Justice

M. le président.  - Nous allons examiner les crédits de la mission « Justice ».

Interventions des rapporteurs

M. Roland du Luart, rapporteur spécial de la commission des finances.  - La mission « Justice » est dotée dans le projet de loi de finances pour 2010 de 6,859 milliards d'euros de crédits de paiement, en augmentation de 3,4 %. Dans un contexte budgétaire tendu, cette progression illustre l'importance accordée à la justice depuis plusieurs années.

Les crédits du programme « Justice judiciaire » sont en légère hausse. Son plafond d'emploi progresse, ce qui profite surtout aux magistrats dont l'effectif augmente de 386 ETPT. Nous nous félicitons de ces moyens humains supplémentaires qui visent à mieux répondre au besoin de justice exprimé par nos concitoyens. Mais cet effort n'a de sens que si l'on recrute des greffiers afin de ramener le ratio entre le nombre des fonctionnaires et celui des magistrats, actuellement égal à 2,46, à un niveau plus satisfaisant.

En 2010, l'un des principaux enjeux du programme « Justice judiciaire » sera la poursuite de la réforme de la carte judiciaire, dont le coût est estimé à 427 millions d'euros en cinq ans. Cette évaluation ne tient pas compte du transfert du tribunal de grande instance de Paris aux Batignolles, pour un montant compris entre 800 millions et 1 milliard d'euros.

En outre, ce programme anticipe la fusion des professions d'avocat et d'avoué près les cours d'appel en permettant le recrutement de 380 personnes dans les greffes des juridictions, choisies, pour la plupart, parmi les salariés des offices d'avoués.

Un point noir doit être souligné : les frais de justice sont repartis à la hausse. Au rythme actuel de consommation, l'autorisation initiale de crédits pourrait être dépassée de 31 millions d'euros à la fin de l'année 2009. Or l'enveloppe allouée à ces frais s'élève pour 2010 à 395 millions d'euros, soit un niveau inférieur à celui de 2009, déjà insuffisant. On peut donc s'interroger sur la sincérité du budget proposé pour le programme « Justice judiciaire ». C'est pourquoi la commission des finances a adopté à l'unanimité un amendement sur les crédits de cette mission.

Mme Nathalie Goulet.  - Très bien !

M. Roland du Luart, rapporteur spécial.  - Les crédits du programme « Administration pénitentiaire » enregistrent une progression importante de 9,7 %. La hausse des effectifs permettra de répondre aux besoins liés à l'ouverture de nouvelles prisons. La surpopulation carcérale est particulièrement aiguë dans les établissements ou quartiers d'établissements dont la densité reste supérieure à 200 %. A l'issue du programme dit « 13 200 » de construction et de rénovation, le nombre de places de détention s'élèvera à 64 000, mais la population pénale devrait comprendre 75 000 personnes en 2012. La création de 11 000 places supplémentaires est d'ores et déjà prévue, et le Président de la République en a annoncé 5 000 autres. Cette politique de construction et de rénovation d'établissements répond à un souhait exprimé depuis longtemps par le Sénat. Mais je souhaite attirer votre attention, monsieur le ministre, sur les deux conditions nécessaires à sa pleine réussite. Les effectifs de police et de gendarmerie doivent être redimensionnés dans les territoires où sont implantés les nouveaux établissements, car les forces de sécurité doivent assurer le transfèrement des détenus. En outre, le calcul de la dotation globale de fonctionnement des communes doit tenir compte sans délai de l'accroissement mécanique de population lié à l'ouverture d'une nouvelle prison ; tel n'est pas le cas actuellement car on se fonde sur un recensement quinquennal.

Pour diminuer le taux d'occupation des établissements, il faut aussi favoriser les aménagements de peines et les substituts à l'incarcération. Le budget pour 2010 prévoit le financement de 7 000 bracelets électroniques. Cet instrument permet en particulier de lutter efficacement contre la récidive des délinquants sexuels ; on peut donc s'étonner qu'une trentaine de placements sous surveillance électronique mobile seulement soient actuellement ordonnés.

Je veux enfin souligner la pénurie de psychiatres intervenant en milieu carcéral, d'autant plus préjudiciable qu'environ 20 à 25 % des détenus souffrent de troubles psychiatriques.

M. Jean-Pierre Sueur.  - C'est très grave !

M. Roland du Luart, rapporteur spécial.  - Il faudra y remédier dans les années à venir, notamment dans les nouveaux établissements.

M. Jean-Pierre Sueur.  - Dans les anciens également !

M. Roland du Luart, rapporteur spécial.  - Je vous l'accorde.

Le programme « Protection judiciaire de la jeunesse », dont les crédits sont en légère baisse, est recentré depuis 2009 sur la prise en charge des mineurs délinquants. Le résultat est encourageant : 64 % des jeunes pris en charge au pénal n'ont ni récidivé, ni réitéré, ni fait l'objet de nouvelles poursuites au cours de l'année suivante.

Les moyens du programme « Accès au droit et à la justice » diminuent de 7,2 % ; l'aide juridictionnelle voit en particulier sa dotation baisser de 7,6 %, mais il est vrai que cela s'explique par un rétablissement de crédits à hauteur de 24 millions d'euros au titre du recouvrement de l'aide juridictionnelle. Le taux de recouvrement reste faible, avec un objectif de 11 % en 2010, alors que le nombre d'admissions à l'aide continue de progresser : une réforme doit être entreprise sans tarder.

Les crédits du programme « Conduite et pilotage de la politique de la justice » sont en progression de 3 %. Le développement des applications informatiques de la justice doit être poursuivi : nous nous félicitons de l'aboutissement prévu en 2010 du déploiement de l'application Cassiopée, destinée à dématérialiser la chaîne pénale. En revanche, nous déplorons que les indicateurs de retard et de coût des opérations immobilières conduites par le ministère n'enregistrent aucune amélioration significative.

De taille très réduite, le programme « Conduite et pilotage de la politique de la justice » -hors Chorus- n'appelle quant à lui aucun commentaire particulier.

Sous réserve d'un amendement, la commission des finances propose au Sénat d'adopter les crédits.

M. Jean-René Lecerf, rapporteur pour avis de la commission des lois.  - Le programme « Administration pénitentiaire » représente 39 % de la mission « Justice ». Il est doté de 2,7 milliards d'euros de crédits de paiement, en hausse significative de 9,8 %, et devrait bénéficier de la création de 1 113 emplois. Ces seules données chiffrées expliquent que la commission des lois en recommande l'adoption.

Cependant, nous tenons à exprimer notre préoccupation devant l'état des prisons de la République. L'année 2009 ne fut pas une année ordinaire : elle vit l'adoption, après des débats fructueux, de la loi pénitentiaire tant attendue et sa promulgation récente. Il faut aujourd'hui la mettre en oeuvre, en respectant l'esprit des travaux parlementaires. Or, par une inertie aisément compréhensible, ce PLF est encore largement déterminé par la mise en service progressive des nouveaux établissements prévus par le programme « 13 200 places » qui résulte de la loi d'orientation et de programmation pour la justice de 2002.

Toutes les conséquences de la loi pénitentiaire ne sont pas encore vraiment prises en compte.

La réussite des aménagements de peine et des alternatives à l'incarcération imposerait de créer 1 000 postes de conseillers de l'insertion et de la probation. Que pensez-vous, monsieur le ministre, du souhait de la commission des lois de voir un programme pluriannuel de création de postes soumis au Parlement à l'occasion du prochain projet de loi de finances ?

Une généralisation du nouveau régime de fouilles, plus respectueux de la dignité des détenus, impose d'installer des systèmes de détection électroniques, semblables à ceux des aéroports. Les expérimentations en cours dans les maisons centrales de Saint-Maur et de Lannemezan seront-elles généralisées dans un délai raisonnable ?

La réussite de l'obligation d'activité passe par une redéfinition de certains indicateurs de performance. L'objectif fixé pour le taux de détenus bénéficiant d'une activité rémunérée est même en diminution, passant, d'un projet de loi de finances à l'autre, de 40 à 37 % pour 2011. Je visitais hier un établissement pénitentiaire près de Lausanne : en Suisse, les détenus sont tenus de travailler mais 100 % d'entre eux sont rémunérés. Nous avons des progrès à faire, je suis sûr qu'ils sont à notre portée.

Tous les indicateurs ne sont pas au rouge. La loi pénitentiaire a été adoptée ; en un an, le nombre de détenus a diminué de 2,2 %, le taux d'occupation est passé de 124 % à 115 % et le nombre de détenus en surnombre a diminué de 20 %. Nous avons l'occasion exceptionnelle de restaurer nos prisons dans le respect de l'état de droit et de la dignité humaine. Ce serait une formidable avancée. Ne laissons pas échapper cette occasion. (Applaudissements à droite et au centre)

M. Nicolas Alfonsi, rapporteur pour avis de la commission des lois.  - Le programme « Protection judiciaire de la jeunesse » représente environ 10 % des crédits de la mission « Justice ». Pour la seconde année consécutive, les crédits alloués à la PJJ diminuent : 1 % en moyenne, après une baisse de 2 % l'année dernière, et ses effectifs diminueront de 140 personnes. Dans ce contexte de restrictions budgétaires, la PJJ a engagé un effort de modernisation sous trois formes : l'organisation de ses services déconcentrés est adaptée à des territoires d'intervention pertinents ; une équipe permanente d'une centaine d'auditeurs est en cours de constitution pour renforcer le contrôle et l'évaluation au sein de la PJJ ; enfin, les pratiques professionnelles sont adaptées afin de renforcer la prise en charge éducative des mineurs délinquants. Ces efforts doivent être salués mais on peut regretter que la carte des directions interrégionales de la PJJ ne coïncide pas avec les ressorts des cours d'appel.

Ces évolutions suscitent des inquiétudes parmi les personnels de la PJJ qui exercent souvent leurs fonctions dans des conditions difficiles. En commission des lois, Mme le garde des sceaux nous a donné des assurances sur les mesures de dialogue social qui répondront à ces inquiétudes.

La réduction globale des crédits alloués à la PJJ recouvre cependant un important redéploiement en faveur de la seule prise en charge des mineurs délinquants, pour laquelle les crédits augmentent de 13 %, tandis que ceux alloués pour les mineurs en danger et les jeunes majeurs diminuent de 50 %. A terme, l'État ne financera plus, au civil, que les mesures d'investigation.

Par ailleurs, le Gouvernement a annoncé que le décret de février 1975 sur la protection judiciaire des jeunes majeurs serait abrogé en 2010. Ce recentrage de l'action de la PJJ sur les mineurs délinquants suscite des interrogations. D'abord, on constate qu'un quart à un tiers des mineurs suivis par la PJJ ont été des mineurs en danger avant de devenir des mineurs délinquants ; dans leur cas, la question de la continuité du suivi et de la prise en charge est essentielle. Ensuite, le recentrage de la PJJ sur les seuls mineurs délinquants a nécessairement des conséquences financières pour les conseils généraux. Si, juridiquement, il n'y a pas à proprement parler de transfert de compétences, car les départements sont compétents en matière de protection de l'enfance depuis les lois de décentralisation de 1982-1983, il reste que les conseils généraux devront désormais financer des mesures de protection jusqu'à présent prises en charge par l'État. Or, comme l'a relevé la Cour des comptes, les conséquences financières sur les budgets des départements n'ont pas été évaluées. En outre, le Gouvernement a fait savoir qu'il n'avait pas l'intention de créer le fonds national de financement de la protection de l'enfance, prévu par la loi de mars 2007, qui aurait dû être doté de 30 millions par an pour accompagner financièrement les départements dans leurs compétences en matière de protection de l'enfance en danger. L'Assemblée des départements de France, qui vient de saisir le Conseil d'État d'un recours contre cette décision du Premier ministre, m'a fait part de ses plus vives inquiétudes quant aux incidences financières du recentrage pénal de la PJJ pour les finances des départements, déjà mises à mal par la crise économique. En outre, il apparaît que les modalités selon lesquelles les départements mettent en oeuvre les mesures judiciaires de protection sont très variables d'un département à un autre. Dans certains, les placements en foyer sont exécutés plusieurs mois après la décision judiciaire. Dans son récent rapport, la Cour des comptes a insisté sur le fait que l'État devait être plus attentif aux conditions dans lesquelles les décisions des juges des enfants sont exécutées.

La commission des lois considère qu'il faut mieux évaluer les conséquences pour les conseils généraux du recentrage au pénal de la PJJ. Quelles mesures l'État entend-il adopter pour accompagner financièrement les départements dans l'exécution des mesures judiciaires de protection ? Quelles dispositions peut-il mettre en oeuvre pour que les jeunes en danger, comme les jeunes majeurs, bénéficient d'un même niveau de protection sur l'ensemble du territoire national ?

Personnellement, je note que, depuis la loi d'orientation de 2002, des progrès ont été enregistrés et, si l'on compte encore 733 mineurs incarcérés, c'est moins que l'an dernier.

Sous le bénéfice de ces observations, la commission des lois a donné un avis favorable à l'adoption des crédits du programme « Protection judiciaire de la jeunesse ».

M. Yves Détraigne, rapporteur pour avis de la commission des lois.  - Au sein du programme « Justice judiciaire », on peut regretter que les indicateurs de performance soient établis selon une approche essentiellement quantitative. Ainsi, l'indicateur relatif au délai de traitement moyen des procédures pénales ne distingue pas entre les différents modes de poursuite, comparution immédiate ou information judiciaire, par exemple. De même, en matière civile, l'amalgame des données fait que le tribunal de grande instance de Bobigny connaît un délai moyen de jugement de 4,6 mois, alors que la valeur cible nationale est de 6,5 mois, car cette juridiction reçoit la masse du contentieux lié à la zone d'attente de Roissy, qui est traité dans des délais très courts. Aussi faudrait-il que le ministère de la justice mette à profit la mise au point de nouveaux outils informatiques pour définir des indicateurs de performance plus fins, intégrant des éléments qualitatifs. La mise en place de Pharos, dédié à la mesure de la performance, rend plus nécessaire encore l'amélioration d'indicateurs qui ne doivent plus imposer aux juridictions des contraintes de productivité fondées sur une appréciation seulement quantitative.

En ce qui concerne les moyens, des efforts ont été réalisés depuis plusieurs années pour augmenter le nombre de magistrats. Toutefois, un magistrat ne travaille pas seul. Il doit être entouré de greffiers qui jouent un rôle essentiel.

M. Jean-Pierre Sueur.  - Il y en a de moins en moins !

M. Yves Détraigne, rapporteur pour avis.  - Le ratio entre le nombre de greffiers et celui de magistrats, qui s'établit en 2009 à 2,46 greffiers pour un magistrat, s'est dégradé depuis 2005. C'est d'autant plus difficile à supporter pour les fonctionnaires qu'ils sont soumis à des contraintes de productivité et à des amplitudes horaires élevées. J'ai ressenti chez eux, lors de mes auditions et de mes déplacements dans les juridictions, un malaise grandissant. Le ministère doit renouer le dialogue avec les fonctionnaires des greffes.

La réforme de la carte judiciaire doit se traduire par plus de 400 opérations immobilières qui consistent, dans la plupart des cas, à densifier les locaux de la juridiction d'accueil, à recourir à des locations dans l'attente d'opérations immobilières plus lourdes et à parfois quitter des locaux appartenant à des collectivités locales et entretenus par elles. Pouvez-vous nous assurer, monsieur le ministre, que cela ne renchérira pas le coût d'hébergement des juridictions ?

La réforme de la carte judiciaire impose de développer les dispositifs d'accès au droit. Les maisons de la justice et du droit de nouvelle génération seront équipées de bornes interactives : il n'est pas certain que ce soit l'outil le plus adéquat pour assurer l'accès des plus modestes au droit et à la justice... Parallèlement à la réorganisation de la carte judiciaire, il faut mettre en place des dispositifs d'accès au droit, dans les aires géographiques touchées par la suppression d'une juridiction, et les rendre aisément utilisables, ce qui nécessite une présence humaine attentive.

Y aura-t-il bien concomitance entre la suppression des juridictions et le développement des dispositifs d'accès au droit ?

Les crédits de l'aide juridictionnelle baissent de 27,65 millions d'euros, ce qui paraît surprenant, d'abord parce que la crise pourrait conduire à, une augmentation du nombre de justiciables éligibles, ensuite parce que le rôle de l'avocat sera renforcé par la réforme de la procédure pénale ; les crédits prévus seront-ils suffisants ? Une mission de réflexion a été lancée sur le sujet ; à quelle échéance et sur quelles bases la réforme de l'aide juridictionnelle sera-t-elle mise en oeuvre ?

Un mot de l'usage des nouvelles technologies. Le développement de la visioconférence est diversement apprécié dans les juridictions. Les magistrats que j'ai rencontrés à Bordeaux y voient des avantages : les détenus seraient en particulier plus calmes parce que loin du décorum des palais de justice. Le procédé pourrait encore se développer. Mais il doit rester un moyen et son utilisation doit être évaluée au regard de son impact qualitatif sur le fonctionnement des juridictions.

Le schéma directeur pour l'informatique et les télécommunications pour 2009-2013 recense nombre de chantiers à poursuivre ou à entreprendre pour moderniser les systèmes d'informations du ministère. Le projet Cassiopée doit en particulier remplacer les applications pénales existantes, afin de supprimer les saisies multiples et de limiter les sources d'erreurs. Or il semble que plusieurs juridictions aient dû saisir plusieurs fois le même dossier et n'aient pu corriger certaines erreurs. L'installation de l'application a d'ailleurs été suspendue pendant six semaines... A l'issue de nombreux déplacements dans les juridictions, il m'apparaît que les enseignements des applications existantes n'ont pas été suffisamment tirés. Ainsi, pour une affaire de vol avec dégradation, l'enregistrement de la procédure peut aujourd'hui prendre onze heures, contre une seulement auparavant... Le ministère de la justice devrait accorder davantage d'attention à la conception des nouvelles applications et les soumettre à des tests préalables à leur implantation ; à défaut, le risque est grand d'une désorganisation de l'activité et de l'alourdissement de la charge de travail des greffiers.

Cette année encore, la commission des lois a porté un regard exigeant sur le budget du ministère de la justice, exigence qu'il faut interpréter comme un hommage à la noblesse d'une mission essentielle à l'équilibre de notre pays. Sous le bénéfice de ces observations, elle a donné un avis favorable à l'adoption des crédits consacrés aux services judiciaires et à l'accès au droit.

Orateurs inscrits

Mme Nicole Borvo Cohen-Seat.  - La France est le pays d'Europe qui dépense le moins par habitant pour sa justice. Le budget 2010, même en augmentation de 3,42 %, n'y changera rien. Soumise à la RGPP et sommée de participer à la diminution des dépenses publiques, la justice est touchée par une conception managériale qui exige tout à la fois économies, rentabilité et efficacité. Mais comment mesure-t-on l'efficacité d'une décision judiciaire en termes de dépense publique ? Est-ce la rapidité, alors qu'on sait les atteintes aux droits causées par la multiplication des comparutions immédiates ? La commission des lois a d'ailleurs regretté une approche « essentiellement quantitative ». L'efficacité n'est-elle pas plutôt dans la prise en compte individualisée des situations humaines, donc complexes ?

C'est là que le bât blesse. L'augmentation de 2,2 % des crédits relatifs aux dépenses de personnel du programme « Justice judiciaire » est pour une part destinée à financer le recrutement de 380 salariés venant des études d'avoués et les mesures d'accompagnement de la réforme de la carte judiciaire. S'agissant des magistrats, alors que les départs en retraite vont se multiplier dans les années à venir, le nombre de places ouvertes aux concours d'entrée de l'École nationale de la magistrature diminue chaque année. En outre, à force de vouloir recentrer le juge sur sa mission de dire le droit, on oublie son rôle de régulateur social. Pour les greffiers, on est encore loin du compte avec l'embauche de 380 personnes venant des études d'avoués.

Les crédits de l'aide juridictionnelle baissent de 27,65 millions d'euros, alors qu'avec la crise le nombre de justiciables qui en ont besoin s'accroît. Dans le même temps, la très coûteuse réforme de la carte judiciaire éloignera les citoyens de leur justice. Je ne suis pas opposée à l'utilisation de techniques modernes, mais on ne remplace pas un tribunal et la présence du juge par des bornes interactives ni par la visioconférence. J'ai appris à ce propos que l'État rendait à la Ville de Paris des locaux qui accueillent actuellement les tribunaux d'instance dans les mairies d'arrondissement. L'objectif est-il de supprimer ces tribunaux pour les concentrer au sein de la future cité judiciaire de Batignolles ?

Les crédits du programme « Administration pénitentiaire » augmentent de 9,58 %. Mme la garde des sceaux a indiqué, lors de son audition en commission des lois, que la mise en oeuvre de la loi pénitentiaire était une priorité. Dois-je rappeler que le Gouvernement nous en a fait débattre en urgence l'hiver dernier, mais qu'il n'a inscrit le texte à l'ordre du jour de l'Assemblée nationale que cet automne ? Où est la priorité d'une loi qui est d'ailleurs bien en deçà de la grande loi pénitentiaire attendue par les professionnels et les associations ? Les crédits vont de fait pour l'essentiel à la construction des nouvelles places de prison. Les droits des détenus, par exemple au regard du travail, ne seront pas améliorés. Seulement 17,3 % du budget de l'Administration pénitentiaire ira à l'action Accueil et accompagnement des personnes placées sous main de justice, autrement dit à la maintenance et l'entretien des bâtiments, à l'accès aux soins, au maintien des liens familiaux ou aux activités de réinsertion. Avec 260 emplois, l'effort budgétaire consacré aux services pénitentiaires d'insertion et de probation est très loin des besoins. On compte certes 1 113 créations de postes, mais il en faudrait 1 200 pour les seuls nouveaux établissements -établissements qui posent par ailleurs de sérieux problèmes, comme celui de Lyon-Corbas. Si les nouvelles prisons offrent un cadre décent, elles sont déshumanisées, tant pour les personnels que pour les détenus -au point que de plus en plus de détenus demandent à retourner dans leur ancienne prison. A Corbas, où la violence se développe, 25 % des surveillants sont en arrêt maladie... J'ajoute que le recours systématique aux partenariats public-privé laisse une large latitude aux entreprises propriétaires des prisons pour réduire leurs coûts et augmenter leurs marges. Ce qui annonce peut-être des économies sur les conditions de travail des personnels et sur les conditions de détention.

M. Jean-Pierre Sueur.  - Bien sûr !

Mme Nicole Borvo Cohen-Seat.  - Malgré l'affichage de la loi pénitentiaire, nous sommes encore loin des exigences européennes en la matière.

Après une baisse de 2 % en 2009, les crédits du programme « Protection judiciaire de la jeunesse » (PJJ) régressent encore de 1 %. La PJJ fait l'objet d'une réorganisation administrative visant à diminuer les emplois et à transformer les missions éducatives. On nous dit que les difficultés de recrutement expliqueraient le nombre de contractuels ; mais les évolutions en cours ne sont guère attractives. Alors que la PJJ s'est construite depuis 1945 sur la double compétence civile et pénale, la tendance est à la spécialisation des missions des éducateurs vers les mineurs délinquants au détriment de celles en direction de l'enfance en danger ou des jeunes majeurs. Cette séparation totalement artificielle a des conséquences financières directes pour les départements. Le Fonds national de protection de l'enfance, créé par la loi du 5 mars 2007 pour compenser l'accroissement des responsabilités des départements en matière de protection sociale et d'aide sociale à l'enfance, n'est toujours pas doté, et le décret d'application n'est même pas paru. Il manque sur trois ans aux conseils généraux 90 millions d'euros... Cette situation a été dénoncée par la précédente Défenseure des enfants, Mme Claire Brisset. Il est vrai que quand il n'y aura plus de défenseur des enfants, on n'en parlera plus... Certains départements supportent en outre des sujétions particulières en raison de la présence sur leur territoire d'un aéroport ou d'un port ; je pense à la Seine-Saint-Denis, aux Bouches-du-Rhône ou à Paris. Les orientations de ce budget sont en cohérence avec la politique du Gouvernement en matière de justice des mineurs : la sanction doit primer sur l'éducation et la prévention. Plutôt que d'un couvre-feu pour les mineurs, le Gouvernement devrait se préoccuper du nombre de places en foyers pour les enfants en danger. Le jour où la responsable de la PJJ parisienne se jetait par la fenêtre, 43 enfants étaient en errance dans la capitale, faute de places en foyer.

Avec ce budget, les juridictions vont continuer à manquer de moyens humains et matériels ; les détenus attendront pour le respect de leurs droits ; et les mesures d'éducation et de protection ordonnées par les juges des enfants attendront encore de longs mois leur exécution. Nous ne pourrons le voter. (Applaudissements à gauche)

M. Jean-Pierre Sueur.  - Même si je connais depuis longtemps votre agilité dialectique, monsieur le ministre, je ne sais pas comment vous allez pouvoir défendre ce budget.

Premier point, les magistrats. Vous me direz que les effectifs sont inchangés, mais malheureusement cela ne va pas durer.

En 2011 et en 2012, respectivement 205 et 198 magistrats prendront leur retraite. Or, le nombre d'auditeurs de justice qui achèveront leurs études à l'École nationale de la magistrature (ENM) est lui aussi connu : pour les deux promotions à venir, nous aurons 60 étudiants par an. Cela va donc faire 403 départs à la retraite dans les deux prochaines années et 120 arrivées !

En second lieu, vous avez fait un tout de passe-passe, ce qui n'est pas très bien pour un ministère tel que le vôtre : vous laissez penser qu'il y aurait une augmentation de 486 postes équivalents temps plein (ETP) de magistrats, or nous savons tous que vous avez réintégré 419 ETP auditeurs de justice qui auparavant étaient affectés sur le budget de l'ENM.

J'en viens aux greffiers : M. Détraigne a parfaitement résumé la situation.

Mme Nathalie Goulet.  - C'est vrai !

M. Jean-Pierre Sueur.  - L'Union syndicale des magistrats estime que leur nombre insuffisant « conduit, malgré le dévouement des personnels, à une asphyxie progressive de l'institution ». L'USM cite d'ailleurs la Commission européenne pour l'efficacité de la justice (Cepeg) qui a calculé qu'alors qu'il y avait en moyenne deux greffiers par magistrat en France, il y en a cinq en Espagne ! Inspirez-vous des bons exemples européens. Pour ce qui est des greffiers, vous allez bien sûr nous dire qu'il y a 116 personnels de catégorie C qui sont reclassés en catégorie B, mais parlez-nous aussi des 36 personnels d'encadrement et des 394 postes de catégorie C qui ont disparu ! En dépit de votre stabilité dialectique, vous aurez du mal à nous convaincre que les choses s'améliorent.

Troisième point : la carte judiciaire.

Mme Nathalie Goulet.  - Aïe !

M. Jean-Pierre Sueur.  - Nous nous souvenons de Mme Dati.

M. Jean-Pierre Sueur.  - Elle nous avait dit, en 2007, que, pour financer la carte judiciaire, il faudrait 900 millions.

Mme Nathalie Goulet.  - Tout à fait !

M. Jean-Pierre Sueur.  - M. le secrétaire général du ministère avait, quelque temps plus tard, revu le chiffre à la baisse. Mais j'ai la faiblesse d'accorder plus de crédit à ce qu'avait dit Mme la ministre qu'aux propos de son secrétaire général.

M. Roland du Luart, rapporteur spécial.  - Ce n'est pas certain !

M. Jean-Pierre Sueur.  - C'est ma conception républicaine de l'État. Mme Dati nous avait dit, pour justifier les sommes fort modestes qui figuraient dans son budget, que ce n'était pas en 2008 ou en 2009 que le poids financier de la réforme se ferait sentir, mais en 2010 et en 2011. Or, votre budget ne prévoit que 100 millions d'engagement.

M. Jean-Marie Bockel, secrétaire d'État à la justice.  - Ce n'est déjà pas si mal !

M. Jean-Pierre Sueur.  - Si ces 100 millions ne sont pas réduits en cours d'année, et si l'on y ajoute les montants inscrits lors des deux dernières lois de finances, nous arrivons à un total de 190 millions. Les 710 millions manquants devront donc figurer dans la loi de finances pour 2011.

M. Richard Yung.  - Un bon calcul !

M. Jean-Pierre Sueur.  - J'espère, monsieur le ministre, que vous pourrez vous engager fermement sur un chiffre pour l'année prochaine, sans faux-semblant !

Les discours sont très positifs sur l'aide juridictionnelle, mais les crédits sont négatifs ! Le budget voté en 2009 se montait à 320 millions. Pour 2010, vous avez prévu 295 millions, soit 8 % de moins. L'USM cite toujours les experts européens estimant qu'au Royaume-Uni, l'aide juridictionnelle est dotée de 2 milliards de livres sterling.

M. Roland du Luart, rapporteur spécial.  - Les procédures ne sont pas les mêmes !

M. Jean-Pierre Sueur.  - Votre ministère chiffre les bénéficiaires de cette aide : 831 000 en 2004, 908 000 en 2009 et une prévision de 935 000 personnes pour 2010. Beaucoup de nos concitoyens sont victimes de la crise, du chômage, des difficultés de la vie : il est tout à fait probable que les demandes vont s'accroître alors que les crédits diminuent.

J'en arrive au cinquième point : l'aide aux victimes. Les discours sont remarquables : vous auriez leur sort à coeur alors que nous n'en aurions cure ! Mais si tel est vraiment le cas, que vos crédits soient en adéquation avec vos déclarations ! Nous passons en effet de 18 à 4 millions !

Mme Nicole Borvo Cohen-Seat.  - C'est parce qu'il y a moins de victimes ! (Sourires)

M. Jean-Pierre Sueur.  - Cette diminution de crédits serait justifiée, d'après vous, par la prochaine mise en place d'un juge délégué aux victimes et par la nouvelle carte judiciaire. Vous aurez quand même du mal à nous expliquer que cela justifie une division des crédits par 4,5 !

Quant à l'accès au droit, les crédits, là aussi, baissent, en passant de 2,2 millions à 800 000 euros. Vous rendez hommage à l'excellent travail fait dans le Loiret. J'y suis très sensible car la directrice de la maison de la justice et du droit d'Orléans accomplit un travail tout à fait remarquable en mettant en oeuvre la vidéo, ce qui permet aux personnes qui habitent loin de consulter ses services sans avoir besoin de se déplacer. Vous estimez que l'évolution de la vidéo justifie la réduction des moyens. Le malheur, c'est que c'est le contraire qui est vrai ! Avec la vidéo, il y a beaucoup plus de consultations ! La réduction des crédits n'est donc pas justifiée.

Pour ce qui est de la protection judiciaire de la jeunesse (PJJ), les crédits de paiement reculent de 14 %. Vous aurez, là encore, du mal à nous faire croire que c'est positif.

Pour conclure, je voudrais souligner un phénomène étrange. Alors que les crédits diminuent, ceux affectés au secrétariat général de votre ministère passent de 11 à 244 millions !

M. Richard Yung.  - C'est comme ça !

M. Jean-Pierre Sueur.  - Le programme « Conduite et pilotage » augmente de 16 millions ! Alors qu'il y a tant de besoins et tant de crédits qui sont plutôt en baisse sur tout le territoire, alors que vous demandez au personnel de la justice de faire plus avec moins de moyens, comment justifier l'augmentation des crédits de l'administration centrale ?

Nous ne pourrons donc pas voter votre budget. (Applaudissements à gauche)

M. Daniel Marsin.  - Dire que notre justice connaît un certain malaise est un truisme. Cette réalité est le reflet des maux qui frappent notre société : remise en cause de l'autorité, radicalisation d'une frange de la jeunesse, dégradation de la fonction de transmission de l'éducation nationale, désacralisation des institutions, perte du sens civique. Il ne peut y avoir de démocratie sans justice car celle-ci permet le règlement pacifique des différends tout en canalisant les pulsions de l'homme. Or nos compatriotes semblent perdre confiance dans leur justice, comme l'a montré une récente enquête : près d'un Français sur deux doute de son indépendance. Cette défiance porte atteinte à la légitimité du travail des magistrats, auxquels je tiens à rendre hommage. L'activisme législatif et l'instabilité chronique des normes de droit remettent incontestablement en cause la qualité de la justice. Notre Haute assemblée vient de voter un quinzième texte de droit pénal en sept ans et s'apprête à se saisir du seizième, celui sur la récidive. Nous débattrons au printemps de la suppression du juge d'instruction, sur laquelle il y aurait beaucoup à dire. Notre droit de la garde à vue est aujourd'hui sérieusement remis en cause par la Cour européenne des droits de l'homme, mon collègue Jacques Mézard ayant d'ailleurs déposé une question orale avec débat sur ce sujet. L'état de nos prisons demeure une « honte pour la République », comme le disait en 2000 le président Jean-Jacques Hyest et l'ancien président du RDSE Guy-Pierre Cabanel, et ce malgré le vote de la loi pénitentiaire qui n'a pas réduit la surpopulation carcérale.

C'est dans ces conditions que vous nous soumettez ce budget. Certes, il est agréable de constater qu'il progresse de 3,2 %, surtout dans le contexte financier actuel. Toutefois, le rythme de la régulation budgétaire, annulations et reports de crédits, ne faiblit pas, en dépit des recommandations de la Cour des comptes. Cette hausse globale des crédits n'est également pas suffisante pour combler notre retard sur le plan européen, puisque les budgets de la justice en Allemagne et en Espagne sont trois fois supérieurs au nôtre. Le Conseil de l'Europe n'a pas manqué de rappeler que l'écart avec nos partenaires ne cesse de se creuser. Il y a une certaine incohérence à vouloir d'un côté renforcer la sévérité de la justice en durcissant les peines, en aggravant les incriminations, alors que, de l'autre, nos prisons sont incapables d'accueillir dignement les détenus...

M. Roland du Luart, rapporteur spécial.  - Il y a quand même eu des progrès !

M. Daniel Marsin.  - ... ou à vouloir développer les mesures alternatives à l'enfermement sans y allouer les moyens nécessaires. Or la justice reste l'un des parents pauvres de la puissance publique, malgré toute la bonne volonté du garde des sceaux.

Le rapport Warsmann-Blanc sur les moyens de la justice et le suivi socio-judiciaire a montré que onze ans après la création des médecins coordinateurs, près de 40 tribunaux de grande instance attendaient toujours l'affectation du premier d'entre eux ! Or le projet de loi sur la récidive prévoit d'étendre ce dispositif, sans y affecter les moyens. Comment allons-nous faire ? Votre prédécesseur expliquait que le Gouvernement tiendrait son ambitieux programme de réhabilitation et de construction d'établissements pénitentiaires afin de parvenir, en 2012, à 62 000 places.

Je conviens que la réalisation de ce programme constituerait une réponse adéquate au taux de surpopulation carcérale de 120 %, mais au rythme des flux d'entrées, il faudra 80 000 places en 2012.

Ces deux exemples illustrent les conditions très difficiles dans lesquelles les magistrats et les fonctionnaires de l'administration doivent travailler. Ce n'est ni démagogie ni gabegie que de constater leur nombre insuffisant. Certes, l'essentiel de la hausse des crédits est absorbé par la création de 1 100 postes, dont 80 % pour l'administration pénitentiaire, qui en a bien besoin, mais cela reste insuffisant. Quand 1 100 postes de conseillers en probation seraient nécessaires, vous n'en créez que 262. Les sortants de l'École nationale de la magistrature ne suffiront pas, dès 2011, à compenser les départs à la retraite. (M. Jean-Pierre Sueur le confirme) Les 386 nouveaux postes de magistrats seront largement absorbés par la réintégration dans le programme « Justice judiciaire » de 419 emplois d'auditeurs de justice auparavant affectés à l'ENM. Enfin, le nombre des personnels de greffe atteint un plancher record qui pose sérieusement la question de la qualité de la justice rendue. La dégradation du ratio greffiers-magistrats se poursuit depuis 1975. L'Espagne, par exemple, jouit d'un ratio cinq fois plus élevé.

La baisse de 25 millions des crédits affectés à l'aide juridictionnelle va à contre-courant de la réalité, alors que le nombre de bénéficiaires ne cesse d'augmenter. Depuis 1991, rien n'a été fait. Songeons que lorsque nous y affectons 320 millions d'euros, le Royaume-Uni y met 2 milliards de livres.

La dégradation de la qualité de notre justice commence à faire l'objet d'un examen très attentif de la Cour européenne des droits de l'homme.

Je ne reviendrai pas sur la réforme de la carte judiciaire mais ne puis, en revanche, passer sous silence l'état des deux établissements pénitentiaires de Guadeloupe, Basse-Terre et Baie-Mahault, que j'ai visités il y a quinze jours. Vétusté, manque de places, insalubrité : la situation est indigne de notre pays.

Au centre pénitentiaire de Baie-Mahault, sous-dimensionné dès sa construction, en 1996, 640 détenus s'entassent dans 400 places. Pas question, dans ces conditions, de différencier longues et courtes peines, voire hommes et femmes, en violation flagrante du code de procédure pénale et au prix d'une promiscuité qui pose de graves problèmes de sécurité pour les détenus.

L'établissement de Basse-Terre, situé dans un ancien couvent construit en 1664, n'a jamais bénéficié de travaux d'envergure. Des cellules de 10 m² accueillent de six à huit détenus, certains dormant à même le sol. Alors que les normes européennes sont d'une personne par cellule de 9 m², la moyenne y est de 3,35 m² par détenu. Le suivi sanitaire et médical est déplorable, le CHU de Pointe-à-Pitre, qui en a la charge, n'engageant pas les moyens nécessaires. Les directeurs d'établissement doivent ainsi délivrer des autorisations de sortie pour soin, 371 en 2008 soit deux par jour ouvré.

A tout cela s'ajoute le manque criant de préparation à la sortie de prison. Malgré une proportion de mineurs de 70 %, aucun de ces deux établissements n'a de réel programme d'insertion ou de réinsertion.

Je sais, monsieur le ministre, que des projets de réhabilitation sont à l'étude. Pouvez-vous nous informer précisément de leur teneur et nous garantir qu'ils seront mis en oeuvre ?

Alors que le Président de la République veut faire entrer Albert Camus au Panthéon, il n'est pas inutile de rappeler cette phrase tirée de ses Carnets : « Si l'homme échoue à concilier la justice et la liberté, alors il échoue à tout. » (Applaudissements à gauche et au centre)

M. Laurent Béteille.  - Ce budget est à la hauteur des objectifs qu'avec Mme le garde des sceaux, vous vous êtes fixés : promouvoir une justice moderne, réactive, efficace, transparente et à l'écoute des citoyens. Sa progression de près de 3,5 %, dans un contexte budgétaire contraint, mérite d'être soulignée.

Un effort budgétaire constant depuis 2008, des réformes d'envergure : la justice constitue bien une priorité absolue du Gouvernement et le groupe UMP s'en félicite.

La mission « Justice » est pour la première fois dotée de quatre objectifs principaux : rendre des décisions de qualité dans des délais raisonnables en matière civile ; amplifier la généralisation d'une réponse pénale différenciée et améliorer l'exécution des peines ; développer les aménagements de peine ; optimiser, enfin, la prise en charge des mineurs délinquants. Ces choix traduisent les améliorations fondamentales à apporter à notre système judiciaire pour apporter un meilleur service judiciaire et une meilleure sécurité pour nos concitoyens.

Cette vision ambitieuse s'appuie sur une politique d'emploi cohérente. Alors que 34 000 emplois seront supprimés dans la fonction publique de l'État, la mission « Justice » bénéficiera de 1 030 emplois nouveaux, marquant la détermination du Gouvernement à renforcer les moyens en personnel du ministère de la justice et des libertés. Je salue, au nom du groupe UMP, le travail de fonctionnaires dévoués qui participent, au quotidien, à l'amélioration du fonctionnement de notre justice.

L'année 2010 sera la première année d'application de la loi pénitentiaire, texte fondateur, si longtemps attendu. Plusieurs de ses dispositions, comme le droit des personnes détenues au respect de leur dignité, le principe de l'encellulement individuel et l'adaptation de la taille des cellules, ont des implications immobilières significatives. Elles rendent indispensables la fermeture des établissements les plus vétustes et la construction de nouveaux établissements. Les efforts engagés pour mettre nos prisons en conformité avec les règles pénitentiaires européennes doivent être poursuivis. Le programme « 13 200 » étant en voie d'achèvement, quelles sont les perspectives du futur en termes d'ouvertures, de fermetures et de calendrier ?

Dans mon département, le centre de Fleury-Mérogis, plus grande prison de France et d'Europe, est terriblement dégradé, au point que des étages entiers ont dû être fermés. Depuis 30 ans, son entretien et sa modernisation ont été terriblement négligés, au point que le coût de rénovation des cellules, de 112 000 euros, dépasse de 12 000 euros le coût moyen de la construction. Quel est l'état d'avancement, monsieur le ministre, du programme entamé en janvier 2006 ?

Une alternative existe à l'enfermement : les aménagements de peine, qui ont triplé depuis 2007 et concernent 14 % des condamnés en 2009. Les développer est essentiel pour mieux anticiper la sortie et réduire la récidive. L'objectif de 18 % sera-t-il atteint, monsieur le ministre, en 2011 ?

Cette année marquera l'entrée de la nouvelle carte judiciaire, fruit de la réforme engagée avec détermination par le Président de la République, dans sa phase opérationnelle. Il y va de l'intérêt du justiciable.

Dans certaines juridictions, des décisions ont été anticipées. La fermeture de tribunaux s'est mieux déroulée que prévu. Où en est-on du regroupement des 178 tribunaux d'instance et comment se dessine celui des 23 tribunaux de grande instance, prévu pour 2011 ? L'enveloppe de 375 millions sera-t-elle maintenue ? Comment se déroule l'accompagnement social de la réforme, notamment pour les personnels les plus touchés que sont les greffiers et les autres fonctionnaires de justice, souvent en poste depuis très longtemps ?

Autre grand chantier de votre ministère, la prise en charge des mineurs délinquants, mission désormais centrale de la protection judiciaire de la jeunesse. Alors que la semi-liberté, qui permet de suivre une formation à l'extérieur et de renouer avec l'échange social, peut être parfaitement adaptée pour les jeunes incarcérés en établissement pénitentiaire pour mineur, elle est très peu prononcée.

L'autre axe important de la réforme est dans la modernisation des procédures. A l'heure des nouvelles technologies, la justice doit être capable de dématérialiser, de fluidifier la transmission des pièces. L'informatisation des juridictions a longtemps été lacunaire et mise en oeuvre dans des conditions largement discutables. Nous saluons donc votre effort en ce domaine. Pouvez-vous nous indiquer le calendrier de mise en service des principaux projets informatiques de la Chancellerie et nous indiquer les améliorations qu'ils apporteront au fonctionnement de la justice ?

Nous entrons dans une année importante pour la justice qui, dotée d'un budget significatif, verra la mise en oeuvre de réformes essentielles en matière de récidive, d'instruction, de délinquance des mineurs.

Monsieur le ministre, ce budget marque la détermination de la garde des sceaux et la vôtre pour une justice ferme, humaine, ouverte à tous et modernisée. Le Groupe UMP le votera avec conviction. (Applaudissements sur les bancs UMP)

M. Pierre Fauchon.  - J'ai passé la journée d'hier « en immersion » au parquet général de Rouen. J'en ai retiré une impression très positive quant à la qualité des méthodes employées, le sens des responsabilités et l'esprit d'équipe des magistrats. Si le système judiciaire est en principe hiérarchique, dans la pratique il mêle ce qu'il faut d'initiative individuelle et de cohérence générale pour bien fonctionner. L'atmosphère de travail est à la fois cordiale et intense. Grâce à la visioconférence, une relation plus effective a pu être engagée avec les procureurs de terrain. Cette expérience m'a laissé très admiratif et confiant quant à la réforme à venir, qui vise à augmenter les responsabilités du parquet.

Mon intervention s'intéressera plus particulièrement à la médiation, qui ne constitue pas seulement une voie nouvelle pour désengager les juridictions, mais surtout une méthode, un esprit dont l'exemplarité peut servir de leçon à toutes les juridictions. Créée par une loi de 1995, sur les recommandations de Guy Canivet, alors Premier président de la Cour de cassation, et de Jean-Claude Magendie, Premier président de la cour d'appel de Paris, la médiation humanise les procédures et associe les parties à la résolution des litiges. Elle aboutit à une solution plus adaptée et mieux comprise, qui contraste avec le caractère artificiel des procédures, le jargon juridique, l'indifférence aux délais, les usages particuliers et pittoresques, qui aboutissent à ce que Jean-Claude Magendie a qualifié de « parcours kafkaïen ».

La médiation s'oppose au péril d'une justice de moins en moins comprise... (M. Roland du Luart, rapporteur spécial, approuve), de moins en moins aimée. Il ne s'agit pas d'une déjudiciarisation, d'une volonté de se débarrasser d'une partie du contentieux. Selon le plan Magendie, les justiciables devraient s'informer sur la médiation avant toute procédure civile, comme c'est déjà le cas pour la médiation familiale. Cette forme de résolution des conflits allège la charge de la justice et a fait la preuve de son exemplarité. A l'Ecole supérieure de la magistrature, une formation est dispensée aux magistrats pour les informer sur cette procédure. Monsieur le ministre, quelles orientations et initiatives la Chancellerie envisage-t-elle afin d'en encourager le développement ? (Applaudissements à droite et au centre)

M. Richard Yung.  - J'évoquerai le budget de l'administration pénitentiaire. L'événement le plus important de ces derniers mois est la baisse du nombre de détenus : 61 787 en octobre, soit 1 056 de moins en un an. Parallèlement, le nombre de places en détention a augmenté de 2 400, et est actuellement de 53 351. Le taux de couverture s'est donc amélioré de 3 500 places.

M. Roland du Luart, rapporteur spécial.  - Exact !

M. Richard Yung.  - Souhaitons que cette évolution positive se poursuivre afin que les conditions de détention dans les prisons françaises, scandale que nous avons dénoncé durant des années, s'améliorent. Cela dépendra tout d'abord des projets immobiliers, qui doivent être menés avec plus de régularité. Ensuite, les mesures d'aménagement des peines doivent continuer à augmenter. Elles sont actuellement près de 7 000, en progression de 16 % cette année. Nous souhaitons qu'elles doublent dans un avenir proche.

Toutefois, il faut compter avec les effets négatifs de la législation répressive et sécuritaire que nous votons chaque année. En 2002, la Lopj a étendu la procédure de comparution immédiate. En 2007, la loi sur la récidive a prévu des peines d'emprisonnement plus lourdes et celle sur les peines planchers a envisagé d'augmenter le nombre de détenus de 3 000 chaque année. En 2008 a été adoptée la loi sur la rétention de sûreté. De nouveaux textes dans le même sens sont programmés.

Il est nécessaire d'améliorer les conditions de travail des personnels de l'administration pénitentiaire et de reconnaître la difficulté des fonctions des gardiens, qui ne touchent pourtant que 750 euros par an de prime de pénibilité, soit 2 euros par jour. Des formations plus poussées doivent les aider à faire face à des cas de plus en plus complexes et dangereux, et à des détenus souffrant de lourds problèmes mentaux. Une aide psychologique, telle celle qui est dispensée aux policiers, serait également utile.

Les crédits pour l'accueil et l'accompagnement des personnes placées « sous main de justice » ne représentent que 17 % du budget de l'administration pénitentiaire. Les moyens consacrés au maintien des liens familiaux sont insuffisants : on ne compte que 31 unités de vie familiale pour plus de 60 000 détenus. Et quel est le taux du travail et de l'activité en prison ? Il me semble qu'il régresse. Rappelons en outre la grande misère de la psychiatrie en détention. Le nombre de lits à l'extérieur a été réduit à sa plus simple expression et des cas psychiatriques lourds ont été transférés dans les prisons.

Les services pénitentiaires d'insertion et de probation (Spip) préparent la sortie de prison et la réinsertion dans de bonnes conditions. C'est, après la peine, le deuxième volet de la politique pénitentiaire. Des efforts ont été accomplis, mais on reste loin du compte. Pour 2010, il est prévu de créer dans ces services entre 148 et 262 postes, selon les différents documents communiqués.

Nous sommes loin des 1 000 nécessaires ! On ne pourra développer les aménagements de peines sans effectifs supplémentaires. C'est donc une lacune lourde de conséquences.

Je veux enfin évoquer les graves dysfonctionnements du service de la nationalité au tribunal d'instance du 1er arrondissement de Paris.

M. Jean-Jacques Hyest, président de la commission des lois.  - C'est vrai...

M. Richard Yung.  - On a concentré dans ce tribunal la délivrance de tous les certificats de nationalité pour les Français nés à l'étranger. Soit. Mais celui-ci n'est pas en état de répondre aux demandes dans un délai inférieur à trois ou quatre... années ! (On s'indigne) Cela est fort préjudiciable aux intéressés, qu'ils vivent en France ou ailleurs. Le passeport ne suffit pas, ni l'ancienne carte d'identité, pour en faire une nouvelle ! La moitié de notre travail de représentants des Français de l'étranger consiste à adresser des courriers au tribunal, qui ne nous répond même plus. Il faut agir car il y a là un petit scandale dans la République.

Dans ces conditions, nous ne pourrons voter les crédits. (Applaudissements à gauche)

M. Jean-Marie Bockel, secrétaire d'État à la justice.  - Monsieur le rapporteur spécial, parmi d'autres questions importantes, vous évoquez le ratio entre fonctionnaires et magistrats : la garde des sceaux partage votre analyse, c'est pourquoi elle crée des postes de fonctionnaires et de greffiers, non de magistrats. Sur les frais de justice et les conséquences pour la sincérité du budget, je fais le même constat mais ne tire pas les mêmes conclusions. Il y a une forte pression de ces frais à la hausse mais la Chancellerie prend toutes les initiatives pour la contenir. Vous mettez le doigt sur une vraie question ; nous y travaillons. La mise en oeuvre de la politique pénitentiaire exige un redimensionnement des forces de sécurité et une prise en compte dans le calcul de la DGF. Cela concerne mon collègue de l'intérieur mais nous intéresse aussi ; je ne peux cependant pas apporter seul une réponse.

La réforme de l'aide juridictionnelle ne doit pas être différée. Il faudra notamment prendre en compte la présence accrue de l'avocat durant la garde à vue. Le rapport spécial de M. du Luart pour 2007 comportait des propositions, nous en discuterons avec la représentation nationale.

M. Roland du Luart, rapporteur spécial.  - Il faut passer à l'acte.

M. Jean-Marie Bockel, secrétaire d'État.  - Exactement. Pour le reste, nous sommes en phase !

M. Lecerf connaît parfaitement les questions de politique pénitentiaire : sur les objectifs et les indicateurs, nous sommes prêts à travailler avec les parlementaires pour en améliorer la cohérence, au lendemain de la promulgation de la loi pénitentiaire. Merci de vos satisfecits. La création de 260 postes dans les Spip est une première étape. Un budget triennal est en cours de négociation. Les crédits de fonctionnement et d'investissement sont à la mesure des objectifs, du reste nous terminons l'exécution 2009 dans des conditions améliorées. La population pénale est de 62 073 personnes, en diminution : 1 000 prévenus de moins que l'année précédente, 500 condamnés de moins. Toutes les mesures alternatives à l'emprisonnement -mais aussi, pour reprendre l'expression de Mme la garde des sceaux, alternatives à rien du tout... -doivent être renforcées. La stabilisation dépendra aussi de la lutte contre la densité excessive dans les prisons. Après l'achèvement du plan 2002 et le réaménagement des vieilles prisons, 12 000 places à fermer et rouvrir, le plan 5 000 sera mis en oeuvre. Quant à la taille des établissements, pas de course au gigantisme mais pas non plus d'idolâtrie du « small is beautiful » : il suffit de visiter des établissements en Europe pour se convaincre qu'il est possible, par une bonne organisation, de concilier une certaine taille d'établissements et des sous-ensembles plus petits. Les lieux ne peuvent être sécurisés par le tout-électronique, la présence humaine est indispensable. Un plan sera adopté dans les prochaines semaines : tous les élus seront associés aux fermetures et ouvertures.

Le plan Entreprendre lancé en 2008 fonctionne, malgré la crise économique qui complique les choses. Si l'on compare les situations en Europe, nous ne faisons pas si mal en matière de travail rémunéré en prison. Il faudra préserver les acquis et développer encore l'activité des détenus. Nous avons eu du mal à atteindre les objectifs 2009 mais de nouvelles initiatives sont prises pour relancer le travail en prison.

Mme Nathalie Goulet.  - Et en dehors ?

M. Jean-Marie Bockel, secrétaire d'État.  - Nous restons attentifs au climat social. Malaise du personnel ? Je serai plus nuancé et les syndicats signataires du protocole ne semblent pas non plus de cet avis ! Nos interlocuteurs sont conscients que nos efforts vont dans la bonne voie. Le rapport Pochard sera prochainement présenté aux organisations professionnelles. Lors de sa visite à Clairvaux au lendemain de la prise d'otage, Mme la garde des sceaux, après s'être entretenue en tête à tête avec le gardien victime de cet épisode, a annoncé la création d'un groupe de travail sur les menaces dont sont l'objet les membres du personnel pénitentiaire.

M. Alfonsi a noté le recentrage de la PJJ sur les mineurs délinquants. Cela implique la fin de la protection judiciaire sur les jeunes majeurs et l'abrogation du décret de 1975. Vous souhaitez une évaluation des conséquences. Elle sera faite et soumise à la commission d'évaluation des normes ainsi qu'aux collectivités, conseils généraux en particulier, qui interviennent dans ce domaine. La PJJ ne sera plus chargée de la protection des majeurs, mais il faudra tout de même veiller à un suivi.

La refonte de l'ordonnance de 1945 relative à l'enfance délinquante se fera à l'occasion de la réforme de la procédure pénale, pour une bonne cohérence. J'ai beaucoup travaillé sur la prévention et mes propositions seront inspirées de mon expérience locale. Je suis très engagé sur ce dossier qui me tient à coeur. Dès 2010, une part plus importante des crédits de la PJJ, 66 % contre 62 auparavant, sera affectée aux mineurs ayant commis des actes de délinquance.

Le rapport de M. Détraigne est fort dense.

Vous jugez l'application de la Lolf décevante. Sur les indicateurs, je suis prêt à étudier des propositions concrètes. Oui, il faut une dimension qualitative, mais sans remettre en cause les critères d'appréciation, et dans le respect des professionnels.

Vos propos sur les évolutions d'effectifs me surprennent : le dialogue avec les fonctionnaires existe. Preuve de cet état d'esprit, la garde des sceaux a présidé le comité technique paritaire, et proposé aux syndicats une Charte du dialogue social. Enfin, à chacun de nos déplacements, nous rencontrons les personnels et les syndicats.

Le ministère cherche à améliorer la gestion des frais de justice sans céder à une vision purement comptable. Nous avons sorti les cadavres des armoires ; pour autant, dans neuf cours d'appel sur 35, les dépenses sont inférieures à celles de 2008. Signalons également la circulaire sur les envois postaux, le décret à venir sur les tarifs postaux, les négociations engagées avec les opérateurs de télécommunications.

En matière de programmation informatique, les difficultés de Cassiopée sont connues. L'heure n'est plus aux lamentations. Nous demandons au partenaire industriel de respecter ses engagements. Il faut prévoir un accompagnement des personnels, et une interface avec la police nationale, sur l'exemple de la gendarmerie nationale.

La garde des sceaux a confié une mission sur l'aide juridictionnelle à M. Belaval, conseiller d'État, et à M. Arnaud, conseiller à la Cour des comptes, qui remettront leur propositions d'ici la fin de l'année. Sur le terrain, un meilleur accueil permet de décourager les plaintes infondées, et d'améliorer l'examen des dossiers. C'est un effort concret. (M. Roland du Luart, rapporteur spécial, approuve)

La vidéosurveillance devra aussi être évaluée.

Mme Borvo Cohen-Seat, s'agissant du transfert du TGI à Batignolles, le montant de l'acquisition du terrain et des études préalables, soit 53 millions, apparaîtra dans le projet loi de finances rectificative. S'agissant des tribunaux d'instance, Mme la garde des sceaux vous a répondu en commission. Nous recherchons le bon équilibre entre proximité et efficacité.

Monsieur Sueur, vous n'avez pas les bons chiffres : les deux promotions sortantes de l'ENM représentent 250 personnes, auxquelles s'ajoutent les recrutements parallèles. Entre-temps, la carte judiciaire se rénove peu à peu. Le taux d'encadrement est peut-être bon en Espagne, mais en France il suffit de regarder le budget pour voir que nous augmentons le nombre de fonctionnaires et de greffiers.

M. Jean-Pierre Sueur.  - Pas du tout ! Il baisse !

M. Jean-Marie Bockel, secrétaire d'État.  - Pourquoi m'interrompre alors que je suis en train de vous répondre ?

M. Pierre Fauchon.  - Vous ne connaissez pas M. Sueur !

M. Jean-Marie Bockel, secrétaire d'État.  - Au contraire, je le connais très bien ! (M. Jean-Pierre Sueur continue de s'exclamer) Les exemples de nos voisins sont intéressants, mais comparaison n'est pas raison : en la matière, comparons ce qui est comparable.

Quand vous citez Mme Dati, citez-la entièrement : elle a elle-même recadré sa première estimation du coût de la restructuration de la carte judiciaire, de 800 millions, à environ 400 millions. Nous travaillons sur cette base, à l'issue de l'expertise commanditée par la garde des sceaux.

M. Jean-Pierre Sueur.  - Moins 450 millions en quelques semaines, bravo !

M. Jean-Marie Bockel, secrétaire d'État.  - Si mes réponses ne vous intéressent pas, monsieur Sueur, je peux m'abstenir et répondre à l'orateur suivant.

M. Jean-Pierre Sueur.  - C'est votre choix.

M. Jean-Marie Bockel, secrétaire d'État.  - Malgré tout, je vous aime bien. (Sourires) Vous feignez de vous étonner de la différence entre autorisations d'engagement et crédits de paiement. C'est moi qui m'étonne : vous avez été maire, vous savez qu'il y a toujours un temps de latence dans la conduite de programmes immobiliers.

M. Jean-Pierre Sueur.  - 30 millions d'écart, tout de même !

M. Jean-Marie Bockel, secrétaire d'État.  - Nous essayons de réduire ces délais, mais ils sont inévitables.

Sur l'augmentation des crédits de l'administration centrale, vous reprenez un argumentaire syndical un peu simple. Entre 2009 et 2010, le périmètre du programme a évolué avec l'intégration du programme Chorus. (M. Jean-Pierre Sueur continue de s'exclamer) J'ai bien du mérite à vous répondre jusqu'au bout, vous ne cessez de m'interrompre !

M. Jean-Pierre Sueur.  - Je suis réactif !

M. Jean-Marie Bockel, secrétaire d'État.  - M. Marsin a dénoncé la situation carcérale inadmissible outre-mer, et notamment en Guadeloupe. La construction d'un nouveau centre pénitentiaire à Basse-Terre s'impose. Nous étudions plusieurs sites. Nous prévoyons la construction d'un nouveau bâtiment de 150 places sur le site de Baie-Mahault. Après une réhabilitation lourde de la maison d'arrêt de Basse-Terre, les capacités sur site atteindront 750 places. Le foncier conditionnera la faisabilité de l'opération. L'objectif est de démarrer fin 2010, début 2011. J'irai prochainement sur place, ainsi qu'en Martinique.

Je remercie infiniment M. Béteille de son soutien. (M. Jean-Pierre Sueur daube sur l'adverbe) La rénovation du centre pénitentiaire de Fleury-Mérogis a déjà été conduite, entre 2000 et début 2009, pour le réseau électrique, l'accueil des familles et le mess. Quatre lots restent à réaliser, dont celui regroupant les bâtiments d'hébergement et les ateliers. Il s'agit d'un programme très lourd, qui s'étale de 2006 à 2018, pour un coût d'environ 119 millions. La tripale D3 sera achevée l'été prochain.

Nous nous tenons au taux de 18 % de peines alternatives, avec l'objectif de le faire progresser.

Sur l'accompagnement social de la réforme de la carte judiciaire, rien ne se fera sans l'adhésion des personnels. Je fais actuellement le tour des juridictions les plus touchées.

En ce qui concerne l'accompagnement social de la réforme, les choses évoluent dans le bon sens : je m'en entretenais hier avec le secrétaire général de cette administration. Les cas qui doivent encore être résolus se comptent sur les doigts d'une main.

L'application informatique Cassiopée, lancée en 2001, suscite beaucoup d'espoirs. Un tiers des TGI en sont déjà pourvus, et les juridictions de Paris le seront en 2011. Mais il faut encore former les personnels. Nous souhaitons achever assez vite cette réforme : sans doute peu après 2011.

M. Fauchon a parlé de son expérience d'immersion : il est bon d'aller voir sur le terrain comment travaillent les magistrats et les fonctionnaires. Nous sommes tous conscients des dysfonctionnements qui persistent, mais il faut saluer les progrès.

Le développement de la médiation, qui n'a pas d'incidence budgétaire directe, influe toutefois sur l'évolution des juridictions. Cette pratique n'appartient pas à la tradition du droit continental, à laquelle je suis très attaché, mais les Français y sont de plus en plus ouverts. Je ne ferai pas mien l'adage selon lequel mieux vaut un mauvais accord qu'un bon procès, car l'accord doit être le meilleur possible.

Monsieur Yung, j'ai été surpris que vous appeliez à rejeter les crédits de la mission, tant votre intervention m'a paru équilibrée et constructive. Vous avez souligné avec raison l'importance de la continuité de la politique immobilière du ministère. Notre gestion s'inscrit dans la longue durée, qu'il s'agisse de la réforme de la carte judiciaire ou des programmes pénitentiaires.

Nous sommes également très attentifs au problème de la santé en prison : Mme la garde des sceaux coopère à ce sujet depuis le mois de juillet avec Mme la ministre de la santé. Les moyens doivent être renforcés, mais il faut aussi convaincre les praticiens d'accepter des vacations en prison. Je persiste à penser que la réforme de 1994 fut un progrès. Mais comme je l'écrivais dernièrement dans une tribune publiée dans Le Monde, l'ouverture des hôpitaux psychiatriques, qui répondait à de bonnes intentions, a sans doute été menée un peu vite et a conduit en prison des personnes qui n'y ont pas leur place. Il faut multiplier les unités spéciales, développer les soins en prison et les peines substitutives à la prison.

Vous avez évoqué les unités de vie familiale ; vous auriez pu parler aussi des parloirs intimes. Les bâtiments carcéraux anciens n'y sont pas adaptés. Sur ce sujet il faut aller plus vite et plus loin, afin que les détenus puissent avoir des rencontres intimes mais également une vie familiale. Cependant, comparaison n'est pas raison : j'ai moi aussi été voir l'exemple espagnol, mais il n'est pas entièrement transposable en France.

Quant aux effectifs des tribunaux, leur hausse se poursuivra. Des solutions concrètes seront apportées aux problèmes rencontrés au tribunal d'instance de Paris, encombré par les dossiers de nationalité.

Je n'ai sans doute pas répondu à toutes vos questions, mais je les prends très au sérieux, d'où qu'elles viennent. Car nous avons tous pour objectif d'améliorer le fonctionnement de notre justice. (Applaudissements à droite et au banc des commissions ; M. Daniel Marsin applaudit aussi)

Examen des crédits

Article 35 (État B)

Il est ouvert aux ministres, pour 2010, au titre du budget général, des autorisations d'engagement et des crédits de paiement s'élevant respectivement aux montants de 381 203 968 005 € et de 379 741 845 043 €, conformément à la répartition par mission donnée à l'état B annexé à la présente loi.

M. le président.  - Amendement n°II-17 rectifié bis, présenté par M. du Luart, au nom de la commission des finances.

Modifier comme suit les crédits des programmes :

(en euros)

Programmes

Autorisations d'engagement

Crédits de paiement

 

+

-

+

-

Justice judiciaire

Dont Titre 2

10 000 000

 

10 000 000

 

Administration pénitentiaire

Dont Titre 2

 

 

 

Protection judiciaire de la jeunesse

Dont Titre 2

 

 

Accès au droit et à la justice

 

10 000 000

 

10 000 000

Conduite et pilotage de la politique de la justice

Dont Titre 2

 

 

Conduite et pilotage de la politique de la justice (hors Chorus)

Dont Titre 2

 

 

 

 

TOTAL

10.000.000

10.000.000

10.000.000

10.000.000

SOLDE

0

0

M. Roland du Luart, rapporteur spécial.  - La version initiale de cet amendement prévoyait de réduire de 30 millions les crédits de l'action « Conduite de la politique pénale et jugement des affaires pénales », car le projet de loi réduisait le montant déjà insuffisant alloué aux frais de justice : les tribunaux se retrouveront à la fin de l'année 2009 avec 20 millions d'euros d'impayés. On pouvait donc considérer le projet de budget comme insincère. Les frais de justice servent à financer des actions indispensables à l'exercice d'une bonne et saine justice : enquêtes, recherches d'ADN, mises sur écoute, etc.

Cependant, les discussions que j'ai eues avec plusieurs d'entre vous avant la séance m'ont convaincu de rectifier mon amendement et de n'augmenter les crédits de cette action que de 10 millions d'euros, prélevés sur le budget de l'aide juridictionnelle. Le taux de recouvrement est aujourd'hui de seulement 11 % ; je crois possible de le porter à 16 % si les magistrats s'y appliquent dès la sortie du tribunal. J'ai recommandé dès octobre 2007 une réforme qui devrait intervenir d'ici peu. L'amélioration du recouvrement permettra d'allouer une enveloppe suffisante aux frais de justice. Il est impensable que les tribunaux entament l'année 2010 avec des arriérés !

M. Jean-Marie Bockel, secrétaire d'État.  - Vous soulevez un problème réel. Mais des efforts ont été faits entre 2005 et 2008 pour maîtriser et même diminuer les dépenses.

M. Roland du Luart, rapporteur spécial.  - Le dérapage était naguère de 25 %, il est un peu moindre aujourd'hui !

M. Jean-Marie Bockel, secrétaire d'État.  - D'ailleurs je ne suis pas sûr que la solution suggérée soit adéquate. L'amélioration du taux de recouvrement de l'aide juridictionnelle ne dépend pas du seul Gouvernement. Il faut se donner le temps de prendre les bonnes décisions. Nous nous inspirerons du rapport que vous avez publié en 2007, mais aussi de l'exemple du Canada où le barreau est mieux associé à la gestion de l'aide juridictionnelle.

Je reçois cet amendement comme une attente pressante pour que nous trouvions une solution. J'apprécie l'esprit constructif de la commission des finances qui a modifié son amendement. Mais, du coup, il est désormais ciblé sur l'aide juridictionnelle et le Gouvernement ne peut qu'y être défavorable parce qu'il s'agit là d'un problème sensible auquel nous n'avons pas encore apporté de réponse. Je vois donc cet amendement comme un appel à avancer plus rapidement sur cette question.

M. Jean-Jacques Hyest, président de la commission des lois.  - J'admire la célérité de la commission des finances à modifier ses amendements...(Sourires) Il est vrai que certains budgets étaient déjà en diminution et qu'il est difficile de toucher à ceux de la PJJ ou du programme informatique. Mais ce qui se passe par exemple à la Cour d'appel de Versailles relève plus d'un problème de trésorerie que d'un problème budgétaire. Je ne suis pas sûr que la situation des frais de justice soit si dramatique que cela. D'autant qu'à l'initiative de la commission des finances il y a déjà eu une rationalisation des coûts -de recherche d'ADN par exemple- et que, par ailleurs, si on veut améliorer les recouvrements, il faut s'occuper des amendes, mais ce n'est pas si simple. Or, il y a un vrai problème pour l'aide juridictionnelle : si on reporte sur l'année suivante, les avocats ne seront pas payés. Je ne suis pas sûr que cette solution soit la bonne et je suis porté à me ranger à l'avis du Gouvernement.

M. Laurent Béteille.  - J'irai dans le même sens. Je comprends bien qu'il y a un problème avec les frais de justice et qu'on veuille améliorer le recouvrement de l'aide juridictionnelle. Mais celle-ci est souvent difficile à recouvrer : c'est en particulier impossible au pénal et, en matière civile les procédures opposent souvent deux parties -je pense aux divorces par exemple- qui, toutes deux bénéficient de l'aide juridictionnelle. L'amélioration de son recouvrement n'apportera pas des millions... Mieux vaut s'en tenir à la position du Gouvernement.

M. Jean Arthuis, président de la commission des finances.  - La commission des finances n'a qu'une préoccupation : que la justice s'exerce dans de bonnes conditions. Mais elle veut aussi que la loi de finances soit une expression sincère des besoins du Gouvernement. Or, les crédits prévus pour les frais de justice ne suffiront pas aux besoins, d'autant qu'il y a déjà des reports de charges de 2009. Nous voulons rendre le Gouvernement attentif à cette situation. Il y a là un problème de sincérité parce que certains arbitrages n'ont pas été faits.

Il est normal, monsieur le président de la commission des lois, que la commission des finances réagisse en temps réel ; elle n'est pas autiste et c'est pourquoi elle a pu entendre les arguments des rapporteurs pour avis. Il n'est donc pas question de toucher aux dépenses informatiques. Celles-ci servent toujours de variable d'ajustement.

M. Hubert Haenel.  - Ce n'est pas nouveau !

M. Jean Arthuis, président de la commission des finances.  - C'est ainsi que des officiers de police judiciaire dressent des procès-verbaux avec un système informatique incompatible avec celui des greffes : il faut tout recommencer et on aggrave ainsi l'encombrement des tribunaux.

Il faudra donc arriver à en débattre un jour. Peut-être devra-t-on imaginer un ticket modérateur pour éviter que des recours abusifs encombrent les juridictions...

Je ne suis pas sûr qu'un tel amendement, s'il est voté -ce que je souhaite- survive à la CMP. Mais c'est un signal au Gouvernement, pour aider à sa bonne administration de la justice.

M. Nicolas Alfonsi, rapporteur pour avis.  - Je remercie la commission des finances d'avoir été sensible aux objections des rapporteurs pour avis. Je devine l'embarras d'un rapporteur qui a toujours manifesté son intérêt pour l'aide juridictionnelle. Nous n'avons le choix qu'entre deux inconvénients. Mais le principe de réalité commande de suivre la commission des finances car il y a un vrai problème d'insincérité et il est inconcevable d'inscrire pour 2010 des crédits inférieurs à ceux de 2009.

M. Yves Détraigne, rapporteur pour avis.  - En 2006 lors de la première application de la Lolf, les vrais problèmes étaient déjà l'aide juridictionnelle et les frais de justice. Les deux secteurs ont évolué depuis. J'ai rapporté en février 2007 la loi sur l'assurance « protection judiciaire » qui permet d'éviter d'attribuer à tort l'assistance juridictionnelle lorsqu'on dispose d'une telle assurance. Mais c'est lent à mettre en oeuvre.

De plus, la multiplication de procédures accélérées, comme la reconnaissance préalable de culpabilité, empêchent souvent de vérifier l'existence de cette assurance. Avec de telles procédures, les avocats sont souvent commis d'office -notamment au Tribunal de Bobigny, un des plus gros de France- et il n'est pas facile de vérifier si le justiciable est éligible, ou non, à l'assistance juridictionnelle.

J'ai déjà dit la surprise de la commission des lois devant la baisse des crédits en 2010...

M. Jean-Pierre Sueur.  - Absolument !

M. Yves Détraigne, rapporteur pour avis.  - On pouvait déjà s'interroger sur la sincérité de leur montant. Si maintenant on les ampute de 10 millions... La solution n'est pas de guérir le mal par le mal. La commission des finances est fondée à poser un problème qui n'est pas réglé depuis quatre ans. M. du Luart, auteur d'un rapport remarqué sur le sujet, le sait bien. Le Gouvernement doit s'y atteler. Mais on ne peut déshabiller Pierre pour habiller Paul. (M. Jean-Pierre Sueur applaudit)

M. Richard Yung.  - Nous sommes tous soucieux d'avoir un budget aussi sincère que possible. Mais où est la sincérité lorsqu'on veut amputer les crédits de l'aide juridictionnelle pour abonder ceux des frais de justice, alors que ni les uns ni les autres ne sont sincères ? Sincérité d'ailleurs à géométrie variable et rapide puisque nous sommes passés en peu de temps de 30 à 10 millions d'euros...

L'aide juridictionnelle est destinée aux plus démunis ; réduire ses crédits alors qu'ils baissent déjà de 30 % est une bien mauvaise idée. J'ajoute que la réforme de l'instruction que prépare la Chancellerie, avec le rôle majeur dévolu au procureur de la République, ne manquera pas d'accroître les besoins. Quant à améliorer le taux de recouvrement... Je voterai contre l'amendement. (M. Jean-Pierre Sueur applaudit)

Mme Nathalie Goulet.  - Nous ne ferions pas oeuvre utile en amputant les crédits de l'aide juridictionnelle au profit des frais de justice, surtout au moment où, en fermant des tribunaux, on éloigne les justiciables de la justice.

Je pense aussi à la transaction signée entre l'État et M. Tapie, qui met en jeu des sommes astronomiques ; elle prévoyait le remboursement par l'homme d'affaires des frais de justice et d'expertise engagés dans les dizaines de procès où il était partie. Je crois que la commission des finances devrait s'y intéresser.

Je pense aussi à toutes ces procédures engagées à tort et à travers, des autopsies par exemple, qui occasionnent des frais de justice que règle le budget de l'État en lieu et place de justiciables malveillants.

Mme Nicole Borvo Cohen-Seat.  - Sincérité, insincérité... Cela relève de l'affichage aussi de vouloir amputer des crédits déjà en baisse. La question mérite d'être posée au regard des moyens globaux de la justice et de la répartition des crédits. Je voterai contre l'amendement.

L'amendement n°II-17 rectifié bis n'est pas adopté.

Les crédits de la mission sont adoptés.

La séance est suspendue à midi vingt-cinq.

présidence de M. Bernard Frimat,vice-président

La séance reprend à 14 h 30.