Statut de la magistrature (Procédure accélérée - CMP)

M. le président.  - L'ordre du jour appelle l'examen des conclusions de la CMP chargée d'élaborer un texte sur les dispositions restant en discussion du projet de loi organique portant diverses dispositions relatives au statut de la magistrature.

M. Jean-Yves Leconte, rapporteur pour le Sénat de la commission mixte paritaire.  - À l'origine, ce texte ne visait qu'à appliquer aux magistrats l'accélération du calendrier de réforme des retraites. La majorité sénatoriale s'est à plusieurs reprises manifestée contre cette réforme. Dès lors qu'elle est actée, il faut prendre en compte son alignement à tous.

À ce premier désaccord, le Gouvernement en a ajouté un second, avec des dispositions sans rapport avec ce texte, au mépris du dialogue social. Laissant au Gouvernement la charge d'assumer le risque de l'inconstitutionnalité, le Sénat a adopté ces dispositions.

En seconde lecture, le Sénat a considéré que permettre qu'un magistrat puisse être « placé » durant douze ans étant dangereux : c'est une atteinte au principe d'inamovibilité des magistrats du siège. Certes, il faut l'accord du magistrat, mais seulement au départ. Pour les chefs de cour, il s'agit certes de répondre à une absence, mais le dispositif en vient à être utilisé pour pallier la pénurie. Pour limiter ce risque, le législateur organique avait limité cette durée à six ans.

Nous restons opposés à l'extension à douze ans, et l'Assemblée nationale s'est rendue à nos arguments : je vous invite donc à adopter les conclusions de la CMP. (Applaudissements à gauche)

M. Patrick Ollier, ministre auprès du Premier ministre, chargé des relations avec le Parlement.  - Je me félicite de l'accord auquel est parvenue la CMP, dont l'Assemblée nationale a voté les conclusions le 17 janvier.

Ce texte est le pendant, pour les magistrats, de l'accélération de la réforme des retraites. J'entends vos objections contre la réforme des retraites mais il n'y avait pas de raison que le régime des magistrats ne soit pas aligné sur celui de tous les fonctionnaires civils et militaires.

D'autres dispositions sont là pour remédier à des difficultés rencontrées par la Chancellerie, en assouplissant la règle de mobilité, par exemple, pour l'accès aux emplois hors hiérarchie.

Cela nous permettra de poursuivre dans une voie rénovée. La CMP est parvenue à un accord sur la position des magistrats placés, en excluant les emplois d'encadrement intermédiaires de la priorité d'affectation dont bénéficient ces magistrats. Ces postes exigent en effet des qualifications particulières. L'évolution à douze ans correspondait aux voeux de certains magistrats : ceux qui vont au-delà de six ans sont nécessairement candidats. Mais la CMP a préféré s'en tenir au statu quo.

Ce texte était attendu. Je me félicite de l'accord de la CMP, aux conclusions de laquelle le Gouvernement est favorable.

Mme Nicole Borvo Cohen-Seat.  - Je regrette vivement qu'une majorité se soit dégagée en CMP pour valider l'accélération de la réforme des retraites. C'est pourquoi j'ai voté contre ses conclusions, en cohérence avec nos positions antérieures.

Le consensus s'est dégagé au motif que les autres dispositions retenues étaient utiles. Je rappelle cependant que la majorité du Sénat s'était déclarée contre l'accélération du calendrier des retraites engagée au motif de maîtriser nos comptes sociaux. L'aggravation du chômage, en particulier des plus de 50 ans, montre le caractère inopérant de cette réforme. Il ne s'est jamais agi en fait de faire travailler les gens plus longtemps et de sauver notre système de pension, mais d'ouvrir un marché aux fonds de pension. Les financiers sont pressés, donc le Gouvernement l'est aussi.

Obliger les magistrats à travailler plus longtemps, c'est faire barrage à l'entrée des plus jeunes -qui seraient moins payés. Quant aux dispositions relatives aux magistrats placés, j'ai, dès longtemps, souligné le risque de voir cette disposition utilisée pour gérer la pénurie. Sans parler des articles 4, 5 et 6, qui constituent autant de cavaliers législatifs et devaient relever d'un texte spécifique. Procédé d'autant plus contestable que la procédure accélérée a été déclarée. Je voterai contre les conclusions de la CMP. (Applaudissements sur les bancs CRC)

M. Nicolas Alfonsi.  - À défaut d'une proposition de loi ad hoc, voici un texte a minima. Le Sénat avait confirmé son refus de l'accélération du calendrier des retraites. Sur le reste, le Sénat et l'Assemblée nationale ont trouvé un accord sur l'essentiel, faisant preuve, sur des dispositions d'articles, d'une bonne dose de réalisme... La majorité de mon groupe reste opposée à la réforme des retraites, mais eu égard à la nécessaire adaptation aux réalités du moment, nous souscrivons à ce compromis. Nous nous félicitons que l'Assemblée nationale se soit ralliée, sur les magistrats placés, à la position du Sénat. La pénurie de postes ne doit pas conduire à la banalisation du placement.

Pour une justice indépendante, accessible, dotée des moyens nécessaires, ce texte est très insuffisant. S'il y avait une vraie urgence, c'était de nous conformer aux normes européennes sur l'indépendance de la justice, en revenant sur le statut du parquet. Au lieu de quoi, le Gouvernement mène une politique incohérente et précipitée.

La CMP a travaillé dans un esprit constructif et réaliste ; nous voterons ses conclusions.

M. Jean-Jacques Hyest.  - Enfin une CMP qui aboutit ! C'est devenu tellement rare...

Mme Catherine Procaccia.  - Eh oui !

M. Jean-Jacques Hyest.  - Il était indispensable de mettre en oeuvre cette accélération de la réforme des retraites. Il n'eût pas été logique qu'elle ne s'appliquât pas aux magistrats, selon les modalités qui ont été rappelées. Quel en sera l'effet sur le nombre de départs à la retraite ? Le ministre nous a rassurés sur ce point...

M. Patrick Ollier, ministre.  - Merci de le reconnaître !

M. Jean-Jacques Hyest.  - L'ajout de dispositions en cours de route n'est jamais heureux, surtout quand on a au départ un texte simple et clair. Mieux vaudrait un projet de loi spécifique. Il est vrai que le partage de l'ordre du jour ne facilite pas l'inscription de projets de loi à notre calendrier.

Quand un poste est déclaré vacant, il faut attendre que quelqu'un soit candidat. Cela peut durer fort longtemps. Et en l'absence de candidat, comment faire sans magistrat placé ? Les magistrats ne restent pas placés à la demande du ministère de la justice, mais bien souvent à la leur, parce qu'ils ne veulent pas déménager, pour rester dans une cour d'appel.

Cela étant, l'UMP votera les conclusions de la CMP. (Applaudissements à droite)

M. Alain Anziani.  - Nous nous félicitons de l'accord obtenu en CMP et voterons ses conclusions, mais non sans quelques réserves. Nous nous sommes toujours opposés à la réforme des retraites et, par voie de conséquence, à son application aux magistrats. Plan d'équilibre des finances publiques, sécurisation des pensions : vaste programme, mais dont l'étude d'impact nous indique qu'il aboutira tout au plus à 475 000 euros d'économies...

Le recul de l'âge de la retraite des juges aura des conséquences non négligeables : les postes du haut de la hiérarchie deviendront hors d'atteinte pour les jeunes. Une suspension de la réforme eût donné un souffle d'air. Si la disposition sur les retraites avait été la seule en discussion, aucun compromis n'aurait été possible.

La procédure accélérée n'est pas la meilleure voie. L'Assemblée nationale a ajouté des articles repris de ce qui aurait dû être un projet de loi portant statut de la magistrature. C'est une très mauvaise habitude que de soustraire ces textes à l'examen du Conseil d'État, à la concertation. Nous le regrettons.

Les dispositions sur les magistrats placés portent atteinte, nonobstant les observations de l'ancien président de la commission des lois, à l'inamovibilité des magistrats du siège, principe avec lequel il ne faut point transiger.

En CMP l'assurance a été donnée par le Gouvernement qu'il ne s'efforcerait pas de revenir sur la durée de placement. Pourriez-vous le confirmer, monsieur le ministre ?

Ce texte comporte des lacunes, la prévention des conflits d'intérêts, par exemple. La proposition de René Dosière prévoyant que les magistrats ne pourront recevoir des distinctions honorifiques pendant l'exercice de leurs fonctions ne visait pas tant les médailles que l'indépendance de la justice.

Il y a quinze jours, j'ai interpellé le ministre de la justice là-dessus, à la suite de la pétition des procureurs demandant l'indépendance d'un parquet doté des moyens de fonctionner. Circulez, il n'y a rien à voir, m'a répondu en substance le garde des sceaux. Le procureur de la République de Nanterre a été mis en examen. Ce n'est pas anodin !

M. Roland Courteau.  - Ainsi va la vie.

M. Alain Anziani.  - Et pourtant le garde des sceaux ne bouge pas, ne saisit pas le Conseil supérieur de la magistrature. En revanche, il le saisit pour poursuivre Mme Prévost-Desprez à cause d'une opinion exprimée dans un livre, il est vrai intitulé Sarko m'a tuer.

M. Jacky Le Menn.  - Deux poids deux mesures !

M. Alain Anziani.  - À la place de ce texte à l'intérêt marginal, nous aurions préféré avoir enfin un grand texte sur l'indépendance du parquet. (« Très bien ! » et applaudissements à gauche)

M. Jean-Yves Leconte, rapporteur.  - Merci aux intervenants. Madame Borvo, je vous suis sur bien des points de votre intervention. Mais peser in fine sur la loi votée, tel est l'objectif qui nous a animés en commission mixte paritaire.

M. le président.  - En application de l'article 42, alinéa 12 du Règlement, le Sénat se prononce par un seul vote sur l'ensemble du texte de la CMP.

Le scrutin public est de droit.

M. le président.  - Voici les résultats du scrutin :

Nombre de votants 345
Nombre de suffrages exprimés 344
Majorité absolue des suffrages exprimés 173
Pour l'adoption 323
Contre 21

Le Sénat a adopté définitivement.

La séance est suspendue à 11 h 45.

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présidence de M. Jean-Pierre Bel

La séance reprend à 15 heures.