Allocution de fin d'année du Président du Sénat

M. le président.  - Après le temps de la révision constitutionnelle, après celui de la réforme de notre Règlement, après celui des premières mises en oeuvre, nous sommes entrés, depuis quelques mois, dans une époque nouvelle pour le Parlement.

Commençons par le positif. La place du Sénat s'est renforcée dans le nouveau contexte institutionnel. Notre impact sur le texte relatif à l'hôpital a retenu l'attention. Il en a été de même pour la reforme pénitentiaire, la proposition de loi sénatoriale concernant la fracture numérique ainsi que les projets de loi sur La Poste, le financement de la sécurité sociale ou le projet de loi de finances. La réécriture du dispositif relatif à la taxe professionnelle a été un exemple de ce que peut apporter le travail législatif. Ces travaux ont mis en lumière une « expertise sénatoriale », votre expertise d'élus au contact des réalités locales.

Quelques chiffres, qui donnent matière à réfléchir autant à ceux qui ont soutenu la réforme constitutionnelle de juillet 2008 qu'à ceux qui la pensaient inutile : en 2009, nous avons siégé 41 semaines, 151 jours, 1 200 heures, soit 46,7 % de plus qu'en 2008. Nous avons siégé la nuit, près de 30 % plus souvent que l'année dernière. Nous avons examiné en séance publique quelque 9 800 amendements. Preuve que la séance publique a fait plus que conserver son rôle. L'opposition y a occupé une place importante -les statistiques le montrent.

Conséquence de la réforme constitutionnelle aussi : dans le même temps, l'intensité de notre travail en commission s'est accrue. Nos commissions ont examiné quelque 4 400 amendements tandis que les travaux de contrôle, d'évaluation et d'initiative sénatoriale de nos commissions ont été poursuivis et augmentés.

Cela a été le cas dans le cadre de nos missions d'information communes, sur l'organisation et l'évolution des collectivités territoriales, sur la politique en faveur des jeunes ou sur la situation des départements d'outre-mer.

Cela a aussi été le cas du travail de nos six commissions permanentes. Renforcées par notre refus collectif de céder à la tentation d'en disperser les moyens en en augmentant le nombre, elles ont consacré un temps accru à la finalisation des propositions de loi et de résolution. Ce travail a nourri les semaines d'initiative sénatoriale, dont le Sénat a décidé de jouer le jeu. Nos commissions ont, par ailleurs, continué d'affirmer leur expertise dans le domaine de l'évaluation et du contrôle, qui sont devenus leur seconde nature. Les travaux de contrôle ont nourri des débats d'initiative sénatoriale de qualité : sur les collectivités territoriales, les suites de résolutions européennes, l'avenir de la presse, la numérisation du livre, la crise financière, la situation en Afghanistan.

C'est le résultat d'un travail intense amplifié par l'impact de deux sessions extraordinaires en juillet et en septembre. Travail intense ? Excessif, penseront beaucoup. Nos réunions de commissions se sont allongées dans le temps, étalées dans la semaine et se poursuivent désormais parfois tard le soir. Nos délégations et groupes de travail n'ont en rien diminué leur activité. Nous avons siégé, sans discontinuer, à l'exception d'un jour, du 2 au 27 novembre, y compris les samedis et dimanches.

M. Charles Revet.  - Eh oui !

M. le président.  - Nos groupes politiques -conséquence directe de la réforme constitutionnelle et de celle de notre Règlement- ont conforté leur rôle et se sont organisés pour faire face à un tel flot de travail.

Conséquence de ces excès : la fatigue, une certaine insatisfaction et, parfois, une certaine irritabilité de la représentation nationale, tous groupes confondus.

La cause : en diminuant le temps législatif du Gouvernement et en augmentant d'autant les temps de contrôle, d'initiative -et d'opposition- du Parlement, la réforme constitutionnelle de juillet 2008 comporte des exigences nouvelles.

Il faudra que le Gouvernement se persuade que la « procédure accélérée » est inappropriée à cette situation nouvelle. (Marques d'approbation à gauche) Cette procédure porte atteinte à la qualité de la loi et à la sérénité du pouvoir législatif et, au fond, elle est en contradiction avec l'esprit de la réforme constitutionnelle. Le Premier ministre a eu la clairvoyance d'y renoncer pour la réforme des collectivités territoriales. C'était indispensable.

Il faudra une meilleure lisibilité et une meilleure prévisibilité du programme législatif du Gouvernement ; un plus grand réalisme dans l'évaluation du temps prévu pour l'examen des textes législatifs ; une plus grande compacité des projets de loi. Il faudra revenir à des temps de travail plus réalistes pour les parlementaires, dont le mandat s'exerce aussi -c'est légitime- dans nos territoires. Il y va de la qualité et de la clarté de la loi. Il y va aussi de la sérénité des débats, expression première de notre démocratie.

Nous nous sommes efforcés de faire face à cette situation par la réforme de notre Règlement, que nous réexaminerons au premier trimestre et que nous avons voulue aussi consensuelle que possible et attentive aux droits de tous les groupes. Nous n'avons pas retenu l'option du temps global, préférant collectivement miser sur la confiance mutuelle et une certaine conception du droit d'amendement et du droit individuel d'expression en séance publique.

M. Jean-Pierre Sueur.  - Très bien !

M. le président.  - La question de la dynamisation et de la compacité de nos séances reste posée. Il faudra continuer à y réfléchir.

M. Dominique Braye.  - Absolument !

M. le président.  - Il faudra s'efforcer de rendre à nos séances un plus grand intérêt et une plus grande lisibilité. Le rôle d'un Parlement ne se mesure pas au nombre, à la longueur des interventions -parfois identiques- en séance publique, non plus qu'à l'augmentation du nombre des séances de nuit, peu compréhensibles pour l'opinion, usantes pour ceux qui y participent. Nous avons tracé des voies. Il nous faudra en discuter, de manière ouverte. Les solutions que nous avons explorées pour dynamiser nos séances, telles que les questions cribles thématiques ou les séances de questions-réponses, sont à élargir.

Nous avons voulu ensemble une gouvernance politique plus collégiale. C'est au nom de ce principe que chacun des huit vice-présidents et moi-même assurons, selon un ordre établi à l'avance, sans considération d'opportunité politique supposée, dans le respect et la confiance mutuelle, la présidence de nos séances publiques.

M. Jean-Pierre Michel.  - Bravo.

M. le président.  - Nous avons besoin là des secrétaires. Les pouvoirs de présidence de la séance appartiennent au seul président de séance, sans que ce dernier ne dépende d'une tutelle. C'est l'une des bases de notre « vouloir vivre ensemble » sénatorial.

Mme Catherine Tasca.  - Absolument.

M. le président.  - C'est au nom du principe de collégialité que nous avons renforcé le rôle de la Conférence des Présidents et du Bureau du Sénat, devenus nos instances politiques communes de décision.

Je salue l'action décisive d'une autre de nos instances collectives, le Conseil de Questure, dont le rôle a été déterminant dans la mise en oeuvre et l'exécution des objectifs décidés ensemble depuis novembre 2008 : le recentrage de nos activités sur les missions que nous attribue la Constitution ; la transparence, l'optimisation et le contrôle interne, avec la Commission de vérification des comptes, de notre budget, stabilisé au niveau de 2008 pour les trois exercices suivants ; l'optimisation de nos moyens humains, immobiliers et matériels. Tout cela, il fallait le faire car nous en sommes responsables devant nos concitoyens...

C'est dans cet esprit collectif que nous avons voulu intensifier notre politique de communication. Nous placerons cette ambition au service, et sous le contrôle, du pluralisme de notre assemblée. Nous allons la soumettre au principe de l'équité de traitement entre les travaux de chacun d'entre nous et de chacune de nos instances collectives de travail, au premier rang duquel nos commissions et, bien sûr, nos groupes politiques.

Je voudrais souligner la mise en place de deux structures nouvelles, car elles me semblent porteuses pour l'avenir de nos travaux et parce qu'elles soulignent deux expertises particulières du Sénat : la Délégation à la prospective et la Délégation aux collectivités territoriales et à la décentralisation.

Deux initiatives ont été prises ensemble au Bureau. L'une, en concertation avec l'Assemblée nationale, au mois d'octobre dernier, encadre l'action des groupes d'intérêt. Cette volonté de transparence était nécessaire. C'est une première étape. Nous avons aussi décidé la création d'un comité de déontologie parlementaire : ce n'est pas seulement un symbole mais le fruit des observations convergentes de MM. Badinter et de Rohan. Ce besoin d'éthique est un signal et une ambition.

Avant de nous séparer pour un repos plus mérité que jamais, à la veille d'une année nouvelle que je souhaite très heureuse pour chacun de vous, je voudrais saluer tous ceux qui ont travaillé à nos côtés durant cette année marquée par des changements profonds. Les fonctionnaires du Sénat et les collaborateurs des groupes et des sénateurs ont été très sollicités. L'adaptation à un contexte institutionnel nouveau a modifié leurs conditions de travail comme les nôtres, dans des proportions qui, pour certains d'entre eux, ont parfois été aux limites de ce qui est physiquement et psychologiquement supportable. J'en suis conscient, comme chacun d'entre nous, et je leur exprime notre gratitude.

Je remercie également Public Sénat, ainsi que les professionnels de la presse écrite et audiovisuelle qui ont suivi avec plus de constance nos travaux tout au long de cette année de changements. Ils ont rendu compte de ce que dans nos diversités et avec nos convictions, nous avons essayé de faire pour que le Sénat joue pleinement son rôle. En 2010, où des rendez-vous extrêmement importants nous attendent dès le mois de janvier, nous voulons imprimer, avec nos convictions et dans le respect de notre institution, la marque du Sénat sur notre démocratie. Notre pays en a besoin, il se cherche des repères. Représentant les territoires, nous incarnons à la fois la stabilité et le dynamisme. Je vous souhaite de bonnes fêtes et une excellente année 2010 ! (Applaudissements au centre, à droite et sur quelques bancs socialistes)

La séance, suspendue à 14 h 50, reprend à 14 h 55.