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Vous pouvez également consulter le compte rendu intégral de cette séance.


Table des matières



Saisine du Conseil constitutionnel (Accès au crédit des PME)

Dépôt de rapports

Propriété littéraire et artistique sur internet (Conclusions de la CMP)

Discussion générale

Intervention sur l'ensemble

Commissions (Candidatures)

Formation professionnelle (Procédure accélérée)

Rappel au règlement

Discussion générale

Commissions (Nominations)

Formation Professionnelle (Procédure accélérée - Suite)

Question préalable

Renvoi en commission

Discussion des articles

Article premier

Article additionnel

Article 2

Article 2 bis

Article additionnel

Article 3




SÉANCE

du lundi 21 septembre 2009

4e séance de la seconde session extraordinaire 2008-2009

présidence de M. Roger Romani,vice-président

Secrétaires : M. François Fortassin, Mme Anne-Marie Payet.

La séance est ouverte à 14 h 30.

Le procès-verbal de la précédente séance, constitué par le compte rendu analytique, est adopté sous les réserves d'usage.

Saisine du Conseil constitutionnel (Accès au crédit des PME)

M. le président.  - M. le président du Sénat a reçu de M. le président du Conseil constitutionnel une lettre par laquelle il informe le Sénat que le Conseil constitutionnel a été saisi, en application de l'article 61, alinéa 2, de la Constitution, le 18 septembre 2009, par plus de 60 députés, d'une demande d'examen de la conformité à la Constitution de la loi tendant à favoriser l'accès au crédit des petites et moyennes entreprises et améliorer le fonctionnement des marchés financiers.

Acte est donné de cette communication.

Dépôt de rapports

M. le président.  - M. le Premier ministre a transmis au Sénat, les rapports suivants :

- d'une part, en application de l'article 67 de la loi n°2004-1343 du 9 décembre 2004 de simplification du droit, le rapport sur la mise en application de la loi n°2008-493 du 26 mai 2008 ratifiant l'ordonnance n°2005-883 du 2 août 2005 relative à la mise en place au sein des institutions de la défense d'un dispositif d'accompagnement à l'insertion sociale et professionnelle des jeunes en difficulté et l'ordonnance n°2007-465 du 29 mars 2007 relative au personnel militaire, modifiant et complétant la partie législative du code de la défense et le code civil, et portant diverses dispositions relative à la défense ;

- d'autre part, le rapport 2008 sur l'administration et la gestion du régime de retraite additionnelle de la fonction publique et celui sur la mise en oeuvre de la politique d'investissement socialement responsable, établis en application de l'article 22 du décret n°2004-569 du 18 juin 2004 relatif à la retraite additionnelle de la fonction publique ;

- le rapport sur l'évolution des frais d'assiette, de recouvrement et de trésorerie de la redevance audiovisuelle depuis 2004, établi en application de l'article 198 de la loi n°2008-1425 du 27 décembre 2008 de finances pour 2009.

Acte est donné du dépôt de ces quatre rapports.

Le premier rapport sera transmis à la commission des affaires étrangères, les deux suivants seront transmis à la commission des affaires sociales et le dernier sera transmis à la commission des finances.

Propriété littéraire et artistique sur internet (Conclusions de la CMP)

M. le président.  - L'ordre du jour appelle l'examen des conclusions de la commission mixte paritaire chargée d'élaborer un texte sur les dispositions restant en discussion du projet de loi relatif à la protection pénale de la propriété littéraire et artistique sur internet.

Discussion générale

M. Michel Thiollière, rapporteur pour le Sénat de la commission mixte paritaire.  - Quand on aime, on ne compte pas ! Comme nous sommes nombreux dans cet hémicycle à aimer l'art, les artistes, la culture, la diversité et la création artistique, nous ne comptons pas notre temps, ni nos séances, ni notre énergie, ni notre force de conviction pour un texte aussi essentiel à la création dans notre pays. Pourquoi le Sénat a-t-il déployé tant d'efforts depuis un an ? Parce qu'il a voulu que les nouvelles technologies renforcent la création au lieu de laisser engloutir les créateurs par la vague numérique, et qu'il a voulu concilier les fabuleux apports du monde numérique et les irremplaçables apports de la création. Parce qu'actuellement une double peine est infligée aux créateurs et à l'économie de la création : le piratage et la crise. Un seul exemple : au second semestre 2008, ne sont sortis que 107 albums de musique francophone, contre 233 pendant la même période en 2002.

Le Sénat a donc travaillé sur Hadopi I, puis sur Hadopi II. Pendant des mois ces textes ont connu tantôt des avancées, tantôt des revers, et le temps de la réaction publique a été trop long pour que ne se crée pas un regrettable fossé entre les créateurs et la société. Pourtant le Sénat a travaillé, débattu et voté en temps et en heure ! Mais, dans notre pays, et La Fontaine l'avait bien compris dans son Conseil tenu par les rats :

« Ne faut-il que délibérer,

La Cour en conseillers foisonne ;

Est-il besoin d'exécuter,

L'on ne rencontre plus personne ».

Oui, le Sénat a tranché, agi et répondu à de légitimes questions. Doit-on avoir peur des nouvelles technologies ? Non, bien sûr ! Mais doit-on, pour autant, sacrifier la création à la fascination pour ces nouvelles technologies ? Non, bien sûr ! C'est à nous qu'il revient d'inventer une voie nouvelle contre le courant démagogique pour infléchir des usages nocifs.

Le Sénat a donc pris sa part et, le 8 juillet dernier, il a ajouté sept articles aux cinq articles du texte gouvernemental initial. En premier lieu nous avons amélioré sa lisibilité, sa cohérence et donc son intelligibilité. Nous avons notamment mieux caractérisé l'infraction de négligence caractérisée visant le titulaire de l'abonnement à internet.

En deuxième lieu, nous avons renforcé le caractère pédagogique et dissuasif du texte en prévoyant que la suspension de l'accès à internet, lorsqu'elle est prononcée dans le cadre de l'infraction contraventionnelle de négligence caractérisée, ne figurera pas au bulletin n°3 du casier judiciaire, afin de ne pas nuire aux personnes en recherche d'emploi ou candidates à un concours administratif. Nous avons aussi renforcé l'information des abonnés et augmenté le plafond de l'amende encourue par le fournisseur d'accès à internet (FAI) qui n'appliquerait pas la peine de suspension qui lui aurait été notifiée.

En troisième lieu, le Sénat avait mieux garanti le respect des libertés publiques et des principes constitutionnels, en particulier, en faisant en sorte que la Haute autorité ne puisse pas garder les données à caractère personnel relatives à l'abonné plus longtemps que la procédure ne l'exige. Nous avions aussi précisé le délai dans lequel le FAI doit mettre en oeuvre la suspension, afin d'encadrer l'appréciation du juge et de respecter ainsi pleinement le principe constitutionnel de légalité des délits et des peines.

En quatrième et dernier lieu, nous avions permis aux ayants droit de mieux faire valoir leurs droits auprès des autorités judiciaires : la Haute autorité devra informer les représentants des ayants droit sur les éventuelles saisines de ces autorités. Ainsi, les ayants droit pourront décider s'ils souhaitent ou non se constituer partie civile et, dans ce cas, se signaler auprès du procureur de la République. Il serait ainsi fait obstacle à la procédure de l'ordonnance pénale, au bénéfice d'une procédure classique.

De son côté, l'Assemblée nationale a adopté trois articles dans le texte issu du vote du Sénat : les articles premier bis, 3 ter et 5. En outre, elle a encore clarifié certaines dispositions, en a modifié et utilement précisé d'autres et, notamment : les agents assermentés de la Hadopi le seront devant l'autorité judiciaire ; le recours au juge unique et à l'ordonnance pénale sera limité aux seuls délits de contrefaçon commis par internet ; les ayants droit pourront obtenir des dommages et intérêts directement dans le cadre de la procédure d'ordonnance pénale ; les dispositions relatives à l'incrimination de négligence caractérisée et à l'application du principe de personnalisation et de proportionnalité des peines précisent les critères devant guider l'action du juge dans le prononcé des sanctions, et notamment la suspension de l'accès à internet. Par ailleurs, les députés ont exclu les correspondances privées du champ d'investigation des agents de la Hadopi. Cependant, en cas de suspension de l'accès à internet, la messagerie sera bien suspendue.

Le 16 septembre, la CMP a adopté un texte commun. Nos sociétés contemporaines ne peuvent avancer que si nous sommes capables de dialoguer, d'être pédagogues et de convaincre nos concitoyens du bien-fondé de nos décisions, qu'il s'agisse de santé publique, de sécurité routière ou de création. Le Sénat a souhaité accompagner la mutation numérique tout en préservant nos valeurs.

Je salue la détermination du Président de la République qui a engagé ce débat il y a deux ans. Je salue également le travail de Mme Albanel, et vous-même, monsieur le ministre, qui avez repris ce projet de loi et le prolongez en confiant à Patrick Zelnik, Jacques Toubon et Guillaume Cerutti une mission sur le droit d'auteur.

J'insiste sur l'exigence par le Sénat d'un renforcement d'une offre légale simple et peu coûteuse : c'est le meilleur moyen d'endiguer la piraterie.

Ces projets de loi ne sont pas que nationaux ; des textes analogues sont adoptés en Europe et même au-delà, comme en Corée ou à Taïwan. La France doit montrer un chemin. N'oublions pas l'attente, l'impatience d'une volonté française ! Borgès disait en 1983 devant l'académie française : « la France a l'habitude de dons infinis. Depuis la Chanson de Roland n'a cessé de monter cette limpide littérature du Grand Siècle, puis cette félicité, cette rare félicité qu'était Voltaire, et puis la voix de Hugo, la musique de Verlaine, et pourquoi ne pas nommer André Gide, André Malraux ? » Humblement mais courageusement, il s'agit de permettre à cette aventure française de perdurer. Donnons-nous les moyens de donner encore aux peuples du monde ce « don infini » ! (M. le président de la commission applaudit)

M. Frédéric Mitterrand, ministre de la culture et de la communication.  - en vous présentant ce texte, le 8 juillet, j'ai tenu à souligner qu'il était nécessaire mais non suffisant. La régulation de l'internet ainsi organisée n'est qu'un premier jalon, un préalable à une deuxième étape qui doit voir le développement de nouvelles offres culturelles sur internet et l'invention de nouvelles sources de rémunération pour les créateurs.

J'ai donc chargé MM. Zelnik, Toubon et Cerrutti d'apporter des réponses concrètes et immédiates à trois questions fondamentales : comment proposer des offres légales de musique et de films encore plus attractives pour les consommateurs ? Comment dégager de nouvelles ressources pour financer la création de ces oeuvres ? Comment aboutir à un partage équitable de la richesse ainsi créée entre les artistes, les entreprises de la culture et les acteurs de l'internet ? Avant la fin novembre, je ferai des propositions au Président de la République et au Premier ministre. Tous les créateurs de notre pays les attendent ; il faut agir vite et j'y suis déterminé.

Vous le voyez : pendant que le Parlement étudiait ce projet de loi, je ne suis pas resté inactif. J'ai tenté de faire en sorte que le dispositif qu'il instaure prenne aux yeux de nos concitoyens le sens d'un mécanisme pédagogique de lutte contre le piratage, indissociable de la mise en place d'un nouveau modèle de diffusion et de financement des oeuvres.

Je ne reviendrai pas sur le détail de ce projet de loi, après la présentation que vient d'en faire M. Thiollière, que je remercie de sa compétence et de son engagement depuis le 30 octobre 2008, date à laquelle le projet de loi Hadopi I était voté au Sénat, à l'unanimité.

Grâce au Sénat et à l'Assemblée nationale, ce second projet de loi a fait l'objet de plusieurs améliorations qui rendent encore plus claires les intentions des pouvoirs publics. Je pense notamment à la décision de votre commission mixte paritaire de proposer un texte qui retranche la messagerie électronique du champ de la suspension d'accès aux services en ligne qui peut être prononcée par le juge judiciaire. Je pense également au fait que, lorsque le juge se prononcera sur la peine de suspension, il lui incombera de prendre en compte l'ensemble des circonstances, et notamment la gravité de l'infraction et la personnalité de son auteur, afin que la sanction soit la plus efficace possible. Certes, cette obligation découlait des principes généraux de notre droit. Mais, dans le climat passionnel qu'a suscité ce texte, il ne faut pas craindre d'être tout à fait explicite.

L'édifice dont nous allons poser la dernière brique n'a pas été imaginé par des technocrates coupés des réalités mais par les acteurs de la culture et de l'internet. Il est l'application des accords historiques signés à l'Élysée le 23 novembre 2007 par 50 organisations représentatives et entreprises de la musique, du cinéma, de la télévision, et par tous les fournisseurs d'accès à internet.

Les deux lois apportent des avancées considérables pour le consommateur. Désormais, les films seront disponibles en DVD quatre mois après leur sortie en salles, au lieu de six, et en VOD après quatre mois aussi, au lieu de sept mois et demi. Voilà une mesure concrète qui va changer le comportement du consommateur. Les maisons de disques ont retiré tous les verrous numériques anti-copie des morceaux de musique téléchargés à l'unité : quand on achètera en ligne une musique, on pourra la copier pour son usage personnel et familial, aussi facilement qu'une cassette autrefois.

L'autre point sur lequel je veux revenir et qui est peut-être le plus important après les polémiques déraisonnables et disproportionnées, auxquelles les deux lois ont donné lieu, c'est que leur vocation est essentiellement pédagogique. Leur mécanisme est centré sur les rappels à la loi envoyés par I'Hadopi. Les sanctions, sur lesquelles on s'est tellement répandu, n'ont été pensées que comme une force de dissuasion, qui vient coiffer la série d'avertissements envoyés par la Haute autorité. Les sanctions seront probablement assez rares, car je crois à l'efficacité de cette dissuasion. Mais la perspective de la sanction signalera qu'internet ne doit pas être un lieu de non-droit. C'est un espace rapide, où l'on surfe, ce ne doit pas être un espace où le droit se volatilise, et devient virtuel.

Deux avertissements avant toute sanction, dont un par lettre recommandée : quel luxe de précaution ! Comme s'il fallait recevoir deux avertissements à domicile avant de se faire retirer un point sur son permis de conduire ! Et ces messages sont envoyés par une Haute autorité qui protège l'anonymat des internautes, qui est composée de magistrats et d'agents publics, impartiaux et indépendants. Le premier décret d'application de la loi Hadopi I porte d'ailleurs sur leur déontologie. C'est dire à quel point le souci du Gouvernement est d'interposer, entre les internautes et les titulaires de droits, une instance médiatrice, incontestable, protectrice de leur vie privée.

Cette démarche n'est pas purement réactive et négative. Il s'agit de poser en principe qu'internet est un espace civilisé, un espace de droit dans lequel l'internaute ne doit pas être favorisé par rapport à celui qui se rend chez son disquaire, ni le trop malin par rapport au candide. Ce que nous décidons dans le monde « virtuel » a des implications dans le réel. Il n'est pas bon de se laisser aller à l'illusion d'un monde parallèle où rien ne pèse, où triompherait l'insoutenable légèreté du net. Pascal raconte qu'un paysan qui passe la moitié de sa vie à rêver qu'il est roi vaut bien un roi qui passe la moitié de sa vie à rêver qu'il est un paysan. Les arrière-mondes que nous créons ont plus d'influence et de puissance qu'on le croit sur le monde réel. Ils lui empruntent, mais ils le façonnent en retour, ils lui donnent ses nouvelles formes, ses habitudes. Le champ d'internet ne doit pas être laissé en jachère juridique !

Le Président de la République nous a montré que la volonté politique peut renverser un dogme, celui du laisser-faire, du pillage immoral de l'économie réelle des entreprises par l'économie virtuelle des marchés financiers. Je veux faire la même chose pour le pillage des oeuvres, au nom d'une liberté mal comprise. La liberté n'est pas la licence, le libéralisme n'est pas la jungle. Les démagogues du laisser-faire qui confondent la jeunesse avec le jeunisme voudraient la gratuité d'accès à toutes les oeuvres, sous prétexte qu'elles sont sur la Toile.

J'ai fait du numérique l'une des priorités de mon action au ministère. J'ai ainsi annoncé une porte d'entrée unique de notre patrimoine numérisé sur internet ; je suis entré dans le débat sur la numérisation des imprimés entre un géant américain et la Bibliothèque nationale de France ; j'ai demandé qu'une partie du grand emprunt soit dirigée sur cette modernisation de notre patrimoine.

Là où la gratuité est possible, j'ai agi concrètement et rapidement : j'ai décidé, dès cet été, de l'appliquer à l'entrée dans les musées et monuments nationaux, pour tous les jeunes de moins de 26 ans qui résident régulièrement dans l'Union européenne, quelle que soit leur nationalité.

Mais le financement des oeuvres des auteurs, compositeurs, interprètes ou réalisateurs n'est pas assuré, comme pour les musées, par l'impôt des citoyens ou la gratification des mécènes, mais par le consentement de leurs admirateurs.

La loi vise le grand nombre, elle entend modifier le comportement de la masse des internautes et attirer leur attention tant sur les conséquences du piratage que sur les sanctions qu'ils encourent. Il sera toujours possible aux plus malins d'échapper momentanément à celles-ci ; mais ce sera le fait d'une petite minorité, comme pour toutes les formes de délinquance. Les techniques de détection évolueront en même temps que les techniques de dissimulation. Ce processus éternel n'a jamais dissuadé de lutter contre la délinquance. Il faut en finir avec le romantisme du pirate génial : pirater internet, c'est compromettre la diversité culturelle.

Si notre démarche était si mal fondée, elle ne serait pas de plus en plus imitée. On disait la France isolée, enfermée dans la confrontation. Il semble plutôt qu'elle soit en avance -voir l'Irlande, Taïwan ou la Corée du sud, les résultats spectaculaires obtenus en Suède ou, il y a deux semaines encore, les fortes propositions du ministre du commerce du Royaume-Uni. La France n'est pas un acteur de la culture comme les autres, elle a toujours joué un rôle pionnier. Nous célébrons cette année le cinquantenaire du ministère de la culture ; on la raillait alors, prétextant que l'art et les artistes n'avaient pas besoin de soutien politique. Pour imaginer des solutions contre le piratage, de nombreux pays nous observent, nous imitent, nous rattrapent même. De même, plusieurs dizaines de pays se sont dotés d'un ministère de la culture ; nous pouvons regarder avec satisfaction cette forme de piratage...

Peu importe le contenu exact des dispositifs de protection, ils évolueront encore ; mais les avancées de la technique ne doivent pas conduire à l'abolition des principes. Or il ne peut y avoir d'impunité totale. Il faut le faire savoir. Ce sera le rôle de la Hadopi. Les artistes, les créateurs, les entreprises de contenu et celles d'internet ont apporté leur soutien massif et renouvelé au projet du Président de la République et du Gouvernement. Je pense en particulier à toutes les PME de la culture, qui sont les premières victimes du piratage, car ce sont elles qui prennent le plus de risques en soutenant les jeunes talents avec des moyens souvent dérisoires. Elles sont au coeur du dynamisme et de la diversité artistique européenne. La loi n'est pas celle des majors, mais celle des créateurs et des talents, de ceux que j'ai pu admirer cet été à Marciac, à Saintes ou ailleurs, et in fine de leur public.

Tous ont les yeux fixés sur nous aujourd'hui, eux qui sont la réalité économique de la diversité culturelle ; ils attendent du dernier acte du processus législatif l'affirmation ferme que la protection de leurs droits sur internet n'est pas virtuelle. La loi témoigne de notre attachement aux principes fondateurs d'un espace culturel civilisé. Elle vise, par une conception équilibrée des rapports sociaux, à conjuguer l'accessibilité des oeuvres et les droits de leurs auteurs, la modernité des supports et la pérennité des principes. Elle met en place un accompagnement juridique des évolutions techniques. Elle est par là en continuité avec notre conception du monde, avec les valeurs défendues depuis toujours par la Haute assemblée toute entière. Nous avons l'intention de les promouvoir et de les prolonger. (Applaudissements au centre et à droite)

M. Serge Lagauche.  - Vous avez, monsieur le ministre, très solennellement mis en place le 3 septembre la mission chargée de proposer des solutions favorisant le développement de l'offre légale des contenus culturels sur internet. Si cette annonce sonne le glas, pour ne pas dire l'échec, des accords de l'Élysée signés voici presque deux ans, elle n'en est pas moins salutaire. Le Gouvernement mesure enfin la nécessité de trouver de nouveaux systèmes de rémunération des auteurs et de financement des industries du secteur.

Trois ans après l'échec de la loi Dadvsi, deux ans après la signature des accords Olivennes, il aura fallu que le Parlement, majorité et opposition confondues, dise ses réticences sur le dispositif proposé sous la tutelle du Président de la République pour que le Conseil constitutionnel censure le volet sanction de la riposte graduée. Que de temps perdu depuis la censure par le même Conseil, le 30 août 2006, du système de contraventions introduit à l'emporte-pièce par M. Donnedieu de Vabres dans la loi Dadvsi ! Il aura donc fallu plus de trois ans et trois ministres de la culture pour qu'une réflexion soit enfin lancée pour faire émerger un nouveau modèle économique de diffusion de la culture sur internet.

Pendant ce temps, les créateurs comme les industries du secteur culturel ont subi de plein fouet les effets du téléchargement illégal. Les positions se sont radicalisées, jusqu'à la caricature et parfois l'affrontement verbal. Les jeunes internautes n'ont pas compris les positions défensives prises par la plupart des auteurs, tandis que ceux-ci étaient acculés à défendre un texte finalement déclaré pour partie attentatoire à la liberté d'expression par le Conseil constitutionnel. Des artistes tantôt libertaires ou liberticides, des internautes prêts à tout pour casser les barrières techniques de la riposte graduée, des industries culturelles transformées en big brothers de la Toile : rien de tout cela n'est raisonnable. La loi Création et internet et son pendant judiciaire contraint n'auront donc servi qu'à faire prendre conscience au Gouvernement que la solution était ailleurs.

Peut-on encore parler de riposte graduée ? La procédure -juge unique et ordonnance pénale- n'a plus rien à voir avec les accords Olivennes. Là où ces derniers se voulaient pédagogiques par la mise en place d'une procédure administrative, le nouveau texte marque un triste retour en arrière en réinstaurant le délit de contrefaçon, puni de trois ans de prison et de 300 000 euros d'amende, et en autorisant le juge à prononcer une peine complémentaire de suspension de l'abonnement à internet.

Vous aviez estimé en juillet dernier, devant notre commission, à 50 000 le nombre de signalements qui seront transmis au procureur par la commission de protection des droits de la Hadopi : une goutte d'eau en comparaison des 450 000 films piratés chaque jour et du milliard de fichiers numériques à caractère culturel échangés illégalement chaque année ! Nous doutons en outre de la capacité de la justice, déjà surchargée, à traiter avec célérité les informations transmises par la Haute autorité. L'ensemble du dispositif de réponse graduée serait alors rendu inopérant et les courriels d'avertissement ne susciteront que l'indifférence de leurs destinataires.

Le groupe socialiste du Sénat espère bien sûr que la conjugaison de la phase d'avertissement et de la phase judiciaire permettra d'améliorer la lutte contre le piratage, qui n'est rien d'autre qu'un vol. Mais la précipitation et l'entêtement du Président de la République à aller jusqu'au bout, comme il l'a dit devant le Congrès, risquent de cristalliser le marasme économique que connaissent depuis plus de cinq ans les industries culturelles, grandes et petites, majors comme PME indépendantes.

La réussite de la dissuasion est fondamentale. Or nous avons le sentiment que le Gouvernement se fourvoie avec un texte élaboré en quelques jours, sans aucune concertation, menacé qui plus est d'inconstitutionnalité. Nous disons à nouveau que la défense des auteurs et la promotion de leurs oeuvres via internet doivent être abordées simultanément : lutter efficacement contre le piratage mais aussi créer les conditions du développement d'une offre légale attractive pour les internautes et rémunératrice pour les auteurs. Un dispositif d'avertissements puis de sanctions sera inopérant si l'offre légale ne se développe pas ; une offre légale abondante et peu onéreuse ne suscitera pas l'intérêt des consommateurs s'ils ne sont pas dissuadés de pirater les oeuvres. Nous souhaitons que le dispositif proposé soit efficace, mais nous en doutons au regard de l'ampleur du phénomène du piratage et de la faiblesse des moyens de la justice, elle aussi contrainte par la révision générale des politiques publiques.

L'Assemblée nationale, qui n'a voté le texte qu'à une courte majorité, pas plus que la CMP, n'ont sensiblement modifié la rédaction adoptée par le Sénat le 8 juillet 2009. Le groupe socialiste réitérera donc son vote négatif. Nous restons cependant disponibles pour prendre part aux réflexions menées par la mission confiée à MM. Zelnik, Toubon et Cerutti pour dégager de nouvelles sources de rémunérations pour les auteurs et inventer de nouveaux modèles économiques de diffusion des oeuvres culturelles sur internet. Nous travaillons depuis plus de trois ans sur la question et sommes disposés à faire part de notre modeste expertise si elle devait être sollicitée. Vous avez souhaité, monsieur le ministre, que des propositions simples et concrètes vous soient soumises dès le 15 novembre prochain ; nous réitérons notre méfiance vis-à-vis d'offres légales présentées comme gratuites qui feraient dépendre la rémunération des auteurs -et la diversité culturelle- de recettes publicitaires, par nature aléatoires. La gratuité d'accès pose en outre la question de la valeur d'une oeuvre et de la perception de cette valeur par les internautes ; une valeur qui pourrait se diluer dans l'océan des offres prétendument gratuites. Il faudra aussi veiller au respect des droits moraux et patrimoniaux des auteurs.

Les auteurs et leurs ayants droits devront rester maîtres de la diffusion de leurs oeuvres tout comme leurs droits exclusifs à rémunération devront rester proportionnels à la diffusion de leurs créations. Le droit d'auteur ne saurait glisser vers le copyright anglo-saxon.

Les sociétés de perception et de redistribution des droits des auteurs et des artistes-interprètes auront un rôle central à jouer pour que les disciplines artistiques diffusées sur internet ne soient pas définitivement dominées par les fournisseurs d'accès et les grandes sociétés d'édition et de production.

Prenons garde également à ce que tous les arts concernés par la numérisation et la diffusion sur internet soient pris en compte : la musique, le cinéma, les logiciels de loisirs et le livre. Les solutions préconisées devront tenir compte des usages de lecture et des modèles de financement propres à chaque discipline. Il ne pourrait par exemple être question de remettre en cause la chronologie des médias, pierre angulaire de la diversité cinématographique française, au profit d'un modèle conçu pour la diffusion phonographique.

Pour conclure sur le livre, les récentes déclarations de M. Denis Bruckman, directeur général adjoint de la Bibliothèque nationale de France, sur l'état d'avancement des négociations engagées par la BNF, pour la numérisation de son fonds, avec le géant Google, sont des plus inquiétantes. La promotion de la diversité culturelle et l'accès multilingue au patrimoine culturel européen ne sont pas compatibles avec un tel partenariat, qui laisserait la numérisation des savoirs aux mains d'un monopole privé. Il ne s'agit pas de stigmatiser, mais d'affirmer que l'économie de l'immatériel, l'investissement dans la recherche, l'éducation et la défense des auteurs et de leurs ayants droits constituent la clef de l'avenir et qu'à ce titre, il est inacceptable qu'un opérateur privé se substitue aux États européens dans leurs missions régaliennes.

Pour mener à bien ces missions, il faudra bien entendu que les États augmentent leurs moyens. Nous souhaitons donc que le projet de bibliothèque numérique européenne Europeana, lancé sous la double impulsion de la BNF et de la Commission européenne, soit renforcé. Il ne saurait être question d'accorder une quelconque exclusivité à une entreprise pour accéder à une oeuvre, quel que soit son statut -dans le domaine public, orpheline, épuisée en librairie ou en cours de diffusion. C'est la défense de l'identité culturelle d'un pays et de ses auteurs qui est en cause. Nous vous savons homme de lettres et en appelons à votre vigilance et à votre volontarisme pour relever ce défi culturel de tout premier ordre.

L'enjeu, pour toutes les disciplines artistiques diffusées sur internet, est majeur. Il nous faut inventer de nouveaux modèles permettant un accès à la culture pour le plus grand nombre dans des conditions respectueuses des droits des auteurs. Sans un nouveau modèle, garantissant au plus grand nombre, dans des conditions respectueuses des droits des auteurs, l'accès à la culture, point de politique culturelle sérieuse, point de volontarisme pour le maintien de cette diversité culturelle dont vous avez la responsabilité. (Applaudissements à gauche)

Mme Catherine Morin-Desailly.  - Prendre des mesures fortes en faveur des artistes et de la création n'a jamais été aussi urgent. Les derniers chiffres de l'industrie musicale publiés par Le Monde le 9 septembre dernier sont alarmants : au premier semestre, le marché de la musique a encore enregistré une baisse de près de 18 % par rapport au premier semestre 2008, soit une perte de 50 millions d'euros sur six mois pour l'industrie du disque. Ces chiffres démontrent une fois encore que le piratage numérique progresse, mettant chaque jour un peu plus en péril l'avenir de la création artistique.

La commission mixte paritaire a adopté un texte équilibré, garantissant à la fois le caractère pédagogique et dissuasif du dispositif de réponse graduée. Les avancées, réelles, sont attendues par une très large majorité des artistes.

Rappelons brièvement les modifications intervenues depuis notre première lecture. Tout d'abord, l'adoption d'un amendement, déposé par le rapporteur du texte à l'Assemblée nationale, réaffirmant le principe du secret de la correspondance privée, a permis d'exclure du champ de l'investigation de la Hadopi et de l'autorité judiciaire la correspondance privée par courriel. A l'article premier, il a été précisé, d'une part, que les agents assermentés de la Hadopi le seront devant l'autorité judiciaire, et, d'autre part, que les agents constateront seulement les faits susceptibles de constituer une infraction et non les infractions elles-mêmes. Autant de modifications bienvenues, qui assurent une meilleure protection des droits des internautes.

Mais la protection des droits fondamentaux sur les réseaux numériques doit encore progresser. C'est dans cette optique que le Nouveau centre présentait dès cet été, et à l'initiative de son président, une « déclaration des droits fondamentaux numériques » destinée à garantir sur internet le respect des droits définis, entre autre, par la Déclaration des droits de l'homme de 1789 et la Charte des droits fondamentaux de l'Union européenne.

Cette réflexion devra se poursuivre à l'avenir, pour que s'instaurent des garde-fous pour la protection de la vie privée et la préservation de la dignité humaine.

Nos collègues députés ont également précisé les conditions de procédure de jugement simplifiée. A l'article 2, le recours au juge unique et à l'ordonnance pénale a été expressément limité aux seuls délits de contrefaçon commis via internet. Les victimes pourront en outre demander directement des dommages et intérêts dans le cadre de la procédure d'ordonnance pénale. Enfin, l'incrimination de négligence caractérisée se trouve mieux définie.

La réflexion sur le financement de la création à l'ère d'internet doit se poursuivre. Je me réjouis, monsieur le ministre, de la mise en place de la mission Zelnik sur le développement de l'offre légale de téléchargement et les mesures d'accompagnement de la loi. Car l'offre légale est encore largement insuffisante. J'avais, lors de l'examen de la loi Hadopi I, déposé un amendement destiné à lever, avec la suppression des DRM, l'un des principaux freins au déploiement des nouvelles offres. Reste que l'offre légale doit aussi s'étoffer et être mieux mise en valeur : il est indispensable que le public soit informé et associé.

Ce texte, enfin, tient pleinement compte des critiques formulées par le Conseil constitutionnel dans sa décision du 10 juin dernier : le volet répressif sera bien confié à un juge et non plus à une autorité administrative.

Les garanties supplémentaires apportées par ce projet de loi permettent à une large majorité du groupe de l'Union centriste de le voter, même si nous restons persuadés qu'il ne sera que transitoire.

Il faudra, à l'avenir, trouver les nouveaux équilibres respectueux de la liberté et des droits des artistes, de la liberté et du droit à l'information et à la communication des internautes. Nul ne peut nier qu'internet a introduit des perturbations qui déstabilisent aujourd'hui les relations aux savoirs, les industries culturelles ayant pour leur part de plus en plus de mal à imposer une consommation synchronisée des oeuvres. Il faut leur donner les moyens de rebondir.

Entre régulation et adaptation, la recherche de l'équilibre est un défi. Car internet, c'est une nouvelle manière de vivre ensemble, une nouvelle manière de communiquer, des rapports sociaux réinventés, une représentation du monde et de la culture transformée qui concernera environ un milliard d'internautes dès 2010. C'est pourquoi il faudra poursuivre.

Je salue, pour finir, le travail de chacun, et plus particulièrement celui de notre rapporteur, M. Thiolliere, qui a par sa connaissance pointue de l'ensemble de ces problématiques permis de parvenir à un texte équilibré.

M. Jack Ralite.  - La discussion sur cette suite de texte aura duré, en urgence, 208 h 20 dont 170 h 30 à l'Assemblée nationale et 37 h 50 au Sénat. « Quel grand débat ! », diront certains au vu de ces chiffres. Mais il y a débat et débat. Ce qui frappe, à la lecture des délibérations, c'est qu'elles ont eu lieu en réaction à l'initiative présidentielle et trop peu, même s'il y a eu des moments riches, en raisonnement pour construire ce qu'exige notre société à l'heure du numérique, qui ne se résume d'ailleurs pas à internet. Trop souvent, les débats n'auront été qu'ébriété technologique, ramenant à l'esprit ces mots de Michelet, dans Le Peuple : « Notre siècle, par ses grandes machines (...) attelant les masses à l'aveugle, a progressé dans la fatalité ».

Dans L'opéra de quat'sous joué magnifiquement par le Berliner Ensemble au Théâtre de la Ville, on retrouve cette fatalité si bénéfique au couple pouvoir-grandes affaires : « L'homme ne vit que d'oublier sans cesse qu'il est homme ». Au XlXe siècle et au début du XXe siècle, cela était lié à la machine à vapeur, plus tard au moteur à explosion et aux technologies électriques. Aujourd'hui c'est la numérisation, et la télé-informatique qui s'imposent et permettent le maniement d'une fatalité plus grande encore par l'invasion de la rationalité technico-scientifique dans toutes les sphères de la vie. C'est le « reformater les Français » voulu par M. Sarkozy. A cette techno-fatalité, le pouvoir a ajouté la surveillance, en opposant deux libertés : le droit d'auteur, oeuvre des Lumières et de la Révolution française, et l'accès à internet légitimement exigé par le Conseil constitutionnel et appliqué avec une ferveur belliqueuse, au point de faire passer par la même occasion l'ordonnance pénale, procédure accélérée devant un juge unique et sans audience préalable, et d'ignorer la présomption d'innocence. Fatalité technologique et justice expéditive.

Sur un terrain social bouleversé, où l'internet produit « de la socialité chaude à l'intérieur d'un monde où la socialité froide a la primauté, où le lien social se distend » selon Georges Ballandier, cette loi est grosse de dangers, même si chercheurs et utilisateurs du numérique prédisent son caractère inapplicable.

Pourtant, le Parlement, sur proposition du député communiste Frédéric Dutoit avait voté la création d'une plateforme publique parfaitement réalisable, qui n'a jamais été prise en considération. Et l'on nous fait voter aujourd'hui une loi inapplicable alors que depuis plus de trois ans, le Gouvernement n'a pas appliqué un vote unanime des parlementaires.

L'option fondamentale de l'État, l'ultralibéralisme -malgré les discours présidentiels sur la moralisation du capitalisme- en fertilisation croisée avec les grandes affaires, ne parvient plus à faire système et rend chaotique la vie, d'où l'angoisse, à laquelle il répond -le sens lui étant devenu proprement intolérable- par ce que l'écrivain Bernard Noël appelle « la castration mentale ».

A côté de cette loi, voilà Google, ne payant rien des contenus qu'il diffuse et s'installant en Irlande pour s'éviter la fiscalité normale, qui reçoit l'aval du Premier ministre quand le directeur de la Bibliothèque nationale de France, renonce -étant donné la pépie financière- à poursuivre la démarche de son prédécesseur, la numérisation européenne des bibliothèques d'Europe.

Vous avez, monsieur le ministre, demandé une part des recettes du grand emprunt afin d'éviter cet affront. Mais je crains que l'emprunt ne soit qu'un mirage. Mme Reding, commissaire européenne, veut d'ailleurs revoir la conception européenne du droit d'auteur.

Le Président de la République, adepte de la concurrence libre et non faussée, a déclaré devant les députés UMP pantois : «  Je suis assez sceptique et réservé sur le choix d'un opérateur de téléphonie mobile : le prix le plus bas n'est pas forcément le meilleur, il faut voir la qualité des postulants. » Quelle illustration de la marchandisation de la politique culturelle ! La bataille fabriquée entre internautes et auteurs a là sa source : les uns sont assimilés à des clients, les autres à des industriels, et l'on recourt abusivement à la notion de droit de propriété littéraire et artistique. Le lien entre les auteurs, les artistes et le public est ainsi vicié. C'était pourtant la préoccupation essentielle des Conventionnels de 1791 et 1793. En 1936 le projet de loi Jean Zay déplissait ces lois fondatrices mais, dénoncé comme un « complot socialiste » contre les éditeurs, il n'a pas abouti. Derrière le conflit entre internautes et auteurs se dissimulent de grands intérêts économiques, déjà à l'oeuvre lors du vote de la loi de 1957, qu'on appela la loi de Grasset. Celle de 1985 a ouvert la voie d'un copyright à la française, de l'« entreprise auteur » et de l'oeuvre sans auteur. La société civile des Auteurs, réalisateurs et producteurs (ARP) a d'ailleurs inscrit à l'ordre du jour de ses prochaines rencontres de Dijon la question suivante : « La France va-t-elle vers le copyright ? » L'idée fait son chemin. Les lois Hadopi ne traitent pas du droit moral, comme si celui-ci était destiné à l'oubli. Quant à l'idée, auparavant admise dans notre pays, selon laquelle la culture n'est pas une marchandise comme les autres, elle est mise au rancart.

Le 1er août 2007, le Président de la République écrivait dans sa lettre de mission à la ministre de la culture d'alors : « Veillez à ce que les aides publiques aux créations favorisent une offre répondant aux attentes du public ». Ce dernier se trouvait ainsi réduit, une fois de plus, au rang de consommateur !

Cette loi ne protège pas les auteurs. Pierre Musso a révélé que les auteurs ne touchent en France qu'1 % de l'ensemble constitué par le chiffre d'affaires des industries du spectacle et par le total des droits d'auteur. Nous avons donc débattu pendant 208 heures de cette faible fraction, en oubliant les 99 % restants. La mission que vous avez installée, monsieur le ministre, devra y réfléchir ; je regrette d'ailleurs que les représentants du monde des affaires y soient majoritaires. Il faut trouver un nouvel équilibre entre les droits des artistes et ceux des industries culturelles, et dégager d'autres modes de financement pour la création, ce bien commun.

Quant au domaine numérique, comme l'écrivait Georges Balandier, « nous sommes dans l'obligation de civiliser les nouveaux mondes issus de l'oeuvre civilisatrice ». Les nouvelles techniques ne requièrent pas des utilisateurs fascinés ou apeurés, mais des sujets éclairés, vigilants et critiques.

Je ne suis pas prophète en matière de technologie. Mais au carrefour où se trouve notre société, il y a des routes d'avenir et des routes du passé. La loi Hadopi n'est pas adaptée aux enjeux contemporains ; elle mutile ce grand héritage qu'est le droit d'auteur, et elle est bien loin de prendre en compte tous les aspects du grand dérangement numérique. Les commissions ne font pas leur place aux artistes, aux internautes, aux chercheurs ou aux journalistes ; elles sont comme le pont d'Avignon : on y danse en rond ! (M. Nicolas About s'amuse) Il est pourtant grand temps d'atteindre l'autre rive, d'aller vers l'inconnu et la découverte. Les puissants écoutent plus qu'ils ne lisent, entourés de conseillers qui leur versent leur savoir par l'oreille. Mais dans l'individualisme contemporain, la surdité est devenue structurelle. L'excès d'information se transforme en bruit, laissant échapper ce qu'Yves Bonnefoy appelle « l'énigme du dehors ». Le poète ajoute que « la relation humaine doit renaître à partir d'un état de dispersion. »

C'est pourquoi, lors des états généraux de la culture qui se réuniront ici même le 28 septembre, nous nous efforcerons de réduire les fractures et d'en finir avec les mauvais procès. Il faut rassembler les énergies de tous les amoureux de la création autour d'un désir commun : mettre à jour une responsabilité publique et sociale, permettre l'appropriation des techniques contemporaines et l'avènement d'une économie et d'une culture de l'immatériel. Nous établirons ainsi un calendrier jusqu'en juin 2010, car nous ne cherchons pas une ficelle ou un sparadrap, mais des solutions qui assument les contradictions.

Nous sommes à quelques jours de l'anniversaire de la chute du mur de Berlin, événement auquel j'attache une extrême importance. Contre ceux qui pensaient que 1989 marquait la fin de l'Histoire, « phrase qui, à l'époque déjà, ne pouvait avoir sa place que dans le sottisier de Flaubert », Claudio Magris écrit que « 1989 tout au contraire a dégelé l'Histoire qui était restée un réfrigérateur pendant des décennies. Et celle-ci s'est déchaînée en un enchevêtrement d'émancipation et de régression souvent inséparables. » Nous avons devant nous une oeuvre d'émancipation. Hélas, cette loi est une loi de régression, dont les auteurs n'ont même pas eu la prudence de prévoir un suivi de son application. Le groupe CRC-SPG votera contre. (Applaudissements du groupe CRC-SPG ; M. David Assouline et Mme Alima Boumediene-Thiery applaudissent également)

M. Jean-Pierre Plancade.  - Nous en sommes aujourd'hui, espérons-le, à la fin de la saga Hadopi. Depuis le début de nos débats, la position du groupe RDSE n'a pas changé : il s'agit d'une bonne réforme, pédagogique et assurant la protection des individus. Sa version finale est meilleure encore que les précédentes.

Mais on peut avoir le sentiment que nous sommes en train de construire une « ligne Maginot » de l'informatique. Sans doute la commission mise en place par M. le ministre permettra-t-elle de faire avancer notre réflexion.

Notre groupe ne s'opposera donc pas à ce texte. Il était urgent de rappeler qu'internet n'est pas une zone de non-droit, que le téléchargement illégal est un vol, et surtout de faire entendre aux artistes que nous sommes de leur côté. (Applaudissements au centre, à droite et au banc des commissions)

M. David Assouline.  - Je serai bref, car j'ai déjà fait valoir maintes fois mes arguments au cours des débats qui nous ont agités depuis quatre ans. Les sénateurs socialistes partagent quelques-unes des idées et des ambitions exprimées par M. le ministre. Nous pensons nous aussi que les artistes doivent être justement rémunérés pour leur travail, car la création n'est pas gratuite. Nous considérons que le Parlement devrait se saisir du problème plus large de la régulation d'internet : dans mon rapport relatif à l'impact des nouveaux médias sur la jeunesse, j'ai formulé plusieurs recommandations visant à mieux protéger l'enfance, à promouvoir l'éducation et l'information sur internet. Nous souhaitons enfin que la culture trouve ses financements.

En revanche, nous sommes en désaccord sur les moyens. A l'époque de la loi Dadvsi, les groupes industriels auditionnés nous ont promis de proposer à brève échéance des offres susceptibles de remplacer le téléchargement illégal, que les DRM rendraient bientôt impossible. Mais comme nous l'avions prévu, les DRM n'ont pas suffi. D'ailleurs les majors de l'industrie musicale, dans leur logique à courte vue, ont attendu d'avoir épuisé leurs vinyles, si j'ose dire, avant de mettre en place de nouveaux services. Les offres développées depuis sont beaucoup trop chères, notamment pour le public jeune, étant donné les usages de consommation qui se sont répandus ! Quant aux industries cinématographiques, elles n'étaient pas pressées à l'époque de créer de nouveaux supports, protégées qu'elles étaient par la chronologie des médias et par la difficulté qu'il y avait alors à télécharger un film sur internet. Mais les technologies ont évolué...

Aujourd'hui internet est une déferlante. Des dizaines de millions de gens y sont connectés, la consommation s'y est développée, les supermarchés y proposent eux-mêmes leurs produits.

Ces comportements se sont installés, mais l'offre légale n'a pas suivi !

Certes, il faut sanctionner le téléchargement illégal, et nous voulons tous que la loi soit dissuasive. Mais reconnaissez que ce texte sert avant tout à gagner du temps avant d'envisager autre chose ! Si nous nous étions concentrés sur l'essentiel ces quatre dernières années, nous n'aurions pas perdu notre énergie à inventer des digues qui n'en sont pas.

La comparaison avec les chauffards ne tient pas : imaginez qu'il y ait des millions d'excès de vitesse à contrôler chaque jour, que ce soit le mode habituel de conduite, que l'on ne puisse pas prouver l'infraction ! D'autant qu'en téléchargeant illégalement, on ne met pas en danger sa vie ou celle d'autrui ! De nombreux pays nous imitent, dites-vous. La Suède, elle, nous a précédés : les effets escomptés -baisse du téléchargement illicite et reprise des ventes- ont duré six mois, après quoi le piratage a repris de plus belle ! Légiférer en sachant que la loi ne sera pas réellement appliquée n'est pas de bonne pédagogie : c'est installer dans la tête des jeunes qu'ils peuvent s'émanciper de la loi. Cinquante mille avertissements, c'est une goutte d'eau. Où est le caractère dissuasif ?

Selon les principes fixés par le Conseil constitutionnel, ce sera à la justice d'apporter la preuve de l'infraction, après une instruction. Imaginez les moyens qu'il faudra consacrer à cette nouvelle tâche, alors que les tribunaux sont déjà engorgés par les affaires courantes !

Nous voulons tous que les auteurs soient protégés. Ne perdons pas notre temps avec des commissions de trois membres : il faut un grand débat national réunissant tous les acteurs. Les transferts de charges de l'État aux collectivités locales obligent ces dernières à rogner sur leurs dépenses culturelles, à commencer par les arts vivants, au détriment des créateurs. Les fournisseurs d'accès profitent de l'explosion de la diffusion culturelle sur internet, qui leur vaut des millions de clients. Comme la radio rémunérait les auteurs, c'est à eux de contribuer à financer la création et l'information libre et indépendante qu'ils diffusent. Voilà les chantiers de demain. La mission Zelnik permettra-t-elle de débroussailler un peu les choses ? Il faut réunir autour de la table des intérêts divergents -entreprises, créateurs, fournisseurs d'accès, pouvoirs publics, etc- pour inventer un système à la hauteur de la fantastique révolution que nous vivons : alors, le monde portera ses regards vers nous !

A l'instar de la révolution industrielle, du passage du charbon à l'électricité, il faut non seulement protéger les anciens métiers mais inventer le système qui s'imposera, avec ses nouvelles régulations, dans un monde qui change. C'est à ce chantier que nous voulons nous atteler, avec vous. Mais, de grâce, cessons de prétendre que cette loi va régler le problème : nous aurons perdu beaucoup de temps. (Applaudissements à gauche)

Mme Catherine Dumas.  - Ce texte est très attendu des artistes et des professionnels victimes du piratage. Le téléchargement illégal, s'il devient un comportement de masse, entraîne un manque à gagner considérable pour les créateurs, et donc une menace pour les 130 000 Français qui travaillent dans l'audiovisuel et le spectacle vivant. Le chiffre d'affaires des ventes de CD a diminué de 50 % en six ans, les effectifs des maisons de production ont baissé de 30 % et le nombre de contrats de nouveaux artistes de 40 % chaque année. Les premières victimes ne sont pas les majors mais les indépendants : 99 % des maisons de disques ont moins de vingt salariés. Pour le cinéma, les téléchargements illégaux sont aussi nombreux que les entrées en salles -450 000 par jour ! Le téléchargement illégal ruine nos filières culturelles.

La loi Hadopi, complétée par ce second texte, traduit les accords de l'Élysée de l'automne 2007, lesquels faisaient déjà suite au rapport Olivennes. Le Gouvernement s'appuie donc sur un texte approuvé par la quasi-totalité des milieux artistiques et culturels.

Selon la décision du Conseil constitutionnel du 10 juin, la suspension de l'abonnement en cas de téléchargement illégal ne pourra être prononcée que par un magistrat. A l'origine, le Gouvernement souhaitait éviter au contrevenant la voie pénale, et distinguait le cas du fraudeur occasionnel, relevant de l'autorité administrative, de celui du fraudeur « massif » ou se livrant au piratage dans un but lucratif, jugé pour contrefaçon par les tribunaux. Puisqu'il n'est pas possible d'éviter une judiciarisation de la procédure, le Gouvernement a opté pour un dispositif simple, rapide et proportionné.

Le coeur du système demeure le principe d'une riposte graduée : il n'y a nulle menace sur les libertés individuelles ! L'internaute recevra un premier courriel d'avertissement, puis, s'il n'en tient pas compte, un second, accompagné d'une lettre recommandée expliquant que la loi doit être respectée, et que le téléchargement légal permet de financer la création. S'il persiste, une sanction adaptée pourra être prise par le juge, saisi par la Haute autorité, pour délit de contrefaçon ou pour négligence caractérisée. La suspension de l'abonnement internet, particulièrement dissuasive, restaure la crédibilité de la sanction, qui ne tombera pas du jour au lendemain !

Les amendements du Sénat et de l'Assemblée nationale ont apporté des garanties supplémentaires. Notre commission a ainsi prévu que le titulaire de l'abonnement n'ayant pas suffisamment protégé son accès internet recevrait un avertissement par courrier recommandé préalablement à toute sanction. Elle s'est également attachée à éviter des sanctions disproportionnées, supprimant la peine d'emprisonnement pour le fraudeur qui se réabonnerait malgré la décision de suspension.

J'approuve également la protection de la vie privée, notamment l'effacement des données personnelles après la fin de suspension d'abonnement, de même que la non inscription de cette mesure au bulletin n°3 du casier judiciaire. Je félicite donc notre rapporteur, qui s'est beaucoup investi dans sa tâche, en assurant le respect des droits de chacun.

Je félicite aussi notre ministre de la culture pour sa brillante intervention et pour sa détermination à engager une réflexion globale sur la rémunération des créateurs et le financement des industries culturelles à l'ère numérique. Monsieur Assouline, la réflexion ne fait que commencer !

Comme le Président de la République l'a déclaré à Versailles le 22 juillet, en défendant les droits d'auteur, nous défendons aussi l'idée que nous nous faisons d'une société où la liberté de chacun respecte les droits des autres. Notre groupe adhère pleinement à cette philosophie ! (Applaudissements à droite)

Mme Alima Boumediene-Thiery.  - Nous examinons aujourd'hui le résultat du parcours chaotique de la loi Hadopi, dont le Conseil constitutionnel a souligné les graves insuffisances et les travers, dans sa décision du 10 juin. De substantielles réserves juridiques demeurent, comme le respect des droits de la défense ou le recours à l'ordonnance pénale, mais j'exprimerai une critique plus générale portant sur la philosophie même du texte.

Nous regrettons profondément la criminalisation du téléchargement sur internet et l'absence de réflexion sur les moyens de mieux rémunérer les artistes, car le véritable enjeu consistait à concilier le droit pour tous d'accéder à une culture diverse et le financement de la création. Le texte est passé à côté. En effet, voyant une utopie dans l'accès universel aux oeuvres de l'esprit, le Gouvernement a privilégié la sanction. La vraie réflexion est donc repoussée aux calendes grecques. Nous estimons sans démagogie que vous avez raté ainsi l'opportunité d'un débat de société entre la jeunesse et les artistes. A la mutualisation des connaissances et des financements, le Gouvernement a préféré la criminalisation, sans compensation pour les auteurs et les artistes. On aurait pu trouver l'équilibre ailleurs que dans le prétoire !

Pour nous il importe d'inventer des outils permettant de concilier les intérêts de ceux qui n'ont pas toujours les moyens d'acheter et ceux des personnes qui ont besoin de vendre pour créer. Contrairement à ce que d'aucuns prétendent, nous ne demandons pas la gratuité inconditionnelle sur internet : nous voulons soutenir les créateurs tout en encourageant le public à accéder à la culture ; nous voulons que les artistes et les créateurs puissent choisir le modèle assurant leur rémunération et la diffusion maximale de leurs oeuvres.

Or, qu'apporte ce texte ? Rien, sinon le sentiment que la culture est désormais l'affaire des tribunaux, que le plaisir, la découverte et le partage deviennent des infractions. Son seul objectif est de satisfaire les sociétés de perception. Certes, les auteurs demandent une protection, mais n'aurait-on pu adapter les solutions existantes ?

Je songe à la plateforme publique de téléchargement, votée ici même lorsque nous avons examiné la loi Dadvsi. Faute de décret, cette proposition est restée lettre morte.

Je songe également à la plateforme « création publique et internet », dont le modèle de diffusion assure à la fois l'accès de tous à la culture et le financement équitable des artistes et des créateurs. Fondé sur la concertation et le dialogue, ce projet adossé à une licence collective mutualise le financement de la création. Il suffirait que chaque internaute verse 5 euros par mois pour engranger 1,2 milliard d'euros, dont une partie rémunérerait les contributeurs à la création des oeuvres échangées, le reste finançant la création à venir.

Mais nous n'avons pu réellement discuter ces solutions, puisque le Gouvernement a dès le départ tout axé sur la sanction. Administrative au départ, pénale ensuite, la procédure charge des officines privées de récolter des preuves, un acte qui incombe à l'autorité judiciaire.

Nous aurions souhaité que le Gouvernement aborde le sujet de façon moins conflictuelle, car la régulation pénale et répressive n'est pas la panacée. Comme dans de nombreux domaines, elle suscite plus de difficultés qu'elle n'en élimine, c'est pourquoi les sénateurs Verts voteront contre les conclusions de la commission mixte paritaire. (Applaudissements à gauche)

La discussion générale est close.

M. le président.  - Je rappelle au Sénat qu'en application de l'article 42 alinéa 12 de notre Règlement, aucun amendement n'est recevable, sauf accord du Gouvernement.

M. Ivan Renar.  - Hélas ! (Rires)

M. le président.  - En outre, le Sénat est appelé à se prononcer avant l'Assemblée nationale par un seul vote sur l'ensemble du texte.

Intervention sur l'ensemble

M. Jacques Legendre, président de la commission de la culture, de l'éducation et de la communication - J'espère que nous écrirons aujourd'hui la dernière page d'un texte qui nous aura mobilisés à plusieurs reprises depuis un an. Sur tous les bancs du Sénat, s'est exprimée la volonté de protéger la propriété intellectuelle et artistique. Reconnu comme un grand progrès lorsqu'il est né au siècle des Lumières, ce principe n'a rien perdu de sa valeur.

Il nous est donc apparu nécessaire de légiférer, malgré la difficulté à trouver un équilibre et à combattre une délinquance astucieuse. Mais faut-il renoncer à combattre la délinquance parce qu'elle est astucieuse ? Non !

Nous ne voulons pas seulement combattre le téléchargement illégal, car il est un moment où l'offre culturelle doit être accessible au plus grand nombre. Lorsque j'étais étudiant, les livres étaient trop chers pour étancher notre soif de lecture, mais les éditions de poche ont éliminé l'obstacle du prix. Nous souhaitons parvenir à un résultat équivalent sur internet.

Nous aurions préféré éviter le recours à l'autorité judiciaire, qui n'est pas de notre fait. Nous attachons une grande importance à ce que les jeunes qui ont peu de moyens puissent accéder aux formes contemporaines de la culture. Nous sommes donc très heureux qu'une commission soit créée à cette fin. Lui souhaitant un bon travail, nous serons très mobilisés pour contribuer à cette réflexion.

Aujourd'hui, nous complétons la loi Hadopi. S'il fallait demain nous revoir pour voter des dispositions concrètes, le Sénat tout entier serait au rendez-vous. (Applaudissements à droite et au centre)

Les conclusions de la commission mixte paritaire sont adoptées.

Commissions (Candidatures)

M. le président.  - J'informe le Sénat que le groupe socialiste a fait connaître à la présidence le nom du candidat qu'il propose pour siéger à la commission de l'économie, de l'aménagement du territoire et du développement durable, en remplacement de M. André Lejeune, décédé.

J'informe le Sénat que le groupe de l'Union centriste a fait connaître à la Présidence le nom du candidat qu'il propose pour siéger à la commission de la culture, de l'éducation et de la communication, en remplacement de M. Michel Mercier, dont le mandat de sénateur a cessé.

Ces candidatures vont être affichées et les nominations auront lieu conformément à l'article 8 du Règlement.

La séance, suspendue à 16 heures 15, reprend à 16 h 25.

Formation professionnelle (Procédure accélérée)

M. le président.  - L'ordre du jour appelle la discussion du projet de loi, adopté par l'Assemblée nationale après engagement de la procédure accélérée, relatif à l'orientation et à la formation professionnelle tout au long de la vie.

Rappel au règlement

Mme Annie David.  - La rentrée parlementaire augure mal de nos conditions de travail. La commission spéciale, dont la création a été une bonne chose, avait commencé ses auditions à la toute fin de la session. Elles ont repris ou, plus exactement, le rapporteur a repris avant fin août les auditions qu'il a ouvertes. Malgré cela, il n'est plus acceptable de travailler dans une telle précipitation, alors que la réforme constitutionnelle est censée avoir revalorisé les droits du Parlement et de l'opposition. Cette précipitation, vous l'accroissez avec la procédure accélérée, dont les effets sont identiques à ceux qu'avait l'urgence : accélérer les débats et nous priver des quelques avancées obtenues lors de la révision de la Constitution, rendre nos droits virtuels.

Il n'y a eu que deux jours entre la mise en ligne d'un texte profondément réécrit et la date limite du dépôt des amendements. Quant à la commission, elle a été suspendue cinq heures pour permettre à certains d'assister à un événement élyséen, de sorte que nous avons dû reprendre à 21 heures pour s'interrompre à une heure du matin et recommencer à l'heure du déjeuner...

M. Guy Fischer.  - On ne peut pas travailler comme ça !

Mme Annie David.  - En effet, ces conditions ne sont pas acceptables ; elles ne permettent pas un travail serein et de qualité. Le président de la commission explique qu'il n'en est pas responsable, n'étant pas maître de l'emploi du temps. Mais qui l'est ?

La précipitation que l'on nous impose fait écho aux pressions imposées aux partenaires sociaux pour l'accord interprofessionnel. Pression et urgence sont les méthodes dont le Gouvernement use pour imposer ses contre-réformes. (Applaudissements à gauche)

M. le président.  - Je vous donne acte de ce rappel au Règlement.

Discussion générale

M. Laurent Wauquiez, secrétaire d'État chargé de l'emploi.  - (Applaudissements à droite) Je suis heureux que s'ouvre aujourd'hui la dernière étape de ce projet de loi. La discussion en commission spéciale a été riche et le texte a fait l'objet de nombreuses améliorations, souvent à l'initiative du rapporteur. Je salue donc cette commission qui a travaillé dans des délais contraints.

La formation professionnelle intéresse les sénateurs depuis longtemps et je pense en particulier au rapport remarquable de votre mission d'information présidée par Jean-Claude Carle, rapport considéré comme une référence par les spécialistes de la formation.

Des sommes considérables sont en jeu : 27 milliards environ dont 12 proviennent des entreprises, près de 10 de l'État, si l'on inclut la formation de ses propres agents, et 4 des régions. Compte tenu de l'importance de ces budgets, des conservatismes et des lobbies en place, la réforme était indispensable mais difficile... Il fallait donner un « coup de jeune » à un système à bout de souffle qui n'était plus ni juste, ni transparent, ni efficace. Il fallait le dépoussiérer, et d'urgence. Rarement un projet de loi a porté sur de telles sommes d'argent...

Il faut réformer notre système de formation professionnelle, d'abord, parce qu'il est l'héritier d'une conception du travail obsolète, celle de l'après-guerre où l'on restait dans la même branche, la même entreprise et le même métier tout au long de sa carrière, si bien que les financements de la formation n'ont jamais été concentrés sur les exigences de la mobilité professionnelle. Cette formation, purement défensive, se contentait de maintenir les salariés dans la même branche et la même entreprise.

Il nous faut remédier de toute urgence à trois insuffisances principales. La première, et c'est un comble, c'est que notre système, incapable de corriger les inégalités, a au contraire contribué à les renforcer. Nous ne pouvons plus continuer à accepter que l'argent de la formation professionnelle des salariés faiblement qualifiés finance la formation des cadres, que l'argent des PME finance celle des grands groupes et que l'argent des demandeurs d'emplois finance celle des salariés. Si vous êtes ouvrier, vous avez une chance sur sept d'accéder à la formation, contre une sur deux si vous êtes cadre ; si vous travaillez dans une entreprise de moins de dix salariés, vous avez cinq fois moins de chances de vous former que si vous êtes dans un grand groupe. Si vous avez plus de 50 ans, vous avez deux fois moins de chances d'accéder à la formation... Autrement dit, plus vous avez besoin de formation, moins vous avez de chances d'en bénéficier ! Or, plus que jamais, l'ascenseur social a besoin de cette formation cat toute inégalité dans la formation creuse le fossé entre les salariés bien formés et bien informés, et les autres, condamnés à vivoter en passant d'un petit boulot précaire à un autre.

Deuxième défaut du système : il manque de transparence, de lisibilité et pâtit de l'absence de toute évaluation. Le terreau est donc favorable aux dérives sectaires -coachings divers et stages comportementaux... Des règles éthiques élémentaires sont ignorées, telle celle voulant que ce ne soit pas la même personne qui paye et qui encaisse. D'énormes sommes destinées à la formation des salariés s'évaporent ainsi entre 20 à 30 000 organismes de formation totalement fictifs.

Dernier défaut du système : trop cloisonné, il est incapable d'accompagner les transitions entre les différentes branches et les différents métiers. C'est inacceptable quand on sait que, via le Contrat de transition professionnelle (CTP), il suffit souvent de formations courtes pour passer d'un secteur en perte de vitesse à un secteur qui recrute, par exemple de la vente à distance au travail en centre d'appels. Le président Legendre et les élus du Pas-de-Calais en savent quelque chose !

A partir de ce diagnostic partagé, les priorités de la réforme ont émergé clairement. Il faut cibler des objectifs précis et opérer des frappes chirurgicales sur les points névralgiques du système.

Première ligne de force : la justice et l'équité. Le but, c'est d'orienter les financements vers les plus fragiles et vers ceux qui en ont le plus besoin : les demandeurs d'emplois, les salariés faiblement qualifiés, les PME et les branches qui ne disposent pas de moyens suffisants pour se développer, comme les services à la personne et les emplois verts. Car il est inacceptable, et encore plus en ce moment, que des emplois ne trouvent pas preneurs dans ces secteurs qui sont de formidables gisements, faute d'argent pour y former ! Il faut opérer une révolution culturelle pour que 13 % des fonds de la formation soient redéployés vers ceux qui en ont le plus besoin.

Deuxième axe : l'emploi, objectif majeur de la formation professionnelle. Par la formation, les salariés doivent avoir les moyens de conserver leur emploi ou d'en retrouver un, et d'évoluer dans leur carrière. La culture de l'emploi s'est trop perdue, il faut le remettre au centre de la formation et en finir avec les stages d'enfilage de perles ou les stages « poudre aux yeux ».

Pour ceux qui ont un emploi, nous avons créé des outils qui facilitent les évolutions de carrière. Avant, un salarié qui changeait d'entreprise ou qui perdait son emploi voyait s'envoler les droits individuels à la formation (DIF) qu'il avait acquis ; ce projet de loi, sur ce point, consacre les avancées des partenaires sociaux, première étape vers un système de sécurité professionnelle. Il sera désormais possible d'effectuer son CIF (Congé individuel de formation) en dehors de ses heures de travail : il faut réhabiliter les cours du soir...

Autre avancée : avant, un salarié pouvait passer toute sa carrière sans jamais être sérieusement évalué ; à présent, chacun pourra demander tous les cinq ans à bénéficier d'un bilan d'étape professionnel pour faire le point sur ses besoins de formation.

Nous avons aussi voulu cibler les formations sur ceux qui recherchent un emploi et dont le système est incapable de financer la reconversion, par exemple celle de ceux qui demandent à passer un Caces (Certificat d'aptitude à la conduite en sécurité) ou à suivre une formation d'aide-soignante. Avec la réforme, les demandeurs d'emploi pourront suivre une préparation opérationnelle à l'emploi (POE) pour s'orienter vers une profession à laquelle ils n'étaient pas formés initialement mais qui offre des débouchés.

Troisième priorité : rendre le système de formation plus transparent, plus lisible et en mesurer précisément l'efficacité. Il nous faut braquer les projecteurs sur ses angles morts et opérer un grand nettoyage. La formation professionnelle est aujourd'hui émiettée en une multitude d'opérateurs. On compte près de 100 organismes paritaires collecteurs agréés (OPCA), dont la moitié de branches ou interbranches. Je souhaite qu'on puisse arriver à une quinzaine d'OPCA de branches ou interbranches, pour garantir un meilleur service de proximité aux entreprises.

Ces OPCA sont trop morcelés, enfermés dans des logiques de métiers trop étroites : il y en a un pour le Crédit agricole, un pour les métiers de la banque, un pour les assurances -comme s'il était impensable qu'on passe d'un de ces secteurs à l'autre ! La réalité du travail d'aujourd'hui est pourtant que l'on change plusieurs fois de métier au cours d'une carrière.

Les OPCA ne sont contrôlés au mieux que tous les 30 ans. Il faut revenir à un délai plus raisonnable de trois ans, les soumettre comme tout le monde aux délais de paiement et aux règles de concurrence. Pour que l'ensemble de la profession ne souffre pas du manque de professionnalisme, voire de la malhonnêteté de quelques-uns, l'offre de formation sera mieux contrôlée. Désormais, le premier quidam venu ne pourra plus se déclarer formateur : les règles d'enregistrement des organismes seront plus strictes et les moyens de contrôle renforcés.

Nous savons en particulier que l'absence de contrôle a profité à certaines sectes.

M. Nicolas About.  - Eh oui !

M. Laurent Wauquiez, secrétaire d'État.  - C'est un combat que mène avec détermination le président About.

Un dispositif de sanction pénale est prévu pour interdire aux membres des sectes de créer des officines de formation. Et quiconque se lance dans un stage connaîtra à l'avance le contenu, la qualité et les objectifs de la formation, et recevra un certificat qui sanctionne sa formation.

Le rapporteur a accompli un travail considérable grâce auquel le projet de loi a été considérablement amélioré. Il a raison de dire que la formation est une compétence partagée. Le projet de loi vise à mieux coordonner les acteurs : au niveau national, avec un rendez-vous annuel fixant les priorités des politiques de formation professionnelle ; au niveau régional, à travers la contractualisation du plan régional de développement des formations (PRDF). Il n'est pas question d'une quelconque recentralisation mais de dire que, dans ce domaine de compétence partagée, on ne peut rester chacun dans son couloir. C'est la logique du contrat, qui a été voulue par le rapporteur et qui est positive.

C'est ce même principe de concertation entre les acteurs qui a présidé à l'élaboration de ce texte, fruit des négociations et groupes de travail qui se sont succédé depuis plus d'un an avec l'ensemble des partenaires du champ de la formation professionnelle : avis du conseil d'orientation pour l'emploi d'avril 2008, groupe multipartite sous la houlette de M. Ferracci, négociation des partenaires sociaux achevée en janvier 2009, concertation avec l'Association des régions de France fin 2008 et début 2009, avec les partenaires sociaux en avril 2009.

Le texte s'appuie sur l'accord unanime auquel les partenaires sociaux sont parvenus le 7 janvier dernier, dans la continuité des accords de 2003 et de 2008. Mais nous avons souhaité laisser toute sa place à l'initiative parlementaire ; le Gouvernement n'avait pas la prétention d'atteindre seul la perfection. Ce projet de loi est ainsi un modèle abouti de coproduction législative. Il reprend plusieurs propositions du rapporteur qui connaît admirablement le sujet. M. Carle a ainsi proposé la simplification du système, en allant plus loin vers une contractualisation sur le modèle du contrat de plan.

En juillet, nous avions également pris l'engagement d'avancer avec le Sénat sur le dossier de l'apprentissage, sujet cher à la présidente Catherine Procaccia. Le texte issu des travaux de votre commission spéciale assouplit les règles très contraignantes du contrat d'apprentissage. Il fallait un miracle annuel pour que les 300 000 jeunes s'aperçoivent -en août bien souvent ! (sourires)- qu'il leur fallait chercher une place en entreprise avant octobre. Il fallait combler un vide juridique qui était extrêmement préjudiciable à ces jeunes. Jusqu'à présent, pour qu'un jeune puisse entrer en CFA, il faut qu'il ait signé son contrat de travail avec son employeur. Pourtant, on sait très bien que des jeunes qui n'ont pas d'entreprise en septembre pourraient, en démarrant le cycle de formation et en se lançant dans une recherche active, signer eux aussi un contrat avec un employeur dans un délai raisonnable. Il fallait donner plus de souplesse. C'est ce que la commission a fait. Dès octobre, la loi pourra donc faire bouger les choses, grâce à la présidente Procaccia.

M. Carle et le président Legendre ont souhaité que la formation initiale et la formation continue soient mieux articulées. De nombreux amendements en ce sens ont été adoptés par la commission.

Tel est l'état d'esprit qui nous anime. Les partenaires sociaux ont donné l'exemple avec leur accord unanime. Il fallait du courage car les intérêts sont contradictoires. On peut se perdre en chemin tant la tuyauterie est subtile. Mais la formation professionnelle est un outil de justice, d'équité, d'ascension sociale. Ce texte très attendu sur le terrain nous fera passer d'un système injuste à un système équitable, de l'opacité à la transparence. Notre formation professionnelle avait besoin d'être dépoussiérée ; elle reçoit un grand coup de balai ! (Applaudissements à droite et au centre)

M. Jean-Claude Carle, rapporteur de la commission spéciale.   - Le sujet qui nous occupe aujourd'hui n'est sans doute pas aussi médiatique que la taxe carbone ou les bonus des traders ; il risque de ne pas susciter dans cet hémicycle autant d'engouement que la réforme à venir des collectivités territoriales. Je crois pourtant qu'il n'est guère de question plus importante pour une société que celle de l'orientation et de la formation, puisqu'il s'agit d'offrir à chacun la possibilité d'acquérir tout au long de sa vie des connaissances et des compétences qui lui permettront de progresser dans le métier choisi ou d'en changer. Socrate disait que la connaissance est la seule chose qui s'accroît quand on la partage.

Au moment où s'engage ce débat, je tiens à exprimer notre frustration face aux conditions dans lesquelles nous avons dû travailler : le Sénat n'a eu que la période de vacances parlementaires pour étudier un projet de loi extrêmement technique. Un peu de temps supplémentaire n'aurait pas été de trop.

M. Guy Fischer.  - Très bien ! (Mmes Annie David, Christiane Demontès et M. Yvon Collin font écho)

M. Jean-Claude Carle, rapporteur.  - Les lois réformant la formation professionnelle ne sont pas si fréquentes que le Parlement ne puisse disposer d'un peu de temps, surtout lorsqu'une seule lecture est prévue dans chaque assemblée. (Applaudissements à gauche et sur la plupart des bancs à droite et au centre)

Je souhaite que les décrets d'application de la loi soient publiés avec une célérité comparable à celle qui nous a été demandée !

Nous nous sommes donné les moyens de traiter ce sujet le mieux possible dans le délai qui nous était imparti. D'abord en créant cette commission spéciale que Mme Procaccia a accepté de présider, ce qui nous a fait bénéficier de sa connaissance approfondie du sujet. Nous avons ainsi pu faire travailler ensemble les sénateurs qui s'occupent de l'éducation, ceux qui sont spécialistes du droit social, ceux qui connaissent la vie des entreprises, à propos d'un domaine où l'on souffre précisément d'un cloisonnement trop rigide.

Malgré les délais, nous avons procédé à une soixantaine d'auditions.

Nous avons entendu trois ministres, tous les signataires de l'accord interprofessionnel du 7 janvier 2009 ainsi que l'Association des régions de France. Je remercie tous les sénateurs qui se sont mobilisés fin juillet et fin août, à des dates qui évoquent davantage le soleil et la plage que la formation professionnelle...

M. Jean Desessard.  - C'est anormal !

M. Jean-Claude Carle, rapporteur.  - Je remercie enfin le ministre pour sa disponibilité et la qualité de son écoute.

Le dossier est rebutant et complexe. Selon un de nos interlocuteurs, ceux qui connaissent réellement le fonctionnement du système se comptent sur les doigts d'une main... Cette complexité ne doit pas cependant nous décourager, le sujet est trop important pour être laissé aux seuls spécialistes. La formation professionnelle, c'est l'avenir des jeunes et de la société tout entière. Comme l'a dit le Président de la République, « la formation professionnelle, c'est la liberté pour une femme ou pour un homme, quels que soient son statut social, son âge, le métier qui était le sien ou celui qu'il veut épouser dans l'avenir, d'apprendre pour exercer un nouveau métier. C'est une question clé pour préparer l'avenir de notre pays. »

La formation professionnelle est aussi un enjeu financier considérable : la France y consacre chaque année 27 milliards d'euros. C'est enfin une des premières compétences dévolues aux régions par les lois de décentralisation. Je salue leur engagement en évoquant l'action d'Adrien Zeller, récemment disparu, en Alsace, ainsi que la passion de M. Delaneau.

Le moment est venu pour le Sénat d'apporter sa pierre en rendant plus juste et plus efficace un système aujourd'hui critiqué de toutes parts. Un système qui entretient les inégalités au lieu de les résorber : moins on est qualifié, moins on a accès à la formation professionnelle -un cadre a une chance sur deux d'y accéder, un ouvrier une sur sept ; plus l'entreprise est petite, plus les emplois sont fragiles, moins les salariés en bénéficient ; pire, les chômeurs y ont moins accès que ceux qui travaillent. Et je ne parle pas des inégalités en fonction de l'âge.

La formation professionnelle est caractérisée par les trois C évoqués par le rapport Seillier de 2007 : cloisonnement, complexité et corporatisme. Le cloisonnement : les acteurs ont tendance à préserver leur pré carré, la formation initiale est séparée de la formation professionnelle, l'orientation est confiée à une multitude de structures qui mettent peu d'entrain à travailler ensemble, la logique de branche néglige la transversalité des métiers dans un monde où la mobilité est de plus en plus importante. La complexité : qui comprend le financement de la formation professionnelle à part quelques initiés ? Qui peut s'y retrouver dans le maquis des organismes collecteurs, des 50 000 structures de formation dont certaines n'ont guère d'activité ? Quid de l'inflation des diplômes, titres et qualifications ? Le corporatisme : la formation professionnelle mobilise des fonds considérables et chacun veut rester maître chez lui, privilégiant ses intérêts particuliers au détriment de l'intérêt général.

Il est temps que les choses changent, que la formation professionnelle soit vraiment orientée vers l'emploi et l'employabilité. La formation professionnelle de demain doit prendre en compte les aspirations des salariés, les besoins des entreprises, la logique de branche, le caractère transversal de certains métiers, enfin la logique territoriale. Elle sera partenariale ou ne sera pas. Chacun devra oeuvrer pour le même objectif sans renoncer à ses compétences propres, tandis que l'État assurera l'équité du système. La région est l'échelon de cohérence, le bassin d'emploi celui de l'action.

Pour préparer la réforme, le Gouvernement a suivi une démarche exemplaire, en mettant pleinement en oeuvre la loi de modernisation du dialogue social : mise en place d'un groupe de travail qui a dégagé des éléments de consensus sans nier les divergences, remise d'un document d'orientation aux partenaires sociaux, ceux-ci négociant puis signant l'accord du 7 janvier 2009, élaboration enfin du présent projet de loi. L'unanimité des signataires de l'accord doit être prise en compte, mais aussi les compétences du Parlement. Ainsi certaines des propositions de la commission spéciale ne figurent pas dans l'accord, comme n'y figuraient pas certains éléments du texte initial ou de celui voté par Assemblée nationale.

Le texte a deux objectifs principaux : réduire les inégalités d'accès à la formation professionnelle et sécuriser les parcours professionnels d'une part, rechercher une plus grande efficacité et une plus grande transparence de l'autre. Un fonds paritaire de sécurisation des parcours professionnels est créé, qui permettra de mieux diriger les fonds de la formation vers ceux qui en ont le plus besoin ; voit également le jour la préparation opérationnelle à l'emploi, qui permettra à des demandeurs d'emploi de bénéficier d'une formation pour se préparer à occuper un emploi correspondant à une offre identifiée par Pôle emploi. La sécurisation des parcours sera facilitée par les dispositifs qui attachent le droit à la formation à la personne et non à un statut : c'est la portabilité du droit individuel à la formation en cas de changement d'employeur, ou encore la possibilité de faire prendre en charge des formations réalisées hors temps de travail au titre du congé individuel de formation. Le contrat de professionnalisation est étendu aux publics les plus éloignés de l'emploi.

Afin de rationaliser le système et lui donner davantage de transparence, les organismes collecteurs paritaires agréés (OPCA) sont réformés. Ils seront regroupés grâce à la forte augmentation du seuil de collecte, qui passera de 15 à 100 millions d'euros dans les deux années qui viennent, et leur agrément prendra désormais en compte les services qu'ils apportent et plus seulement leur capacité financière. Ils doivent se recentrer sur le conseil, l'assistance et l'ingénierie pour les entreprises, notamment pour les plus petites d'entre elles. Les contrôles seront renforcés.

J'aurais voulu toutefois qu'on allât plus loin, qu'on se demandât par exemple si l'obligation légale de financement est aujourd'hui aussi indispensable qu'il y a quarante ans : les entreprises savent bien que la formation de leurs salariés est un investissement nécessaire et bénéfique. J'aurais voulu aussi que l'on décloisonnât davantage les dispositifs. Les trois cotisations distinctes pour le plan de formation, la professionnalisation et le congé individuel de formation sont-elles vraiment indispensables ? Le texte marque néanmoins un progrès très important. Je salue, monsieur le ministre, votre engagement puissant dans ce dossier.

La commission spéciale, après avoir beaucoup écouté et travaillé, a souhaité compléter le texte pour lui donner sa pleine efficacité. Elle l'a fait en mettant en avant les 3 P qui s'opposent aux 3 C de tout à l'heure : la personne, la proximité, les partenariats. Le texte qu'elle a adopté modifie le projet de loi sur cinq points principaux.

J'ai toujours dit que la réforme ne serait un succès que si elle portait sur la formation tout au long de la vie, donc aussi sur l'articulation de la formation initiale avec la formation professionnelle. Cette articulation se fera au niveau de l'orientation, point sur lequel le texte était trop timide. Une bonne orientation, c'est d'abord une bonne information -information aujourd'hui réservée à ceux qui savent ou aux plus aisés. La commission a voulu donner une cohérence à la politique d'information et d'orientation en renforçant le rôle du délégué interministériel à l'orientation, qui sera désormais placé auprès du Premier ministre, et en le chargeant de coordonner les principaux acteurs. Cette évolution sera la base du service territorialisé d'orientation préconisé dans le Livre vert de la commission sur la jeunesse placée sous la responsabilité de Martin Hirsch. Le délégué interministériel, ainsi renforcé, apportera son appui aux régions pour qu'elles mettent en place les structures pertinentes. La commission souhaite d'autre part que le recrutement des conseillers d'orientation psychologues qui exercent leur activité dans les lycées s'appuie davantage sur la connaissance des filières, des qualifications et des métiers qu'ont les candidats. Leur rôle auprès des élèves en sera amélioré. La commission a enfin prévu la création d'un livret de compétences pour les élèves du premier et du second degré, qui contiendra des informations sur toutes les activités des jeunes, sportives, associatives, culturelles. Les potentialités des enfants doivent être encouragées ; il faut cesser de réduire certains d'entre eux au mauvais livret scolaire qu'ils traînent comme un boulet pendant des années.

La commission a d'autre part souhaité renforcer le fonds de sécurisation, afin qu'il aide fortement ceux qui en ont le plus besoin. Le texte de l'Assemblée nationale dresse la liste d'une douzaine de publics prioritaires précédée de l'adverbe « notamment » ; il aurait été plus rapide de mentionner ceux qui ne seront pas prioritaires. La commission a voulu resserrer les choses.

Elle a aussi décidé d'encadrer les conditions dans lesquelles le nouveau fonds pourra procéder à une péréquation entre les organismes collecteurs paritaires agréés. Enfin, elle a souhaité que les excédents éventuels de ce fonds soient reportés sur l'année suivante pour éviter toute tentative de prélèvement à d'autres fins que celles pour lesquelles le fonds a été créé.

Sur le droit individuel à la formation, la commission spéciale a voulu plus de cohérence et de simplicité. Elle a également souhaité que la portabilité de ce droit ne reste pas un droit théorique : dans le texte adopté par l'Assemblée nationale, un salarié qui changeait d'entreprise devait utiliser son droit individuel à formation sous deux ans, sous peine de le perdre, mais l'employeur pouvait le lui refuser pendant deux ans... La commission spéciale a prévu que ce droit pourrait être pris sans l'accord de l'employeur, dans des conditions très strictement encadrées pour éviter toute dérive qui conduirait à détourner ce droit de son véritable objet.

La commission a également renforcé les dispositions touchant au financement de la formation professionnelle. Elle a décidé la mise en place d'une charte de bonnes pratiques pour les organismes collecteurs paritaires agréés et prévu que leurs conseils d'administration seraient ouverts à des personnalités extérieures avec voix consultative. Elle a enfin décidé que ces organismes signeraient désormais des conventions d'objectifs et de moyens avec l'État, notamment pour préciser les conditions d'exercice des missions de proximité qui vont leur être dévolues. La commission entend ainsi, sans porter atteinte au paritarisme, les inciter à plus d'échanges avec d'autres cultures pour qu'ils remplissent le mieux possible leur mission de conseil aux très petites entreprises.

Notre troisième axe de travail porte précisément sur les mesures d'accompagnement en faveur des petites entreprises, qui, ayant le plus besoin de formation pour leurs salariés, sont celles qui en bénéficient le moins. On peut bien bâtir tous les dispositifs de formation que l'on veut et flécher les financements, on ne parviendra à rien si l'on ne résout pas la question du remplacement. Dans une entreprise de quatre salariés, un départ en formation, et c'est 25 % de l'effectif qui manque. La solution, ce sont les branches et les employeurs qui devront la trouver, comme les agriculteurs ont su le faire depuis des décennies. Mais nous avons voulu encourager ce mouvement en prévoyant, d'une part, une possibilité de financement partiel du remplacement des salariés des très petites entreprises par les OPCA ; d'autre part que les groupements d'employeurs peuvent mettre à disposition de leurs membres des salariés pour assurer le remplacement en cas de départ en formation. Tout cela n'a rien de révolutionnaire, mais nous en espérons un effet de stimulation.

Quatrième axe de travail et sujet essentiel, les mesures en faveur des jeunes. La commission, à la suite de l'audition de Laurent Hénart, chargé d'une mission sur ce sujet, a souhaité donner un premier encouragement au développement de l'apprentissage dans le secteur public en supprimant l'agrément préfectoral. Conformément aux propositions de la mission du Sénat sur le sujet et à l'initiative de notre collègue Christian Demuynck, elle a souhaité interdire les stages dits « hors cursus pédagogique » pour mettre fin aux abus de certains employeurs.

Vous savez, monsieur le ministre, que j'aurais voulu aller plus loin et engager une évolution de la taxe d'apprentissage pour qu'elle serve davantage à financer l'apprentissage lui-même. Il est vrai qu'une telle évolution met en jeu de nombreux paramètres et de nombreux intérêts... Il faudra pourtant résoudre la question, bien que je vous accorde que la réforme, que vous avez jugé prématurée, doit être menée dans la sérénité et passer par une réflexion et une concertation préalables.

Dernier axe de notre travail, enfin, la gouvernance du système de formation professionnelle. La commission spéciale a tout d'abord renforcé le Conseil national de la formation professionnelle tout au long de la vie, qui, rassemblant tous les partenaires compétents sur la formation, est le mieux placé pour définir les grandes orientations et procéder aux évaluations. La commission a décidé d'étendre ses missions, de rehausser son statut et de lui permettre d'obtenir les informations nécessaires.

Dans le plan régional de développement de la formation, ensuite, le projet de loi esquissait une contractualisation, mais incomplète et bancale : elle doit associer la région, l'État et les partenaires sociaux. Ce qui compte, c'est de faire travailler tous les partenaires ensemble, dans une logique de compétences partagées. Si l'on y parvient, on aura gagné, parce que chacun aura cessé de se buter sur son petit domaine de compétences. Je crois que le texte de la commission spéciale, de ce point de vue, permettra d'avancer vers un véritable partenariat, dans le plein respect des lois de décentralisation auxquelles notre assemblée est tout particulièrement attachée.

Comme l'a dit le Président de la République, « depuis le temps que l'on parle des faiblesses de notre système de formation professionnelle sans y toucher, il est venu le temps d'y toucher ».

Ce projet de loi peut constituer une véritable avancée, pour peu que chacun accepte, non pas de renier ses convictions, mais de sortir de ses certitudes. Pour avoir longtemps travaillé sur ce sujet, je n'ai pas de certitude. Je ne suis animé que de la conviction que répondre aux problèmes de la formation professionnelle par l'inflation budgétaire n'est pas la solution et que les améliorations se feront dans le cadre de compétences partagées exercées au plus près du terrain. Alors que le chômage des jeunes reste à un niveau très élevé, il n'est pas acceptable que lorsqu'un jeune dispose d'une place dans un centre de formation et se voit proposer un contrat par une entreprise, ce contrat ne puisse être conclu pour des raisons de statut, à cause d'un financement insuffisant ou parce que ce jeune ne relève pas d'un secteur prioritaire. C'est ce que vous avez réaffirmé il y a quelques jours, monsieur le ministre. Il n'est plus acceptable, non plus, que la situation de notre système public d'information, d'orientation et de formation conduise nombre de nos concitoyens à recourir à des organismes qui clament haut leur devise : « satisfait ou remboursé ».

Je souhaite que le Sénat prenne toute sa part dans la modernisation de notre système de formation professionnelle et marque ce texte de son empreinte comme il sait le faire sur les sujets essentiels pour notre pays. (Applaudissements au centre, à droite et au banc des commissions)

Mme Catherine Procaccia, présidente de la commission spéciale.  - Après un parcours qui a davantage ressemblé, et je ne suis guère sportive, à un sprint qu'à un marathon (marques d'approbation à gauche), nous en venons à l'examen en séance de ce texte, qui revêt, à deux égards au moins, une importance particulière. Les nombreux travaux qui l'ont précédé ont tous montré que notre système de formation professionnelle est à bout de souffle : terriblement complexe, désespérément injuste puisque, malgré des sommes considérables, la formation ne va pas à ceux qui en ont le plus besoin. La mission du Sénat conduite par Jean-Claude Carle et dont notre collègue Bernard Seillier était le rapporteur, les rapports de la Cour des comptes, de l'Inspection générale des affaires sociales, du Conseil d'orientation pour l'emploi : tous ont conclu à la nécessité de réformer ce système, non à coups de rafistolages mais avec une vraie ambition.

Important, ce texte l'est aussi du fait qu'il résulte d'un accord unanime des huit organisations représentatives d'employeurs et de salariés au niveau national. Sans doute une telle unanimité repose-t-elle sur des compromis délicats, des équilibres imparfaits, mais elle témoigne de l'importance qu'ont attachée les partenaires sociaux à cette négociation. Pour avoir été rapporteur de la loi sur la modernisation du dialogue social, je trouve très positif que le Parlement s'appuie dans sa fonction de législateur sur l'accord des partenaires sociaux. Pour autant, l'existence d'un accord interprofessionnel ne dessaisit pas le législateur, qui conserve son droit d'amendement, de ses compétences.

Le Sénat n'a disposé que de peu de temps pour examiner ce texte mais je crois que votre commission spéciale l'a utilisé au mieux. Je remercie l'ensemble de ses membres pour l'excellente atmosphère qui a présidé à nos travaux et salue tout particulièrement le rapporteur pour son engagement total dans ce travail, qui l'a conduit à multiplier les auditions pour entendre l'ensemble des acteurs.

Le texte qui nous est soumis aborde un grand nombre de sujets -droit individuel à formation, fonds de sécurisation des parcours professionnels, préparation opérationnelle à l'emploi, révision des conditions d'élaboration du plan régional de développement des formations professionnelles.

Mon attention va tout particulièrement, M. le ministre l'a rappelé, à l'apprentissage, gage de réussite pour de très nombreux jeunes. Il faut continuer de le développer, à tous les niveaux de qualification.

Il nous reste beaucoup à faire pour que l'apprentissage se développe, notamment, dans le secteur public, où l'on ne compte que quelque 6 000 apprentis pour plus de cinq millions d'agents. Le fait que les fonctionnaires soient recrutés par concours justifie-t-il que l'on interdise à des jeunes de se former par l'alternance dans une collectivité territoriale, une administration d'État ou même dans une assemblée parlementaire ? J'espère que le Sénat, grâce à ses amendements, deviendra exemplaire.

Laurent Hénart, que nous avons entendu, souligne que les freins au développement de l'apprentissage dans le secteur public sont, pour partie, réglementaires. La loi de 1992 est, de fait, beaucoup plus contraignante que le code du travail. Il préconise par conséquent de rapprocher le plus possible les règles applicables au secteur public de celles qui prévalent dans le privé. La suppression de l'agrément préfectoral décidée par notre commission spéciale est un premier pas qui, j'espère, constituera l'un des apports du Sénat à cette réforme de la formation professionnelle, mais il conviendra d'aller plus loin. Laurent Hénart nous a également indiqué que l'alternance dans le secteur public mériterait d'être développée. C'est là l'intérêt de tous. Pour les fonctionnaires, assurer la formation d'apprentis peut être un moyen de diversifier leurs tâches et de valoriser leur travail.

Ce ne sera possible que si l'on trouve les financements adaptés. Or il sera difficile de solliciter les collectivités territoriales ou l'État dans la conjoncture actuelle. La solution résidera sans doute dans la réforme de la taxe d'apprentissage évoquée par M. le rapporteur.

J'en viens à la question des stages. Votre commission spéciale a souhaité interdire les stages en dehors des cursus pédagogiques, afin d'empêcher les pratiques inacceptables de certaines entreprises qui facturent à prix d'or les prestations accomplies par des stagiaires rémunérés très chichement. Mais je souhaite que cela n'empêche pas les jeunes de faire des stages de découverte en entreprise, afin de s'éveiller à des réalités qu'ils ignorent : le décret devra apporter les précisions nécessaires.

Un stage n'est utile que si la personne qui accueille le stagiaire lui consacre beaucoup de temps. (M. Jean-Claude Carle, rapporteur, approuve) Or les entreprises sont aujourd'hui incapables de répondre à toutes les demandes, car la plupart des cursus comprennent désormais des stages.

La formation professionnelle en entreprise est obligatoire depuis une quarantaine d'années : « former ou payer », telle est l'alternative à laquelle font face les employeurs. Mais les choses ont changé : ces derniers sont désormais tout à fait conscients de l'intérêt de la formation continue pour les travailleurs comme pour la compétitivité de l'entreprise. Le projet de loi aurait pu à ce sujet être plus ambitieux et substituer aux obligations et aux sanctions un système d'incitations sans doute plus efficace.

J'aurais également souhaité que l'on simplifiât certaines procédures : il n'était peut-être pas nécessaire de prévoir un entretien individuel pour certaines catégories de salariés. Les organismes de formation sont aujourd'hui très nombreux, mais leur efficacité laisse parfois à désirer : j'ai moi-même été responsable de formation pendant une dizaine d'années et je sais de quoi je parle. En revanche, on ne peut que se féliciter de la rationalisation de la collecte des fonds de la formation professionnelle par la réduction du nombre d'OPCA.

Cette réforme, je l'espère, ne sera pas la dernière. Elle ouvre la voie à une véritable modernisation du système de formation dans notre pays. La commission spéciale a souhaité renforcer ce texte pour répondre mieux encore aux aspirations des salariés et aux besoins des entreprises. (Applaudissements au centre, à droite et au banc des commissions)

M. Daniel Dubois.  - Ce projet de loi n'est certes pas révolutionnaire, mais il comporte des avancées et se situe dans la lignée de la réforme de 2004. La refonte du système de formation professionnelle est nécessaire, car la reprise est encore incertaine et le chômage continue d'augmenter : il faut faire de la formation professionnelle un outil efficace au service de la politique de l'emploi.

Ce texte donne une base législative à l'accord national interprofessionnel du 9 janvier dernier. Je salue les conditions dans lesquelles il a été élaboré : si la démocratie sociale a un sens, c'est bien en ce domaine. Aucune réforme de la formation professionnelle n'a jamais abouti sans que les partenaires sociaux n'en fussent à l'origine. Le Gouvernement, cette fois-ci, a pleinement joué son rôle d'accompagnateur, et la loi du 31 janvier 2007 qui impose à l'exécutif de saisir les partenaires sociaux avant toute réforme en la matière a bien été respectée.

C'est à présent au législateur d'achever cette oeuvre de consolidation et de réaménagement. L'enjeu est immense : on dépense aujourd'hui en France 27 milliards d'euros pour la formation professionnelle, et le DIF pourrait coûter 10 milliards d'euros. Or l'impact de la formation professionnelle sur l'emploi reste limité en raison des insuffisances dont elle souffre. Notre système est très inégalitaire : les techniciens et les cadres accèdent deux fois plus à la formation professionnelle que les ouvriers, les salariés des très grandes entreprises plus de quatre fois plus que ceux des petites, et moins de 10 % des demandeurs d'emploi en bénéficient. Il est également trop complexe, car les structures se sont superposées au fil du temps : les bénéficiaires potentiels, les organismes gestionnaires et les organismes prestataires sont aujourd'hui extrêmement nombreux, ce qui explique qu'entreprises et salariés aient du mal à se retrouver dans ce maquis.

Le présent projet de loi répond à ces critiques. Les dispositions qui transcrivent l'accord national interprofessionnel ont pour objet de rendre le système plus accessible à ceux qui en ont le plus besoin : je pense notamment à la création du Fonds paritaire de sécurisation des parcours professionnels et à la portabilité du DIF. Les mesures purement législatives, comprises dans les titres V, VI et VII, rendent le système plus simple et plus transparent. L'architecture de la loi est cohérente. Grâce à elle, notre système permettra à chacun de mieux s'adapter à l'évolution des métiers et de pouvoir en changer.

Ce texte, s'il ne constitue pas par lui-même une révolution, marque une triple rupture avec la conception de la formation professionnelle qui prévalait jusqu'ici. A une logique statique de droits cloisonnés, il substitue une logique dynamique de droits portables et d'accompagnement personnel. A une logique de statut privilégiant les salariés, il substitue une logique de besoin et permet d'identifier les publics prioritaires, grâce au fonds de sécurisation. Enfin, à une logique de moyens passant par le financement obligatoire et les Opca succèdera une logique de résultats, puisque l'objectif est de former 500 000 salariés peu qualifiés et 200 000 demandeurs d'emploi de plus chaque année. Cette révolution copernicienne n'est pas sans rapport avec celle engagée par la Lolf. Les individus et leur parcours seront désormais au coeur du système.

Toutes les phases de la formation et de la vie professionnelle doivent s'intégrer en un parcours cohérent. Jusqu'ici, la vie professionnelle d'un individu pouvait se présenter sous la forme d'une succession de ruptures : formation initiale, orientation, emploi, perte ou changement d'emploi. Il faut établir une continuité entre ces étapes, décloisonner le système et sortir des logiques autarciques et corporatistes.

Ce texte, tel qu'amendé par l'Assemblée nationale et par notre commission spéciale, y contribue dans une large mesure. Formations initiale et continue seront désormais mieux articulées : c'est l'objet de l'article 20 relatif au Plan régional de développement des formations professionnelles (PRDFP), dont la rédaction résulte d'un compromis -notons que la commission spéciale s'est attachée à préserver la logique des lois de décentralisation- et de l'article 2, qui dispose que la formation professionnelle s'appuie sur le socle commun de connaissances défini dans le cadre de la scolarité obligatoire.

Le projet de loi vise également à aider les jeunes à s'insérer sur le marché du travail : les mesures du titre IV bis, inséré par les députés, s'inscrivent dans le cadre de la politique menée en faveur de la jeunesse par M. Martin Hirsch.

Pour faciliter les transitions professionnelles, un fonds de sécurisation permettra de consacrer jusqu'à 13 % des sommes de la formation professionnelle aux publics prioritaires identifiés par notre commission. Nous attendons que soit proposée une solution de financement adaptée, afin que la création du fonds n'entraîne pas l'assèchement des crédits de la professionnalisation.

La préparation opérationnelle à l'emploi et la portabilité du DIF répondent au même objectif. Je salue à ce sujet le travail de M. le rapporteur. Pour que la portabilité soit effective, il nous semblait essentiel qu'un salarié puisse faire valoir ses droits sans requérir l'accord de son nouvel employeur ; si le texte de la commission est adopté, ce sera le cas pour les formations effectuées en dehors du temps de travail.

Nous avions déposé un amendement en ce sens mais ne peut-on aller plus loin ? Nous défendrons un amendement prévoyant que la portabilité ne soit pas limitée dans le temps. Le ministre nous oppose le coût d'une portabilité intégrale du DIF : 10 milliards à maturité, selon la Cour des comptes. Mais quelle part représenterait la portabilité ?

Fluidifier la formation professionnelle, c'est sortir des logiques autarciques et corporatistes. Ainsi, le texte réforme le régime de l'agrément des OPCA. Une restructuration du paysage facilitera les passerelles pour les salariés.

Enfin, fluidifier, c'est mieux orienter, pour mieux anticiper. L'intitulé du projet de loi traduisait déjà un volontarisme politique ; si le premier projet était décevant, le Parlement, et singulièrement le Sénat, l'a enrichi en harmonisant le code du travail et le code de l'éducation. C'est sur cette base que l'on instaurera un droit à l'orientation tout au long de la vie, suite naturelle du droit à l'éducation, afin d'effacer la séparation artificielle entre domaines scolaire et professionnel. Il reste beaucoup à faire pour mettre en place des structures efficaces sans créer un nouveau mastodonte.

M. Jean-Claude Carle, rapporteur.  - Tout à fait.

M. Daniel Dubois.  - Nous serons attentifs à l'avancée de ce dossier.

Ce projet de loi comporte des avancées significatives aussi le groupe Union centriste y est-il très largement favorable. II me reste à féliciter la commission spéciale pour son travail, à commencer par sa présidente et son rapporteur. (Applaudissements au centre et à droite)

Mme Annie David.  - (Applaudissements à gauche) Nous partageons l'objectif de rénovation de la formation professionnelle, mais votre texte, censé refléter l'accord national interprofessionnel du 7 janvier 2009, adopté à l'unanimité, manque d'ambitions et de moyens.

Les partenaires sociaux, contraints à une négociation à marche forcée suivant la feuille de route imposée par le Gouvernement, sommés de se mettre d'accord, ont proposé des pistes pour mettre en place un système de formation répondant aux besoins de la société. Toutefois, lors des auditions que nous avons menées, ils ont souligné que l'accord du 7 janvier était un accord de compromis : aux parlementaires d'aller plus loin pour faire de la formation continue un véritable outil de promotion sociale. Le rapporteur a d'ailleurs estimé que le législateur devait « s'appuyer sur l'accord, l'accompagner et l'amplifier » ; il a, en partie, concrétisé ses propos.

Ce texte aurait dû permettre une véritable sécurisation des parcours professionnels. Il n'en est rien. Pis, il revient sur certains points de l'accord du 7 janvier, comme le droit, pour les salariés sans diplômes, à la formation initiale différée prise en charge par l'État. La gouvernance floue du Fonds paritaire de sécurisation des parcours professionnels permet au Gouvernement de se désengager de la politique de l'emploi, après des années d'attaques répétées contre le service public de l'emploi, l'éducation nationale, avec comme toute proposition de travailler plus, si possible le dimanche !

La Préparation opérationnelle à l'emploi est dévoyée : elle ne pourra aboutir qu'à un contrat de professionnalisation, alors que l'accord prévoyait une embauche. L'employeur gagnera à tous les coups : POE payée par le Fonds paritaire, contrat de professionnalisation exonéré de cotisations sociales ! D'autant qu'avec le DIF, il ne sera plus question de portabilité...

Enfin, vous videz l'Afpa de son service d'orientation, qui fait sa spécificité. Elle remplit pourtant sa mission avec succès : 70 % de ses stagiaires, souvent très éloignés de l'emploi, sont embauchés dans les quatre à six mois à l'issue du stage ! Dénaturer l'Afpa est un non-sens, d'autant que, vu les difficultés de Pôle emploi, le transfert des personnels d'orientation va être fort complexe...

En faisant de l'Afpa un prestataire de formation comme un autre, vous défendez la formation « utilitariste » prônée par les organismes privés, qui ne visent qu'à faire du chiffre au détriment du projet professionnel et de l'insertion des individus. La formation professionnelle devient simple marchandise, soumise à la concurrence ; il n'est plus question de service public. L'exposé des motifs est d'ailleurs explicite : la formation professionnelle doit « répondre aux attentes de l'économie et des personnes ». Bref, dans la droite ligne de la stratégie de Lisbonne, la formation professionnelle, comme l'école, doit d'abord fournir au marché une main-d'oeuvre opérationnelle et peu coûteuse pour l'État.

Notre approche est aux antipodes. Pour être un véritable outil de promotion sociale, permettant la sécurisation des parcours professionnels, la formation continue doit s'appuyer sur une formation initiale autrement plus solide que le socle commun de connaissances et de compétences issu de la loi du 23 avril 2005. Mme Gonthier-Maurin y reviendra.

La formation continue ne doit pas être abandonnée à la sphère privée. Le groupe CRC-SPG propose de créer une sécurité sociale d'emploi et de formation. Dans le cadre d'un service public de sécurisation de l'emploi et de la formation, une couverture universelle ouvrirait, dès la fin de l'obligation scolaire, droit à des revenus minima et des formations continues progressivement relevées, accompagnées de bilans. Nous nous inscrivons dans la durée, là où le Gouvernement se contente d'une réponse conjoncturelle précipitée à la crise. Protection sociale, retraite, formation professionnelle représentant au moins 10 % du temps travaillé : voilà des propositions ambitieuses qui répondraient aux besoins actuels ainsi qu'aux enjeux à venir. (Applaudissements à gauche)

M. Jean-Pierre Plancade.  - Réformer la formation professionnelle est une absolue nécessité, soulignée dans de nombreux rapports et confirmée par les auditions que nous avons menées. 27 milliards d'euros dépensés chaque année dans des conditions peu transparentes ; 40 000 organismes agréés ou non ; une collecte de fonds effectuée par une centaine d'organismes différents ; un professionnalisme insuffisant ; des lobbies puissants : je vous félicite, monsieur le ministre, d'avoir eu le courage de vous y attaquer mais tout n'est pas dit !

La contractualisation, l'évaluation systématique, la labellisation sont les piliers d'une indispensable réforme. Depuis les accords de 1970 Chaban-Delors et la loi de 1971 qui a suivi, nous avons superposé des mesures spécifiques, faisant perdre toute lisibilité globale à la politique de formation professionnelle.

Il est vrai que l'on considère depuis 1945 dans ce pays que ce qui est social est vertueux et ne doit donc pas être contrôlé. Hélas ! La gestion du social n'est pas toujours vertueuse.

Avant de poursuivre ma réflexion, je souligne que toute réforme législative sera insuffisante tant que notre système éducatif et professionnel restera cloisonné, tant que la dictature du diplôme dévalorisera le savoir-faire non scolaire, tant que l'on ne cessera pas d'opposer les études au travail. (M. le rapporteur approuve chaudement) Je ne méconnais pas l'importance des études ni la capacité de notre système scolaire à produire des « chevaux de race », (sourires) mais son hyper sélectivité exclut bien trop de personnes, qui éprouvent les pires difficultés à s'insérer sur le marché du travail. L'hyper sélectivité ne valorise pas suffisamment les intelligences non scolaires : elle entrave ce qui se serait épanoui dans un autre contexte.

M. Jean-Claude Carle, rapporteur.  - Excellent !

M. Jean-Pierre Plancade.  - Le constat est accablant, car tous doivent avoir enfin réellement leurs chances, grâce à la reconnaissance des compétences acquises au travail. Il faut donc sortir du taylorisme, qui cantonne l'homme à une fonction particulière. Une véritable révolution managériale est aujourd'hui nécessaire !

Malgré son importance, la réforme d'aujourd'hui ne peut être qu'une étape, puisque ce projet de loi n'aborde pas suffisamment la gestion des compétences acquises dans le cadre professionnel. L'avenir de la formation professionnelle et l'épanouissement individuel au travail sont en jeu.

Le texte comporte des avancées, mais sans être à la hauteur des bouleversements en cours ni des mutations profondes qui attendent les entreprises, les salariés et les dirigeants.

Un mal-être grave agite le monde de l'entreprise, notamment ses cadres. A ce propos, je suis outré que le PDG d'une entreprise française ait pu évoquer la « mode du suicide », avant de se perdre en excuses fumeuses.

M. Yvon Collin.  - Minable !

M. Jean-Pierre Plancade.  - Si cet homme avait un minimum de dignité, il aurait démissionné !

M. Yvon Collin.  - Très bien !

M. Jean-Pierre Plancade.  - Son manque de respect pour ses collaborateurs est gravissime.

M. Guy Fischer.  -  Très juste !

M. Jean-Pierre Plancade.  - Ce monsieur manque sans doute d'une formation managériale.

Mme Raymonde Le Texier.  - Un robot !

M. Jean-Pierre Plancade.  - Les jeunes éprouvent une peur légitime face à leur insertion dans l'économie, cependant que les seniors sont amers d'avoir très tôt l'impression d'être inutiles. Tout cela met mal à l'aise et me fait penser que la formation professionnelle initiale et continue doit être entièrement revue, de même que l'organisation du travail.

Il faut proposer une ambition claire à tout citoyen de notre pays, afin qu'il puisse gérer son parcours professionnel. Nous devons l'accompagner, sans décider à sa place.

Monsieur le ministre, qui peut expliquer notre système de formation professionnelle ? Personne ! Il est devenu l'affaire d'experts parfois plus au service des dispositifs que de la formation...

Comment se fait-il que la France soit à la fois le pays où les études sont les plus longues et celui où les jeunes ont le plus de mal à trouver du travail, celui où leur taux de chômage est systématiquement le double de celui de la population active ? Alors que notre pays a la particularité formidable d'imposer le financement de la formation professionnelle, pourquoi occupe-t-il une place moyenne au sein de l'OCDE pour les dépenses de formation par salarié ? Parce que l'obligation de payer ne s'accompagne pas d'une obligation de former.

Par ailleurs, comment ne pas être perplexe face à un système qui bénéficie principalement aux grandes entreprises et aux salariés les plus qualifiés, alors que la lutte contre les inégalités constituait un de ses objectifs dès 1971 ? Comment ne pas s'interroger devant le paradoxe de salariés peu qualifiés n'ayant qu'une faible appétence pour la formation, pourtant gage de leur employabilité ?

La formation professionnelle a fait l'objet de plusieurs rapports. Je pense notamment à celui présenté par M. Seillier au nom de la mission d'information présidée par M. Carle, ainsi qu'aux rapports de la Cour des comptes. Tous insistent sur les limites d'un système complexe et inefficace. On parle même d'une dérive coûteuse.

Pensez-vous que plus de vingt personnes en France soient à même de présenter clairement et de justifier ce dispositif ? Nous voudrions que chaque chef d'entreprise et chaque salarié utilise les instruments à sa disposition pour construire une stratégie d'entreprise assurant la compétitivité de tous et l'employabilité de chacun !

J'espère que cette loi marquera la fin d'une trop longue série de textes, afin que le prochain permette de satisfaire aux besoins du XXIe siècle, car ce projet de loi reste insuffisant face aux mutations considérables qui attendent nos sociétés.

Nous aurions voulu que les entreprises puissent conduire -avec l'accord des partenaires sociaux- des expérimentations hors du cadre légal, mais régulièrement évaluées. Nous aurions souhaité que chaque personne soit appréhendée sur une longue durée, de l'école à la retraite. Nous aurions aimé que la défense des systèmes existants n'empêche pas les innovations et ne décourage pas les volontaires.

Trop nombreux sont les salariés qui finissent par se décourager d'épuisement, alors qu'il existe ponctuellement des lieux où les modes d'organisation permettent à chacun de développer son potentiel, bien mieux qu'une action de formation ne pourrait le faire.

Peu à peu, le diplôme a pris le pas sur le métier, ce qui nous empêche d'utiliser bien des talents et des compétences.

Les expérimentations d'entreprise, que je souhaite, devraient permettre de sortir du cadre réglementaire actuel, mais les forces en présence empêchent d'innover en toute sérénité : le système éducatif a ses résistances ; les partenaires sociaux sont réservés ; les pouvoirs publics sont pris dans le jeu contradictoire des groupes de pressions.

Démunis face à la complexité de la situation, les chefs d'entreprise finissent par reléguer le facteur humain au second rang, alors qu'il constitue un atout majeur pour l'avenir.

Avant de conclure, je voudrais rêver un peu... rêver à un pays où chaque salarié aurait conscience de son propre capital humain et de sa responsabilité à la faire fructifier pour le bien-être de tous ;...

M. Jean Desessard.  - Vous êtes un idéaliste !

M. Jean-Claude Carle, rapporteur.  - Il en faut !

M. Jean-Pierre Plancade.  - ...rêver à un pays où chaque cadre aurait conscience de jouer un rôle fondamental pour les capacités de chacun ; rêver à un pays où l'on recentrerait l'école sur l'acquisition des fondamentaux et non sur la course à la professionnalisation, une course perdue d'avance face à la rapidité des mutations dans les entreprises ; rêver à un pays où dès la sortie de l'école on créerait pour chaque personne un compte épargne individuel de développement des compétences, dont l'utilisation serait négociée avec son employeur. Je voudrais enfin rêver que chacun se sente responsable de la performance de son pays, car c'est le gage du modèle social et du niveau de vie auquel nous tenons.

Une seule condition pour que cela devienne réalité : une hausse rapide de la qualification de chacun et la mobilisation de tous pour y parvenir. Le système actuel y prépare-t-il ? Comme vous le pensez, je n'en suis pas certain.

Un enfant qui entre cette année à l'école primaire ne travaillera pas avant 2029. Qu'en sera-t-il du monde professionnel à ce moment ? Un jeune qui entre aujourd'hui dans le monde du travail sera encore actif en 2050. Que vaudra son diplôme ?

Nous devons assumer nos responsabilités, mais le dispositif actuel n'est plus à la hauteur des enjeux. C'est pourquoi je serai très attentif à l'évolution de ce texte devant le Sénat, car les nombreuses avancées et qu'il comporte ne suffisent pas à jeter les bases de la grande réforme dont nous avons besoin. Il ne traduit pas les ambitions affichées par le Gouvernement et n'établit pas de continuum entre l'école et la formation professionnelle.

Lors des auditions de la commission spéciale, j'ai interrogé chacune des organisations professionnelles.

Je leur ai demandé si le texte leur semblait marquer une avancée, tous m'ont répondu que oui, malgré certaines réserves. C'est en ayant tout cela à l'esprit que le RDSE suivra le débat à l'issue duquel il arrêtera son vote.

Je félicite enfin la présidente et le rapporteur de la commission spéciale, ainsi que tous ses membres pour la conscience professionnelle dont ils ont fait preuve. Nos choix diffèrent, mais nous portons tous le même diagnostic. (Applaudissements au centre ainsi que sur plusieurs bancs du groupe socialiste)

Mme Christiane Demontès.  - La formation professionnelle est un sujet ô combien important dans une société où chaque individu doit changer plusieurs fois d'emploi ou de métier : la mobilité professionnelle se conjugue alors avec la formation et la sécurisation des parcours professionnels. Celle-là apparaît décisive parce qu'elle conditionne la qualité de l'emploi des salariés ainsi que la compétitivité des entreprises. Elle participe ainsi à la dynamique de progrès et de justice sociale. Or notre système de formation est complexe, cloisonné et inégalitaire : il favorise les plus qualifiés et pénalise ceux qui travaillent dans les plus petites entreprises. Aux 150 000 jeunes qui sortent chaque année sans diplôme de l'école, il faut ajouter les 80 000 qui engagent sans succès des études supérieures.

Votre texte permet-il de régler des problèmes et de réformer un secteur stratégique dont l'opacité nuit à l'efficacité ?

Votre méthode n'est pas acceptable. La procédure accélérée n'a pas permis de lever certaines ambiguïtés, de combler les manques. Nos conditions de travail n'ont pas été propices et les sénateurs socialistes, très présents lors des auditions, ressentent un goût d'inachevé. Les contraintes ont été telles que le souhait du rapporteur et de la présidente de la commission spéciale que le texte ne vienne qu'après la session extraordinaire, n'a pas été entendu, malgré notre aide.

Mme Catherine Procaccia, président de la commission spéciale.  - Tout à fait.

Mme Christiane Demontès.  - Le texte adopté par l'Assemblée nationale en juillet dernier conserve l'architecture du projet initial : d'une part il transpose l'accord national interprofessionnel, d'autre part il comporte des mesures gouvernementales. Le premier a été signé par l'ensemble des partenaires sociaux et, ce qui constitue une grande première, la formation des demandeurs d'emploi est prise en compte. La portabilité du droit à formation professionnelle pendant deux ans participe à la sécurisation des parcours professionnels. Le bilan professionnel peut devenir positif, ainsi que l'extension des contrats de professionnalisation et autres contrats aidés. De même, la réduction du nombre des OPCA peut aller dans le bon sens. Faisons confiance aux partenaires sociaux.

Hélas !, le texte oublie de transposer la formation initiale différée, si importante pour une société de la connaissance. Ce sont en effet les moins qualifiés qui ont le plus de difficultés à trouver un emploi ou qui ont le plus de difficultés à en retrouver un après un licenciement. Pourquoi cette omission ? En raison des coûts ! Mais quel est le coût des 200 000 jeunes qui sortent chaque année sans formation du système scolaire en dépit de la loi d'orientation de 2004 ?

Au-delà, l'absence de la formation professionnelle initiale est dommageable. Tout se passe comme si la formation tout au long de la vie ne commençait qu'après l'école, ce qui laisse de côté l'échec scolaire et l'incapacité de l'école à offrir un socle commun de connaissances suffisant pour s'engager dans la vie professionnelle. Certes, l'article 2 vise à articuler socle commun et compétences favorisant l'évolution professionnelle ; reste que cette disposition n'a que valeur déclarative.

Rien, ou presque, sur l'apprentissage pourtant si efficace et dont la réglementation mériterait une simplification. Nous avons déposé un amendement de clarification mais tous ceux de la commission ne nous conviennent pas.

Rien sur la formation professionnelle sous statut scolaire, qui ne concerne guère que les deux tiers des jeunes formés... L'image de cette filière ne les incite pas à s'y engager et le bac pro en trois ans en laissera de nombreux au bord du chemin.

L'absence de lien entre formation initiale et continue est dommageable parce que la continuité de la formation contribue à la lutte contre l'échec scolaire.

Rien, non plus, sur la réforme du DIF et du CIF, dont la Cour des comptes diagnostique pourtant la « contribution très incomplète à la correction des inégalités et à la sécurisation des parcours ». Certes, la commission spéciale a apporté des améliorations, mais on ne va pas au bout du problème.

L'orientation est à peine effleurée. Le Livre vert de Martin Hirsch formulait pourtant des propositions concrètes pour un service public de l'orientation territoriale -M. Jeannerot y reviendra.

Le sigle du Fonds paritaire de sécurisation des parcours professionnels est moins facile à prononcer que celui de son prédécesseur... (Sourires) L'idée de recentrer les actions était intéressante, car un système simple pourrait financer rapidement une offre de qualification adaptée. Peine perdue !, vous nous proposez une usine à gaz. Quelle sera son efficacité ? Quelle sera l'affectation des 900 millions ? Serviront-ils à renflouer les caisses de l'État ?

Mme Raymonde Le Texier.  - Quel mauvais esprit...

Mme Christiane Demontès.  - L'article 9 pourrait bien être plus intéressé qu'intéressant !

Le plan régional marque un recul évident par rapport aux lois de 1993, 2002 et 2004 qui avaient permis l'essor d'un outil pertinent et adapté. Les régions avaient accumulé savoir-faire et expertise. Or le Gouvernement est revenu sur cet acquis de la décentralisation. Il est d'autant plus contestable de toucher ainsi à une compétence importante des conseils régionaux que les partenaires sociaux n'étaient pas demandeurs. L'architecture ancienne était adaptée alors que la nouvelle va alourdir le système. Enfin, tous les acteurs se rencontrent pendant l'élaboration d'un plan régional.

Dès lors, pourquoi vouloir ajouter une, voire deux signatures, lesquelles prennent l'allure d'une mise sous tutelle qui n'oserait dire son nom ? L'amendement du rapporteur améliore un peu l'esprit et la lettre de cet article 20 mais la logique prédominante est la reprise en main par l'État, et nous nous y opposons fermement.

Au lieu d'instituer une gouvernance éclatée, il aurait été plus constructif de ne pas rajouter l'État aux acteurs existants. L'expérience nous prouve qu'avec les cogouvernances, soit on dérive vers une opacité encore plus grande, soit l'État reprend la main seul. Cette disposition tourne le dos à une multitude de rapports de la majorité dont ceux de MM. Balladur et Lambert qui proposaient de faire de la région le pilote unique de la formation professionnelle.

Au lieu de vanter l'investissement de millions d'euros, que vous n'avez pas, vous auriez dû faire preuve de volontarisme et doter notre pays d'un système de formation tout entier tourné vers l'innovation, le savoir et la connaissance, et où les partenaires sociaux et les collectivités territoriales auraient joué tout leur rôle. Ce texte est une occasion ratée. La réforme de la formation professionnelle devait être le chantier prioritaire du quinquennat avait annoncé le Président de la République. Une fois encore, entre les discours et les actes, le fossé est immense et la montagne a accouché d'une souris. (Applaudissements à gauche)

Mme Brigitte Gonthier-Maurin.  - (Applaudissements à gauche) Je voudrais pour ma part exprimer un profond regret, d'ailleurs partagé par nombre des intervenants auditionnés. Regret que ce projet de loi n'ait pas fait le lien entre formation initiale et formation continue. Dès lors, comment prétendre mettre en place un véritable droit à la formation tout au long de la vie ? Comment rendre cette formation efficace, sans, simultanément, l'articuler avec une orientation et une formation dès le début du parcours ?

L'accord national interprofessionnel (ANI), issu des négociations entre partenaires sociaux et signé en janvier dernier, est un important compromis social mais il ne constitue pas, pour autant, un horizon indépassable et notre rôle de parlementaire est de l'enrichir. Il aurait fallu élargir davantage nos auditions et réfléchir à la construction d'un système cohérent et complémentaire avec tous les acteurs de la formation, initiale et continue. Notre rapporteur a bien tenté d'y remédier, mais par le seul développement de l'apprentissage. Nous avons eu trop peu d'occasions, depuis deux ans, de confronter nos conceptions de la formation initiale, alors que les réformes de l'école et de l'université qui sont légions, ne font pas consensus. Pourtant, un chiffre, au moins, aurait dû nous obliger à cette réflexion : celui des 150 000 jeunes qui sortent du système scolaire sans diplôme ni qualification. L'article premier de ce projet de loi définit la formation professionnelle tout au long de la vie et fixe l'objectif « de progresser d'au moins un niveau de qualification au cours de sa vie ». C'est mieux que la version initiale du texte mais cela manque d'ambition. Nous proposons que cet article fasse mention des personnes sorties du système scolaire sans diplôme ni qualification professionnelle et qui sont les plus éloignées de la formation alors qu'elles en auraient le plus besoin. Le droit à la formation initiale différée avait toute sa place dans ce texte. L'ANI, dans son article 16, en prévoyait une première ébauche pour les salariés. Il ne s'agit pas là de renoncer à l'ambition du plus haut niveau de formation initiale pour tous, mais de donner une deuxième chance, que l'État doit garantir et où l'éducation nationale doit prendre toute sa place. C'est le contraire du renoncement et du désengagement de l'État et c'est pourquoi l'idée d'un droit à la formation initiale différé paraît plus positive que l'extension des écoles de la deuxième chance.

Mme Raymonde Le Texier.  - Évidemment !

Mme Brigitte Gonthier-Maurin.  - La formation professionnelle doit se concevoir sur la base d'une formation initiale solide, être en lien avec le lycée et l'université, et s'appuyer sur une éducation nationale à la hauteur des ambitions d'une grande Nation. A ce propos, la généralisation du baccalauréat professionnel en trois ans est une erreur, l'expérimentation ayant montré que près de 50 % des lycéens ne parvenaient pas jusqu'au diplôme et sortaient alors sans aucune qualification. Loin de revaloriser cette filière qui scolarise un jeune sur trois, cette décision l'appauvrira au contraire.

Le texte issu de notre commission spéciale fait une large place à l'apprentissage, qui pourrait être une réelle voie d'insertion pour les jeunes au lieu d'être une orientation par l'échec. Car la formation est indissociable de l'orientation, sujet sur lequel le projet de loi, dans sa version initiale, était muet. Les avancées adoptées par la commission spéciale méritent d'être soulignées. Ainsi, le droit pour toute personne à être « informée, conseillée et accompagnée en matière d'orientation professionnelle » est désormais inscrit au sein du chapitre du code du travail consacré aux « objectifs et contenus de la formation professionnelle ». C'est un symbole fort mais la loi doit aussi se donner les moyens de le concrétiser. Et elle marque, là, une nouvelle défaillance. Nous défendrons à nouveau la création d'un grand service public de l'orientation tout au long de la vie qui posera, bien sûr, la question des conseillers d'orientation dont le Gouvernement organise la disparition. L'orientation doit devenir la préoccupation principale du système éducatif, tant initial que continu. Sinon comment sortir de la spirale destructrice de l'orientation par l'échec, qui ajoute aux inégalités sociales les inégalités scolaires.

La formation initiale doit transmettre les outils intellectuels permettant de comprendre le monde. C'est l'inverse du socle commun des compétences, socle minimaliste qui donne le minimum à tous et réserve le supplément à quelques-uns. A titre d'exemple, les enseignements artistiques sont progressivement diminués, notamment dans l'enseignement professionnel où le nombre d'heures a été divisé par deux.

Entre 1975 et 2005, deux fois plus de salariés ont bénéficié d'une formation payée par l'employeur mais, dans la même période, la durée moyenne des formations a été divisée par deux, ainsi que le pourcentage de ces formations sanctionnées par un diplôme ou une qualification reconnue donnant lieu à augmentation salariale. C'est cette vision utilitariste de la formation, tant initiale que continue, qu'il faut stopper. (Applaudissements à gauche)

Mme Isabelle Debré.  - Dans un monde ouvert aux échanges, la compétitivité d'un pays repose en grande partie sur la qualification de sa population. Aujourd'hui, la formation professionnelle ne conditionne pas seulement l'accès à l'emploi mais aussi la possibilité de s'y maintenir. C'est donc l'instrument majeur de la sécurisation des parcours professionnels. Après son élection, le Président de la République avait déclaré son intention de revoir notre système de formation « parce que c'est un droit à la seconde chance, un modèle de société où, à tout moment, on peut remonter dans l'ascenseur social ». C'est une chance pour celui qui souhaite évoluer dans son emploi, et un atout pour celui qui doit en trouver un autre. Car plus personne ne peut être assuré qu'il passera toute sa vie dans la même entreprise, qu'il fera le même métier et qu'il n'y aura pas de rupture dans sa vie professionnelle. Il s'agit désormais d'un véritable parcours.

Or, alors que la France y consacre chaque année 27 milliards, notre système de formation n'a plus l'efficacité souhaitée. J'ai participé en 2007 à une mission d'information présidée par notre collègue Jean-Claude Carle dont le rapport a dénoncé les trois C : « complexité, cloisonnement et corporatisme » de notre système de formation professionnelle. Et son plus grave défaut est sans doute d'être fortement inégalitaire. Un ouvrier sur sept bénéficie d'une formation contre un cadre sur deux. Quant aux salariés des PME et à leurs entreprises, ils financent la formation professionnelle sans en bénéficier. Un employé d'une entreprise de moins de dix salariés a cinq fois moins de probabilités de se former que celui d'une entreprise de plus de 500. Et 75 % des demandes de formation des chômeurs n'aboutissent pas, alors que la formation professionnelle est une des clés du retour à l'emploi.

La réforme est cependant difficile car notre dispositif de formation est complexe et compartimenté. La qualité du dialogue social engagé par l'État est un gage de réussite de la réforme et l'accord conclu entre les partenaires sociaux le 7 janvier dernier a été adopté à l'unanimité. Cette réforme doit donc nous rassembler, au-delà de nos clivages politiques.

Je me réjouis des principales orientations de ce projet de loi, et d'abord de la création du Fonds de sécurisation des parcours professionnels, qui a vocation à financer la formation des demandeurs d'emploi. Ce fonds permettra la formation de 500 000 salariés peu qualifiés et de 200 000 demandeurs d'emploi supplémentaires. Il collectera 900 millions par an.

Je me réjouis également de la réorientation de la formation professionnelle vers les petites et moyennes entreprises. Les sommes que versent les entreprises de moins de 50 salariés au titre de la formation seront sanctuarisées. Chaque année, 1,2 milliard du plan de formation sera réservé à la formation dans ces entreprises.

Enfin je souligne l'importance de la réforme du statut des organismes paritaires collecteurs agréés, dont il faut réduire le nombre et mieux contrôler l'action. La diminution de leur nombre permettra de simplifier la mécanique financière d'une complexité effarante qui régit actuellement la collecte des fonds, Chaque année, les frais de fonctionnement des OPCA représentent 9,9 % de la collecte, soit 600 millions. La commission spéciale a instauré l'obligation de conclure une convention d'objectifs et de moyens entre chaque OPCA et l'État. La part prélevée pour les frais de gestion sera conditionnée à un véritable exercice de programmation et d'évaluation des performances. Il s'agit de tenir compte de la situation particulière de chacun afin de lui garantir les moyens nécessaires tout en maîtrisant mieux les dépenses.

Il était important d'élargir le débat à l'orientation, comme l'ont fait les députés. La mise en place d'un système de labellisation des organismes d'information et d'orientation est pertinente. La France en compte plus de 8 500 ; difficile de s'y retrouver ! Les organismes devront offrir leurs services à toute personne intéressée et pas seulement à ceux qui s'engagent dans la vie active. On pourra ainsi toucher les lycéens et les étudiants, et faire un lien entre formation initiale et formation continue.

Nous avons également pris en considération certaines mesures proposées par le Livre vert de Martin Hirsch. C'est ainsi que la commission a adopté un amendement rendant possible l'expérimentation d'un livret de compétences : dans les établissements d'enseignement volontaires, chaque élève disposera pendant trois ans d'un livret de compétences mentionnant ses connaissances, ses liens avec des activités associatives, sportives ou culturelles, ses expériences du monde professionnel. Ce livret sera pris en compte au moment de l'orientation et pourra suivre la personne dans la vie active.

L'école devrait développer des liens plus étroits avec le monde de l'entreprise, afin d'apporter aux élèves un éclairage sur les multiples filières d'activité et sur leurs métiers. Mais il s'agit d'un autre débat...

Je tiens enfin à souligner la qualité du travail de notre rapporteur, qui maîtrise le sujet de longue date. Grâce à la présidence de Mme Procaccia, nous avons réussi à créer un espace de réflexion parlementaire qui a permis d'améliorer le projet de loi tout en respectant l'esprit de l'accord national interprofessionnel. Ce texte, que notre groupe votera avec enthousiasme, représente une étape importante vers plus de transparence, plus d'efficacité, plus de justice. (Applaudissements à droite et au centre)

M. Claude Jeannerot - (Applaudissements sur les bancs socialistes) Nous voici réunis pour débattre d'un texte annoncé de longue date et qui devait être, selon le Président de la République, l'un des plus importants de la législature. Cette réforme est effectivement nécessaire, chacun en convient, et nous étions prêts à y travailler avec vous. Ce projet de loi comporte d'abord des avancées ; nous lui reprochons surtout de ne pas être à la hauteur.

Il transpose en matière législative l'accord national interprofessionnel du 9 janvier 2009 et permet ainsi des avancées majeures. Il renforce le droit individuel à la formation : à l'avenir, l'accès à la formation devrait prendre en compte de plus en plus la dimension des parcours individualisés, avec des droits et un suivi individuels. Sa portabilité est facilitée en cas de rupture du contrat de travail : grâce à une intervention des fonds mutualisés, un reliquat de droit non utilisé pourra être mobilisé, non seulement pour la période de chômage, mais encore dans les deux premières années suivant une nouvelle embauche. En facilitant la requalification des travailleurs les plus fragiles et les plus exposés au risque de chômage, cette mesure contribue effectivement à faire de la formation professionnelle un instrument de sécurisation des parcours.

Le Fonds de sécurisation des parcours professionnels stipulé dans l'accord du 7 janvier 2009 et repris dans la loi doit permettre aux demandeurs d'emplois d'acquérir une formation ou de se requalifier en dynamisant la période de chômage.

Ce texte comporte d'autres avancées sans doute mais il n'est pas pour autant le grand rendez-vous attendu de la formation, laquelle aurait mérité de figurer parmi les « grands chantiers » du Gouvernement face à la crise. Pour rendre ces ambitions effectives, il aurait d'abord fallu engager une simplification radicale d'un système caractérisé par un empilement de dispositifs faisant appel à des autorités différentes tant pour le financement que pour l'exécution. Les dizaines d'observateurs que nous avons auditionnés ne voient chacun que ce qui les concerne directement, et personne ne parvient à avoir une vue d'ensemble. Son illisibilité est un des obstacles majeurs à l'efficience du système.

La deuxième nécessité était d'en renforcer l'ancrage territorial. Vous engagez une recentralisation quand il fallait favoriser une complémentarité active entre les logiques de branche et les nécessités territoriales, pour laquelle les présidents de région étaient les responsables naturels.

Il fallait aussi affirmer un vrai droit à l'orientation, préalable à une formation efficace. Là-dessus, des enseignements essentiels sont à trouver dans le Livre vert de M. Hirsch.

Mme Christiane Demontès.  - Exactement.

M. Claude Jeannerot.  - Non seulement l'orientation n'apparaît guère dans ce projet de loi, mais vous décidez de transférer à Pôle emploi la plupart des psychologues de l'Afpa. Vous dites que c'est pour distinguer les fonctions d'orientation et de formation, afin que le même organisme ne soit pas juge et partie.

L'argument n'est guère convaincant. Au nom d'un droit un peu « gazeux », vous oubliez le rôle décisif des psychologues du travail de l'Afpa. (Mme Gisèle Printz applaudit) Ils ne se contentent pas d'orienter les publics vers la formation, leur technicité et leur professionnalisme leur permettent surtout de garantir le succès de leur parcours aux bénéficiaires de cette deuxième chance qu'est la formation. C'est essentiel aussi pour une bonne utilisation des deniers publics. Les résultats de l'Afpa attestent de son efficacité : sept stagiaires sur dix accèdent à un emploi dans les six mois suivant la formation.

M. Guy Fischer.  - Voilà la vérité !

M. Claude Jeannerot.  - Plus de quatre cinquièmes d'entre eux valident leur formation en obtenant un titre professionnel reconnu sur le marché du travail.

M. Guy Fischer.  - Voilà la vérité !

M. Claude Jeannerot.  - Ces performances ne pourraient être atteintes sans le travail des services d'orientation. Reconnaissez que Pôle emploi n'est pas pour l'instant en état d'apporter de telles garanties de réussite. (On approuve à gauche) Le directeur général de Pôle emploi et celui de l'Afpa vous ont d'ailleurs remis une note dans laquelle ils relèvent que le texte « fait courir à l'Afpa un risque global ». Est-il raisonnable dans la période actuelle de créer des dysfonctionnements supplémentaires ? Ne faut-il pas éviter toute décision précipitée ? Vous avez au Puy un centre Afpa à recrutement national ; il n'est pas certain qu'avec votre texte il puisse encore demain accueillir des stagiaires venus d'ailleurs...

Je vous demande au moins un moratoire. Ce serait la sagesse, une sagesse active. Lorsque vous aurez construit une vision de l'orientation tout au long de la vie, lorsqu'auront été déterminées les conditions de la coordination des différents réseaux, lorsque les régions auront été en mesure d'assumer leurs responsabilités, lorsqu'enfin Pôle emploi sera stabilisé, alors vous pourrez prendre une décision complètement éclairée. Toutes les organisations syndicales de l'Afpa sont hostiles au transfert ; réaction naturelle, me direz-vous. Vous devriez cependant être troublé par l'opposition de l'ensemble des confédérations, qui n'en comprennent ni les attendus, ni les objectifs, et par celle du Medef... Tous craignent que l'Afpa ne soit plus en mesure de fonctionner correctement.

L'Afpa a 60 ans ; vous lui offrez un bien curieux cadeau d'anniversaire. (On approuve à gauche)

M. Guy Fischer.  - On l'assassine !

M. Claude Jeannerot.  - Son nom est attaché à l'histoire sociale de la France, elle est une composante du service public de l'emploi. Personne ne comprend pourquoi le Gouvernement a l'Afpa honteuse.

La formation est un moteur du développement économique, un facteur de promotion personnelle et collective, une source de cohésion sociale. Même si ce texte peut laisser espérer des petits pas dans ces directions, il n'est pas à la hauteur. La raison en est l'urgence avec laquelle le Gouvernement souhaite expédier la réforme. J'aurais aimé que nous puissions collectivement organiser une sorte de Grenelle de la formation professionnelle, aller aussi vers davantage de simplification, de mobilisation de tous les acteurs dans toutes les régions. Le rapporteur a fait un travail remarquable ; mais si nous avions pu tenir des assises régionales de l'apprentissage, ses propositions auraient pu être mises à l'épreuve de la confrontation et certainement enrichies. Je regrette que le rendez-vous soit manqué. (Applaudissements à gauche)

Mme Gélita Hoarau.  - La durée et parfois la violence des événements qui ont secoué les départements d'outre-mer ont révélé l'ampleur du malaise qui affecte notre économie, les classes les plus défavorisées et -c'est plus récent- les classes moyennes. Aujourd'hui, le constat est unanimement partagé de la gravité de la crise et de l'inefficacité des réponses qu'on lui a apportées jusqu'à présent.

La crise est grave. Le chômage ne cesse de croître, d'autant que s'achève une série de grands travaux et que, du fait d'obstacles juridiques volontairement accumulés, le relais ne peut être pris par d'autres chantiers pourtant entièrement financés. Plus de la moitié des Réunionnais vivent avec des revenus inférieurs à 817 euros mensuels, le seuil de pauvreté en métropole ; 30 000 demandes de logements restent insatisfaites alors que les mises en chantier s'effondrent. Au cours des huit premiers mois de 2009, la Chambre des métiers a recensé la liquidation de 900 entreprises, dont 350 dans le secteur du BTP. Le nombre d'illettrés, estimé à 120 000, ne décroît pas.

Les réponses mises en oeuvre jusqu'à présent ont atteint leurs limites. Tous les acteurs de la vie politique, économique et sociale en conviennent désormais : il faut changer de politique. Le Président de la République en a lui aussi convenu, qui a proposé la tenue d'états généraux pour l'outre-mer. Nous nous y sommes pleinement investis et avons participé aux huit ateliers. Région et département ont adopté des propositions conjointes.

De ces contributions se dégagent quelques grandes orientations. Il faut d'abord agir immédiatement pour l'emploi avec la création de deux grands services d'intérêt public, l'un pour faire face aux risques environnementaux et sauvegarder la biodiversité, l'autre d'aide à la personne en direction des personnes âgées et handicapées, ainsi que de la petite enfance. Il faut aussi un plan d'urgence de construction de logements.

Il importe en deuxième lieu de se mettre en capacité de relever les grands défis du monde tels qu'ils se posent dans notre île, les changements climatiques et leurs conséquences, la crise énergétique, la crise alimentaire, la globalisation des échanges commerciaux, la progression démographique, la crise économique et financière. Nous devons inventer un type de développement réellement durable, créateur de richesses et d'emplois respectant notre environnement et notre identité culturelle. C'est pourquoi notre projet vise notamment l'autonomie énergétique à l'horizon 2025, l'autosuffisance et la sécurité alimentaire en coopération avec nos voisins, une politique de grands travaux pour le logement, les déplacements et l'aménagement du territoire, un projet identitaire unificateur : la Maison des civilisations et de l'unité réunionnaise. Nous nous orientons résolument vers ce qu'on appelle l'économie de la connaissance dans les domaines des énergies renouvelables, de la santé, de la formation ou du numérique, qui doivent devenir des pôles d'excellence. Telles sont nos priorités pour faire face à la crise et aux accords de partenariat économique que l'Union européenne est en train de négocier avec les pays ACP voisins.

Ces orientations exigent enfin que soit mise en place une politique de formation innovante, qui passe par une importante amélioration du système éducatif, afin de l'adapter aux exigences du développement durable. En ce qui concerne la formation professionnelle -j'espère que le nouveau fonds paritaire permettra de dégager davantage de moyens- les compétences de l'État au travers de Pôle emploi et celles de la région doivent être mieux coordonnées, et même synchronisées. Il faut une structure qui permette une gestion prévisionnelle de la formation professionnelle et qui prenne pleinement en compte les besoins des nouveaux projets. Or chacun s'inquiète pour la survie d'un organisme de formation financé principalement par la région, l'Association pour la formation professionnelle des adultes à la Réunion. A la lecture de l'article 19, certains prédisent même sa disparition, ce qui serait inacceptable. Affaiblir un des partenaires serait hypothéquer gravement l'avenir. C'est pourquoi, monsieur le ministre, je vous demande, avec d'autres, de retirer l'article 19 du projet de loi. (Applaudissements à gauche)

M. Christian Demuynck.  - La formation professionnelle est un outil essentiel de lutte contre le chômage et une nécessité en période de crise. Offrant aux salariés qui ont perdu leur emploi une reconversion dans les secteurs qui recrutent, elle garantit l'employabilité de ceux qui ont un travail en leur permettant de faire évoluer leurs compétences.

Ce projet de loi a deux objectifs ambitieux : sécuriser les parcours professionnels et améliorer l'efficacité du système de formation. L'Assemblée nationale l'a complété par un nouveau titre IV bis consacré à l'emploi des jeunes. Comme vous le savez, le Sénat a créé le 11 mars 2009 une mission commune d'information chargée de réfléchir à la situation des 16-25 ans, qui sont plus de 8 millions dans notre pays. Voulue par le Président Larcher, cette mission commune, présidée par Mme Le Texier et dont je suis le rapporteur, a observé l'inquiétude de la jeunesse, qui a le sentiment de moins bien vivre que la génération précédente.

Aujourd'hui, les jeunes se heurtent à des problèmes structurels et conjoncturels aigus pour ce qui est de l'orientation, de la formation et de l'insertion professionnelle. La France est l'un des pays développés où les jeunes rencontrent le plus de difficultés à s'insérer dans la vie active : le taux d'emploi des 16-24 ans n'était que de 31,5 % en 2007, contre 37,4 % dans l'Union européenne ; celui des jeunes non qualifiés atteint près de 40 % trois ans après leur sortie du système éducatif. Le taux de chômage des actifs est particulièrement élevé : au quatrième trimestre 2008, il était proche de 21,2 % chez les 15-24 ans, contre 7,4 % chez les 25-54 ans. Dans les quartiers prioritaires de la politique de la ville, le taux de chômage est presque deux fois plus élevé, s'établissant à 42 %, ce qui s'explique à la fois par les problèmes sociaux et par la discrimination à l'embauche.

Les jeunes sont particulièrement touchés par la précarité de l'emploi et doivent patienter en moyenne six à sept ans avant de décrocher un CDI. Ce sont donc les premiers touchés par la montée du chômage. Les diplômés sont confrontés au déclassement, puisqu'ils sont contraints d'accepter des emplois pour lesquels le niveau de qualification requis est inférieur au leur. Ce phénomène touche entre 20 et 30 % d'entre eux, notamment les titulaires des baccalauréats technologiques et professionnels, provoquant découragement et perte d'estime de soi : c'est un véritable gâchis économique et humain.

Il est difficile de séparer la formation professionnelle de la formation continue. Le rapprochement entre l'école et l'entreprise, dont le principe est entériné dans la réglementation, peine à se concrétiser. Il faut insuffler dans le système éducatif et dans le monde professionnel une véritable culture du stage : les parcours de découverte et les stages, qui doivent être généralisés, ne sont efficaces que si les jeunes sont accompagnés par les enseignants et si des séances de préparation sont organisées avec des professionnels. Il faut donc abattre les cloisonnements qui nuisent à l'ensemble du système éducatif, sociologique et économique français. L'immersion professionnelle permet aux jeunes de découvrir le monde de l'entreprise, ses codes et ses règles, et de se confronter à la réalité des métiers. Ils disposent ainsi d'éléments d'appréciation pour réfléchir à leur orientation et acquièrent une expérience qui favorise leur insertion professionnelle future.

Cependant les stages donnent parfois lieu à des abus : il arrive que des stagiaires soient affectés à de véritables postes et ne perçoivent en contrepartie que des indemnités dérisoires. Le stage est alors détourné de sa vocation première et se substitue à un emploi qui devrait être occupé par un jeune diplômé.

M. Jean Desessard.  - Très bien !

M. Christian Demuynck.  - La pétition lancée en septembre 2005 par le collectif « Génération précaire », qui demandait une réforme du statut des stagiaires, a permis aux pouvoirs publics et à l'opinion de prendre conscience de ces dérives. La réglementation a depuis été précisée et une charte a été élaborée, en concertation avec les employeurs et les établissements d'enseignement supérieur. La loi du 31 mars 2006 pour l'égalité des chances a fixé des règles pour encadrer et moraliser les stages. En principe, les stages ne peuvent plus se dérouler que dans le cadre d'un cursus de formation. En pratique, certains jeunes s'inscrivent à l'université dans le seul but d'obtenir une convention de stage. (M. Jean Desessard et Mme Raymonde Le Texier le confirment) Ainsi, il n'est pas rare que de jeunes diplômés soient contraints à la fin de leurs études d'enchaîner stage après stage alors qu'ils possèdent déjà les qualifications correspondant aux tâches qui leur sont confiées et sont prêts à entrer dans la vie professionnelle.

Forte de ce constat, la mission d'information sur la politique en faveur des jeunes a proposé d'inscrire clairement dans la loi l'interdiction des stages hors cursus. Je me réjouis que la commission ait approuvé, entre autres mesures, l'abaissement de trois à deux mois du délai au terme duquel l'entreprise est tenue d'accorder une gratification à l'étudiant stagiaire : car alors le stage ne constitue plus une séquence d'observation ou de familiarisation avec l'entreprise, pendant laquelle l'absence de rémunération se justifie par la faible productivité de l'étudiant, mais bel et bien une phase d'activité et de production.

Compte tenu de l'apport des stages à la formation des jeunes, la mission sénatoriale a proposé de les rendre obligatoires pour toutes les formations de l'enseignement supérieur. L'obtention de la licence serait désormais subordonnée à l'accomplissement de deux stages d'une durée d'au moins un mois. Mais même dans le contexte actuel, je ne pense pas qu'il soit juste de dire qu'il vaut mieux pour un jeune obtenir un stage, même en dehors de tout cursus, plutôt que rien.

Nous devons être à la hauteur des attentes de nos enfants. Aujourd'hui plus que jamais, la formation professionnelle doit être une réalité pour tous, et notamment pour les jeunes. (Applaudissements à droite et au banc des commissions)

M. Jean Desessard.  - (Applaudissements à gauche) Nous revenons dans cet hémicycle comme nous l'avons quitté : dans la précipitation. Nous nous sommes séparés fin juillet après un débat animé sur le travail du dimanche, où les parlementaires ont dû une fois de plus travailler dans l'urgence. Aujourd'hui, monsieur le ministre, vous nous présentez un projet de loi qui fait l'objet d'une procédure accélérée. Quelle urgence y avait-il à examiner ce texte ? Confondant vitesse et précipitation, le Gouvernement nous soumet des textes fleuves, mal conçus, sans recul ni profondeur, destinés bien souvent à être retoqués par le Conseil constitutionnel ou à n'être pas appliqués par les ministres, comme c'est le cas pour le texte sur les tests ADN.

Le présent projet de loi est l'illustration de cette méthode ou de ce manque de méthode. S'il comporte des éléments positifs, comblant à l'article 6 certains vides juridiques et instaurant la portabilité du droit à la formation individuelle, il est néanmoins entaché de nombreuses imprécisions et incohérences que nous ne manquerons pas de relever.

Le 3 mars dernier, le Président de la République annonçait les grands axes de la réforme, le principal étant la création d'un droit à la formation et à l'orientation -dont, notons-le, les salariés non francophones sont exclus. Un centre d'appels téléphoniques et un portail internet devaient être créés afin d'expliquer les dispositifs, de recenser l'offre de formation et d'orienter les demandeurs vers les interlocuteurs adéquats. Ils n'ont toujours pas vu le jour. Vous me répondrez qu'il suffit d'un décret. Mais si c'est le cas, et si cette réforme est tellement urgente, pourquoi ne pas avoir pris ce décret au cours des six mois écoulés ? (M. Jean-Luc Fichet applaudit)

La grande réforme annoncée se réduit à une réformette, dont les organisations syndicales et patronales n'approuvent pas toutes les facettes. Aux mesures figurant dans l'accord national interprofessionnel du 7 janvier, le Gouvernement a ajouté des dispositions de son cru ; en revanche, il n'a pas repris l'idée d'un droit à la formation différée pour les 150 000 jeunes sortis prématurément et sans diplôme du système éducatif.

Mme Annie David.  - Il n'a repris que ce qui l'arrangeait !

M. Jean Desessard.  - J'en viens à la question de l'apprentissage. Depuis quelques mois le Gouvernement, à l'en croire, a investi massivement dans la formation par apprentissage, afin d'enrayer la montée du chômage et de favoriser l'accès à l'emploi des personnes peu favorisées, notamment des jeunes. Comment ne pas partager un tel objectif ? Mais en réalité, ce sont les grandes entreprises qui tirent leur épingle du jeu. Dans notre esprit, l'apprentissage sert à former des jeunes à des métiers manuels ou techniques. Mais aujourd'hui il concerne aussi bien les jeunes de 16 ans titulaires du brevet des collèges que des personnes à « bac plus 5 » sorties d'écoles d'ingénieur ! Les grands groupes créent ainsi des emplois déguisés afin de s'exonérer de la taxe d'apprentissage, ce qui rend la situation des jeunes arrivant sur le marché du travail encore plus précaire...

M. Christian Cambon.  - Caricature !

Mme Annie David.  - Pas du tout !

M. Jean Desessard.  - Entre 2006 et 2007, selon la Dares, le nombre de jeunes en apprentissage a stagné, tandis que l'apprentissage dans le cadre des études supérieures a progressé de 17 % : ce ne sont donc pas les jeunes les plus défavorisés qui profitent des investissements de l'État, comme vous le prétendez, mais de jeunes diplômés de l'enseignement supérieur ! (Applaudissements à gauche)

M. Jean-Luc Fichet.  - Très bien !

M. Jean Desessard.  - Ce sont les grandes entreprises qui bénéficieront de ces investissements.

L'apprentissage se définit comme « l'acquisition de nouveaux savoirs ou savoir-faire ». La formation a-t-elle pour seul but de répondre aux besoins du marché du travail ? Pour le ministre, la formation professionnelle n'a qu'un objectif : l'emploi. Ce n'est pourtant pas seulement un gain de compétitivité pour les entreprises, mais également un facteur d'émancipation sociale et culturelle, un moyen pour le salarié ou le demandeur d'emploi de s'épanouir. (Applaudissements sur les bancs CRC-SPG ; M. Christian Cambon s'exclame)

Enfin, en tant que Vert, je m'étonne du peu de cas qui est fait de l'écologie dans ce projet de loi. La crise nous oblige à repenser profondément notre mode de vie ; la prochaine révolution industrielle sera une révolution verte, source de nombreux emplois, mais ce texte ne reprend à aucun moment les engagements du Grenelle.

Nous nous proposerons de favoriser les formations liées aux technologies vertes. La France manque d'experts en éco-construction, de techniciens de l'éolien. C'est dans ces secteurs que se trouvent les emplois du futur, or ils peinent à recruter. Il est temps de promouvoir les métiers de demain en favorisant l'accès à ces formations, en développant des formations en adéquation avec l'évolution de nos métiers. Il faut accompagner les travailleurs dans le processus de transformation écologique de l'économie.

Enfin, votre projet de rapprochement entre l'Afpa et le Pôle emploi suscite le mécontentement de nombreux acteurs. L'Afpa joue un rôle de correcteur d'inégalités et d'accompagnateurs des publics fragilisés. Votre projet de fusion des services affaiblira une structure efficace et reconnue. Pas moins de 66 % des stagiaires de l'Afpa sont des demandeurs d'emploi, souvent faiblement qualifiés, et 8 % sont illettrés, or plus de 70 % trouvent un emploi à l'issue du stage. Selon une enquête sur les formations effectuées dans le cadre du congé individuel de formation, 83 % des stagiaires Afpa avaient trouvé un emploi dans les six mois suivants et plus de 48 % s'étaient reconvertis.

Pourquoi amputer un organisme qui fonctionne bien ? Ne pouvez-vous faire des économies ailleurs, par exemple en supprimant le bouclier fiscal ? Nous vous demandons de revenir sur cette mesure qui illustre, une fois de plus, votre objectif de casse du socle social. (Applaudissements à gauche)

La formation professionnelle est au coeur des enjeux d'avenir, de l'emploi, de la capacité d'innovation, de l'épanouissement individuel. Outil indispensable d'égalité des chances, elle participe de l'apprentissage de la citoyenneté.

Malgré quelques points positifs, votre texte n'est pas à la hauteur. Difficile pour les Verts d'approuver un projet inégal, négligeant les plus vulnérables, renforçant le pouvoir centralisateur de l'État et oublieux de la filière verte. La formation professionnelle est une grande idée : cette petite loi, votée en urgence, n'est pas à la hauteur des mutations de notre société. (Applaudissements à gauche)

M. Laurent Wauquiez, secrétaire d'État.  - Je remercie le rapporteur pour son investissement, pour avoir remis la réforme en perspective, pour avoir astucieusement substitué les 3 P aux 3 C. Je salue les avancées apportées par le Sénat, malgré les conditions de travail difficiles, notamment l'évolution du quota hors quotas pour le financement de l'apprentissage. L'apprentissage me tient très à coeur : c'est sa faiblesse qui explique les difficultés d'insertion des jeunes dans l'emploi. Nous voulons franchir un cap, en termes de chiffres et de qualité. Je m'engage à faire avancer les choses en matière de financement.

Effectivement, madame Procaccia, nous avons choisi de faire des choses simples, mais de bon sens. Conditions de révision des examens pour les apprentis, souplesse dans les conditions de fonctionnement de l'apprentissage sont des points positifs.

Monsieur Dubois, nous avons joué un rôle d'accompagnateurs des partenaires sociaux, pris le temps de la démocratie sociale, ce qui a permis d'aboutir à un accord unanime - résultat plutôt positif pour des négociations qui se seraient tenues le pistolet sur la tempe ! S'agissant du PRDF, le compromis trouvé garantit une gouvernance équilibrée, dans un souci d'efficacité. Pour le DIF, nous avons voulu respecter l'esprit de l'accord tout en renforçant les volets portabilité et transférabilité.

Mme David a toujours le souci d'être concrète. Je sais que l'Afpa vous tient à coeur et je partage vos préoccupations, même si nous divergeons dans l'interprétation des conséquences des droits communautaires. Le transfert de son patrimoine pour consolider sa situation n'a pas été facile à obtenir au niveau européen - je suis sûr que vous l'aurez apprécié. Merci enfin d'avoir salué les avancées majeures du texte.

M. Plancade a critiqué le système actuel avec bon sens et lucidité. En matière de formation professionnelle, il faut bien connaître les dispositifs mais éviter de devenir un expert de la tuyauterie ! (M. Alain Gournac approuve) Merci d'avoir souligné les avancées concrètes du texte. Plutôt que rêver du Grand soir, nous avons choisi de faire évoluer le dispositif de la formation professionnelle. J'espère que vous vous y retrouverez au moins partiellement à l'issue du débat.

Madame Demontès, la réforme a été initiée il y a dix-huit mois ; les salariés en percevront les effets en 2010. Je comprends que vous estimiez n'avoir pas eu assez de temps au Sénat et à l'Assemblée nationale - même si vous reconnaissez que votre position n'aurait sans doute pas changé. En fait, nous avons essayé de concilier le respect des partenaires sociaux et du Parlement avec la nécessité d'aboutir dans un délai de deux ans.

M. Jean Desessard.  - Nous avons eu deux semaines !

M. Laurent Wauquiez, secrétaire d'État.  - Sur le terrain, les demandeurs d'emploi, les salariés, les PME attendent !

M. Christian Cambon.  - Très bien !

M. Laurent Wauquiez, secrétaire d'État.  - Il faut sortir de l'immobilisme. Réclamer toujours plus de temps de la concertation sert trop souvent de cache-misère pour des réformes que l'on n'a pas eu le courage de faire ! Sept mois pour le débat parlementaire, un an et demi pour la concertation entre partenaires sociaux, une adoption par l'Assemblée nationale en octobre, des fonds opérationnel début 2010 : c'est un délai acceptable, sauf à ne rien vouloir changer dans notre pays !

Madame Gonthier-Maurin, je crois beaucoup à l'école de la deuxième chance - j'ose espérer que vous aussi ! C'est un dispositif qui fonctionne, en Seine-Saint-Denis ou à Marseille, en conjuguant remise à niveau de base et formation sur mesure. Notre objectif est de tripler le nombre de places ; l'État apportera son soutien financier aux régions.

Le caractère « utilitariste » de la formation professionnelle est une vraie question. La formation professionnelle sert-elle à améliorer la culture générale ou le savoir global ? A mes yeux, elle doit aider le salarié à garder son emploi et à progresser tout au long de sa carrière, tendre la main aux demandeurs d'emploi pour retrouver un emploi. Si c'est une vision utilitariste, je l'assume.

Je remercie Mme Debré pour son intervention particulièrement pertinente, notamment lorsqu'elle a souligné l'insuffisante formation des demandeurs d'emploi. Nous ne pouvons accepter que trois demandeurs d'emploi sur quatre se voient refuser le financement de leur formation professionnelle ! D'où l'impératif d'agir rapidement.

Monsieur Jeannerot, avec tout le respect que m'inspire votre parcours professionnel au sein de l'Afpa, la simplification et la territorialisation de la formation professionnelle sont au rendez-vous. Il y a aussi des progrès en matière d'orientation. Nous aurons un débat sur l'Afpa. Croyez bien que je ne veux pas la démanteler (M. Guy Fischer manifeste son désaccord), mais je ne veux pas être un marchand d'illusions. L'Afpa risque d'être obligée par Bruxelles de rembourser toutes les aides et subventions perçues. Dans ce cas, elle serait coulée ! Je préfère reconnaître ses qualités indépassables et l'aider à répondre aux cahiers des charges, comme l'ont déjà fait bien des régions, dont certaines dirigées par les socialistes. Mieux vaut sortir par le haut que d'attendre passivement le couperet.

M. Jean Desessard.  - C'est de la fumée !

M. Laurent Wauquiez, secrétaire d'État.  - Madame Hoarau, vous avez évoqué à juste titre la situation douloureuse de la formation professionnelle outre-mer. Nous aurons sans doute un débat sur le rôle de l'Afpa.

Monsieur Demuynck, je vous remercie pour vos propos -qui s'appuient sur vos missions au service de l'insertion des jeunes sur le marché du travail- car vous avez mis en valeur le droit à l'orientation, l'école de la deuxième chance, la possibilité de trouver un employeur pour effectuer un apprentissage et le contrat de professionnalisation renforcée. Vous avez abordé le tabou insupportable des 150 000 jeunes laissés sur le bord de la route chaque année par l'éducation nationale. Face à un tel scandale, il ne sert à rien de se gargariser de la tradition républicaine.

Monsieur Desessard, je commencerai par vous remercier, car vous avez relevé des points positifs dans ce projet de loi. Le fait que chaque orateur ait approuvé une partie du dispositif est au demeurant une originalité de ce texte, dont le mérite revient aux partenaires sociaux. Mais nous avons un vrai désaccord en matière d'apprentissage, que vous prétendez réservé aux métiers manuels à faible qualification. Je ne partage nullement cette vision passéiste. (Très bien ! à droite, où l'on évoque des conceptions inchangées depuis « l'apprentissage de papa »)Vous prétendez que l'apprentissage ne permet pas de former des ingénieurs ou des techniciens. Ce discours terriblement réactionnaire a enfermé l'apprentissage dans un ghetto ! Il est temps d'ouvrir les fenêtres et de dire que cette formule permet d'obtenir de brillants étudiants de l'Essec aussi bien que des as du BTP ou de la restauration. (Applaudissements à droite) Lorsque je suis intervenu en commission -vous n'y étiez peut-être pas à ce moment- j'ai insisté sur le rôle de l'apprentissage dans l'acquisition des métiers de demain, notamment des emplois verts, qui sont au coeur de cette refonte de la formation professionnelle ! (Applaudissements à droite)

Mme Catherine Procaccia, présidente de la commission spéciale.  - La commission spéciale va se réunir pendant une heure pour examiner la fin des amendements extérieurs.

Commissions (Nominations)

M. le président.  - Je rappelle au Sénat que le groupe socialiste a présenté une candidature pour la commission de l'économie. Le délai prévu par l'article 8 du Règlement ayant expiré sans que la Présidence n'ait reçu d'opposition, je proclame Mme Renée Nicoux membre de la commission de l'économie, en remplacement d'André Lejeune, décédé.

Je rappelle au Sénat que le groupe de l'Union centriste a présenté une candidature pour la commission de la culture. Le délai prévu par l'article 8 du Règlement ayant expiré sans que la Présidence n'ait reçu d'opposition, je proclame M. Jean-Jacques Pignard membre de la commission de la culture, en remplacement de M. Michel Mercier dont le mandat de sénateur a cessé.

La séance est suspendue à 19 h 50.

présidence de M. Roger Romani,vice-président

La séance reprend à 22 h 5.

Formation Professionnelle (Procédure accélérée - Suite)

M. le président.  - L'ordre du jour appelle la suite de la discussion du projet de loi, adopté par l'Assemblée nationale après engagement de la procédure accélérée, relatif à l'orientation et à la formation professionnelle tout au long de la vie.

Question préalable

M. le président.  - Motion n°20, présentée par Mme David et les membres du groupe CRC-SPG.

En application de l'article 44, alinéa 3, du Règlement, le Sénat décide qu'il n'y a pas lieu de poursuivre la délibération sur le projet de loi, adopté par l'Assemblée nationale après engagement de la procédure accélérée, relatif à l'orientation et à la formation professionnelle tout au long de la vie (n° 619, 2008-2009).

M. Guy Fischer.  - Défendre la question préalable paraît un exercice difficile...

M. Alain Gournac et M. Paul Blanc.  - En effet !

M. Guy Fischer.  - ...quand ce texte se fonde, partiellement, sur l'accord interprofessionnel du 9 janvier 2009, tant attendu des salariés. Pour autant, Mmes David et Gonthier-Maurin l'ont démontré, ce texte, en privilégiant la seule formation tournée vers les besoins des entreprises, ne représente qu'un outil supplémentaire dans votre arsenal de traitement social du chômage selon le chemin tracé par la Commission européenne dans son Livre vert, « Moderniser le droit du travail pour relever les défis du XXIe siècle », celui de la « flexsécurité » ; chemin que nous avions déjà dénoncé lors de la discussion du projet de loi faussement intitulé « Droits et devoirs des demandeurs d'emploi ». La signature d'un accord interprofessionnel sur la formation, dont nous nous réjouissons, ne doit pas être prétexte au désengagement financier de l'État et à de nouvelles pressions sur les salariés pour les contraindre à suivre des formations très ciblées répondant aux seuls besoins de quelques entreprises, financées par la collectivité.

Monsieur le ministre, contrairement à vous, nous pensons que, pour une formation « gagnant-gagnant », il faut placer les salariés, et non l'entreprise, au coeur du système. Ces salariés, loin d'être des irresponsables, choisissent souvent des formations cohérentes avec leur parcours ou celui qu'ils voudraient emprunter et, lorsqu'ils optent pour une formation plus personnelle, le font en dehors de leur temps de travail. Oui, le droit individuel à la formation doit être l'occasion pour les salariés, soumis à des rythmes de travail de plus en plus insoutenables et à de fortes pressions, de s'épanouir aussi en tant qu'individus, en tant que citoyens.

Mme Annie David.  - C'est là toute la différence avec la majorité !

M. Guy Fischer.  - Cela participe, nous en sommes convaincus, de la réussite économique de notre pays.

Or, monsieur le ministre, vous avez expliqué, à renfort de grands mots, lors de l'examen des amendements à l'article 4 en commission, qu'en demandant la portabilité du DIF, nous nous attaquions à l'un des piliers de l'accord en exigeant des entreprises 10 milliards. Mais c'est oublier de dire qu'il ne s'agit pas coût de la portabilité, mais du DIF...

Mme Annie David.  - Très juste !

M. Guy Fischer.  - ...et encore à la condition, improbable, que tous les salariés de ce pays, ayant acquis l'ensemble des droits, soit 120 heures, demandent à en bénéficier en même temps ! La précision est utile pour éclairer ceux de nos collègues effrayés par les déclarations menaçantes du ministre. A ce propos, une question reste en suspens : pourquoi les entreprises n'ont-elles pas provisionné ces sommes ?

Au reste, l'on ne peut que s'interroger sur le financement de la formation professionnelle toute entière, qui est assis sur la masse salariale brute des entreprises. Avec la crise systémique qui frappe notre économie, le taux de chômage a atteint 25,6 %, portant le nombre de demandeurs d'emploi de catégorie A à plus deux millions et demi. Comment financer la formation quand les demandes vont aller croissant ? Commençons par modifier le seuil de 10 à 20 salariés fixé dans les ordonnances de Villepin (marques d'approbation sur les bancs socialistes) et par préciser les engagements financiers de l'État dans la convention qu'il a conclue avec le FPSPP. Que vous refusiez ces dispositions nous fait craindre que vous ne fassiez porter l'effort par les régions. Nous regrettons également que vous refusiez de créer le droit à la formation initiale différée, prévue dans l'accord interprofessionnel, seule véritable seconde chance pour ceux envers qui le système scolaire n'a pas rempli son rôle -nous reviendrons sur ce point, excellemment développé par Mme Gonthier-Maurin, lors de l'examen des amendements.

Dans ce contexte, comment accepter la casse programmée de l'Association pour la formation professionnelle des adultes ? Le transfert de 75 % des personnels de l'Afpa en charge du conseil et de l'orientation vers le Pôle emploi diminuera les compétences des ingénieurs, sans compter, apprend-on à la lecture de ce texte, que vous comptez opérez ce transfert par convention directe entre l'État et les opérateurs privés de placement.

Les règles européennes ne le justifient en rien. Ou bien vous êtes réellement tenus de le faire, et vous auriez dû peser de toutes vos forces face à la Commission pour ne pas laisser la formation professionnelle au seul marché, car on ne peut pas soutenir la dérèglementation à Bruxelles et la déplorer à Paris, ou bien vous ne l'êtes pas, comme nous en avons la conviction à la lecture des traités. Quant au Conseil de la concurrence, sa décision considère qu'il fallait reconnaître que l'Afpa relevait du service public et l'organiser sous forme de régie ou de délégation de service public, mais vous avez négligé cette alternative.

Avec le démantèlement de l'Afpa, avec les attaques contre le paritarisme, avec le refus du CIF, le projet n'est pas l'outil dont nos concitoyens ont besoin. La réflexion développée depuis 1996 par les élus de mon parti va à l'opposé de la vôtre. Et pour cause ! Une véritable sécurisation des parcours exige qu'on rompe avec l'insécurité permanente du marché et du libéralisme. Il ne peut y avoir de sécurité pour les salariés si on ne renforce pas les droits de ceux qui les représentent. A quoi bon la sécurisation avec des licenciements boursiers, comme nous en vivons ? Où est la sécurité quand vous refusez qu'émerge une responsabilité sociale de l'entreprise, et que les salariés, par leurs représentants, jouent pleinement leur rôle ? Nous plaidons pour renforcer leurs droits. Ils doivent être associés aux décisions stratégiques mais alors que vous faites entrer des personnalités extérieures au conseil d'administration des OPCA, vous refusez que les salariés disposent d'un droit de vote à celui de leurs entreprises.

Où est la sécurisation quand vous réduisez les droits des salariés et que la précarisation du travail les prive de la capacité de se projeter dans l'avenir ? En fragilisant les salariés, la précarité empêche toute mobilité choisie. Nous proposons, comme pour le CPE, de transformer en CDI tous les contrats précaires. La Cour des comptes l'a reconnu, les contrats précaires aidés sont des trappes à bas salaires. Il faut sortir d'une logique dans laquelle la précarité appelle la précarité. Nous demandons donc un contrôle renforcé des entreprises qui bénéficient d'aides publiques et que les plans de formation soient décidés en association avec les salariés, ce qui implique de leur donner les informations nécessaires.

Comment sécuriser efficacement les parcours professionnels si vous réduisez les moyens de l'enseignement public et que le socle commun de connaissances interdit l'émergence d'élèves citoyens capables de mobilisation et de révolte ? Parce que 120 000 jeunes sortent chaque année de l'école sans diplôme ni formation, nous proposons de porter la scolarité obligatoire à 18 ans. Parce que nous n'acceptons pas l'échec à l'université dû au cumul emploi-études, nous préconisons une allocation d'autonomie jeunesse.

Pour nous, les salariés ont besoin d'un tout autre projet que le vôtre. Il faut pour cela un changement radical, une rupture avec la culture du marché et de la précarisation. Nous aurions aimé un projet qui protège les parcours de vie, mais les quelques avancées en commission ne compensent pas le refus du ministre de transposer certaines dispositions de l'accord national interprofessionnel : cette loi ne permettra que la flexibilité, dont les salariés sont victimes. (Applaudissements à gauche)

M. Jean-Claude Carle, rapporteur.  - Il est quelque peu surprenant de proposer de ne pas débattre. Cela reviendrait à ne pas transposer l'accord national interprofessionnel...

M. Alain Gournac.  - Eh oui !

M. Jean-Claude Carle, rapporteur.  - ...et toutes ses avancées. Cela serait priver les salariés du DIF, du Fonds paritaire de sécurisation des parcours, des mesures pour la réduction du chômage des jeunes et contre l'échec scolaire et universitaire, ou encore des avancées vers les compétences partagées. Je ne peux qu'émettre un avis défavorable.

M. Laurent Wauquiez, secrétaire d'État.  - Même avis.

La motion n°20 n'est pas adoptée.

Renvoi en commission

M. le président.  - Motion n°130, présentée par M. Fichet et les membres du groupe socialiste, apparentés et rattachés.

En application de l'article 44, alinéa 5, du Règlement, le Sénat décide qu'il y a lieu de renvoyer à la commission spéciale le projet de loi, adopté par l'Assemblée nationale après engagement de la procédure accélérée, relatif à l'orientation et à la formation professionnelle tout au long de la vie (n° 619, 2008-2009).

M. Jean-Luc Fichet.  - Bien des raisons de forme et de fond justifient le renvoi en commission. Sur la forme, d'abord, les conditions dans lesquelles nous examinons ce texte ne sont pas acceptables. La révision constitutionnelle ne devait-elle pas renforcer les droits du Parlement et de l'opposition ? Comment se satisfaire qu'un texte aussi important vienne dans la précipitation, en session extraordinaire, au retour des congés ? Les auditions ont démarré avant la reprise des travaux, sans que tous nos collègues puissent en être informés. Des amendements de dernière minute ont dût être examinés dans des conditions difficiles. Où est le sérieux ? Si c'est là donner plus de droits au Parlement dans une démocratie moderne, je ne comprends pas l'exercice.

Il faut du temps pour s'approprier un texte aussi technique. Son examen nécessite des délais. Plusieurs membres de la majorité se sont émus en commission d'un travail bâclé et de la brièveté des délais. Une sénatrice s'est exprimée très clairement à propos d'amendements déposés la veille. Tous les orateurs, dont le rapporteur, l'ont clairement exprimé dans la discussion générale.

La procédure accélérée est devenue si ordinaire que c'est la procédure ordinaire qui est devenue extraordinaire Les membres de la majorité sénatoriale seraient-ils devenus adeptes du taylorisme ou redoutent-ils une délocalisation à l'Élysée si le rythme baisse ? Pas moins de douze textes qui sont présentés ainsi dont la loi pénitentiaire, la loi Hadopi, la régulation des transports, le travail dominical et la loi Hôpital...

M. Guy Fischer.  - C'est la vérité !

M. Jean-Luc Fichet.  - Les droits du Parlement sont bafoués et un renvoi en commission montrerait que le Sénat travaille sérieusement. La formation mérite une vraie réforme, pas une loi bâclée suivant une procédure ennemie de l'excellence. Le Gouvernement n'avait pourtant pas ménagé ses annonces. Le Président de la République l'avait vanté dans un discours tout en affichages. Quand il dit « il n'est pas honteux de démarrer en bas de l'échelle ; le drame est de se dire qu'on n'a pas d'autre perspective que d'y rester toute sa vie », on ne peut s'inscrire en faux.

Autre citation du président : « La formation professionnelle : une meilleure sécurité et la possibilité d'un nouveau départ ». Il avait annoncé plusieurs chantiers. Je le cite à nouveau : « La nécessité de lutter contre les inégalités d'accès à la formation », la lutte contre « le maquis inextricable des formations » ou encore « le coût de gestion trop important des OPCA ».

M. Paul Blanc.  - Très bien, bonne lecture !

M. Jean-Luc Fichet.  - En effet, j'applaudis des deux mains ces constats et ces bonnes intentions du Président. Un renvoi en commission permettrait sûrement de faire que ce projet de loi corresponde véritablement à sa volonté !

Où en est-on sur le fond ? La formation professionnelle est un moyen de se rattraper lorsqu'on a raté une marche. A l'heure où le prix Nobel Joseph Stiglitz vante les mérites du BIB, le bonheur intérieur brut, à l'heure où les plans sociaux se multiplient, la crise leur servant souvent de prétexte, la formation professionnelle peut être une réponse et une chance offerte à tous. Or le fond de ce dossier essentiel pour l'avenir de nos concitoyens n'est malheureusement pas abordé dans ce projet de loi. C'est un rendez-vous manqué avec l'histoire sociale de notre pays. Le Président nous a annoncé une réforme importante : nous avons aujourd'hui sur nos bureaux un texte superficiel qui n'aborde pas les véritables enjeux et qui ne vise aucun cap. Voilà pourquoi il faut le renvoyer devant la commission spéciale.

Même l'accord historique de janvier dernier y est dévoyé. D'ailleurs, l'ensemble des partenaires sociaux n'a pas voté ce projet de loi lorsqu'il a été soumis au Conseil national de la formation professionnelle le 14 avril. Les représentants de l'État l'ont voté et on les comprend. Avec la cosignature du préfet et de l'autorité académique sur le Plan régional de développement des formations, c'est une recentralisation de la formation professionnelle qui s'opère et en toute opacité.

En outre, ce texte favorise certains intérêts et les bénéfices du patronat. Je vise ici l'opacité du fonctionnement du nouveau Fonds paritaire de sécurisation des parcours professionnels. Je vise aussi la mainmise de l'État sur une partie des 900 millions du fonds.

Pourtant, d'autres voies auraient pu faire de ce texte un projet ambitieux et le Livre vert de Martin Hirsch aurait très bien pu être un fil conducteur cohérent pour la réforme. Pourquoi ne pas avoir repris certaines de ses idées, par exemple la suppression du délai de carence ou l'obligation de formation jusqu'à 18 ans ? Est-ce la peur d'un projet trop ambitieux ? Que va devenir le travail de M. Hirsch ? J'ose espérer qu'il ne sera pas enterré...

De même, pourquoi tronçonner la formation professionnelle continue et initiale ? Quel est ce message incohérent que le Gouvernement adresse aux jeunes qui sortent du système scolaire ?

Ce projet de loi comprend de nombreux manques que seul le renvoi en commission pourrait nous permettre de corriger. Il ne contient absolument rien sur la formation initiale dont l'importance est pourtant évidente. Il oublie la formation initiale différée destinée aux jeunes sortis du système scolaire sans qualification. Il ne donne pas comme objectif à la formation tout au long de la vie de permettre la progression d'un niveau de qualification.

La validation des acquis de l'expérience, réforme essentielle, n'est qu'à peine abordée alors qu'elle représente un véritable espoir pour les travailleurs. Elle a besoin d'être améliorée, c'est certain. Mais alors pourquoi ne pas s'emparer de cette possibilité dans ce texte ?

Un point positif : suite à un amendement socialiste, le Gouvernement s'est engagé en commission à mettre en place des campagnes d'information sur la validation des acquis de l'expérience. Il serait même nécessaire de la simplifier et de la rendre accessible à tous.

Il faut également se réinterroger sur la taxe d'apprentissage. A quoi l'utiliser ? Comment la prélever ? Que penser de l'amendement de notre rapporteur qui divise par quatre le montant de la taxe disponible pour l'enseignement supérieur ? Ce serait catastrophique.

Ce projet de loi ne remplit pas son objectif. Il devait simplifier et rendre transparent le dispositif de formation professionnelle. Il ajoute de la complexité à la complexité. En votant pour le renvoi en commission, vous nous donnez le temps nécessaire pour traiter au fond du sujet. Ce serait une décision utile et intelligente. (Applaudissements à gauche)

M. Jean-Claude Carle, rapporteur.  - Nous n'avons pas travaillé dans les meilleures conditions possibles, je l'ai dit. Mais la situation aurait été pire sans l'intervention de notre ancien collègue Raincourt, ministre chargé des relations avec le Parlement, qui nous a obtenu une semaine supplémentaire de préparation. Le renvoi est inutile autant qu'inopportun parce que les partenaires sociaux attendent ce texte dont les décrets d'application doivent paraître à temps pour qu'il soit applicable au 1er janvier 2010.

Malgré des conditions de travail difficiles, nous avons auditionné, pendant 50 heures, 60 personnes, dont les trois ministres concernés, les partenaires sociaux et l'Association des régions de France. La commission spéciale a donc bien travaillé. Bien entendu nous aurions pu faire mieux, mais le mieux est souvent l'ennemi du bien... Avis défavorable à cette motion de renvoi.

M. Laurent Wauquiez, secrétaire d'État.  - Même avis défavorable.

La motion n°20 n'est pas adoptée.

Discussion des articles

Article premier

La sixième partie du code du travail est ainsi modifiée :

1° Le premier alinéa de l'article L. 6111-1 est complété par deux phrases ainsi rédigées :

« Elle vise à permettre à chaque personne, indépendamment de son statut, d'acquérir et d'actualiser des connaissances et des compétences favorisant son évolution professionnelle, ainsi que de progresser d'au moins un niveau de qualification au cours de sa vie professionnelle. Une stratégie nationale coordonnée est définie et mise en oeuvre par l'État, les régions et les partenaires sociaux. » ;

2° Au premier alinéa de l'article L. 6311-1, après les mots : « économique et culturel », sont insérés les mots : «, à la sécurisation des parcours professionnels » ;

3° L'article L. 6123-1 est ainsi rédigé :

«Art. L. 6123-1. - Le Conseil national de la formation professionnelle tout au long de la vie est chargé :

« 1° De favoriser, au plan national, la concertation entre l'État, les régions, les partenaires sociaux et les autres acteurs pour la définition, dans un cadre pluriannuel, des orientations prioritaires des politiques de formation professionnelle initiale et continue, ainsi que pour la conception et le suivi de la mise en oeuvre de ces politiques ;

« 2° D'évaluer les politiques de formation professionnelle initiale et continue aux niveaux national et régional, sectoriel et interprofessionnel ;

« 3° D'émettre un avis sur les projets de lois, d'ordonnances et de dispositions réglementaires en matière de formation professionnelle initiale et continue ; 

« 4° De contribuer à l'animation du débat public sur l'organisation du système de formation professionnelle et ses évolutions.

« Les administrations et les établissements publics de l'État, les conseils régionaux, les organismes consulaires et les organismes paritaires intéressés à la formation professionnelle sont tenus de communiquer au Conseil national de la formation professionnelle tout au long de la vie les éléments d'information et les études dont ils disposent et qui lui sont nécessaires pour l'exercice de ses missions.

« Les modalités d'application du présent article sont définies par décret en Conseil d'État. » ;

4° L'article L. 6123-2 est ainsi rédigé :

« Art. L. 6123-2. - Le Conseil national de la formation professionnelle tout au long de la vie est placé auprès du Premier ministre. Son président est nommé en conseil des ministres. Il comprend des représentants élus des conseils régionaux, des représentants de l'État et du Parlement, des représentants des organisations professionnelles et syndicales intéressées et des personnes qualifiées en matière de formation professionnelle. » ;

5° (Supprimé)

M. Richard Yung.  - Je profite de la discussion de cet article premier, qui fixe les grandes orientations de la formation professionnelle, pour plaider la cause des grands oubliés de ce texte : les deux millions et demi de Français de l'étranger et leurs 250 000 enfants scolarisés. Tous ne préparent pas Normale Sup ou Polytechnique et ce sont 20 à 30 000 enfants français de l'étranger qui sont abandonnés à leur sort ! L'enseignement des Français à l'étranger se dégrade année après année. Le budget du ministère des affaires étrangères diminue mais encore davantage son budget social, passé de 2,5 millions en 1979 à 600 000 cette année, dont 130 000 pour la formation de ces 20 à 30 000 enfants. Progressivement, l'État français s'est retiré des centres d'apprentissage, comme par exemple du Centre de mécanique de Tananarive. Les enfants français habitant l'Europe ou d'autres pays développés peuvent intégrer le système de formation local. Mais aux autres, en Afrique ou en Amérique latine, nous n'avons aucune solution à offrir et ces enfants, souvent binationaux, partiront à la dérive. l'Afpa internationale peut reprendre certaines activités mais elle manque de moyens. On leur propose aussi des cours par correspondance : apprend-on l'hôtellerie ou la mécanique par correspondance ? A un petit nombre d'entre eux, on propose de faire un stage en France alors qu'il ne faut surtout pas les déraciner !

En outre, cela coûte très cher.

Avec les autres sénateurs des Français de l'étranger, nous avons cherché du côté d'un fonds financé par les entreprises, sans parvenir à une solution satisfaisante. J'insiste auprès du Gouvernement : il y a urgence ! (Applaudissements à gauche)

Mme Gisèle Printz.  - Cet article concerne les objectifs et principes de la formation professionnelle et vise à donner un accès prioritaire aux publics sans premier niveau de qualification ; il répond donc à un souci que nous partageons : réorienter la formation professionnelle vers ceux qui en ont le plus besoin. Il manque cependant un principe important, celui du droit à la formation initiale différée, mis en avant dans l'accord signé par les partenaires sociaux au début de l'année. Ce droit à la deuxième chance figurait dans l'accord national interprofessionnel de 2003. Notre système de formation initiale est ainsi fait que toute sortie est perçue comme définitive et vécue comme un échec. A juste titre, car les jeunes sortis de l'école sans diplôme ont plus de mal à s'insérer dans le monde professionnel que les diplômés. Il convient de dédramatiser la sortie du système scolaire en facilitant une reprise d'études immédiate, comme c'est le cas chez nos voisins européens où les difficultés rencontrées par les jeunes sur le marché du travail sont moindres.

Quoique la sécurisation des parcours professionnels figure dorénavant parmi les objectifs de la formation, nous restons dubitatifs quant aux moyens que vous vous donnez pour atteindre cet objectif important. La principale mesure est la création d'un fonds paritaire de sécurisation des parcours professionnels dont le fonctionnement sera d'une extrême complexité et le financement pour le moins opaque.

Qu'en est-il de la responsabilité des entreprises ? Mon département est durement frappé par la crise et les fermetures d'usines. Cette semaine, la cokerie de Carling va licencier 450 personnes. Il faudrait que les salariés ne soient jamais licenciés mais formés à d'autres métiers au sein même de leur entreprise.

En définitive, on reste éloigné des bases de la véritable sécurité sociale professionnelle promise par le Président de la République et à laquelle aspirent nos concitoyens.

L'Assemblée nationale a ajouté une disposition importante visant à évaluer les politiques de formation professionnelle menées en faveur des travailleurs handicapés. Le fait est que leur insertion est difficile et leur taux de chômage important. Après avoir eu du mal à trouver une activité professionnelle, ils ont beaucoup de difficultés à accéder à la formation professionnelle. Nous proposerons d'aller plus loin en leur faveur. D'autres méritent une attention particulière, je pense notamment aux détenus dans les prisons, dont il n'est même pas fait mention, et qu'une formation aiderait à mieux vivre leur peine et, ensuite, à se réinsérer.

Enfin, s'il est fait référence aux régions dans cet article, nous pensons qu'en réalité elles ont été écartées des missions principales. Elles jouissent pourtant d'une certaine expérience dans ce domaine et d'une réussite attestée. Leur légitimité en la matière ne se discute pas. Plusieurs rapports ont préconisé de les promouvoir comme pilote unique en matière de formation professionnelle et non copilote. L'hétérogénéité des territoires appelle une politique de formation différenciée selon les régions, en liaison avec les objectifs de développement et d'aménagement du territoire qu'elles se donnent.

Ce texte manque d'ambition et nous ne le voterons pas. (Applaudissements à gauche)

M. le président.  - Amendement n°18, présenté par Mme David et les membres du groupe CRC-SPG.

I. - Ajouter au début du troisième alinéa de cet article une phrase ainsi rédigée :

Elle constitue un élément déterminant de la sécurisation des parcours professionnels et de la promotion sociale des salariés.

II. - Supprimer le quatrième alinéa (2°) de cet article.

Mme Brigitte Gonthier-Maurin.  - Cet amendement n'est pas que rédactionnel ; nous le tenons pour très important.

Les partenaires sociaux ont précisé, dès le préambule de l'accord national interprofessionnel du 7 janvier dernier, que la formation avait pour objectif la sécurisation des parcours professionnels et la promotion sociale des salariés. C'est cet équilibre entre définition des objectifs et outils au service de la réalisation que nous entendons préserver.

En commission, le rapporteur nous a objecté que notre amendement était en partie satisfait par le 2° de cet article, que donc nous proposons de supprimer. Mais, pour reprendre ses mots mêmes, notre amendement n'est qu'en partie satisfait puisque la rédaction actuelle n'aborde pas la notion très importante de promotion sociale des salariés. Or l'intérêt pour les salariés de bénéficier d'une formation choisie et qualifiante est justement de pouvoir s'élever socialement, comme l'atteste leur attachement au congé individuel formation.

M. le président.  - Amendement n°133, présenté par Mme Demontès et les membres du groupe socialiste, apparentés et rattachés.

Au début du troisième alinéa de cet article, ajouter une phrase ainsi rédigée :

« Elle constitue un élément déterminant de sécurisation des parcours professionnels et de la promotion des salariés.

M. Claude Jeannerot.  - Notre amendement va dans le même sens. Il n'est pas de pure forme : nous lui accordons une grande portée symbolique. Il reprend une formule qui figure en tête de l'accord national des partenaires sociaux et que nous voulons voir figurer ici aussi en tête du texte.

M. le président.  - Amendement n°109, présenté par M. Desessard, Mmes Blandin et Boumediene-Thiery, M. Muller et Mme Voynet.

Rédiger comme suit le quatrième alinéa (2°) de cet article :

2° Au premier alinéa de l'article L. 6311-1, les mots : « économique et culturel et à leur promotion sociale » sont remplacés par les mots : « soutenable de l'économie, à leur émancipation sociale et culturelle et à la sécurisation de leurs parcours professionnels ».

M. Jean Desessard.  - Le but de cet amendement est de mettre en conformité le code du travail avec les réalités socio-économiques d'aujourd'hui. La crise que nous traversons est à première vue une crise économique, dont le dépassement passe par la transformation écologique de l'économie. La sobriété et la soutenabilité ne sont pas les ennemies de la prospérité. L'économie ne peut se contenter de croître ad vitam aeternam, ni envers et contre tout.

La crise économique se double d'une crise sociale. C'est la crise d'une société où l'individualisme a atteint son paroxysme, où les intérêts particuliers prévalent sur l'intérêt général. Une vie professionnelle épanouissante passe davantage par une émancipation sociale et culturelle et par la stabilité de la vie active que par la recherche de la promotion et le culte de la performance.

M. Jean-Claude Carle, rapporteur.  - La mention est déjà présente dans le code du travail, en un lieu plus adéquat à cette précision que cet article où l'on ouvre la porte à une longue énumération. Un peu de clarté, de cohérence et de simplicité ne doivent pas nuire. C'est pourquoi la commission est défavorable à l'amendement n°18, comme au n°133 qui est équivalent.

Elle est attachée aux objectifs de promotion sociale tels qu'ils figurent depuis le texte Delors. Elle est donc défavorable à l'amendement n°109.

M. Laurent Wauquiez, secrétaire d'État.  - Défavorable aux amendements. Les partenaires sociaux ont bien prévu la sécurisation du parcours professionnel ; cette notion est présente dans l'article L. 6333-1 du code du travail.

Évitons les affichages gazeux au profit de dispositions vraiment opérationnelles.

L'amendement n°18 n'est pas adopté, non plus que les amendements n°s133 et 109.

M. le président.  - Amendement n°131, présenté par Mme Demontès et les membres du groupe socialiste, apparentés et rattachés.

I. - Dans le troisième alinéa de cet article, après les mots :

évolution professionnelle,

insérer les mots :

avec un effort particulier en faveur des personnes ayant bénéficié d'une formation initiale courte,

II. - Après le même alinéa, insérer deux alinéas ainsi rédigés :

...° Après le premier alinéa de l'article L. 6111-1, il est inséré un alinéa ainsi rédigé :

« Les salariés qui ont arrêté leur formation initiale avant le premier cycle de l'enseignement supérieur ou qui n'ont pas obtenu de qualification professionnelle reconnue, et qui souhaitent poursuivre ultérieurement des études en vue d'une promotion sociale, ont un accès prioritaire à une formation diplômante ou qualifiante. »

Mme Christiane Demontès.  - Il s'agit ici de la formation initiale différée. Nous entendons préciser que la formation professionnelle tout au long de la vie doit concerner particulièrement les personnes les moins formées ; aujourd'hui, la formation continue concerne les personnes déjà les plus formées, ce qui peut s'avérer contre-productif.

Le II de l'amendement reprend, ce que ne fait pas le texte, l'article 1.4.3 de l'accord du 7 janvier 2009. Faut-il rappeler que 150 000 jeunes sortent sans diplôme ni qualification du système scolaire ? L'accord interprofessionnel a fait deux propositions : la prise en charge, par l'organisme paritaire collecteur agréé compétent pour les actions d'accompagnement, de bilans de compétences et de validations des acquis de l'expérience ; et un abondement financier public correspondant au coût moyen d'une année de formation, sujet sur lequel les partenaires sociaux demandent l'ouverture d'une concertation, même en absence de chiffrage. Les partenaires sociaux, tant la CGT que le Medef, ont demandé que cette disposition soit rétablie dans le texte, conscients qu'ils sont de la formidable déperdition de la situation actuelle pour notre économie comme pour les personnes concernées.

Le Gouvernement semble compter sur les écoles de la deuxième chance -comme d'ailleurs le Medef. Mais cette solution n'est pas à la hauteur du problème. Quand le maillage complet du territoire pourra-t-il être réalisé, et avec quels moyens ? Que pensez-vous de la création de modules permettant d'acquérir une qualification partielle qui pourrait être ensuite complétée ? La formation initiale différée pose de nombreuses questions sur lesquelles il est urgent de se concerter.

M. le président.  - Amendement n°25, présenté par Mme David et les membres du groupe CRC-SPG.

Après le troisième alinéa de cet article, insérer deux alinéas ainsi rédigés :

...° Après le deuxième alinéa de l'article L. 6111-1, il est inséré un alinéa ainsi rédigé :

« Les salariés qui ont arrêté leur formation initiale avant le premier cycle de l'enseignement supérieur, ou qui n'ont pas obtenu de qualification professionnelle reconnue, et qui souhaitent poursuivre ultérieurement des études en vue d'une promotion sociale, ont un accès prioritaire à une formation qualifiante ou diplômante. »

Mme Annie David.  - Il faut donner un droit d'accès prioritaire à la formation aux salariés qui ont arrêté leur formation initiale avant le premier cycle de l'enseignement supérieur ou n'ont pas obtenu de qualification professionnelle reconnue. On doit leur donner la possibilité de reprendre des études. La promotion sociale est au coeur de notre conception de la formation professionnelle, loin de la conception utilitariste que véhicule ce texte.

Vous nous avez dit en commission, monsieur le ministre, ne pas vouloir créer de nouveau droit opposable qui ne serait pas opérationnel, qualifiant celui que nous proposons de « gazeux ». Mais l'accord du 7 janvier en fait mention. La rédaction était juridiquement imparfaite ? Le Gouvernement devait prendre le temps de trouver la bonne formule législative.

Le rapport de la Cour des comptes d'octobre 2008 relève que 56 % de la population active avait, en 2005, un niveau de formation initial égal ou inférieur aux CAP et BEP, et que 21 % de la population active n'avait aucun diplôme. Le même rapport souligne que « les personnes peu formées ou mal qualifiées ne constituent pas les principaux bénéficiaires du système de formation (...). Si un peu plus d'un titulaire de BTS ou DUT sur cinq bénéficie de formation continue dans les trois ans qui suivent leurs études, le taux est de un sur quinze pour les non diplômés et un peu plus d'un sur dix pour les titulaires de CAP ».

Nous avons fait de l'éducation et de la formation une obligation nationale, et c'est heureux ; quelle valeur a-t--elle cependant si parlementaires et Gouvernement ne mettent pas tout en oeuvre pour la respecter ?

M. Jean-Claude Carle, rapporteur.  - Il ne convient pas de cibler des publics spécifiques dans les objectifs généraux ; ce serait faire peser une responsabilité particulière sur la formation professionnelle, sans que soient précisés parallèlement les devoirs de l'éducation nationale. L'inverse serait tout autant mal venu.

M. Jean Desessard.  - Que faites-vous des 150 000 jeunes qui sortent sans diplôme du système scolaire ?

M. Jean-Claude Carle, rapporteur.  - On ne peut créer un nouveau droit sans prévoir les conditions de sa mise oeuvre ni son financement. Cette question ne peut être traitée sans réflexion préalable.

Le présent texte est une étape importante, je souhaite qu'il soit suivi d'autres avancées, peut-être la création, comme je l'ai suggéré dans mon rapport, d'un compte épargne formation mis en place dès la sortie du système scolaire.

M. Laurent Wauquiez, secrétaire d'État.  - On peut toujours faire de l'affichage et créer un nouveau droit opposable ; mais on a vu ce qu'il en a été par exemple du droit au logement opposable, la parole du législateur a été décrédibilisée.

M. Jean Desessard.  - C'est le Gouvernement qui l'a proposé !

M. Laurent Wauquiez, secrétaire d'État.  - Nous n'aurions qu'un droit fictif. Vous avez raison cependant, il faut tendre la main aux jeunes qui ont été insuffisamment formés par l'éducation nationale. Plusieurs articles du texte proposent des solutions, le renforcement des écoles de la deuxième chance, des contrats d'apprentissage et de professionnalisation, l'amélioration de l'information et de l'orientation, l'accompagnement des jeunes en décrochage. Nous avons fait le choix de dispositifs concrets et opérationnels, qui valent toutes les proclamations théoriques.

L'amendement de Mme David est inutile : l'accès prioritaire des personnes peu qualifiées est un des objectifs du fonds de sécurisation.

M. Jean Desessard.  - Le rapporteur ne veut pas cibler de publics prioritaires. N'est-ce pas pourtant ce que nous avons fait pour l'accès au logement ou à l'emploi ?

Grâce aux confidences du rapporteur, on commence à y voir clair : la grande loi qu'il nous présentait tout à l'heure n'est plus qu'une étape. Il attend la suite. Il nous dira bientôt que nous avons affaire à une petite loi...

M. Claude Jeannerot.  - J'ai le sentiment que nous sommes d'accord sur le fond. Mais notre amendement a pour but de nous mettre tous sous contrainte vertueuse. Je conviens que l'inscription d'un nouveau droit dans la loi ne suffit pas à créer les conditions de son effectivité, mais elle nous incitera à agir.

L'amendement n°131 n'est pas adopté.

Mme Annie David.  - Le dispositif des écoles de la deuxième chance déresponsabilise l'État.

Mais il s'agit ici de personnes qui n'ont pas reçu du service public de l'éducation nationale ce qu'ils étaient en droit d'en attendre. Les reléguer dans les écoles de la deuxième chance, c'est renoncer à nos ambitions pour l'école publique.

Vous dites, monsieur le ministre, que ce texte est la transcription de l'accord national interprofessionnel adopté par tous les partenaires sociaux. Mais certains n'y auraient pas apporté leur voix si cet article ou l'article 19 relatif à l'Afpa en avait été absent. Certes, le texte qu'ils ont élaboré n'est pas juridiquement recevable, mais ce n'est pas ce qu'on attendait d'eux. Le Gouvernement n'a retenu de l'accord que ce qui l'arrangeait, n'hésitant pas à retrancher des dispositions ou à en ajouter de nouvelles. Qu'il ne s'abrite donc pas derrière un unanimisme de façade.

L'amendement n°25 n'est pas adopté.

M. le président.  - Amendement n°7, présenté par M. Virapoullé et Mme Payet.

Compléter la seconde phrase du troisième alinéa de cet article par les mots :

ainsi que les chambres consulaires

Mme Anne-Marie Payet.  - Les chambres consulaires ont une très bonne connaissance du tissu économique, et disposent de réseaux et de capacités d'expertise. Elles doivent être associées à la définition des objectifs nationaux en matière de formation professionnelle.

M. Jean-Claude Carle, rapporteur.  - La gouvernance et le financement de la formation professionnelle sont assurés par l'État, les régions et les partenaires sociaux, dont la commission spéciale a voulu favoriser la coopération au niveau national et régional. Leur adjoindre les chambres consulaires -chambres de commerce et d'industrie, chambres des métiers, chambres d'agriculture- rendrait le système excessivement complexe. Elles sont d'ailleurs associées aux processus par le biais du Conseil national de la formation professionnelle et du PRDF : ce sera l'objet d'un de nos amendements. Le vôtre est donc satisfait. Retrait.

M. Laurent Wauquiez, secrétaire d'État.  - Même avis. Les réseaux consulaires jouent un rôle appréciable dans le domaine de la formation professionnelle, offrant formations et conseils : je pense par exemple à certaines prestations destinées aux seniors dans la région Rhône-Alpes. Elles sont représentées au sein du Conseil national de la formation professionnelle, et mon ministère travaille étroitement avec elles, par l'intermédiaire des présidents Bernardin et Griset.

L'amendement n°7 est retiré.

M. le président.  - Amendement n°132, présenté par M. Jeannerot et les membres du groupe socialiste, apparentés et rattachés.

Après le troisième alinéa de cet article, insérer deux alinéas ainsi rédigés :

...° Après le premier alinéa de l'article L. 6111-1, il est inséré un alinéa ainsi rédigé :

« La stratégie nationale définie au premier alinéa comporte un volet consacré à l'accès et au développement de la formation professionnelle des personnes handicapées. Sur ce volet, elle fait l'objet d'une coordination avec le conseil national consultatif des personnes handicapées défini à l'article L. 146-1 du code de l'action sociale et des familles. Le fonds de développement de l'insertion professionnelle des personnes handicapées visé à l'article à L. 5214-1 et le fonds pour l'insertion des personnes handicapées dans les fonctions publiques visé à l'article L. 323-8-6-1 sont également consultés sur ce volet. »

Mme Gisèle Printz.  - Ce projet de loi ne contient aucune disposition spécifique relative aux travailleurs handicapés. Pourtant la formation professionnelle est particulièrement importante pour ces personnes qui rencontrent souvent des difficultés pour s'adapter aux mutations technologiques ou se maintenir dans leur poste. Certaines sont réticentes à l'idée de suivre une formation : 82 % d'entre elles possèdent un niveau inférieur au baccalauréat, beaucoup ont connu l'échec scolaire et rechignent à raviver de mauvais souvenirs. D'ailleurs, comme l'ont montré des enquêtes menées par l'Association de gestion du fonds pour l'insertion professionnelle des handicapés, les employeurs connaissent mal les mesures qu'ils peuvent prendre pour la formation des salariés handicapés. L'objectif doit être d'éviter des licenciements pour inaptitude alors que des solutions sont possibles.

Il est donc nécessaire que la « stratégie nationale » comporte un volet consacré à l'information des personnes handicapées, y compris au sein des branches et des entreprises. Des partenariats peuvent aussi s'établir entre Pôle emploi et les caisses d'assurance maladie pour proposer systématiquement aux personnes handicapées de faire un bilan de compétences pendant leur arrêt de travail, ce qui permettrait d'envisager rapidement une formation adaptée à leur situation. Certaines de ces mesures ne relèvent pas de la loi, mais de la réglementation ou du partenariat ; la stratégie nationale doit tracer la voie.

M. Paul Blanc.  - Les mesures que vous citez sont de la compétence de Pôle emploi !

M. le président.  - Amendement n°26, présenté par Mme David et les membres du groupe CRC-SPG.

Après le deuxième alinéa (1°) du texte proposé par le 3° de cet article pour l'article L. 6123-1 du code du travail, insérer un alinéa ainsi rédigé :

« ...° D'évaluer conjointement avec le conseil national consultatif des personnes handicapées défini à L. 146-1 du code de l'action sociale et des familles, le fonds de développement de l'insertion professionnelle des personnes handicapées visé à l'article L. 5214-1 et le fonds pour l'insertion des personnes handicapées dans les fonctions publiques visé à l'article L. 323-8-6-1, les politiques de formation professionnelle menées en faveur des travailleurs handicapés ;

M. Guy Fischer.  - Cet amendement a pour objet de renforcer les compétences du Conseil national de la formation professionnelle en lui confiant la mission d'évaluer les politiques de formation professionnelle menées en faveur des travailleurs handicapés. Ces derniers comptent parmi les personnes qui rencontrent le plus de difficultés à trouver un emploi, malgré l'obligation légale en leur faveur. Cet amendement permettrait de porter un regard lucide sur l'offre de formation qui leur est destinée. Plus les personnes handicapées bénéficient de formations de qualité, plus elles ont de chances de retrouver un emploi et de s'ouvrir ainsi la voie de la socialisation et de la reconnaissance : ce n'est pas M. Blanc qui me contredira.

M. Paul Blanc.  - Si ! (Rires)

M. Jean-Claude Carle, rapporteur.  - La grande cause nationale des personnes handicapées doit être embrassée dans sa globalité, qu'il s'agisse de la formation professionnelle ou de l'intégration au travail, dans la ville et dans les transports. Je salue à cet égard le travail de Paul Blanc. Mais la précision que tend à apporter l'amendement n°132 nous paraît inutile ; si l'on mentionnait les personnes handicapées, il faudrait citer également d'autres publics. Avis défavorable.

Quant à l'amendement n°26, la commission spéciale a choisi de renforcer les statuts du Conseil national de la formation professionnelle afin qu'il devienne une véritable instance de dialogue et d'évaluation. En ne lui assignant aucune mission spécifique, nous le laissons libre de son programme ; s'il le juge nécessaire, il pourra évaluer l'offre destinée aux personnes handicapées. Avis défavorable.

M. Laurent Wauquiez, secrétaire d'État.  - Mêmes avis. Le jugement de M. Blanc pourrait me tenir lieu d'argument... L'article 6111-1 du code du travail concerne la formation professionnelle en général. Le problème délicat des travailleurs handicapés est abordé par le titre premier de la sixième partie, où l'objectif de l'égalité d'accès à l'emploi est explicitement mentionné. Tous les textes de loi relatifs aux personnes handicapées prévoient de recueillir l'avis du Conseil national consultatif des personnes handicapées et du Conseil supérieur pour le reclassement professionnel et social des travailleurs handicapés. L'amendement n°132 me paraît donc satisfait. Quant à l'amendement de M. Fischer, il concerne une disposition introduite à l'Assemblée nationale et améliorée au Sénat ; le Conseil national de la formation professionnelle tout au long de la vie (CNFPTLV) est un cadre adéquat. L'amendement est donc satisfait.

M. Paul Blanc.  - La loi de février 2005 a prévu l'établissement pour chaque personne handicapée d'un projet de vie ; dans ce cadre, on se préoccupe de son accès à la formation professionnelle. J'ai souvent déploré la rareté des formations qui leur sont spécifiquement destinées en régions et le mauvais fonctionnement du Fonds pour l'insertion des personnes handicapées dans les fonctions publiques. Je compte sur vous, monsieur le ministre, pour y remédier avec Mme Morano.

M. Jean-Luc Fichet.  - La loi de 2005 était admirable...

M. Paul Blanc.  - Dommage que vous ne l'ayez pas votée !

M. Jean-Luc Fichet.  - ...mais les moyens manquent pour permettre aux personnes handicapées de bénéficier de la formation qui leur est due. Les quatre cinquièmes d'entre elles ont un niveau d'études inférieur au BEP. La disparition depuis 2005 de nombreux postes d'assistants de vie scolaire ne leur permet plus de poursuivre leur scolarité dans de bonnes conditions, car les établissements spécialisés font défaut. (On le confirme à gauche. Protestations à droite) Nous manquons ici l'occasion d'adresser à ces personnes un signal fort de soutien. (Applaudissements sur les bancs socialistes)

M. Jean Desessard.  - Si M. Paul Blanc estime qu'il faut renforcer la formation professionnelle des personnes handicapées, c'est donc qu'il est d'accord avec ces amendements ? (M. Paul Blanc proteste)

M. Paul Blanc.  - Je dis que cela relève de la compétence des régions !

M. Guy Fischer.  - Ce débat traduit une de nos préoccupations.

M. Jean-Claude Carle, rapporteur.  - Nous la partageons tous !

M. Guy Fischer.  - Malgré les efforts, les besoins restent criants. Comme toujours, ce sont les plus démunis, dans les quartiers populaires, qui sont les plus touchés. Les bilans que tirent les grandes associations sont éloquents : en cette rentrée scolaire, nous sommes confrontés à une baisse inqualifiable des effectifs ! (M. Jean Desessard applaudit)

L'amendement n°132 n'est pas adopté, non plus que l'amendement n°26.

L'article premier est adopté.

Article additionnel

M. le président.  - Amendement n°110, présenté par M. Desessard, Mmes Blandin et Boumediene-Thiery, M. Muller et Mme Voynet.

Après l'article premier, insérer un article additionnel ainsi rédigé :

Après l'article L. 4142-4 du code du travail, il est inséré un article additionnel ainsi rédigé :

« Art. ... . - Les cours spécifiques de formation obligatoire pour les travailleurs des chantiers de désamiantage sont compréhensibles, y compris aux salariés ne maîtrisant pas la langue française. »

M. Jean Desessard.  - Les entreprises de désamiantage sont tenues de fournir à leurs salariés une formation obligatoire sur ses dangers et les moyens de prévenir la contamination. Or, vu la pénibilité des tâches et les bas salaires, ces entreprises emploient majoritairement des non francophones, qui parfois signent d'une croix l'attestation de formation ! Tous les travailleurs doivent être conscients des risques encourus et avoir un égal accès à l'information et à la formation.

M. Jean-Claude Carle, rapporteur.  - Pour avoir eu à m'occuper du désamiantage de lycées, je ne méconnais pas le danger que représente l'amiante. Cette mesure est toutefois d'ordre réglementaire.

M. Laurent Wauquiez, secrétaire d'État.  - Votre amendement est pleinement satisfait par l'article 2 de l'arrêté du 25 avril 2005.

L'amendement n°110 n'est pas adopté.

Article 2

L'article L. 6111-2 du code du travail est ainsi modifié :

1° Avant l'alinéa unique, il est inséré un alinéa ainsi rédigé :

« Les connaissances et les compétences mentionnées au premier alinéa de l'article L. 6111-1 prennent appui sur le socle mentionné à l'article L. 122-1-1 du code de l'éducation, qu'elles développent et complètent. » ;

2° Après le mot : « font », est inséré le mot : « également ».

M. le président.  - Amendement n°28, présenté par Mme David et les membres du groupe CRC-SPG

Supprimer cet article.

Mme Annie David.  - L'articulation entre la formation tout au long de la vie et le socle de connaissances et de compétences inscrit dans le code de l'éducation, cohérente à première vue, laisse accroire que la formation continue se substitue à la formation initiale, définie de manière purement utilitariste -conséquence du renoncement à l'école de la réussite pour tous, à l'ambition de former des citoyens responsables.

Le socle commun, c'est le renforcement du tri social et des inégalités. Or la formation tout au long de la vie est conditionnée par le niveau de la formation initiale : qu'en sera-t-il pour les cohortes de jeunes qui sortent du système éducatif sans qualification, conduits à l'échec scolaire par le processus de sélection ?

La formation professionnelle n'a pas vocation à se substituer à la formation initiale ; elle doit renforcer les connaissances acquises durant la scolarité. Au socle commun a minima, nous rétorquons : culture de haut niveau pour tous ! L'école de la République doit permettre au plus grand nombre de parvenir au point critique de la connaissance où « il ne s'agit plus de comprendre le monde, mais de le changer », pour citer Marcel Martinet. Avec le socle commun et les suppressions de postes dans l'éducation nationale, nous en sommes loin !

M. Jean-Claude Carle, rapporteur.  - L'articulation entre le socle commun et la formation continue est indispensable. Elle répond en outre au souhait des signataires de l'ANI. Comment évoluer, se reconvertir si l'on a des difficultés avec la langue, avec les chiffres, avec l'écriture ? Avis défavorable.

M. Laurent Wauquiez, secrétaire d'État.  - Avis défavorable. La référence au socle commun de connaissances permet de ne pas exclure l'acquisition de la culture humaniste et scientifique de la formation professionnelle, que vous jugez trop utilitariste : en cela, elle correspond à vos objectifs.

Mme Annie David.  - Monsieur Carle, vous étiez rapporteur de la loi Fillon sur l'école : souvenez-vous, l'instauration du socle avait été retoquée par le Sénat, et le Gouvernement avait dû recourir à une deuxième délibération pour le faire adopter !

M. Jean-Claude Carle, rapporteur.  - Ne rouvrons pas ce débat. Toute la sagesse du Sénat s'était en effet exprimée en deuxième délibération.

L'amendement n°28 n'est pas adopté.

M. le président.  - Amendement n°111, présenté par M. Desessard, Mmes Blandin et Boumediene-Thiery, M. Muller et Mme Voynet.

Compléter cet article par deux alinéas ainsi rédigés :

...° L'article L. 6111-2 du code du travail est complété par un alinéa ainsi rédigé :

« Un décret en Conseil d'État précise les conditions dans lesquelles ces actions sont mises en oeuvre au bénéfice de toute personne résidant sur le territoire français, notamment en ce qui concerne leur accessibilité, leur contenu, leur durée, ainsi que la validation des connaissances acquises par les bénéficiaires. »

M. Jean Desessard.  - Il s'agit d'améliorer le niveau de langue des salariés illettrés et non francophones. Le bénéfice est évident pour l'entreprise : la formation linguistique permet au travailleur de mieux comprendre son environnement et favorise la cohésion des équipes. La maîtrise de la langue est en outre un outil fondamental d'intégration et d'accès à la citoyenneté pour les travailleurs non francophones.

Il faut donc encadrer l'apprentissage de la langue française.

M. Jean-Claude Carle, rapporteur.  - L'article L. 71-2 du code du travail dispose que l'apprentissage de la langue française et la lutte contre l'illettrisme font partie de la formation professionnelle. Les actions correspondantes sont donc financées par les employeurs.

Avis défavorable.

M. Laurent Wauquiez, secrétaire d'État.  - Même avis. De nombreuses actions de formation linguistique sont déjà financées. Le code du travail n'exclut personne.

L'amendement n°111 n'est pas adopté.

L'article 2 est adopté.

Article 2 bis

Le code du travail est ainsi modifié :

1° L'intitulé du chapitre IV du titre Ier du livre III de la sixième partie est ainsi rédigé : « Droit à l'information, à l'orientation et à la qualification professionnelles » ;

2° Le premier alinéa de l'article L. 6314-1 est ainsi modifié :

a) Les mots : « la qualification professionnelle » sont remplacés par les mots : « l'information, à l'orientation et à la qualification professionnelles » ;

b) Les mots : « d'acquérir » sont remplacés par les mots : « de progresser au cours de sa vie professionnelle d'au moins un niveau en acquérant ».

M. le président.  - Amendement n°113, présenté par M. Desessard, Mmes Blandin et Boumediene-Thiery, M. Muller et Mme Voynet.

Compléter cet article par deux alinéas ainsi rédigés :

...° L'article  L. 6314-1 du code du travail est complété par un alinéa ainsi rédigé :

« Les personnes ne maîtrisant pas la langue française bénéficient d'un droit à être informé, conseillé et accompagné en matière d'orientation professionnelle dans une langue compréhensible. »

M. Jean Desessard.  - Pour s'orienter professionnellement, les travailleurs immigrés et les actifs non francophones ont droit à une information fournie en langue compréhensible.

Ce projet de loi s'adresse en principe aux salariés moins bien formés. Il est donc normal que les personnes maîtrisant mal notre langue ou ne la connaissant pas du tout y accèdent prioritairement.

M. Jean-Claude Carle, rapporteur.  - Avis défavorable : l'obligation de traduire une masse de documents techniques en un nombre invraisemblable de langues imposerait aux organismes de formation et d'orientation une charge démesurée.

M. Laurent Wauquiez, secrétaire d'État.  - La langue de la République est le français. Faut-il plus l'enseigner ? Oui ! Faut-il augmenter les crédits de l'Office des migrations internationales ? Oui.

Je ne sais si c'est par gaullisme, mais je suis très attaché à l'usage du français. (Vifs applaudissements à droite)

L'amendement n°113 n'est pas adopté.

M. le président.  - Amendement n°116, présenté par M. Desessard, Mmes Blandin et Boumediene-Thiery, M. Muller et Mme Voynet.

Compléter cet article par deux alinéas ainsi rédigés :

...° L'article  L. 6314-1 du code du travail est complété par un alinéa ainsi rédigé :

« A cette fin, les personnes ne maîtrisant pas la langue française bénéficient d'une information compréhensible et adaptée. »

M. Jean Desessard.  - Amendement de repli. Il faut au moins que chaque personne active puisse recevoir une information compréhensible en matière d'orientation professionnelle.

M. Jean-Claude Carle, rapporteur.  - Même esprit que le précédent, même réponse ! Je souscris aux propos du ministre.

M. Laurent Wauquiez, secrétaire d'État.  - Même avis.

Mme Annie David.  - Cette réaction m'étonne.

Nous connaissons tous des travailleurs immigrés surexploités, dont la situation est inacceptable. Que vous faut-il pour assurer leurs droits ?

Je voterai l'amendement.

M. Jean Desessard.  - Tout à l'heure, monsieur le ministre a parlé des jeunes quittant l'éducation nationale sans diplôme, il a évoqué les salariés des PME. Tout cela, avec beaucoup de bons sentiments, comme sait en afficher le Président de la République tous les jours à la télévision. La question est : que faisons-nous ?

Pourquoi autant de personnes ne suivent-elles jamais de formation professionnelle ? On aurait pu évoquer les difficultés d'organisation rencontrées par les très petites entreprises... Mais il y a aussi le cas des travailleurs immigrés. Il ne faut pas se contenter de dénoncer leur situation : il faut prendre le temps d'y remédier.

L'amendement n°116 n'est pas adopté.

L'article 2 bis est adopté.

Article additionnel

M. le président.  - Amendement n°134, présenté par Mme Demontès et les membres du groupe socialiste, apparentés et rattachés.

Après l'article 2 bis, insérer un article additionnel ainsi rédigé :

Dans le délai d'un an après la promulgation de la présente loi, le Gouvernement remet au Parlement un rapport sur la création d'un service public d'orientation associant l'État, les régions et les partenaires sociaux au niveau des territoires, dans la perspective du décloisonnement des filières, de la possibilité de réorientation et de la revalorisation des filières professionnelles et techniques.

M. Jean-Luc Fichet.  - L'article 40 de la Constitution empêchant toute initiative parlementaire accroissant les dépenses, nous devons demander au Gouvernement un rapport sur le service public de l'orientation associant l'État, les régions et les partenaires sociaux. Cette demande reprend les conclusions du Livre vert publié par la commission présidée par M. Hirsch.

Quelque 150 000 jeunes quittent chaque année le système scolaire sans diplôme ni qualification. Pour eux, la formation professionnelle ne suffit pas. Démunis, ils ne savent que faire et ont le sentiment d'être orientés en fonction des places disponibles, ce qui aggrave leur angoisse de l'avenir.

L'originalité de la démarche suivie par la commission Hirsch a été de proposer qu'un service public territorialisé intervienne hors de l'éducation nationale, mais en liaison avec les partenaires sociaux. Cette approche met en évidence l'intérêt de la formation en alternance.

Il sera difficile de mettre en oeuvre cette véritable novation, mais il faut au moins étudier sa faisabilité. (Applaudissements sur les bancs socialistes)

M. Jean Desessard.  - Bravo !

M. Jean-Claude Carle, rapporteur.  - Vous connaissez mon enthousiasme pour les rapports au Parlement... J'en ai sollicité une dizaine et j'attends encore les conclusions de la plupart.

L'article 3 du projet de loi renforce le rôle du délégué interministériel à l'orientation, qui pourra fédérer les acteurs de l'orientation. C'est indispensable. Nous proposerons que ce délégué, placé auprès du Premier ministre, remette des propositions d'ici le 1er juillet.

La commission est donc défavorable à un rapport supplémentaire qui brouillerait le dispositif.

M. Laurent Wauquiez, secrétaire d'État.  - Même avis. Outre que je partage l'enthousiasme du rapporteur pour les rapports (sourires), en tant qu'ancien parlementaire, la nouvelle rédaction de l'article 3 satisfait votre préoccupation.

L'amendement n°134 n'est pas adopté.

Article 3

I. - Le chapitre Ier du titre Ier du livre Ier de la sixième partie du code du travail est complété par deux articles L. 6111-3 et L. 6111-4 ainsi rédigés :

« Art. L. 6111-3. - Toute personne dispose du droit à être informée, conseillée et accompagnée en matière d'orientation professionnelle, au titre du droit à l'éducation garanti à chacun par l'article L. 111-1 du code de l'éducation.

« Art. L. 6111-4. - Selon des modalités définies par décret en Conseil d'État et sur le fondement de normes de qualité élaborées par le délégué visé à l'article L. 6123-3 après avis public du Conseil national de la formation professionnelle tout au long de la vie, peuvent être reconnus comme participant à la mission de service public d'information et d'orientation professionnelle les organismes qui proposent dans un lieu unique à toute personne un ensemble de services lui permettant :

« 1° De disposer d'une information exhaustive et objective sur les métiers, les compétences et les qualifications nécessaires pour les exercer, les dispositifs de formation et de certification, ainsi que les organismes de formation et les labels de qualité dont ceux-ci bénéficient ;

« 2° De bénéficier de conseils personnalisés afin de pouvoir choisir en connaissance de cause un métier, une formation ou une certification adapté à ses aspirations, à ses aptitudes et aux perspectives professionnelles liées aux besoins prévisibles de la société, de l'économie et de l'aménagement du territoire et, lorsque le métier, la formation ou la certification envisagé fait l'objet d'un service d'orientation ou d'accompagnement spécifique assuré par un autre organisme, d'être orientée de manière pertinente vers cet organisme. »

II. - Le chapitre III du titre II du même livre est complété par une section 2 ainsi rédigée :

« Section 2

« Le Délégué à l'information et à l'orientation

« Art. L. 6123-3. - Le Délégué à l'information et à l'orientation est chargé :

« 1° De définir les priorités de la politique nationale d'information et d'orientation scolaire et professionnelle ;

« 2° D'établir des normes de qualité pour l'exercice de la mission de service public d'information et d'orientation ;

« 3° D'évaluer les politiques nationale et régionales d'information et d'orientation scolaire et professionnelle.

« Il apporte son appui à la mise en oeuvre et à la coordination des politiques d'information et d'orientation aux niveaux régional et local.

« Art. L. 6123-4. - Le Délégué à l'information et à l'orientation est placé auprès du Premier ministre. Il est nommé en conseil des ministres.

« Art. L. 6123-5. - Pour l'exercice de ses missions, le Délégué à l'information et à l'orientation dispose des services et des organismes placés sous l'autorité des ministres chargés de l'éducation nationale, de l'enseignement supérieur, de l'emploi, de la formation professionnelle et de la jeunesse. »

III. - (nouveau) Le Délégué à l'information et à l'orientation présente au Premier ministre, avant le 1er juillet 2010, un plan de coordination au niveau national et régional de l'action des opérateurs nationaux sous tutelle de l'État en matière d'information et d'orientation. Il examine les conditions de réalisation du rapprochement, sous la tutelle du Premier ministre, de l'établissement public visé à l'article L. 313-6 du code de l'éducation, du Centre pour le développement de l'information sur la formation permanente et du Centre d'information et de documentation jeunesse.

Le plan de coordination est remis au Parlement et rendu public.

IV. - (nouveau) Au début de la seconde phrase du deuxième alinéa de l'article L. 313-6 du code de l'éducation, les mots : « Avec l'accord du ministre chargé du travail, il peut participer » sont remplacés par les mots : « Il participe ».

M. le président.  - Amendement n°29, présenté par Mme David et les membres du groupe CRC-SPG.

Rédiger comme suit le texte proposé par le I de cet article pour l'article L. 6111-4 du code du travail :

« Art. 6111-4. - Il est créé, pour satisfaire aux obligations édictées aux articles L. 6111-1 et L. 6111-3 du même code, un service public national de l'orientation et de la formation professionnelle tout au long de la vie.

« Il permet à ses usagers de disposer dans un seul lieu, de manière gratuite et personnalisée :

« 1° Des informations exhaustives et objectives sur les métiers, les compétences et les qualifications nécessaires pour les exercer, les dispositifs de formation et de certification ;

« 2° De conseils leur permettant de choisir en pleine connaissance de cause un métier, une formation ou une certification adaptée à ses aspirations, ses aptitudes ;

« 3° Des informations quant à la situation actuelle et prévisible de l'emploi ;

« 4° De faciliter la mise en relation entre l'usager et les autres acteurs de l'orientation et de la formation professionnelle. »

Mme Brigitte Gonthier-Maurin.  - La commission a considérablement amélioré le texte en substituant à un portail internet, au reste déjà existant, un lieu physique d'accueil, conformément aux conclusions de la table ronde des partenaires sociaux. Pour autant, nous souhaitons préciser, afin de garantir la qualité du service rendu, qu'il s'agit d'un service public de l'orientation professionnelle et de l'information et qu'il faut recentrer le dispositif sur le demandeur plutôt que sur les entreprises : la rédaction actuelle correspond à une vision trop utilitariste de la formation professionnelle.

M. le président.  - Amendement n°30, présenté par Mme David et les membres du groupe CRC-SPG.

Dans le premier alinéa du texte proposé par le I de cet article pour l'article L. 6111-4 du code du travail, remplacer les mots :

de normes de qualité élaborées par le délégué visé à l'article L. 6123-3 après avis public du Conseil national de la formation professionnelle tout au long de la vie

par les mots :

des règles de continuité, de mutabilité, d'égalité et de neutralité propre aux services publics

M. Guy Fischer.  - Plutôt que de confier au délégué à l'information et à l'orientation l'élaboration des normes que devront respecter les organismes participant à cette mission de service public, reportons-nous aux principes du service public définis dans les lois de Rolland. Nous avons les outils, pourquoi ne pas les utiliser ?

M. le président.  - Amendement n°31, présenté par Mme David et les membres du groupe CRC-SPG.

I. - Dans le premier alinéa du texte proposé par le I de cet article pour l'article L. 6111-4 du code du travail, remplacer les mots :

participant à

par le mot :

exerçant

II. - Dans ce même alinéa, après les mots :

les organismes

insérer le mot :

recevant l'agrément du ministère de l'économie, de l'industrie et de l'emploi

Amendement n°32, présenté par Mme David et les membres du groupe CRC-SPG.

Dans le premier alinéa du texte proposé par le I de cet article pour l'article L. 6111-4 du code du travail, après les mots :

les organismes

insérer les mots :

de droit public ou privé ne poursuivant pas de but lucratif

Mme Annie David.  - Nous voulons créer un véritable service public national et territorialisé de l'information, de l'orientation et de la formation professionnelle tout au long de la vie, plutôt qu'une mission d'intérêt général ; service public qui, par définition, ne serait pas soumis aux règles de la concurrence. C'est l'objet de l'amendement n°31.

Avec l'amendement n°32, nous nous opposons à la privatisation du service public de l'emploi, entreprise avec la fusion de l'ANPE et des Assedic en précisant que les organismes de droit public autorisés à y participer doivent poursuivre des buts non lucratifs, telle l'Afpa. Seront ainsi exclus les opérateurs privés de placement, auxquels vous sous-traitez déjà une part de l'activité de Pôle emploi et les entreprises d'intérim.

M. Jean-Claude Carle, rapporteur.  - Avis défavorable à l'amendement n°29. Tout d'abord, créer un service public ne me semble pas la meilleure formule. Commençons par renforcer le délégué interministériel en lui confiant la tâche de coordonner tous les services de l'État concernés au niveau national et régional et de travailler plus spécifiquement au rapprochement de l'Onisep, du Centre pour le développement de l'information sur la formation permanente et du Centre d'information et de documentation jeunesse sous la tutelle du Premier ministre. Le délégué interministériel offrira également aux régions son appui tout en les laissant poursuivre son action. Il poussera également les organismes d'information et d'orientation à se rapprocher, sur le modèle des Cités des métiers dont l'expérience est concluante à Paris comme dans le Limousin. Tel est l'objectif de la labellisation, qui sera menée sous l'égide du délégué et du CNFTLV. Ensuite, pour répondre à la deuxième partie de l'amendement, nous ne cherchons nullement à contraindre le demandeur à choisir une formation mais à lui donner l'information nécessaire pour éclairer son choix.

Défavorable également à l'amendement n°30 : aucune personne, physique ou morale, ne peut aujourd'hui s'exonérer de respecter des critères de qualité.

La procédure d'agrément préalable que vous proposez à l'amendement n°31 est trop lourde, compte tenu du nombre des acteurs. De plus, le ministre de l'économie ne serait pas l'autorité la plus appropriée car il serait juge et partie...

Mme Annie David.  - C'est la meilleure !

M. Jean-Claude Carle, rapporteur.  - ...sans compter que certains de ses services dépendent des ministères de l'éducation nationale et de l'emploi... Le directeur général de l'enseignement supérieur l'avait évoqué en commission.

Quant au n°32, rejet car les organismes privés participent au service public et sont au service du public.

M. Laurent Wauquiez, secrétaire d'État.  - Permettez-moi de souligner, tout d'abord, l'important travail de fond réalisé votre rapporteur sur cet article afin qu'il ne reste pas inaperçu en raison des nouvelles règles de travail issues de la révision constitutionnelle.

Il ne fait aucun doute, à lire le texte de la commission, que nous sommes bien en présence d'une mission de service public, ce qui rend inutile le rappel des principes jurisprudentiels du service public que sont la mutabilité, la neutralité, l'égalité et la continuité, laquelle fonde, entre parenthèses, l'instauration du service minimum. Rejet de l'amendement n°29.

Concernant les amendements n°s30, 31 et 32 auxquels le Gouvernement est également défavorable, vous qui êtes tant attachés aux CIO, pourquoi voulez-vous, avec l'instauration d'un service public unique, mettre à bas toutes les structures locales du jour au lendemain ? Plutôt que de saper le travail de terrain, nous avons décidé de mettre au point un cahier de labellisation afin de garantir une information de qualité. Les amendements concernant le délégué interministériel à cet égard enrichissent le texte, je le reconnais volontiers. Quant à Centre Inffo, je veux saluer la très grande qualité de son travail et me réjouis que nous ayons trouvé une rédaction commune avec la commission.

Mme Christiane Demontès.  - La rédaction de la commission est certes un progrès, mais nos collègues voulaient aller plus loin en créant un véritable service public de l'orientation territorialisé. Cela ne signifie en rien qu'il faut supprimer l'existant, mais coordonner les différents services qui accueillent, les uns, les jeunes en difficultés, les autres, les handicapés ou encore les demandeurs adultes et les salariés. Au reste, cette proposition figure dans le Livre vert de la mission Hirsch et je ne voudrais pas que le ministre et le rapporteur soient contrariés, demain, par le lancement d'un dispositif qu'ils refusent aujourd'hui. Je voulais simplement souligner l'absence de cohérence entre nos travaux et la diversité des projets de loi.

Mme Annie David.  - Très bien !

L'amendement n°29 n'est pas adopté, non plus que les amendements nos30, 31 et 32.

M. le président.  - Amendement n°137, présenté par M. Jeannerot et les membres du groupe socialiste, apparentés et rattachés.

Après le texte proposé par le I de cet article pour l'article L. 6111-4 du code du travail, ajouter un article additionnel ainsi rédigé :

« Art. L. ... - En application de l'article 47 la loi n° 2005-102 pour l'égalité des droits et des chances, la participation et la citoyenneté des personnes handicapées, les organismes chargés de cette mission de service public veillent à ce que les personnes handicapées disposent de l'ensemble des services offerts, notamment par un accès dans chaque maison départementale des personnes handicapées. Un décret prévoit les modalités d'accès des personnes déficientes auditives. »

M. Claude Jeannerot.  - Je reviens sur l'intégration des handicapés. La maison départementale des personnes handicapées est bien dans le réseau.

M. Jean-Claude Carle, rapporteur.  - On a en effet déjà évoqué cette question et, puisque les organismes labellisés doivent accueillir toute personne, la précision proposée est inutile. Une telle exigence serait difficile à mettre en oeuvre. Avis défavorable.

M. Laurent Wauquiez, secrétaire d'État.  - Même avis.

M. Paul Blanc.  - N'en rajoutons pas dans la lourdeur et faisons fonctionner ce qui existe.

Mme Annie David.  - Mais qui ne fonctionne pas !

L'amendement n°137 n'est pas adopté.

M. le président.  - Amendement n°33, présenté par Mme David et les membres du groupe CRC-SPG.

Supprimer le deuxième alinéa (1°) du texte proposé par le II de cet article pour l'article L. 6123-3 du code du travail.

Mme Annie David.  - L'amendement du Gouvernement satisfera peut-être le mien, mais je veux dire que la définition de la politique d'information et d'orientation relève du Gouvernement. Elle doit faire l'objet de grands débats politiques, non d'une décision administrative.

M. le président.  - Amendement n°168, présenté par le Gouvernement.

Dans le 1° du texte proposé par le II de cet article pour l'article L. 6123-3 du code du travail, remplacer le mot :

définir

par le mot :

proposer

M. Laurent Wauquiez, secrétaire d'État.  - Dans le prolongement de l'amendement précédent, le pouvoir politique doit assumer sa responsabilité.

M. Jean-Claude Carle, rapporteur.  - Avis favorable à l'amendement n°168, qui satisfera le n°33.

L'amendement n°33 est retiré.

L'amendement n°168 est adopté.

M. le président.  - La séance est prévue demain matin à 9 h 30. Comme les questions sont minutées, je dois lever la séance.

Prochaine séance aujourd'hui, mardi 22 septembre 2009 à 9 h 30.

La séance est levée à minuit vingt-cinq.

Le Directeur du service du compte rendu analytique :

René-André Fabre

ORDRE DU JOUR

du mardi 22 septembre 2009

Séance publique

À 9 HEURES 30,

1. Questions orales.

À 15 HEURES ET LE SOIR

2. Suite du projet de loi, adopté par l'Assemblée nationale après engagement de la procédure accélérée, relatif à l'orientation et à la formation professionnelle tout au long de la vie (n° 578, 2008-2009).

Rapport de M. Jean-Claude Carle, fait au nom de la commission spéciale (n° 618, 2008-2009).

Texte de la commission (n° 619, 2008-2009).

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DÉPÔTS

La Présidence a reçu de :

- MM. Yvon Collin, Michel Charasse, Jean-Michel Baylet, Mme Anne-Marie Escoffier, M. François Fortassin, Mme Françoise Laborde, MM. Jacques Mézard, Jean Milhau, Jean-Pierre Plancade, Robert Tropeano et Raymond Vall, une proposition de loi (n° 624, 2008-2009) étendant l'application de la journée complémentaire aux opérations d'investissement des collectivités ayant signé la convention relative au versement anticipé du Fonds de compensation pour la taxe sur la valeur ajoutée, envoyée à la commission des finances, sous réserve de la constitution éventuelle d'une commission spéciale dans les conditions prévues par le Règlement.

- M. Gérard César, une proposition de loi (n° 625, 2008-2009) visant à renforcer la procédure de lutte contre les mariages simulés, envoyée à la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du Règlement et d'administration générale, sous réserve de la constitution éventuelle d'une commission spéciale dans les conditions prévues par le Règlement.