Débat sur le désarmement, la non-prolifération nucléaire et la sécurité de la France

M. le président.  - L'ordre du jour appelle le débat sur le désarmement, la non-prolifération nucléaire et la sécurité de la France

M. Jean-Pierre Chevènement, au nom de la commission des affaires étrangères.  - Un an avant la Conférence d'examen du Traité sur la non-prolifération des armes nucléaires (TNP), qui se tiendra du 3 au 28 mai à New York, la commission des affaires étrangères du Sénat m'a demandé de dresser un état des lieux et de faire des propositions qui pourraient inspirer l'action de la France à cette occasion.

Tel est l'objet du rapport que j'ai l'honneur de vous présenter, dont les conclusions ont été approuvées par la commission.

La conférence d'examen du TNP réunit tous les cinq ans la totalité des États, sauf l'Inde, le Pakistan et Israël, qui n'ont pas signé le TNP, et la Corée du Nord, qui s'en est retirée en 2003. La Conférence se prononce par consensus. Celle de 2005 a été un échec, à la différence des précédentes, notamment celle de 1995 qui avait prorogé pour une durée indéfinie le TNP, initialement conclu pour 25 ans.

Le montant global des arsenaux nucléaires a décru des deux tiers depuis le pic de 60 000 têtes qu'ils avaient atteint pendant la guerre froide. La Russie et les États-Unis détiennent encore 96 % du nombre total des têtes, avec respectivement 13 000 et 9 400 têtes. Les autres puissances nucléaires ne disposent que d'environ 1 100 têtes nucléaires : approximativement 400 pour la Chine, moins de 300 pour la France, moins de 200 pour la Grande-Bretagne ; entre 100 et 200 pour Israël et une petite centaine pour l'Inde et le Pakistan, moins d'une dizaine pour la Corée du Nord.

Parmi les pays du P5, seule la Chine développe encore son arsenal, imitée par l'Inde et le Pakistan. L'Asie est clairement zone des tempêtes, si l'on ajoute les deux crises de prolifération qui concernent la Corée du Nord et l'Iran. Les quatre autres membres du P5, qui sont aussi ceux du Conseil de sécurité, ont décrété un moratoire sur les essais et sur la production de matières fissiles à usage militaire.

On insiste souvent sur la fragilité du TNP : la nucléarisation des trois pays non signataires ; le régime spécial consenti à l'Inde en matière de coopération nucléaire civile, sans que les contreparties soient suffisantes ; la politique du fait accompli pratiquée par la Corée du Nord ; les obstacles auxquels se heurtent les contrôles de l'AIEA ; la non-ratification soit du Traité d'interdiction complète des essais (Tice), soit du protocole additionnel de l'AIEA dit 93+2 ; le retard mis à l'ouverture d'une négociation sur l'interdiction de la production de matière fissiles à usage militaire ; l'essor de l'énergie nucléaire à l'échelle mondiale combiné au caractère dual des technologies intéressant le cycle du combustible ; le peu d'efficacité des sanctions édictées par le CSNU.

Pour réelles qu'elles soient, ces difficultés ne devraient pas dissimuler le succès global du TNP, que ses initiateurs étaient loin d'espérer. Le président Kennedy estimait à 25 ou 30 le nombre de pays qui auraient accédé à l'arme nucléaire en 2000 ; ils ne sont que huit, neuf avec la Corée du Nord, contre cinq en 1970, date d'entrée en vigueur du TNP. Celui-ci est devenu un traité quasi universel, rejoint, en 1992, par la Chine et la France. Prorogé en 1995 pour une durée indéfinie, le TNP a été complété en 1996 par le Tice qui, dans les faits, est appliqué sous forme de moratoire sauf par la Corée du Nord. Son application a été grandement améliorée par l'adoption en 1997, du protocole additionnel dit 93+2, qui permet des vérifications renforcées, sous faible préavis. S'il n'a pas empêché, il a ralenti la prolifération nucléaire. L'Afrique du Sud a abandonné ses armes nucléaires. Le Brésil et l'Argentine ont renoncé à en acquérir. Les programmes clandestins de l'Irak et de la Libye ont été interrompus. Les quatorze républiques ex-soviétiques ont accepté de se dessaisir au profit de la Russie des armes nucléaires stationnées sur leur territoire. Cinq zones exemptes d'armes nucléaires ont été créées.

Ce bilan incontestablement positif justifie que soit renforcé cet instrument irremplaçable de la sécurité internationale. Pour tout État, même non doté, il vaut mieux que ses voisins restent dépourvus d'armes nucléaires. C'est pourquoi la commission suggère que la France adopte une approche résolument offensive et cherche à faire avancer le TNP sur trois pieds : le désarmement, la promotion des usages pacifiques de l'énergie nucléaires et la lutte contre la prolifération.

A Prague, le 5 avril 2009, le président Obama a marqué les esprits en évoquant un monde sans armes nucléaires. Mais le souci de la sécurité des États-Unis et de leur leadership reste essentiel. On relève une grande convergence entre ses propositions et celles faites par le président Sarkozy au nom de l'Union européenne le 5 décembre 2008 : priorité à la réduction des arsenaux américain et russe ; ratification du Tice par les pays qui ne l'ont pas encore fait ; établissement d'un nouveau traité interdisant la production de matières fissiles à usage militaire ; renforcement des contrôles et des sanctions pour les intervenants ; développement de la coopération nucléaire civile et création d'une banque de combustible ; sécurité nucléaire face au terrorisme.

Il y a certes quelques nuances. Les Américains mettent l'accent sur la défense antimissile balistique, et les Européens sur la prise en compte des armes nucléaires tactiques et la lutte contre la prolifération balistique. La commission Evans-Kawaguchi, qui a présenté, de la manière la plus argumentée, les thèses abolitionnistes, va dans le même sens, certes plus loin, et fixe, à l'horizon 2025, un objectif de minimisation des arsenaux nucléaires à 500 têtes chacun pour la Russie et les États-Unis et à 1 000 pour l'ensemble des autres, invités à ne pas augmenter les arsenaux actuels.

La faisabilité politique et technique d'un tel objectif est discutable compte tenu des insuffisantes capacités industrielles de démantèlement des États-Unis et sans doute de la Russie. Mc George Bundy avait observé que depuis le début de l'ère nucléaire, chaque décennie a été moins dangereuse que la précédente. Il n'en reste pas moins qu'il faudrait plusieurs décennies pour sortir du nucléaire, simplement -j'y insiste- pour des raisons techniques, indépendamment des questions politiques.

Les voies pratiques de l'établissement d'une basse pression nucléaire à l'échelle mondiale sont néanmoins clairement tracées.

En premier lieu, priorité aux accords américano-russes, d'abord l'accord post-Start, encore en négociation, suivi de nouvelles réductions portant sur les armes en réserve et sur les armes nucléaires tactiques. Le traité post-Start bute sur la question de la défense antimissile. Les réductions annoncées sont très modestes : diminution de l'ordre de 25 % du nombre de têtes nucléaires déployées par rapport à celles du traité Sort, et cela sur une durée de sept ans, à compter de l'entrée en vigueur du traité post-Start. Cela représenterait 1 675 têtes au lieu de 2 200. Il n'y a pas de commune mesure entre les arsenaux des deux superpuissances et ceux des autres, lesquels n'ont donc pas à entrer dans une discussion multilatérale avant que les deux Grands aient ramené le nombre de leurs armes à quelques centaines. Ce que nous pouvons demander, c'est la transparence sur le volume, la nature et la destination des armes détenues.

Il est ensuite nécessaire de plafonner en quantité et en qualité les arsenaux existants. Une mâchoire de la tenaille serait le Tice qui, conclu en 1996, n'est pas encore entré en vigueur du fait que sa ratification par le Sénat américain, à la majorité des deux tiers, ne pourra pas intervenir avant 2011. On peut espérer que cette ratification entraînera celles de la Chine, de l'Inde et du Pakistan. L'interdiction des essais mettrait un coup d'arrêt à la modernisation des armes.

Seconde mâchoire de la tenaille : un traité prohibant la production de matières fissiles à usage militaire, afin de mettre un terme à l'accroissement quantitatif des arsenaux. En mai 2009, la Conférence du désarmement avait décidé à l'unanimité l'ouverture de la négociation. Depuis lors, le Pakistan a formulé des objections que la communauté internationale doit parvenir à lever.

Face à cet effort fécond pour aller vers un monde plus sûr, l'idée d'une convention d'élimination des armes nucléaires comportant des échéanciers et des dates butoirs n'est pas réaliste : elle méconnaît l'asymétrie des arsenaux existants et elle ne règle pas le problème de la prolifération. Mieux vaut une approche équilibrée, graduelle, méthodique telle que celle sur laquelle les États-Unis, l'Europe et la Russie convergent déjà. Cette méthode est aussi bien la seule propre à canaliser la nucléarisation des grands pays de l'Asie et à établir une certaine stabilité sur ce continent fracturé. Enfin, elle permettrait de créer les conditions d'un monde sans armes nucléaires, d'une manière qui « promeuve la stabilité internationale, sur la base d'une sécurité non diminuée pour tous » comme dit la résolution 1857 adoptée par le Conseil de sécurité le 24 septembre 2009.

Point de désarmement sans universalisation et vérifiabilité des conventions d'interdiction des armes biologiques et chimiques auxquelles l'Égypte, la Syrie et Israël refusent de souscrire. Il convient aussi de prévenir de nouveaux déséquilibres conventionnels. A l'arrière-plan des campagnes abolitionnistes, il y a aussi la volonté des États-Unis de renouveler leur doctrine de défense avec une nouvelle triade : capacité de frappe conventionnelle précise à longue distance ; construction d'une défense antimissile ; rajeunissement de l'infrastructure nucléaire. La réduction voire l'élimination des armes nucléaires ne doit pas ouvrir la voie à la possibilité de nouvelles grandes guerres conventionnelles. Tel est l'esprit de l'article 6.

La promotion des usages pacifiques de l'énergie nucléaire constitue le deuxième pilier du TNP. Des avancées décisives doivent se produire, à l'occasion de la Conférence d'examen. Le malaise provient moins de l'inégalité de départ entre États dotés ou non, que de l'opposition entre les quelques pays développés qui maîtrisent les technologies nucléaires de l'enrichissement et du retraitement, et les pays en voie de développement qui, du fait du resserrement des contrôles opéré par les premiers, ne peuvent y avoir accès.

La lecture faite de l'article 4 du traité de non-prolifération fait prévaloir le souci de la non-prolifération, inscrit dans les articles 1 et 2, sur le « droit inaliénable » des parties à développer les utilisations pacifiques de l'atome. La réussite de la Conférence d'examen implique que soient concrétisées certaines propositions : mise en place d'assurances d'approvisionnement en combustible ; constitution de réserves d'uranium enrichi ; création d'installations internationales d'enrichissement sur une base régionale, sous le contrôle de l'AIEA ; enfin, en matière d'exportation des technologies sensibles, levée du moratoire institué par le G8 depuis 2004 pour lui substituer un système d'autorisation sur critères : existence d'un programme électronucléaire crédible ; garanties, en matière de sûreté, de sécurité et de non-prolifération, notamment par l'adhésion du pays concerné au protocole additionnel de l'AIEA.

Un lien serait ainsi établi entre l'autorisation des transferts de technologie et l'adhésion au régime international de non-prolifération. Ce serait là une avancée majeure de la Conférence d'examen.

La préservation de ce troisième pilier du traité qu'est la non-prolifération suppose la consolidation d'instruments juridiques tels que le protocole additionnel de l'AIEA, mais aussi le renforcement des moyens de l'Agence : on ne peut pas à la fois déclarer vouloir lutter contre la prolifération et refuser à l'AIEA les moyens de ses missions. L'encadrement du droit de retrait doit s'effectuer par l'adoption de résolutions génériques destinées à éviter le détournement de technologies acquises sous couvert du traité. Le rapprochement des trois États non signataires du régime international de non-prolifération est souhaitable, dans le prolongement des engagements pris par l'Inde. Il est enfin nécessaire de mettre pleinement en oeuvre la résolution 1540 du Conseil de sécurité des Nations unies en vue de lutter contre les trafics illicites et les réseaux non étatiques.

Au-delà, il est essentiel d'agir sur les déterminants régionaux de la prolifération nucléaire, qui s'enracine beaucoup moins dans la lenteur du désarmement des pays dotés que dans les crises politiques régionales.

La normalisation des relations indo-pakistanaises est un objectif majeur pour la stabilité de cette région du monde, au Cachemire, en Afghanistan, entre l'Inde et la Chine. Elle conditionne le plafonnement puis la décrue des arsenaux nucléaires de ces pays.

L'instauration d'une zone exempte d'armes nucléaires au Moyen-Orient n'est pas envisageable sans la création d'un État palestinien viable et sans la reconnaissance d'Israël par les pays arabes et par l'Iran. Le degré d'engagement des États-Unis sera déterminant. On ne peut pas prôner un monde sans armes nucléaires et accepter la poursuite de la colonisation en Cisjordanie (M. Yvon Collin approuve) Le désarmement nucléaire n'est pas un devoir abstrait. Il implique des engagements politiques concrets.

De même la normalisation des relations avec l'Iran et la levée des sanctions impliquent que ce pays donne des gages réels de sa volonté de ne pas se doter d'armes nucléaires, afin d'éviter une cascade de prolifération dans la région. L'Iran doit ratifier le protocole additionnel de l'AIEA et le Tice, et entrer dans la négociation d'un traité d'interdiction de la prolifération des matières fissiles. A défaut de la suspension des activités d'enrichissement de l'usine de Natanz, votre rapporteur propose de placer cette usine sous le contrôle effectif de l'AIEA, le stock d'uranium faiblement enrichi étant écoulé sur le marché international, en attendant que l'Iran se dote d'un programme électronucléaire crédible, ce qui laisserait le temps de résoudre, sur une base régionale, le problème de l'accès au combustible.

Enfin, la question nord-coréenne, potentiellement très déstabilisatrice pour toute la région et d'abord pour le Japon, pays du seuil, ne peut être traitée qu'à travers l'engagement de la Chine, qui détient l'essentiel des moyens de pression. Elle s'inscrit au premier plan des relations sino-américaines, principal enjeu géostratégique des décennies à venir.

La lutte contre la prolifération nucléaire implique donc une volonté politique qui dépasse les a priori idéologiques ou les aspects techniques pour s'attacher à la résolution de crises depuis trop longtemps pendantes. Le désarmement est un sujet qui doit être traité sans angélisme. L'homme n'est ni ange ni bête, mais qui veut faire l'ange fait la bête, disait Pascal. Il y faut du réalisme et du courage.

Ces graves questions ont une incidence directe sur la sécurité de la France et sur le maintien d'un équilibre pacifique en Europe.

La France n'a aucune raison d'aborder avec frilosité l'échéance de la Conférence d'examen. En matière de désarmement, son bilan, parmi tous les États dotés, est sans équivalent : abandon de la composante terrestre et démantèlement de ses sites d'expérimentation et de production de matières fissiles, notamment. La France doit privilégier une approche pragmatique et constructive, en mettant l'accent sur les conditions qui permettront de progresser vers le désarmement nucléaire, dans la perspective d'un monde plus sûr, sans sécurité diminuée pour quiconque, et d'abord pour elle-même. Le souci de sécurité de la France est légitime. Dimensionnées selon un principe de stricte suffisance, nos forces, réduites unilatéralement de moitié, n'ont pas à être prises en compte dans une négociation multilatérale. Pour cette raison même, la France doit maintenir une posture de dissuasion indépendante et se tenir en dehors du comité des plans nucléaires de l'Otan. Pour cette raison là, toute pratique, mais aussi pour une autre qu'avait énoncée le général de Gaulle : « Si la défense de la France cessait d'être dans le cadre national... il ne serait pas possible de maintenir chez nous un État ».

La dissuasion française est un élément de stabilité en Europe, même si sa vocation est d'abord nationale. Elle garantit notre autonomie de décision et nous permet de ne pas nous laisser entraîner, selon l'expression du général de Gaulle, « dans une guerre qui ne serait pas la nôtre ». L'incertitude étant au fondement de la dissuasion, je suggère que la France assortisse toute « garantie réactive de sécurité » à l'égard des États non dotés de fermes restrictions liées à l'emploi d'armes de destruction massive ou au non-respect du TNP constaté par le Conseil de sécurité. Notre stratégie est par nature défensive. Notre dissuasion est au service de la paix. A l'occasion du débat sur le nouveau concept stratégique de l'Otan, la France devrait s'efforcer de sensibiliser ses alliés européens à la nécessité de maintenir un principe de dissuasion nucléaire en Europe, tant que la Russie conserve, tout comme les États-Unis, un important arsenal nucléaire et que le Moyen-Orient n'est pas une zone dénucléarisée. Il ne serait pas prudent de « lâcher la proie pour l'ombre », au profit d'un système de défense antimissile balistique aléatoire, qui nous priverait de surcroît de toute autonomie stratégique.

De nombreuses décisions ne dépendent pas de nous mais notre détermination doit nous permettre de jouer un rôle dans l'aboutissement pacifique de la crise iranienne ; dans le maintien d'un principe de dissuasion en Europe ; dans la promotion des usages pacifiques de l'énergie nucléaire dans le monde ; enfin dans le maintien d'une posture de défense sur laquelle une majorité de Français se retrouvent parce qu'ils sentent que le monde change. La montée de l'Asie va bouleverser les équilibres mondiaux et par conséquent les équilibres de sécurité.

Dans leur majorité, les Français savent que le fait nucléaire implique, comme l'avait bien vu le général Poirier, la stratégie indirecte et que le maintien de notre posture et par conséquent de notre effort de défense, dont la dissuasion représente le dixième seulement, constituent la meilleure garantie de la paix. (Applaudissements sur tous les bancs)

M. le président.  - Je remercie M. Chevènement de son excellent rapport, qui mérite d'être largement diffusé.

M. Josselin de Rohan, président de la commission des affaires étrangères.  - Le traité de non-prolifération nucléaire est une pièce essentielle de la sécurité collective. En dépit d'interrogations périodiques sur les fragilités qui peuvent l'affecter, il recueille l'adhésion de la quasi-totalité des États et doit être préservé.

Chaque Conférence d'examen représente donc une échéance importante pour cet instrument. La précédente, en 2005, n'avait pas permis de progresser dans la consolidation du traité, et depuis lors, les facteurs d'inquiétude se sont multipliés.

La Corée du Nord, qui avait annoncé son retrait du traité en 2003, a procédé à deux essais nucléaires. L'Iran, en contravention avec les résolutions du Conseil de sécurité des Nations unies, poursuit des activités dont la finalité est pour le moins ambigüe, accentuant la crainte d'une prolifération nucléaire au Moyen-Orient. Dans les enceintes internationales, comme la Conférence du désarmement, aucune avancée tangible n'a été enregistrée.

Les attentes à l'égard de la Conférence d'examen de mai prochain n'en sont que plus fortes. L'arrivée d'une nouvelle administration américaine, qui a annoncé des objectifs ambitieux, à la fois dans le domaine du désarmement nucléaire et dans celui de la lutte contre la prolifération, a créé un nouveau climat.

Mais l'optimisme consécutif au discours de Prague du président Obama mérite d'être sérieusement tempéré, à la lumière des réalités politiques : l'âpreté des négociations américano-russes, qui ne permettront qu'une réduction modeste des arsenaux ; les réticences du Sénat américain sur la ratification du traité d'interdiction des essais nucléaires ; celles de la Chine vis-à-vis de toute mesure susceptible de plafonner ses capacités nucléaires ; le blocage du Pakistan à la Conférence du désarmement ; les divisions de la communauté internationale sur le contrôle et les sanctions en matière de prolifération.

Pour la France, les enjeux de cette conférence d'examen sont indéniables. La maîtrise des armements et la non-prolifération sont un déterminant essentiel de notre sécurité. Mais par son statut et ses responsabilités internationales, la France est également appelée à jouer un rôle de premier plan dans ce débat.

C'est pourquoi il a paru indispensable à notre commission de mener un travail de fond pour éclairer le Sénat sur les positions que notre pays sera appelé à défendre. Je remercie M. Chevènement pour son analyse extrêmement approfondie et tiens à souligner que les conclusions et recommandations de son rapport ont été adoptées à la quasi-unanimité par notre commission, majorité et opposition confondues. Je me réjouis que le Gouvernement ait accepté d'en débattre aujourd'hui devant le Sénat, en prélude aux positions qui seront arrêtées en vue de la Conférence d'examen.

Il faut, à mon sens, éviter d'entrer dans un débat idéologique sur la question de la légitimité ou non des armes nucléaires : il conduirait à une impasse, car nous savons bien qu'avant longtemps, les conditions d'une telle élimination ne pourront être réunies.

M. Chevènement a bien montré que l'on ne peut isoler l'arme nucléaire des autres éléments qui concourent aux équilibres stratégiques. Que serait un désarmement nucléaire qui s'accompagnerait d'une accentuation des risques de conflits conventionnels, d'une exposition accrue aux armes chimiques ou biologiques ou d'une course à la supériorité militaire par d'autres moyens plus sophistiqués, tels que les armes spatiales, la défense antimissile ou l'arme cybernétique ? De même, comment envisager des progrès décisifs en matière de désarmement nucléaire sans résoudre un certain nombre de problèmes politiques, tels que celui des relations Inde-Pakistan ou du conflit du Proche-Orient ?

Le désarmement nucléaire ne peut constituer un objectif en soi. Il doit s'intégrer dans un objectif plus global de maintien de la paix et de la sécurité, et être assorti d'un ensemble de mesures garantissant une stabilité internationale et régionale renforcée. C'est cette approche progressive et équilibrée que préconise à juste titre notre rapporteur et à laquelle la France se doit d'apporter son appui.

Le paysage stratégique a subi, au cours des vingt dernières années, de profondes évolutions. Pour les anciens acteurs de la guerre froide, l'arme nucléaire ne joue plus un rôle aussi central que par le passé. Les arsenaux ont suivi une courbe descendante. La production de matières fissiles pour les armes nucléaires a cessé. Tout autre est la situation en Asie et, dans une certaine mesure, au Moyen-Orient. Les arsenaux y suivent une courbe ascendante. L'adhésion aux instruments internationaux y est très incomplète et les risques de prolifération beaucoup plus élevés. Les facteurs de tensions politiques demeurent nombreux et aucune forme d'organisation de la sécurité régionale ne permet de les traiter.

Cette situation montre qu'il n'est pas pertinent d'établir une relation mécanique entre le désarmement des uns -les puissances occidentales- et la renonciation des autres à développer ou acquérir des capacités nucléaires.

La prolifération nucléaire obéit à des motivations de nature très diverses, essentiellement liées aux situations régionales, et non au rythme insuffisant du désarmement des puissances nucléaires historiques.

D'autre part, tant que les tendances à l'oeuvre en Asie et au Moyen-Orient ne s'inverseront pas, le fait nucléaire militaire demeurera une réalité incontournable pour nos États et la dissuasion restera un élément essentiel de notre sécurité. C'est pourquoi on ne peut qu'être perplexe lorsque certains de nos voisins se disent favorables à des mesures de désarmement unilatéral, telles que le retrait des armes nucléaires américaines, ou à un effacement du rôle de la dissuasion nucléaire dans le nouveau concept stratégique de l'Otan. Une fois encore, les pacifistes sont à l'ouest et les proliférateurs partout ailleurs. Pour sa sécurité, l'Europe ne peut ignorer que des armes nucléaires subsistent, voire menacent d'apparaître, dans son environnement proche. Comme le souligne Jean-Pierre Chevènement, le maintien d'un principe de dissuasion nucléaire en Europe paraît aujourd'hui une condition essentielle de sa sécurité et mérite d'être mieux compris par nos partenaires.

Ma dernière observation porte plus spécifiquement sur la position de la France. Notre rapporteur démontre la validité de notre posture nucléaire : nos forces nucléaires sont dimensionnées selon le principe de stricte suffisance, qui a conduit à des réductions unilatérales successives. Elles ne peuvent donc être prises en compte, à ce stade, dans aucun processus multilatéral de désarmement nucléaire. Ce point recueille un large assentiment au sein de notre commission. Le rôle de la dissuasion nucléaire dans notre stratégie de défense a du reste été réaffirmé dans le Livre blanc et la loi de programmation militaire. Contrairement à ce qui a parfois été affirmé après que le président Obama a évoqué, à Prague, un « monde sans armes nucléaires », notre position n'est guère différente de celle des États-Unis qui entendent conserver « un arsenal sûr et efficace pour dissuader tout adversaire » tant que les armes nucléaires existeront, selon le président américain. Mieux, ce dernier a considérablement augmenté les budgets des laboratoires susceptibles de développer de nouvelles technologies nucléaires. Pour autant, la préservation de notre capacité de dissuasion ne nous dispense en rien d'oeuvrer en faveur du désarmement nucléaire. Nous avons d'ailleurs diminué de moitié le volume de notre arsenal en vingt ans. Plus significatives encore sont nos décisions relatives aux essais nucléaires et à la production de matières fissiles pour les armes nucléaires. Dans un cas comme dans l'autre, leur caractère est irréversible, puisque nous avons démantelé nos installations. Il s'agit d'une contribution majeure et sans équivalent parmi les autres puissances nucléaires. Il ne suffit pas de le souligner, il faut surtout inciter les autres États nucléaires à faire de même, et nous nous étonnons que dans les enceintes internationales, l'exemplarité des mesures prises par la France dans ces deux domaines ne soit pas plus souvent invoquée à l'appui des efforts que les autres États demandent aux puissances nucléaires. Sur les treize mesures de désarmement prônées par la Conférence d'examen du TNP en 2000, la France en a mis dix en oeuvre.

C'est pourquoi notre rapporteur a raison de dire que notre pays n'a aucune raison d'aborder la prochaine Conférence d'examen sur la défensive. Oui, des progrès tangibles sont possibles en matière de désarmement. Nous attendons des États-Unis et de huit autres pays qu'ils ratifient le traité d'interdiction des essais nucléaires, comme nous l'avons fait avec les Britanniques il y a douze ans déjà. Nous attendons de la Russie qu'elle fasse preuve de transparence sur son arsenal d'armes tactiques et qu'elle l'englobe dans un processus de réduction ambitieux avec les États-Unis, portant sur toutes les catégories d'armes nucléaires. Nous attendons de la Chine, de l'Inde, du Pakistan, des engagements clairs sur la cessation de la production de matières fissiles et la négociation d'un traité d'interdiction. Nous attendons de tous les pays l'adhésion sans réserve aux contrôles de l'AIEA sur leurs activités nucléaires et un soutien ferme face à ceux qui ne respectent pas leurs obligations. Nous voulons un désarmement nucléaire fondé sur les actes et non sur les paroles.

Je sais, monsieur le ministre, que depuis plusieurs mois, la France s'emploie très activement, en liaison avec ses partenaires, à élaborer des propositions réalistes et précises, afin de faire de la Conférence d'examen du TNP en mai une étape utile sur la voie du désarmement et de la non-prolifération. Nous avons souhaité, avec ce rapport d'information, nous inscrire dans cette démarche. Je suis convaincu que le bilan de la France en la matière et son engagement au service de la paix et de la sécurité internationale lui permettront de jouer un rôle actif dans ce débat. Seul, un désarmement global, contrôlé et progressif peut assurer la paix. Tenir compte des réalités ne signifie pas tourner le dos à une grande cause, mais au contraire la rendre réalisable. C'est tout le sens de notre rapport. (Applaudissements à droite et au centre)

Mme Michelle Demessine.  - Je me félicite tout d'abord de ce débat : c'est en effet la première fois, depuis la création de notre force de frappe nucléaire, que les parlementaires peuvent débattre des questions fondamentales que sont la doctrine de la dissuasion nucléaire et la politique de désarmement de la France.

Bien que notre débat concerne le nucléaire et la sécurité de la France, nous devons aborder ces questions de façon plus large. En effet, l'arme nucléaire dans le monde d'aujourd'hui ne joue plus le même rôle structurant des relations internationales qu'avant la chute du mur de Berlin. A l'heure actuelle, parler de désarmement, à la fois nucléaire et conventionnel, ne peut plus se faire sans aborder également les logiques de guerre, sans prendre en compte la persistance des conflits dans le monde, en Afghanistan notamment, où la France est directement impliquée. On ne peut pas fragmenter la paix. Il faut donc garder à l'esprit le lien fondamental entre désarmement et conflits.

Le projet de désarmement nucléaire relancé par le président des États-Unis dans son discours de Prague d'avril 2009, la résolution 1887 votée à l'unanimité des membres du Conseil de sécurité et la reprise des négociations post-Start entre les Américains et les Russes, ont incontestablement permis d'aborder plus facilement ces questions. La récente conférence ministérielle tenue à Paris sur la sécurisation des exportations de technologie nucléaire civile, la conférence de Washington d'avril prochain sur la sûreté nucléaire et, surtout, la huitième conférence d'examen du TNP en mai, nous incitent à vous faire part de nos réflexions sur ce grand sujet de société. Je regrette toutefois que la Conférence des présidents n'ait pas saisi cette occasion pour inscrire à l'ordre du jour notre proposition de résolution consacrée aux initiatives que pourrait proposer notre pays lors du réexamen du TNP. Néanmoins, l'excellent rapport de notre collègue Jean-Pierre Chevènement fournit des informations et des propositions qui, bien que nous soyons en désaccord avec certaines d'entre elles, vont nourrir notre débat.

Les obstacles pour parvenir à un désarmement nucléaire global restent nombreux, même si la tendance est à l'apaisement. En 2005, la précédente conférence d'examen du TNP avait échoué car les pays dotés et non dotés de l'arme nucléaire n'avaient pas réussi à se mettre d'accord sur la façon d'empêcher leur prolifération. Prenant l'exemple du Moyen-Orient, les pays non dotés avaient estimé que les exigences en matière de transparence, de contrôle et d'engagement à réduire les arsenaux, étaient inégales entre les signataires et les non-signataires. A l'origine, le TNP avait été mis en place pour que les pays sans armes nucléaires s'engagent à ne pas en mettre au point tandis que les États-Unis, l'URSS, la Chine, la France et le Royaume-Uni procédaient au désarmement nucléaire. Or, les pays émergents et ceux qui ne sont pas dotés estiment que les grandes puissances ne tiennent pas leurs engagements en matière de désarmement. Ils s'opposent même au renforcement des instruments de vérification du nucléaire civil par l'extension du protocole additionnel de l'AIEA qui prévoit des inspections inopinées dans les pays menant des activités nucléaires. Comment en effet demander de nouveaux efforts à des pays qui, comme le Brésil ou l'Afrique du Sud, ont abandonné l'option nucléaire militaire, si les autres États ne remplissent pas leurs obligations ? La lutte contre la non-prolifération, sur laquelle insistent beaucoup les grandes puissances nucléaires, ne peut être légitime que si elle s'accompagne d'un réel effort de ces puissances pour mettre en oeuvre l'article 6 du TNP qui stipule qu'elles « poursuivent de bonne foi des négociations de désarmement nucléaire ».

Dans le TNP, et dans la résolution 1887 de l'ONU, il y a un lien indissociable entre le régime de non-prolifération et le mouvement vers le désarmement nucléaire. Or, ce lien n'est pas respecté par les grandes puissances qui opposent souvent désarmement et lutte contre la prolifération. Tel est le principal obstacle au désarmement.

Il faut également être lucide sur les propositions américaines de désarmement nucléaire. Pour annoncer la nouvelle politique nucléaire des États-Unis, la Maison Blanche a parlé d'une réduction spectaculaire de ses stocks, les chiffrant à plusieurs milliers d'ogives. Pourtant, le président des États-Unis propose aussi de conserver une force de dissuasion « solide et fiable », ce qui exclut toute éradication à court et moyen terme. En outre, les États-Unis n'ont toujours pas ratifié le traité d'interdiction complète des essais nucléaires. Tout en parlant de désarmement, l'administration américaine accroît considérablement son budget pour la modernisation de l'arme nucléaire et elle veut compenser le recul de l'atome par le développement d'une nouvelle défense antimissile et de nouvelles armes conventionnelles, constituées de missiles intercontinentaux très puissants tirés des États-Unis et qui pourraient frapper tout pays en moins d'une heure. Ce pays veut donc moins de nucléaire militaire mais plus d'armes conventionnelles.

Face à cette nouvelle doctrine, la France est donc réticente à s'engager dans la voie du désarment. En outre, le Royaume-Unis débat de façon ambiguë de la modernisation de sa force de frappe tandis que la Chine accroît son arsenal et que la Russie refuse un désarmement nucléaire total qui la désavantagerait. La France, quant à elle, estime que la réduction des arsenaux français, américains, russes et britanniques n'a jamais entraîné un ralentissement des programmes nucléaires des autres pays. En conséquence, elle ne reconnaît aucune vertu pédagogique à ce processus. En outre, elle a déjà fait de nombreux efforts en matière de désarmement nucléaire.

Tout cela est vrai et témoigne d'un réel effort de notre part. Mais les déclarations du Président de la République donnent l'impression qu'à ses yeux la lutte contre la prolifération est la seule priorité et qu'elle n'est pas compatible avec le désarmement nucléaire. Il ne faudrait pas que l'image positive, acquise auprès de nombreux pays émergents, grâce à notre attitude exemplaire tant dans la ratification des traités que dans des mesures unilatérales de désarmement, soit ternie à l'approche de la conférence d'examen du TNP. De nombreux pays nous soupçonnent de vouloir préserver à tout prix le siège de membre permanent du Conseil de sécurité que nous devons en grande partie à notre force de dissuasion.

Nous sommes à la croisée des chemins. Il est impératif d'éviter un nouvel échec comme il y a cinq ans. Cela enterrerait définitivement le régime de non-prolifération défini par le TNP. Il faut le soutenir sans ambiguïté et le renforcer car il est le seul à garantir en toute sécurité l'accès au nucléaire civil aux pays qui renoncent à l'acquisition de l'arme nucléaire. Sinon, ce serait à coup sûr une prolifération débridée, la disparition de ce cadre juridique international sans qu'il soit remplacé, le risque accru d'emploi de l'arme nucléaire, et au total, le retour d'un rapport de force nucléaire dans les relations internationales.

Notre pays peut à nouveau jouer un grand rôle en faveur du désarmement nucléaire multilatéral lors de la conférence de New York. Pour cela il doit faire des propositions ambitieuses car les pays dotés doivent donner l'exemple. Il sera crucial de convaincre les pays émergents et non dotés que le TNP, qui promettait le désarmement des uns en échange du renoncement des autres à la bombe, n'est pas un marché de dupes. Il faudra aussi parvenir à un accord d'ensemble sur le désarmement nucléaire tout en empêchant, comme le visent les États-Unis et la Russie, une compensation en armements conventionnels, chimiques et biologiques. Il sera bien difficile de progresser dans cette voie si les cinq puissances nucléaires -mais aussi, Israël, l'Inde et le Pakistan, détenteurs de la bombe- ne sont pas unanimes. Si l'on veut persuader ces trois pays d'adhérer au TNP, il faut concrètement réduire les arsenaux au plus bas niveau. Or, les États-Unis restent, avec la Russie, la principale puissance nucléaire en stocks, très loin devant nous, les Chinois et les Britanniques. Il est donc essentiel, comme le propose le rapport Chevènement, qu'Américains et Russes amplifient significativement leur effort de désarmement, afin que ceux dont les arsenaux sont beaucoup plus modestes se joignent à ce processus. Il faudrait également, comme le demande le rapport, obtenir de tous les États qui ne l'ont pas encore fait qu'ils ratifient le Traité d'interdiction des essais nucléaires et entament des négociations sur la production de matières fissiles à usage militaire.

Les autres propositions que le rapporteur suggère de présenter lors de la conférence sont conformes à la position officielle du Gouvernement. En partageant l'opinion que la France a eu une position « exemplaire » en matière de réduction de notre arsenal, et en invitant le Gouvernement à être très ferme pour préserver l'indépendance que garantit notre force de dissuasion, on exclut toute nouvelle proposition de réduction de notre arsenal nucléaire.

Pour aller au-delà des préconisations minimales positives de ce rapport, le groupe CRC-SPG propose que notre pays prenne des initiatives fortes afin que les États s'engagent à mettre fin à la modernisation de leurs armes et de leurs vecteurs. La France pourrait à nouveau montrer l'exemple en interrompant notre programme de missile stratégique M51, qui est davantage un héritage de la guerre froide qu'un instrument de défense adapté aux menaces d'aujourd'hui. Nous pourrions également proposer que, pour tous les pays, la dissuasion soit strictement limitée au « non-emploi » des armes nucléaires, comme c'était le cas de la France avant les inflexions de doctrine décidées par les présidents Chirac et Sarkozy dans leurs discours respectifs de L'Ile-Longue et de Cherbourg. Cela supposerait ainsi que soit bannie toute forme de frappe préventive. Nous souhaitons donc que lors de la prochaine conférence d'examen du TNP, notre pays participe plus activement aux efforts de désarmement en proposant d'entrer dans un processus de négociation sur notre armement nucléaire, avec un calendrier contraignant. Cela serait un nouveau signe de bonne volonté et montrerait aux pays sceptiques que nous n'en restons pas aux annonces de réduction de notre potentiel militaire faites par le Président de la République à Cherbourg en mars 2008.

M. Didier Boulaud.  - Je me réjouis que les vaguelettes du remaniement ministériel, qualifié ce matin par Alain Duhamel de « lilliputien », n'aient pas encore atteint la rive gauche de la Seine, ce qui aurait compromis ce débat si attendu. Car notre commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées est pleinement dans son rôle en abordant en séance publique le thème, important et complexe, du désarmement et de la non-prolifération nucléaire.

Le rapport de notre collègue Chevènement, excellent socle sur lequel travailler, permettra d'apporter publiquement nos propositions. J'espère que le Gouvernement aura la sagesse d'entendre la voix du Sénat.

Il serait sage en effet que, dans la perspective de la prochaine Conférence quinquennale d'examen du traité de non-prolifération nucléaire, il explique devant la représentation nationale les propositions que ses délégués défendront. Le désarmement, et en particulier le désarmement nucléaire, constituent un axe essentiel de la diplomatie française et de son rayonnement international.

D'abord, une évidence... La perspective d'un monde sans armes nucléaires est un horizon souhaitable, au point qu'en 1968 les signataires du TNP s'étaient déjà engagés « à poursuivre de bonne foi des négociations sur des mesures efficaces relatives à la cessation de la course aux armements nucléaires à une date rapprochée et au désarmement nucléaire, et sur un traité de désarmement général et complet sous un contrôle international strict et efficace ».

De l'eau a coulé sous les ponts, des murs sont tombés, nous avons changé de siècle et nous restons toujours sur le même objectif -« un désarmement général et complet sous un contrôle international strict et efficace »- et cette perspective semble toujours remise à plus tard. II nous faut sortir de déclarations qui font plaisir pour s'atteler à une action concrète, il faut faire avancer le dossier du désarmement nucléaire sur trois plans : d'abord, le TNP, ensuite, le Traité d'interdiction complète des essais nucléaires et finalement, le traité d'interdiction de la production de matières fissiles pour les armes nucléaires. Nous écouterons avec attention les explications du ministre sur l'action de la France dans ces domaines.

La proposition du rapport d'aller dans un premier temps vers « une zone de basse pression nucléaire » semble une bonne orientation. Les arsenaux nucléaires des États-Unis et de la Russie sont concernés au premier chef. Leur importance quantitative et qualitative les oblige à bouger les premiers. Mais il ne faut pas nous contenter d'une attitude attentiste, le Gouvernement doit s'en saisir et donner une vie diplomatique à cette proposition. La France doit chercher des alliés pour faire prospérer cette initiative, et ces alliés il faut les trouver d'abord en Europe. Elle ne peut se trouver isolée dans une telle négociation !

Cette négociation, déjà en cours, doit aussi être placée dans le contexte de la nouvelle architecture globale de sécurité en Europe. Certes, sans le faux pas de notre réintégration pleine et entière dans les comités militaires de l'Otan, notre pays aurait plus de marges de manoeuvre pour convaincre Européens et Russes de la nécessité de créer un vaste espace de sécurité commune. Des thèmes tels que la dissuasion nucléaire et l'éventuelle défense anti-missiles devraient pouvoir être abordés au sein de l'Union européenne d'abord, avec nos voisins ensuite, dont la Russie, afin que les Européens s'approprient leur propre géopolitique et gèrent eux-mêmes leurs relations avec leurs voisins. Or, je crains que dorénavant nous devions attendre que l'Alliance redessine ses priorités, que l'Otan définisse ses concepts, avant que nous puissions dire, d'une manière autonome, et faire partager notre conception d'un nouvel équilibre de sécurité sur le continent européen.

Par ailleurs, il faut expliquer encore et encore que la ratification par les États-Unis du traité Tice, sur l'interdiction complète des essais nucléaires, signé en 1996, est une priorité qui peut avoir valeur d'exemple pour le monde entier, et, en premier lieu pour les pays qui, aujourd'hui, résistent encore à cette ratification. La Chine, le Pakistan, l'Inde.... Voilà un bon sujet de discussion pour les prochaines rencontres entre le Président Sarkozy et Barack Obama.

La lutte contre la prolifération de l'arme nucléaire s'inscrit dans des contextes de crises régionales qu'il ne faut pas négliger. Cette prolifération épouse étroitement la carte des conflits non résolus. II est impossible de s'attaquer à ce fléau sans chercher la solution aux causes profondes des crises régionales graves.

Israël, Palestine, Iran sont les acteurs d'une tragédie où se jouent, aussi, l'avenir de notre sécurité en Europe et de la paix dans le monde. Le débat du 12 janvier, ici même, a déjà abordé le problème général de la nucléarisation du Moyen-Orient. II y a urgence à trouver une solution politique !

L'affrontement direct ou par pays interposés de l'Inde et du Pakistan, le sort de l'Afghanistan font trembler l'Asie et entraînent des courses à l'armement dans toute la région. Ce n'est pas par hasard que trois États qui n'ont jamais adhéré au TNP -Inde, Israël et Pakistan- se sont dotés de l'arme nucléaire, ce qui fragilise le régime international de non-prolifération et constitue un formidable exemple négatif susceptible de trouver ici ou là des émules. Mais sans solutions politiques, il n'y aura pas de progrès dans le désarmement nucléaire.

Nous devons continuer à proposer à nos concitoyens une information sincère sur toutes les questions nucléaires, civiles et militaires ; sans le soutien conscient et sans une bonne connaissance de nos concitoyens sur ces sujets, le système actuel peut être fragilisé, voire mis en échec par des campagnes pleines de bonnes intentions mais non exemptes d'arrière-pensées. De graves menaces pèsent sur notre propre force de dissuasion mais le danger le plus immédiat réside dans la politique budgétaire menée depuis 2002. Nos adversaires sont aux aguets...

Le président Obama a affirmé son ambition d'un monde sans armes nucléaires, mais il rencontre de fortes réticences, chez lui, pour faire progresser la ratification du traité d'interdiction complète des essais nucléaires par les États-Unis...

La France se doit d'être une force de proposition au cours de la prochaine conférence d'examen du TNP. Elle devrait oeuvrer à l'adoption d'une position européenne commune ambitieuse et équilibrée.

Où en sont, dans ce cadre, les États-membres de l'Union européenne ?

Le nouveau concept stratégique de l'Otan est en cours d'élaboration. Eu égard à la nouvelle position de la France, du fait de la seule volonté du président Sarkozy, il est probable que notre dissuasion nucléaire sera incluse dans le panier des discussions. Quelle sera la position de la France ? Soutiendra-t-elle les initiatives qui se font jour ici ou là pour une Europe sans armes nucléaires ? Est-il envisagé d'alléger, puis de faire disparaître notre dissuasion au profit de la promesse d'une protection de notre territoire par un système anti-missiles ?

Vous ne pouvez être contraint, monsieur le ministre, de suivre la feuille de route tracée par le rapport Chevènement ; mais accordez-lui l'attention qu'elle mérite. Elle pourrait s'avérer utile face aux échéances à venir. (Applaudissements sur les bancs socialistes et ceux du groupe du RDSE)

M. Jean-Michel Baylet.  - Le président Obama a affirmé vouloir engager sa politique étrangère sur le chemin de la paix et de la sécurité dans un monde sans armes nucléaires. A l'approche de la conférence d'examen du TNP, on peut se demander si toutes les conditions sont réunies pour atteindre cet objectif. Le TNP a permis d'incontestables avancées sur la voie du désarmement, qui plaident pour son approfondissement. États-Unis et Russie ont réduit notablement leurs arsenaux et mis un coup d'arrêt à la course effrénée aux armements. Le nombre de têtes nucléaires qu'ils détiennent est passé de 62 000, au moment des tensions les plus fortes, à sans doute 22 400 aujourd'hui. Mais ils possèdent encore 95 % du stock mondial d'armements nucléaires...

La France a été exemplaire, qui a réduit de 50 % ses armements nucléaires depuis la fin de la guerre froide, renoncé aux essais et privilégié la doctrine de la stricte suffisance. Elle est perçue aujourd'hui comme disposant d'une force raisonnable et se trouve en bonne position dans les débats relatifs au désarmement.

Le TNP, signé par 189 États, a acquis une certaine solidité juridique depuis 1995 et sa prorogation pour une durée indéterminée, la signature du traité d'interdiction complète des essais nucléaires en 1996 et le protocole additionnel de 1997. L'excellent rapport de Jean-Pierre Chevènement en montre bien les vertus en le qualifiant d'instrument irremplaçable pour la sécurité internationale ; il en pointe aussi les limites. Les deux grandes puissances doivent franchir de nouveaux pas. La ratification du traité d'interdiction des essais nucléaires par les États-Unis tarde, ce qui risque de peser sur les discussions de New York, tandis que l'objectif affiché de réduire les arsenaux à 1 500-1 675 têtes est loin d'être atteint.

L'irritation de Moscou devant le projet américain de défense anti-missiles en est la cause, projet qui, il est vrai, s'accorde mal avec la volonté de Barack Obama de réduire l'arsenal nucléaire des États-Unis. Ce qui soulève la question de l'article 6 du TNP. Il ne faudrait pas qu'on aboutît à une situation déséquilibrée, dans laquelle certains joueraient le jeu du désarmement tandis que d'autres se contenteraient de donner des gages toute en renforçant leur arsenal conventionnel et balistique. Le monopole de la sécurité serait alors entre les mains de ceux qui maîtrisent la technologie et peuvent en supporter le coût financier. De nombreux pays pourraient se réfugier sous un parapluie déployé par d'autres au prix de l'indépendance de leur défense. Compte tenu du caractère aléatoire et aliénant de cette protection, la France n'a pas intérêt à renoncer à sa politique de dissuasion.

Le traité Start a expiré en décembre 2009. En ne donnant pas l'exemple, les deux grandes puissances affaiblissent le TNP et privent d'arguments le Conseil de sécurité dans la gestion des crises nord-coréenne et iranienne. Le représentant égyptien s'est d'ailleurs engouffré dans la brèche, en relevant que les puissances nucléaires ne respectaient pas leurs engagements. Certains États n'ont pas tort d'estimer qu'on fait dans cette affaire deux poids et deux mesures. La communauté internationale réagit face à l'Iran, mais reste muette devant la Chine...

Eu égard à l'exemplarité de son attitude, la France ne doit pas s'engager plus avant, sauf à prendre le risque de ne plus voir garanties son indépendance et sa sécurité ; ses 300 têtes nucléaires ne sont rien en considération des arsenaux russe et américain. Elle doit en priorité plaider pour une réduction de ceux-ci, la normalisation des relations avec l'Iran et la reprise des pourparlers avec la Corée du Nord.

Un monde sans armes suppose un monde en paix. Tandis que le TNP a fait progresser le désarmement, les progrès de la non-prolifération passent par la résolution des conflits régionaux. Comme l'a relevé Raymond Aron, « l'univers diplomatique est comme une caisse de résonance : les bruits des hommes et des choses sont amplifiés et répercutés à l'infini. L'ébranlement subi en un point de la planète se communique, de proche en proche, jusqu'à l'autre bout ». Garantir un monde sans guerre implique une approche globale, mais qui ne néglige pas une écoute particulière de chacun des conflits de la planète. (Applaudissements sur les bancs du RDSE, sur les bancs socialistes et quelques bancs à droite)

présidence de Mme Catherine Tasca,vice-présidente

M. Xavier Pintat.  - Je me réjouis que nous puissions aujourd'hui débattre, à l'initiative de la commission des affaires étrangères et sur le fondement de l'excellent rapport de M. Chevènement, d'enjeux stratégiques qui sont fondamentaux pour la France. Le rapport illustre la cohérence de la démarche française. Notre pays soutient les efforts de désarmement par une approche réaliste, tout en préservant ses intérêts de sécurité et le rôle essentiel de sa dissuasion nucléaire. Il a concrètement et significativement contribué au désarmement et entend continuer à le faire, comme en témoignent les propositions qu'il fera avec ses partenaires européens en vue de la conférence d'examen du TNP.

Mais les conditions qui permettraient l'avènement d'un monde sans armements nucléaires ne sont aujourd'hui pas réunies. Pendant plusieurs décennies encore les arsenaux russes et américains resteront considérables, tandis que les puissances nucléaires asiatiques, au premier rang desquelles la Chine, ne sont pas entrées dans une logique de réduction, ni même de plafonnement de leurs capacités. L'apparition de nouveaux États nucléaires est un risque réel tant que ne sera pas garanti le respect du régime de non-prolifération. L'entrée en vigueur de traités de désarmement majeurs est encore hypothétique, qu'il s'agisse de l'interdiction des essais ou de la prohibition de la production de matières fissiles militaires -pour cette dernière, du fait des préalables posés par le Pakistan.

La position française conserve toute sa pertinence. La France a réduit d'un tiers la composante aéroportée de sa dissuasion, mais l'essentiel est que la crédibilité de celle-ci soit préservée et que les orientations du Livre blanc comme la loi de programmation soient respectées. Le rapport insiste à juste titre sur les conditions qui permettraient d'aller vers une zone de basse pression nucléaire, dont la poursuite du désarmement de la Russie et des États-Unis par le dépassement du traité Start. La question de la défense anti-missiles est au coeur des discussions entre les deux pays -nous avons eu plusieurs débats en commission sur le sujet.

Dès lors qu'ils visent seulement à se protéger d'armes balistiques de puissance régionale, les projets américains de défense antimissile auraient tout intérêt à être concertés avec la Russie, voire la Chine, pour que ces pays n'y voient pas une source d'affaiblissement de leur dissuasion. Il faut être très prudent dans la mise en place d'un tel système de défense en Europe, sans cependant opposer un refus de principe à des technologies qui vont se développer et jouer un rôle complémentaire aux forces de dissuasion, sans s'y substituer. La France, en raison de son expérience balistique, ne peut ignorer ce domaine : nous devons poursuivre la réflexion.

Il faut renforcer le régime international de non-prolifération, le dossier iranien a une valeur essentielle en la matière. Personne ne conteste à l'Iran le droit de développer des activités nucléaires civiles, mais en adhérant pleinement aux règles du TNP, en particulier au contrôle par l'AIEA. Or, l'Iran a mené trop d'activités clandestines pour que la confiance ne soit pas rompue, alors qu'elle est à la base du TNP. Nous ne pouvons donc pas laisser se poursuivre des programmes qui peuvent conduire à des applications militaires. L'unité de la communauté internationale est indispensable, pour éviter des conflits en chaîne. Je soutiens les recommandations de M. Chevènement pour mettre en place des mécanismes de prévention plus précoces et plus efficaces face à ce genre de situation.

Le protocole additionnel qui renforce le pouvoir de contrôle de l'AIEA est une bonne chose, les moyens humains doivent suivre et il faudra également mieux encadrer le droit de retrait du TNP, qui est l'une des faiblesses du traité, comme l'a montré l'exemple nord-coréen. Je souscris pleinement à la proposition de M. Chevènement, de rapprocher les trois États non signataires du TNP du régime international de non-prolifération. Le rôle des réseaux pakistanais dans le programme nucléaire de l'Iran souligne l'intérêt de s'assurer que ces États exercent des contrôles stricts sur leurs exportations de biens ou de technologies nucléaires ou à double usage.

Je crois encore que nous devons être très fermes face à certains pays dits émergents qui s'opposent à un renforcement des contrôles, comme s'il s'agissait de limiter leur accès au nucléaire civil. Il faut même affirmer le plus clairement possible que la transparence et le contrôle renforceront la coopération dans le nucléaire civil, au bénéfice de tous. Je me félicite qu'en organisant il y a quelques jours à Paris la conférence internationale sur l'accès au nucléaire civil, la France ait de nouveau démontré sa disponibilité envers les pays désireux d'accéder au nucléaire civil.

Alors que le développement du nucléaire civil n'est nullement incompatible avec la non-prolifération, ce troisième pilier du TNP n'a pas recueilli toute l'attention qu'il mérite. L'expérience a montré que l'acquisition de l'arme nucléaire n'est pas toujours passée par le développement d'un programme civil, et le nucléaire civil peut être très bien contrôlé. Comme l'a souligné le Président de la République, il n'y a aucune raison de limiter la coopération dans le nucléaire civil, dès lors que les programmes électronucléaires sont contrôlés comme le prévoient les instruments internationaux. Un engagement plus résolu dans ce sens renforcerait le consensus de la communauté internationale autour du TNP.

Les avancées sont donc possibles sur chacun des trois volets du TNP, M. Chevènement les a bien identifiées : je souhaite que la France les prennent pour objectifs lors de la prochaine conférence d'examen ! (Applaudissements à droite et au centre)

M. Jean-Louis Carrère.  - Le désarmement, pour être de la plus haute importance, n'est pas assez présent dans la vie de la cité. Aussi ce débat ne doit-il pas constituer la fin mais le début d'un processus de veille, où notre commission serait saisie en continu des questions liées au désarmement, où le Gouvernement informerait régulièrement le Sénat des positions de la France sur ce dossier.

Pourquoi est-il nécessaire de faire progresser le désarmement ?

Notre planète est de plus en plus instable, au gré des conflits de toute nature, des catastrophes, au point que les institutions de régulation mondiale paraissent inadaptées et la sécurité collective bien menacée. Voilà pourquoi nous devons relancer le désarmement conventionnel et nucléaire, et informer nos concitoyens sur ce dossier !

Le désarmement nucléaire général est inscrit à l'article 6 du TNP, il a toujours été un objectif des gouvernements de gauche, sous la présidence de François Mitterrand, comme sous la conduite de Lionel Jospin. Nous devons associer en permanence désarmement et sécurité collective, pour que l'un ne progresse pas sans l'autre ! C'est pourquoi le désarmement doit être élargi à l'ensemble des armements conventionnels et à la militarisation de l'espace. Oui, il faut lier le désarmement balistique, le désarmement nucléaire et les défenses antimissiles balistiques.

Oui, le concept de « stricte suffisance » appliqué à notre dissuasion nucléaire reste en vigueur, mais nous devons veiller à ne pas isoler notre pays au sein de l'Union européenne en matière de nucléaire.

Oui, la France doit faire entendre sa voix conformément aux objectifs du TNP : notre pays ne doit pas rester spectateur ! La Maison Blanche et Moscou négocient un nouveau traité de désarmement nucléaire pour succéder à Start, la discussion achoppe, notamment, sur le projet américain de défense antimissile en Europe de l'est. Récemment, le ministre russe des affaires étrangères a déclaré que le nouveau traité russo-américain fixera un lien juridiquement contraignant avec le projet américain de bouclier antimissile en Europe.

Monsieur le ministre, j'attire votre attention sur un accord qui réglerait le sort de la sécurité de notre continent !

Le secrétaire général de l'Otan a confirmé que l'Alliance occidentale discutera du dispositif nucléaire les 22 et 23 avril à Tallinn, en particulier sur les contrôles exercés par l'organisation dans le cadre du concept stratégique de l'Alliance. Certains alliés, l'Allemagne, la Belgique, le Luxembourg, la Norvège et les Pays-Bas, souhaitent le retrait des dernières armes atomiques américaines d'Europe. Leur intention est d'éliminer les armes nucléaires que les États-Unis stockent encore en Allemagne, en Belgique, en Italie, aux Pays-Bas et en Turquie. Mais la question a aussi une dimension politique, c'est sans doute pourquoi l'Italie et la Turquie n'ont pas cosigné la lettre.

M. Chevènement développe ces points dans son rapport, l'Otan devra, à compter de 2012, moderniser ou retirer ses armes nucléaires tactiques stationnées en Europe. Des voix se font entendre pour dénucléariser les pays de l'Otan où sont stationnées les armes nucléaires tactiques américaines. Certains vont jusqu'à demander une Europe exempte d'armes nucléaires.

Le prochain sommet de l'Otan, à Lisbonne fin 2010, approuvera le nouveau concept stratégique de l'Alliance atlantique, et abordera la question du nucléaire militaire en Europe. Monsieur le ministre, quelle sera la position de la France ?

Je n'oublie pas ces propos du Président de la République : « Plus de France dans l'Otan, c'est, en effet, plus d'Europe dans l'Alliance ». (M. Didier Boulaud ironise) II ne faudrait pas que les négociations en cours conduisent à « moins de France partout et notamment en Europe ».

Il sera impossible d'aboutir si certaines puissances donnent l'impression de vouloir conforter leur supériorité nucléaire.

Comment convaincre l'Inde, le Pakistan et Israël de signer le TNP ? C'est l'un des défis des prochains mois. Le moment est venu pour la France de faire un geste fort à l'intention du monde entier, comme le fit François Mitterrand le 3 juin 1991 lorsqu'il soumit à l'ONU un plan global de maîtrise des armements et de désarmement et annonça l'adhésion de la France au TNP, ce qui fut fait le 3 août 1992. Entre-temps, le 6 avril 1992, il suspendit pour un an les essais nucléaires français, avant d'y mettre fin en mai 1994.

M. Didier Boulaud.  - D'autres les ont repris depuis !

M. Jean-Louis Carrère.  - Oui, le moment est venu pour la France d'agir au service de l'intérêt général, de la sécurité collective et du désarmement nucléaire. N'attendons pas que d'autres nous imposent leur point de vue. (Applaudissements à gauche)

M. Didier Boulaud.  - Très bien !

M. Jacques Gautier.  - Je n'avais pas prévu d'intervenir au cours de ce débat : M. le président de la commission connaît parfaitement ce sujet, et son intervention a illustré son engagement comme celle de la commission. M. Pintat, spécialiste des domaines spatial et nucléaire à l'UMP, a exposé un état des lieux très complet et des propositions réalistes. Quant au rapport de M. Chevènement, qui aborde conjointement les questions du désarmement, de la non-prolifération et de la sécurité de la France, il fait désormais autorité, et je salue le travail et les convictions de notre collègue.

Si j'ai voulu prendre la parole, c'est parce que je n'accepte pas que, depuis que le président Obama a émis le souhait d'un monde sans armes nucléaires, des idéologues, des journalistes mal informés ou des politiciens habiles fassent la leçon aux Français. M. Obama a fixé un objectif à long terme, tout en reconnaissant qu'il n'espérait pas le voir se réaliser de son vivant. Il faut d'ailleurs prendre en compte le contexte de son discours : la préparation de l'accord bilatéral entre les États-Unis et la Russie sur les armes stratégiques -et non tactiques- et la prochaine conférence d'examen du TNP en mai. Or les États-Unis n'ont toujours pas ratifié le Tice ; on annonce qu'ils pourraient le faire en 2011, ce qui amènera peut-être le Pakistan, la Chine et l'Inde à les imiter. Je rappelle d'ailleurs qu'une douzaine d'États qui mènent des activités nucléaires significatives n'ont pas signé le protocole additionnel du TNP.

Les États-Unis et la Russie, par le biais d'accords successifs, ont réduit des deux tiers leur arsenal nucléaire, mais ils détiennent encore 96 % du stock mondial ! Le Royaume-Uni et la France ont eux aussi diminué leurs forces. Cela a-t-il empêché la prolifération ? Hélas non. L'Inde, le Pakistan et Israël se sont dotés de l'arme nucléaire et n'ont signé aucun accord de limitation, même si l'Inde a accepté de négocier avec l'AIEA la signature d'un protocole additionnel et la mise en place d'un contrôle des exportations de techniques nucléaires. La Corée du Nord détient quant à elle une dizaine de têtes et des missiles balistiques. L'Iran poursuit ses efforts pour se doter de l'arme nucléaire et de missiles, et si ce pays y parvient, il est à craindre que la Turquie et l'Arabie Saoudite ne l'imitent. Le monde n'est pas plus sûr aujourd'hui qu'en 2005, quand échoua la dernière conférence d'examen du TNP.

D'après les estimations dont on dispose, nos pays restent fort surarmés. La Russie possède 13 000 armes nucléaires, les États-Unis 9 400, la Chine 400, la France 348 -le Président de la République veut réduire ce nombre à 300-, le Royaume-Uni plus de 200, Israël entre 100 et 200, l'Inde et le Pakistan environ 60 chacun, la Corée du Nord entre cinq et dix.

La France n'a de leçons à recevoir de personne. Elle milite activement en faveur du désarmement : avec les autres pays de l'Union européenne, elle a récemment soumis au secrétaire général de l'ONU des propositions concrètes. Elle a pris des initiatives souvent unilatérales, abandonné ses missiles intercontinentaux du plateau d'Albion, limité le nombre de ses sous-marins lanceurs d'engins, diminué d'un tiers le volume de ses forces nucléaires tactiques aériennes et réduit de moitié en quinze ans le nombre de ses armes nucléaires. En outre, nous avons définitivement arrêté nos essais nucléaires et démantelé les sites d'essais, arrêté la production d'uranium et de plutonium destinés aux armements, fermé nos usines de Marcoule et de Pierrelatte, ce qui fut une première pour une puissance nucléaire. Nous travaillons à la mise au point d'un programme de simulation recourant au laser mégajoule et d'un supercalculateur, et sommes les seuls à nous conformer aux obligations prévues à l'article 6 du TNP.

Notre approche est pragmatique et constructive. Elle est fondée sur les principes de non-prolifération nucléaire, d'accès aux usages pacifiques de l'atome, de désarmement et de lutte contre la prolifération balistique. Je ne doute pas que nous fassions des propositions concrètes en mai.

La France est donc très favorable à l'engagement du président Obama en faveur du désarmement, mais elle souscrit aussi à cette phrase : « Tant que les armes nucléaires existeront, les États-Unis conserveront un arsenal sûr et efficace pour dissuader tout adversaire et garantir la défense de leurs alliés. » Notre pays s'en tient à une stricte suffisance nationale, hors de l'Otan malgré sa réintégration du commandement intégré. Il a fait des efforts unilatéraux, et il revient à présent aux deux grands de diminuer significativement leur arsenal. Que chacun juge notre pays sur ses actes et non en fonction de préjugés ou d'idéologies. (Applaudissements à droite et au centre)

Mme Dominique Voynet.  - Foin donc des préjugés et des idéologies. Nous sommes appelés à débattre aujourd'hui du désarmement et de la sécurité de la France sur la base d'un rapport d'information distribué le 17 mars, et non le 24 février comme indiqué sur le site du Sénat : le manque de transparence dans ce domaine ne date pas d'hier, mais qu'importe...

Ce débat tombe à point nommé : la loi de programmation militaire a été votée il y a quelques mois, la conférence quinquennale d'examen du TNP doit se tenir en mai et les accords Start sont arrivés à échéance en décembre. Monsieur le rapporteur, j'ai lu votre rapport et vous ai écouté avec intérêt, mais j'ai constaté que beaucoup d'eau avait coulé dans le lit de la Savoureuse depuis que nous manifestions ensemble contre l'implantation de missiles Pluton à Bourogne. Vos recommandations nous mènent dans une chausse-trappe. Vous avez l'honnêteté de rappeler que le TNP n'a pas empêché la prolifération : le désarmement est plutôt dû aux accords bilatéraux entre les États-Unis et la Russie. Le Royaume-Uni et la France ont également réduit leur arsenal, mais la Chine développe le sien. Israël, l'Inde et le Pakistan se sont dotés de l'arme nucléaire grâce à l'appui politique et technique plus ou moins discret des anciennes puissances, qui s'étaient pourtant engagées à lutter contre la prolifération. Puis ce fut le tour de la Corée du Nord, au nez et à la barbe de l'AIEA. En Iran, c'est l'opposition qui a dû avertir l'Agence de l'existence de sites d'enrichissement d'uranium à Ispahan et Natanz. Vous l'admettez, il est difficile de décider si les activités iraniennes d'enrichissement d'uranium ont une finalité exclusivement civile, et de caractériser les manquements aux obligations découlant du TNP avant d'être mis devant le fait accompli. Ce sont des combustibles similaires, obtenus par des filières identiques, qui sont utilisés à des fins civiles ou militaires : seul le degré d'enrichissement diffère.

Sauf à renoncer à voir advenir un monde sans armes nucléaires de notre vivant, nous ne pouvons plus nous contenter de discours convenus. Mais ce que vous nous proposez, monsieur le rapporteur, c'est de poursuivre la démarche qui a conduit à la montée des tensions que l'on constate aujourd'hui.

Vous êtes certes favorable à la diminution des stocks d'armes nucléaires, mais vous ajoutez que la Russie et les États-Unis doivent montrer le chemin, en suivant l'exemplarité de la France. La France, qui a été l'un des principaux vecteurs de la prolifération dans le monde ! Qui a mis un demi-siècle avant de reconnaître que ses essais nucléaires avaient fait des victimes !

Vous appelez au renforcement des mesures préventives et coercitives -tout en souhaitant promouvoir le nucléaire civil, en écho au Président de la République, prêt à « aider tout pays qui veut se doter de l'énergie nucléaire civile », alors que le nucléaire civil, c'est un fait, est souvent l'antichambre du nucléaire militaire ! Certes, le traité le permet, mais il y a un fossé entre répondre aux demandes d'États manifestant de l'intérêt pour ces technologies et « relancer la promotion » de l'énergie nucléaire ! La France coopère avec la Lybie, l'Algérie, la Tunisie, la Jordanie la Syrie, les Émirats arabes unis, qui seront bientôt capables de se doter de l'arme nucléaire !

Votre posture, selon laquelle on ne peut demander à notre pays de réduire ses capacités aussi longtemps que les États-Unis et la Russie n'auront pas ramené leurs forces à quelques centaines d'armes nucléaires, et qui vous conduit à douter de l'engagement de Barak Obama, est largement contestée, que ce soit par Alain Juppé, Michel Rocard ou Alain Richard. Tous prônent des signaux clairs pour consolider la détermination des Américains et des Russes en matière de désarmement. D'autant que la question du coût, dans un contexte de crise, impose des décisions pragmatiques : je pense aux discussions en cours entre Français et Britanniques sur la « permanence à la mer ».

Vous appelez de vos voeux de nouveaux traités interdisant à l'avenir les essais nucléaires et la production de matières fissiles. Tant que des pays pourront dissimuler le volet militaire de leur activité nucléaire, ces voeux risquent toutefois de rester pieux...

Ce rapport pose la question de l'intérêt même du désarmement nucléaire. Si la stratégie de dissuasion pouvait se justifier dans le contexte de la guerre froide, elle n'est plus adaptée aux nouvelles menaces. Pire, elle favorise la prolifération, son coût est exorbitant et nuit au développement des forces d'interposition et de maintien de la paix, ainsi qu'à l'Europe de la défense.

Vous insistez sur le lien entre désarmement et résolution des conflits, mais reportez la dénucléarisation à l'établissement d'une paix juste au Proche Orient -au moment où M. Netanyahou confirme son intention de poursuivre les constructions pour colons à Jérusalem Est !

On a l'impression que prime, dans la position française, la volonté de promouvoir le nucléaire civil, sans précautions suffisantes. Il est temps de se montrer responsables, et d'en finir avec les pratiques peu démocratiques dénoncées par M. Carrère en matière nucléaire.

L'idéologie abolitionniste est dans l'air, dites-vous, avec ce mélange de mépris et d'ironie dont vous gratifiez toute opinion différente de la vôtre. C'est pourtant celle de nombreux pays européens, à commencer par l'Allemagne : sont-ils irresponsables, inconscients ? Je ne crois pas. A idéologie, idéologie et demie : soyons pragmatiques, prenons des initiatives, comme celles suggérées par nos collègues communistes, dans un cadre européen et multilatéral. (Applaudissements sur les bancs CRC)

M. Jean-Pierre Chevènement, au nom de la commission.  - Je remercie l'ensemble des intervenants. Mme Voynet redoute que le développement de programmes civils n'entraîne celui de programmes militaires : il n'y a pas d'exemple de prolifération militaire à partir de programme civil, sinon peut-être dans le cas de l'Inde, à laquelle le Canada avait fourni un réacteur de recherche.

J'ai pour ma part essayé de donner un éclairage géopolitique. Il n'y a pas de lien univoque entre désarmement et prolifération ; cette dernière a ses ressorts propres. La Russie et les États-Unis ont réduit leurs arsenaux des deux tiers ; ce n'est pas pour autant que l'Inde, le Pakistan ou Israël n'ont pas développé leur propre arsenal ! Ce sont les motivations régionales de sécurité qui priment.

J'ai fixé dans mon rapport l'entrée de la France dans une discussion multilatérale au moment où les arsenaux russes et américains auraient été réduits à quelques centaines. Ce n'est pas très loin de ce que propose le rapport Evans-Kawaguchi, bréviaire de l'école abolitionniste dans laquelle vous vous reconnaissez ! Chacun comprend le sens de la démarche : messieurs les Américains, messieurs les Russes, désarmez les premiers ! (Sourires)

Les deux anciens Premiers ministres que vous avez cités dévaluent excessivement le TNP, qui à mon sens a indéniablement ralenti la prolifération. Malgré ses fragilités, il a ménagé beaucoup d'avancées, et peut être conforté.

L'étude raisonnée des faits conduit à des propositions pragmatiques, graduelles. Pour des raisons politiques, mais avant tout techniques, il faut du temps : l'usine de Pantex au Texas ne pourra démanteler que 4 200 armes sur 9 400 à l'horizon 2025 ; une deuxième usine est prévue, voire une troisième, mais ne fonctionnera que sept ans après le début des travaux -qui n'ont pas encore commencé !

« Depuis le début de l'ère nucléaire, il y a 65 ans, il ne s'est pas écoulé une décennie qui ne soit moins dangereuse que la précédente », a dit McGeorge Bundy. On ne sortira pas de l'ère nucléaire avant plusieurs décennies, mais on peut aller vers une zone de basse pression nucléaire. La sécurité de la France, qui est un souci légitime et partagé, peut y trouver son compte. (Applaudissements à droite, au centre, et sur de nombreux bancs à gauche)

M. Bernard Kouchner, ministre des affaires étrangères et européennes.  - Ce débat a été passionnant : je serai très bref.

L'excellent rapport de M. Chevènement éclaire remarquablement les termes de notre débat. Je l'en remercie, comme je remercie le président de Rohan : il était indispensable que la représentation nationale débatte de ce sujet essentiel.

La conférence de mai intervient à un moment décisif pour l'avenir du nucléaire, et pour la sécurité du monde. Depuis la dernière conférence, il y a cinq ans, le contexte a changé : regain d'intérêt pour le désarmement nucléaire, notamment depuis le discours du président Obama à Prague, mais aussi crises de prolifération qui menacent la sécurité internationale -je pense bien entendu à l'Iran et à la Corée du Nord.

Enfin, le nucléaire civil est en pleine renaissance. Pour combattre le changement climatique, pour contribuer au développement économique et à la sécurité énergétique, de plus en plus de pays relancent leur programme d'électricité nucléaire ; d'autres veulent s'y engager. La France a fait le choix déterminé du nucléaire civil -elle est disposée à aider tous les pays qui veulent s'engager dans cette voie : nous l'avons fait récemment dans une conférence à Paris. Membre permanent du Conseil de sécurité, elle a une responsabilité pour garantir la paix et la sécurité.

La France est signataire du TNP, elle est engagée sur la voie d'un monde plus sûr. Nous irons à New York pour promouvoir des objectifs et des moyens au service d'une cause : faire de la sécurité pour tous une réalité crédible.

Il n'y aura pas de désarmement sans coup d'arrêt à la prolifération nucléaire. II n'y aura pas de développement du nucléaire civil, sans coup d'arrêt à la prolifération. Telle est donc notre première priorité.

Comme le Président de la République l'a dit le 24 septembre devant le Conseil de sécurité : « Nous avons raison de parler de l'avenir. Mais avant l'avenir, il y a le présent, et le présent c'est deux crises nucléaires majeures ».

La France est à la pointe des efforts de la communauté internationale pour régler le problème du nucléaire iranien. L'Iran développe des capacités nucléaires sensibles sans finalité civile crédible. Il accroît la portée de ses missiles. L'AIEA déplore à longueur de rapports que l'Iran ne coopère pas suffisamment avec elle. Et Téhéran a rejeté toutes nos offres de dialogue et de coopération. Nous continuerons bien entendu à rechercher le dialogue. Mais quelles réponses ont suscité jusqu'ici toutes nos offres ? Rien de tangible. L'attitude de défi choisie par le gouvernement iranien ne nous laisse pas d'autre choix : nous devons rechercher de nouvelles sanctions, pour le convaincre ou le contraindre à négocier.

Les programmes nord-coréens ne mettent pas seulement en cause la paix et la stabilité de la région. A travers les coopérations que Pyongyang poursuit en particulier au Proche et au Moyen-Orient, elle exporte des ferments d'insécurité auxquels il faut faire barrage. Je reviens du Japon et de Corée du Sud, j'y ai mesuré l'inquiétude que suscite le dossier nucléaire et balistique nord-coréen, ainsi que les attentes envers la France.

Dans le domaine du désarmement, nous refusons la facilité des slogans, le cynisme et la démagogie. Nous voulons un désarmement réel qui se traduise par des actes. La France a fait son choix : convaincre par l'exemple. Nous avons ratifié, il y a maintenant douze ans, le traité d'interdiction des essais nucléaires. Nous avons démantelé notre site d'essais. Nous avons démantelé de façon irréversible les installations qui produisaient le plutonium et l'uranium destinés aux armes nucléaires. Nous avons éliminé la composante terrestre et réduit les composantes océanique et aéroportée conformément au principe de stricte suffisance qui a toujours guidé notre posture nucléaire.

M. Didier Boulaud.  - C'est l'oeuvre de François Mitterrand.

M. Bernard Kouchner, ministre.  - Nous demandons que tous les États fassent des efforts semblables. Nous ne demandons pas des discours, nous demandons des faits. En mars 2008, à Cherbourg, le Président de la République a fait des propositions ambitieuses et il a appelé toutes les puissances nucléaires à y souscrire. Le désarmement ne pourra progresser que lorsque la volonté sera partagée par tous. Ces propositions ont constitué le fondement du plan d'action que l'Union européenne a adopté lors de la présidence française, et que le Président de la République a présenté au secrétaire général des Nations unies.

Ce plan d'action commence par une nouvelle réduction des stocks d'armes nucléaires de la part de la Russie et des États-Unis -dont il faut répéter qu'à eux deux ils détiennent 95 % des armes nucléaires dans le monde, proportion qui devrait rester la même après le nouveau traité de désarmement qui pourrait être signé prochainement.

Il suppose ensuite l'entrée en vigueur du traité d'interdiction complète des essais nucléaires (Tice) : pour progresser vers le désarmement, il faut aussi cesser de s'armer, et donc mettre fin à la production de matières fissiles pour les armes nucléaires. Nous proposons donc un moratoire immédiat et la négociation d'un traité d'arrêt de la production de matières fissiles.

Enfin, le désarmement nucléaire doit aller de pair avec un désarmement crédible dans les domaines biologique, chimique ou conventionnel, de la défense anti-missiles ou de l'espace. Si nous n'avançons pas du même pas dans tous les domaines, nous prenons le risque d'une nouvelle course aux armements, dont le résultat serait catastrophique.

Le nucléaire civil était jusqu'ici le parent pauvre des conférences d'examen du TNP. La France en fait une priorité. Nous avons organisé une conférence internationale sur ce sujet les 8 et 9 mars derniers. Le Président de la République l'a rappelé à cette occasion : la France a fait résolument le choix du nucléaire civil pour elle-même, elle est prête à coopérer avec tous les pays qui voudront s'engager sur cette voie et qui respectent leurs engagements internationaux. Lors de la conférence d'examen du TNP, ceux qui veulent accéder à cette énergie du futur pourront faire valoir leurs intérêts, leurs attentes et leurs préoccupations ; nous ferons valoir l'exigence qui accompagne notre proposition : que le développement du nucléaire se fasse avec les meilleures garanties de sécurité, de sûreté, et de non-prolifération. Cela signifie renforcer l'AIEA ; promouvoir les normes et les pratiques les plus élevées de sûreté et de sécurité nucléaires ; prévenir une dissémination incontrôlée des technologies les plus sensibles du cycle du combustible en garantissant la fourniture du combustible nucléaire.

Le président Obama a dit : « Je rêve d'un monde où il n'y aurait plus d'armes nucléaires ». La France répond par les faits et par l'exemple : nous voulons un nouvel ordre nucléaire mondial, qui soit un gage de prospérité pour tous et qui fasse de la sécurité collective une réalité.

Nous voulons un monde où la prolifération sera fermement contenue, un monde où les matières nucléaires et radioactives seront encore mieux protégées contre les acteurs non étatiques.

M. René-Pierre Signé.  - Il ne faudra pas être pressé !

M. Bernard Kouchner, ministre.  - Ça s'accélère.

Nous voulons un monde où le nucléaire civil se développera dans les meilleures conditions de sécurité, de sûreté, et de non-prolifération, grâce à un renforcement des moyens de l'AIEA dont j'ai reçu récemment le nouveau directeur général, M. Amano.

Nous voulons un monde où les États prendront toutes leurs responsabilités, et auront l'audace de regarder les faits en face sans se résigner devant le fait accompli. Ce n'est pas parce que nous avons repris notre place à l'Otan -sauf au comité nucléaire !- que nous aurions perdu notre autonomie d'initiative.

M. Bernard Kouchner, ministre.  - Mais non ! Regardez l'exemple de l'Afghanistan.

M. Didier Boulaud.  - Parlez-en à nos militaires !

M. Bernard Kouchner, ministre.  - Je leur parle souvent.

M. Didier Boulaud.  - Ils sont associés à la décision une fois que tout est terminé.

M. Bernard Kouchner, ministre.  - C'est nous qui avons réagi positivement aux propositions du président Medvedev. C'est nous qui avons réagi lors de la plus grave crise militaire qu'ait connu récemment l'Europe, à propos de la Géorgie.

M. Didier Boulaud.  - On voit le résultat ! Où sont les Russes ?

M. Bernard Kouchner, ministre.  - Nous avons arrêté leur armée sur la route de Tbilissi. (Applaudissements à droite)

M. Didier Boulaud.  - Où sont-ils aujourd'hui ?

M. Bernard Kouchner, ministre.  - Ils sont à Genève en train de négocier avec nous.

Voilà la position que la France ira défendre dans quelques semaines à New York. (Applaudissements à droite et sur quelques bancs du RDSE)