Débat sur la politique de coopération et de développement

M. le président.  - L'ordre du jour appelle un débat sur la politique de coopération et du développement de la France.

M. Christian Cambon, au nom de la commission des affaires étrangères.  - Ce débat marque l'aboutissement de plusieurs mois de réflexion sur les orientations de notre politique de coopération. Il faut en effet expliquer ce que fait la France à Bamako ou en Indonésie. Merci, M. le ministre, d'avoir associé le Parlement à cette réflexion. Nous avons multiplié les auditions, organisé des débats, enfin publié un rapport.

Le document cadre fixe les grandes orientations de notre politique d'aide au développement pour les dix années à venir. Avant d'en venir au diagnostic, je souhaite que de tels rendez-vous se répètent et que le Parlement soit invité régulièrement à voter des lois d'orientation, comme cela se pratique au Royaume-Uni ou en Espagne.

Le monde bouge, il faut donner un visage nouveau à l'aide au développement. Celle-ci reste fondée sur l'humanisme, mais elle est aussi un moyen de régulation de la mondialisation et une contribution à un monde plus sûr ; le sous-développement est un terreau favorable à l'émergence de menaces qui concernent tout autant le sud que le nord.

Nous devons formaliser la fin d'une coopération indifférenciée ; l'aide au développement n'a ni les mêmes objectifs, ni les mêmes règles à Nouakchott ou à Nankin. La France n'agit plus jamais seule, la coopération doit désormais se penser sous forme de partenariats -même dans les cas de l'aide bilatérale. Des synergies doivent être trouvées au sein de l'Union européenne. Et les défis du XXIe siècle imposent des solutions collectives et une gouvernance mondiale encore à inventer.

Si le document cadre est utile et permet de mieux comprendre une politique complexe, il manque un bilan des stratégies antérieures et une évaluation de nos instruments de coopération, malgré le contexte budgétaire contraint. Il n'y a pas non plus de bilan des restructurations opérées depuis 2004. Nous avons le deuxième réseau diplomatique du monde ; qu'attendons-nous de lui en matière de pilotage de l'aide au développement ?

L'OCDE critique la dispersion excessive de notre organisation ; ce n'est pas à tort. Le Cicid ne s'est plus réuni depuis dix-huit mois, et n'a même pas été convoqué pour adopter le document cadre. Celui-ci devrait s'appuyer sur une évaluation des résultats : plus de 8 milliards sont en jeu chaque année.

Comme l'a dit Ester Duflo lors de sa leçon inaugurale au Collège de France, si les erreurs de diagnostic sont fréquentes, elles ne sauraient justifier l'inactivité, mais rendent nécessaire une évaluation rigoureuse des expériences passées. Or la grande majorité de nos interventions ne sont pas évaluées. Voilà un beau défi pour les années qui viennent ! (Applaudissements)

M. André Vantomme, au nom de la commission des affaires étrangères.  - Malgré nos différences politiques, je partage le diagnostic présenté par M. Cambon. Sans surprise, les objectifs de la France sont partagés par la communauté internationale : prévention des crises, notamment dans les territoires où l'État est en difficulté, comme l'Afrique subsaharienne ; lutte contre la pauvreté ; défis de la croissance -ne serait-il pas plus efficace d'aider l'Afrique en important sa production ? Enfin préservation des biens publics mondiaux -ce continent sera la première victime du réchauffement climatique.

Vous proposez une application différenciée des objectifs selon les zones géographiques. Première zone prioritaire, l'Afrique subsaharienne sera en 2050 trois fois plus peuplée que l'Union européenne. La deuxième zone prioritaire est constituée par le pourtour méditerranéen, la troisième regroupe les pays émergents. Nous partageons vos intentions, tout en nous interrogeant sur les moyens retenus : nos prêts devraient être réservés aux pays moins développés. Enfin, la quatrième zone regroupe les pays en crise.

On ne peut que déplorer l'absence de perspectives budgétaires dans le document cadre. Il fallait certes prendre du champ par rapport aux arbitrages annuels, mais à force d'en prendre on perd de vue la réalité. Objectifs et moyens sont intimement liés.

Les dons bilatéraux au sens de l'OCDE ayant diminué de 30 % entre 2006 et 2009, les prêts se sont développés, mais vers les pays les plus solvables et au détriment de l'Afrique subsaharienne. Il nous faudrait au moins un ordre de priorités. Le document cadre est peu disert sur le sujet, sinon pour évoquer les 50 % de dons bilatéraux aux pays pauvres prioritaires -encore ne s'agit-il que de poursuivre les objectifs du millénaire...

La commission souhaite un ciblage renforcé de nos interventions sur l'Afrique, même si un chiffre en valeur absolue ne serait pas réaliste à un horizon de dix ans. Elle a fait 50 recommandations adoptées à l'unanimité, dont la restauration de la capacité d'initiative de nos instruments bilatéraux ou l'évaluation systématique des partenariats multilatéraux, par exemple des interventions du Fonds européen, auquel la France contribue aujourd'hui pour 800 millions d'euros. L'aide au développement deviendra sans doute un domaine de souveraineté partagée, mais l'Union ne doit pas devenir un 28e bailleur de fonds. Dans le monde des organisations multilatérales, il y a beaucoup de naissances et jamais de décès, 365 organismes sont habilités à recevoir des fonds d'aide au développement.

Nous souhaitons que des indicateurs de performance traduisent les priorités thématiques et géographiques. Merci, monsieur le ministre, pour avoir sollicité le Parlement. J'ai noté avec plaisir qu'un rapport biennal nous serait désormais présenté, mais nous resterons attentifs aux préoccupations des partenaires que sont les ONG et les collectivités locales, sans oublier l'engagement budgétaire du Gouvernement. (Applaudissements)

M. Yvon Collin.  - Comme rapporteur spécial pour l'aide au développement, je salue l'initiative de la commission des affaires étrangères ; je me félicite que le Parlement soit associé à la réflexion sur la politique de coopération.

Je souhaite moi aussi l'adoption régulière de lois cadres, car le monde change, avec des économies interdépendantes et des risques globaux pour ce qui est devenu un village mondial.

Dans ce contexte, le document cadre propose une refondation de la doctrine française d'aide au développement, celle-ci ne relevant plus seulement du caritatif mais prenant en compte les intérêts de la France.

On ne peut que souscrire aux objectifs de l'aide au développement : promotion de l'État de droit, encouragement à la croissance, lutte contre la pauvreté et les inégalités, préservation des biens publics mondiaux. Cette politique est ambitieuse mais non exempte du risque de saupoudrage. Il faut des priorités. Celle accordée à l'Afrique subsaharienne est d'autant plus nécessaire que la croissance du continent attire déjà les investisseurs chinois ou brésiliens -et que la langue française recule... S'agissant des pays émergents, on peut s'interroger sur la pertinence d'interventions sous label « aide au développement » en direction de la Turquie et de la Chine.

Le Gouvernement a entrepris de moderniser la politique de coopération, mais je m'interroge sur les moyens. Notre pays joue un rôle pionnier dans les financements innovants, comme la taxe sur les billets d'avions. Le RDSE plaide de son côté pour une taxation des transactions financières. Espérons que le G 20 se prononcera en ce sens.

L'aide bilatérale a quasiment disparu, avec 175 millions d'euros. Il en va pourtant de notre rayonnement international : notre part dans l'aide multilatérale passe inaperçue. Le document cadre est muet sur le thème crucial des moyens. En 2009, la France a consacré 0,4 % de notre revenu national brut à l'aide au développement, alors qu'elle s'est engagée à atteindre 0,7 % en 2015 -objectif qui n'est pas tenable, a relevé mon prédécesseur Michel Charasse dans son dernier rapport.

Nous nous interrogeons sur l'évaluation et donc l'efficacité de l'aide au développement. Certes, des indicateurs de résultats sont prévus, mais les indicateurs de performance manquent encore.

François Mitterrand insistait sur la nécessité de ne céder ni au découragement ni à la tentation du repli sur soi. L'aide au développement reste un investissement prioritaire dans un monde instable et fragile.

Enfin, je vous prie d'excuser mon absence pour la suite du débat, car je dois me rendre à l'AFD où je représente le Sénat. (Applaudissements à gauche)

M. Bernard Kouchner, ministre des affaires étrangères et européennes.  - C'est une bonne cause. (M. Josselin de Rohan renchérit)

M. Jean-Michel Baylet.  - Je serai là ! (Sourires)

M. Robert Hue.  - L'excellent rapport de mes collègues porte sur un document cadre que l'exécutif nous a transmis hier soir ! Je m'interroge d'ailleurs sur sa portée, car la politique étrangère, notamment africaine, est plus que jamais l'affaire du chef de l'État, de son conseiller diplomatique ou du secrétaire général de l'Élysée... .

M. le ministre, l'avenir de votre démarche est hypothéqué par les doutes sur votre avenir politique. Mais le doute principal tient au flou des perspectives budgétaires. Il est bon de réfléchir aux objectifs et aux moyens de votre politique, dans un monde qui a beaucoup changé en dix ans. Il est significatif que le poste de secrétaire d'État à la coopération ne soit plus pourvu.

L'Afrique subsaharienne doit impérativement conserver une place prioritaire. On peut espérer que les actes suivront et effaceront les effets dévastateurs du discours méprisant de Dakar. Je crains malheureusement que ce ne soit pas le cas. Le Président de la République ne semble toujours pas décidé à tourner la page de la « Françafrique ». Son combat contre la perte du pré carré semble uniquement destiné à protéger l'accès de la France au pétrole et à l'uranium. L'AFD a été reprise en main ; on peut craindre qu'elle continue à échapper au Quai.

Enfin, je dis mon désaccord avec la notion de vision globale du financement qui permet de dissimuler la baisse de l'aide publique et la croissance des investissements privés.

Sur les 9 milliards d'euros consacrés à l'aide au développement, 4 ne sont que pur habillage. L'aide bilatérale se limite à 200 millions d'euros. La conception française de l'aide au développement, partagée par nombre de pays, explique que les objectifs du millénaire ne soient pas atteints. Il faudrait évacuer l'exigence de rentabilité à court terme pour que les pays pauvres cessent de dépendre de l'aide internationale. (Applaudissements à gauche)

Mme Catherine Tasca.  - Je me concentrerai mon propos sur l'Afrique, priorité de notre coopération, dont la population comptera en 2050 1,8 milliard d'habitants, soit une fois et demi celle de la Chine et trois fois celle de l'Union européenne.

Contre toute attente, la croissance africaine est supérieure à celle de l'Europe et des États-Unis, grâce au dynamisme de son marché intérieur. Elle est aujourd'hui courtisée par la Chine et l'Inde.

Pourtant, le regard de la France reste figé, avec une aide privilégiant l'appui aux ONG accompagné d'une politique migratoire toujours plus restrictive. Vous avez raison de dire que notre avenir se joue en Afrique. Où iront ses enfants, sinon en Europe, s'ils doivent partir pour mieux vivre ? Nous devons donc anticiper, si nous ne voulons pas devoir réagir dans l'urgence de façon peu humaine à une immigration massive.

L'Afrique est au coeur des enjeux planétaires, comme le réchauffement climatique : en 40 ans, les précipitations ont diminué de 40 % au Sahel. Elle peut aussi devenir une source majeure de pollution. Seuls 10 % des Africains disposent d'une électricité continue. Dans l'Afrique subsaharienne, la production électrique est la plus chère du monde et celle qui a le contenu carbone le plus élevé. Des progrès considérables peuvent être atteints dans le domaine énergétique.

Enfin, l'Afrique est un enjeu de notre sécurité : pensez à nos otages retenus au Sahel, à la prolifération du terrorisme et des trafics.

La réponse de la France et de l'Europe est-elle à la hauteur des enjeux ? Depuis la chute du mur de Berlin, nous avons offert aux pays de l'est un partenariat que nous ne pouvons offrir à l'Afrique. Quels moyens allons-nous mettre en oeuvre ? Le document cadre est silencieux sur cette question.

Entre 2005 et 2008, la part de l'Afrique subsaharienne est passée de 54 % à 40 % de notre aide bilatérale. Et celle que nous apportons aux quatorze pays prioritaires n'est plus que de 28 %. Il faut recentrer notre aide sur les plus pauvres.

Nous disposons en Afrique d'une expertise reconnue, mais mise à mal par la baisse de l'aide bilatérale. La France souhaite signer avec les pays africains des accords dits de gestion concertée des flux migratoires, trop axés sur le contrôle des migrations. Il faudrait trouver le juste équilibre entre facilitation de l'immigration légale et lutte contre l'immigration clandestine, maîtrise des flux et codéveloppement. Pour 2010, les crédits au développement solidaire se limitent à 1 % des crédits de l'APD.

Saurons-nous accompagner le développement rapide de l'Afrique ? J'en doute. Nos atouts sont nombreux, une histoire commune, la géographie, une diaspora -que nous ne savons pas accueillir dignement. En 2050, il y aura 600 locuteurs français en Afrique. La défense de notre langue est donc aussi en jeu dans notre politique de coopération. Alors que le monde se recentre vers l'Asie, l'Europe a besoin du développement de l'Afrique au moins autant que ce continent a besoin de notre aide. Quelle place la France y prendra-t-elle ? (Applaudissements à gauche)

M. Michel Guerry.  - Je remercie M. de Rohan qui a demandé ce débat, confirmant la réévaluation de notre rôle grâce à la révision constitutionnelle.

Le document cadre est d'une importance comparable à celle du Livre blanc de la défense. Le 12 mai, les commissions des finances et des affaires étrangères ont reçu les principaux acteurs de la politique française d'aide au développement. Pour une fois, ce sujet crucial sera traité hors du débat budgétaire.

Je commencerai par souhaiter un bilan de la politique de coopération, car nous ne pouvons nous contenter du sempiternel constat de crédits toujours insuffisants. Le contexte budgétaire contraint nous oblige à raisonner autrement.

Certes, le document cadre énumère des priorités et des objectifs, mais il faut aller plus loin avec une évaluation chiffrée, fondée sur des critères clairement définis. Nous devons nous émanciper des politiques d'affichage. Nous avons besoin d'une autopsie de notre politique de développement pour savoir ce qui fonctionne et ce qui ne fonctionne pas.

L'Afrique subit une recrudescence dramatique de fléaux, appelant une action internationale. Nous agissons par exemple au Soudan pour restaurer le dialogue avec le Tchad et créer les conditions d'une sortie de crise au Darfour.

Or, la Chine est parvenue à installer deux usines d'armement léger au Soudan, tournant ainsi l'embargo sur les ventes d'armes. Et la compagnie pétrolière chinoise a investi 8 milliards de dollars dans l'exploitation pétrolière et pris des participations dans le forage.

Le 7 novembre 2009, la FAO a tiré une nouvelle fois la sonnette d'alarme sur la faim dans le monde. L'Afrique, touchée par des années de famine, parvient difficilement à l'autosuffisance alimentaire.

Le Niger, premier producteur mondial d'uranium, devrait pouvoir assurer son autosuffisance alimentaire. Ce n'est pas le cas, puisque ses recettes servent à rembourser des prêts chinois. La Chine est le premier bailleur de fonds au Soudan, au Nigéria, en Angola et en Égypte.

La coopération intergouvernementale ne devrait pas nous priver d'une évaluation précise.

L'aide au développement doit répondre à de nouvelles exigences, liées au réchauffement climatique et à la diminution des ressources naturelles. Nous devons comprendre que des pays nous reprochent de vouloir leur imposer un modèle de développement que nous construisons à partir de nos propres erreurs ! Il faut faire preuve d'imagination et de pragmatisme.

Enfin, j'insiste sur l'éducation, notamment des filles, car la scolarisation, notamment dans les sociétés matriarcales, est le préalable à la paix. (Applaudissements à droite)

Mme Claudine Lepage.  - Peut-on parler d'objectifs sans évoquer les moyens de les atteindre ? On est loin des 0,7 % auxquels nous nous étions engagés dans le millénaire du développement. De surcroît la France inclut dans l'APD l'aide aux réfugiés ou les dépenses pour les TOM ! L'APD réelle n'atteint donc que 0,31 % du PNB... Enfin elle inclut aussi l'allègement de la dette à des pays en difficulté, comme le Cameroun, ce qui réduit l'engagement envers les pays les plus pauvres.

L'affichage de l'APD relève de l'exercice comptable plus que de l'aide réelle, ainsi quand on efface des dettes de toute façon irrécupérable.

Le volume des prêts octroyés à des taux proches du marché s'est accru aux dépens des dons. Or, les prêts ne peuvent aller que vers des pays émergents !

Notre contribution à l'aide multilatérale augmente sans que nous ayons une vision claire des perspectives globales.

Le volume des crédits publics transitant par les ONG est très inférieur aux besoins ; celles-ci en ignorent le montant pour 2011.

Le document cadre établit un lien entre développement et sécurité. Les choses sont un peu plus complexes ! Nos concitoyens peuvent comprendre la nécessité d'un monde plus solidaire, donc plus sûr. Ils approuvent le principe même de l'aide au développement : tous les sondages le confirment.

Nous avons un devoir de solidarité, pour une aide cohérente, juste et efficace. Je partage l'avis de la commission qui souhaite l'adoption, à échéance régulière, d'une loi de programmation. (Applaudissements)

Mme Fabienne Keller.  - A mon tour, je me réjouis de la tenue de ce débat et je salue le travail des rapporteurs. C'est un honneur, monsieur le ministre, de débattre avec vous, qui êtes depuis longtemps un grand spécialiste de la question. (On approuve à droite) Je voudrais souligner l'importance de la politique française d'aide au développement, la première d'Europe, même si elle reste très inférieure à nos engagements de 2005. Le montant de l'aide est compris entre 600 millions et 1,3 milliard d'euros, selon le mode de calcul.

Les pays très pauvres sont dans une grande difficulté. La forte croissance de l'Afrique subsaharienne est très mal diffusée dans les pays dont la croissance démographique est en outre considérable. Du temps du service militaire, nous avions 20 000 coopérants en Afrique ; ils ne sont plus que 400. Tout un réseau de relations humaines disparaît.

L'émission de carbone des Africains est dix fois moindre que celle des Européens, vingt fois moindre que celle des Américains ! Ils subissent pourtant de plein fouet les conséquences du réchauffement climatique et, double peine, celles de l'assèchement des liquidités mondiales. Et je ne parle pas des catastrophes naturelles qui les frappent régulièrement.

Ce sont les plus diplômés qui émigrent vers les pays du nord, selon l'organisation internationale pour les migrations. La perte d'un diplômé sur trois, en particulier des médecins, est catastrophique pour le développement de ces pays.

Je plaide pour une taxe sur les transactions financières. Sa recette annuelle pourrait être de 30 milliards de dollars. Le Président de la République et Mme Lagarde ont défendu cette idée dans diverses instances internationales.

Nos concitoyens sont conscients de la nécessité d'un développement équilibré des diverses zones du monde, ne serait-ce que pour alléger la pression migratoire. Ce défi mondial appelle une action décidée. Contrairement à la norme lolfienne, ce n'est pas une dépense de fonctionnement mais d'investissement ! (Applaudissements à droite et au centre)

M. Josselin de Rohan, président de la commission des affaires étrangères.  - Je me félicite que ce débat très riche et intéressant ait eu lieu. Il faudra le renouveler. Nos rapporteurs ont accompli un travail excellent, (applaudissements), entre écoutes, contacts et déplacements. La commission se satisfait de voir que le document cadre a retenu nombre de leurs propositions.

Je remercie le ministre pour son écoute constante. Accentuer notre aide bilatérale, la rendre plus visible ? Sans doute, mais nous essuyons nombre de critiques à l'ONU sur l'insuffisance de notre participation à l'aide multilatérale ! Participer aux fonds européens est une obligation. Ce qui convient, c'est de conjuguer nos efforts nationaux avec l'aide européenne.

Ce jour est important : notre débat montre que la politique de coopération est un des piliers essentiels de notre diplomatie. (Applaudissements)

M. Bernard Kouchner, ministre des affaires étrangères et européennes.  - Je suis très heureux d'avoir pu travailler avec vous. J'ai beaucoup apprécié que vous ayez lu dans la nuit un document qui vous a été remis hier soir -comme à moi ! Il fallait l'imprimatur de Matignon...

C'est la première fois que nous avons une vision d'ensemble, assez précise, quoiqu'évidemment encore insuffisante. Pourquoi pas d'audit permanent de notre aide au développement ? Parce que c'est très difficile ! Les ONG peuvent le faire parce qu'elles réalisent des actions ponctuelles au contact de la population. Mais comment quantifier une politique ? Quels seraient les critères objectifs ? Comment savoir si deux aides se contredisent ou se complètent ? Il faudra quand même le faire.

Les sondages montrent les Français favorables à l'aide au développement... Ils veulent aussi savoir ce qu'il en est concrètement et c'est très difficile.

Une loi d'orientation ? Pourquoi pas... Mais comment faire face à l'évolution des conditions économiques ? Elle nous donnerait l'occasion de débattre, comme nous le faisons aujourd'hui.

Oui, monsieur Cambon, la démarche ne doit plus être seulement caritative. Mais il faut bien répondre aux urgences. Les ONG n'ont pas assez d'argent ? Celui-ci vient de quelque part... Au centre de crise du Quai d'Orsay, nous ne travaillons qu'avec des ONG, locales ou étrangères s'il n'en existe pas sur place. Venez voir comment cela fonctionne, y compris avec la population en place. C'est avec les Africains qu'il faut travailler, pas avec les gouvernements, parce que beaucoup d'argent s'évapore ?

M. Charles Revet.  - Beaucoup trop !

M. Bernard Kouchner, ministre.  - Mais que fait-on ? Il faut bien travailler avec les ministères quand ils nous sollicitent sur des projets. Le Fonds pour le sida ne fonctionnerait pas sans les administrations locales. Nous devons travailler à la fois avec les gouvernements, les ONG, les collectivités locales et les populations.

« La France ne sera plus jamais seule », certes. Mais comment additionner des aides sans qu'elles soient concurrentes ? La République démocratique du Congo est le plus grand pays francophone du monde. Avec 130 millions d'euros, les Anglais lui donnent six fois plus que la France ! Comment faire ? Ces aides se cumulent-elles ? Le document cadre prévoit une analyse critique.

Le fait que 60 % de l'APD aille à l'Afrique, 20 % à la Méditerranée, 10 % aux pays émergents, 10 % aux crises, cela semble convenir, d'autant qu'on peut toujours ajuster. La croissance par les échanges ? Encore faut-il que nos produits soient compétitifs ! Ceux des Chinois et des Turcs le sont plus que ceux de nos entreprises. Devons-nous subventionner massivement nos entreprises pour diminuer le prix de leurs produits ? Leur faire perdre leur qualité sociale supérieure à celle des autres entreprises ?

L'insuffisance des crédits ? Qui savait que surviendrait la crise de 2008 ? Sans elle, la perspective de 0,7 % aurait été plus facile à atteindre. En 2000, nous étions à 0,30, en 2001 à 0,31 % ; nous sommes aujourd'hui à 0,49 % en maintenant l'objectif de 0,7 à l'horizon 2015.

Les financements innovants ne visent pas à se substituer à l'APD mais à la renforcer. Au sommet Afrique-France -où étaient présents nombre d'anglophones- certains pays se sont inquiétés de ces financements innovants. Nous les avons convaincus, eux qui redoutent la moindre taxe. Ce sera un des sujets du prochain G8. Le groupe de réflexion, dont la France est secrétaire, a publié un nouveau rapport favorable aux financements innovants. Pour nous, ce devrait être une contribution de 0,005 % sur les échanges mobiliers. Sur 1 000 euros échangés, elle rapporterait exactement cela : 5 centimes ! (M. le ministre montre une pièce de cette valeur) C'est inoffensif et indolore. Faut-il attendre l'accord des 192 pays de l'ONU? Non. Nous devons commencer. Il suffit d'une demi-douzaine de grands pays européens. C'est concrètement facile à faire.

Avec ces 0,005 %, on arrive à 30 milliards par an, de quoi financer l'éducation de tous les enfants des pays pauvres ! Comment contrôler ? On a l'expérience du fonds global, dont la France a été à l'origine.

Le domaine réservé du chef de l'État ? Il est traditionnel dans la Ve République, monsieur Hue. Les entreprises font des profits ? Si elles n'en faisaient pas, ce serait des entreprises nationales ! Il y a des appels d'offre et nos entreprises françaises doivent y soumissionner.

Le Soudan ? C'est Total qui n'a pas voulu, trouvant la situation trop dangereuse. Entre-temps, les Chinois y sont venus. Comment le leur reprocher ?

Je partage le sentiment de Mme Tasca sur l'Afrique. Nous avons une expertise, même si elle date un peu. Nous devons proposer aux Chinois, aux Turcs, aux Anglais d'avoir des offres communes.

Co-développement et immigration ? Certes mais les marchands d'esclaves n'attendent pas. Tous les jours, au péril de leur vie, des gens frappent à notre porte, pas seulement via le détroit de Gibraltar, demandez à nos amis grecs.

Le dialogue entre le Tchad et le Soudan ? Il avance plutôt assez bien. L'accord de Doha sera-t-il respecté par tous ? Certains pays fournissent des armes... Est-ce que l'uranium suffirait au Niger ? Il y a là-bas des zones très dangereuses, d'où nos ressortissants ont été évacués.

L'IGF va rendre ses conclusions dans les prochaines semaines sur l'évaluation de notre aide. Nous allons toujours vers le 0,7 %. Nous sommes à 0,49 % et atteindrons 0,51 % l'an prochain. Il y a 22 000 étudiants chinois en France ; cela représente 100 millions ! C'est une aide au développement. Les Français sont favorables au renforcement de l'aide au développement ? Il faudra le leur rappeler...

Merci, madame Keller, d'avoir parlé de l'évolution de notre aide au développement. Elle est très positive. Nous nous dégageons de plus en plus des gouvernements pour travailler au plus près des hommes et des femmes. La formation professionnelle, les Africains formés qui viennent chez nous ? Nous avons mis en place avec le Sénégal, et nous le ferons demain avec le Maroc, une formation professionnelle de trois ans qui débouche sur un emploi. Cela marche assez bien.

Je suis très reconnaissant au Sénat de ce débat. Vos critiques m'importent. Neuf milliards, ce n'est pas assez mais c'est quand même beaucoup. Nous n'avons pas à en rougir. Les Britanniques ont réduit de 25 % le budget du Foreign Office, mais maintenu leur aide. Nous ne sommes pas les moins efficaces ! (Applaudissements à droite et au centre)