Jurys populaires (Procédure accélérée)

M. le président.  - L'ordre du jour appelle l'examen du projet de loi sur la participation des citoyens au fonctionnement de la justice pénale et le jugement des mineurs. Je rappelle que le Gouvernement a engagé la procédure accélérée sur ce texte.

Discussion générale

M. Michel Mercier, garde des sceaux, ministre de la justice et des libertés.  - Ce texte marque une étape nouvelle dans la volonté du Gouvernement de définir une justice plus ouverte et plus proche de nos concitoyens, en les faisant participer aux jugements de certains délits. Il s'agit également d'améliorer le fonctionnement des cours d'assises, pour éviter la correctionnalisation des crimes. Ce texte vise enfin à parfaire le fonctionnement de la justice des mineurs.

Votre commission des lois a souscrit à ce triple objectif. Je me félicite de notre travail en bonne intelligence, qui nous a permis de parvenir à un accord complet.

La participation de la société civile à l'oeuvre de justice n'est pas chose nouvelle, tant en matière civile que pénale. Elle est héritée de la Révolution française. C'est également une pratique courante chez certains de nos voisins : Allemagne, Autriche ou Suède.

Associer les citoyens au jugement des délits les plus graves, c'est confronter les auteurs de ceux-ci au regard direct de la société et permettre aux citoyens de participer pleinement à une justice rendue en leur nom.

« Faire partie d'un jury populaire, c'est la seule façon d'expérimenter directement la démocratie. On se sent responsable » déclare un jeune juré dans un article paru ce matin dans Libération, ajoutant : « dire que c'est démago, c'est du vent ».

Les magistrats bénéficieront du regard neuf des représentants de la société civile, au service d'une justice mieux en prise avec les attentes des Français. La réforme modifiera leurs pratiques dans le sens d'une justice plus intelligible et aidera le citoyen à se réapproprier les décisions.

En correctionnelle, les citoyens assesseurs participeront dès la première instance aux formations jugeant des délits portant atteinte aux personnes mais aussi, à l'initiative de votre rapporteur, notamment à l'environnement, dès lors que la peine encourue est supérieure ou égale à cinq ans.

Je me réjouis de cet élargissement de compétences qui conforte l'économie du texte. Les citoyens assesseurs ne participeront pas au jugement des contentieux spécialisés. Les formations de jugement comprendront trois magistrats et deux citoyens assesseurs, appelés à juger ensemble, chaque voix ayant le même poids. Les garanties procédurales nécessaires sont apportées. Les citoyens assesseurs seront également présents auprès des tribunaux et chambres d'appel d'application des peines pour toute décision de modification ou d'aménagement de peine, dès lors que celle-ci est supérieure à cinq ans.

La procédure de sélection repose sur le principe du tirage au sort sur les listes préparatoires aux jurys d'assises, assorti de mécanismes propres à s'assurer de l'aptitude des jurés. La commission des lois a utilement simplifié les modalités de désignation, même si je regrette qu'elle ait écarté les mesures visant à garantir la moralité et l'impartialité des jurés retenus. La participation -environ huit jours par an- sera obligatoire et indemnisée.

Nous évaluons à 40 000 par an le nombre d'affaires concernées : 155 magistrats et 108 greffiers seront recrutés.

Sans doute la procédure s'en trouvera quelque peu allongée, mais c'est le prix de la démocratisation. Je suis favorable à la réduction du délai de présentation devant le tribunal correctionnel de un mois à huit jours en cas de comparution immédiate, proposée par M. Zocchetto et acceptée par la commission.

Par pragmatisme, nous avons retenu le principe d'une mise en oeuvre progressive. Ainsi que le permet l'article 37-1 de la Constitution, le dispositif sera expérimenté au 1er janvier 2012 dans deux cours d'appel, puis étendu au tiers du territoire en 2013. Sa généralisation est prévue en 2014.

Les magistrats devront fournir un effort de pédagogie. L'exposé oral de l'affaire par le président du tribunal doit permettre à tous les assesseurs de connaître le dossier.

Deuxième volet du texte : la simplification du fonctionnement des assises, qui ont à traiter chaque année 2 400 affaires, si bien qu'une grande majorité des affaires sont déclassés en correctionnelle, au risque d'une inégalité, selon les départements, devant la loi pénale. C'est souvent le cas du viol, disqualifié en agression sexuelle et renvoyé en correctionnelle.

Nous avons donc proposé de modifier la configuration des assises : trois magistrats et six jurés -au lieu de neuf- en première instance, trois magistrats et neuf jurés -au lieu de douze- en appel. La lecture de l'arrêt de renvoi, souvent fastidieuse, sera remplacée par un rapport du président en début d'audience.

Autre innovation : l'obligation de motiver les décisions. Le président de la cour sera tenu de produire une note synthétisant les débats. La décision du Conseil constitutionnel du 1er avril 2011 ne l'imposait pas, mais il a paru au Gouvernement utile que toutes les parties puissent connaître le raisonnement qui a conduit à la décision.

Troisième volet du texte : la justice pénale des mineurs qui -l'ordonnance du 2 février 1945 ayant déjà subi plus de trente modifications- mériterait une refonte complète. Cependant, établir un code de la justice des mineurs ne peut se concevoir que dans le cadre d'une réforme globale de la procédure pénale, qui ne peut être envisagée avant la fin de la législature.

Le Gouvernement propose cependant sans attendre plusieurs modifications, dans le plein respect des principes consacrés par le Conseil constitutionnel : priorité à l'éducatif, spécialisation des formations et des procédures, excuse de minorité.

Pour une meilleure conscience par le mineur des faits qu'il a commis, le parquet pourra le convoquer directement devant le tribunal pour enfants, par voie de convocation par un officier de police judiciaire. Pour tenir compte de la récente décision du Conseil constitutionnel, le texte prévoit, pour recourir à cette procédure, un seuil d'âge minimum, un niveau de gravité des faits, un délai maximal de deux mois pour la tenue de l'audience et la présence d'éléments récents de personnalité. Sur ce dernier point, votre commission a écarté le recours au seul recueil de renseignement socio-éducatif. Quid cependant si les investigations ont été suffisantes ? Il faut également que les circonstances de la poursuite le justifient. Je proposerai par amendement de préciser que seul un mineur qui fait l'objet ou a déjà fait l'objet d'une ou plusieurs procédures pourra être poursuivi ainsi. Il s'agit de réserver la procédure aux mineurs qui ont déjà fait l'objet, par exemple, d'une composition pénale ou d'une convocation devant le juge des enfants. Il n'est pas cependant possible d'attendre que les procédures aient abouti à une condamnation définitive ni qu'elles aient permis des investigations approfondies ; il faut pouvoir répondre aux cas des mineurs qui multiplient les infractions dans un court laps de temps.

Autre mesure : l'élargissement des possibilités de placement en centre éducatif fermé, structure qui a fait ses preuves dans la lutte contre la récidive. Pour les mêmes récidivistes de plus de 16 ans, une nouvelle juridiction, plus solennelle, est instituée : le tribunal correctionnel pour mineurs, qui pourra prononcer des sanctions éducatives. Votre commission des lois a souhaité qu'elle soit présidée par un juge des enfants. J'ajoute que la procédure suivie sera celle du tribunal pour enfants.

Le dossier unique de personnalité rassemblera l'ensemble des informations recueillies sur le mineur, pour un meilleur suivi et une meilleure réponse. Il sera conservé conformément aux exigences de la loi « Informatique et libertés ».

Le texte prévoit également de mieux impliquer les parents dans la procédure, par la possibilité de leur délivrer, comme pour les témoins, un ordre à comparaître. André Gide, dans ses Souvenirs de la cour d'assises, se disait frappé par la conscience avec laquelle chacun s'acquittait de ses fonctions. Je suis convaincu que, par votre vote, vous aurez à coeur d'accompagner nos concitoyens dans leur apprentissage de la citoyenneté. (Applaudissements à droite)

M. Jean-René Lecerf, rapporteur de la commission des lois.  - Ce texte, sur lequel la procédure accélérée est engagée, recouvre trois réformes d'ampleur qui auraient pu justifier trois textes distincts -participation des citoyens au jugement de certains délits, nouvelles formations des cours d'assises, modifications de l'ordonnance de 1945. Cependant, la portée de la première d'entre elles doit être relativisée : elle fera l'objet d'une expérimentation jusqu'en 2014.

Si votre commission des lois, à laquelle ont été imposés des délais d'examen très contraignants, souscrit aux objectifs de ce texte, elle entend lever le préjugé qui veut que les magistrats seraient plus laxistes que les citoyens. Depuis dix ans, le quantum des peines prononcées est stable en cour d'assises, mais en augmentation en correctionnelle. Il s'agit seulement d'encourager l'appropriation par les citoyens des décisions de justice au nom de la cohésion sociale et du respect du pacte républicain ; en un mot de réconcilier les Français avec leur justice -une justice en laquelle, selon un sondage Ifop de mai 2008, ils ont moins confiance qu'en l'hôpital, l'école ou l'armée.

La présence de citoyens au sein des tribunaux correctionnels ne soulève pas d'objection de principe. Cette référence à une justice démocratique, fille de la Révolution, figure tant dans les revendications du Syndicat de la magistrature que dans la profession de foi du candidat Nicolas Sarkozy. Comme l'a relevé lors de son audition le président de la cour d'assises de Paris, « la présence des jurés (...) est la meilleure garantie que l'on puisse offrir au justiciable. (...) Ceci favorise (pour les magistrats) une absence de routine extrêmement bénéfique à la prise de décision finale ». Si les vertus des jurés sont telles pourquoi ne pas leur donner une plus large place ?

Deux modèles sont à considérer. Le juré, tiré au sort, remplit une mission brève mais intense, tandis que l'échevin, candidat en raison de compétences spécifiques, participe de manière ponctuelle mais durable à l'exercice de la justice. La loi du 28 juillet 1978 a posé le principe d'un tirage au sort. La présomption d'infaillibilité a longtemps justifié l'absence d'un second degré de juridiction, institué finalement par la loi du 15 juin 2000 à l'initiative de la commission des lois, et qui a démontré son utilité. Le modèle de l'échevin s'incarne, quant à lui, dans les tribunaux de prud'hommes ou de commerce.

La réserve d'interprétation du Conseil constitutionnel, qui veut que les assesseurs restent minoritaires dans les formations correctionnelles, ne s'applique pas aux assises, où la présence des jurés peut être considérée comme un principe fondamental. Le citoyen-assesseur qu'entend instituer ce texte, combine les caractéristiques du juré et de l'échevin : les citoyens inscrits sur les listes électorales seraient sélectionnés -mais comment ?

Au total, le texte conduit à créer six nouvelles formations de jugement, à commencer par le tribunal correctionnel citoyen et sa chambre d'appel. Nous aurons une nouvelle formation de la cour d'assises au premier degré, composée elle aussi de trois magistrats et de deux citoyens assesseurs, dotée d'une compétence de principe pour les crimes passibles de quinze et vingt ans de réclusion criminelle commis en l'absence de récidive. Procureur et accusé pourront toujours demander le jugement par une cour d'assises avec jury.

La décision de renvoi ne sera plus lue, remplacée par un exposé du président ; les décisions criminelles seront désormais motivées. Nous aurons ainsi une cour d'assisses « light » et une cour d'assises « hard ».

À quoi il faut ajouter deux formations d'application des peines.

Cette réforme requerra 32 millions d'euros en investissement et 8 millions en fonctionnement, sans tenir compte des 155 postes de magistrats et des 108 postes de greffiers dont le garde des sceaux a obtenu la création.

Pour le jugement des crimes, votre commission a voulu s'en tenir aux grands principes. Créer une cour d'assises allégée, qui traitera de 90 % des cas en première instance, en l'alignant sur le tribunal correctionnel citoyen reviendrait à correctionnaliser les assises sous prétexte d'empêcher la correctionnalisation des crimes. Nous avons préféré réduire le nombre de jurés de neuf à six en première instance, et de douze à neuf en appel : les jurés resteront plus nombreux que les magistrats, et la règle de la majorité qualifiée sera préservée.

Quant au tribunal correctionnel citoyen, il nous est apparu justifié d'élargir sa compétence à toutes les atteintes aux personnes passibles de plus de cinq ans de prison, et aux délits relatifs à l'environnement encourant le même quantum : il eut été malvenu de donner le sentiment que l'on distinguait une justice des pauvres, avec la présence de citoyens assesseurs, et une justice des riches où n'officieraient que des magistrats professionnels.

L'intervention des citoyens au sein des tribunaux d'application des peines est bienvenue -les peines n'ont-elles pas été prononcées par un jury populaire ?

J'en viens à la justice des mineurs, qui n'est pas laxiste, mais erratique. Le principal grief à lui opposer est celui de la lenteur : dix-huit mois entre les faits et la condamnation définitive, cinq ans pour une condamnation en cour d'assises des mineurs. Autre reproche, le manque de cohérence. D'où la recommandation du rapport Varinard, qui préconise la création d'un véritable code de la justice des mineurs. Dans cette attente, ce texte propose un certain nombre de mesures, rappelées par le garde des sceaux, en même temps qu'il crée de nouveaux outils pour les magistrats et s'emploie à renforcer l'implication des parents défaillants.

Votre commission a estimé que les procédures rapides de poursuites devaient être assorties de toutes les garanties : information pleine et entière sur le mineur, présidence du tribunal par un juge des enfants, information systématique de la victime.

Je me félicite d'un travail mené en bonne intelligence, qui nous a permis d'aboutir à un texte que je vous demande d'adopter. (Applaudissements à droite)

M. Jean-Jacques Hyest, président de la commission des lois.  - La commission demande la priorité, au titre II, pour les articles 17 à 29.

La demande de priorité, acceptée par le Gouvernement, est de droit.

M. Alain Anziani.  - L'an passé, la réforme de la procédure pénale était une urgence, décidée par le président de la République : il fallait supprimer le juge d'instruction et mettre en place une procédure accusatoire dont nous voyons aujourd'hui les effets... Puis en juillet dernier, le Conseil constitutionnel imposait une réforme de la garde à vue que nous demandions depuis longtemps : nouvelle urgence. En voici enfin une troisième.

D'où nous vient une telle diligence ? D'une concertation approfondie ? Des travaux de la commission Léger ? Hélas, non. L'annonce nous en a été faite par le ministre de l'intérieur... au point que cela vous a fait réagir, monsieur le garde des sceaux. Mais votre collègue du Gouvernement l'a semble-t-il finalement emporté...

Sur la justice des mineurs, même incohérence. En avril 2008, Mme Dati, après avoir rappelé les successives et nombreuses retouches de l'ordonnance de 1945, concluait à la nécessité d'une refonte. Mme Alliot-Marie reprenait le flambeau, appelant -belle ambition !- à plus de lisibilité. Mais vous ne faites ici qu'ajouter une couche au mille-feuille.

Quel sens attribuer finalement à ce texte ? Il est tout bonnement à rechercher dans une défiance à l'égard des magistrats, que le président de la République qualifiait naguère de « petits pois » : même couleur, même gabarit, même absence de saveur, ajoutait-il. Malheureusement pour lui, les petits pois ont refusé de passer à la casserole. Et voilà que vous voulez à nouveau les réduire, en les cuisinant à votre mode.

Rapprocher la justice des citoyens ? Mais voyez votre intitulé : « Participation des citoyens au fonctionnement de la justice pénale ». Est-ce à dire que les magistrats ne sont pas des citoyens ?

Vous scindez la justice en deux : d'un côté les violences, atteintes à l'environnement, etc., qui porteraient atteinte à la cohésion sociale ; de l'autre les délits économiques et financiers qui n'auraient pas cet effet.

En réalité, vous voulez éconduire les magistrats supposés laxistes en comptant que les citoyens seront plus sévères. Un citoyen chasse l'autre : dans les tribunaux d'application des peines, les assesseurs, qui assisteront les magistrats, remplaceront en appel les représentants des associations, pourtant compétents en la matière. La même remarque vaut pour la justice des mineurs.

L'étude d'impact rempli une demi-page ! M. Jean-Paul Garraud craint le ralentissement de la justice et l'évolution vers une procédure orale qui demandera beaucoup plus de temps.

M. Jean-René Lecerf, rapporteur.  - Si c'est mieux juger !

M. Alain Anziani.  - La justice française manque pourtant déjà de moyens : elle est reléguée au 37e rang des pays de l'OCDE.

Cinq lois en quatre ans ont limité le pouvoir des juges, sans faire diminuer la délinquance. Ce sixième texte aura des effets dévastateurs sur la réinsertion des majeurs et sur la prévention de la délinquance des mineurs. (Applaudissements à gauche)

Mme Anne-Marie Escoffier.  - Je m'en tiendrai au projet initial du Gouvernement, qui visait à élargir la participation des citoyens à la justice pénale : c'est une juste cause, si l'on respecte les principes d'indépendance et d'impartialité de la justice, de proportionnalité des peines et de présomption d'innocence.

Pourquoi rompre ce délicat équilibre ? Pour répondre à votre ambition de durcir la procédure pénale. Outre l'omission malheureuse du principe de la présomption d'innocence, je relève qu'il n'est question que de la motivation des arrêts de condamnation en assises, non d'acquittement.

Sous prétexte d'améliorer le fonctionnement des assises, vous réduisez le nombre des jurés : c'est correctionnaliser légalement les crimes. La cour d'assises traditionnelle deviendra exceptionnelle. Jusqu'à alors, on distinguait selon la gravité des faits ; à présent, on distingue selon l'auteur : la récidive, jusqu'ici circonstance aggravante, justifie à présent une formation de jugement distincte.

Cette réforme nécessitera des moyens matériels, mais vous refusez de les prendre en compte. Surtout, le délai des comparutions s'en trouvera allongé et par conséquent le délai de détention provisoire. Vous ne donnez d'ailleurs aux citoyens-assesseurs qu'un rôle mineur : comme un simple gage de bonne conduite. Les mesures relatives à la justice des mineurs bafouent les principes de l'ordonnance de 1945. Les effets criminogènes de l'enfermement sont avérés. La récidive ne témoigne pas de l'incompétence des magistrats, mais peut-être d'une sanction mal administrée. Puisque les mineurs seront traités comme les majeurs, ils devraient au moins bénéficier comme eux de la présence de citoyens.

Je remercie le président et le rapporteur de la commission des lois, qui ont tenté d'atténuer les méfaits de ce projet de loi initial, dénoncé par tous les professionnels. (Applaudissements à gauche)

Mme Nicole Borvo Cohen-Seat.  - Ce texte est irrecevable sur la forme comme sur le fond. Rien ne justifie l'urgence. Vous prétendez que les citoyens se plaignent que la justice prend mal en compte les évolutions de la société. Mais des multiples rapports à ce sujet, le Gouvernement ne retient que ce qui lui convient. Les professionnels que nous avons entendus se sont inquiétés des objectifs qui guident ce texte et de l'applicabilité de ses dispositions. Vous n'en avez cure.

Votre projet est d'ailleurs incohérent, puisqu'il introduit des assesseurs en correctionnelle, mais en diminue le nombre en assises, et les supprime purement et simplement là où ils existaient -voir votre tribunal correctionnel pour mineurs- et jouaient, par leur expertise, un rôle utile. L'échevinage a également montré son utilité dans les tribunaux de commerce, de prud'hommes, etc. Mais le président de la République prétend permettre au « peuple » de se prononcer sur « la sévérité des sanctions ».

En assises, les jurés disposent du temps nécessaire pour se former et pour juger. Ils ne sont pas nécessairement plus sévères que les magistrats : les crimes passionnels bénéficient souvent de leur indulgence.

D'ailleurs, vous n'avez pas voulu leur soumettre les délits économiques et financiers. Est-ce crainte de les voir formuler des jugements trop sévères ? Vous avez un point de vue de classe.

Cette réforme posera d'évidents problèmes pratiques. Mais, une fois de plus, la question des moyens de notre justice n'entre pas dans vos préoccupations.

Dans le domaine de l'application des peines, il faut des compétences spécifiques pour juger, mais vous vous fondez sur l'émotion suscitée par quelques faits divers. Vous jouez l'opinion publique contre les magistrats. Pour rapprocher les citoyens de la justice vous auriez dû développer la concertation sur l'échevinage, revoir la proportion entre professionnels et citoyens, en autorisant la récusation de ces derniers.

En urgence, et alors que ce n'était pas prévu à l'origine, vous remettez gravement en cause les principes de la justice des mineurs, pourtant confirmés à plusieurs reprises depuis 1945 dans des conventions internationales, qui retiennent le double principe de la spécificité des procédures et des juridictions. Les mineurs d'aujourd'hui, a dit le président de la République au cours d'une émission de télévision, ne ressemblent pas à ceux de 1945. Les majeurs non plus... Aujourd'hui, affirmez-vous, ce qui a changé c'est le travail et la famille : quand il n'y a pas de travail pour les jeunes et que les familles sont en difficulté, faut-il pénaliser les mineurs ? Là encore votre projet a un caractère de classe. Et selon votre logique les enfants des classes populaires seraient très vite majeurs tandis que ceux des classes aisées resteraient plus longtemps mineurs, du fait de leurs études...

Vous affichez tolérance et risque zéro face au laxisme des juges alors que la réalité est tout autre comme l'établit le rapporteur. Vous mettrez en place une justice expéditive, axée sur la seule sanction pénale. Le tribunal correctionnel pour mineurs sera compétent pour un grand nombre de cas. Le juge des enfants disparaît de l'audiencement, alors qu'il devrait avoir le temps d'apprécier la personnalité de l'intéressé.

Ce texte accroît encore les compétences du procureur, au détriment du juge des enfants.

Et croyez-vous donc que le bracelet électronique imposé à un mineur en rupture familiale sera plus praticable que pour les majeurs ?

Vous allez transformer 20 foyers en centres fermés, sans projet éducatif sur la durée. Vous ne tenez aucun compte des remarques de la Défenseure des enfants et du Contrôleur des lieux de privation de liberté, ni des professionnels. Et vous n'attendez pas les conclusions du rapport Peyronnet-Pillet sur le bilan des centres fermés. Vous préférez stigmatiser les parents, comme l'a fait M. Wauquiez, les accusant de préférer l'assistanat. Les amener au tribunal entre deux gendarmes est la nouvelle économie de la sanction pénale que prône M. Bockel ?

Qu'il faille apporter une réponse rapide aux délits des mineurs, c'est vrai. Mais il faudrait pour cela donner à la justice les moyens de travailler !

Lors d'un colloque que nous avons organisé le 13 mai, les professionnels ont fait part de leur inquiétude et de leur difficulté à remplir leur mission, alors que les jeunes sont stigmatisés, et dans la ligne du rapport Bénisti, dès leur plus jeune âge.

Nous nous opposerons à ce texte et défendrons même des amendements tendant à revenir sur les erreurs des dix ans passés. (Applaudissements à gauche)

M. Hervé Maurey.  - Je ne comprends pas les raisons qui vous ont conduit à déposer ce texte, et à engager, de surcroît, la procédure accélérée. Personne ne réclamait cette réforme.

M. Michel Mercier, garde des sceaux.  - 54 % des Français.

M. Hervé Maurey.  - Pourquoi légiférer trop et trop vite, alors que le président de la République annonçait le temps du bilan des réformes engagées, le temps de « délégiférer » ?

Renforcer le lien entre justice et citoyens ? Mais suffira-t-il pour cela d'adjoindre aux magistrats deux assesseurs inexpérimentés et non motivés ?

Il aurait fallu une réforme structurelle, non une réforme gadget. Comme beaucoup d'autres, elle n'a pas été préparée. Un fait divers, une loi : est-ce la bonne manière de procéder ?

Le texte rend notre justice beaucoup plus complexe -encore est-il heureux, que la commission des lois n'ait pas voulu de la nouvelle « cour d'assises light ». Pour l'appliquer, il faudra beaucoup d'argent, qui aurait été mieux investi ailleurs.

Vous convaincrez-nous, monsieur le ministre ? (Applaudissements au centre et sur quelques bancs à gauche)

M. Laurent Béteille.  - Pour renforcer la participation des citoyens à la justice pénale, ce projet de loi introduit des assesseurs dans les tribunaux correctionnels et d'application des peines.

La justice, rendue au nom du peuple français, doit être comprise par celui-ci. La participation à l'exercice de la justice renforcera d'ailleurs l'esprit civique car juger est un acte de citoyenneté.

Il existe déjà des jurés et des échevins. Le citoyen-assesseur occupera une place intermédiaire entre le juré d'assises et le juge de proximité : il sera sélectionné sur la base du tirage au sort, et d'un critère d'aptitude.

Le mécanisme proposé par le Gouvernement était trop complexe. Nous ne sommes pas opposés à l'abaissement de l'âge requis à 18 ans. La participation des assesseurs sera limitée à huit jours dans l'année.

Ils seront d'abord présents au tribunal correctionnel et à la cour d'appel pour le jugement de certains délits. Leur proportion -deux pour trois magistrats- est équilibrée. Il était nécessaire, au moins dans un premier temps, d'élargir, ainsi que l'a fait notre commission des lois, leur compétence à un plus grand nombre de délits.

Le projet de loi initial prévoyait également leur intervention aux assises, pour lutter contre l'engorgement des tribunaux et la correctionnalisation des crimes. La commission des lois a beaucoup débattu à ce sujet. Je salue le travail minutieux et pondéré du rapporteur. Il nous a paru préférable de maintenir le jury en assises, tout en diminuant le nombre de jurés.

Le texte simplifie le déroulement de la procédure en assises en substituant à la lecture de l'acte d'accusation un rapport oral du président, et il rend obligatoire la motivation des arrêts -attention cependant à la motivation des décisions d'acquittement : l'effet n'est pas le même d'un acquittement pur et simple ou au bénéfice du doute...

Les assesseurs interviendront aussi dans les tribunaux et les chambres d'application des peines. Cela évitera que le juge d'application des peines joue le rôle de bouc émissaire lorsqu'une libération tourne mal. J'attends des précisions sur le recrutement de magistrats et de greffiers, que rendra nécessaire la réforme.

Ce texte réforme la justice des mineurs sans remettre en cause la primauté de l'éducatif ni la spécificité de la procédure.

À l'heure actuelle, le délai de jugement est bien trop important, ce qui annule la valeur éducative de la peine. Le texte accélèrera la procédure et permettra de mieux impliquer les parents et de mieux lutter contre la récidive. Le dossier unique personnalisé (DUP) permettra de connaître aussi complètement que possible la personnalité de l'intéressé.

Quant au tribunal correctionnel pour mineurs, nous souhaitons, comme le rapporteur, qu'il soit présidé par un juge des enfants. Le placement en centre fermé sera facilité, ce type de centre donnant des résultats intéressants. Quant au bracelet électronique, nous voulons qu'il soit réservé aux mineurs de 16 ans encourant une peine d'au moins deux ans de prison.

Les parents pourront être convoqués et les victimes seront informées de la date de comparution : elles pourront ainsi se constituer partie civile.

Le groupe UMP votera ce texte avec conviction et confiance. (Applaudissements à droite et au banc des commissions)

Mme Catherine Tasca.  - (Applaudissements sur les bancs socialistes) On ne compte plus les projets de loi relatifs à la justice pénale depuis 2002. Cet empilement n'a rien amélioré. Notre justice reste sous-dotée en moyens et en personnel, et le pouvoir politique ne cesse de bafouer à chaque fait divers le principe d'indépendance de la justice. Il en est résulté un malaise sans précédent parmi les professionnels.

Pour toute réponse à cette crise, le Gouvernement stigmatise les magistrats et met en cause les principes de la justice des mineurs.

En fait, l'ordonnance de 1945 est révisée chaque année ou presque, comme si le législateur oubliait que le droit, surtout pénal, requiert la stabilité. Le Gouvernement argue que les mineurs ne sont plus ceux de 1945. Mais le texte a été révisé chaque année depuis 2007 : un mineur de 2011 n'est pas différent d'un mineur de 2008...

La société que vous organisez, loin de se soucier de la protection de nos enfants, semble vouloir, à rebours de notre histoire et du chemin parcouru depuis la Résistance, où bien des mineurs ont fait preuve du plus grand héroïsme, s'en protéger à tout prix. Monsieur le garde des sceaux, vous avez qualifié votre texte de projet de reconstruction : en fait, c'est une entreprise de destruction ! (Bravos ! et applaudissements à gauche)

Malgré la sanction du Conseil constitutionnel, vous revenez à la charge avec un nouvel habillage des dispositions censurées de la Loppsi 2, pour aligner la justice pénale des mineurs sur celle des majeurs. Vous faites de la comparution immédiate la règle : c'est contraire aux objectifs de protection, d'assistance et d'éducation voulus par l'article 2 de l'ordonnance. Sur quelles études vous fondez-vous, monsieur le ministre, pour considérer que la phase présentencielle est inutile ? Il faut méconnaître le fonctionnement de l'institution judiciaire pour étendre la présence d'assesseurs au tribunal d'application des peines, et à la chambre. C'est qu'il s'agit de laisser croire que la présence de citoyens constituera un frein aux libérations conditionnelles.

M. René-Pierre Signé.  - Eh oui, malgré les dénégations du ministre !

Mme Catherine Tasca.  - Il s'agit de rendre moins fréquent le recours au dispositif de sortie préparée. L'application des peines requiert un suivi de long terme. Or, que faites-vous ? Vous supprimez, sous des motifs légers, la présence de représentants des associations. Il y a de quoi s'interroger sur la cohérence de ce texte : création d'assesseurs en correctionnel et suppression des jurés en assises ; réforme exigeant des moyens que vous ne débloquez pas.

Votre mansuétude va, avant tout, aux financiers. Et, devant les citoyens, vous agitez un leurre, qu'aux côtés des professionnels du droit, nous combattrons en votant contre ce texte. (Applaudissements à gauche)

M. Nicolas Alfonsi.  - Je n'ose soulever la question du bien-fondé de l'urgence, sur laquelle vous m'avez, monsieur le ministre, répondu avec tant de conviction... (Sourires)

Ce texte modifie substantiellement l'ordonnance de 1945 relative à l'enfance délinquante, en même temps qu'il réforme les tribunaux correctionnels et les assises : où est la cohérence ? Le dossier unique de personnalité est certes une mesure utile. Il comprendra les investigations réalisées en assistance éducative. Or, 15 % des mineurs délinquants ont précédemment été pris en charge par la protection de l'enfance, dont le Gouvernement a entrepris de se désengager totalement. D'où des ruptures de prises en charge, qui nuisent à la réinsertion. Et vous parlez de lutter contre la récidive ?

Les centres d'éducations fermés ? Certains de leurs effets sont utiles, mais on ne sait rien de leurs effets sur la réinsertion. D'où ma surprise à la lecture de l'étude d'impact, qui affirme leurs vertus en la matière.

Comment ont été réalisées vos études ?

Et comment financerez-vous ces centres, sachant que le budget de la justice ne cesse de se réduire ? Il est clair que les crédits seront pris sur d'autres actions. C'est aller à l'encontre de l'objectif d'une meilleure prise en charge de la délinquance.

Quant aux citoyens-assesseurs, ils évincent les représentants des associations. En quoi la justice en sera-t-elle mieux rendue ?

Le maintien d'un tribunal correctionnel ad hoc ? Je doute qu'il soit bien fait pour promouvoir la valeur éducative de la peine !

En conclusion, je vous rappellerai ce qu'écrivait il y a neuf ans la commission d'enquête du Sénat sur la délinquance des mineurs : « La justice des mineurs en France n'est pas particulièrement laxiste. Elle est erratique ». Je crains que le présent projet de loi ne contribue à aggraver encore cette situation. (Applaudissements à gauche)