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Table des matières



Échecs de CMP

Dépôt d'un rapport

Conférence des présidents

Séjour des étudiants étrangers

Essais nucléaires en Polynésie

Discussion générale

Question prioritaire de constitutionnalité (Renvoi)

Essais nucléaires français en Polynésie (Suite)

Discussion générale (Suite)

Discussion des articles

Article premier

Article 2

Article 3

Article 4

Article 5

Article 6

Article 7




SÉANCE

du mercredi 18 janvier 2012

51e séance de la session ordinaire 2011-2012

présidence de M. Jean-Pierre Raffarin,vice-président

Secrétaires : M. Jean Boyer, Mme Odette Herviaux.

La séance est ouverte à 14 h 30.

Le procès-verbal de la précédente séance, constitué par le compte rendu analytique, est adopté sous les réserves d'usage.

Échecs de CMP

M. le président.  - J'informe le Sénat que les commissions mixtes paritaires chargées de proposer un texte sur les dispositions restant en discussion, d'une part, de la proposition de loi relative à la simplification du droit et à l'allègement des démarches administratives et, d'autre part, du projet de loi organique relatif au remboursement des dépenses de campagne de l'élection présidentielle ne sont pas parvenues à l'adoption d'un texte commun.

Dépôt d'un rapport

M. le président.  - M. le Premier ministre a transmis au Sénat, en application de l'article 67 de la loi du 9 décembre 2004 de simplification du droit, le rapport sur la mise en application de la loi du 17 mai 2011 de simplification et d'amélioration de la qualité du droit. Il a été transmis à la commission sénatoriale pour le contrôle de l'application des lois ainsi qu'à la commission des affaires sociales, à la commission de la culture, à la commission de l'économie et à la commission des lois. Il est disponible au bureau de la distribution.

Conférence des présidents

M. le président.  - Je vais vous donner lecture des conclusions de la Conférence des présidents.

Elle a pris acte, en application de l'article 6 bis du Règlement, des demandes de création : d'une commission d'enquête sur l'évasion des capitaux et des actifs hors de France et ses incidences fiscales (demande du groupe CRC) ; d'une mission commune d'information sur les dispositifs médicaux à risques non pris en charge (demande du groupe UMP) ; d'une mission commune d'information sur les pesticides et leur impact sur la santé et l'environnement (demande du groupe socialiste et apparentés).

Elle a également décidé la création d'une mission commune d'information sur les inondations qui se sont produites dans le Var et, plus largement, dans le sud-est de la France en novembre 2011 (demande du groupe RDSE).

Puis elle a fixé l'ordre du jour jusqu'au jeudi 16 février.

MERCREDI 18 JANVIER 2012

De 14 h 30 à 18 h 30 :

Ordre du jour réservé au groupe socialiste et apparentés :

1°) Proposition de résolution relative au séjour des étudiants étrangers diplômés.

2°) Proposition de loi relative au suivi des conséquences environnementales des essais nucléaires français en Polynésie française.

JEUDI 19 JANVIER 2012

De 9 heures à 13 heures :

Ordre du jour réservé au groupe UMP :

1°) Proposition de loi tendant à modifier la loi portant reconnaissance de la Nation et contribution nationale en faveur des Français rapatriés (procédure accélérée).

De 15 heures à 19 heures :

Ordre du jour réservé au groupe UCR :

2°) Proposition de loi relative à la délinquance d'imprudence et à une modification des dispositions de l'article 223-1 du code pénal instituant le délit de « mise en danger délibérée de la personne d'autrui ».

3°) Proposition de loi modifiant le délai de prescription de l'action publique des agressions sexuelles autres que le viol.

LUNDI 23 JANVIER 2012

Ordre du jour fixé par le Gouvernement :

À 15 heures et le soir :

- Proposition de loi, adoptée par l'Assemblée nationale, visant à réprimer la contestation de l'existence des génocides reconnus par la loi.

MARDI 24 JANVIER 2012

À 9 h 30 :

1°) Questions orales.

À 14 h 30 :

2°) Projet de loi, adopté par l'Assemblée nationale après engagement de la procédure accélérée, fixant au 11 novembre la commémoration de tous les morts pour la France.

Le soir :

3°) Éventuellement, suite du projet de loi fixant au 11 novembre la commémoration de tous les morts pour la France.

4°) Sous réserve de sa transmission, proposition de loi relative à l'exercice des professions de médecin, chirurgien-dentiste, pharmacien et sage-femme pour les professionnels titulaires d'un diplôme obtenu dans un État non membre de l'Union européenne (procédure accélérée).

MERCREDI 25 JANVIER 2012

À 14 h 30 et le soir :

1°) Conclusions de la commission mixte paritaire sur la proposition de loi relative à la protection de l'identité.

2°) Projet de loi relatif à l'accès à l'emploi titulaire et à l'amélioration des conditions d'emploi des agents contractuels dans la fonction publique, à la lutte contre les discriminations et portant diverses dispositions relatives à la fonction publique (procédure accélérée).

JEUDI 26 JANVIER 2012

À 9 h 30 :

1°) Suite du projet de loi relatif à l'accès à l'emploi titulaire et à l'amélioration des conditions d'emploi des agents contractuels dans la fonction publique.

2°) Conclusions de la commission mixte paritaire sur le projet de loi organique portant diverses dispositions relatives au statut de la magistrature.

3°) Projet de loi, adopté par l'Assemblée nationale après engagement de la procédure accélérée, portant réforme des ports d'outre-mer.

À 15 heures et le soir :

4°) Questions d'actualité au Gouvernement.

5°) Suite de l'ordre du jour du matin.

MARDI 31 JANVIER 2012

De 14 h 30 à 16 h 45 :

1°) Conclusions de la commission mixte paritaire ou nouvelle lecture du projet de loi organique relatif au remboursement des dépenses de campagne de l'élection présidentielle.

2°) Projet de loi, adopté par l'Assemblée nationale après engagement de la procédure accélérée, de programmation relatif à l'exécution des peines.

De 17 heures à 17 h 45 :

3°) Questions cribles thématiques sur l'efficacité énergétique, notamment en matière de transport et de logement.

À 18 heures et le soir :

4°) Suite du projet de loi de programmation relatif à l'exécution des peines.

MERCREDI 1er FÉVRIER 2012

À 14 h 30 et le soir :

1°) Désignation des vingt et un membres de la commission d'enquête sur l'évasion des capitaux et des actifs hors de France et ses incidences fiscales.

2°) Désignation des vingt-quatre membres des trois missions communes d'information :

- sur les dispositifs médicaux à risques non pris en charge

- traitant des pesticides et de leur impact sur la santé et l'environnement

- sur les inondations qui se sont produites dans le Var et, plus largement, dans le sud-est de la France au mois de novembre 2011.

3°) Suite du projet de loi de programmation relatif à l'exécution des peines.

JEUDI 2 FÉVRIER 2012

À 9 h 30, à 14 h 30 et le soir :

1°) Suite du projet de loi de programmation relatif à l'exécution des peines.

2°) Proposition de loi, adoptée par l'Assemblée nationale, portant diverses dispositions d'ordre cynégétique.

VENDREDI 3 FÉVRIER 2012

À 9 h 30 et à 14 h 30 :

- Suite de la proposition de loi portant diverses dispositions d'ordre cynégétique.

MARDI 7 FÉVRIER 2012

À 9 h 30 :

1°) Questions orales.

À 14 h 30 :

2°) Débat de politique étrangère.

À 17 heures :

3°) Débat sur le rapport annuel du contrôle de l'application des lois.

Le soir :

4°) Question orale avec débat du groupe socialiste sur les gaz de schiste.

5°) débat sur le thème « Union européenne : vers un fédéralisme budgétaire ».

MERCREDI 8 FÉVRIER 2012

À 14 h 30 :

1°) Question orale avec débat de Mme Anne-Marie Escoffier sur le droit à la protection de la vie privée.

À 16 h 30 et le soir:

2°) Question orale avec débat du groupe socialiste et apparentés sur la lutte contre la prolifération du frelon asiatique.

À 18 h 30

3°) Dépôt du rapport annuel de la Cour des comptes par M. Didier Migaud, Premier président de la Cour des comptes.

Le soir :

4°) Débat sur la biodiversité.

JEUDI 9 FÉVRIER 2012

À 9 h 30 :

1°) Débat sur la situation de l'industrie automobile en France.

À 15 heures :

2°) Questions d'actualité au Gouvernement.

À 16 h 15 :

3°) Proposition de résolution relative à la filière industrielle nucléaire française.

MARDI 14 FÉVRIER 2012

De 14 h 30 à 16 h 45 :

1°) Éventuellement, suite de la proposition de loi relative au suivi des conséquences environnementales des essais nucléaires français en Polynésie française.

2°) Proposition de loi visant à assurer l'aménagement numérique du territoire.

De 17 heures à 17 h 45 :

3°) Questions cribles thématiques sur l'indemnisation des victimes de maladies et d'accidents professionnels.

À 18 heures et le soir :

4°) Suite de l'ordre du jour de l'après-midi.

MERCREDI 15 FÉVRIER 2012

De 14 h 30 à 18 h 30 :

1°) Sous réserve de sa transmission, proposition de loi relative à l'organisation du service et à l'information des passagers dans les entreprises de transport aérien de passagers.

À 18 h 30 et le soir :

2°) Proposition de loi de simplification des normes applicables aux collectivités locales.

JEUDI 16 FÉVRIER 2012

De 9 heures à 13 heures :

1°) Proposition de loi tendant à interdire les licenciements boursiers.

De 15 heures à 19 heures :

2°) Proposition de loi relative à l'égalité salariale entre les hommes et les femmes.

Le mardi 21 février, à 17 heures :

- Désignation des membres : de la commission des affaires économiques et de la commission du développement durable, des infrastructures, de l'équipement et de l'aménagement du territoire.

L'ordre du jour est ainsi réglé.

Séjour des étudiants étrangers

M. le président.  - L'ordre du jour appelle l'examen de la proposition de résolution relative au séjour des étudiants diplômés, présentée en application de l'article 34-1 de la Constitution.

Mme Bariza Khiari, auteur de la proposition de résolution.  - La France a une longue tradition d'accueil des étudiants étrangers, qui fut un pilier de notre diplomatie. Cela concerne la francophonie mais aussi la vitalité de notre économie. Le Gouvernement de Lionel Jospin avait mis en place une agence dédiée à ces étudiants : EduFrance, rebaptisée depuis Campus France. Le président de la République actuel semblait partager cette priorité, puisqu'il insistait, dans sa lettre de mission du 27 août 2007 au ministre des affaires étrangères, sur l'importance de développer notre influence culturelle à l'étranger. Nous sommes tous convaincus que la voix de la France doit se faire entendre dans la compétition mondiale.

Mme Cerisier-ben Guiga et M. Jacques Blanc avaient présenté un rapport d'information en 2005 qui plaidait pour une nouvelle politique d'accueil des étudiants étrangers. En 2006, une loi a été votée pour favoriser leur installation et leurs études. Il s'agissait ainsi, avec l'article 311-11 du code de l'entrée et des séjours des étrangers et du droit d'asile (Ceseda), de permettre aux étudiants diplômés d'avoir une première expérience professionnelle en France sans que la situation de l'emploi puisse leur être opposée. M. Sarkozy, alors ministre de l'intérieur, défendait une disposition qui, disait-il, illustrait sa conception d'une immigration choisie. Or voilà que la circulaire du 31 mai 2011 réduit ces années d'efforts à néant ; on est passé de l'immigration choisie à l'immigration zéro.

Ce texte a des conséquences qualifiées de stupides, d'aberrantes, d'infâmantes par tous les acteurs concernés. Personne dans vos rangs, monsieur le ministre, n'a pris la défense de cette circulaire. On a soutenu qu'il s'agissait d'un malentendu ou d'une maladresse, M. Wauquiez jouant dans les médias le rôle du gentil. En fait, vous voulez réduire les visas étudiants.

Les arguments que vous développez, monsieur le ministre, sont contestables et même contradictoires entre eux. Vous estimez que la mobilisation des étudiants est sans fondements car le nombre d'étudiants ayant changé de statut a augmenté de 35 % -17 % dites-vous aujourd'hui. Quoi de plus normal dès lors que notre pays a accueilli beaucoup plus d'étudiants étrangers ! L'immigration professionnelle est un rempart contre le racisme, disait Nicolas Sarkozy ; est-ce à dire que la limiter est une forme de capitulation devant le racisme ?

Vous dites que la crise nous impose de réserver l'emploi aux Français et aux résidents réguliers. Mais notre pays compte 285 000 étudiants étrangers, dont seuls 10 000, extracommunautaires, restent en France à la fin de leurs études ; et ils ne sont plus que 2 000 dix ans après leur arrivée. Votre immigration choisie ne concerne que très peu de personnes ! Il est en conséquence inexact de dire que les restrictions imposées à ces étudiants permettent de faire baisser le chômage. Pouvez-vous nous indiquer le nombre d'autorisations provisoires de séjour (APS) demandées et délivrées, ainsi que celui des cartes de séjour (CDS) ?

Enfin, vous parlez de pillage des cerveaux. Cet argument est infondé et dépassé. Plutôt que d'estimer que leur retour immédiat est nécessaire, il convient d'estimer que le travail dans notre pays est un juste retour sur investissement -c'est notre enseignement supérieur qui a formé ces étudiants. Les pays en voie de développement gagnent à la circulation de leurs diplômés. Comme l'a dit un spécialiste du sujet, le cerveau peut fuir plus vite en restant au même endroit. En l'espèce il n'y a pas pillage, mais gaspillage.

La semaine prochaine, nous allons légiférer sur les médecins étrangers exerçant en France. Parlera-t-on du pillage de cerveaux ? Non, car ils sont indispensables à notre système de soin ; nous les laissons néanmoins dans une grande précarité...

Vos arguments sont faibles alors que votre circulaire du 31 mai est dévastatrice. Vous demandez aux préfets d'instruire avec rigueur, d'appliquer une politique du chiffre en chassant des diplômés d'HEC, des polytechniciens, des centraliens. Une poignée d'étudiants a heureusement réussi à mobiliser des milliers d'artistes, d'intellectuels et d'universitaires contre votre circulaire.

L'attractivité de notre pays souffre alors que nous sommes passés du troisième au quatrième rang mondial pour l'accueil des étudiants étrangers. Ces derniers mois ont été un véritable cauchemar administratif pour ces derniers. La mal est fait : certains ont anticipé leur retour, d'autres ont choisi d'autres pays, d'autres enfin sont entrés dans la clandestinité.

Je veux me faire enfin l'écho d'une grande indignité pour notre République : le traitement des étrangers en France. Il est indigne de les contraindre à de longues heures de queue devant les préfectures. Il est anormal que les horaires d'ouverture et de fermeture de ces services changent sans cesse, que les décisions soient à ce point inconséquentes. Les agents préfectoraux sont transformés en agents de l'arbitraire, de l'humiliation et du détournement du droit. (Applaudissements sur les bancs socialistes)

Le parti socialiste ne veut pas d'une immigration dérégulée et n'a pas peur de le dire ; mais il ne peut accepter ces traitements indignes. Des critères simples, durables et clairs doivent être définis. L'arbitraire et l'injustice ne sauraient être la règle.

Il faut restaurer l'attractivité de la France, sécuriser les universités, les entreprises. La nouvelle circulaire n'est pas à la hauteur des enjeux ; toutes les ambiguïtés ne sont pas levées. Les étudiants de la nouvelle promotion peinent à trouver un stage de fin d'études, tant les entreprises ont été échaudées.

La nouvelle circulaire a un mérite, celui de répondre provisoirement au cas de centaines de diplômés concernés par une obligation de quitter le territoire français (OQTF). Mais il est incompréhensible que les étudiants aient si peu recours à l'article 311-11 qui est censé leur être favorable. Peut-être celui-ci a-t-il été rédigé pour ne pas être appliqué -à voir les conditions posées pour bénéficier d'une APS... De plus, la notion de « première expérience professionnelle » n'est pas définie -un changement d'intitulé de poste en marque-t-il par exemple la fin ? Résultat, les étudiants préfèrent demander un changement de statut plutôt que l'APS. L'application d'une politique du chiffre entraîne des situations aberrantes.

Votre circulaire n'est pas un malentendu, mais un calcul électoral. Elle saborde les intérêts de la France. Les dossiers sont-ils examinés au regard des attentes économiques ? Qu'en est-il des 700 étudiants qui n'ont pas obtenu de réponse ou ont reçu une réponse négative souvent injustifiée ? À qui doivent-ils s'adresser ? Doivent-ils recommencer toute la procédure et s'acquitter, à nouveau, des frais de dossier ? Qu'adviendra-t-il de ceux qui présenteraient une promesse d'embauche ? Les étudiants et les employeurs attendent des réponses précises. Pourquoi Pôle Emploi est-il désigné comme référent, alors que les entreprises, pour ces dossiers, n'y ont pas recours ? La deuxième circulaire ne règle rien. Au reste, la première continue-t-elle de s'appliquer ? Mieux vaut retirer les deux et revenir à l'application du 311-11.

Transformons la mondialisation qui, non régulée, est facteur de désordre, en civilisation ! L'accueil et la formation des étudiants étrangers et une politique d'immigration juste participent d'une mondialisation humanisée, d'une ambition plus forte pour la France. Les étudiants étrangers sont une richesse et non un fardeau. Avec cette proposition de résolution, nous disons notre attachement au rayonnement de la France et à la francophonie ; nous disons notre fidélité aux valeurs de la République. (Applaudissements à gauche)

Mme Françoise Laborde.  - La France a une longue tradition d'accueil. Elle compte 26 000 étudiants étrangers, qui l'ont choisie pour son histoire, sa culture, ses valeurs, la qualité de son enseignement. Leur présence est un facteur de développement et d'échanges -dans les deux sens ; elle contribue à la compréhension entre les peuples, mais cela ne peut se mesurer en euros.

Dans cette logique, nous devons développer les partenariats avec les universités étrangères. Il nous faut donc continuer à accueillir des étudiants étrangers ; leur interdire l'accès à une première expérience professionnelle en France porte un coup fatal à cette politique.

Les entreprises subissent, depuis la parution de la première circulaire, un réel manque à gagner.

Depuis la loi de 2006, ces étudiants disposent de six mois pour conclure un contrat de travail ou obtenir une promesse d'embauche ; la situation de l'emploi ne leur est pas opposable quand le salaire est supérieur à 1,5 Smic.

La circulaire du 31 mai devait éclairer la loi ; elle la dénature. Une nouvelle circulaire a été publiée le 12 janvier pour la corriger ; compléter une circulaire incohérente par une circulaire ambigüe ne règle rien... Quid des diplômés qui sont déjà rentrés chez eux ? De ceux qui ont perdu leur emploi ? Pendant cinq ans, les préfectures n'ont pas eu besoin de circulaire pour appliquer la loi de 2006, qui est d'une grande clarté ! Avec sa première circulaire, le Gouvernement a opposé à ces étudiants la situation de l'emploi, en contradiction avec le 311-11 ; pourquoi ne pas avoir présenté une modification législative, monsieur le ministre ? La loi de 2006 a été voulue par M. Sarkozy, alors ministre de l'intérieur, qui jugeait qu'il était absurde que les étudiants étrangers -un potentiel de croissance inexploité, disait-il- retournent dans leur pays à l'issue de leurs études. Les étudiants concernés sont fragilisés par votre politique. Certains pays ne tarderont pas à renvoyer nos étudiants qui vont y étudier. Votre politique est à contresens de l'héritage des Lumières, elle attente au rayonnement culturel de la France.

Dans le respect des principes humanistes auxquels elle est attachée, la majorité du RDSE votera cette proposition de résolution. (Applaudissements à gauche)

M. François-Noël Buffet.  - Il faut raison garder et ne pas se laisser aller à l'instrumentalisation. (Protestations à gauche)

M. François Patriat.  - ça commence mal !

M. François-Noël Buffet.  - Le Gouvernement a opté pour une immigration choisie, dans un contexte de crise, cela est reconnu par tous dans cet hémicycle. La loi dit que si une entreprise ne trouve pas le profil qu'elle recherche, elle peut recruter un salarié étranger. Il est vrai qu'il faut attirer les meilleurs étudiants, le Premier ministre a rappelé notre objectif d'attractivité. Il s'est passé que des diplômés hautement qualifiés n'ont pas pu obtenir un titre de séjour du fait d'une application extensive de la circulaire du 31 mai. Voilà la réalité. Il faut permettre à nos entreprises de les recruter. D'où la nouvelle circulaire. Mais il est non moins vrai que tous les gens qui viennent faire leurs études en France ne peuvent y occuper un emploi.

M. David Assouline.  - Nous parlons de diplômés bac+5 !

M. François-Noël Buffet.  - Parfois, on peut s'interroger aussi sur la réalité des études suivies...

Il y a eu peut-être la tentation d'instrumentaliser la situation. (Exclamations à gauche)

Mme Catherine Procaccia.  - Laissez-le parler !

M. François-Noël Buffet.  - Mais je reconnais que le ton de Mme Khiari était modéré.

Mme Dominique Gillot.  - Dans ce cas, quel est le problème ?

M. François-Noël Buffet.  - Je voulais, par mon intervention, rappeler la réalité des choses. (Applaudissements à droite)

Mme Esther Benbassa.  - Merci à Mme Khiari pour cette proposition de résolution. La France est en train de perdre son excellence dans le domaine de l'intelligence. Elle est en train de perdre des étudiants étrangers, mais aussi ses meilleurs étudiants qui s'expatrient, surtout aux États-Unis. Selon une étude de 2005, 17 % des post-doctorants partis dans ce pays ne rentrent pas. Le système universitaire américain a la réputation d'être le meilleur au monde. Voilà autant de jeunes perdus pour notre pays dans la compétition internationale.

Or il nous faut conserver ces jeunes qui contribuent à la réussite économique de notre pays. Les étudiants étrangers permettent aussi de nous implanter dans le monde. Mais ils sont tombés sous le couperet de votre première circulaire. La mobilisation du monde universitaire a permis d'en revenir à plus de sagesse et à la publication d'une deuxième circulaire qui, nous a-t-on dit, devait rétablir en partie les dispositions de la loi de 2006 et ne plus contredire l'esprit du 311-11.

Dans les faits, il n'en est hélas rien. J'ai reçu de matin un courriel d'un patron d'une PME de transport routier. Il a recruté en mars 2010 une jeune étudiante titulaire d'un mastère en économie et l'a formée à son métier, mais a dû la licencier à l'expiration de son titre de séjour. Elle a demandé un changement de statut, que la préfecture lui a refusé, lui délivrant une OQTF. Elle a déposé un recours. Alors que la décision du tribunal administratif est attendue pour le 20 janvier, elle a été arrêtée à son domicile... (Exclamations indignées à gauche) Tout cela est-il admissible ? Je m'interroge sur la façon dont seront traitées les nouvelles demandes.

Nombre d'étudiants qui ont choisi la France ont fait sa gloire et la feront encore demain. Misons sur eux, misons sur l'avenir, nous avons besoin de ces savoirs et de ces talents. Le groupe écologiste votera bien évidemment cette proposition de résolution. (Applaudissements à gauche et sur les bancs du groupe écologiste)

M. Jean-Yves Leconte.  - Nous nous félicitons que M. le ministre ait sous la pression modifié sa circulaire du 31 mai. Malheureusement, les précisions cosmétiques qu'elle contient ne changent rien sur le fond. Des centaines de jeunes étrangers étaient prêts à travailler en France ; les préfectures leur en ont refusé l'autorisation. Nombre d'entre eux sont partis vers des cieux plus cléments et des compétences irremplaçables se sont évanouies alors que nos entreprises avaient besoin de leurs talents. Pourquoi une telle politique ? Pour faire du chiffre, afin de récupérer les voix du Front national. Mais à stigmatiser les étrangers, vous devenez complice et agent du parti que vous prétendez combattre.

Au milieu des années 1970, la France était le premier pays destinataire ; aujourd'hui, elle est à la quatrième place. Dans l'enseignement supérieur, les taux d'étudiants étrangers diminuent d'autant qu'ils ne peuvent plus être recrutés par les entreprises.

Lionel Jospin avait créé EduFrance, devenue Campus France, pour accueillir les étudiants étrangers. Mais depuis, les conditions d'attribution des visas ont été durcies. Tel qui remplit les conditions de Campus France ne peut obtenir de visa. Un ministre djiboutien me l'a dit récemment : faute de visas, les étudiants de son pays se tournent vers la Belgique, mais aussi vers la Chine !

Pour nos écoles françaises à l'étranger, le signal est inquiétant. Pourquoi suivre une scolarité française à l'étranger si on ne peut poursuivre ses études en France. Lors de l'examen du budget, nous avons dénoncé les procédures en vigueur dans les préfectures, qui sentent le XIXe siècle... De nombreux témoignages illustrent des conditions d'accueil inadmissibles.

M. le président.  - Il faut conclure !

M. Jean-Yves Leconte.  - Cette politique est une erreur. Nous aurons perdu de nombreux talents.

Si des étudiants étrangers peuvent apporter leur contribution à la France, pourquoi les renvoyer chez eux ?

M. Alain Gournac.  - Le disque est rayé !

M. Jean-Yves Leconte.  - Vous l'aurez compris, c'est de la France, de sa tradition et de ses valeurs qu'il s'agit aujourd'hui. Votons le texte. (Applaudissements à gauche)

M. le président.  - Lorsque votre temps de parole est dépassé, je vous invite à raccourcir votre intervention. Il y va de l'équilibre politique.

Mme Éliane Assassi.  - Les étudiants étrangers sont une richesse pour la France. C'est même un honneur qu'ils nous aient choisis. Hélas, la droite, mais aussi l'extrême droite, poussent toujours à un durcissement de la politique d'immigration et agitent comme un trophée le nombre d'expulsions : 32 922 en 2011, un record. Mais il est des records qui font froid dans le dos !

Mme Colette Giudicelli.  - Quel ton nuancé !

Mme Éliane Assassi.  - Désormais, loi liberticide après loi liberticide, l'énarque marocain côtoie le plombier polonais. Voilà la triste réalité que la circulaire Guéant a créée : 1 000 étudiants interdits de travailler -des chantiers urbains ont même dû être arrêtés- à la seule fin de gonfler les chiffres des expulsions...

La circulaire honteuse du 31 mai est contraire à la loi de 2006 de M. Sarkozy et elle nuit à l'image de la France.

Les termes de la circulaire sont particulièrement clairs : elle traduit la volonté de s'aligner sur le programme du Front national. D'ailleurs, vous avez augmenté la taxe sur les visas accordés aux étudiants étrangers : elle est passée de 280 à 385 euros contre 55 à 70 euros auparavant.

Heureusement, à la suite de nombreuses protestations, le Gouvernement a dû reculer et mettre fin, avec la circulaire du 12 janvier, à cette aberration économique. Pour autant, l'autorisation reste donnée à titre provisoire, l'accent étant mis sur le retour. Cet assouplissement n'est en rien satisfaisant ; la France doit faire un geste fort pour reconnaître la richesse de ces travailleurs. Ce serait le cas si ces deux circulaires étaient abrogées.

Puisque l'époque est encore aux voeux, je forme le souhait que la gauche remporte les deux prochaines séquences électorales et supprime tous ces textes liberticides qui portent atteinte à la dignité humaine ! (Applaudissements à gauche)

Mme Joëlle Garriaud-Maylam.  - Le sujet des étudiants étrangers me tient à coeur ; je vous avais interpellé sur ce thème en commission des affaires étrangères. Je me réjouis de la seconde circulaire du 12 janvier qui apporte des solutions aux problèmes posés.

Pour être sénateur représentant des Français de l'étranger, je sais toute la richesse de ces échanges d'étudiants. Cela dit, je ne voterai pas ce texte. Il y a peu, les autorités sénégalaises m'alertaient à Dakar sur le manque de médecins. Tous travaillent en France, après avoir bénéficié de bourses sénégalaises. Il est de notre responsabilité de ne pas encourager ce mouvement, même s'il faut se garder de toute généralisation.

S'il est normal de permettre une première expérience aux étudiants étrangers, il est légitime de prévoir une procédure de droit commun pour un séjour plus long.

Au reste, des pays tels le Canada ou les États-Unis, connus pour leur attractivité, ne font pas autrement.

J'invite le Gouvernement, pour renforcer notre attractivité, à simplifier nos procédures. Il y va de notre rang dans l'âpre compétition mondiale. Ces étudiants, revenus dans leurs pays, sont des vecteurs de l'influence française. Une telle évolution est indispensable : la France, qui n'est plus que quatrième pour l'accueil des étudiants étrangers, est talonnée par l'Allemagne. J'ai toute confiance en M. Claude Guéant pour mener à bien cette réforme. (Exclamations à gauche)

M. David Assouline.  - Mme Khiari a bien dit les raisons de ce texte. Il ne s'agit pas tant de coeur -nous n'attendons plus cela de vous- que de raison. Vous avez, dans l'engrenage d'une politique politicienne, brouillé le message. Autrefois, il était question de renforcer l'attractivité de la France ; désormais, vous agitez la peur que ne déferlent dans notre pays des hordes d'étrangers. En bon libéral, vous êtes le chantre de la libre circulation des biens et des capitaux. Cette vision, curieusement, devient étriquée dès lors qu'on aborde la circulation des personnes, donc l'immigration.

Avec ce texte, vous avez envoyé un message aux étudiants étrangers, les décourageant de venir. Tous nos concurrents vous en remercient. Souvent, dans les débats sur la politique universitaire, vous avez mis en avant les classements internationaux et nous avons dit nos réserves. Mais il y a un critère indiscutable : le nombre d'étudiants étrangers. Or il chute déjà. Pourquoi ? Parce que la première expérience est la concrétisation des études.

Tout cela, vous l'avez fait aux dépens de notre pays pour des raisons purement électorales. En tant que président de la nouvelle commission du suivi de l'application des lois, la circulaire du 31 mai 2011 est un cas d'école : elle va au-delà de la loi de 2006. Et les préfets en font une interprétation encore plus restrictive, suivant vos consignes. Ces dérapages seront sanctionnés, je n'en doute pas, de telle sorte que le vote de mai 2012 revienne sur ce texte adopté en mai 2011 ! (Applaudissements à gauche)

Mme Catherine Procaccia.  - Je me réjouis, chère madame Khiari, de ce débat. Cela dit, la solution trouvée depuis son inscription à l'ordre du jour a modifié, je l'avoue, ma position. (Marques de déception à gauche)

Contrairement aux orateurs précédents, je ne crois pas que les étudiants étrangers aient vocation à s'installer en France, de la même façon que les étudiants français n'ont pas vocation à travailler aux États-Unis ou en Grande-Bretagne. Un délai de six mois paraît court, mais il semble suffisant pour que des étudiants diplômés à ce niveau trouvent un emploi. Néanmoins, la circulaire du 12 janvier ne règle pas tout.

J'ai un dossier : celui d'un salarié embauché mi-2011 dans l'entreprise où j'ai travaillé 30 ans : son changement de statut n'a pas été renouvelé. L'État n'a pas à s'immiscer dans la politique de ressources humaines d'une entreprise privée ! (Mme Bariza Khiari applaudit)

Ce débat doit être l'occasion de revenir sur cette question et de mieux associer, comme cela se fait dans certains pays anglo-saxons, les partenaires privés à notre politique de recrutement ainsi que les universités ! (Applaudissements à droite, au centre et sur de nombreux bancs à gauche)

Mme Sylvie Goy-Chavent.  - Très bien !

Mme Marie-Noëlle Lienemann.  - Notre vieux pays, situé sur un vieux continent, n'est jamais plus beau que lorsqu'il est fidèle à ses valeurs humanistes. La circulaire Guéant est un bien mauvais coup pour la France et témoigne d'une terrible étroitesse de vue. La France serait menacée par quelques milliers d'étudiants étrangers ? Les entreprises, vous les écoutez lorsqu'il s'agit de revenir sur le droit du travail. Pourquoi ne le faites-vous pas lorsqu'elles veulent recruter des étudiants ? (Applaudissements à gauche)

Manque de médecins ou d'ingénieurs dans les pays d'origine ? La raison n'est pas celle que vous avez dite : la vérité est que nous ne formons pas assez de personnes compétentes !

Mme Sylvie Goy-Chavent.  - Tout à fait d'accord !

Mme Marie-Noëlle Lienemann.  - La vérité est que ce sont ceux qui étudient et font fortune dans notre beau pays puis s'expatrient par refus de payer des impôts qui nuisent à notre pays ! (Bravo et applaudissements à gauche)

Mme Sylvie Goy-Chavent.  - Le début était bon, la fin est moins bonne...

Mme Colette Giudicelli.  - Jamais les étudiants étrangers n'ont été si nombreux en France : 260 000 en 2011. Leur provenance a changé. Aujourd'hui, 24 % d'entre eux sont chinois et se dirigent davantage vers les filières sélectives que les universités.

L'important, pour nous, est que ceux-ci réussissent aussi bien que les étudiants français. Or leur taux de réussite est seulement de 40 %. M. Marini, dans un rapport, expliquait cette situation par un manque de sélection. Cette situation ne favorise pas le codéveloppement, ni le retour dans le pays d'origine, qui est un pilier de notre politique.

Parce que la circulaire du 12 janvier corrige utilement celle du 31 mai 2011, je ne voterai pas cette proposition de résolution. (Applaudissements à droite)

M. Claude Guéant, ministre de l'intérieur, de l'outre-mer, des collectivités territoriales et de l'immigration.  - Ce débat illustre les progrès constitutionnels voulus par le président de la République : il y a cinq ans, Mme Khiari n'aurait pas pu déposer cette proposition de résolution.

Je suis heureux de dissiper les doutes autour de la circulaire du 31 mai 2011. Celle-ci, contrairement à ce qu'indique le titre du texte de Mme Khiari, concerne les ressortissants étrangers ayant obtenu un diplôme en France, non les étudiants étrangers.

On ne peut pas contester l'ampleur de la crise qui frappe notre pays : 2,8 millions de chômeurs, ce chiffre allant en augmentant d'après l'Insee.

Les jeunes sont plus particulièrement touchés par le chômage. Dans ces conditions, notre devoir est d'abord d'insérer la population déjà présente dans l'emploi, d'insérer les demandeurs d'emploi, Français ou étrangers. (Exclamations à gauche)

La circulaire du 31 mai 2011 ne traitait que de l'immigration professionnelle que le Gouvernement veut réduire. Peu de gens l'ont réellement lue. Merci à M. Buffet d'avoir rappelé quelques vérités. Au reste, comment un texte d'une telle nature pourrait-il modifier la loi ? À entendre certaines interventions, j'avais le sentiment que nous ne parlions pas du même texte.

Cette circulaire n'avait donc pas pour objet de traiter de la situation des étudiants récemment diplômés. Reste que certaines universités m'ont signalé des difficultés que je me suis efforcé, avec MM. Wauquiez et Bertrand, de résoudre. Pourquoi ai-je parlé de malentendu ? Le flux des étudiants étrangers n'a jamais été aussi important en France : 60 000 contre 50 000 en 2007 et en 2008. La description de M. Leconte était donc tout à fait inexacte. Que la majorité sénatoriale ne caricature pas en faisant preuve de mauvaise foi : le Gouvernement ne cherche pas à faire diminuer l'immigration avec les étudiants étrangers, les chiffres prouvent le contraire. Et les comparaisons internationales, Mme Garriaud-Maylam l'a montré, sont plutôt flatteuses pour notre pays.

Comme il subsistait quelques difficultés, avec Xavier Bertrand et Laurent Wauquiez nous avons pris jeudi dernier des dispositions spécifiques concernant les diplômés étrangers. D'abord pour leur recrutement nous appliquons l'article 311-11, qui empêche qu'on leur oppose la situation de l'emploi. En 2011, 1 500 personnes en ont bénéficié. Nous vérifions le niveau du salaire, qui ne peut être inférieur à 1,5 Smic, et les étrangers concernés pourront produire une attestation de soutien du président de l'université et du chef d'entreprise, ce qui offre une solution, demandée par la Conférence des présidents, proche de celle demandée par Mme Procaccia. À ce sujet, madame, l'employeur ne saurait seul appliquer la loi...

J'en viens aux changements de statut, la deuxième procédure. Les critères sont désormais clairs ; ce qui permettra à l'administration d'instruire les dossiers cas par cas : connaissance approfondie par le diplômé du pays où l'entreprise est installée, prise en charge par l'entreprise des études, excellence du parcours universitaire, mobilité encadrée, études secondaires dans un établissement français à l'étranger. Et cette liste n'est pas limitative.

Dorénavant, la circulaire complémentaire s'applique. Elle lève définitivement les malentendus : 402 dossiers sur 674 (et non 900) réexaminés ont déjà reçu une réponse positive. Avant l'instruction, les mesures d'éloignement sont suspendues. Ce texte donne entière satisfaction aux présidents d'université, de grandes écoles et d'écoles d'ingénieurs.

M. David Assouline.  - Et le cas de Toulouse ?

M. Claude Guéant, ministre.  - Cette circulaire qui lève les malentendus ne signifie pas un renoncement à notre politique de maîtrise de l'immigration. Nous veillerons à ce que le recours à des ressortissants étrangers n'aboutisse pas à du dumping social. Nous continuerons également à vérifier que les entreprises qui veulent recruter de tels jeunes appliquent bien le droit du travail. Ce n'était pas le cas, madame Benbassa, de l'entreprise de transport dont vous avez parlé qui, au reste, n'a plus de licence de transport !

M. Alain Gournac.  - Et voilà !

M. Claude Guéant, ministre.  - Notre politique d'immigration est inchangée : nous ne voulons pas qu'il y ait plus de médecins béninois en France qu'au Bénin ! (Applaudissements à droite)

M. David Assouline.  - Ce n'est pas la même chose : ils sont formés au Bénin !

M. Claude Guéant, ministre.  - La circulaire du 31 mai a pu donner lieu à une interprétation restrictive.

Mme Bariza Khiari.  - C'est bien de le reconnaître !

M. Claude Guéant, ministre.  - Cela dit, la circulaire du 12 janvier, qui dissipe tous les malentendus, rend le texte de Mme Khiari caduc. (Applaudissements à droite)

À la demande du groupe socialiste, la proposition de résolution est mise aux voix par scrutin public.

M. le président.  - Voici les résultats du scrutin :

Nombre de votants 317
Nombre de suffrages exprimés 313
Majorité absolue des suffrages exprimés 157
Pour l'adoption 174
Contre 139

Le Sénat a adopté.

(Applaudissements à gauche)

Essais nucléaires en Polynésie

M. le président.  - L'ordre du jour appelle l'examen de la proposition de loi relative au suivi des conséquences environnementales des essais nucléaires français en Polynésie française.

Je vous rappelle qu'en application de la loi organique du 27 février 2004 portant statut de la Polynésie française, M. le président du Sénat a saisi le 6 janvier 2012 le Haut-commissaire de la République en Polynésie française en vue de la consultation de l'Assemblée de la Polynésie française sur la proposition de loi. L'avis favorable de l'Assemblée de la Polynésie française a été communiqué le 17 janvier 2012 et transmis à la commission de l'économie.

Discussion générale

M. Richard Tuheiava, auteur de la proposition de loi.  - Bâtir la relance après-Guerre d'une Nation sur un crime environnemental et sanitaire, est-ce vraiment bâtir ? Bâtir un ambitieux programme de défense nationale sur une vaste escroquerie sanitaire et environnementale, est-ce vraiment bâtir ? Sacrifier une identité autochtone et une structure sociale insulaire sur l'autel de la dissuasion nucléaire, est-ce vraiment bâtir ? Comment oser faire croire aux Polynésiens que la manne financière des années 1960 à 2000 aurait valu contrepartie de ce qu'elle a développé sur leur territoire en 40 ans, alors qu'on leur dissimule aussi bien les gigantesques retombées financières et économiques qui en sont résulté que leurs conséquences sanitaires et environnementales.

Les essais nucléaires ont été un mensonge d'État, 193 agressions environnementales, des maladies, un silence de mort à cause de la manne financière. Au bout de 48 ans, la reconnaissance concédée du bout des lèvres des conséquences sanitaires des essais par la loi Morin, mais accompagnée d'un noyautage budgétaire.

J'ose affirmer à cette tribune que la Polynésie française est passée à quelques millimètres d'un véritable crime contre l'humanité.

La France contient son économie grâce à l'énergie nucléaire développée en partie en Polynésie française. Il y a deux ans, nous discutions du volet sanitaire des essais. Le dispositif se révèle hélas inefficace. Le ministre de la défense de l'époque a dû déchanter devant les arbitrages budgétaires. Son projet de loi a été désintégré, le Gouvernement n'a pas reconnu ses responsabilités. L'initiative parlementaire vient remédier à cette carence. Ce texte fera honneur au Sénat, en dépit des obstructions de toute nature.

L'Unesco a inscrit l'atoll de Bikini, lieu des essais nucléaires aériens des États-Unis, sur la liste du patrimoine de l'humanité, dans le même registre que le site du camp d'Auschwitz au titre de la « solution finale » et que l'île du Cap vert au titre de la traite négrière. Ces sites symbolisent aux yeux du monde ce qu'il ne faut « plus jamais refaire ».

Toute expérimentation nucléaire en milieu naturel reste une terrible agression environnementale et humaine. Mururoa et Fangataufa sont les deux plus grandes décharges nucléaires à ciel ouvert en milieu océanique.

On a dénié aux Polynésiens le droit de vivre en harmonie avec la nature, que l'on a souillée. Je me suis rendu sur l'atoll de Mururoa en 2010 avec des associations. Au nom de ceux qui m'ont élu, je témoigne du lien indéfectible entre la Polynésie et la nature. Visualisons les 41 flashes nucléaires et champignons de fumée plus hauts que la tour Eiffel. « Magnifique » disaient certains de vos prédécesseurs, monsieur le ministre. Visualisons les gerbes lagunaires des 131 explosions souterraines, aboutissant à de nombreuses failles et effondrements de l'atoll dès 1979.

Si je vous offrais cette pierre, seriez-vous assez rassuré pour la placer chaque nuit sous l'oreiller de vos êtres chers ou sur une table d'accouchement présidant une naissance ? Je lis sur vos visages plus qu'une hésitation...

Le 6 février 1964, les Polynésiens ont dû céder les atolls de Mururoa et de Fagataufa à l'armée, après que le ministre de la défense en 1960 eut renoncé à une implantation du centre d'expérimentation en Corse, devant le tollé général. A l'image de ce qui s'est passé au Sahara et en Corse, l'installation du site militaire s'est faite dans le cadre d'un très grave déficit de démocratie. Le général de Gaulle avait annoncé que la Polynésie française serait décrétée territoire militaire en cas de résistance. Les populations polynésiennes n'ont pas été consultées.

Le temps des faux discours officiels est révolu. Ces atolls sont contaminés et à risque. Ne doit-on pas aider ces deux enfants à regagner le foyer familial, même s'ils sont souillés ? Leur retour était prévu dès la fin des essais, qui est intervenue en 1996. Je les ai survolés : il n'y a aucune activité humaine et militaire. A ce jour, seuls 21 appelés en assurent la surveillance.

Nous devons restaurer le déficit de démocratie qui a autorisé leur cession. Nous voulons, nous devons savoir. L'assemblée de Polynésie française a donné un avis favorable à la rétrocession de ces deux atolls. Ces atolls sont-ils stables ? De nombreuses contaminations sont avérées et connues. Certaines zones risquent aussi de s'effondrer. Il est légitime que la Polynésie française soit associée au dispositif qui sera mis en place.

Enfin, je ne pourrai jamais aborder cette question sans penser aux pauvres humains qui souffrent dans leur chair de ces essais. J'entends les cris de révolte de nombreuses victimes qui ne peuvent bénéficier de la loi de 2010. A ces victimes, je veux assurer que nous ne les lâcherons pas. Nous reviendrons à la charge. Je demande à M. Assouline de se pencher sur l'application de la loi Morin.

Je lance aussi un appel solennel aux candidats à l'élection présidentielle : le décret d'application de la loi de 2010 doit être revu. Je sais compter sur votre soutien. (Applaudissements à gauche)

M. Roland Courteau, rapporteur de la commission de l'économie.  - Pendant 30 ans, la France a conduit 193 essais nucléaires avant de cesser et de démanteler les installations au sol. Nous nous souvenons des pressions internationales lors de ces essais. Cette proposition de loi met l'accent sur un point qui n'a guère été soumis au Parlement : les conséquences environnementales. Seize ans après la fin des essais, il est temps de reconnaître que ces deux atolls, Moruroa et Fangataufa, sont l'affaire des Polynésiens. Certaines des retombées ont atteint Tahiti à 1 200 kilomètres de là.

Les travaux d'installation du centre d'expérimentation ont commencé avant même la cession des atolls en février 1964. La restitution de ces territoires devait avoir lieu sans dédommagement ou réparation de la part de l'État, preuve que les Polynésiens ignoraient les conséquences environnementales des essais nucléaires.

Entre 1966 et 1974, 46 essais aériens ont diffusé des particules radioactives ; 5 kilogrammes de plutonium reposeraient dans les sédiments des lagons, auxquels les autorités ont choisi de ne pas toucher, la décontamination posant trop de problèmes. Ensuite, 148 essais ont eu lieu au fond de puits creusés qui contiennent toujours des produits nucléaires.

On ne peut se satisfaire de cette situation. Les deux atolls sont-ils voués à servir de poubelle nucléaire ? Certes, la situation radiologique serait considérée comme satisfaisante. Mais le plutonium ne doit pas contaminer des lieux vierges. En outre, nous nous interrogeons sur la stabilité des atolls puisque les essais souterrains ont abîmé le sous-sol. En 1979, un tir souterrain a fait basculer un bloc corallien provoquant une vague de deux mètres. Certes, les autorités militaires n'ont pas été inactives : des alertes sont prévues. En cas d'effondrement plus important, des signes avant-coureurs devraient intervenir, ce qui permettrait de prendre des mesures appropriées. Seraient-elles suffisantes ? Je ne le crois pas.

Il y a un an, une étude a démontré qu'un effondrement provoquerait une vague qui atteindrait en quelques minutes l'atoll voisin de Tureia qui est habité. Un tsunami ? On ne voulait pas employer ce mot, et puis, peu de temps après cette étude, un tsunami, d'une ampleur inédite, s'abattait sur le Japon.

Les Polynésiens ont le sentiment de ne pas être entendus quand le secret militaire est de moins en moins justifié. Il est temps de restaurer la confiance, à moins qu'il y ait d'autres secrets à cacher...

Le Sénat se prononce dans le respect de l'autonomie de la Polynésie française, dont les autorités disposent d'une compétence générale. L'Assemblée de la Polynésie française a été saisie officiellement et elle a rendu son avis lundi, après un débat prolongé, notamment sur la loi de 2010. L'Assemblée a renoncé à inclure dans son avis une demande de modification de cette loi. Il faudra pourtant bien revenir sur son application : à ce jour, deux dossiers seulement ont donné lieu à indemnisation ! La loi du 5 janvier 2010 comporte des marges de manoeuvre sur les zones géographiques.

Le nom véritable de l'atoll est « Moruroa », nous l'avons donc préféré à la graphie « Mururoa » d'origine militaire.

La commission a approuvé cette proposition de loi tout en l'amendant. L'article premier propose la rétrocession des deux atolls, que nous approuvons. Elle n'empêche en rien qu'un dispositif de surveillance garantisse la sécurité des produits radioactifs.

Si le transfert n'a d'effet que sur la position terrestre des atolls, ce sera un premier pas d'une grande importance. L'article 2 prohibe toute recherche militaire sur ces atolls. L'article 3 favorisera l'acquisition des informations par les populations locales. Afin de renforcer la transparence, votre commission propose que l'autorité en charge des informations soit l'IRSN, organisme qui dispose de toutes les compétences requises. L'article 4 renforce la coopération entre l'État et la Polynésie française. Les articles 5 et 6 complètent le dispositif. Une commission sera créée, réunissant le ministre et divers acteurs afin de diffuser les informations. La commission a prévu la publicité de ses travaux.

La France a construit dans les années 50 et 60 une dissuasion nucléaire. Ce programme a été rendu possible par l'appartenance à la République de la Polynésie française. La République doit reconnaître à ce territoire ce qu'elle lui doit. (Applaudissements à gauche)

M. Gérard Longuet, ministre de la défense et des anciens combattants.  - (Applaudissements à droite)

Merci de donner la parole à la défense. (Sourires)

Comme M. Tuheiava, je sais, pour avoir exercé des responsabilités locales, combien nous devons être attentifs à la voix de nos territoires. Mais je veux le convaincre que sa démarche n'est pas la bonne pour protéger ces deux atolls qui appartiennent à la Polynésie française.

Nous sommes ici sur le terrain de la dissuasion. C'est un très grand projet français, engagé après l'affaire de Suez et poursuivi par tous les gouvernements successifs. Si le général de Gaulle lui a imprimé sa marque particulière c'est sous la présidence Mitterrand que le plus grand nombre d'essais a eu lieu : 88 en tout. Pouvons-nous leur reprocher ? Non, car il fallait que notre pays ait les moyens de son indépendance et de sa sécurité. Les objectifs ont-ils été atteints ? Je le pense profondément. Si la guerre froide ne s'est pas traduite par une guerre ouverte quand les armées soviétiques campaient « à une étape du Tour de France de Strasbourg », c'est que la dissuasion a fonctionné.

Nous pourrions revenir sur le débat de 1964, mais tel n'est pas l'objet. Nous voulons que les habitants de la Polynésie française retrouvent la sérénité, les convaincre de la sécurité des sites, lesquels ne doivent pas servir de terrain d'expérimentation pour des personnes mal intentionnées. Leur surveillance est une mission régalienne de l'État. L'autorité de la République me paraît être une garantie forte.

Les deux atolls ne sont pas oubliés de la République : le nucléaire n'est pas un projet obsolète, ne serait-ce que par les vertus du nucléaire civil. Je le dis d'autant plus aisément que mon département a accepté d'abriter la gestion souterraine des déchets du nucléaire civil.

Vos préoccupations sont légitimes, mais elles sont portées par une collectivité tout entière. Cette discussion s'est construite à partir de 193 essais assumés par toutes les majorités. Depuis que nous avons signé, le 24 septembre 1996, le traité interdisant les essais nucléaires, nous avons fait le choix de la simulation. Renoncer aux essais ne revient pas à gommer les 30 ans d'activité de ces sites. Nous n'avons pourtant pas l'intention de mettre à la disposition d'acteurs malveillants des données sensibles.

Un crime contre l'humanité ? Le mot serait excessif. Pas moins de 673 dossiers ont été reçus par la Civen, la commission dédiée aux essais nucléaires. Or seuls dix-huit viennent de Polynésie française.

M. Roland Courteau, rapporteur.  - Pourquoi ?

M. Gérard Longuet, ministre.  - J'ai posé la question et j'attends toujours la réponse. Pour être d'une région de charbon, je pense que l'exploitation et l'usage de ce combustible a créé bien plus de dégâts que le nucléaire civil. (Exclamations sur les bancs écologistes ; applaudissements à droite) Quant au nucléaire militaire, il nous a prémunis de guerres.

J'ai présenté un projet de loi relatif à la lutte contre la prolifération des armes de destruction massive. Il a été voté à l'unanimité. Nous devons nous efforcer qu'à aucun moment une puissance utilisera les atolls, où nous voulons maintenir une force de surveillance.

Votre demande et votre inquiétude sont compréhensibles. Le dialogue est en effet nécessaire. En juin 1996, une mission d'experts de l'AIEA s'est rendue sur place pour procéder à diverses mesures ; elle n'a pas relevé d'éléments inquiétants. Une autre mission s'y est rendue deux ans plus tard : la surveillance géo-mécanique lui apparaissait bien assurée. La végétation, les poissons, l'eau sont régulièrement analysés et la situation est saine. La France s'est efforcée de répondre aux questions des Polynésiens. Depuis 1906, l'atoll de Moruroa n'était plus habité régulièrement, non plus que Fangataufa.

Avec la loi de 2010, l'État doit assumer ses responsabilités vis-à-vis de ceux qui souffrent dans leur chair. Il s'agit d'un long travail. Ce texte d'indemnisation des victimes est juste et rigoureux mais le dispositif prévu peut évoluer. Le décret d'application est à nouveau sur le chantier. Il doit être plus ouvert afin de débloquer les dossiers en instance.

M. Roland Courteau, rapporteur.  - Très bien !

M. Gérard Longuet, ministre.  - Le texte sera bientôt présenté.

En 2003, en signe de dialogue, le président Chirac a mis en place un comité interministériel de suivi, associant toutes les formations politiques représentées au Parlement, qui a procédé à un recensement des conséquences des essais nucléaires sur l'environnement polynésien. Son rapport, qui est publié annuellement, est systématiquement transmis aux autorités polynésiennes ainsi qu'aux associations. L'État connaît les inquiétudes des Polynésiens et y est attentif ; il leur demande de participer au dialogue et à l'animation de la Civen.

L'État continuera d'assurer la surveillance radiologique et géomécanique de ces deux atolls.

Ce que nous devons au nucléaire civil et au nucléaire militaire impose de considérer ces deux atolls comme partie prenante d'une réussite française, et oblige toutes les majorités à suivre l'évolution des deux atolls. La propriété de l'État est une garantie de responsabilité. (Applaudissements à droite)

Question prioritaire de constitutionnalité (Renvoi)

M. le président.  - M. le président du Conseil constitutionnel a informé le Sénat, le mercredi 18 janvier 2012, qu'en application de l'article 61-1 de la Constitution, la Cour de cassation a adressé au Conseil constitutionnel une décision de renvoi d'une question prioritaire de constitutionnalité. Le texte de cette décision de renvoi est disponible au bureau de la distribution.

présidence de M. Jean-Claude Carle,vice-président

Essais nucléaires français en Polynésie (Suite)

Discussion générale (Suite)

M. le président.  - Nous reprenons l'examen de la proposition de loi relative au suivi des conséquences environnementales des essais nucléaires français en Polynésie française.

M. Jean-Claude Lenoir.  - Le sujet est particulièrement symbolique pour nos compatriotes Polynésiens : il touche à leur histoire, à leur patrimoine, à leur culture. Nous comprenons leur émotion. Mais émotion n'est pas raison...

Nous abordons aujourd'hui le volet environnemental. Ce débat n'est donc pas l'occasion de revenir sur la loi Morin de 2010, je le rappelle aux associations de vétérans que je salue en tribune. Le contexte a évolué depuis : il y a eu Fukushima... Le climat est anxiogène dès que l'on parle de nucléaire. Mais il ne faut pas entretenir la suspicion ni tenir de discours culpabilisant envers nos dirigeants passés. Acte doit être donné aux Polynésiens de leur participation à la politique de dissuasion de la France.

En 1964, les Polynésiens ont délibéré en ce sens sans, je le reconnais, disposer de toutes les informations. Mais qui, à l'époque, en possédait davantage ? Impossible dès lors de parler de déni de démocratie. De Gaulle est responsable de quatre essais nucléaires, Pompidou de 23, Giscard d'Estaing de 62, Mitterrand de 88 et Chirac de 6, le dernier ayant eu lieu le 27 janvier 1996. Au reste, la Grande-Bretagne et les États-Unis, qui sont à l'origine du plus grand nombre de tirs, ont également procédé à des tirs en Australie et dans le Pacifique sud. Les tirs français n'ont pas été entourés du secret défense le plus absolu ; je vous renvoie aux visites d'Haroun Tazieff, du docteur Atkinson ou du commandant Cousteau.

Ayant dit ces vérités, le groupe UMP, pour des raisons juridiques, ne votera pas ce texte. Les deux atolls ayant depuis 1981 le statut d'installation nucléaire intéressant la défense, cette proposition de loi ne peut organiser leur transfert de propriété, d'autant que la loi organique de 2004 a précisé que le domaine de la défense relevait de l'État. Seule une loi organique peut lever cet interdit. Si la proposition de loi de M. Tuheiava était adoptée, elle serait immanquablement censurée par le Conseil constitutionnel. Autre raison juridique de refuser ce texte, l'activité n'a pas cessé sur les deux atolls. Or c'est une condition posée par la délibération de 1964. Le suivi des conséquences des essais est assuré par l'armée avec le département de suivi des campagnes d'expérimentation, dont le budget n'est pas négligeable.

Moi qui vous parle, je me suis rendu en septembre 2000 à Mururoa. Vous pouvez le constater : je suis en forme ! (Exclamations sur les bancs du groupe écologiste) J'ai vu des atolls comme il y en a tant dans le Pacifique... J'ai été frappé seulement par la longueur de la piste d'atterrissage, où s'était posé le Concorde de M. Mitterrand après l'affaire du Rainbow Warrior...

M. Roland Courteau, rapporteur.  - Ah ! Vous deviez le rappeler, ne serait-ce qu'au détour d'une phrase !

M. Jean-Claude Lenoir.  - J'ai vu que la nature avait repris ses droits. J'ai vu quelques bâtiments, qui abritent des laboratoires. L'AIEA y intervient, de même que la commission géo-mécanique internationale. Nul ne comprendrait que l'État français n'assure pas ses responsabilités en disant aux Polynésiens : vous voulez ces atolls ; et bien prenez-les !

M. Roland Courteau, rapporteur.  - Nous prévoyons que l'État poursuive sa mission de surveillance !

M. Jean-Claude Lenoir.  - Vous désirez une commission nationale de suivi ? Elle existe ! Le conseil d'orientation...

M. Roland Courteau, rapporteur.  - Il n'est composé que de Polynésiens !

M. Jean-Claude Lenoir.  - ... peut avoir accès à toute l'information qu'il souhaite ; le délégué à la sûreté nucléaire s'est d'ailleurs rendu devant lui à plusieurs reprises.

M. Roland Courteau, rapporteur.  - Ce n'est pas la structure de dialogue que nous envisageons !

M. Jean-Claude Lenoir.  - D'après la commission de géomécanique, Mururoa est l'endroit le plus ausculté au monde... Ce qui ne veut pas dire que tout ne doit pas être fait pour apaiser les inquiétudes.

En l'état actuel du droit, vos demandes sont superfétatoires. Enfin, j'ajoute que rien ne permet d'affirmer que les atolls sont contaminés. Pourquoi le président de la commission de l'économie ne saisirait-il pas l'Opecst, qui a déjà rendu deux rapports remarquables en 1997 et 2002 ? (Applaudissements à droite)

M. Ronan Dantec.  - Le 8 août 1945, quelques heures après la bombe lancée sur Hiroshima, Albert Camus, dans un éditorial célèbre de Combat, écrivait : « la civilisation mécanique vient de parvenir à son dernier degré de sauvagerie. Il va falloir choisir, dans un avenir plus ou moins proche, entre le suicide collectif ou l'utilisation intelligente des conquêtes scientifiques » -propos qui marque peut-être la naissance de l'écologie politique... Vingt ans plus tard la France, qui voulait sa bombe, a débuté des essais dans le Sahara.

Vous savez la position du groupe écologiste sur le nucléaire ; le débat est aujourd'hui de reconnaître la maltraitance dont la Polynésie française fait l'objet. Je ne détaillerai pas toutes les négligences commises à Mururoa ; comme dans tant d'autres occasions, le secret militaire sert d'abord à couvrir les erreurs et les fautes plutôt qu'à protéger le schéma technique de la bombe. Je dirai à M. Lenoir, que si le commandant Cousteau est allé dans le lagon, Mme Rivasi, présidente de la Criirad, n'a pu y aller...

M. Jean-Claude Lenoir.  - Elle a refusé d'y aller au dernier moment !

M. Ronan Dantec.  - Quinze ans après la fin des essais, il est temps de rétrocéder les atolls et de voter la transparence. La France doit à la Polynésie française cette loi de résilience et de protection. Il faudra d'ailleurs revenir sur celle de 2010 qui a suscité beaucoup de déceptions.

La proposition de loi a enfin une charge symbolique très forte. On ne peut parler de l'avenir des atolls sans évoquer la mort du photographe Fernando Pereira dans l'explosion du Rainbow Warrior, de sinistre mémoire...

M. Jean-Claude Lenoir.  - ...pour la gauche socialiste !

M. Ronan Dantec.  - Il faut faire le choix de la résilience et choisir, comme l'écrivait si bien Camus, entre l'enfer et la raison ! (Applaudissements à gauche)

M. Henri Tandonnet.  - Après la Seconde guerre mondiale, la France, du désert du Sahara aux atolls de Polynésie française, a tout fait pour posséder la bombe atomique.

Le Parlement, en 2010, a accordé toute son attention aux victimes de ces essais : 4 000 personnes, civiles et militaires, ont travaillé sur le site des essais entre 1966 et 1996. Le texte d'aujourd'hui concerne les conséquences environnementales des essais ; le suivi et la prévention des dommages, en raison de son coût et des moyens humains à mobiliser, ne peut relever que de l'État.

Quant à la rétrocession des atolls, on pourrait se demander s'il faut une loi pour respecter un engagement contractuel... Pour autant, comment dissocier la propriété de la surveillance et de la dépollution ? Il faut reporter la rétrocession tant que la stabilité environnementale ne sera pas acquise. Pour reprendre la comparaison de M. Tuheiava, les deux fils ne sont pas prêts à rejoindre la table familiale...

C'est pourquoi le groupe UCR s'abstiendra.

Mme Michelle Demessine.  - Cette proposition de loi répond à une demande légitime des Polynésiens. De fait, la loi de 2010 avait totalement ignoré les conséquences environnementales des essais nucléaires pratiqués durant des années par la France sur ces territoires éloignés.

Le retour des atolls dans le domaine public polynésien est la condition d'une réappropriation culturelle et symbolique de ces territoires par les Polynésiens, estime l'auteur du texte : c'est la condition de la résilience. Quinze ans après la fin des essais, il est grand temps d'appliquer le dispositif prévu en 1964. Notre collègue Tuheiava a raison de défendre les intérêts des Polynésiens, et la commission d'encadrer le retour de ces territoires par ses amendements. Confier à l'IRSN la surveillance est une bonne chose, de même que la création d'une commission de suivi.

Toutes ces dispositions complètent utilement la loi Morin, dons nous avions dénoncé, en son temps, le caractère partiel. Nous invitons le Sénat à voter ce texte, un incontestable progrès pour les Polynésiens. Nous déplorons une indemnisation au rabais ; avec le décret et la réintroduction de la dosimétrie, c'est pire encore ! Cette situation illustre le poids du lobby militaire... Nous devrons, un jour ou l'autre, revenir sur la loi de 2010. Notre groupe a proposé la création d'une mission d'information sur le sujet. (Applaudissements à gauche)

M. Raymond Vall.  - Après la deuxième guerre mondiale, la France a fait le choix stratégique de la dissuasion nucléaire. Cette politique, initiée par Pierre Mendès France, fut poursuivie par toutes les majorités, ce qui n'exonère personne de reconnaître la réalité des conséquences des essais.

Le relatif échec de la loi de 2010 -seuls deux dossiers ont reçu une réponse négative- a fait obstacle à la restauration d'un climat de confiance. D'autant que le suivi radiologique et géomécanique est toujours entouré du plus grand secret. Certes, le Gouvernement a fait appel à des experts internationaux -c'est un signe de bonne volonté- mais les Polynésiens attendent davantage, ce que le groupe du RDSE comprend. Il est ici question de la réappropriation d'une histoire dont ils sont fiers mais dont ils subissent les conséquences douloureuses.

L'article 5 crée à juste titre une commission de suivi ; l'article 3 organise la coopération entre l'État et la collectivité. Quant à l'article premier, il prévoit la rétrocession des atolls à la Polynésie française, ce qui est juste et conforme à l'engagement de 1964.

C'est pourquoi le RDSE voit favorablement ce texte. (Applaudissements à gauche)

M. Philippe Esnol.  - Ce texte est d'une portée historique. Historique parce qu'il nous oblige à regarder en face notre histoire et les conséquences dramatiques de nos choix stratégiques pour des populations qui ne sont pas lointaines mais françaises. Il a une force symbolique évidente. S'il ne saurait résoudre toutes les difficultés, il marque une avancée en ce qu'il traite des conséquences environnementales des essais. Encore faut-il les connaître... Je salue l'engagement exemplaire de Richard Tuheiava.

La loi Morin de 2010 était un premier pas timide mais nécessaire ; il faudra évidemment revoir le régime d'indemnisation, trop restrictif. Il faut désormais évaluer les dégâts, non en les mesurant sur la santé, mais sur l'environnement ; on dit qu'il y a deux tonnes de plutonium dans le lagon et que le risque géomécanique est majeur... Notre devoir est de prévenir, par des dispositifs concrets, ces risques que certains militaires de métropole connaissent mieux que les élus locaux. D'où la création d'une commission de suivi et l'intervention de l'IRSN.

Pour autant, ce texte a aussi un enjeu symbolique majeur : tourner la page ouverte en 1960, avec le retour des deux atolls, entre Français de métropole et Français de Polynésie, entre Français d'aujourd'hui et d'hier. C'est ainsi que Mururoa redeviendra Moruroa, le « grand îlot ». Le maître mot doit être la coopération dans la transparence avec les Polynésiens.

Notre groupe attend des autres formations politiques un geste historique de réconciliation auquel, lui, est prêt ! (Applaudissements à gauche)

M. Gérard Longuet, ministre.  - Merci aux orateurs de leurs interventions. Je reste persuadé que la présence de l'État est la meilleure garantie qu'il assumera sur la durée ses obligations.

Une précision à Mme Demessine : le nombre de dix-huit, c'est celui des demandes qui proviennent de Polynésie française, non des décisions positives. Enfin, je m'engage à transmettre à tous les orateurs le volumineux rapport annuel de la commission de suivi ; chacun se rendra compte qu'il contient toutes les informations nécessaires.

La discussion générale est close.

Discussion des articles

Article premier

M. le président.  - Amendement n°1, présenté par M. Lenoir.

Supprimer cet article.

M. Jean-Claude Lenoir.  - J'ai dit l'essentiel lors de la discussion générale.

Cet amendement supprime l'article. Le transfert des atolls à la Polynésie française relève de la loi organique. La délibération de l'Assemblée de Polynésie française estime que les expérimentations ont pris fin mais les activités du Centre se poursuivent dans l'intérêt des populations.

L'État français doit assumer ses responsabilités : après les campagnes d'expérimentation hier, la surveillance et l'observation des atolls, pour garantir aux populations que rien ne leur est caché. Tout figure d'ailleurs dans les rapports disponibles sur internet.

M. Roland Courteau, rapporteur.  - Avis défavorable.

Cet article prévoit la rétrocession, les essais ayant cessé depuis seize ans. La surveillance de l'État reste, bien entendu, nécessaire.

Enfin, la loi organique ne dit pas que ces deux atolls sont du domaine militaire : c'est du domaine règlementaire.

M. Gérard Longuet, ministre.  - Avis favorable.

M. Philippe Esnol.  - Nous voterons contre l'amendement.

L'amendement n°1 n'est pas adopté.

L'article premier est adopté.

Article 2

M. le président.  - Amendement n°2, présenté par M. Lenoir.

Supprimer cet article.

M. Jean-Claude Lenoir.  - Mme Rivasi alors qu'elle était membre de l'Office parlementaire, avait voulu participer au voyage. Elle a renoncé au dernier moment. Je n'autorise pas M. Dantec à dire qu'elle en aurait été empêchée.

Mon amendement est défendu.

M. Roland Courteau, rapporteur.  - Avis défavorable.

M. Gérard Longuet, ministre.  - Cet amendement rétablit une sanction plus lourde pour ceux qui contribueront à la diffusion des armes de destruction massive.

L'amendement n°2 n'est pas adopté.

L'article 2 est adopté.

Article 3

M. le président.  - Amendement n°3, présenté par M. Lenoir.

Supprimer cet article.

M. Jean-Claude Lenoir.  - Défendu.

L'amendement n°3, repoussé par la commission mais accepté par le Gouvernement, n'est pas adopté.

L'article 3 est adopté.

Article 4

M. le président.  - Amendement n°4, présenté par M. Lenoir.

Supprimer cet article.

M. Jean-Claude Lenoir.  - Défendu.

L'amendement n°4, repoussé par la commission mais accepté par le Gouvernement, n'est pas adopté.

L'article 4 est adopté.

Article 5

M. le président.  - Amendement n°5, présenté par M. Lenoir.

Supprimer cet article.

M. Jean-Claude Lenoir.  - Défendu.

L'amendement n°5, repoussé par la commission mais accepté par le Gouvernement, n'est pas adopté.

L'article 5 est adopté.

Article 6

M. le président.  - Amendement n°6, présenté par M. Lenoir.

Supprimer cet article.

M. Jean-Claude Lenoir.  - Défendu.

L'amendement n°6, repoussé par la commission mais accepté par le Gouvernement, n'est pas adopté.

L'article 6 est adopté.

Article 7

M. le président.  - Amendement n°7, présenté par M. Lenoir.

Supprimer cet article.

L'amendement n°7, repoussé par la commission mais accepté par le Gouvernement, n'est pas adopté.

L'article 7 est adopté.

La proposition de loi est adoptée.

(Vifs applaudissements à gauche)

Prochaine séance demain, jeudi 19 janvier 2012, à 9 h 30.

La séance est levée à 18 h 40.

Jean-Luc Dealberto

Directeur des comptes rendus analytiques

ORDRE DU JOUR

du jeudi 19 janvier 2012

Séance publique

DE 9 HEURES 30 À 13 HEURES

Proposition de loi tendant à modifier la loi n° 2005-158 du 23 février 2005 portant reconnaissance de la Nation et contribution nationale en faveur des Français rapatriés (Procédure accélérée) (n° 264 rect, 2009-2010).

Rapport de Mlle Sophie Joissains, fait au nom de la commission des lois (n° 41, 2011-2012).

Texte de la commission (n° 42, 2011-2012).

DE 15 HEURES À 19 HEURES

Proposition de loi relative à la délinquance d'imprudence et à une modification des dispositions de l'article 223-1 du code pénal instituant le délit de « mise en danger délibérée de la personne d'autrui » (n° 233, 2010-2011).

Rapport de M. François Zocchetto, fait au nom de la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du Règlement et d'administration générale (n° 246, 2011-2012).

Proposition de loi modifiant le délai de prescription de l'action publique des agressions sexuelles autres que le viol (n° 61, 2011-2012).

Rapport de M. Yves Détraigne, fait au nom de la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du Règlement et d'administration générale (n° 249, 2011-2012).