Loi pénitentiaire (Conclusions de la CMP)

M. le président.  - L'ordre du jour appelle l'examen des conclusions de la commission mixte paritaire sur le projet de loi pénitentiaire.

Discussion générale

M. Jean-René Lecerf, rapporteur pour le Sénat de la commission mixte paritaire.  - Le Sénat, qui s'est toujours investi dans la défense des libertés, a manifesté une attention constante à la situation des établissements pénitentiaires et aux conditions de détention dans notre pays. Rappelons une fois encore le rapport issu de la commission d'enquête présidée par Jean-Jacques Hyest « Les prisons : une humiliation pour la République », qui en appelait à des réformes fondamentales. Le projet de loi pénitentiaire a rejoint bon nombre de nos préoccupations et nous nous sommes efforcés, par un travail largement consensuel, d'en améliorer le contenu.

Le volet relatif aux conditions de détention ayant suscité une déception certaine, nous nous sommes employés à l'enrichir. L'Assemblée nationale, sous l'impulsion de son rapporteur, Jean-Paul Garraud, a conforté l'essentiel des apports du Sénat. Il s'agit notamment de l'institution d'une obligation d'activité et de la possibilité pour les plus démunis d'obtenir en numéraire une partie de l'aide de l'État, de la limitation des fouilles, du renforcement des garanties reconnues aux détenus menacés de sanctions disciplinaires, de l'obligation de garantir la sécurité des personnes incarcérées et de l'extension du bilan d'évaluation prévu au début de l'incarcération.

L'Assemblée nationale a fait de la possibilité de consulter les détenus sur les activités qui leur sont proposées une obligation, leur reconnaissant ainsi un droit d'expression, et a imposé la motivation du refus d'un permis de visite. Dans une rédaction plus protectrice que celle du Sénat, elle a enjoint à l'administration pénitentiaire de garantir à tout détenu le respect de sa dignité et de ses droits.

Les députés ont très largement validé les modifications dues à l'initiative de Nicolas About, au nom de la commission des affaires sociales, telle la garantie que les fouilles corporelles internes ne puissent être effectuées par un médecin affecté à l'établissement. Ils ont supprimé la référence à la permanence des soins, tout en maintenant le principe de qualité et de continuité de ces derniers, et ont garanti aux détenus un accès aux soins d'urgence « dans des conditions équivalentes à celles dont bénéficie l'ensemble de la population ». L'Assemblée nationale a ajouté des dispositions relatives aux femmes détenues, dont la possibilité d'organiser des activités mixtes et l'obligation que tout accouchement ou examen gynécologique se déroule sans entraves et hors de la présence des personnels pénitentiaires.

Le volet consacré aux aménagements de peine a fait l'objet d'un rééquilibrage, portant davantage sur les dispositions proposées par le texte initial que sur les modifications introduites par le Sénat. Le projet de loi déposé au Sénat portait de un à deux ans le quantum ou le reliquat de peine d'emprisonnement pouvant être aménagé par la juridiction de jugement ab initio ou par le juge de l'application des peines. L'Assemblée nationale a exclu de cette disposition les personnes condamnées en état de récidive légale. Cette position, cohérente avec la législation récente, ne met pas en cause les avancées concernant les alternatives à l'incarcération : élargissement du champ des bénéficiaires, assouplissement des conditions d'octroi ou simplification des procédures. En outre, le passé pénal de l'intéressé est pris en compte pour décider d'un aménagement de peine : une personne condamnée en état de récidive légale serait de toute façon moins susceptible d'en bénéficier qu'un primo-délinquant.

Le nombre de points de désaccord entre les deux assemblées, limité, portait surtout sur les conditions de placement sous surveillance électronique et sur le principe de l'encellulement individuel. La CMP a adopté la proposition de ses deux rapporteurs attribuant la mise en ouvre du placement sous surveillance électronique au directeur du Service pénitentiaire d'insertion et de probation (SPIP), sous l'autorité du procureur de la République. En l'absence de décision de placement, la personne condamnée pourra saisir le juge de l'application des peines. La CMP est revenue à la rédaction du Sénat pour la règle de l'encellulement individuel, assortie des trois dérogations déjà admises dans notre droit : lorsque l'intéressé demande un encellulement collectif, lorsque sa personnalité le justifie ou lorsqu'il a été autorisé à travailler ou à suivre une formation. Le moratoire de cinq ans pour sa mise en oeuvre a été reconduit.

La CMP a complété le texte adopté par l'Assemblée nationale afin d'indiquer que le régime d'exécution de la peine privative de liberté doit permettre au détenu, comme l'avait prévu le Sénat, de mener une vie responsable. A l'initiative de Jean-Pierre Sueur, elle a précisé le caractère indépendant de l'observatoire chargé des données statistiques relatives aux infractions, à l'exécution des décisions de justice en matière pénale, à la récidive et à la réitération. Elle a repris la disposition adoptée par le Sénat selon laquelle le rapport de cet observatoire devrait comporter une estimation par établissement pour peines du taux de récidive et de réitération. Elle a supprimé l'article, issu d'un amendement de l'Assemblée nationale, qui abrogeait l'automaticité de la peine d'inéligibilité. Si cette disposition est susceptible de générer de profondes injustices, ce projet de loi ne constitue pas le cadre adapté à cette réflexion.

A l'article 20 bis, la CMP a adopté une proposition des parlementaires socialistes et CRC prévoyant que les médecins et personnels soignants intervenant en milieu carcéral ne peuvent être requis d'office pour effectuer une expertise médicale ou un acte dénué de lien avec les soins ou la préservation de la santé du détenu. A l'initiative de notre collègue M. About, la CMP a rétabli l'article 22 quater dans le texte du Sénat, qui prévoit la constitution dans les deux ans d'un dossier médical électronique unique pour chaque personne détenue. A l'article 47, elle a fixé à 70 ans, comme l'avait proposé le Sénat, et non à 75, comme dans le texte de l'Assemblée nationale, l'âge dispensant de l'obligation d'avoir accompli un temps d'épreuve pour pouvoir bénéficier d'une libération conditionnelle.

Je me suis enfin engagé devant la CMP, madame la ministre d'État, à vous interroger sur trois points.

Le premier concerne l'article 14 bis, introduit par le Sénat, qui prévoyait la possibilité de donner, lors de la passation des marchés publics, un droit de préférence au service de l'emploi pénitentiaire et aux sociétés concessionnaires des établissements pénitentiaires pour les produits ou services assurés par des personnes détenues. L'Assemblée nationale a logiquement supprimé cette disposition qui relève du Règlement ; les membres de la CMP ont néanmoins souhaité connaître le sentiment du Gouvernement sur cette question.

Le deuxième point, à l'initiative de M. Goujon, député, est relatif à l'harmonisation de la liste et des prix des produits cantinables entre les différents établissements pénitentiaires.

Le troisième est une proposition de notre collègue M. About tendant à reconnaître à l'administration pénitentiaire la possibilité de rémunérer des détenus faisant fonction d'aidant pour d'autres détenus en situation de handicap. Serait-il possible d'accéder à la demande de nos deux collègues en élaborant un règlement intérieur cadre qui limiterait les inégalités et permettrait aux détenus de mieux appréhender leurs droits et leurs devoirs ?

Je vous avais confié, lors de l'examen de ce texte, qu'un échec serait la principale déception de ma vie de parlementaire. Certes, tous les problèmes ne sont pas réglés et le quotidien restera longtemps encore très difficile dans l'univers carcéral. Mais je suis convaincu que nous avons ensemble posé les fondements d'une véritable rupture entre la prison d'hier et celle de demain. II nous appartient désormais de veiller à ce que les moyens de notre ambition collective ne nous soient pas refusés afin que le temps de l'incarcération ne soit plus un temps mort mais un temps utile. Lorsque nos prisons deviendront des ateliers de réinsertion, elles auront cessé à jamais d'être une humiliation pour notre République. (Applaudissements au centre et à droite et sur plusieurs bancs socialistes)

M. le président. - Je constate que l'ensemble du Sénat salue vos propos.

Mme Michèle Alliot-Marie, ministre d'État, garde des sceaux, ministre de la justice et des libertés.  - Ce texte marque l'aboutissement d'un long processus, lui-même l'expression d'une prise de conscience et d'une réelle ambition. Il rappelle que la prison remplit une triple mission : protéger la société, sanctionner les actes délictuels ou criminels et aussi, vous y avez tous insisté, renforcer la lutte contre la récidive en aidant à une véritable réinsertion des détenus. C'est la prise de conscience de l'état lamentable de nos prisons qui a présidé à la construction de nouveaux établissements, lancée en 2002 ; nous disposerons en 2012 de 63 000 places, soit à peu près le nombre de détenus.

A la suite de l'adoption de ce texte, des actions concrètes seront menées pour développer l'activité en milieu pénitentiaire et améliorer le suivi médical et social des détenus.

Le Sénat s'est dès le départ fortement impliqué dans l'élaboration d'un texte fondamental pour l'avenir de nos prisons. Les débats ont été ici riches et fructueux, parfois passionnés ; les échanges avec l'Assemblée nationale et le Gouvernement ont permis à chacun d'apporter sa vision, ses préoccupations, sa sensibilité et son expertise. Je salue le grand investissement du rapporteur, grâce auquel le texte a gagné en cohérence, en lisibilité et en pertinence.

Je voudrais revenir sur trois points particuliers. Les droits et les devoirs des détenus ont été clarifiés. Le respect de la personne humaine et de sa dignité ne saurait s'arrêter à la porte des prisons. En inscrivant dans la loi le droit à des soins médicaux de qualité, le Sénat a montré son attachement à ces valeurs. N'oublions jamais que le temps de l'incarcération, temps de la sanction, est aussi celui de la reconstruction. C'est pourquoi le droit à l'activité des détenus doit être reconnu. Il faudra certes que les moyens suivent. La préférence à accorder aux entreprises qui donnent du travail aux détenus relève du code des marchés publics, nous pourrons en débattre comme nous pourrons débattre de la diversification des activités en prison ; je crois important que ces activités -et les détenus- soient en phase avec les préoccupations de la société, je pense à la protection de l'environnement ou au développement durable.

Deuxième point, le principe de l'encellulement individuel, que le texte consacre. Nos débats ont porté non sur l'objectif, que nous partageons tous, mais sur le principe de réalité ; je voulais éviter un énième moratoire. La CMP a fait un autre choix. Soyez assuré que je mettrai tout en oeuvre pour mettre à profit ce moratoire et atteindre l'objectif qu'a fixé le Parlement. Les 5 000 places supplémentaires annoncées par le Président de la République permettront de nous en rapprocher. C'est tout ce que je peux vous dire aujourd'hui.

Troisième point, l'aménagement des peines. Grâce à un travail conjoint, ses règles sont en cohérence avec notre politique pénale. L'inexécution des peines me préoccupe, qui n'est pas admissible et donne une image très négative de notre droit et de notre justice -30 000 peines ne sont jamais exécutées. Les dispositions du texte, assorties d'inscriptions de crédits en loi de finances, permettront dans un temps court de mettre fin à ce véritable scandale. Notre succès ou notre échec commun se mesurera à la baisse de la récidive. Le texte donne un cadre, des mesures concrètes devront suivre au sein des établissements et à leur sortie.

Vous m'avez interrogée sur les cantines. J'ai effectivement constaté des différences non justifiées. L'harmonisation des tarifs des produits cantinables est déjà en cours par voie réglementaire. Quant à la rémunération des aidants, elle pourra être prévue sans difficulté dans le décret relatif aux droits et devoirs des détenus. La logique est bien de dire au détenu qu'il peut jouer un rôle pour autrui et pour la société.

Les conseils généraux pourront également y participer.

L'efficacité de la réponse pénale va de pair avec la dignité de la personne condamnée, condition sine qua non pour que le temps de l'emprisonnement soit un temps positif, l'occasion de rattraper ses échecs. C'est le sens de ce texte, c'est le sens de la politique pénale du Gouvernement, c'est le sens de l'avenir de notre société toute entière. (Applaudissements à droite)

Mme Nicole Borvo Cohen-Seat.  - Cela fait dix ans que les représentants de la Nation s'accordent pour affirmer que la dignité humaine doit être respectée dans les lieux de détention et la sanction pénale avoir un sens. Je voudrais pouvoir dire qu'enfin, la France s'est dotée d'une loi fondamentale. Hélas, ce n'est pas le cas, malgré le sérieux de nombreux sénateurs, notre rapporteur le premier, pour améliorer un texte indigent. J'ai souligné, lors de la première lecture, les avancées sur la dignité des détenus ou l'aménagement des peines, qui nous ont conduits à nous abstenir sur le texte issu du Sénat.

La déclaration d'urgence nous prive d'une deuxième lecture. Or le Gouvernement a fait pression à l'Assemblée nationale pour revenir sur les avancées votées au Sénat : si vous vous êtes résignés à vous conformer aux règles européennes après avoir été montrés du doigt, vous n'êtes manifestement pas prêts à réfléchir au sens de la sanction pénale, ni à reconnaître les droits fondamentaux de sujets de droit. Je l'avais dit à Mme Dati ; hélas, vous l'avez confirmé.

En effet, les mesures améliorant les conditions de la détention sont assorties de renvoi au règlement ou de restrictions : régimes différenciés de détention, fouilles à corps, quartier disciplinaire.

Je m'interroge sur l'immixtion dans le débat à l'Assemblée du directeur de l'administration pénitentiaire, distribuant bons et mauvais points aux parlementaires, taxant certains d'être « inspirés par la vulgate foucaldienne ». On est en droit d'attendre d'un haut fonctionnaire plus de réserve, plus de respect pour le législateur !

La commission paritaire a rétabli le texte du Sénat affirmant le principe de l'encellulement individuel, balayé par l'Assemblée et le Gouvernement au motif qu'il était inapplicable. C'est là où le bât blesse : si c'est un droit, il faut se donner les moyens de son effectivité !

Mais vous êtes dans une autre logique : d'une part, vous considérez que l'administration pénitentiaire doit avoir un moyen de pression ; d'autre part, votre logique pénale organise l'accroissement du nombre de détenus, avec des lois à venir sur la récidive et les bandes organisées.

A entendre M. Frédéric Lefebvre, l'aiguillon du Président, remettre sur le métier les peines automatiques, associant dans un même élan délinquants sexuels et casseurs, il y a de quoi s'inquiéter !

Vous répondez à l'augmentation de la délinquance par une aggravation pénale continue. Une autre approche de la sanction et de la réinsertion n'est pas à l'ordre du jour. Ainsi, vous faites du recours au bracelet électronique la clé du désencombrement des prisons, doublé d'un instrument de contrôle et de pression, puisque c'est le parquet qui en décidera et non le juge d'application des peines. Or on entend déjà des parlementaires dénoncer un texte trop clément, un syndicat de police affirmer le lien de causalité entre aménagement des peines et hausse de la délinquance...

L'Institut pour la justice, pourfendeur des alternatives à la détention et du laxisme de la justice pénale, s'est livré à un lobbying hélas efficace, empêchant tout débat de fond sur les moyens d'un véritable suivi socio-judiciaire après l'incarcération. Au contraire, les récidivistes sont considérés comme une catégorie prédéterminée, nécessitant des sanctions automatiques de plus en plus lourdes. Quand aborderez-vous la question autrement ? L'objectif est de réinsérer ces personnes, pas de faire croire aux Français que l'enfermement à vie est le remède infaillible à la récidive !

La contradiction entre l'affichage et la réalité fait douter de votre sincérité. Gouvernement et majorité ne donnent aucun signe de vouloir s'interroger sur la politique pénale. Nous ne pouvons cautionner le faux-semblant d'un consensus sur cette loi. A regret, mon groupe votera contre. (Applaudissements sur les bancs CRC et sur certains bancs socialistes)

M. Pierre Fauchon.  - Je salue l'exemplarité de la démarche législative qui s'achève aujourd'hui, d'autant que le président de notre groupe y a contribué, dans un esprit non seulement sanitaire mais véritablement humanitaire. Le mérite en revient à ceux qui, depuis longtemps déjà au Sénat, attirent notre attention sur le problème des prisons. Notre rapporteur et ceux qui l'ont aidé ont été exemplaires, par le souci d'une connaissance concrète des situations, par la qualité de leurs réflexions, par des propositions alliant idéal et pragmatisme.

Sans doute les résultats acquis avec nos collègues députés permettent-ils d'espérer de réelles améliorations, dans la mesure où le Gouvernement les mettra en oeuvre avec fidélité et persévérance. Pour autant, avons-nous apporté la meilleure des solutions aux problèmes que pose notre système dit pénitentiaire, expression en elle-même révélatrice d'un certain archaïsme intellectuel ?

En tant qu'ancien avocat mais aussi ancien directeur d'une maison d'arrêt au Maroc à la fin du protectorat, je suis persuadé que le système de l'incarcération en tant que mode de traitement de la délinquance doit être repensé en profondeur car il a cessé depuis longtemps -à supposer qu'il y soit jamais parvenu- de donner les résultats qui sont supposés le justifier.

L'incarcération telle que nous la pratiquons n'est ni une pénitence ressentie comme équitable en dépit de sa rigueur, ni un mode d'amendement des comportements, ni une prévention efficace de la récidive. L'incarcération est globalement un échec. Est-ce pour autant un mal nécessaire ? Je n'en suis même pas sûr. Des modifications substantielles -et qui ne sont pas nécessairement coûteuses- pourraient améliorer significativement une situation qui constitue une véritable honte pour nos sociétés dites avancées, qui se targuent orgueilleusement d'humanisme.

On m'accusera inévitablement d'utopie. Je rejette ce qualificatif. Comme directeur de prison, n'ais-je pas généralisé, au plus grand bénéfice de tous, la pratique de la brève suspension de détention pour circonstances familiales ? N'ais-je pas, pour faire face à un fort accroissement du nombre de détenus lié aux troubles de la fin du protectorat, institué des travaux collectifs de plein air, sans désordres ni évasions supplémentaires ? Comme sénateur, ne me suis-je pas, aux côtés de MM. Larché et Cabanel, engagé dans la procédure du bracelet électronique, démarche qui, alors qu'elle suscitait méfiance et scepticisme, apparaît aujourd'hui appropriée à des cas de plus en plus nombreux ?

Ces exemples montrent qu'il ne faut pas se laisser aller à la résignation et au scepticisme. Il existe des alternatives à l'incarcération. A nous de les expérimenter avec persévérance et imagination.

On ne le répètera jamais assez : il est scandaleux et insupportable que des êtres humains non reconnus coupables subissent, en détention provisoire, le même sort que des condamnés, avec de surcroît des conditions de vie que l'on sait bien moins confortables en maison d'arrêt qu'en centrale. Cela est choquant.

S'il faut tirer une leçon de la terrible affaire d'Outreau, c'est bien celle-là. Il n'est nullement impossible de mettre fin à une dérive qui concerne un quart des personnes détenues.

Les conclusions positives qui marquent la fin de cette phase législative, et auxquelles notre groupe souscrit pleinement, ne nous autorisent pas pour autant à refermer le dossier. Il doit rester ouvert dans nos consciences et dans nos travaux. « Une société se juge à l'état de ses prisons », disait Camus. Il y va de la dignité humaine et de notre idée de la civilisation, qui exige moins de satisfaction et plus d'exigence. (Applaudissements à droite, au centre et au banc des commissions)

M. Alain Anziani.  - En dépit d'une absurde déclaration d'urgence, en une petite semaine, le Sénat, toutes sensibilités confondues -et je salue le travail du rapporteur-, a bouleversé le texte de Mme Dati, qui n'abordait en rien la question essentielle du sens de la peine.

J'ai espéré, avec beaucoup d'autres, parmi lesquels Robert Badinter, que la prison ne se limite pas à « surveiller et punir » mais s'ouvre à l'ambition d'humaniser et de réinsérer. Sept mois plus tard, le Sénat a permis de progresser. Notamment en refusant d'empiler les détenus et en leur reconnaissant le droit à l'encellulement individuel, en réaffirmant que la prison doit rester le dernier recours, grâce au développement d'alternatives à l'emprisonnement.

Nous avons tiré les conséquences d'un grand principe : faire entrer le droit en prison, en respectant les droits pénitentiaires. Notre pays a trop longtemps été condamné pour son refus d'appliquer les règles pénitentiaires européennes, qui sont pourtant loin d'avoir été dictées par des esprits farfelus ou subversifs.

Je regrette que pour mettre fin à un conflit social, il y a quelques mois, on ait cru devoir marchander sur ces règles. Il serait bon que vous nous annonciez, madame la ministre, qu'il n'y a pas de marchandage possible : on ne marchande pas la dignité humaine.

Le texte voté par le Sénat témoignait de sa détermination à mettre fin à cette humiliation pour la République que nous avons tant de fois dénoncée. Nous avons pu craindre qu'au cours de la procédure parlementaire, on ne s'emploie, amendement après amendement, à le déconstruire à l'Assemblée nationale. Mais la CMP a permis de rapprocher les points de vue sur quelques questions essentielles.

Sur l'encellulement individuel, la formulation du Sénat a fini par convaincre et je vous invite, madame le garde des sceaux, à mettre fin à un mauvais débat : on lit ici et là que la Chancellerie considère que le Parlement a été plus généreux que pragmatique. Mais que reste-t-il de notre rôle si nous ne posons pas sans attendre l'objectif qui doit concrétiser un principe que nul ne saurait remettre en cause : une cellule, un homme. Dire que le détenu conserve le libre choix de sa cellule est une légende. Car ce qu'il choisit avant tout, c'est d'être proche de sa famille. Si on lui donne le choix entre une cellule individuelle à 400 kilomètres de distance ou être empilé à plusieurs, mais à 20 kilomètres de chez lui, on sait bien ce qu'il choisira.

Ayons le courage de tenir nos engagements. L'article 59 du projet prévoit un nouveau moratoire de cinq ans. Souhaitons que ce soit le dernier ! Faute de quoi, l'action publique sera dévaluée et les travaux parlementaires humiliés.

On ne saurait traiter la surpopulation pénale comme une question immobilière. Construire de nouveaux bâtiments ne résoudra pas le problème. Il est une solution plus constructive et moins onéreuse, c'est de n'y pas faire entrer ceux qui n'ont pas grand-chose à y faire, les malades mentaux, faute de structures hospitalières, les sans papiers, qui purgent là une double peine, les condamnés à de courtes peines, enfin.

La CMP a retenu quelques amendements qui améliorent le texte : le caractère indépendant de l'Observatoire des prisons, à l'initiative de M. Sueur ; l'interdiction au personnel soignant de prendre des actes dictés par des considérations de sécurité, à laquelle M. About avait raison de tenir ; le dossier médical unique pour le détenu ; la possibilité d'une libération conditionnelle à 70 ans au lieu de 75 -comment discuter une telle mesure alors que les années de prison comptent double ? ; saisine du juge d'application des peines pour la mise sous surveillance électronique.

Nous regrettons que la CMP n'ait pas retenu d'autres amendements, y compris reprenant des dispositions votées par le Sénat. La question des régimes différenciés nous inspire la plus grande défiance. L'administration pénitentiaire ne saurait être mise en mesure de trier les détenus sur des critères de dangerosité imprécis. Nous sommes pour le pouvoir du juge. La peine ne saurait être aggravée par décision de l'administration. Nous avions noté l'engagement de Mme Dati, qui nous avait assuré que le régime différencié ne concernerait que le mode porte ouverte-porte fermée. Nous espérons qu'il sera tenu.

Le Sénat avait souhaité que le placement en régime disciplinaire ou en isolement fasse l'objet d'une procédure de référé dans laquelle la condition d'urgence serait présumée. La CMP a préféré suivre l'avis de l'Assemblée nationale.

Quand le détenu est à l'isolement, le caractère d'urgence ne devrait même pas être discuté, ni jugé différemment à Paris, Nantes ou Strasbourg.

Il était indispensable d'encadrer les fouilles à corps. Dans les aéroports, des portiques détectent tout objet métallique : pourquoi pas dans les prisons ? La modernité doit s'imposer, car les moyens existent, même s'ils coûtent de l'argent.

Nous regrettons que la majorité persiste à exclure les récidivistes de l'élévation à deux ans du seuil à partir duquel l'aménagement de peine est possible. L'aménagement de peine n'est pas un cadeau, mais la meilleure chance, pour les récidivistes comme pour les autres, de se réinsérer et de mener une vie plus responsable.

Ce texte a un grand mérite : celui d'exister. Notre pays avait besoin depuis longtemps d'une loi sur les droits des détenus. Les principes sont maintenant posés, au Gouvernement de les faire vivre -au juge, également, grâce au travail du Sénat ! L'aménagement de peine durant les deux dernières années d'emprisonnement est indispensable pour préparer la sortie.

Reste deux tristes records français. D'abord, le nombre des suicides : or je crains que cette loi n'y change rien. Soyez conscients aussi que vous ne lutterez pas par des draps en tissu indéchirable ou des pyjamas en papier contre le désespoir et la volonté d'en finir par n'importe quel moyen. Le rapport Albrand, remis à Mme Dati et aussitôt retiré en raison de la polémique sur des passages réécrits, doit être rendu public dans sa version non corrigée afin d'alimenter la réflexion.

La France détient un autre record, celui de la récidive, en dépit de la loi pénale la plus répressive d'Europe. Si la prison est avant tout une école de la délinquance, c'est une absurdité. Or la récidive est deux fois plus élevée parmi les détenus sortis sans bénéficier d'accompagnement. La politique du Gouvernement est fondée sur une hypocrisie : on remplit les prisons à grand bruit pour satisfaire l'opinion publique et l'on s'efforce ensuite, en catimini, de réduire la surpopulation par une meilleure gestion des « flux ». L'aménagement de peine doit aller de pair avec de réels moyens consacrés à l'accompagnement, sinon de nouveaux faits divers entraîneront de nouvelles déclarations musclées et une nouvelle législation plus répressive encore : un cercle vicieux... La vraie prévention de la récidive a un nom : la réinsertion. («Très bien ! » sur les bancs socialistes) Celle-ci devrait être l'obsession de l'administration pénitentiaire, non pas trois mois avant la sortie mais dès l'arrivée du détenu. Il manque un titre à cette loi, qui aurait traité « De la sortie de prison et de la réinsertion du condamné ». Le but en effet n'est pas que le détenu devienne un SDF mais accède à une vie normale, un travail, un foyer, un espoir.

Cette loi pénitentiaire comporte des progrès mais elle restera lettre morte si en décembre prochain, vous ne débloquez pas de nouveaux moyens budgétaires pour créer des postes de surveillants, d'agents de probation, de magistrats d'application des peines. Nous notons les améliorations, mais relevons les insuffisances : notre groupe s'abstiendra. (Applaudissements sur les bancs socialistes ; Mme Anne-Marie Escoffier applaudit également)

M. Jacques Mézard.  - L'essentiel des principes fondamentaux qui inspiraient le Sénat a été préservé. La parfaite connaissance du dossier par notre rapporteur, son humanité et son souci du respect de tous, ont permis d'endiguer la vague sécuritaire qui a marqué les débats à l'Assemblée nationale, même s'il en subsiste quelque écume... Je salue le travail réalisé sur le sujet par le Sénat depuis des années -et en particulier par le président de la commission des lois.

Cette loi, dont les objectifs sont largement partagés, n'aura de sens que si elle est effectivement appliquée. La situation actuelle dans les prisons est inacceptable. La responsabilité n'est pas à imputer à un gouvernement mais à tous ceux qui se sont succédé, alternance après alternance. Le problème a été éludé chaque fois, car il n'était pas une priorité de l'opinion publique. La prison française favorise non pas la réinsertion mais la récidive. Faire de la durée de la peine un temps utile, a dit notre rapporteur : vaste programme... Le rapporteur parle souvent de Casabianda et de Mauzac : on pourrait faire encore plus en ce sens.

Mme la ministre d'État a souligné l'état lamentable des prisons ; c'est un constat objectif. Ce texte est-il fondateur ? Oui dans sa rédaction, mais il y a loin de la coupe aux lèvres, de la parole aux actes et de la loi à son application. Ce peut être une grande loi, mais il vous appartient de la faire vivre. Cela n'est possible qu'en cohérence avec la politique pénale, là sera la difficulté. M. Fauchon a parlé de l'échec de l'incarcération. Comment faire de la prison un lieu d'espérance et non plus de désespérance, sinon en ayant le sens de l'humain ? En première lecture, j'ai rappelé cette citation de Sénèque : « on corrige mieux les moeurs publiques en étant sobre de punition ». Mais le vrai débat concerne la politique pénale. Notre pays se distingue par la situation catastrophique de ses prisons et la plus mauvaise justice d'Europe. Songez à ce qu'est l'univers carcéral : 95 % d'hommes, 50 % d'illettrés. La France a encore été condamnée en juin 2009 et doit respecter les règles pénitentiaires européennes. Il y a là une responsabilité collective et un choix politique fondamental. Mais la condition de toute amélioration est un budget accru pour la justice. Le bâtonnier de Paris comme le contrôleur général des lieux de privation de liberté dénoncent la surpopulation, les suicides, le désarroi du personnel. J'ai visité récemment la prison de ma préfecture : la drogue est jetée quotidiennement par dessus les murs et on laisse faire car on n'a pas les moyens de faire autrement.

Concilier protection de la société, application d'une sanction, travail de réinsertion et conditions de travail supportables pour le personnel devrait constituer l'objectif de toute loi pénitentiaire équilibrée et raisonnable.

Pour nous, le déséquilibre intervient lorsque l'accent est mis sur le volet sécuritaire par volonté de communication médiatique, justement qualifié de populisme pénal. (« Très bien ! » sur les bancs socialistes)

Ce texte apporte des améliorations avec la garantie donnée à tout détenu du respect de ses droits par l'administration pénitentiaire à l'article 2 bis et l'affirmation du caractère subsidiaire de l'emprisonnement ferme et la nécessité de prévoir son aménagement à l'article 32. L'inscription dans la loi du régime disciplinaire est également le signe d'un retour au droit, mais ne nous ramène pas au niveau européen. Quant à l'encellulement individuel, nous, qui avons tous en tête des images de la prison pour nous y être rendus, savons que le seul droit accordé aujourd'hui au détenu est celui d'être transféré après plusieurs mois de procédure d'une cellule collective à une cellule individuelle n'importe où en France. Dans ces conditions, conforter l'encellulement individuel, même si cela est difficile, c'est mettre l'État devant ses responsabilités.

Cette loi pénitentiaire ne sera qu'une déclaration d'intention sans plan d'urgence pour mettre fin à la surpopulation carcérale. En effet, pour réussir la réinsertion à la sortie de la prison, il faut en finir avec les conditions d'incarcération actuelles, qui sont humiliantes et dégradantes, avec la promiscuité, la loi du plus fort et le règne de l'arbitraire qui découlent de la surpopulation, avec les insuffisances de la politique de réinsertion. Certes, l'affirmation du principe de l'encellulement individuel dans ce texte, grâce à la ténacité de notre rapporteur et de notre commission, est positive. Mais comment ne pas noter la contradiction avec l'affichage d'une politique sécuritaire ?

M. Jean-Jacques Hyest, président de la commission des lois.  - Vous oubliez le volet sur les aménagements de peine !

M. Jacques Mézard.  - Non, je l'ai regardé avec beaucoup d'intérêt...

M. Jean-Jacques Hyest, président de la commission.  - Ne soyez pas toujours négatif !

M. Jacques Mézard.  - Je ne le suis pas. A preuve, le groupe RDSE s'abstiendra majoritairement de manière positive. (M. Dominique Braye ironise)

M. Alain Fouché.  - Prenez vos responsabilités !

M. Jacques Mézard.  - Nous connaissons, comme vous, la situation dont nous ne rejetons pas la responsabilité sur un Gouvernement. Nous savons équilibrer les responsabilités qui sont aussi les nôtres, celles de tous les élus...

M. Alain Fouché.  - Surtout les vôtres !

Mme Nicole Borvo Cohen-Seat.  - Interruption inutile !

M. Jacques Mézard.  - Je ne pensais pas que mon intervention déclencherait autant de réactions...

M. René-Pierre Signé.  - Preuve de son intérêt !

M. Jacques Mézard.  - La justice est incompatible avec la médiatisation et le développement du thème de l'insécurité, phénomène que la recherche du chiffre accentue. La France n'est pas, aujourd'hui, montrée du doigt en raison de son nombre de détenus par rapport à la population -la comparaison avec les États-Unis montre que nous ne sommes pas si mauvais...

M. Jean-Jacques Hyest, président de la commission.  - En effet !

M. Jacques Mézard.  - La cause en est les déplorables conditions de détention qui ont cours dans le pays des droits de l'homme. Quant à l'inégalité dans la non-exécution des peines car, monsieur le président, je n'oserai pas dire que la non-exécution des peines constitue un aménagement de peine, elle pose un problème considérable par rapport aux droits fondamentaux.

Le populisme médiatique sur la récidive et les aménagements de peine ne va pas dans le bon sens. Tant que ne sera pas affirmé concrètement que la prison est seulement une sanction de privation de liberté, et non de dégradation de l'être humain, que la promiscuité génère la récidive, que la prison n'est pas le lieu où la violence a libre cours comme aujourd'hui, beaucoup de chemin restera à parcourir. Nous avons une loi, faites-en bon usage ! (Applaudissements sur les bancs RDSE et socialistes ; M. Claude Biwer applaudit également)

M. Hugues Portelli.  - L'Assemblée nationale et la commission mixte paritaire ont respecté, pour l'essentiel, l'excellent travail de notre rapporteur et de la Haute assemblée concernant la réaffirmation du principe de l'encellulement individuel -sur lequel tout recul apparaissait inacceptable pour notre groupe car contraire à la règle pénitentiaire européenne 18-5 adoptée à l'unanimité par le Conseil de l'Europe en 2006-, le droit à la dignité de la personne incarcérée renforcé par les députés à l'article 10, la limitation des fouilles, notamment intégrales, la santé des détenus, leurs relations avec le monde extérieur et la réinsertion. Sur ce dernier point, ont été exclues de certaines dispositions relatives aux alternatives à la détention provisoire et aux aménagements de peine les personnes en état de récidive légale, par cohérence avec les lois votées précédemment par notre majorité.

Nous avons également trouvé un accord sur les conditions de sortie sous bracelet électronique et mis en conformité notre droit en matière d'appel avec le droit européen à l'article 39, ce qui doit être salué.

Ce texte, donc, apporte de réelles améliorations aux conditions d'incarcération des détenus et à leur réinsertion. Pour qu'il devienne effectif, encore faut-il que les moyens soient à la hauteur de ses ambitions. La construction de nouvelles prisons et de centres adaptés aux jeunes délinquants ne suffira pas. Il faut prévoir le recrutement de travailleurs sociaux et de médecins psychiatres, la création d'emplois destinés aux détenus et des logements décents à la sortie de prison, autant d'objectifs pour que la prison ne soit plus l'école de la récidive ou de la marginalisation. Chefs d'entreprise et responsables des collectivités locales doivent également accompagner les détenus -et nombreux sont ceux qui le font déjà !- via des contrats d'apprentissage ou à durée déterminée.

Nous comptons donc sur vous, madame le garde des sceaux, qui partagez nos valeurs, pour poursuivre cet effort. C'est avec la satisfaction d'avoir jeté les bases d'un véritable droit pénitentiaire que le groupe UMP votera ce texte ! (Applaudissements sur les bancs UMP ; Mme Anne-Marie Escoffier et M. Nicolas About applaudissent aussi)

Mme Alima Boumediene-Thiery.  - Lors de l'examen de ce projet de loi il y a huit mois, nous avions salué la qualité exceptionnelle des débats à la hauteur de la mission qui nous était confiée : donner à la France cette grande loi pénitentiaire attendue depuis plus de dix ans. Grâce à notre rapporteur, dont je salue l'écoute, l'engagement et, même, l'audace, nous avions réussi à trouver un consensus si bien que le projet de loi initial n'est plus qu'une ombre portée sur le texte que nous examinons aujourd'hui. (M. Nicolas About s'exclame) Je salue le rôle qu'a joué le Parlement dans l'élaboration de cette loi.

M. Jean-Jacques Hyest, président de la commission.  - De la coproduction législative en quelque sorte ! (Sourires)

Mme Alima Boumediene-Thiery.  - Notre feuille de route était simple : codifier, dans notre droit interne, les règles pénitentiaires européennes, la jurisprudence du Conseil d'État et de la Cour européenne des droits de l'homme et, partant, mettre un terme à l'opacité des règles régissant la condition carcérale. De fait, l'administration pénitentiaire a joui d'une certaine latitude, voire d'une certaine impunité, concernant certaines pratiques à une époque pas si lointaine... Je pense au recours abusif aux « mesures d'ordre intérieur » qui lui permettaient d'échapper au contrôle du juge s'agissant, entre autres, des régimes différenciés mais aussi aux règles que ladite administration élaborait elle-même alors que celles-ci relevaient manifestement de la loi.

Il est bon que nous ayons élevé ces droits au rang législatif en les protégeant par un cadre procédural.

Je ne dresserai pas la liste, tout en regrettant que nous ne soyons pas allés plus loin, par exemple en permettant aux détenus de s'engager dans des associations gérant leur quotidien ou leurs activités.

Nous aurions voulu au moins encadrer les fouilles intégrales et bannir les investigations corporelles, ces atteintes injustifiables à la dignité humaine condamnées par la Cour européenne des droits de l'homme. La France aurait dû les proscrire.

Il aurait aussi fallu préciser des restrictions trop floues apportées à l'exercice des droits reconnus : laisser l'administration pénitentiaire interpréter souverainement le « bon fonctionnement d'établissement » met à sa merci les droits des détenus, alors que nous voulions élever leur protection au rang législatif. Cette latitude méconnaît en outre l'article 34 de la Constitution, qui limite strictement le domaine réglementaire.

Enfin, nous regrettons la consécration législative des régimes différenciés, car l'administration pénitentiaire peut les utiliser pour gérer la détention. Le juge de l'excès de pouvoir devrait contrôler ce que l'administration pénitentiaire considère comme une mesure d'ordre intérieur ne faisant pas grief. Il semble que nous ayons obtenu satisfaction, mais je souhaite que le rapporteur confirme cette interprétation de l'article 51.

Sous toutes ses réserves, le volet relatif aux droits des détenus est satisfaisant après avoir été largement étoffé par l'Assemblée nationale.

Ainsi, le respect de la dignité du détenu a été renforcé après un vif débat dans cet hémicycle.

Il en va de même pour le principe de l'encellulement individuel, véritable casus belli entre le Sénat le Gouvernement, dont nous sommes sortis vainqueurs malgré un moratoire.

Plus inquiétante est la restriction des aménagements de peine s'agissant des récidivistes. Cette proposition est arrivée comme un cheveu sur la soupe devant l'Assemblée nationale, sans jamais avoir été mentionnée au Sénat. Pourquoi ce retour en arrière ? Pourquoi la récidive resurgit-elle dans un texte consensuel ? Pourquoi cette instrumentalisation dans le cadre d'un texte censé simplifier les aménagements de peine ? La réponse ne vient pas seulement de l'actualité, qui a fourni une nouvelle fois au Gouvernement l'occasion de ne pas sembler laxiste : depuis quelques mois, des associations ont fait le siège de la Chancellerie et des députés de la majorité. En apparence mues par l'aide aux victimes, ces associations sont profondément hostiles à ce projet de loi. L'une d'elles a dénoncé en août la mise en conformité de la France avec les règles pénitentiaires européennes, qu'elle juge « absurdes » et dangereuses pour « la sécurité de nos prisons ». Après avoir tenu il y a quelques mois une conférence au « Local », haut lieu de la jeunesse d'extrême droite, cette même association a été parrainée par plusieurs personnalités de la majorité pour organiser un colloque à l'Assemblée nationale, la veille du débat en séance publique !

Le volet des aménagements de peine a été durci sous la pression de ces groupes qui surfent sur le populisme pénal. Comment interpréter autrement l'article 47 bis introduit à l'Assemblée nationale pour que l'avocat de la partie civile puisse faire valoir ses observations avant une libération conditionnelle ? Est-ce son rôle ? Le juge d'application des peines ne peut-il décider ? Cette mesure figure dans un document que j'ai reçu il y a peu. Il provenait d'une de ces associations.

Nous respectons profondément les droits des victimes à obtenir la condamnation d'un criminel dans le cadre d'un procès digne, mais nous refusons catégoriquement les peines perpétuelles, la remise en cause systématique des non-lieux et l'abolition des remises de peine. Le législateur devrait se tenir à l'écart de ces organisations !

Je souhaite enfin évoquer un point totalement absent du texte : la place que le Gouvernement réserve au Conseil supérieur de l'administration pénitentiaire. Visé par les articles D 234 et suivants du code de procédure pénale, ce conseil doit se réunir en séance plénière une fois par an pour délibérer sur les questions soumises à son examen par le ministre de la justice. Il est censé formuler des avis et établir des rapports sur tous les sujets touchant la question pénitentiaire.

Ces derniers mois, les occasions n'ont pas manqué pour réunir ce collège, qui aurait pu contribuer à poser les bases d'une politique pénitentiaire digne de ce nom. Je pense notamment à l'augmentation démesurée des suicides en prison depuis quelque temps. Or, cette instance -dont je suis membre avec M. Lecerf et le président du Luart- ne s'est pas réunie depuis le 8 juillet 1999. Elle sommeille donc depuis dix ans alors qu'elle aurait pu jouer un rôle important, notamment dans l'élaboration du présent texte.

En principe, le Conseil supérieur de l'administration pénitentiaire devrait participer à la définition des politiques pénitentiaires et contribuer à vérifier leur exécution. Les multiples compétences de ses membres lui permettent de formuler des avis. Il pourrait ainsi se prononcer sur le rapport du contrôleur général des lieux de privation de liberté, apporter sa contribution aux décrets d'application du projet de loi que nous discutons et trouver de façon consensuelle des solutions acceptables par toutes les parties prenantes du monde pénitentiaire.

Avez-vous l'intention de convoquer le Conseil supérieur de l'administration pénitentiaire après dix ans d'un coma injustifié ?

En première lecture, les sénateurs Verts s'étaient abstenus, car ils déploraient qu'un texte ayant pris cet excellent chemin se soit arrêté en cours de route. La rédaction de la commission mixte paritaire ne nous a pas convaincus : nous nous abstiendrons à nouveau. (Applaudissements sur les bancs socialistes et au centre. M. le rapporteur applaudit également)

Mme Anne-Marie Escoffier.  - Tout en ayant le grand mérite d'aborder un problème fondamental de notre société, ce texte a le grand défaut de ne pas le régler. Telle est la constatation désespérée que nous formulons une nouvelle fois en relevant que les conséquences des législations successives ne sont pas toujours proportionnelles aux bonnes intentions de départ.

Paradoxe d'aujourd'hui : plus on légifère, plus la situation s'aggrave dans les prisons ; plus on tente d'améliorer le sort des détenus, plus il se détériore avec la surpopulation, la promiscuité, les maladies psychiatriques et la répression qui font de l'univers carcéral un lieu criminogène et non conforme à la dignité humaine. Il est vrai que le droit pénitentiaire reste relégué en seconde catégorie, même après l'entrée en vigueur de ce projet de loi, car trop de circulaires régissent la vie des détenus.

Comme la majorité du groupe RDSE, je suis réservée envers un texte qui ne traite pas le sujet jusqu'au bout, mais je me félicite que la CMP soit revenue à l'unanimité, malgré l'avis du Gouvernement, vers des positions plus proches de celle du Sénat. Cela confirme la qualité des décisions de la Haute assemblée, surtout en matière de liberté individuelle, à laquelle son attachement est connu.

En effet, la CMP a repris le principe de l'encellulement individuel, inscrit dans la loi française depuis 1875.

De même, elle a repris la surveillance électronique des détenus condamnés à des peines moins lourdes, dont le RDSE fut un promoteur à l'initiative de son président Guy Cabanel, avec la complicité du président de la commission des lois, qui avait -il y a dix ans- cosigné avec lui le remarquable rapport au titre prémonitoire : Prisons, une humiliation pour la République.

Je ne reviendrai pas sur la surpopulation carcérale, indigne d'une démocratie moderne surtout lorsqu'une promiscuité insoutenable réunit dans une même cellule des personnes en détention provisoire et d'autres purgeant de courtes peines. Bien sûr, il faudra du temps pour construire des cellules individuelles conformes à la loi, mais celle-ci doit être l'aiguillon d'une nouvelle politique, afin que le Gouvernement cesse de se réfugier derrière des arguties et ouvre enfin le vaste chantier des prisons. Notre estimé rapporteur a déclaré : « Pour la première fois dans notre histoire, les conditions sont réunies pour que nous parvenions à l'encellulement individuel ». Il doit s'agir non d'un voeu, mais d'un but. La représentation nationale y sera attentive.

Parallèlement, la CMP s'est montrée favorable au bracelet électronique et à ses conditions d'utilisation. Avoir confié la décision au procureur de la République ou au juge d'application des peines est une bonne chose contribuant à éviter la surpopulation carcérale et à préserver les liens sociaux, professionnels et familiaux.

Elle constitue de ce fait un réel outil d'insertion. Cette solution de substitution a fait ses preuves et inversé de manière constructive le tout-prison.

En première lecture, le Sénat avait adopté d'autres mesures tendant à humaniser davantage le milieu carcéral et à faire bénéficier les détenus de mesures effectives de réinsertion. Toutes n'ont pas été retenues. C'est pourquoi le groupe RDSE, tout en relevant les améliorations, s'abstiendra dans sa quasi-totalité. (Applaudissements au centre et à gauche)

La discussion générale est close.

Vote sur l'ensemble

M. le président.  - J'observe qu'il n'y a aucune demande de parole sur l'un quelconque des articles premier A à 58. Conformément à l'article 42, alinéa 12 du Règlement, je vais mettre aux voix l'ensemble du projet de loi dans la rédaction résultant du texte proposé par la commission mixte paritaire.

En cet instant solennel, je félicite le rapporteur et la commission car ce texte a été marqué par le travail accompli par le Sénat depuis plus de dix ans. Il est important pour la défense des libertés publiques et de la liberté individuelle. La préservation de la dignité d'un individu privé de liberté est la marque d'un apport très important de notre Assemblée.

M. Pierre-Yves Collombat.  - La garde des sceaux a rappelé les trois objectifs des libertés publiques : protéger la société, sanctionner et réinsérer, comme s'il y avait entre eux une hiérarchie telle que seuls des irresponsables préférant les coupables aux victimes privilégieraient le troisième sur le deuxième et, a fortiori, sur le premier. Mais, sauf à admettre que ceux qui entrent en prison n'en ressortiront plus, le seul but de celle-ci n'est-il pas un retour à la vie normale dans un état meilleur de manière à ne pas y retourner ? La sanction n'a pas d'autre sens et la meilleure façon d'éviter la récidive est qu'elle soit comprise et favorise la réinsertion. Il n'y a donc pas de hiérarchie entre les trois objectifs et l'on ne saurait mettre en avant les détenus ou les victimes.

Ce texte va dans le bon sens ; je ne voterai donc pas contre. Il ne va pas assez loin ; je m'abstiendrai.

M. Jean-Pierre Sueur.  - Alain Anziani a dit les raisons de notre position. Je veux moi aussi souligner le travail accompli par le Sénat. Nous avons eu le sentiment de travailler de manière extrêmement positive sur ces questions difficiles. Nous avons également apprécié l'ouverture d'esprit et la pugnacité du rapporteur.

Parmi les points positifs, je veux souligner l'obligation d'activité, le fait que les fouilles internes sont réalisées sous responsabilité médicale et, ce qui a été déterminant pour nous, le rappel du principe de l'encellulement individuel. Il est également important que l'observatoire qui produira des données sur les suicides ou la récidive soit indépendant, qu'il ne soit pas une émanation de la Chancellerie et de la direction générale de l'administration pénitentiaire : on ne peut être juge et partie. Nous y reviendrons en vous interrogeant sur les moyens de son indépendance.

Négatifs, en revanche, les régimes différenciés établis hors intervention du juge et les restrictions aux aménagements de peine. Trois questions restent essentielles et notre abstention marque notre attente de réponses positives. Sur les moyens d'abord, car la meilleure loi pénitentiaire n'aura pas d'effet si le budget ne donne pas les moyens indispensables en hommes et en matériel. Sur la question de la réinsertion, ensuite : si nous voulons que la prison ne soit pas l'école de la récidive, la réinsertion doit recevoir des moyens forts afin qu'il n'y ait plus de sortie sèche mais un environnement qui évite les conditions de la récidive. Sur la relation entre politique pénitentiaire et politique pénale, enfin. Une harmonisation entre les deux est nécessaire car celle-ci ne doit plus remplir les prisons tandis que celle-la prône de meilleures conditions carcérales et des prisonniers moins nombreux mais mieux préparés à la réinsertion. Tels sont les souhaits qu'exprime notre abstention.

Les conclusions de la commission mixte paritaire sont adoptées.

M. Jean-Jacques Hyest, président de la commission.  - Je n'ai pas l'habitude d'intervenir après l'adoption d'un projet mais le moment est important pour le Sénat. Il marque en effet l'aboutissement d'un long processus amorcé par la commission d'enquête sur les conditions de détention, dont le rapporteur, Guy Cabanel, avait recommandé l'usage du bracelet électronique. Promise depuis bien longtemps, cette loi avait connu bien des reports. La voilà désormais définitivement votée. Loin du fracas médiatique et indifférent, madame Boumediene-Thiery, aux groupes de pression, je veux rappeler l'époque où certains parlaient de prisons quatre étoiles parce que l'on y installait des télévisions. Des prisons quatre étoiles, je n'en ai jamais vu, non plus que le rapporteur qui les a toutes visitées. En revanche, cette loi dit que la peine, c'est la privation de la liberté, comme notre rapport affirmait que la prison ne doit pas être l'école de la récidive. Elle s'inscrit dans la politique menée depuis plusieurs années de recrutement de personnel, de construction de nouveaux établissements et de réhabilitation d'anciens et d'aménagement des peines. L'encellulement individuel est donc un objectif possible, avec le moratoire de cinq ans. La loi ne peut pas tout. Si c'était le cas, l'encellulement individuel serait réalisé depuis 1875. Mais nous pouvons désormais l'atteindre.

Pour toutes ces raisons, le Sénat peut s'honorer de ce texte. Il aurait même pu être unanime dans le souci de punir en respectant la dignité des personnes, car tel est l'équilibre à sauvegarder. (Applaudissements à droite et au centre)

Mme Michèle Alliot-Marie, ministre d'État.  - Le président Hyest a rappelé l'enjeu de cette loi. Je veux, pour ma part, saluer tous les intervenants. Malgré quelques inexactitudes, l'essentiel est la signification du geste accompli, de ce vote, à quelques exceptions près, positif, qu'il le soit totalement ou qu'il soit d'abstention positive.

Nous avons fixé un cadre, il faut maintenant mener des actions concrètes. Soyez assurés de ma volonté politique en ce sens. (Applaudissements à droite, au centre et sur quelques bancs socialistes)