Débat sur la réforme portuaire

M. le président.  - L'ordre du jour appelle le débat sur la réforme portuaire.

M. Charles Revet, au nom de la commission de l'économie.  - Notre commission a unanimement adopté, en juillet, le rapport du groupe de travail sur le bilan de la réforme portuaire, que j'avais l'honneur de présider. Je rends hommage à notre ancien président de commission, M. Emorine, pour avoir créé ce groupe de travail et à M. Raoul, notre nouveau président, qui partage la même ambition pour le développement de nos ports.

Nos objectifs étaient de réfléchir aux causes objectives du déclin de nos ports et d'y trouver des remèdes. Déclin, en effet : avec 430 millions de tonnes, le tonnage de Rotterdam équivaut presque au double de nos sept grands ports maritimes (GPM) ; premier port français, Marseille occupe la cinquième place européenne pour l'ensemble du tonnage et la treizième pour les conteneurs ; principal port du pays pour les conteneurs, Le Havre n'atteint que la huitième place européenne, avec un trafic équivalent au cinquième de celui passant par Rotterdam. Or ce déclin, au regard des nombreux atouts de notre pays, n'est pas inéluctable.

Nous avons effectué de nombreux déplacements, en France et à l'étranger. Ne cherchant pas à identifier de bouc émissaire, nous avons réfléchi sur les structures pour décortiquer les causes du déclin et proposer des remèdes.

Ciblée, pragmatique et moderne, la réforme de 2008 visait essentiellement à unifier la chaîne de commandement de la manutention -vente de l'outillage et transfert des personnels- et à moderniser la gouvernance des ports.

Quel est son bilan ? Le Gouvernement a rapidement pris les décrets d'application, ce qui n'est pas si courant. La difficulté a surtout tenu au transfert des personnels.

M. Thierry Mariani, ministre auprès de la ministre de l'écologie, du développement durable, des transports et du logement, chargé des transports.  - C'est vrai !

M. Charles Revet, au nom de la commission de l'économie.  - L'accord-cadre d'octobre 2008 devait être décliné port par port, mais la signature définitive de la convention collective unifiée n'est intervenue qu'en avril 2011. Les négociations, tendues, n'ont pas été facilitées par simultanéité de la réforme des retraites. Aujourd'hui, 900 des 1 000 personnes concernées ont effectivement été transférées aux entreprises privées, les autres bénéficiant d'un dispositif de cessation anticipée d'activité. En réalité, la loi n'est effective que depuis juin dernier...

Mais nous ne pouvons pas en rester là. Les causes du déclin restent malheureusement d'actualité. Notre groupe de travail en a identifié quatre : la faiblesse de l'État stratège et son désengagement financier, le manque de fiabilité des ports, le manque d'implication des territoires et l'existence d'une concurrence faussée -ce dernier aspect est peu connu, bien que des condamnations aient déjà eu lieu et que la Commission européenne ait lancé une enquête sur une possible entente illégale entre grands armateurs européens dans sept pays de l'Union européenne.

Que faire ? Il faut que les autorités portuaires adoptent une gouvernance entrepreneuriale, sous le contrôle des pouvoirs locaux plutôt que nationaux. L'heure est ensuite aux investissements massifs. Je m'en tiendrai à un chiffre : à Rotterdam, on investit 3 milliards d'euros pour gagner 20 km² sur la mer. Il faut enfin que nos ports offrent des services complets et intégrés, du transbordement à la desserte vers l'arrière-pays.

Deux maîtres mots doivent nous guider : proximité et autonomie. Nous suggérons l'élaboration d'une stratégie nationale, inspirée de ce qui se fait à l'étranger, et une décentralisation au cas par cas des GPM -la nouvelle entité portuaire ayant pleine compétence sur la stratégie de développement, la maîtrise d'ouvrage, le financement, l'État conservant la police des ports et la coordination et assurant la compensation financière indispensable. Il faut également créer un conseil de coordination portuaire élargi aux ports d'intérêt national et aux ports fluviaux. Pour favoriser l'investissement des collectivités territoriales, nous souhaitons la création de sociétés de développement local -aujourd'hui, les collectivités territoriales participent à fonds perdus ; elles seront intéressées aux bénéfices. La stratégie nationale serait coordonnée avec le Schéma national des infrastructures de transport.

Il faut ensuite donner à l'État un rôle de coordinateur et de facilitateur ; si les zones sensibles doivent être préservées, des espaces appropriés pour le développement économique doivent être trouvés ; les lourdeurs administratives sont un handicap majeur dans la compétition internationale. L'heure n'est plus aux colloques mais à l'action !

Nous souhaitons également que le recours aux procédures dérogatoires soit encouragé pour réaliser les projets des ports, de RFF et de VNF -voir la procédure des projets d'intérêt général qui a été retenue pour le Grand Paris. Il est en outre nécessaire, monsieur le ministre, de modifier rapidement la réglementation des affaires maritimes pour permettre la desserte de Port 2000 par des barges fluviales. La création de zones franches douanières doit en outre être encouragée -il n'en existe qu'une à Bordeaux. Si nous multiplions le nombre de conteneurs par deux, nous créerions au moins 30 000 emplois par an. Pensons-y !

Je reviens à l'articulation avec le fluvial et le fer, car la bataille de la mer se gagne à terre. Ne répétons pas l'erreur de Port 2000 : quand M. Perben a inauguré la première tranche, aucune barge et aucun train ne pouvait y accéder, malgré la modestie des investissements nécessaires. Nous plaidons également pour une réforme radicale de la gestion des sillons ferroviaires, pour la création d'opérateurs ferroviaires de proximité dans chaque port et pour la mise en place rapide des corridors de fret ferroviaires européens. Le renouveau du transport fluvial implique d'autoriser la navigation en permanence sur le réseau magistral et d'imposer un tarif unique pour les manutentionnaires portuaires ; cette mutualisation des prix rencontre un grand succès dans le nord de l'Europe. Il importe aussi d'encourager le développement des ports secondaires.

Enfin, nous préconisons la création dans chaque port d'une équipe de promotion commerciale tournée vers l'international. Je ne peux que regretter le retard pris par le Gouvernement pour élaborer le rapport sur les nouvelles installations portuaires en vallée de Seine. S'agissant de la concurrence, nous pourrions utilement nous inspirer de l'expérience de HHLA à Hambourg.

Monsieur le ministre, la réforme de 2008 était bonne mais elle a montré ses limites. Les autres grands ports investissent et se préparent déjà au rebond économique. Faisons de même, d'autant que nous avons tous les atouts ! C'est dans cet esprit que le groupe de travail a rédigé son rapport. (Applaudissements à droite)

M. Robert Navarro.  - Je salue l'état d'esprit dans lequel a travaillé notre groupe de travail. Nous étions d'abord animés par le souci de la France car, derrière le problème des ports, se cache l'interrogation suivante : être ou ne pas être une puissance du monde ! Telle est la question.

À 85 % au moins, le commerce mondial est maritime. L'Europe est une de ses principales destinations. Comment les gouvernements successifs ont-ils pu négliger un tel gisement de croissance et d'emplois ? Aujourd'hui, la moitié des conteneurs à destination de la France ont transité par des ports étrangers ; la moitié des conteneurs qui arrivent en Ile-de-France viennent d'Anvers par la route. Une absurdité économique et écologique ! La première raison de cette situation est la faiblesse de l'État stratège, son manque d'engagement et de vision stratégique.

M. René Garrec.  - Certainement pas la première !

M. Robert Navarro.  - Le manque d'ancrage territorial en est une autre. Depuis des années, nous attendons une nouvelle gouvernance des ports et davantage d'autonomie. Aucun projet ne peut voir le jour sans l'aval de l'État. Est-ce normal ?

Notre groupe de travail a formulé quinze propositions volontaristes, certaines réglementaires ou législatives, d'autres d'ordre financier -nous plaidons pour des investissements à la hauteur des enjeux. J'insiste sur la décentralisation des GMP. La France reste ce qu'elle est historiquement, un pays trop centralisé ! Pour développer les ports, Paris a échoué. Héritiers de décennies d'abandon, nous n'échapperons pas à la question des financements. Les collectivités territoriales doivent être intéressées à leurs investissements. L'État n'a pas respecté ses engagements et sa contribution dans le cadre du Snit est dérisoire ; il doit aussi régler ses dettes.

Un port est un outil d'aménagement. Il doit donc être ouvert sur son arrière-pays et les entreprises. Il n'y a pas de fatalité au déclin. Je fais le rêve, accessible, que Marseille, grâce à nos travaux, devienne dans dix ans le premier port méditerranéen de conteneurs, et que Le Havre concurrence Anvers ! (Applaudissements à gauche)

Mme Isabelle Pasquet.  - En 2008, le groupe CRC s'était opposé à la réforme proposée car le bilan de la loi de 1992 n'avait pas été fait et que le diagnostic n'était pas le bon. On apportait de mauvaises réponses à de bonnes questions. Depuis, de nombreux rapports nous ont donné raison en mettant en avant, pour les uns, la responsabilité des mouvements sociaux, pour les autres, le manque d'investissement de l'État.

À l'occasion de la question orale posée par M. Revet en mai 2010, M. Foucaud a déjà souligné l'insuffisance des montants consacrés aux ports dans le Snit -en comparaison des trois milliards investis à Rotterdam et du milliard consacré à Port 2000. En outre, avec un Snit seulement financé à 30 % par l'État, on peut s'interroger ! Il avait aussi pointé le retard pris dans les infrastructures intermodales. La bataille avec les autres grands ports européens se joue aussi sur terre -faute de systèmes intégrés, nous sommes en train de la perdre. À Marseille, il existe une seule ligne de desserte vers un arrière-pays lui-même peu dynamique. Nous sommes encore loin des objectifs du Grenelle. Hélas, le Gouvernement a cassé le fret ferroviaire et la SNCF ferme des gares de triage -celle de Miramas n'a été sauvée que grâce à la ténacité des salariés.

Plus de cohérence, moins de mise en concurrence des territoires et une politique attractive sont indispensables à nos ports. Ce sera plus raisonnable que d'imputer aux mouvements sociaux l'échec de la réforme de 2008. Restent des problèmes de productivité, l'absence de perspectives commerciales et de projets de développement. Aujourd'hui, le climat semble apaisé. Qu'en est-il, monsieur le ministre, de l'extension de la nouvelle convention collective ? (Applaudissements à gauche)

M. Jean-Claude Merceron.  - À mon tour, je salue la qualité des travaux du groupe de travail. Plus de 80 % des échanges empruntent la voie maritime dans le monde ; la France est passée du rang de cinquième puissance mondiale au trentième. Anvers est devenu le premier port de conteneurs à destination de la France ! Nos voisins européens, eux, ont compris qu'il fallait investir dans les ports.

Mais il n'y a pas de fatalité au déclin, disait avec optimisme M. Revet. Lors de nos visites, nos interlocuteurs m'ont rendu l'espoir. Pour créer de véritables hubs internationaux, il faut concentrer nos efforts sur les hinterlands et les dessertes. Ainsi pourrons-nous irriguer la France et, au-delà, l'Europe : Marseille deviendrait le port de Lyon ; Le Havre celui de Paris. Tout cela ne sera possible qu'avec le développement du multimodal grâce à des projets d'avenir comme le canal Seine-Nord Europe.

Cela nécessite de lourds investissements des collectivités territoriales et une nouvelle stratégie commerciale. Hélas, le volontarisme affiché par de nombreux acteurs est contrecarré par une centralisation excessive : l'État suradministre, mais ne tient pas ses promesses de financement. Il faut donner de l'air aux initiatives et faire confiance à ceux qui veulent développer nos ports.

L'uniformisation de la manutention a suscité des tensions -la concomitance avec la réforme des retraites n'y est pas pour rien... Pour autant, le dialogue social devra reprendre : volet économique et volet social vont de pair !

Je souhaite que nous passions désormais à l'action avec une proposition de loi aussi consensuelle que les travaux de notre groupe de travail ! (Applaudissements au centre)

M. Christian Bourquin.  - Beaucoup ont évoqué le déclin de nos ports à cette tribune, malgré tous les atouts de notre pays. Nous sommes concurrencés par Anvers, Rotterdam et Hambourg au nord ; Valence, Algésiras ou Tanger au sud. Comment expliquer cette situation ? La réforme de 2008 comportait une mesure dangereuse : l'uniformisation de la gestion de la manutention et la cession des outillages. Le mouvement social et les blocus, dont nous avons tous souvenir, étaient d'autant plus justifiés que cette mesure risquait -et risque toujours- de fragiliser des catégories de personnels déjà vulnérables. (On le conteste à droite)

De fait, il s'agit de vendre des biens publics à des entreprises privées.

M. Thierry Mariani, ministre.  - Lisez le rapport de la Cour des comptes !

M. Christian Bourquin.  - Bien que l'accord-cadre prévoie la reprise du personnel, rien n'empêche d'embaucher du personnel étranger bon marché. Fallait-il briser une logique historique ayant fait preuve de son efficacité ?

M. Thierry Mariani, ministre.  - Surtout pendant les grèves !

M. Christian Bourquin.  - La réforme de la manutention a provoqué un sentiment d'injustice parmi un personnel mal payé ! (Exclamations à droite)

Aujourd'hui encore, les ports décentralisés sont les grands oubliés de la réforme. Pire, les conventions collectives des dockers et des personnels portuaires ont été fusionnées, avec de lourdes conséquences pour les ports décentralisés, dont le coût de personnel a augmenté de 10 % à 15 %. C'est dommage car nombre de collectivités s'impliquent dans leur gestion. Ainsi, la région Languedoc-Roussillon, que j'ai l'honneur de présider, investit massivement : 300 millions pour Sète et 100 millions pour Port-la-Nouvelle, notamment. À ce propos, RFF veut conserver à Sète les sillons d'une voie ferrée envahie par l'herbe quand la région, elle, a les moyens de la remettre en marche. À Sète, en partenariat avec les acteurs locaux, nous construisons un nouveau terminal.

Nous sommes convaincus du fait que les transports alternatifs bénéficieront à toute la façade méditerranéenne. Cela suppose un minimum de compétence régionale, aujourd'hui inexistante : seuls sont compétents le département et la commune.

Le code des ports maritimes ne permet pas aux ports décentralisés de conclure des conventions de terminal. Ainsi, l'État semble décidé à ne pas appliquer la réforme de 2008 aux ports décentralisés, malgré leurs besoins en matière de gouvernance. Si l'évolution ne se fait pas, ils disparaîtront !

De 1989 à 2006, l'activité des ports européens s'est accrue de 60 %, mais seulement de 25 % en France. On peut se poser de graves questions voyant que le trafic de conteneurs a doublé en France pendant cette période alors que le tonnage des ports français a été divisé par deux.

Les propositions du groupe de travail sont réalistes ; le Gouvernement en aura-t-il les moyens financiers ? J'en doute... (Applaudissements sur les bancs RDSE et socialistes)

M. André Trillard.  - Je félicite M. Revet pour l'excellence et la pertinence de son analyse. Nous voyons ainsi combien il reste à faire.

Notre groupe attache une grande importance aux ports maritimes.

La réforme de 2008 tendait à renforcer nos sept grands ports face à la concurrence internationale. Aujourd'hui, l'ensemble de nos grands ports fait moins que celui de Rotterdam, bien que notre pays possède le deuxième espace maritime mondial après les États-Unis. M. Revet, grand spécialiste de la question, note avec justesse que nos ports souffrent d'une absence de culture commerciale, raison pour laquelle de nombreux armateurs préfèrent passer par la Belgique et les Pays-Bas.

Parmi les objectifs de 2008, le transfert du personnel de manutention était le plus délicat. Son achèvement remonte à juin dernier. Ne jugeons donc pas trop vite une réforme en marche.

M. Thierry Mariani, ministre.  - Merci.

M. André Trillard.  - Parmi les raisons d'espérer, je citerai la capacité d'innovation et la réactivité de tous les partenaires des comités portuaires.

Ainsi, a été lancée entre Saint-Nazaire et Gijón la première autoroute de la mer pour le transport de poids lourds sur la façade atlantique : le nombre de camions concerné ne cesse d'augmenter. Des voyageurs de tourisme profitent aussi de cette liaison et de façon imprévue beaucoup de pèlerins de Saint-Jacques-de-Compostelle, heureux de prendre le TGV à Nantes.

Le principal syndicat portuaire de Loire-Atlantique, tout en continuant à combattre la réforme, a admis que les salariés s'y retrouvaient financièrement.

Monsieur le ministre, nous vous faisons confiance pour passer de la réforme à la relance. La balle est dans votre camp ! (Applaudissements à droite)

Mme Odette Herviaux.  - Le rapport sénatorial montre que l'ambition maritime de la France est possible et nécessaire. Je ne formulerai qu'un bémol, portant sur le bilan de la réforme.

Historiquement, c'est toujours en se tournant vers l'extérieur que la France s'est développée. Or, bénéficiant d'un espace d'accès privilégié en Europe, la France paraît aujourd'hui incapable de formuler une proposition concurrentielle, car ses ambitions en faveur du grand large sont chroniquement sous-dimensionnées.

Au lendemain de la Seconde Guerre mondiale, le général de Gaulle avait refusé de donner Brest en bail emphytéotique aux Américains. Nous nous en étions félicités, mais n'avons-nous pas perdu ainsi une opportunité historique ?

M. Ladislas Poniatowski.  - Intéressant !

Mme Odette Herviaux.  - Aujourd'hui, la moitié des conteneurs à destination de la France transite par l'étranger. La réforme de 2008 n'a pas -encore ?- permis aux ports de stabiliser leur position.

Pourtant, le troisième armateur est français ! Nous devons valoriser nos atouts pour assurer l'importation et l'exportation des produits.

L'État fut le patient unificateur de nos ports, conformément à une tradition centralisatrice appartenant au passé. Aujourd'hui, les salariés ont compris que leur avenir dépendait de la bonne santé des ports. Je suis convaincue que le conflit social a été mis en avant pour masquer une politique de renoncement.

L'Etat doit assumer ses responsabilités. Trop souvent, les ministères peinent à travailler ensemble, transformant la polyphonie en cacophonie. La RGPP s'oppose à une politique ambitieuse sur le long terme. J'ajouterai le démantèlement de la DGCCRP et la réforme des douanes, autant de signaux négatifs.

Les investissements de l'État ont été trop limités : la Cour des comptes l'a souligné dès 2006. Régions et départements pallient l'inconséquence budgétaire et fiscale de l'État.

En mai 2010, le Gouvernement s'est félicité des 2,4 milliards prévus pour nos ports entre 2009 et 2013, oubliant de préciser que seuls 500 millions proviennent de l'État. C'est de toute façon inférieur au total d'un tiers aux investissements que consentent les Pays-Bas pour le seul port de Rotterdam !

Toutes ces incohérences sont regrettables, après le Grenelle de l'environnement et le Grenelle de la mer. Les flux maritimes mondiaux nous imposent une politique massive d'investissements pour se conformer à la directive européenne du 26 juillet 2000 sur les activités économiques d'intérêt général et celles relevant de la concurrence. Je rappelle que 1 000 conteneurs créent cinq emplois.

Nous devons revoir la gouvernance des ports et inverser les relations entre l'État et les collectivités pour qu'il ne soit plus réglementairement omnipotent et financièrement absent mais joue son rôle de stratège péréquateur et que les collectivités puissent s'impliquer pleinement dans l'aménagement du territoire et la concertation locale. Il est donc indispensable de passer à l'acte III de la décentralisation au profit des ports maritimes. C'est la condition d'une stratégie mobilisatrice au service de la croissance et de l'emploi ! (Applaudissements à gauche)

M. Joël Labbé.  - Récemment élu dans cette maison, chargée d'histoire, je pense avec émotion au poète visionnaire Bob Dylan : « Now, the times they are a-changing » oui, depuis ces années 1960 où commençaient les travaux du club de Rome, tout reste encore à changer.

Après Dylan, Corneille : « nous partîmes cinq cents mais, par un prompt renfort, nous nous vîmes trois mille en arrivant au port ». C'est souvent une minorité audacieuse qui montre la voie.

La loi de 2008 était ciblée sur les sept grands ports maritimes, -n'oublions pas les ports dits secondaires dont celui qui m'est cher de Lorient. M. Revet a raison de déplorer l'insuffisante ambition en faveur des ports maritimes, alors que le transport de marchandises par bateaux est essentiel pour combattre le réchauffement climatique : il émet cinquante fois moins de CO2 que le transport par avion, douze fois moins que par camions.

Nos importations sont principalement débarquées dans le nord de l'Europe. D'ici 2015, la part non routière du fret doit doubler. Or, en autorisant les camions de 44 tonnes à circuler sur les routes, on porte un nouveau coup au Grenelle de l'environnement.

M. Jean Desessard.  - Très bien !

M. Joël Labbé.  - L'autoroute de la mer entre Saint-Nazaire et Gijón a permis de réduire un peu le transport par route : il faut poursuivre dans cette direction. Mais il faut espérer qu'à la fin des cinq années de subvention l'expérience ne sera pas jugée non rentable.

M. Jean Besson.  - Exactement !

M. Joël Labbé.  - Depuis la nuit des temps, tout port structure un territoire. Il faut donc développer la concertation locale et repenser le rôle des régions.

Avec la réforme de 2008, la mise en concurrence malsaine est maintenue ; n'exagérons pas la responsabilité des salariés dans l'insuffisante fiabilité de la manutention ! Notre pays manque d'une culture du dialogue social.

Il faut intégrer les collectivités dans le dispositif des autorités portuaires pour aller vers des aménagements concertés acceptés par le plus grand nombre. Le code de l'urbanisme permet aux préfets de prendre la main à la place des élus pour les projets d'intérêt général. Les assouplissements de Natura 2000 préconisés dans le rapport sont inacceptables, de même que la mise en cause des associations qui engagent des recours. Il faut créer dans ce pays une culture du dialogue sociétal.

Une véritable réforme devrait comporter une filière de préservation de l'écosystème et une filière de déconstruction et de recyclage des navires civils et militaires. Rien de tel jusqu'à présent !

Il faut une autre politique maritime, fondée sur la solidarité et la complémentarité, engager une transformation écologique de notre économie à l'échelle de la France et du monde. Je suis citoyen du monde. Des enjeux mondiaux exigent une gouvernance mondiale.

M. Thierry Mariani, ministre.  - Mais ne soutenez-vous pas la démondialisation ?

M. Joël Labbé.  - Vous m'interrogerez ensuite ! (Rires)

Je ne veux plus voir arriver dans notre pays du maïs transgénique venant du Brésil, où sa culture ruine l'agriculture vivrière et pousse à détruire des milliers d'hectares de forêt primaire.

La politique doit reprendre la main, face aux forces du marché. Plus que d'une révolution, nous avons besoin d'une métamorphose, dit justement Edgar Morin. L'espoir est là, palpable pour les populations. « the times, they are a-changing » ! (Applaudissements sur les bancs écologistes et sur plusieurs bancs à gauche)

M. Yannick Vaugrenard.  - La réforme de 2008 n'a pas enrayé le déclin de nos ports, malgré nos 4 000 kilomètres de côtes. Il faut aujourd'hui changer la gouvernance de nos ports et gérer justement leur personnel.

Le tonnage de Rotterdam est supérieur à celui de l'ensemble de nos ports ; la concurrence est particulièrement rude pour les conteneurs. Dans ce domaine, Le Havre ne représente que 6 % du tonnage des cinq grands ports d'Europe du nord.

En 2005, presque 20 % du trafic mondial de navires passaient par la Manche.

Si le trafic en mer du Nord et dans la Manche augmente encore, nous risquons des catastrophes.

Créer des autoroutes de la mer permettra de limiter les émissions de gaz à effet de serre. Jusqu'ici, avec la liaison Saint-Nazaire -Gijón, nous en sommes à un cabotage amélioré (M. le ministre s'étonne) : ce n'est qu'un début.

Des ports plus compétitifs pourraient attirer plus de navires provenant des États-Unis. Or, malgré le doublement des conteneurs transitant par nos ports entre 1989 et 2006, leur part a été divisée par deux.

Il n'est pas utopique de reprendre une place primordiale au niveau européen. Cela suppose notamment une nouvelle décentralisation en faveur des grands ports maritimes, avec plus d'autonomie pour leurs conseils de surveillance et une intervention renouvelée des collectivités territoriales. Cette forme de décentralisation doit nous guider aujourd'hui, sans diminuer l'engagement financier de l'État.

Les négociations sociales sont essentielles, car les conflits sociaux ont détourné certains flux de marchandises.

Nos ports sont modernes ; les salariés ne sont pas moins performants que ceux d'Anvers ou de Rotterdam. (Applaudissements à gauche)

M. Thierry Mariani, ministre.  - Désormais achevée, la réforme portuaire doit porter ses fruits.

Je remercie M. Revet, ainsi que les membres du groupe de travail.

Aujourd'hui, la réforme de 2008 est effective. C'était un moyen, pas un but. Il est prématuré de la juger quand elle vient juste d'entrer en application.

Le port de Marseille a vu sa place chuter dangereusement alors que c'est un des mieux équipés.

La réforme de 2008 traduit l'ambition durable de l'État, avec la création de 30 000 emplois.

Elle comportait trois axes principaux. Elle a refondé la gouvernance des grands ports, désormais fondée sur trois instances, dont l'une associe les collectivités territoriales et les acteurs économiques.

Dès le premier trimestre 2009, les nouvelles instances avaient adapté leurs projets stratégiques.

Ensuite, la réforme a créé des conseils de coordination interportuaire. Ainsi, les ports du Havre, de Rouen et de Paris vont former un groupement d'intérêt économique.

J'en viens à la manutention, dont le transfert aux opérateurs privés devrait permettre aux grands ports de se concentrer sur les infrastructures.

Dès 2008, le Gouvernement a engagé une négociation sur le détachement du personnel. Le volet social de la réforme exigeait des mesures transitoires. Le Gouvernement a toujours veillé à l'équilibre entre l'acceptabilité sociale de la nouvelle convention unifiée « ports et manutention » et sa soutenabilité économique et financière pour les entreprises.

La pénibilité du travail est prise en compte par un départ anticipé à la retraite.

Les premiers détachements de personnel ont concerné les ports de Dunkerque, Le Havre et Rouen, les derniers ceux de Bordeaux et Nantes-Saint-Nazaire le 10 juin, date d'achèvement de la réforme portuaire.

L'extension de cette réforme aux ports maritimes de pêche et de commerce sera assurée, Madame Pasquet.

Mon objectif à moyen terme est de ramener vers les ports français la moitié du trafic à destination de la France qui transite aujourd'hui par l'étranger.

Effectivement, nous devons accompagner la réforme, en particulier sur les plans organisationnel et social. Il nous faut également réfléchir, avec tous les acteurs, non à une nouvelle réforme mais à la définition d'une politique offensive pour reconquérir des parts de marché. C'est à ce travail que se sont attelés M. Revet et le groupe de travail du Sénat.

Sans entrer dans l'analyse détaillée du rapport, je veux rappeler que l'État a investi 174 millions supplémentaires, ce qui en fait de nouveau le principal investisseur de nos ports. Tous financements confondus, quelque 2,4 milliards d'euros seront investis dans nos ports car nous avons pris la mesure de vingt ans de délaissement. J'en veux pour preuve le financement de nouveaux portiques à Fos et l'autoroute de la mer Nantes-Gijón. Le renforcement de la compétitivité des ports passe bien par l'État, qui entend accompagner les entités portuaires dans leur mission d'aménagement du territoire.

Simplifications administratives et expérimentations : nous les étudierons au cas par cas. L'État facilitateur doit aussi se concrétiser hors de nos frontières : à juste titre, le rapport souligne l'enjeu d'une TVA harmonisée.

Autre point important, le développement du transport multimodal avec RFF et VNF, interlocuteurs privilégiés des grands ports, liés par des conventions de partenariat. La coordination des grands ports maritimes avec les ports fluviaux est nécessaire, comme l'a rappelé M. Labbé. J'en suis d'accord. Reste que si certain ministre de l'écologie n'avait pas bloqué le canal Rhin-Rhône, il n'y aurait pas tant de camions dans ma région ! Pour défendre une circonscription qu'on s'est empressé d'abandonner, on a joué contre l'écologie. Devant les grandes déclarations, il faut rappeler les vérités historiques. Le nouveau statut de VNF lui permettra de mieux assurer sa mission.

Fiabilité, logique commerciale et climat social apaisé sont nécessaires pour retrouver la confiance des investisseurs et celles des armateurs étrangers. La réforme de 2008, dont Mme Pasquet a esquissé un bilan bien négatif, était indispensable.

L'outre-mer n'est pas oubliée ! Fort-de-France, Dégrad-des-Cannes et Port-Réunion ainsi que le port autonome de La Guadeloupe, les trois ports ultramarins concédés aux chambres de commerce et d'industrie deviendront des grands ports maritimes, donc des établissements publics nationaux.

Le Gouvernement n'a pas oublié la mer. Par son histoire et sa géographie, le France ne réussira qu'en développant ses ports. Cette réforme n'était qu'un début ; nous la poursuivrons avec l'aide de tous les acteurs. Personne ne met en doute la vocation maritime de notre pays ! L'aménagement de l'hinterland sera une de nos priorités. (Applaudissements sur les bancs UMP)

M. Daniel Raoul, président de la commission de l'économie.  - Je remercie la conférence des présidents d'avoir organisé ce débat. C'est un sujet important pour le développement de notre territoire, qui a fait l'objet d'un consensus dans notre commission ! (Applaudissements)