Déclaration de politique générale du Gouvernement

M. le président.  - L'ordre du jour appelle la lecture d'une déclaration de politique générale du Gouvernement.

Cette déclaration de politique générale est actuellement prononcée à la tribune de l'Assemblée nationale par M. François Fillon, Premier ministre.

Le Gouvernement ayant engagé sa responsabilité devant l'Assemblée nationale en application de l'article 49, premier alinéa, de la Constitution, cette déclaration qui va être lue par M. Alain Juppé, ministre d'État, ministre de la défense, ne peut faire l'objet ni d'un débat, ni d'un droit de réponse, conformément à l'article 39, alinéa 1, de notre Règlement.

Le Premier ministre viendra demain, le 25 novembre, devant le Sénat pour demander l'approbation d'une déclaration de politique générale du Gouvernement en application de l'article 49, quatrième alinéa, de la Constitution.

A la suite de la déclaration de politique générale du Premier ministre, nous en débattrons selon les modalités arrêtées par la Conférence des Présidents. Le Sénat se prononcera ensuite sur cette déclaration par un scrutin public à la tribune.

La parole est à M. Alain Juppé, ministre d'État, ministre de la défense. (Vifs applaudissements à droite ; MM. Nicolas About et Aymeri de Montesquiou applaudissent aussi)

M. Alain Juppé, ministre d'État, ministre de la défense et des anciens combattants.  - Depuis mai 2007, j'ai l'honneur de servir notre pays sous l'autorité du Président de la République, en m'appuyant sur une majorité à laquelle je veux rendre hommage.

M. Jacques Mahéas.  - Un collaborateur !

M. Alain Juppé, ministre d'État.  - A l'approche d'échéances électorales importantes, tout pouvoir est tenté par la prudence et le jeu des apparences. Le Président de la République s'y est refusé, la persévérance politique étant, à ses yeux, le choix le plus conforme à l'intérêt national. Il m'a chargé de diriger le nouveau gouvernement.

C'est un gouvernement d'action qui a un double mandat : le premier est de mettre en oeuvre l'engagement de 2007 de bâtir une France moderne ; le second, que nous n'avons pas recherché mais que nous avons reçu de l'Histoire, consiste à gérer la pire crise économique depuis la Grande Dépression des années 1930.

Cette question de confiance s'inscrit au coeur de ce double mandat. Il ne s'agit pas d'improviser un chemin insolite, ni de vous détailler l'agenda des dix-huit mois à venir mais de tenir un cap. « On ne va pas au vrai par une route oblique » écrivait Victor Hugo.

Ma question est directe : voulons-nous encore et toujours moderniser la société française ? Les pièges de la crise, le brouhaha des oppositions, les caprices des sondages étoufferont-ils notre volonté réformiste ou seront-ils, au contraire, les sources d'une détermination renforcée ?

Certains voudraient nous voir temporiser, rompre et nous renier. Renier ce que nous avons fait ? J'assume notre bilan car ceux qui esquivent leurs responsabilités ne méritent pas d'être aux responsabilités. D'ailleurs, de quoi pourrions-nous rougir ? D'avoir réformé les universités, d'avoir réformé les retraites, d'avoir rééquilibré nos institutions, d'avoir instauré le service minimum, d'avoir stoppé la spirale de la délinquance ? (Exclamations à gauche)

M. Charles Gautier.  - Lisez les journaux !

M. Alain Juppé, ministre d'État.  - D'avoir réussi le Grenelle de l'environnement, d'avoir affronté avec succès la pire chaîne d'avanies qu'un système capitaliste puisse produire ? Faudrait-il maintenant marquer le pas pour nous faire pardonner d'avoir agi malgré les protestations ? Ce serait à coup sûr susciter le mépris de nos concitoyens.

Quand on sert l'intérêt général, on ne s'excuse pas de son courage. Quand on sert l'intérêt général, l'impopularité d'un jour peut devenir l'estime du lendemain. (Applaudissements à droite ; exclamations à gauche où l'on évoque les échéances électorales à venir)

Rompre avec le mouvement ? Il ne peut en être question car notre indécision serait une revanche de la peur, cette peur du changement qui nous a longtemps conduits à célébrer la théorie du « ni-ni» et à louer celle du « temps laissé au temps ».

M. Didier Guillaume.  - Belle référence !

M. Jean-Pierre Sueur.  - Ce n'est pas gentil pour Mitterrand, ça !

M. Alain Juppé, ministre d'État.  - Cette peur dont nous avons réussi à délivrer le pays, et cela avec l'appui des Français eux-mêmes qui, bien souvent, ont accompagné les évolutions avec lucidité. Alors, oui : contre vents et marées, dans le calme et la tempête, contre les conservatismes et pour vaincre les peurs, l'élan de la réforme est intact ! Parce que l'économie mondiale doit être mieux régulée, parce que notre économie doit être plus compétitive (Mme Nicole Borvo Cohen-Seat s'exclame), parce que l'emploi doit être soutenu...

M. Jacques Mahéas.  - Surtout l'emploi des fonctionnaires !

M. Alain Juppé, ministre d'État.  - ...parce que nos déficits doivent être réduits, parce que nous avons le devoir d'assurer le bien-être de nos aînés en finançant le coût de la dépendance, je vous le dis : nous réformerons ! (Applaudissements à droite)

Le progrès est une longue marche qui exige ténacité et vérité. Nous nous battons avec les réalités d'un monde nouveau traumatisé par une récession brutale. Avec vous, nous avons maîtrisé ce choc. Ensemble, nous en avons cantonné l'impact pour les Français en réussissant à limiter la récession à 2,6 %, contre 4 % en Europe, et à tenir le chômage en dessous du seuil de 10 %. (Exclamations à gauche) Ensemble, nous en avons enrayé la dynamique mortelle en Europe, en sauvant le système financier, puis la Grèce, et aujourd'hui l'Irlande.

Mais la crise n'est pas finie. (M. Jean Desessard le confirme) Elle continue de muter. L'Europe est menacée de stagnation ; la crise du surendettement n'est pas encore jugulée. Mais surtout, cette crise a accéléré le basculement du centre du monde vers l'Asie et toute la hiérarchie des rapports de force issue du XIXe siècle est en train de se redessiner.

La Chine est devenue, en 2010, la deuxième puissance économique mondiale, dépassant le Japon. Elle est devenue le premier exportateur mondial et a ravi aux États-Unis la place de premier exportateur de produits de haute technologie. Avec 84 millions de diplômés de l'université, l'usine du monde s'apprête à devenir le laboratoire du monde, et il nous faudra attendre plusieurs décennies pour que le développement intérieur du pays crée les conditions d'une concurrence plus équilibrée. L'Inde, le Brésil avancent, eux aussi, à marche forcée. Ce sont des continents entiers qui se dressent et nous défient. Déjà, les États-Unis en souffrent. Alors comment ne serions-nous pas nous-mêmes fouettés par le vent de l'Histoire ?

Dans ce contexte, notre but, c'est la maîtrise de notre souveraineté, de notre liberté. La liberté d'être nous-mêmes, la liberté d'agir par nous-mêmes et suivant nos valeurs, la liberté face à une compétition qui dépossède de leur destin les pays insouciants.

Ni indulgence, ni relâchement, ni immobilisme, la réforme reste indispensable. Avec une dette de 1 600 milliards d'euros, la France ne dispose pas de trésor caché pour se dispenser des efforts qu'elle doit encore accomplir pour maintenir son mode de vie.

M. Jean-Louis Carrère.  - La France est en faillite !

M. Alain Juppé, ministre d'État.  - Tous ceux qui multiplient les promesses sont condamnés à les renier. J'invite l'opposition à méditer l'avertissement de Charles Péguy : « Le triomphe de la démagogie est passager mais les ruines sont éternelles ». Pour tout dire, ceux qui sèment des illusions récolteront des désillusions. (« Bravo ! » et applaudissements à droite)

Maintenant, la bataille de la croissance commence. Je dis aux Français que la reprise est amorcée. Leur sang-froid et leurs efforts n'ont pas été vains. Notre taux de croissance en 2010 sera supérieur à 1,5 % et la cible des 2 % en 2011 est à notre portée. (Mme Nicole Borvo Cohen-Seat en doute)

Il faut encore accentuer notre compétitivité économique et scientifique. Il faut nous libérer des déficits pour maintenir les taux d'intérêts à un niveau aussi bas que possible et retrouver des marges de manoeuvre. Il faut continuer de rénover notre héritage social et non faire de nos droits acquis le matelas de notre léthargie (exclamations indignées à gauche) ; c'est ainsi que la solidarité et l'égalité des chances sera préservée.

M. Bruno Sido.  - Très bien !

M. Alain Juppé, ministre d'État.  - Il faut trouver avec notre principal partenaire européen, l'Allemagne, la force d'entraîner l'Europe et construire une gouvernance économique de la zone euro. Pour cela, notre crédibilité économique et financière doit être aussi solide que celle de nos voisins qui ont pris dix années d'avance sur nous en termes de réformes.

Il faut enfin -et c'est la mission que le Président de la République s'est assignée en prenant la présidence du G 20- repenser la gouvernance mondiale, renforcer la régulation financière, lutter contre la volatilité des matières premières et des taux de change, ordonner les distorsions monétaires. (M. Yannick Bodin s'exclame) Vaste ambition, diront les plus sceptiques. Mais ne disaient-ils pas déjà la même chose lorsque Nicolas Sarkozy réveilla le G 20 en pleine tourmente financière ? (Exclamations à gauche ; applaudissements à droite)

La France va se battre pour convaincre ses partenaires qu'un monde mieux équilibré et mieux régulé est nécessaire. Elle sera fidèle à son message universaliste.

M. Bernard Piras.  - Vous n'y croyez pas !

M. Alain Juppé, ministre d'État.  - C'est ce message qu'avec Michèle Alliot-Marie et Alain Juppé, nous assumons par la diplomatie, mais aussi par la force des armes quand cela est nécessaire. En Afghanistan, nous poursuivrons notre stratégie de sécurisation, de reconstruction et de responsabilisation des autorités afghanes. La lutte contre la prolifération nucléaire nous conduira à maintenir la pression sur l'Iran. Le renouvellement de la stratégie de l'Otan, décidé au sommet de Lisbonne, doit être l'occasion de poser enfin les fondations d'un système de sécurité collective, de l'Atlantique à l'Oural. Le sort de nos otages nous mobilise inlassablement. Au terrorisme, nous opposons une vigilance permanente et la force de caractère de la République.

Tous ces objectifs, tous ces défis exigent cohérence et courage politiques. Depuis longtemps, je crois à la nécessité de la continuité pour adapter notre pays en profondeur, sans à-coup, sans psychodrame. Je crois à la durée, à la sérénité républicaine. Les allers-retours fragilisent l'action publique, nourrissent la suspicion des Français à l'égard de leurs représentants. Les zigzags éreintent la démocratie et fragilisent la démocratie sociale.

En tenant bon sur la réforme des retraites, nous avons réaffirmé l'autorité de l'État et la légitimité du Parlement. Ce faisant, nous avons clarifié les conditions d'un dialogue social responsable. (Exclamations à gauche)

M. René-Pierre Signé.  - Vous avez fait le contraire !

M. Alain Juppé, ministre d'État.  - Après le temps des désaccords, le temps du dialogue pragmatique est revenu. La loi du 20 août 2008, relative à la rénovation du cadre de représentativité, amorce un changement du paysage syndical. Ce sera la clé d'un nouveau réformisme social que je suis prêt, avec Xavier Bertrand, à soutenir de toutes mes forces. La prochaine étape devra être la révision des règles de la représentativité patronale.

M. René-Pierre Signé.  - La prochaine étape, c'est la porte !

M. Alain Juppé, ministre d'État.  - Nous aurons ainsi conforté la légitimité de l'ensemble des partenaires sociaux.

Notre première priorité, c'est la croissance au service de l'emploi. Quelles en sont les conditions ? D'abord, il faut renforcer notre compétitivité. Nous avons un socle pour cela. Nous avons, avec Valérie Pécresse, donné aux universités le pouvoir de se battre à armes égales dans la bataille de l'intelligence ; avec Christine Lagarde, nous avons supprimé la taxe professionnelle et triplé le crédit impôt recherche ; avec Bruno Le Maire, nous avons protégé l'avenir de la politique agricole commune et posé les bases d'une politique de filières ; nous avons restauré les conditions d'une politique industrielle que nous avions trop longtemps délaissée : transport, aéronautique, construction automobile, agroalimentaire, énergie nucléaire, nous misons sur les atouts de la France.

En dédiant 35 milliards d'euros aux investissements d'avenir, nous allons renforcer nos secteurs stratégiques. Dans les prochains mois, plus d'une centaine de projets seront sélectionnés ; 19 milliards seront affectés à l'enseignement supérieur et la recherche, 6,5 milliards aux filières industrielles et aux PME, 5 milliards au développement durable, 4,5 milliards à l'économie numérique.

D'un côté, ces investissements massifs pour aller chercher la croissance sur ses segments les plus porteurs ; de l'autre, la rigueur budgétaire pour réduire nos déficits, c'est là l'équilibre de notre politique économique. Nous ne devons pas nous payer de mots. Il n'y aura plus de dépenses publiques supplémentaires pour relancer la croissance.

M. René-Pierre Signé.  - Elle est belle !

M. Alain Juppé, ministre d'État.  - En revanche, nous avons le devoir d'offrir à nos entreprises des financements de long terme pour soutenir leur développement. Nous devons orienter l'épargne sur l'investissement de long terme, notamment en actions, et sur les projets d'intérêt général. Plutôt que d'alimenter des bulles spéculatives, c'est là que l'ingénierie financière doit s'employer au soutien de l'économie réelle et de l'emploi.

M. Jean-Pierre Chevènement.  - Comment ?

M. Alain Juppé, ministre d'État.  - Au sein de l'Union européenne, la France proposera la création d'un fonds européen de capital-risque en faveur des entreprises innovantes, ainsi qu'un fonds européen des brevets pour valoriser les résultats de la recherche. (Applaudissements à droite)

Le développement durable constitue, lui aussi, un instrument de notre croissance. Les engagements du Grenelle de l'environnement seront respectés.

M. Alain Juppé, ministre d'État.  - L'écologie créatrice et non punitive est une source d'emplois, elle est le vecteur des technologies de demain, elle est la marque d'une société qui sait valoriser ses ressources et ne gâche pas son patrimoine, et ce faisant, elle est un gage supplémentaire de notre attractivité. C'est ce message de responsabilité que Nathalie Kosciusko-Morizet portera lors des négociations de Cancun.

Comment renforcer notre compétitivité sans parler de notre fiscalité ? Elle est un chef d'oeuvre de complexité. Au point d'en affecter l'efficacité, et même l'équité. Notre taux de prélèvements obligatoires est de quatre points supérieur à la moyenne européenne.

M. Jacques Mahéas.  - Ce n'est pas vrai !

M. Alain Juppé, ministre d'État.  - Et la fiscalité directe sur les entreprises est en moyenne supérieure de cinq points à ce qu'elle est chez nos voisins européens.

Au vu de ce constat, mon premier engagement, c'est qu'il n'y aura pas de hausse d'impôt. Et ma conviction, c'est que le statu quo n'est pas possible ! (Mme Nicole Borvo Cohen-Seat s'exclame) Nous avons déjà fait beaucoup, avec le crédit impôt recherche et la réforme de la taxe professionnelle. Nous devons continuer à agir, en nous tenant à trois principes : la fiscalité doit servir notre compétitivité ; la fiscalité doit rechercher la justice ; la fiscalité doit être lisible, et donc aussi simple que possible.

Avec le boulier fiscal, nous avons cherché à limiter les effets d'une fiscalité inadaptée, mais sans traiter le mal à la racine. Le Président de la République propose de s'y atteler, à travers une refonte de la fiscalité du patrimoine.

M. Jean-Claude Carle.  - Très bien !

M. Alain Juppé, ministre d'État.  - Cette réforme doit se faire à produit constant et dans le respect d'un principe cardinal de notre fiscalité depuis 1789 : que chacun contribue à proportion de ses capacités car l'impôt, pour être légitime, doit être juste. (Exclamations ironiques à gauche)

Nous apporterons une réponse avant l'été 2011. Nous le ferons à partir d'une réflexion d'ensemble avec nos voisins allemands. La Cour des comptes et l'Académie fédérale des finances allemande nous remettront un diagnostic comparé en janvier 2011. Ce sera la base d'un travail législatif mené sans a priori.

La gestion rigoureuse de la dépense publique, c'est la seconde condition de la croissance. Notre effort de redressement est tracé par notre programme de stabilité et par la loi de programmation des finances publiques, votée par le Parlement. Alors que le déficit atteint 7,7 % du PIB en 2010, nous reviendrons à 6 % en 2011, 4,6 % en 2012, 3 % en 2013 et 2 % en 2014.

M. Jean-Louis Carrère.  - Ce n'est pas gagné !

M. Alain Juppé, ministre d'État.  - Cette trajectoire vertueuse exige une mobilisation sans faille de l'État, des régimes sociaux et des collectivités territoriales. Dans ces conditions, la dette publique sera stabilisée à partir de 2012 et commencera à décroître ensuite.

Pour ce qui concerne l'État, j'ai arrêté un budget pluriannuel 2011-2013, qui repose sur la stabilisation en euros courants des dépenses hors dette et hors pensions sur toute la période ; cette norme s'applique aussi aux transferts de l'État vers les collectivités territoriales, qui sont gelés en valeur. Sur les effectifs, nous poursuivrons, avec François Baroin et Georges Tron, la politique de non-remplacement d'un départ à la retraite sur deux, initié dès le début du quinquennat  : chaque année, les effectifs de l'État diminuent ainsi de plus de 30 000.

M. Jacques Mahéas.  - C'est scandaleux !

M. Alain Juppé, ministre d'État.  - Notre administration est la plus importante d'Europe. Nous pouvons, avec elle, gagner en qualité et en productivité. (Applaudissements à droite)

Au lendemain de l'ouverture du congrès des maires, je veux dire mon attachement à un dialogue constructif avec tous les élus.

M. Didier Guillaume.  - Il y a du travail !

M. Alain Juppé, ministre d'État.  - La France des territoires, de métropole et d'outre-mer, la France des espaces ruraux façonne notre nation. Je mesure les efforts que le Gouvernement demande aux élus locaux de partager. Je veux poursuivre avec eux un dialogue approfondi dans le cadre de la conférence des exécutifs. Il n'y a pas d'un côté Paris et de l'autre les territoires. Il n'y a qu'une France, qui vit à tous les niveaux l'exigence de l'effort et de l'efficacité au service des Français.

M. Didier Guillaume.  - Vous êtes sourd !

M. Alain Juppé, ministre d'État.  - Nous souhaitons inscrire dans notre Constitution des principes garantissant la maîtrise des finances publiques. Le Gouvernement saisira prochainement les groupes politiques d'un document d'orientation afin de voir si un consensus peut être atteint sur cette question.

M. Jacques Mahéas.  - Commencez par les finances de l'État !

M. Alain Juppé, ministre d'État.  - Tous ces efforts sont concentrés autour d'un choix politique que nous assumons : le choix de la vertu budgétaire, au nom de notre indépendance, au nom des solidarités de demain, au nom des familles qui s'agrandissent, au nom de l'avenir que nous écrivons maintenant.

On a beaucoup parlé de la jeunesse ces derniers mois, de sa peur de l'avenir. Dissiper cette peur, c'est d'abord alléger le fardeau de la dette qui pèse au-dessus de chaque berceau. C'est aussi, avec Luc Chatel et Frédéric Mitterrand, rappeler que la République ne baisse pas ses prétentions en matière d'éducation, de formation, de culture. La réforme du lycée, le soutien personnalisé, le socle commun et le respect des enseignants sont, pour nous, au coeur de l'égalité des chances. Dans un monde qui change à toute allure, il est vrai que la jeunesse peut se sentir désemparée, comme isolée au sein de sa génération. Nous lui disons que ce malaise n'est pas le résultat des changements que nous avons initiés mais de l'immobilisme au sein duquel nous avons longtemps baigné !

M. Gérard Longuet.  - C'est vrai !

M. Alain Juppé, ministre d'État.  - Pour dégager des perspectives nouvelles, nous avons fait le choix du mouvement, nous avons fait le choix de concentrer les efforts de la nation autour de la recherche, du travail, de la rénovation sociale, de la reconnaissance des talents. L'Histoire dira si nous avons réussi. Mais qui pourrait aujourd'hui nous lancer la pierre en disant : « Ils n'ont rien fait !» ? (Applaudissements à droite)

M. Didier Guillaume.  - C'est vous qui n'avez rien fait !

Mme Nicole Borvo Cohen-Seat.  - Scandaleux !

M. Jacques Mahéas.  - Malhonnête !

M. Alain Juppé, ministre d'État.  - Ceux qui ont pris la responsabilité d'entraîner des lycéens dans la rue pour défendre la retraite à 60 ans se rendent-ils compte de l'image dépressive qu'ils inculquent à des jeunes qui ont le devoir de saisir pleinement la vie ? (Vives protestations à gauche ; applaudissements à droite)

Si la jeunesse est désenchantée, comme le prétendent les observateurs, à qui la faute, si ce n'est à nous, adultes, qui, depuis des décennies, peignons la France sous les visages de l'échec, de la honte de nous-mêmes, du catastrophisme, alors que notre pays reste celui de tous les possibles pour peu que l'on croie aux valeurs de l'audace, de la curiosité, de l'engagement. (Applaudissements à droite)

Avec le Président de la République, nous n'opposons pas l'efficacité économique, la rigueur budgétaire à la cohésion sociale. Dans la crise, tous nos dispositifs de solidarité ont été mis en action et, s'il est juste de dire que les Français ont serré leur budget, il est juste de dire aussi que nous les avons protégés du mieux possible.

M. Jean-Marc Todeschini.  - Il reste beaucoup à faire !

M. Alain Juppé, ministre d'État.  - Nos amortisseurs ont joué leur rôle, et la plupart de nos voisins n'ont pas eu le même privilège. Même au plus fort de la crise, le pouvoir d'achat a progressé : de 1,6 % en 2009 et de 1,3 % en 2010.

M. Jean-Marc Todeschini.  - Les riches vont mieux ; ça, c'est vrai !

M. Alain Juppé, ministre d'État.  - Du côté des prix, avec la loi de modernisation de l'économie, nous avons divisé par trois les marges arrière. La hausse des prix dans la grande distribution a été conjurée : ils sont désormais en baisse.

Chacun sait que pour les familles, et notamment les classes moyennes, le logement constitue la première des dépenses.

M. Charles Revet.  - C'est vrai.

M. Alain Juppé, ministre d'État.  - Depuis vingt ans, la contraction du marché de l'immobilier a fait bondir les prix. Il faut continuer de construire, de développer l'offre, de renforcer la transparence de ce marché. Avec 120 000 logements sociaux en 2009, jamais un gouvernement n'a autant fait. (Exclamations à gauche) Jamais non plus, nous n'avons autant fait pour l'accession à la propriété qu'avec le prêt à taux zéro renforcé qui sera mis en place au 1er janvier. (M. René-Pierre Signé s'exclame)

Nous allons renforcer notre politique de la ville, repenser et resocialiser les quartiers difficiles (exclamations à gauche) avec l'appui du monde associatif, tisser les liens du Grand Paris, poursuivre nos efforts sur l'hébergement d'urgence et l'accès au logement.

M. Jean-Marc Todeschini.  - Des promesses !

M. Didier Guillaume.  - Qu'avez-vous fait jusqu'ici ?

M. Alain Juppé, ministre d'État.  - Maurice Leroy, Benoist Apparu, Philippe Richert ont pour mission de prolonger le plan de rénovation urbaine en ciblant les opérations les plus urgentes et en assumant des choix clairs à l'opposé de la tentation du saupoudrage.

Comment aussi ne pas voir que nos réglementations pèsent par leur complexité même ? C'est vrai en matière d'urbanisme. La sédimentation bureaucratique des textes et des procédures gagne si l'on n'y prend garde.

M. Charles Revet.  - C'est vrai.

M. Alain Juppé, ministre d'État.  - Reprenons ensemble les chantiers de la simplification du droit et des procédures. Allégeons les impôts papier et les normes excessives ! Évaluons, revisitons notre droit pour que la loi soit mieux comprise, mieux appliquée et reflète toujours ce qu'elle doit être, l'expression de la volonté générale.

Mme Nicole Borvo Cohen-Seat.  - Ça dépend laquelle !

M. Alain Juppé, ministre d'État.  - Au coeur de la cohésion sociale, il y a l'emploi. Pendant la crise, nous avons mis en oeuvre, avec les partenaires sociaux, des mesures exceptionnelles et massives. Cette politique a porté ses fruits.

Notre économie recommence à créer des emplois depuis le début de l'année. Nous devons aujourd'hui relancer nos politiques de l'emploi et progresser dans la voie de la flexsécurité. (Mme Nicole Borvo Cohen-Seat s'exclame) Il nous revient d'en fixer les objectifs, le calendrier et la méthode mais c'est aux partenaires sociaux d'en proposer et d'en définir les modalités et les outils.

Quels sont ces objectifs ? D'abord, garantir une meilleure insertion professionnelle pour les jeunes. Nous ne pouvons accepter un taux de chômage des jeunes à 23 %. Leur parcours pour une insertion durable dans l'emploi doit être moins discontinu, plus rapide. Parmi les solutions efficaces, nous savons tous qu'il y a l'apprentissage et l'alternance qui assurent une insertion dans l'emploi à plus de 70 %. Actuellement, 600 000 jeunes sont en alternance. Nous voulons doubler ce chiffre et, pour ce faire, nous voulons un dialogue constructif avec les régions.

Il faut ensuite assurer une meilleure protection contre les ruptures des parcours, notamment en cas de licenciement économique. Avec le contrat de transition professionnelle, nous disposons d'un outil efficace de reconversion et d'accompagnement vers l'emploi. Par une harmonisation entre la convention de reclassement personnalisé et ce contrat de transition professionnelle, nous voulons aller vers la généralisation de cet outil.

Enfin, le Gouvernement sera très vigilant sur la mise en oeuvre des accords d'entreprise ou de branche ou des plans d'action en direction des seniors. Il est prêt à accompagner les initiatives que prendront les partenaires sociaux. Ceux-ci ont d'ores et déjà indiqué leur intention d'ouvrir le chantier de l'emploi des jeunes et des seniors. Ils doivent également négocier une nouvelle convention d'assurance chômage. Je leur fais confiance pour proposer de nouveaux outils : la balle est dans leur camp. Début 2011, nous pourrons ensemble fixer le contenu de ce que sera l'agenda social des prochains mois.

Avec l'emploi, la sauvegarde et la modernisation de notre système de protection sociale s'imposent à nous. Nous avons commencé avec la réforme des retraites.

M. René-Pierre Signé.  - Belle réussite !

M. Alain Juppé, ministre d'État.  - Avec Xavier Bertrand et Roselyne Bachelot, nous allons poursuivre. Nous ne devons pas laisser dériver les comptes de l'assurance maladie par démagogie. (Exclamations à gauche) Notre responsabilité collective ne peut pas être esquivée.

Ici aussi, le rôle des partenaires sociaux et des professionnels de santé est essentiel. Nous lancerons une concertation nationale sur la protection sociale qui associera tous les acteurs : partenaires sociaux, professionnels de santé, mutuelles, assurances, collectivités territoriales, au premier rang d'entre elles les conseils généraux. Cette concertation devra examiner les voies et moyens de réguler les dépenses de santé, de fixer la part des régimes obligatoires et complémentaires, de diversifier les modes de financement. Cette concertation nationale aura évidemment pour but immédiat de traiter de la question de la dépendance.

M. Bruno Sido.  - Très bien !

M. Alain Juppé, ministre d'État.  - Son coût est estimé à 22 milliards d'euros et il devrait atteindre les 30 milliards dans les prochaines années. Le nombre des plus de 75 ans devrait doubler au cours des prochaines décennies.

Il s'agira, en premier lieu, de déterminer les besoins réels des personnes et d'examiner comment assurer le maintien à domicile des personnes âgées le plus longtemps possible. Il faudra ensuite sérier les pistes de financement : assurance obligatoire ou facultative, collective ou individuelle ? La concertation répondra à ces questions, sans a priori ni préjugé.

La dépendance est un sujet majeur, incontournable. Il a fallu plusieurs années de débats et de rapports pour que la question des retraites arrive à maturité dans l'opinion. Avec le Président de la République, nous voulons préparer le défi de la dépendance avant que l'urgence ne s'abatte sur nous.

La force de notre nation ne réside pas seulement dans la résolution de ceux qui la dirigent. Elle naît et s'épanouit dans le coeur de chacun. Inscrire sa destinée dans un destin commun, donner à son pays autant que l'on reçoit de lui, transmettre à nos enfants un peu plus que ce que nos parents nous ont légué, intégrer et assimiler les étrangers qui rejoignent la communauté nationale, c'est là l'esprit du pacte républicain.

Ce pacte est fragile et partout où l'État démissionne, l'incivisme et le désordre gagnent. Notre volonté de rehausser les valeurs qui fondent la nation française reste intacte. Notre volonté d'endiguer l'immigration clandestine ne faillira pas. Notre volonté de combattre l'insécurité n'est pas de circonstance car ce n'est pas le combat d'un jour, et ce ne peut pas être un combat politicien.

La réponse policière et pénale doit s'adapter à des phénomènes alliant criminalité organisée, délinquance urbaine, trafics d'armes et de stupéfiants. Contre ces fléaux, l'efficacité de notre lutte dépend des forces de l'ordre, dont je veux saluer le travail ; elle dépend des élus de terrain, les maires qui sont en première ligne ; elle dépend aussi de la capacité de la chaîne pénale à rendre effectif le principe d'exemplarité des peines sans lequel la récidive est quasiment assurée.

Le Président de la République a annoncé une série de mesures qui sont inscrites dans la loi d'orientation et de programmation pour la sécurité intérieure, portée par Brice Hortefeux. De Grenoble à Marseille, la démonstration est faite qu'aucun relâchement, aucune complaisance ne sont possibles. Le défi est policier, judiciaire, éducatif, familial, mais aussi moral. C'est toute une chaîne de responsabilité, de civisme, de respect mutuel qu'il faut retendre !

Le parti socialiste se targue d'avoir fait sa mue sur les questions de sécurité.

M. Didier Guillaume.  - Ça fait dix ans que vous êtes au pouvoir !

M. Alain Juppé, ministre d'État.  - Après vingt ans d'indécision, vingt années aux cours desquelles la gauche refusa de regarder la réalité en face, j'attends toujours qu'elle joigne ses efforts aux nôtres. (Applaudissements à droite ; protestations à gauche)

Parmi les fondements de notre État républicain, il y a la justice. Respect de la loi, force du droit, oui ; c'est à partir de là qu'existe l'État de droit et que la démocratie peut vivre dans le respect de chacun. La justice n'échappe pas aux mouvements du temps. Parmi ceux-ci, une conception toujours plus exigeante des droits de la défense qui amènera à revoir les conditions de la garde à vue.

Mme Nicole Borvo Cohen-Seat.  - Contraints et forcés !

M. Alain Juppé, ministre d'État.  - Ce texte, vous en débattrez bientôt sur la base d'un projet ambitieux qui fait de l'assistance par un avocat en garde à vue un principe, tout en ménageant les nécessités de l'enquête.

Des affaires récentes ont mis en lumière l'attention toujours vive portée par la société à la justice pénale. Rien de ce qu'elle décide ne lui est indifférent. Et plus que toute autre, les juridictions pénales exercent l'autorité publique et garantissent l'ordre public.

Le principe selon lequel, comme toute juridiction, celles-ci jugent au nom du peuple français est vécu avec une intensité particulière. Cela justifie le rôle éminent du parquet...

M. Jean-Pierre Sueur.  - Et son indépendance !

M. Alain Juppé, ministre d'État.  - ...aussi bien que la présence des jurés aux assises.

Le Président de la République nous invite à aller plus loin. Le garde des sceaux ouvrira donc un large débat pour savoir comment renforcer ce lien entre le peuple souverain et sa justice pénale.

M. Jean-Jacques Mirassou.  - Démagogie !

M. Alain Juppé, ministre d'État.  - Non pas par méfiance à l'égard des magistrats, dont le professionnalisme et la haute conscience méritent respect, mais pour que nos concitoyens se reconnaissent toujours mieux dans la justice, pour éviter une sorte de schisme insidieux qui couperait le pays légal du pays réel.

Quels délits peuvent donner lieu à des formations de jugement impliquant la participation d'assesseurs issus de la société civile ? Faut-il envisager un seuil de gravité ? Est-ce en première instance ou seulement en appel ? Ne faut-il pas aussi réfléchir au fonctionnement des assises ? Est-il nécessaire d'avoir toujours neuf jurés ou bien peut-on, dans les cas les moins graves, trouver une forme de participation populaire moins lourde ? Enfin, en matière de libération conditionnelle, lorsque le tribunal d'application des peines statue, ne devrait-il pas, dans certains cas très lourds, s'élargir à des non-magistrats ?

Bien sûr, je ne méconnais pas les problèmes matériels. Mais ceux-ci ne peuvent empêcher une réflexion de fond. A ce stade, je ne préjugerai de rien mais je demande à la représentation nationale d'aborder avec le Gouvernement le débat sans a priori.

L'esprit de justice, je le vois aussi dans la mise en oeuvre des révisions de la Constitution votées par le Parlement en 2007 et 2008. La question prioritaire de constitutionnalité est une avancée démocratique que la gauche n'a jamais osé engager en son temps. (Exclamations à gauche) La loi organique sur le Défenseur des droits, votée au Sénat en juin, sera inscrite à l'ordre du jour de votre assemblée début 2011 pour une mise en place au printemps.

M. Jean-Pierre Sueur.  - C'est la mort de la Halde !

M. Alain Juppé, ministre d'État.  - Et les deux dernières lois organiques attendues pour l'application des dispositions votées ont été transmises au Conseil d'État et seront délibérées en conseil des ministres avant la fin de l'année : il s'agit du référendum d'initiative populaire d'une part et du nouveau régime de mise en cause de la responsabilité du chef de l'État.

Depuis 2007, nous modernisons le modèle français. Notre espérance nous interdit de piétiner devant les difficultés, d'être indulgents sur nos faiblesses, d'être inutilement divisés. Je refuse toute idée d'usure ou de pause. L'usure est la maladie du découragement ; la pause, la marque des indécis.

Nous nous sommes depuis trop d'années bercés de la certitude de notre grandeur. Nous nous sommes depuis trop d'années nourris de l'illusion qu'une croissance meilleure suffirait à remettre les choses à l'endroit. Sur le rivage du monde, nous avons attendu le retour des vents favorables, en essayant de colmater les brèches les plus périlleuses.

Nicolas Sarkozy a proposé à la France d'assumer les réalités d'un monde qui peut nous déplaire mais qui est le nôtre. Il a proposé de reconstruire notre communauté nationale autour du travail. Il a proposé de donner la priorité à nos forces universitaires et scientifiques, aux entrepreneurs.

Je suis persuadé que cette voie est la bonne. C'est la seule qui s'inscrive dans la fidélité de notre héritage. Les Français savent très bien à quel travail opiniâtre ils doivent le modèle social qui les protège, la culture qui les relie, les paysages qu'ils aiment, la République qu'ils chérissent. Ils savent ce qu'ils doivent aux générations passées, elles qui se sont battues pour la liberté et le progrès.

M. Didier Guillaume.  - C'est du Chateaubriand !

M. Jean-Pierre Sueur.  - Du pauvre !

M. Alain Juppé, ministre d'État.  - Nous sommes les héritiers de rêves acharnés. Je suis persuadé que ce rêve est vivant ! Les temps changent, les générations passent mais, dans ce Palais du Luxembourg, une voix persiste : celle de l'unité de la nation. D'une nation qui s'est progressivement organisée autour de territoires, d'une langue, d'un État, pour devenir ce qu'est la France d'aujourd'hui : un point ardent dans la géographie du monde.

Renoncer, douter serait se parjurer devant l'Histoire. Ce serait laisser le terrain libre à tous ceux qui avancent des idées fausses et des fausses pistes, ces mirages désastreux que sont le partage du travail, la retraite le plus tôt possible, l'endettement sans fin, la diabolisation du capital, le protectionnisme. (Applaudissements à droite) Cesser d'avancer, ce serait oublier ce que nous avons fait et ce qu'il nous reste à faire.

Notre marche n'est pas finie. Nous devons pouvoir regarder nos concitoyens dans les yeux car nous avons été fidèles à notre projet ! Nous devons les convaincre que le courage des réformes est plus protecteur que la quiétude de l'inaction ! Nous devons être plus crédibles que nos détracteurs et cela exige droiture, solidité et unité ! (Mmes et MM. les sénateurs, à droite et sur plusieurs bancs au centre, se lèvent et applaudissent longuement)

M. le président.  - Acte est donné de la déclaration dont il vient d'être donné lecture au Sénat. Le texte de cette déclaration sera publié.

présidence de M. Bernard Frimat,vice-président

La séance, suspendue à 15 heures 40, reprend à 15 heures 45.