Lutte contre la prolifération des armes de destruction massive

Mme la présidente.  - L'ordre du jour appelle l'examen du projet de loi, adopté par l'Assemblée nationale, relatif à la lutte contre la prolifération des armes de destruction massive et de leurs vecteurs.

M. Gérard Longuet, ministre de la défense et des anciens combattants.  - (Applaudissements sur les bancs UMP) Messieurs les sénateurs -je suis tenté de dire mes chers collègues, mais je suis privé de ce bonheur pour quelques mois- (sourires), je salue le président de la commission et le rapporteur, qui ont travaillé sur un texte qui fait l'unanimité. Il est en effet nécessaire de mettre à jour notre législation pour combattre la prolifération des armes de destruction massive, qui est loin d'être un fantasme, comme en témoigne le Livre blanc de la défense ou l'existence du réseau Khan.

L'effondrement de l'empire soviétique a laissé place à de nouvelles formes de transactions préoccupantes, organisées par des réseaux clandestins privés.

Le Conseil de sécurité des Nations unies a réagi, pour que soit prise en compte la prolifération des armes nucléaires biologiques, chimiques et leurs vecteurs.

En 2004, les résolutions 1540 et 1810 du Conseil de sécurité de l'ONU ont fait obligation aux États membres d'améliorer leurs outils juridiques contre la prolifération des armes nucléaires, bactériologiques et chimiques, ainsi que des matériels connexes.

En 2009, la résolution 1887 visait à prévenir l'accès de terroristes à des matières nucléaires.

Le Premier ministre a commandé un diagnostic, en 2006, qui a mis en évidence les carences de notre arsenal juridique. Ce texte vise à rendre notre législation plus cohérente, plus efficace et plus dissuasive.

Harmoniser les dispositions existantes, alourdir les infractions liées au transport de vecteurs d'armes, favoriser le démantèlement des réseaux, lutter contre le financement, renforcer les moyens procéduraux sur le modèle des règles applicables au terrorisme, avec la centralisation des poursuites au tribunal de grande instance de Paris, tels sont les objectifs de ce texte.

Je remercie votre commission d'avoir adopté ce texte à l'unanimité.

J'en arrive à ma péroraison. (Sourires)

Notre pays est déjà partie au TNP et s'est engagé de manière déterminée pour renforcer la stratégie de l'Union européenne. L'adoption de ce texte achèvera le travail lancé dans le cadre du G8 et montrera notre détermination à entraîner les grandes nations à lutter plus énergiquement contre la dissémination.

Ce texte tient compte de la réalité et de la modernité ; je vous remercie d'avance d'adopter l'attitude de rassemblement que votre commission a exprimée en votant ce projet de loi à l'unanimité. (Applaudissements sur les bancs UMP)

M. Jean-Pierre Raffarin.  - Excellent départ !

M. André Dulait, rapporteur de la commission des affaires étrangères.  - Permettez-moi de vous féliciter pour vos nouvelles fonctions.

Dans sa résolution 1540 du 28 août 2004, le Conseil de sécurité des Nations unies a clairement désigné la prolifération des armes de destruction massive comme une menace pour la sérénité internationale. Elle est un facteur de déstabilisation en Asie et au Moyen-Orient. Aujourd'hui, 33 États n'ont pas ratifié la Convention de 1972, sept ne sont pas partie à la Convention de 1993 et trois ne sont pas signataires du TNP, dont la Corée du Nord s'est retirée en 2003.

Le contrôle de l'AIEA se heurte en outre à des limites juridiques, politiques et techniques, comme on l'a vu en Iran. Depuis quinze ans, le rôle des acteurs non étatiques devient, avec la mondialisation, préoccupant, en témoigne le réseau Khan. Renforcer la lutte est indispensable. La résolution 1540 prévoit un véritable plan de lutte, demandant aux États de se doter d'un arsenal répressif et de contrôles à la production et à l'exportation. Elle a créé un comité de suivi chargé d'analyser les mesures prises par les États membres. Notre arsenal juridique résulte d'une sédimentation : il convient de compléter et de renforcer les dispositions existantes.

Ce texte harmonise les sanctions dans les domaines nucléaire, chimique et biologique, il comble des lacunes comme sur la sanction du financement, il prend en compte l'action en bandes organisées, il distingue les vecteurs des autres matériels de guerre pour instaurer des sanctions spécifiques ; il instaure une surveillance sur les technologies à double usage, crée des règles spécifiques de procédure pénale, avec la centralisation des poursuites au tribunal de grande instance de Paris. Si les affaires impliquant des armes de destruction massive sont rares, il n'en demeure pas moins nécessaire de disposer d'un arsenal ad hoc. L'adoption de ce texte nous mettra en conformité avec nos engagements internationaux et contribuera à promouvoir de meilleures pratiques. L'Union européenne a adopté une réglementation sur les biens à double usage. L'Europe concentre les technologies : une approche coordonnée est indispensable.

La fabrication de bombes radiologiques, dites « bombes sales » n'est pas prise en compte par ce texte.

L'AIEA a adopté un code de conduite en 2003 sur la sûreté et la sécurité des sources radioactives. La mise en place d'un dispositif de contrôle est nécessaire. Des travaux interministériels ont été engagés : ils doivent aboutir, monsieur le ministre.

La commission a adopté ce texte à l'unanimité : je vous propose d'approuver ce projet de loi. (Applaudissements sur plusieurs bancs)

M. Jean-Pierre Chevènement.  - Mes cordiales félicitations, monsieur le ministre, pour votre nomination à ce poste prestigieux. Je suis sûr que vous vous acquitterez au mieux de cette charge.

L'adoption de ce texte mettra enfin la France en conformité avec la résolution 1540. Du G8 de juin 2002 à l'initiative du Pesi de mai 2003, en passant par l'initiative lancée en 2004 par les États-Unis avec l'AIEA, par le discours de Prague du président Obama en 2009 et par le sommet de Washington en 2010, il est clairement apparu que la lutte contre la dissémination était une priorité.

Comment expliquer le retard à adopter ce texte ? Ce n'est qu'en 2006 qu'un diagnostic a été commandé par le Premier ministre. Notre législation, faite de strates successives, doit être harmonisée et renforcée en ce qui concerne la lutte contre les réseaux organisés.

L'Assemblée nationale a adopté ce texte à l'unanimité. Notre commission propose d'en faire autant ; je me bornerai à quelques observations.

Ce texte constituera un modèle pour d'autres pays, mais la plupart des pratiques se déroulent hors du territoire : une coopération renforcée est le corollaire indispensable à ce texte.

M. Roland Courteau.  - Très bien !

M. Jean-Pierre Chevènement.  - Je regrette que ce texte ne mentionne pas le problème des « bombes sales ». Où en est le projet de loi annoncé par le Gouvernement ? N'est-il pas temps de demander au SGDN des propositions sur le cyberespace ?

Il ne faut pas oublier, non plus, le comportement des États qui ne se conforment pas à leurs obligations ou n'ont pas signé les instruments internationaux.

La prolifération balistique ne dispose pas d'instruments contraignants. Quelles initiatives comptez-vous prendre en ce domaine ?

Du discours de Prague à la réalité, il y a un écart... Mieux vaudrait que le Gouvernement soit critiqué pour son activisme que pour sa mollesse.

Sous ces réserves, le groupe du RDSE votera ce projet. (Applaudissements)

Mme Michelle Demessine.  - Après avoir suivi heure par heure ce week-end de chaises musicales, (sourires) je salue l'arrivée d'un de nos collègues à des responsabilités régaliennes.

Ce texte vise, conformément à la résolution 1540, à agir contre la prolifération des armes de destruction massive. Il crée une incrimination de financement, aggrave les peines et renforce le contrôle des armes à double usage.

Mais quid de sa portée réelle ? Un seul cas est recensé, en France, en 2003, sur un trafic d'uranium enrichi. Le vrai problème est que les terroristes ne s'arrêtent pas aux frontières. On ne saurait cependant admettre que de tels trafics passent par la France.

Cependant, la principale source d'insécurité vient des États eux-mêmes. Le développement de nouvelles forces nucléaires augmente la menace internationale.

Nous faisons fausse route en nous considérant comme un bon élève. L'arrêt des essais et la limitation à 300 têtes ne nous dispensent pas de nouveaux efforts.

Lors de la conférence de révision de TNP, le discours français n'a pas varié : le marché reste de dupes. L'installation en Gironde du laser mégajoule, dont le coût est énorme, contrevient, à notre sens, au TNP.

Je réitère notre proposition d'arrêter le programme de missiles M51, héritage de la guerre froide.

Le Gouvernement reste attentiste puisqu'il refuse de soutenir la convention d'élimination des armes nucléaires.

Le sommet de l'Otan a entériné l'idée d'une défense antimissiles coûteuse, contre laquelle le président de la République ne s'est pas élevé. Où est notre conception de l'indépendance ? Où est notre crédibilité internationale ?

Reste que ce texte constitue une avancée : nous le voterons.

M. Rachel Mazuir.  - Nous nous réjouissons de ce texte, mais j'espère qu'il restera d'application virtuelle. Je souhaite que notre initiative soit suivie par les pays signataires de la résolution, mais me permets d'émettre quelques doutes quant à son efficacité.

La résolution vise à interdire aux acteurs non étatiques d'accéder aux moyens de fabriquer des armes de destruction massive.

Un peu d'histoire. Le 1er décembre 2002, l'arraisonnement d'un navire nord-coréen à destination du Yémen a fait apparaître l'impuissance des États à lutter contre la prolifération. D'où l'initiative du président George Bush qui a conduit, en 2003, à la signature des principes de la PSI. Mais la Russie et la Chine se sont abstenues. Les pays européens, en revanche, se sont engagés en 2003 à mener une stratégie commune. Quel en est, monsieur le ministre, le bilan ?

La résolution 1540 est venue ensuite. Certains s'étaient alors interrogés, et, de fait, les résultats sont modestes : j'espère que le comité de suivi sera renouvelé.

Contrairement à la résolution 1172, la résolution 1540 n'exige rien de l'Inde et du Pakistan : elle ne concerne que les acteurs non étatiques, alors que la responsabilité d'États comme la Corée du nord ou l'Iran est engagée. Elle ne résout pas, de surcroît, les insuffisances du droit international de la mer.

Nous la transposons dans notre droit interne, mais il est primordial d'agir tout à la fois en amont. Et pourquoi un tel retard de transposition ?

Reste que ce texte a le mérite de tracer une ligne directrice pour les pays tiers et renforce notre arsenal pénal. Serons-nous entendus ? Si l'on en croit les déclarations du président des États-Unis à Prague, la force dissuasive a hélas encore de beaux jours devant elle !

Le chemin à parcourir est encore long, mais en votant ce texte, nous accomplissons un pas important. (Applaudissements sur les bancs socialistes)

M. Xavier Pintat.  - Je me réjouis doublement cet après-midi : d'abord, de l'arrivée de notre collègue à ce grand ministère ; ensuite, de l'inscription rapide de ce texte à notre ordre du jour trois mois à peine après son adoption à l'Assemblée nationale.

En 2004 déjà, un rapport d'information était publié par notre commission, ce qui montre la continuité et la qualité de son travail. La lutte contre la prolifération répond à des impératifs nationaux et internationaux. Des instruments internationaux ont été créés au fil des ans, mais après 1991, la menace de prolifération sauvage est devenue un fort sujet de préoccupation.

Depuis 30 ans, des réseaux privés, clandestins, sont entrés sur la scène, en même temps que le terrorisme se développait. Les confessions du Dr Khan et les renseignements sur l'action de la Libye démontrent l'ampleur des ramifications et l'importance de la menace. C'est le motif de la résolution 1540, avec son comité de suivi dont je souhaite que l'existence soit prorogée à échéance. Les États doivent adapter leur arsenal juridique, mieux contrôler ce qui se passe sur leur territoire. Cette « transposition » est l'occasion de faire entendre la voix de la France, d'établir un standard pour les pays tiers et de combler nos lacunes juridiques liées à un dispositif segmenté, entre catégories d'armes, comme l'a souligné le Livre blanc. Ce texte introduit en outre la notion de vecteur. L'exportation sans déclaration sera poursuivie au pénal. La France sera leader dans l'Union européenne, qui manque toujours d'une politique concertée, alors que le continent européen concentre les plus hautes technologies. Le groupe UMP votera ce texte qui représente une avancée majeure en souhaitant que l'Union européenne adopte rapidement une politique mieux coordonnée ! (Applaudissements sur les bancs UMP)

M. Jacques Berthou.  - Nous transposons une résolution de 2004, à laquelle la France a pris toute sa part : mieux vaut tard que jamais...

M. Roland Courteau.  - Très bien !

M. Jacques Berthou.  - Cette résolution, face à la menace terroriste, tend à empêcher tout acteur non étatique de se procurer une arme de destruction massive. Même si le contexte a évolué depuis 2004, la transposition demeure d'actualité puisque la menace demeure. Ce texte définit très largement la prolifération et aggrave les peines : nous sommes tous favorables à ce que la France fasse preuve de détermination contre la prolifération. Cependant ce texte n'empêchera pas le terrorisme international, contre lequel seule une action internationale coordonnée, tous azimuts, permettra de sévir.

Nous voterons donc ce texte, tout en soulignant qu'il vise à répondre à une situation fort hypothétique car les terroristes utilisent des moyens beaucoup plus simples pour agir : on l'a vu le 11 septembre. Du reste, au-delà de l'action terroriste, la prolifération d'État à État est une menace bien plus sévère sur le plan nucléaire -contre laquelle seule la dissuasion est efficace. Nous voterons donc ce texte, tout en espérant que les juges n'auront pas à l'appliquer ! (Applaudissements à gauche)

Mme Dominique Voynet.  - Monsieur le ministre, nous vous avons tous félicité pour votre nomination, comme le veut la tradition, même si nous trouvons curieux de changer de ministre de la défense à tout bout de champ...

Les principes qui animent la résolution 1540 reçoivent un très large soutien, nous voterons nous aussi sa transposition.

Cependant, en serons-nous mieux protégés ? Je n'en suis pas certaine, même si vous dites que des acteurs non étatiques cherchent à acquérir des armes de destruction massive. Un seul cas a été identifié sur notre territoire. La véritable menace c'est la prolifération, du fait d'États opaques comme la Corée ou le Pakistan, ou de pays, comme le nôtre, assumant devant leur population la détention de l'arme nucléaire. Nous en avons débattu l'an dernier après la remise du rapport Chevènement : le TNP, qui est la clé de voûte de l'ordre nucléaire mondial, n'a pas empêché la prolifération, alors que c'est son objectif. Il y a des liens étroits entre nucléaire civil et militaire. Certains États sont jugés fondés à avoir l'arme nucléaire, d'autres non. La France elle-même a pris des décisions hasardeuses, voire fautives, lorsque le président de la République par exemple a proposé de vendre des Rafale à la Libye, mais aussi des centrales nucléaires, -à usage civil : certains diplomates et experts militaires en ont frémi mais heureusement, les contrats n'ont pas été signés ! Je peux encore citer le partenariat global avec la Chine pour les réacteurs nucléaires de troisième génération, l'accord de coopération avec l'Arabie saoudite, le laser mégajoule avec ses implications militaires, ou bien le ralliement français au programme de défense antimissiles, dans le cadre de l'Otan.

Sur le plan national les conclusions du récent rapport Bataille/Biraux sur la gestion des déchets nucléaires et les récentes anomalies constatées dans les centrales EDF ne laissent pas d'interroger.

La seule façon de limiter la prolifération, c'est de limiter les arsenaux et de cesser de vendre des centrales. Pour commencer nous proposons de créer une zone exempte d'armes nucléaires au Moyen-Orient. Soyons exemplaires en cessant d'alimenter la machine infernale. Cependant, ce texte est un signal intéressant, nous le voterons.

La discussion générale est close.

M. Gérard Longuet, ministre.  - Je retrouve le Sénat comme je l'apprécie : un lieu de débat où l'on s'écoute, où l'on avertit le Gouvernement des dangers qui guettent notre pays.

Je remercie M. Chevènement, que j'ai écouté avec la plus grande attention non seulement du fait de sa compétence « historique » mais aussi pour son expertise récente sur le sujet : sept ans, c'est long pour ratifier mais c'est bien souvent le cas en matière internationale et je sais M. Chevènement moins empressé pour transposer les directives européennes... (Sourires)

MM. Mazuir et Berthou ont annoncé qu'ils voteraient ce texte : on progresse. Mmes Demessine et Voynet se sont livrées à un exercice difficile, expliquant leur opposition à la politique du Gouvernement mais leur adhésion à ce texte : je ne retiendrai que la dernière partie de leur propos.

M. Dulait a posé le problème des sources médicales. Le ministre de l'écologie finalise un texte.

Nous avons déjà enregistré des résultats, en particulier à propos des produits à double usage.

Je me félicite donc que vous adoptiez ce texte à l'unanimité.

Les articles premier à 17 sont adoptés.

L'article 18 demeure supprimé.

Les articles 19 et 20 sont adoptés.

L'ensemble du projet de loi est adopté.