Modernisation des professions judiciaires et juridiques

Exécution des décisions de justice (Deuxième lecture)

M. le président.  - L'ordre du jour appelle la discussion du projet de loi, adopté par l'Assemblée nationale, de modernisation des professions judiciaires et juridiques réglementées, ainsi que la deuxième lecture de la proposition de loi, modifiée par l'Assemblée nationale, relative à l'exécution de justice, aux conditions d'exercice de certaines professions réglementées et aux experts judiciaires.

La Conférence des Présidents a décidé que les deux textes feraient l'objet d'une discussion générale commune.

Discussion générale commune

M. Michel Mercier, garde des sceaux, ministre de la justice et des libertés.  - Il est indispensable d'adapter les professions du droit : tel est le constat à l'origine des dispositions soumises à votre examen. Elles ouvrent de nouvelles perspectives aux professionnels, tout en protégeant mieux nos concitoyens.

Une concertation approfondie a eu lieu, qui a permis d'aboutir à une solution équilibrée.

Il s'agit d'abord de moderniser ces professions.

Première innovation, la rédaction d'actes contresignés par des avocats apporte une protection accrue aux actes sous seing privés, puisque l'avocat engage sa responsabilité.

J'insiste sur un point : cet acte n'est pas -et ne deviendra pas- un acte authentique. Le rôle des notaires en matière immobilière est donc maintenu.

La confiance des citoyens dans la justice passe par le haut niveau des professionnels soumis à une exigence de formation continue. D'autre part, le rapprochement des professions doit renforcer leur compétitivité, dans le respect de toutes les spécificités. D'où l'interprofessionnalité capitalistique qui facilitera leur travail en commun. Votre commission a la bonne idée d'élargir aux experts comptables.

J'en viens à l'exécution de justice. Rendre aussi la justice plus efficace est un enjeu majeur.

La création d'une procédure participative contribuera au règlement amiable des conflits ; le juge n'intervient qu'en cas de difficultés persistantes -le divorce nécessitant toujours l'intervention d'un juge.

Toutes ces dispositions, élaborées en concertation, sont présentées dans un souci d'efficacité au service du justiciable. (Applaudissements sur les bancs UMP et au centre)

M. Laurent Béteille, rapporteur de la commission des lois.  - Depuis le dépôt de ma proposition de loi, il aura fallu 26 mois pour aboutir à la seconde lecture. Gageons que la durée sera source de qualité. (Sourires) L'Assemblée nationale a mis quinze mois pour examiner ce texte. Que l'on ne vienne plus nous parler de train de sénateur... (On s'amuse)

La bonne exécution des décisions de justice est indispensable. Elle fait partie, pour la Cour européenne des droits de l'homme, des conditions d'un procès équitable.

En première lecture, M. Zocchetto a fait enrichir ce texte de plusieurs dispositions, avant les ajouts positifs introduits par l'Assemblée nationale. Ainsi les constats d'huissiers existent. On ne peut les assimiler à de simples renseignements.

L'homologation judiciaire est confirmée en matière de divorce.

Merci, monsieur le rapporteur, de proposer le vote conforme pour une application rapide.

J'en viens au projet de loi reprenant certaines recommandations de la commission Darrois.

Sans revenir sur l'architecture de ce texte, je rappelle ses deux orientations principales. D'abord la création de structures capitalistiques permettant aux professionnels de mieux affronter la concurrence étrangère, sans bousculer nos habitudes.

Ainsi, profession de droit et du chiffre pourront offrir des services au sein d'une même structure.

Ensuite l'acte contresigné par un avocat aura une force probante accrue entre les parties, sans être pour autant un acte authentique.

La commission a adopté 24 amendements du rapporteur et deux présentés par M. Gélard.

Tout d'abord, la possibilité de multipostulation à Bordeaux et à Libourne, qui répond à la logique de la nouvelle carte judiciaire.

D'autre part, un avocat pourra être le mandataire d'un sportif, d'un entraîneur ou d'un club.

La commission a aussi voulu imposer une vérification des mentions de spécialisation affichées par les avocats.

Les huissiers de justice ne seront plus soumis aux règlements départementaux, puisque le règlement national existe. Les membres de la chambre nationale seront élus par toute la profession.

Les huissiers de justice salariés pourront obtenir un prêt pour l'acquisition d'une étude.

En matière de créances, la commission souhaite la création d'un portail national.

La commission a confirmé la compétence immobilière des notaires, qui devront obligatoirement exercer en France.

Avocats et conseils en propriété industrielle (CPI) : nous reparlerons de ce sujet, car la fusion des deux professions a été refusée par l'Assemblée nationale. Un CPI disposant du Capa pourra exercer les deux professions, afin de rendre notre pays attractif pour le contentieux de la propriété industrielle. Certains cabinets d'avocats se sont élevés contre cette disposition, mais faut-il faire prévaloir quelques intérêts à court terme contre l'avenir de la France ! (Applaudissements sur les bancs UMP)

M. François Zocchetto, rapporteur de la commission des lois.  - A quatre exceptions près, l'Assemblée nationale a validé les dispositions adoptées par le Sénat.

Malgré ces différences, l'adoption conforme permettrait d'accélérer la mise en oeuvre du texte.

L'Assemblée nationale a donc rétabli la rédaction initiale de l'article 2, supprimé en séance publique à l'initiative de M. Mézard. Cette disposition renforce la valeur probante des constats d'huissiers, avec toutes les garanties nécessaires.

La faculté plus large donnée aux huissiers d'accéder aux parties communes pour signifier ou exécuter un jugement ne me semble pas contestable.

J'estime pertinente la possibilité pour l'huissier d'obtenir des informations sur la situation patrimoniale des débiteurs.

À ce propos, je ne souhaite pas que les organismes sociaux ne puissent plus accéder directement à ces informations : ce serait un retour en arrière. Nous voulons voter ce texte conforme mais il ne faudrait pas que l'on aboutisse à ce résultat.

Que souhaite faire le Gouvernement ? Un amendement dans un prochain texte ?

Le Sénat avait exclu de la procédure participative tout ce qui tient à l'état des personnes, dont le divorce. L'Assemblée nationale a souhaité retenir cette procédure en matière de divorce : les modalités me semblent acceptables.

À propos de la fusion des professions d'avocat et de CPI, je souscris aux propositions de M. Béteille, rapporteur de la commission, sur ce point.

Je propose l'adoption conforme. (Applaudissements sur les bancs UMP)

M. Jean-Pierre Michel.  - Ces textes ? Un inventaire à la Prévert, partiellement inspiré des rapports Durrois et Guinchard, pour ne pas dire de façon partisane. (M. Jean-Jacques Hyest, président de la commission des lois, se récrie)

Tout va donc bien en matière de formation ! Il n'y a rien sur l'aide juridictionnelle !

Ces textes, loin d'améliorer le service rendu aux justiciables, servent les intérêts de professions qui ont mené une lutte fratricide et ont fait jouer leur lobbies auprès du Gouvernement, voire du Président de la République, puis de tel ou tel parlementaire.

M. Jean-Jacques Hyest, président de la commission des lois.  - Oh !

M. Jean-Pierre Michel.  - Que reste-t-il ? La privatisation de la justice.

Quel est l'intérêt de l'acte contresigné par un avocat ? Je le conçois pour les contrats simples, car les textes disponibles sur internet par exemple sont souvent mauvais, mais l'acte sera-t-il gratuit ?

M. François Zocchetto, rapporteur.  - Oui !

M. Jean-Jacques Hyest, président de la commission des lois.  - La signature sera gratuite.

M. Jean-Pierre Michel.  - En contrepartie, les notaires ont obtenu que seuls les actes authentiques donneraient lieu à publication.

M. Jean-Jacques Hyest, président de la commission des lois.  - C'est déjà le cas.

M. Jean-Pierre Michel.  - Les notaires seront sans doute très satisfaits par leur nouveau rôle dans le Pacs, eux qui voulaient initialement le faire signer dans leur étude : dix ans après, on leur cède.

Hélas, M. Yung est absent pour assister à son triomphe : les professions d'avocat et de CPI ne fusionneront pas !

Enfin, la multipostulation ouvre un vrai mercato. Or, le vrai problème est celui de la postulation.

M. Jean-Jacques Hyest, président de la commission des lois.  - Déposez un amendement, vous êtes législateur !

M. Jean-Pierre Michel.  - Une véritable refonte des professions nécessite une refonte de la formation et l'accès général au droit.

J'en viens à l'exécution des décisions de justice.

Pourquoi faut-il que le Sénat se couche ?

M. Jacques Mézard.  - C'est son habitude. (Sourires)

M. Jean-Pierre Michel.  - La procédure participative n'a aucun intérêt en matière de divorce.

La seule vraie modernisation de la justice garantirait l'universalité de son accès.

Nous nous prononcerons en fonction du sort fait à nos amendements et à ceux du RDSE. (Applaudissements à gauche)

M. Jacques Mézard.  - Le Président de la République avait chargé M. Darrois de réfléchir à la création d'une grande profession du droit. La lettre de mission mentionnait les mutations frappant la profession d'avocat et suggérait la création d'une grande profession, sans oublier l'aide juridictionnelle.

Qu'est-il advenu à cette feuille de route intéressante ? Un lamentable marchandage corporatiste entre quatre professions, sans égard pour le service public et pour le service du public.

C'est vrai : la profession d'avocat n'existe pas car elle n'assure plus la défense des citoyens. Après la fusion réussie avec les avoués en 1972, elle a subi une fusion catastrophique avec les conseillers juridiques en 1990. Refusant tout numerus clausus, elle a versé dans la paupérisation, dans la dépendance, qui n'est pas compatible avec l'exercice d'une profession ou l'indépendance est la condition d'une défense libre. (M. Jean-Jacques Hyest, président de la commission des lois, le confirme) En définitive, ce texte finit par ressembler à une « loi de simplification du droit », c'est dire ! Le corporatisme a frappé.

Puisque la justice française est sinistrée, alors qu'il est impossible d'accroître ses moyens, chaque nouveau texte prive le service public de pans entiers de sa mission. L'aide juridictionnelle est absente.

M. Michel Mercier, garde des sceaux.  - Ça va venir !

M. Jacques Mézard.  - On verra ! La réforme de la garde à vue nous fera revenir sur ce sujet. Pourquoi un grand avocat d'affaires a-t-il été chargé de se pencher sur l'aide juridictionnelle ? Il n'y connaît rien ! En lisant dans le rapport que « 1 000 euros n'y changeront rien », je reste pantois. En matière de défense, il y a bien une France d'en haut et une France d'en bas. En matière pénale, le citoyen modeste n'est pas défendu comme le serait un citoyen aisé ! Renforcer nos cabinets d'affaires face aux structures anglaises est nécessaire, mais la justice doit d'abord s'occuper du citoyen lambda.

Les notaires se délectent de la valeur exclusive de l'acte authentique, d'ailleurs sécurisante pour les consommateurs.

M. Jean-Jacques Hyest, président de la commission des lois.  - Ah !

M. Jacques Mézard.  - Ils ont obtenu un rôle accru dans le cadre du Pacs et pour le changement de régime matrimonial.

Le contreseing de l'avocat sur un acte sous seing privé est non dommageable, mais je regrette que l'avocat ne soit pas tenu de signer l'acte qu'il aura établi.

Je déplore l'extension de la procédure participative au divorce. Nous approuvons globalement les dispositions relatives aux huissiers, mais l'article 2 est une erreur. Quant aux sociétés financières de professions libérales, je souhaite la vigilance quant à l'origine des fonds.

Nous voulons supprimer l'article 21 bis car cet ajout n'est qu'une manoeuvre inacceptable. Contrairement à ce qu'écrit M. Béteille, il n'y avait eu aucune omission. Mon groupe est intervenu le 10 juin pour défendre l'amendement de suppression présenté au texte sur les réseaux consulaires. C'était la condition sine qua non pour que nous votions le texte. Quatre mois plus tard, cet accord vole en éclats. C'est inacceptable.

Pour nous, l'intérêt général est incompatible avec la défense d'intérêts corporatistes. (Applaudissements à gauche)

Mme Josiane Mathon-Poinat.  - Ce texte organise ainsi un grand marché du droit. L'exposé des motifs mentionne la concentration avec les professions concernées. Certes, vous avez obtenu l'accord du Conseil supérieur du notariat -placé sous l'autorité du garde des sceaux- mais pas celui du Syndicat des notaires ! Mieux vaut donc parler d'aménagement entre amis plutôt que de concertation.

Les deux textes examinés aujourd'hui ont en commun de vouloir laisser faire la main invisible du marché. A force d'instrumentaliser les principes républicains, vous en oubliez la substance. Pour nous, le droit n'est pas un produit commercial.

Les professionnels du droit s'inquiètent pour leur avenir. L'insuffisance des personnels de greffe pèse sur la justice. Il ne restera que neuf cours d'appel dans quelques années. C'est un vaste plan social qui touche les professions de justice. Tout cela remet en cause l'indépendance de la justice, l'individualisation des peines. Et je ne parle pas de la possible suppression du juge d'instruction.

L'Europe blâme la France pour les faibles moyens qu'elle consacre à la justice. Une justice pauvre, tout aussi pauvre que sont pour elle vos ambitions.

Faut-il que la justice devienne moins équitable pour permettre à certains d'en faire ? Derrière ce projet de loi, c'est bien ce qui se profile. Comme l'a dit Jean- Louis Gallet, conseiller à la Cour de cassation, « on peut se demander si la proximité contestable de l'acte authentique et de l'acte sous signature juridique ne traduit pas (...) un conflit de champ d'activité entre deux professions ».

La mise en concurrence ne renforce pas la sécurité juridique, au contraire. Quel besoin a-t-on d'un troisième acte au côté de l'acte authentique et de l'acte sous seing privé ? L'acte contresigné disposera d'une force probante. Selon l'article premier, l'avocat sera légalement présumé, par sa seule signature, avoir donné un conseil éclairé, alors que les notaires doivent se ménager eux-mêmes la preuve écrite du conseil qu'ils ont délivré. La mise en cause de la responsabilité de l'avocat sera rendue plus difficile. Cette privation de droit de contester ne peut pas résulter de l'intervention d'un professionnel non investi de prérogatives de puissance publique. Le pouvoir de certification se fera en dehors de toute habilitation et de tout contrôle. L'acte contresigné, c'est davantage de confusion.

Le service du juriste est devenu un produit quelconque. L'article 21 rend possible, pour les membres de sociétés de participation financières de professions libérales, de détenir des parts dans les sociétés d'exercice libéral. Peut-on imaginer que le capital d'une société ayant pour objet l'exercice de deux professions juridiques différentes, notaire et avocat, pourrait être détenu en majorité, directement ou indirectement, par des avocats ? Cela conduira à ce que ces sociétés deviennent des sous-traitants de sociétés de participation. On veut rapprocher plaideurs et officiers ministériels : comment le notaire pourra-t-il continuer à officier au nom de la République ? L'officier public qu'il est sera soumis à l'influence des grands cabinets.

Malgré les aménagements apportés par la commission, une telle procédure porte en elle le risque d'une justice binaire : les plus aisés y auront recours, les autres continueront de s'adresser au juge. On ne peut prétendre que la concurrence entre officiers publics et professions qui s'inscrivent dans l'économie de marché s'organise dans l'intérêt des citoyens. Défendant un vrai service public de la justice, nous votons contre ce texte. (Applaudissements sur les bancs CRC-SPG)

M. Yves Détraigne.  - Ces textes répondent à plusieurs objectifs et s'inspirent du rapport Darrois. Il s'agit en l'espèce de renforcer la valeur de l'acte sous seing privé dès lors qu'il est contresigné par un avocat ; l'article premier introduit ainsi un acte hybride. Le contreseing entraînera deux conséquences : l'avocat sera présumé de manière irréfragable avoir examiné l'acte s'il ne l'a rédigé lui-même, et avoir conseillé son client. Il assumera la responsabilité qui en découle.

La commission Darrois avait envisagé que les avocats pussent établir des actes authentiques comme les notaires, mais a écartée cette possibilité. Le nouvel acte sera plus sûr et accessoirement permettra aux avocats d'être sur un pied d'égalité avec leurs homologues britanniques. Mais les notaires se sont inquiétés ; l'écueil à éviter était de fragiliser l'acte authentique. Les amendements du rapporteur sur ce point sont les bienvenus.

Les députés ont introduit un article premier A qui permet aux avocats inscrits au barreau de l'un des TGI de Bordeaux ou de Libourne de postuler auprès de chacune de ces juridictions. La commission prévoit la même dérogation pour Nîmes et Alès. On peut s'interroger sur la pertinence de cette forme de multi-postulation. La suppression de la postulation est une des propositions du rapport Darrois ; si elle doit avoir lieu, elle doit être organisée. Dans le cas d'une multipostulation exceptionnelle, les barreaux doivent être d'accord.

Mme Marie-Hélène Des Esgaulx.  - C'est le cas !

M. Yves Détraigne.  - Le champ d'activité des avocats ne cesse de s'élargir. Le nombre croissant des avocats conduit à l'appauvrissement d'une partie de la profession.

M. Jean-Jacques Hyest, président de la commission des lois.  - Ils sont mal répartis, en plus.

M. Yves Détraigne.  - Un numerus clausus est-il envisageable ? Je ne sais... Nous devons y réfléchir.

Je salue la qualité des travaux de nos rapporteurs. Ces textes sont équilibrés et permettent de moderniser les professions de droit et d'améliorer l'exécution des décisions de justice.

La séance est suspendue à 19 heures 45.

présidence de Mme Monique Papon,vice-présidente

La séance reprend à 21 heures 45.