Recours collectif

M. le président.  - L'ordre du jour appelle la discussion de la proposition de loi sur le recours collectif.

Discussion générale

Mme Nicole Bricq, auteur de la proposition de loi.  - Nous abordons un sujet bien identifié ; il s'agit d'introduire dans notre droit un mécanisme de recours collectif afin de répondre aux préjudices de masse. Les victimes sont en effet aujourd'hui dépourvues de moyens d'agir.

La médiation a une utilité certaine mais elle suppose l'accord des deux parties sur son existence même. L'action en représentation conjointe, lourde et compliquée, n'a guère été utilisée depuis sa création en 1992.

Les litiges dont il s'agit ici ne se limitent pas à la consommation puisque des actionnaires de Vivendi ont engagé une class action aux États-Unis, faute de pouvoir le faire en France. Les opposants à l'action collective invoquent les dérives des class actions à l'américaine -dérives que notre droit tient à distance. Plusieurs pays européens ont introduit l'action collective dans leur droit. La Commission européenne y réfléchit. Devons-nous pour autant attendre une directive ou un règlement ?

Au lieu de nous laisser imposer un modèle, nous voulons créer un dispositif national qui rende effectif le droit à réparation. Il ne faut pas se précipiter, diront d'aucuns. Mais le débat est lancé en France depuis plus de vingt ans ! Le premier projet date de 1983 ; le rapport de 1985 a aussitôt suscité l'ire du CNPF.

En 1992, Mme Néiertz a introduit l'action en représentation conjointe, dont le rapport Béteille-Yung explique l'échec ; aujourd'hui, nous reprenons le flambeau et entendons remédier à l'inertie des gouvernements successifs, malgré la promesse faite par M. Chirac lorsqu'il a présenté ses voeux en 2005.

Les frustrations se développent dans notre société, dont la multiplication des litiges est un reflet pertinent. Les carences actuelles de notre droit sapent la confiance en notre organisation institutionnelle.

Est-il normal de ne pas indemniser les victimes de pratiques anticoncurrentielles ? Pensons au cas des opérateurs de téléphonie mobile en 2004, ou encore à cette affaire toujours pendante devant la Cour de cassation initiée en 2007 par les victimes d'un fabriquant de jouets.

Résultat de cette carence : les plaintes au pénal se multiplient. Les fondateurs de l'Afer ont été condamnés, mais les épargnants n'ont pas été indemnisés. Un autre exemple concerne des femmes victimes de défaillances d'implants mammaires ; potentiellement, il y a 30 000 victimes en France, qui se sont regroupées pour voir comment obtenir réparation -elles sont huit fois plus dans le monde entier. Et 517 plaintes ont été déposées à Marseille. Faute de recours collectif, les victimes ne seront pas indemnisées, même si le fabriquant est condamné.

Notre proposition de loi tend à rendre possible une action collective en indemnisation. Dans son rapport, M. Béteille l'estime éloignée des conclusions du rapport d'information qu'il a élaboré avec M. Yung ; nous avons toujours dit que notre texte était amendable, pourvu que l'on avance.

L'article premier de la proposition de loi instaure le recours collectif à l'initiative d'une association agréée. Nous proposons ce moyen d'action pour canaliser le dispositif. Exiger que l'on commence par restructurer le milieu associatif, comme le fait M. Novelli, revient à repousser l'action de groupe à la française aux calendes grecques.

L'article 2 autorise la sollicitation commune des mandants.

L'article 3 traite du champ d'application du recours, jugé trop large par M. Béteille ; nous acceptons ce qu'il a préconisé avec M. Yung, soit le droit de la consommation, le droit de la concurrence, le droit financier et le droit boursier. Sur ce sujet sensible, nous avons pris la précaution de renvoyer à un décret -et à la concertation.

L'article 5 décline la procédure en deux temps, vérification par le juge de la réalité du préjudice de masse, puis évaluation du préjudice. L'esprit est le même que celui du rapport.

L'article 6 autorise le démarchage aux associations agréées.

L'article 7 précise que le mécanisme n'est ouvert qu'aux victimes qui ont expressément manifesté le souhait d'être partie à l'instance. C'est l'opt in, par opposition à l'opt out américain.

Notre texte est donc raisonnable ; nous préférons un nouveau droit, même modeste, au statu quo.

Arrivant après la remise du rapport d'information, la proposition de loi est proche de ses conclusions. Le sujet est arrivé à maturité, il est urgent et logique d'instituer ce droit, même si politique et logique ne cheminent pas toujours ensemble. Mme Lagarde semble y être opposée ; M. Novelli y est plus favorable mais n'est pas pressé... L'initiative parlementaire peut être propice à l'avancée du droit.

L'hostilité du Medef devrait disparaître avec le rapport de la Commission européenne qui juge, après étude dans treize pays de l'Union européenne, que l'action de groupe est sans effet sur la compétitivité des entreprises. Dommage que la majorité ne veuille pas accepter ce texte aujourd'hui, mais nous pourrons peut-être examiner un jour une de ses propositions, dont nous pourrions débattre avec la nôtre. (Applaudissement à gauche et au centre)

M. Laurent Béteille, rapporteur de la commission des lois.  - Je salue la constance de Mme Bricq : elle avait déjà déposé un texte semblable début 2006.

Qui n'a été confronté à un petit litige avec un professionnel ? Faut-il engager à cette occasion une action coûteuse devant les tribunaux ? L'action de groupe est adaptée à pareille situation, ne serait-ce que pour inciter les professionnels à de bonnes pratiques commerciales. Dans une économie de marché, le ressort du développement réside dans la confiance accordée à l'initiative personnelle, à la liberté exploratrice, liberté qui a comme contrepartie la responsabilité, a écrit Alain Peyrefitte dans La société de confiance. L'action de groupe peut rétablir la confiance dans l'économie et l'entreprise en redonnant sa place à la responsabilité.

Il y a désormais convergence sur la question, dont a traité le rapport que j'ai rédigé avec M. Yung. Tout concourt à avancer, d'autant que les travaux et les études ont été nombreux ; la commission des lois avait organisé une journée d'auditions début 2006.

Une action de groupe à la française doit être respectueuse des principes procéduraux de notre droit civil et des règles déontologiques de la profession d'avocat. Elle doit éviter toute dérive à l'américaine, principal frein à l'introduction en France de cette procédure. Les dispositifs existants n'ont guère d'efficacité. Les professionnels sont prêts à une évolution, que le Gouvernement ne repousse pas. Il pose simplement certaines conditions, comme le refus de l'opt out.

Les représentants des entreprises craignent une perte de compétitivité ; leurs préventions devraient être apaisées si nous évitons les dérives à l'américaine.

Même les contextes européen et international nous incitent à agir. La France aurait plus de poids dans les négociations européennes à venir si elle se dotait de son propre dispositif. En outre, le risque est réel de subir une délocalisation des contentieux, illustrée par l'affaire Vivendi, qui a été plaidée aux États-Unis notamment par des actionnaires français, faute de procédure d'action de groupe en France.

Avec M. Yung, nous avons proposé de limiter l'action de groupe à certains domaines : consommation, concurrence, droit financier, droit boursier. Seule pourrait être demandée la réparation d'un préjudice matériel subi par une personne physique, mais sans plafonner le montant des indemnités. S'il est évident que la mutualisation des frais de justice profiterait aux demandeurs, elle serait aussi dans l'intérêt des entreprises, qui n'auraient qu'un seul procès à affronter par affaire.

Les associations de consommateurs devraient avoir le monopole de l'action, après attribution d'un agrément renforcé.

La procédure pourrait être organisée en deux phases : vérification par le juge de la recevabilité de l'action -ce jugement étant susceptible des voies normales de recours ; puis indemnisation, soit par la voie d'une médiation homologuée par le juge, soit par détermination par ce dernier d'une indemnité individuelle ou un schéma collectif d'indemnisation.

Nous suggérons aussi de nous appuyer sur les dispositifs existants, notamment pour limiter les coûts.

Le groupe de travail a exclu toute dérogation à la déontologie des avocats, qu'il s'agisse de la rémunération ou du démarchage.

Dans le domaine de la concurrence et dans celui des marchés financiers, le juge tiendrait compte des prérogatives et des décisions des autorités de régulation existantes.

Il eût été préférable que l'amende infligée aux opérateurs téléphoniques fut moins sévère, la différence servant à indemniser les consommateurs, ce qui, en la matière, aurait même pu se faire en nature...

Mme Nicole Bricq, auteur de la proposition de loi  - C'est vrai.

M. Laurent Béteille, rapporteur.  - La proposition de loi de Mme Bricq a été rédigée avant les conclusions du groupe de travail. Elle ne pouvait donc les reprendre.

Mme Nicole Bricq, auteur de la proposition de loi.  - Certes.

M. Laurent Béteille, rapporteur.  - Pire : elle est incompatible avec elles.

Mme Nicole Bricq, auteur de la proposition de loi  - Elle n'est pas incompatible, il vous suffit de l'amender.

M. Laurent Béteille, rapporteur.  - Le champ du recours collectif proposé par notre collègue est bien trop large ; la logique du mandat est précisément la cause de l'échec de la représentation collective ; la collecte des mandats suffit à faire une publicité négative à l'entreprise, alors que sa responsabilité n'est pas à ce stade avérée, cependant que le démarchage est contraire à la déontologie des avocats.

Enfin, l'indemnisation n'est pas très cohérente, puisque les dommages et intérêts seraient fixés par le juge alors que le groupe n'est pas encore constitué. Quant aux honoraires au résultat des avocats, ils nous rapprochent des pratiques américaines.

Malgré l'accord de principe à l'action de groupe, la commission n'a pu donner d'avis favorable à cette proposition. Il faut approfondir le dialogue engagé par la mission. Je souhaite présenter un texte, en accord avec M. Yung s'il le veut bien, pour une initiative législative pertinente sur ce sujet.

Dans ces conditions, je vous invite à repousser le dispositif, en attendant l'examen du texte annoncé ! (Applaudissements à droite)

Mme Nicole Bricq, auteur de la proposition de loi.  - Il y a plus qu'à !

M. Hervé Novelli, secrétaire d'État chargé du commerce, de l'artisanat, des petites et moyennes entreprises, du tourisme, des services et de la consommation.  - Cette proposition de loi tend à introduire un mécanisme de recours collectif. Depuis plusieurs années, la réflexion se poursuit sur l'action de groupe à la française, dont je souhaite la création. C'est mieux que de dire le contraire ! (Sourires)

M. Pierre Fauchon.  - Beaucoup mieux, et inespéré !

M. Hervé Novelli, secrétaire d'État.  - Il faut mieux protéger les consommateurs et les indemniser le cas échéant en cas de litiges de masse.

Des mécanismes existent déjà, l'action civile dans l'intérêt collectif des consommateurs ou encore l'action en représentation conjointe, peu pratiquée. Aux assises de la consommation d'octobre dernier, j'ai rappelé que certains litiges concernent de nombreux consommateurs, qui renoncent à toute action judiciaire au regard des montants en jeu. Les dispositifs en vigueur sont inadaptés aux cas complexes et aux préjudices de faible ampleur -mais la somme des préjudices individuels peut être considérable. Le Gouvernement est convaincu qu'il faut mettre en place des mécanismes complémentaires. Mais les préalables à l'action de groupe ne sont pas aujourd'hui levés.

Mme Nicole Bricq, auteur de la proposition.  - Belle surprise !

M. Hervé Novelli, secrétaire d'État.  - La médiation est un bon moyen d'assurer le règlement de litiges de masse en évitant une procédure judiciaire lourde.

M. Pierre-Yves Collombat.  - C'est comique !

M. Hervé Novelli, secrétaire d'État.  - Le développement effectif de la médiation n'est pas contradictoire avec l'action de groupe mais elle en constitue un préalable indispensable. Ainsi, l'action de groupe concernera des litiges prioritaires. Depuis le mois d'octobre, la médiation a marqué de réels progrès. Ce n'est pas un enterrement de première classe...

M. Pierre-Yves Collombat.  - De deuxième classe !

M. Hervé Novelli, secrétaire d'État.  - ...mais un préalable. Nous devrons transposer une directive européenne relative à la médiation avant mai 2011 ; le Conseil d'État examine depuis mai dernier les conséquences de la transposition sur les dispositifs existants.

Une commission de la médiation au sein de l'INC sera créée d'ici la fin septembre.

M. Pierre Fauchon.  - Très bien !

M. Hervé Novelli, secrétaire d'État.  - Je la réunirai à l'automne pour faire le point.

Mais il y a d'autres préalables, dont le premier est la conjoncture économique ; il ne faut pas ajouter d'incertitude supplémentaire à nos entreprises, qui sont déjà fragilisées. Actuellement, la priorité est à l'activité économique.

Mme Odette Terrade.  - Le « bout du tunnel », on nous l'a déjà annoncé !

M. Hervé Novelli, secrétaire d'État.  - Autre préalable, la structuration du mouvement consumérisme. Il y a aujourd'hui dix-sept associations agréées. Seules quelques-unes devraient pouvoir engager une action de groupe. Ce matin, j'ai contresigné le dispositif mettant en place lune sorte de super-agrément qui permettra aux associations d'agir lorsque l'action de groupe sera créée.

Enfin, le projet national doit être cohérent avec le droit européen et j'ai, sur ce point, une légère divergence avec le rapporteur. La Commission européenne travaille à une position commune qui sera présentée à l'automne. N'anticipons pas.

Enfin, la proposition de loi examinée aujourd'hui fait des choix juridiques et procéduraux contestables. Ainsi, le champ d'action est très excessif car l'action de groupe ne devrait concerner que les préjudices matériels, et pour des enjeux de faible montant. Elle n'a pas à se substituer au droit commun dans les cas où le demandeur aurait de toute façon agi en justice.

En outre, seules devraient pouvoir agir les associations spécifiquement agréées. J'ajoute qu'une tentative de règlement amiable devrait être organisée. Enfin, il faudrait préciser les conditions de sollicitation des mandats.

La cohérence de l'action du Gouvernement est claire.

Mme Nicole Bricq, auteur de la proposition de loi.  - Oui : il ne fait rien !

M. Hervé Novelli, secrétaire d'État.  - Avant d'introduire l'action de groupe, il faut satisfaire aux préalables que j'ai rappelés. (Applaudissements au centre et à droite)

M. Denis Detcheverry.  - On nous propose une class action à la française pour mutualiser les moyens et les coûts procéduraux.

Cette idée de l'action de groupe est l'Arlésienne de notre procédure, depuis des années qu'on en parle. D'autres États l'ont déjà intégrée dans leur législation : outre le Canada et les États-Unis, la plupart de nos partenaires européens -quoique, pour certains, de façon récente. Les mécanismes d'action collective n'y ont pas eu d'effet négatif notable sur la vie des affaires, à la différence de ce qui se passe aux États-Unis, où les avocats bénéficient plus de ces actes que les victimes !

Le groupe sénatorial de travail dénonce l'immobilisme de notre droit et de notre système judiciaire. Il faut donc une procédure nouvelle, pour que soient réparés les faibles préjudices subis par les consommateurs. L'action de groupe remédierait au découragement à agir, et donc à l'impunité dont bénéficient encore les entreprises en cause.

Actuellement, l'action en représentation conjointe est ce qui s'apparente le mieux à l'action conjointe, mais elle ne parvient pas à être efficace. La majorité du RDSE juge que ce texte ouvre une brèche innovante : il améliore la protection des consommateurs et favorisera l'investissement des citoyens dans l'action publique.

Mme Nicole Bricq, auteur de la proposition de loi.  - Très bien !

M. Denis Detcheverry. - Le manque de temps et d'argent dissuade souvent le citoyen lésé d'agir contre les conglomérats industriels et commerciaux. (Applaudissements à gauche et au centre)

Mme Odette Terrade.  - Cela fait un temps certain que la transposition en droit français de la procédure de recours collectif est réclamée : plus de vingt ans, nous a dit Mme Bricq, qui suivit le sujet à l'Assemblée nationale.

Jacques Chirac en a reparlé en 2006 puis en 2008, M. Chatel, alors ministre en charge de la consommation, l'a évoquée, sans que rien n'avance. La mission sénatoriale a rendu un rapport qui doit servir de base à un texte juridique. La Chancellerie y est favorable. La commission des lois juge que la proposition socialiste n'est pas valable et s'en remet à la sagesse du Gouvernement pour écrire un projet de loi.

De qui se moque-t-on avec cette nouvelle procédure des propositions de loi déposées par l'opposition ? Pourquoi la commission des lois refuse-t-elle même d'amender la proposition de loi socialiste ? Le Medef freine et le Gouvernement attend que l'Europe avance...

C'est l'arlésienne ! Vous ne voulez qu'une action de groupe à fleuret moucheté pour que les entreprises ne soient pas égratignées. Nous ne suivrons donc pas les conclusions de la commission des lois. (Applaudissements à gauche)

M. Pierre Fauchon.  - Ce sujet nous intéresse vivement. Ceux qui savent pas j'ai dirigé l'Institut national de la consommation ne seront pas surpris. Le rapport Yung-Béteille est important et constructif ; ses 27 recommandations sont crédibles. Je me félicite qu'il ait été rédigé par deux de nos excellents collègues, l'un de la majorité, l'autre, hélas, de l'opposition. (Protestations amusées)

Je suis, comme le ministre, très favorable à la médiation, instrument adéquat pour résoudre les problèmes posés par les petits défauts matériels. Mais l'hostilité du Medef à l'action collective est tristement significative de l'état de la réflexion de cet organe professionnel. Il y a quelques dizaines d'années, nous avions constaté, à l'INC, que les moteurs Diesel d'une certaine marque claquaient au bout de 50 000 km. Convoqué par le ministre avec le président de cette entreprise, j'ai entendu celui-ci se plaindre de notre dénonciation qui risquait de lui faire perdre le marché des taxis tunisiens, comme s'il n'allait pas le perdre définitivement à cause du défaut de ses moteurs !

Ne dites pas, monsieur le ministre, que l'action de groupe handicape l'économie. Vous ne pouvez pas croire ces allégations artificieuses ! Fabriquer des produits médiocres ne nous permettrait pas d'affronter avec succès la concurrence mondiale. Contre des produits bas de gamme, nous n'avons pas d'autre solution que de jouer la qualité.

Il serait évidemment souhaitable que l'action de groupe fasse l'objet d'une législation européenne. Puisqu'on ne le fera pas à 27, faisons-le avec la procédure de coopérations renforcées, seul moyen d'avancer !

Je remercie M. Béteille de son engagement de présenter à brève échéance un texte fondé sur la base du rapport Yung-Béteille. « Dans les prochains mois », a dit M. le rapporteur. Non sans regret, notre groupe ne soutiendra pas cette proposition de loi mais c'est reculer pour mieux sauter ! Je ne veux pas croire que l'argument de la précipitation ait été évoqué sérieusement place Vendôme ! (Applaudissements au centre et à droite)

M. Richard Yung.  - « La politique de l'autruche est terminée. Je vais m'engager sur ce dossier ». Ce n'est pas moi qui dis cela, c'est un secrétaire d'État de ce gouvernement ! La commission des lois a été unanime à adopter notre rapport. Quatre groupes sur cinq sont favorables. Alors qu'est-ce qui nous retient d'avancer ? On a déjà perdu beaucoup de temps depuis les voeux du Président Chirac pour 2006.

Il y a eu un grand nombre de rapports sur la question. Plusieurs États de l'Union européenne ont mis en place une législation en la matière. L'Allemagne, l'Angleterre, le pays de Galles, l'Italie, les Pays-Bas, la Suède... Nous constatons un certain flottement du côté du Gouvernement. Notre pays doit se doter d'une législation forte pour négocier une législation européenne qui nous convienne.

Le ministre nous parle de cinq conditions, c'est beaucoup !

M. Hervé Novelli, secrétaire d'État.  - Des conditions pour réussir.

M. Richard Yung.  - Mais la fin de la crise économique, la réorganisation du mouvement consumériste ... Mme Lagarde a en tête les abus américains mais notre proposition devrait les éviter.

L'action en représentation conjointe est inefficace car à la fois trop lourde et trop coûteuse. L'article 1382 du code civil fonde notre réflexion en la matière.

Les class actions américaines sont fondées sur la lutte pour les droits civiques. C'est Ralph Nader qui a ensuite utilisé cette formule pour défendre les consommateurs.

Vous rendez-vous compte que dans l'affaire Vivendi, les actionnaires français ont dû plaider à Manhattan ? Quelle fuite...

M. René Garrec.  - Des capitaux ! (Sourires)

M. Richard Yung.  - ... du droit. Le texte que nous défendons a été rédigé il y a quatre ans. Nous l'avons redéposé parce nous voulons que le débat ait lieu.

Nous voulons démocratiser l'accès à la justice et renforcer les contre-pouvoirs. Un citoyen n'est pas seulement un consommateur passif, il doit devenir un consommacteur.

Le dispositif que nous avons conçu n'est pas parfait mais il est conforme à la tradition juridique française. Il fallait pouvoir agir pour tout conflit de consommation. Nous avions renvoyé à un décret, comme dans les actions conjointes.

Nous ne voulons pas que les cabinets d'avocats puissent engager d'eux-mêmes les actions. Le rapporteur souhaite une pluralité d'actions. Soit.

Le principe même du mandat pose problème ; nous pourrions y renoncer. Nous avions proposé de faire relever les actions de groupe d'un petit nombre de TGI, afin que ne soient retenus que ceux qui ont un greffe suffisant.

Le juge se prononcerait sur la justification de la procédure ; il faut prendre en exemple le droit des parquets à s'exprimer. Dans une deuxième phase, le juge évaluerait le préjudice, selon le principe de l'opt in. Ainsi serions-nous protégés des dérives américaines.

Le ministre, comme le Medef, réclame la médiation en amont ; nous la situerions entre la phase I et la phase II.

Contrairement au sentiment qui a été donné, je crois qu'il y a un accord considérable sur l'ensemble du dossier. Nous sommes prêts à modifier la proposition de loi pour tenir compte des conclusions du groupe de travail. Je suis disponible pour préparer un texte commun avec mon co-rapporteur, dans un délai raisonnable -pourquoi attendre au-delà de la fin de l'année ? Sur les 65 personnes auditionnées, une seule s'est prononcée contre un tel texte : le représentant du Medef. La politique de la France ne se fait pas à la corbeille. Nous sommes sur le point d'aboutir, toutes les conditions sont réunies -c'est du moins mon sentiment et, me semble-t-il, aussi celui de M. Béteille. (Applaudissements à gauche et au centre)

M. Antoine Lefèvre.  - Depuis 1992, l'action de représentation conjointe permet de faire progresser le droit de la consommation mais sa lourdeur le rend peu efficace. Cette proposition de loi veut remplacer cette action par le recours collectif qui renforcerait le droit des individus et valoriserait leur engagement en tant que citoyen.

A mon tour, je félicite MM. Béteille et Yung pour leur rapport ; je ne regrette que davantage que Mme Bricq nous propose un texte antérieur.

Mme Nicole Bricq.  - Nous sommes des pionniers !

M. Antoine Lefèvre.  - L'UMP souhaite que soit adoptée une prochaine proposition de loi qui soit fondée sur les conclusions du groupe de travail. Il ne votera donc pas ce texte. (Applaudissements sur les bancs UMP)

M. Hervé Novelli, secrétaire d'État.  - M. Detcheverry a raison : il faut éviter les dérives américaines et créer une action de groupe à la française dont l'exercice doit être réservé aux associations de consommateurs agréées au niveau national. J'ai signé aujourd'hui le décret qui les concerne. Il faut aussi limiter le champ d'application à la réparation des préjudices matériels subis par le consommateur et engager une médiation préalable. Les abus doivent être sanctionnés. Les principes de l'action civile doivent être respectés : pas de production forcée de preuve. Le principe retenu doit être celui de l'indemnisation réparatrice, sans que les avocats puissent se trouver dans une situation à l'américaine.

Non, le Gouvernement n'a pas recours, madame Terrade, à des manoeuvres dilatoires.

Mme Odette Terrade.  - Cela y ressemble !

M. Hervé Novelli, secrétaire d'État.  - J'ai parlé de préalables, que je m'attache à lever rapidement.

M. Fauchon a été très clair. Je n'ai pas dit que l'action de groupe nuit à la compétitivité des entreprises ; je veux simplement éviter aux PME d'être confrontées à de telles actions, inopportunes en ces temps où elles se battent pour leur survie.

J'apprécie le soutien de M. Lefèvre. Le rapport Yung-Béteille sera une bonne base pour après.

Le champ de l'action doit être limité et la qualité à agir réservée de façon rigoureuse aux seules associations de consommateurs homologuées. (Applaudissements au centre et à droite)

M. le président.  - La commission n'ayant pas élaboré de texte, nous passons à l'examen des articles de la proposition de loi, auxquels commission et Gouvernement sont défavorables.

Discussion des articles

Mme Odette Terrade.  - Il ne faut pas faire oublier l'essentiel : le fait que les consommateurs sont victimes des grandes entreprises et de la grande distribution. Comment accepter que soient mis en vente des produits dangereux ?

Des réseaux prétendument sociaux vendent à de grands distributeurs des listes de clients potentiels. La compétitivité passe par une meilleure reconnaissance du travail salarié. Il ne faut donc pas avoir peur d'une action de groupe.

M. Laurent Béteille, rapporteur.  - A mon tour, je remercie l'ensemble des intervenants et le ministre lui-même, qui tous souhaitent avancer. Bien sûr, la proposition de loi était amendable mais ce travail aurait pris plus que quelques jours, d'autant qu'il faut avoir travaillé en liaison avec Bercy et la Chancellerie, sachant que le code des procédures civiles est entièrement réglementaire. Il ne sert à rien de voter des principes si les décrets ne suivent pas. Nous devons être efficaces.

La commission a la volonté d'aboutir. M. Yung a parlé de la fin de l'année ; je partage cet objectif.

M. René Garrec.  - Très bien !

Mme Nicole Bricq, auteur de la proposition de loi.  - Dont acte : le rapporteur nous donne rendez-vous avant la fin de l'année. Le ministre a énuméré de grandes orientations, prouvant ainsi que le Gouvernement a réfléchi à la question. Il insiste beaucoup sur la médiation.

M. Hervé Novelli, secrétaire d'État.  - J'y crois.

Mme Nicole Bricq, auteur de la proposition de loi.  - Après avoir demandé ici un vote conforme sur le crédit à la consommation, le Gouvernement a introduit à l'Assemblée nationale un amendement plaçant les diverses instances sous l'autorité du directeur de l'INC. C'est une petite manoeuvre. Pourquoi cette précipitation sinon pour allumer un contre-feu à notre proposition d'aujourd'hui ? On ne peut pas substituer la médiation à l'action de groupe.

Nous dire qu'il faut attendre la fin de la crise économique quand on prévoit 2,5 % de croissance pour l'an prochain, c'est un argument aisément réversible ! En tout cas nous prenons rendez-vous, avant la fin de l'année.

M. Richard Yung.  - Je remercie le rapporteur pour sa suggestion précise d'élaborer en commun une proposition de loi pour la fin de l'année : nous sommes d'accord sur le champ de l'action, sur la procédure et le rôle du juge, sur la rémunération de l'avocat et le rôle des associations dans la gestion des dommages.

La reprise ? Mme Bricq vient d'en parler. Les pays européens ayant institué une action de groupe n'ont pas pénalisé leurs entreprises !

Reste le problème la médiation. Vous voulez l'ériger en premier acte ; nous voulons en faire la deuxième étape de la procédure, car l'expérience nous rend prudents.

Nous ne sommes donc pas très loin d'un accord. Encore faudra-t-il convaincre le Gouvernement que le moment est venu d'avancer. Si j'ai bien compris, un décret va limiter le nombre d'associations d'intérêt national : il serait intéressant d'en avoir connaissance...

M. Pierre-Yves Collombat.  - Un auditeur peu habitué à nos débats pourrait être surpris : un problème réel, un rapport de qualité, des propositions crédibles ; conclusion : surtout, ne rien faire ! Circulez, il n'y a rien à voir ! Le groupe centriste veut reculer pour mieux sauter, l'UMP veut reculer pour ne pas sauter !

L'action de groupe n'a que peu de chances de frapper les PME. Pour sortir de la crise, il faut commencer par ne pas l'aggraver en réduisant les finances publiques et en étranglant les collectivités locales !

Alors, sortons de la crise au lieu de multiplier des arguties juridiques ! (Applaudissements à gauche)

L'article premier n'est pas adopté, non plus que les articles 2, 3, 4, 5, 6, 7, 8 et 9.

Article 10

M. le président.  - Si l'article 10 n'était pas adopté, il n'y aurait plus lieu de voter sur l'ensemble.

M. Richard Yung.  - Dommage de ne pas adopter l'article qui introduit la médiation.

L'article 10 n'est pas adopté.

M. le président.  - Chacun des articles de la proposition de loi ayant été rejeté, il n'y a plus de texte.

En conséquence, la proposition de loi est rejetée.