevages, pour développer des formules de commercialisation nouvelles, pour favoriser le concept de proximité ?

Si la crise est générale, les réactions sont diverses. Pour beaucoup de pays, elle n'est qu'un mauvais moment en attendant le rebond, un moyen de faire émerger les plus compétitifs. Dans d'autres pays, la colère est vive. Mais il y a une unité : la profession ne peut vivre dans un chaos permanent. Les éleveurs ont besoin de visibilité et d'être mis en confiance. Chacun doit jouer son rôle. En France et en Europe, le Gouvernement doit assurer le sien. Nous avons confiance en vous, monsieur le ministre. Nous attendons les résultats. (Applaudissements sur les bancs UMP)

M. François Fortassin.  - Je vous souhaite la bienvenue, monsieur le ministre : vous arrivez avec la flatteuse réputation d'une personne rompue aux négociations européennes ; ce sera utile dans vos nouvelles fonctions.

La dramatique crise laitière met nos campagnes en ébullition. Notre rôle de parlementaires est de traduire cette colère. La situation est inacceptable, scandaleuse, amorale, suicidaire. Plus de 100 000 exploitations sont touchées, et des centaines de milliers d'emplois, directs et indirects. Les producteurs ne peuvent être en permanence la variable d'ajustement.

C'est amoral car les quatre cinquièmes des plus grosses fortunes françaises se sont faites dans la grande distribution, et pas en plusieurs générations comme pour les dynasties industrielles du XIXe siècle, en quelques années.

Il est scandaleux et amoral qu'on fasse payer aux producteurs des marchandises qu'ils doivent livrer mais qui ne leur seront pas réglées. On leur achète 500 000 pots de yaourt, ils doivent en livrer 550 000 ! On a parlé de racket, je parlerai de gangstérisme légal !

Il faut créer une vraie solidarité dans la filière producteurs-distribution-consommateurs. Le soleil se lève pour tout le monde : chacun doit pouvoir vivre décemment de son travail. Nous attendons, monsieur le ministre, que vous agissiez.

L'élevage laitier a des contraintes importantes : deux traites par jour, des investissements lourds, une douzaine d'années pour constituer un troupeau. Quand il sera abandonné quelque part, on ne reviendra pas en arrière. Il est de votre responsabilité, monsieur le ministre, de faire savoir que, si l'on ne prend pas tout de suite des mesures draconiennes, on peut avoir une pénurie de lait d'ici quatre ou cinq ans.

Le problème est européen mais il est aussi français. La LME est bafouée, les producteurs se sentent abandonnés en rase campagne et, pour les autres, c'est « sauve qui peut, c'est pas ma faute, c'est la faute à l'Europe ! » J'attends que la politique reprenne ses droits. Le Président de la République a eu raison de dire lundi que l'économie devait être au service de l'homme et pas l'inverse. On a là une occasion de mettre en pratique cette déclaration que chacun ne peut qu'approuver.

Je vous demande, monsieur le ministre, de tout faire pour créer les conditions de cette solidarité en imposant le double étiquetage sur les produits du lait. On peut exiger la transparence et demander l'aide des consommateurs pour que cessent certaines pratiques. (Applaudissements sur tous les bancs)

M. Yannick Botrel.  - Depuis plusieurs semaines désormais, l'économie agricole fait débat dans notre pays. La situation des producteurs de lait nous interpelle, avec l'effondrement du prix du lait qui leur est payé. Le constat des causes souffre assez peu de controverses : elles tiennent à la volonté affichée et mise en application de soumettre cette activité à la loi sans limite du marché libéral. On fait ainsi abstraction d'une réalité : la production laitière est liée à des cycles de production longs comme les investissements qu'elle nécessite ; elle ne peut s'adapter instantanément à une conjoncture économique variable ou volatile, d'autant moins qu'elle ne maîtrise que partiellement ses coûts de production et que le coût des mises aux normes ou le prix des matières premières et de l'énergie sont incompressibles.

Or la production laitière est un facteur déterminant de la vie économique et de l'activité de bien des régions, et donc de l'aménagement des territoires. Ce serait une raison supplémentaire pour qu'elle soit organisée et régulée ; au lieu de quoi, les décisions arrêtées depuis plusieurs années en Europe vont en sens opposé : réduction des outils de régulation, abandon programmé des quotas.

Il est absurde de se référer au marché mondial pour la détermination des prix, puisqu'il ne concerne que 5 % de la production globale des produits laitiers. C'est pourtant l'argument utilisé pour tirer les prix vers le bas. Va-t-on attendre du marché qu'il se corrige de lui-même, par sa propre vertu ? Sans volonté de remettre l'action publique au coeur du débat, il est douteux qu'une solution durable puisse émerger. Il faut donc une implication forte de la France, pour que l'Europe retrouve sa fonction protectrice. Tel est le premier objectif : donner un coup d'arrêt aux orientations appliquées par la commission et Mme Fischer Boel. Les quotas laitiers ont depuis de nombreuses années démontré leur utilité ; leur démantèlement doit être stoppé. Il faut même leur rendre toute leur portée à court terme en tant qu'instrument indispensable de la maîtrise de la production et à moyen terme en tant que condition de la survie financière d'une majorité des producteurs.

La chute des prix est disproportionnée par rapport à l'ampleur de la surproduction.

L'Europe doit donc réduire les volumes pour mettre fin à la surproduction. En France, la loi de modernisation économique ajoute une incroyable asymétrie entre production et distribution, bien sûr au détriment de la première. Même les parlementaires de la majorité la dénoncent parfois.

Les études réalisées en Bretagne par les centres d'économie rurale montrent que les exploitations équilibrent en moyenne leurs comptes à partir de 305 euros pour 1 000 litres de lait. Nous en sommes parfois très loin. Ainsi, les producteurs livrant à l'entreprise Entremont-Alliance -la principale du secteur, avec 2,3 milliards de litres collectés- subissent une situation intenable en percevant 205 euros pour 1 000 litres.

La crise va donc éliminer les producteurs les plus fragiles, souvent ceux qui viennent d'investir, autrement dit les plus jeunes. Sachant que parmi les 4 300 producteurs des Côtes-d'Armor, un sur deux a plus de 50 ans, on mesure le défi lancé à l'avenir, puisque ce département occupe la troisième place pour la production laitière.

Il est donc urgent que le Gouvernement agisse enfin ! A défaut, de nombreux producteurs seront acculés à la cessation d'activité, ce dont toute l'économie agricole pâtira. Il est vital d'intervenir aujourd'hui et de réfléchir à l'avenir en envisageant la globalité de la filière. Les paroles et actes du Gouvernement sont attendus avec impatience ! (Applaudissements à gauche)

M. Jacques Muller.  - La crise profonde qui secoue nos campagnes se manifeste légitimement jusqu'au coeur des villes. Elle résulte de la conjonction de deux phénomènes.

Le premier est l'augmentation des quotas laitiers, qui préfigure leur disparition, programmée par la Commission européenne. Cette dérégulation provient de l'approche néolibérale chère à Mme Fischer-Boell. Or, la faible élasticité de la demande par rapport au prix fait plonger ceux-ci dès que la production excède la demande, sauf à stocker ou transformer l'excédent, ce qui a un coût, donc des limites. Telle est la raison qui avait conduit à instaurer les quotas laitiers en 1983. La Commission européenne joue avec le feu en organisant leur suppression pour des raisons idéologiques et en tablant sur la demande mondiale pour absorber les excédents de lait en poudre et de beurre. Ce pari est hasardeux, car la demande mondiale s'est effondrée en 2008. Il est en outre détestable, car il contredit les principes essentiels de souveraineté alimentaire. Quand donc les pays industrialisés cesseront-ils de détruire l'agriculture vivrière des pays en développement, via le déversement de leurs excédents agricoles ?

Le deuxième phénomène tient au monopole du syndicat majoritaire pour représenter le monde agricole dans les instances interprofessionnelles, alors qu'il ne fédère que la moitié des producteurs laitiers. Les compromis qu'il négocie avec les firmes agroalimentaires font le jeu des grands groupes en répercutant la crise du marché mondial sur les prix versés aux producteurs, asphyxiant ainsi les petites et moyennes exploitations. Transférant sur le monde agricole la crise engendrée par la gestion de 90 000 tonnes de lait en poudre et 220 000 tonnes de beurre, ils traduisent les velléités inavouables de la Commission européenne, qui veut « refaire du Mansholt » en liquidant les exploitations « improductives ».

Cette crise pose donc la question fondamentale du modèle laitier européen : voulons-nous des usines à lait avec des vaches gavées au maïs et aux tourteaux de soja importé, produisant de façon intensive pour le stockage et l'exportation, ou bien des exploitations agricoles plus rustiques valorisant les herbages et produisant pour un marché intérieur grâce à des circuits courts de commercialisation ? Loin de s'opposer, les dimensions économique, sociale et environnementale se conjuguent encore une fois, à condition de rompre avec les fantasmes néolibéraux hostiles aux outils de régulation.

Au nom des Verts, je demande le rétablissement des quotas laitiers, malgré notre préférence pour le principe des quantums, car ils ont organisé l'évolution du secteur laitier en prévenant les crises de surproduction. Élue en Corrèze, ma collègue Bernadette Bourzai se joint à moi pour proposer des quotas régionaux, seul moyen de répartir harmonieusement la production sur le territoire en évitant la concurrence abusive des régions dont l'herbe est la seule ressource agricole. Valoriser celle-ci pour nos élevages comporte un enjeu environnemental qui n'aura échappé à personne à l'ère du Grenelle de l'environnement, mais l'aménagement du territoire est aussi en jeu.

La crise laitière nous offre l'opportunité de revoir entièrement la politique agricole commune pour mettre fin à sa dérive néolibérale et promouvoir un modèle agricole en phase avec les attentes que nos concitoyens viennent de soutenir clairement : un modèle respectueux de l'environnement, moins dépendant des importations et implicitement plus solidaire des pays du sud, en étant tourné vers une demande intérieure de produits de qualité. (Applaudissements à gauche)

M. Jean-Pierre Godefroy.  - La crise de la production laitière n'occupe plus l'espace médiatique avec la même intensité, mais la situation catastrophique des producteurs perdure, surtout parmi les plus jeunes.

Au mieux, les quelques mesures annoncées par M. Barnier ont apporté un répit de quelques mois. D'ailleurs, 1 500 producteurs indépendants réunis avant-hier à Saint-Hilaire-du-Harcouët, dans la Manche, ont voté une grève européenne du lait. Cette option de désespoir a des conséquences dramatiques.

Tout comme M. Bizet -dont je salue la compétence- je suis élu dans la Manche, deuxième département producteur de lait en volume et premier par le nombre d'exploitations. A l'occasion d'une table ronde organisée le 11 juin à Caen par le préfet, j'ai certes constaté combien la situation pouvait varier entre départements, selon que la production de lait est principale ou complémentaire, mais produire 300 000 litres de lait ne permet jamais de vivre avec les prix pratiqués depuis le début de l'année.

Les producteurs de mon département sont formels : l'accord signé fixant à 280 euros le prix de 1 000 litres est très insuffisant, notamment pour les jeunes producteurs, qui ne peuvent couvrir les investissements exigés par les normes, notamment environnementales. Les représentants des grandes et moyennes surfaces de la région se sont engagés pendant la table ronde à ne pas renégocier à la baisse leurs prix d'achat jusqu'au 31 décembre 2009, mais cet engagement doit être validé au plan national. En tout état de cause, il est très insuffisant.

L'éventuel report d'un an des annuités d'emprunts bancaires liés à l'investissement et le dégrèvement de charges sociales ne sont que des mesures palliatives, car le fond du problème vient de la déréglementation européenne. J'ai entendu M. Bizet évoquer l'augmentation des quotas, avant leur suppression en 2015, ce qui déstabilise la rémunération des producteurs.

La crise est aussi grave en France parce que la loi de modernisation de l'économie, censée permettre au marché de s'autoréguler, est fatale pour les producteurs et pour les consommateurs. Nul ne peut croire que la mise en place d'un Observatoire des prix et des marges suffira. Le prix du lait payé par le consommateur a augmenté de 17 % entre l'été 2007 et 2008, et n'a baissé que de 2 % depuis !

Aujourd'hui, la situation des producteurs est intenable. Leur avenir et celui de leurs familles est en jeu. Nous attendons des réponses à leur détresse, notamment par une révision de la loi de modernisation de l'économie, dont nous avions prédit les dérives qu'elle provoquerait. La politique européenne ne peut rester figée, car un prix de vente doit être garanti aux producteurs, pour des volumes réguliers.

Je m'exprime en tant que membre de la commission des affaires sociales, car j'ai constaté à Caen la détresse des producteurs ! (Applaudissements à gauche.

M. Adrien Gouteyron.  - Je saisis ce débat pour rappeler la place prépondérante de la production laitière pour l'économie agricole de la Haute-Loire, puisque cette activité occupe 2 400 producteurs, soit environ les deux tiers des exploitations.

Conclu après des manifestations, l'accord du 4 juin a été accueilli avec une certaine résignation et le sentiment aigu que le problème de fond demeurait.

Le 23 juin, l'interprofession de l'Auvergne et du Limousin s'est réunie ; de vives tensions sont apparues entre producteurs et transformateurs.

Ils n'ont pas trouvé d'accord. La discussion reste ouverte ce qui prouve que le malaise persiste. Je veux rendre hommage à votre prédécesseur, monsieur le ministre, qui a su, dans l'urgence, réunir tous les protagonistes et proposer des mesures susceptibles d'alléger les charges de certains producteurs.

En regardant la situation dans mon département, je crains que les exploitations frappées ne soient, d'un côté, les plus performantes qui ont beaucoup investi et, de l'autre, les plus petites dont le volume de production ne permet pas de faire face aux difficultés conjoncturelles actuelles. La situation est donc très grave et nous ne pouvons laisser faire, mais je sais que telle n'est pas votre intention.

M. Luc Chatel, à l'époque secrétaire d'État chargé de l'industrie et de la consommation, a été auditionné par la commission des affaires économiques : il a rappelé que l'ancien système de régulation du prix du lait était insuffisant, qu'il ne respectait pas les règles de la concurrence et qu'il n'était pas efficace. Il a détaillé les mesures prises avec, notamment, la création d'une brigade de contrôle et une grande enquête sur les prix laitiers pour accélérer les travaux de l'Observatoire des prix et des marges. Je reste dubitatif sur ces mesures, même s'il est vrai que nous avons besoin de plus de clarté, notamment sur la répartition de la valeur ajoutée qui, selon M. Chatel, est déséquilibrée. Il ne saurait d'ailleurs en être autrement avec cinq grandes centrales face aux centaines de transformateurs.

Un mot sur l'importance des marges arrière (M. Charles Revet s'exclame), avec un seul exemple, mais ô combien parlant : une petite coopérative, qui n'est pas dans mon département, réalise 20 millions de chiffre d'affaires. Or, ses marges arrière s'élèvent à 2 millions ! Ce n'est ni normal, ni supportable !

M. Charles Revet.  - C'est du racket !

M. Adrien Gouteyron.  - J'imagine que les situations ne sont pas toutes les mêmes...

M. Roland du Luart.  - N'en soyez pas si certain !

M. Adrien Gouteyron.  - ...mais le problème est réel, avec son cortège de conséquences fâcheuses sur le processus économique. Or, nous avons surtout besoin de lisibilité dans ce domaine.

J'en viens à la situation d'une entreprise de mon département, Via Lacta au Puy-en-Velay, qui emploie 180 salariés et regroupe 150 producteurs. Elle est en grande difficulté et il est question qu'elle soit reprise. D'après mes sources, l'affaire est loin d'être bouclée et je souhaiterais, monsieur le ministre, que vous vous intéressiez à ce dossier, même si j'imagine que vous en avez énormément à traiter. Si ce projet de reprise n'aboutissait pas, ce serait une véritable catastrophe pour le bassin du Puy-en-Velay.

Un dernier mot sur la surproduction dont on nous rebat les oreilles. M. Bizet me rappelait tout à l'heure que son rapport démontre que la France n'est pas en surproduction.

M. Charles Revet.  - Absolument !

M. Adrien Gouteyron.  - Elle n'a pas réalisé la totalité de son quota cette année. Le problème est donc bien celui de la demande, qui est aggravé par la crise.

Nous attendons beaucoup de vous, monsieur le ministre. Au niveau européen, vous avez pris toute votre place et vous avez la capacité d'agir : il faut que l'Europe joue pleinement son rôle de régulation. Ce sera une de vos tâches et je suis persuadé que vous aurez à coeur de la mener à bien. (Applaudissements à droite et au centre)

M. Charles Revet.  - Très bien !

M. Bruno Le Maire, ministre de l'alimentation, de l'agriculture et de la pêche.  - Tout d'abord, trois remarques, qui iront du général au particulier.

Pour répondre au sénateur Muller, je ne souhaite pas encourager une production laitière intensive dans des fermes où seraient entassées des milliers de bêtes produisant un lait de qualité médiocre qui ne répondrait pas à nos exigences en matière de sécurité sanitaire. Je veux promouvoir des produits de qualité, respectant les normes sanitaires et l'identité de nos territoires. Nous n'allons pas laisser disparaître les établissements laitiers de nos régions sous prétexte qu'ils seraient trop petits ou de trop grande qualité.

Deuxième remarque : dans le prolongement des mesures annoncées par M. Barnier et de l'accord interprofessionnel qui a été signé, nous allons dans un premier temps résorber la crise actuelle à l'échelle nationale. Je rencontrerai demain des producteurs laitiers dans ma région et nous examinerons les mesures qui pourront être prises. En outre, nous devrons offrir aux producteurs laitiers une perspective et une prévisibilité sur le long terme. Nulle activité commerciale ne pourrait survivre avec des prix variant de 30 % à chaque saison !

M. Charles Revet.  - C'est vrai !

M. Bruno Le Maire, ministre.  - Nous devons donc apporter de la stabilité aux prix, et cela passe par des décisions nationales, comme la contractualisation, et communautaires.

Enfin, pour répondre à M. Gouteyron, je vais me pencher sur le cas de l'entreprise Via Lacta. Il est vrai que beaucoup de dossiers s'accumulent sur mon bureau, mais vous connaissez mon goût pour le travail. Je vais donc m'intéresser à cette entreprise parce qu'elle concerne le secteur laitier, parce que vous me l'avez demandé et, enfin, parce qu'elle est située dans la ville de mon ami Laurent Wauquiez.

J'en viens à la situation du secteur laitier dont vous avez tous dressé un tableau précis : la détresse des producteurs laitiers est réelle en France, comme dans les autres pays européens. La réponse qui leur sera apportée viendra, en premier lieu, de l'Europe. Le bilan de santé de la PAC a permis de réintroduire un vrai pilotage économique et politique de la production et des marchés laitiers. Nous avons deux rendez-vous politiques en 2010 et en 2012 pour décider des options à retenir, notamment sur l'avenir des quotas laitiers. Je partage l'analyse de M. Bizet : la question n'est pas celle de l'offre mais de la demande. Il ne s'agit pas de maintenir ou non les quotas laitiers, mais de savoir si nous les remplissons. Or, tel n'est pas le cas. Il serait possible de plaider matin, midi et soir auprès de la Commission et du Conseil pour le rétablissement des quotas, mais je n'aime pas livrer des batailles inutiles ou perdues d'avance. A supposer que j'obtienne le rétablissement des quotas, nous érigerions une sorte de ligne Maginot qui ne permettrait pas de répondre aux attentes des producteurs de lait. Cela ne veut pourtant pas dire qu'il faut instaurer une libre concurrence dans ce secteur. Nous avons évidemment besoin d'une régulation, car la production laitière n'est pas comparable aux autres puisque le marché n'est absolument pas stable. Nous devrons donc définir les types de régulations qui seront efficaces pour garantir à long terme une stabilité des cours du lait en France et en Europe. Ne nous focalisons donc pas sur cette question des quotas, débat plus théologique que pratique.

Pour mettre en place cette régulation, nous devons savoir quels sont les partenaires européens sur lesquels nous pouvons compter. C'est pourquoi je me rendrai très vite en Allemagne pour mener une stratégie d'alliance.

L'accord que nous avons déjà conclu en Europe a permis de limiter les effets de la crise. Les aides au stockage privé de beurre ont été mises en place dès le 1er janvier. Les restitutions pour les exportations ont été réintroduites dès la fin janvier pour une large gamme de produits laitiers. Enfin, à partir du 1er mars, des achats publics sont intervenus, d'abord à prix fixe puis par adjudication à des prix très proches des prix d'intervention. Ces achats ont permis de stabiliser les cours du beurre et de la poudre de lait qui se situent désormais quasiment aux prix d'intervention.

Des incertitudes et des insatisfactions persistent. Lors du dernier Conseil européen, nous avons demandé, avec l'Allemagne, une mobilisation plus intense des outils de régulation des marchés. C'est ce qui a été fait pour les restitutions à l'exportation et les mesures de stockage.

J'essaierai d'aller plus loin dans ces mesures.

L'accord sur le bilan de la PAC permet à chaque État-membre d'orienter une partie des aides en fonction de choix nationaux. Nous en avons profité : les mesures décidées le 23 février conduisent à orienter en 2010 près de 1,4 milliard en faveur de l'élevage à l'herbe ; 45 millions seront consacrés à la production laitière de montagne à travers une aide couplée au litre de lait de l'ordre de 20 euros les 1 000 litres.

Pour nous, l'objectif des négociations est simple : obtenir la mise en place d'une véritable régulation de la production, sur la base d'alliances solides avec nos partenaires européens car rien n'est pire que de s'arc-bouter sur une position sans les alliances nécessaires, car vous risquez alors d'être contourné et de revenir en France avec un accord qui n'est pas bon pour la France. C'est bien ce que je m'efforcerai d'éviter.

Au niveau national, ensuite, j'ai déjà signalé que M. Barnier avait gelé la première hausse de 1 % des quotas. Une mission de médiation a été mise en place avec le secrétariat d'État à l'industrie et à la consommation. Nous avons proposé un nouveau cadre de régulation : l'interprofession pourra conduire de nouvelles relations contractuelles durables précisant les prix, les engagements sur les volumes, le calendrier des livraisons, les modalités de règlement, de renégociation ou de résiliation des contrats. La question de la contractualisation est majeure.

M. Charles Revet.  - Très bien !

M. Bruno Le Maire, ministre.  - Aucun secteur ne peut progresser sans connaître les modalités de fixation des prix, les délais de livraison et les délais de paiement. Il faut définir des règles et les faire appliquer.

M. Roland du Luart.  - Pourvu que vous y arriviez !

M. Jean Bizet.  - Très bien !

M. Bruno Le Maire, ministre.  - Non, monsieur Le Cam, la contractualisation n'est pas un écran de fumée. C'est la solution ; bien entendu, il faut vérifier qu'elle est appliquée par tous les signataires, mais cette voie paraît des plus prometteuses. Déjà, grâce à elle, les acteurs de l'interprofession ont pu discuter entre eux et aboutir à un accord. Je le sais, le prix de 280 euros pour 1 000 litres est un prix moyen, mais nous aurions tort d'affaiblir l'accord ou de le remettre en cause, même s'il n'est pas parfait.

Enfin, des aides directes ont été débloquées ; le Premier ministre a notamment annoncé que 70 % des aides directes communautaires pour la campagne 2009 seraient versées par anticipation dès le 16 octobre.

Enfin, il a été décidé de lancer une enquête assurant la transparence totale sur les prix et sur les marges ; les résultats en seront communiqués à l'Observatoire des prix et des marges. Je ne reprendrai pas les propos de M. Fortassin pour ne pas abréger ma carrière ministérielle (sourires), mais la transparence totale constitue une exigence républicaine. (Approbations à droite)

M. Jean Bizet.  - Merci !

M. Bruno Le Maire, ministre.  - Pour l'instant, on ne sait pas qui paie quoi, qui gagne quoi et qui empoche la plus-value. (Approbations sur les mêmes bancs) Ce n'est acceptable ni pour les producteurs de lait, ni pour l'ensemble des Français. Vous pouvez compter sur mon travail et ma totale détermination. (Applaudissements à droite et au centre)

La séance est suspendue à midi cinq.

présidence de M. Gérard Larcher

La séance reprend à 15 heures.