Accord de coopération en matière de sécurité intérieure avec les Émirats arabes unis

M. le président.  - L'ordre du jour appelle le projet de loi autorisant l'approbation de l'accord de coopération en matière de sécurité intérieur entre le gouvernement de la République française et le gouvernement de l'État des Émirats arabes unis.

Mme Hélène Conway-Mouret, ministre déléguée auprès du ministre des affaires étrangères, chargée des Français de l'étranger .  - Cet accord, signé le 26 mai 2009, correspond au modèle dit allégé des accords de coopération en matière de sécurité intérieure conclus avec les pays de la région. Il renforce la coopération technique et opérationnelle entre les services de police dans les domaines de la lutte contre le terrorisme, la criminalité organisée, l'immigration irrégulière, le commerce illicite d'armes, le trafic de stupéfiants. Comme tous les accords de sécurité intérieure, il ne permet en aucun cas l'intervention de forces de police françaises dans les opérations du maintien de l'ordre sur le territoire émirien. Il comporte un article consacré à la sécurité civile.

Cet accord s'inscrit dans le cadre d'un partenariat privilégié. Notre base militaire à Abou Dhabi est la seule en dehors du continent africain. Nous avons tissé des liens dans les domaines de l'énergie ou de l'éducation. Notre coopération culturelle est marquée par l'installation du Louvre Abou Dhabi et de la Sorbonne Abou Dhabi. Un dialogue de grande confiance s'est établi avec les Émirats sur les grands dossiers régionaux et internationaux.

Cet accord permettra de consolider nos liens avec un pays essentiel dans une zone stratégique, au coeur de l'arc de crise décrit par le Livre blanc de 2008, où la France a des intérêts majeurs à défendre. (Applaudissements sur les bancs socialistes)

Mme Nathalie Goulet, rapporteur de la commission des affaires étrangères .  - La France développe depuis une quinzaine d'années une coopération technique en matière de sécurité intérieure avec les Émirats arabes unis. L'accord de mai 2009 a fait l'objet de longues négociations.

La fédération des Émirats arabes unis est constituée de sept émirats, Abou Dhabi représentant 80 % du territoire. Elle est peuplée de 7,1 millions d'habitants, dont 1,6 million de nationaux. Elle est exempte de terrorisme en raison d'un excellent réseau de renseignements humain et technique. Sa vision de l'islam est particulière, les prêches et la formation des imans sont très surveillés. La tolérance zéro s'applique en matière de drogue. Les usagers encourent quatre ans d'emprisonnement, les trafiquants la peine de mort : c'est dissuasif !

Si les officiers des forces de police sont émiratis, les tâches d'exécution policière sont le plus souvent confiées à des contingents venant de pays de la ligue arabe, d'inspiration anglo-saxonne par leurs uniformes et leur culture. Le ministre de l'intérieur est aussi chef de la police d'Abou Dhabi. Forte de 44 000 hommes, la police émirienne se répartit entre police fédérale -5 000 hommes- et polices locales, le fédéralisme étant très fort. De création récente, cette police était au départ paramilitaire. Son périmètre d'intervention est plus large qu'en France, il s'étend aux domaines pénitentiaire et de sécurité civile. L'utilisation de l'informatique est intensive. Les équipements sont de qualité.

Les autorités émiriennes s'inquiètent du développement des trafics de stupéfiants et de la prostitution à Dubaï. Les Émirats ne connaissent ni opposition politique, ni contestation sociale importante, ni islamisme radical. Ils surveillent avec attention la situation en Arabie saoudite et au Yémen. Un millier de soldats émiratis sont actuellement à Bahreïn.

Le pouvoir fédéral souhaite renforcer son contrôle sur les polices locales via une meilleure coopération.

La commission des affaires étrangères vous recommande d'adopter cet accord, déjà adopté par les Émirats arabes unis et dons les actions seront intégralement financées par eux.

M. Jean-Claude Requier .  - L'histoire des Émirats arabes unis est liée à celle des Britanniques mais la France a développé des liens d'amitié avec cette fédération décrite comme une « bulle de bonheur climatisée (...) célébrant l'alliance techno-chic de l'acier et du turban », selon une journaliste.

Mme Nathalie Goulet, rapporteur.  - Ce n'est pas très gentil !

M. Jean-Claude Requier.  - Le Louvre devrait ouvrir ses portes en 2015 à Abou Dhabi : 360 millions d'euros, et beaucoup plus à terme, pour la France... Souhaitons que cette manne financière ne fasse pas perdre à la France à terme le contrôle du label « Louvre ».

Le poids de la France dans les importations des Émirats arabes unis est de 3,4 %, nous sommes au 9e rang, c'est bien peu. Des liens ont été noués ces dernières années, je pense en particulier à la base militaire d'Abou Dhabi, ouverte par l'ancien président de la République. On peut apprécier l'intérêt de cet ancrage militaire français face à l'Iran. Lors des différentes crises, les Émirats se sont rangés à notre côté ; ils ont été parmi les premiers à s'engager militairement en Lybie au côté des Occidentaux.

Leurs rapports avec l'Iran sont plus complexes ; ce pays est l'un de leurs importants partenaires, une forte communauté iranienne est présente à Dubaï.

Ayant connu une longue gestation, l'accord avec les Émirats arabes unis sur la sécurité intérieure est d'une ambition moindre que celui de 2007 qu'avait élaboré la France.

Il s'agit de les aider à améliorer les conditions de fonctionnement de leur politique fédérale. Le pays demeure assez sûr, mais les étrangers y sont étroitement contrôlés et les peines dissuasives. Les citoyens indiens, pakistanais, iraniens sont particulièrement surveillés.

L'expertise française sera avant tout technique. Les points faibles de la police émirienne ont été rappelés. L'accord de coopération aidera les Émirats à progresser dans leur sécurité intérieure et l'échange d'information servira la France pour sa propre sécurité. Le RDSE soutiendra ce texte.

Mme Nathalie Goulet, rapporteur.  - Très bien !

M. André Gattolin .  - La demande de l'UCR d'un débat des deux heures sur ce sujet nous a surpris et puis j'y ai vu l'occasion de développer la position des écologistes sur ce type de texte. Notre habitude est de nous abstenir sur les accords de coopération en matière de sécurité intérieure, contraires à notre philosophie. Élaboré par la France de 2077, ce modèle d'accord fait partie de l'héritage de l'ancienne majorité. Ces accords-types ont toutefois été approuvés par les socialistes...

Pourtant, le changement n'a pas surgi qu'en France, et nous devons renouer les relations avec les pays arabes sur ces nouvelles bases. L'accord-type place sur le même plan immigration illégale et traite des êtres humains -ce qui va à l'encontre de la conception que nous nous faisons de la liberté de déplacement des personnes.

Les Émirats arables unis sont l'un des pays les plus sécuritaires de la planète. Nous reconnaissons ces raisons qui poussent nos collègues à adopter ce texte qui comporte peu de contraintes pour la France et est bienvenu sur le plan diplomatique, comme tout accord de coopération.

Mais faut-il rappeler ce qu'il en est des droits de l'homme dans les Émirats arabes unis ? Un pays où le simple fait de critiquer le gouvernement et de demander des réformes est passible d'emprisonnement ! Les moyens humains et informatiques en matière de renseignements sont colossaux. Les étrangers, qui représentent 87 % des habitants, sont étroitement surveillés et toujours menacé d'expulsion, a fortiori s'ils prétendent à des droits syndicaux. Chaque homme a le droit de « discipliner » femme et enfants, si besoin par la force. Je ne rappelle pas le rôle des troupes émiriennes au Bahreïn... Bref, la conception que l'on se fait de la sécurité dans ce pays va manifestement à l'encontre des valeurs de la République française. Ne cautionne-t-on pas, avec cet accord, des pratiques inadmissibles ?

L'article 6 dispose qu'un refus de coopération doit être justifié, précision sollicitée par les Émirats arabes unis. Il faudra faire preuve de prudence si l'on veut décliner une demande sans créer un incident diplomatique.

Les Français ont fait le choix du changement. Cela vaut aussi pour notre politique diplomatique. Un tel accord avec un état sécuritaire et autoritaire ne correspond pas à notre vision d'un gouvernement humaniste et progressiste. Nous faisons confiance au gouvernement pour impulser un réel changement.

Mme Michelle Demessine .  - Cet accord a été conclu il y a près de trois ans. Il serait temps de le ratifier, s'il ne soulevait des questions aussi sensibles. Je ne condamne pas a priori ce type d'accords : notre savoir-faire doit être exporté, certes. Il y a toutefois des principes à respecter : la France se doit de défendre les valeurs de la République.

L'accord-cadre est quasiment identique aux accords de coopération technique que nous signons avec de nombreux pays. Les domaines couverts sont très étendus. Tout cela évoluera dans un cadre juridique assez flou, sachant que les Émirats arabes unis n'ont pas pris d'engagements internationaux sur la lutte contre le terrorisme ou les stupéfiants.

Le rapport de Mme Goulet est riche d'informations. On y apprend que les dirigeants des Émirats s'inquiètent avant tout de la forte proportion de ressortissants étrangers, notamment Bangladais, cantonnés aux tâches les plus ingrates, tandis que les ressortissants nationaux se partagent la rente pétrolière. La stabilité politique tient avant tout à l'importance des services de renseignements. Ni opposition politique, ni contestation sociale, ni islamisme radical. Droits de l'homme et droits sociaux sont inconnus.

Cet accord a été signé en même temps que l'accord militaire créant une base militaire à Abou Dhabi. Nous avions, à l'époque, voté contre cette politique de Nicolas Sarkozy, qui s'alignait de fait sur la position des États-Unis dans la région. Je rappelle que les Émirats arabes unis ont réprimé des manifestations de travailleurs venus du Bangladesh et sont intervenus au Bahreïn, au côté des Saoudiens.

Pour notre part, il n'est pas question de prêter main forte à de tels régimes autoritaires. Rien ne nous oblige à ratifier l'accord. Nous voterons contre. (Applaudissements sur les bancs écologistes)

Mme Nathalie Goulet .  - Bis repetita, au nom cette fois du groupe UCR. J'entretiens avec les pays du Golfe, et notamment les Émirats arabes unis, une relation ancienne et passionnée. Mon époux, le sénateur Daniel Goulet, avait créé au Sénat le premier groupe d'amitié avec les pays du Golfe. C'est à Abou Dhabi qu'il est mort, il y a cinq ans. On ne choisit certes pas plus le lieu de sa mort que celui de sa naissance, mais il témoigne d'un attachement viscéral.

Jusqu'au renouvellement de 2004, ce groupe d'amitié ne comptait que cinq membres. Depuis, avec la crise, le développement des fonds souverains, l'intérêt pour cette région a grandi. La France doit, sans angélisme et sans illusion, accroître son rôle dans cette région, pour des raisons stratégiques, diplomatiques et économiques.

Le président François Hollande semble avoir, lui, une vraie politique arabe, plus proche de celle du président Chirac et du général de Gaulle que de celle de George Bush II que suivait le précédent président de la République. Voilà qui fait plaisir.

Sans centralisation, point d'échange d'informations. Mais il faudra inciter nos amis émiriens à se conformer aux conventions sur le croisement de fichiers. Un mot sur la sécurité routière, ou plutôt la violence routière : sur les routes droites des Émirats que sillonnent des voitures puissantes, les morts se comptent par centaines. Daniel Goulet avait proposé la mise en place d'un vrai Samu, la formation d'une police de la route. C'est un domaine à part, sur lequel je souhaite travailler avec vous : nous y sommes très performants, et il y a tout à faire. 

La base militaire d'Abou Dhabi a une grande importance. Les autorités émiriennes ont démantelé, le 17 juillet, un réseau islamiste à Dubaï, preuve que la menace existe. Toute l'aide que nous apporterons sera bienvenue. Il faut affirmer la présence française dans la région.

Il est vrai qu'un millier de soldats émiriens ont été envoyés à Bahreïn, mais ils sont restés casernés. La Suisse vient d'arrêter ses exportations d'armes vers les Émirats arabes unis car des grenades helvétiques ont été retrouvées aux mains des rebelles syriens... Il faut être précis, prudent, vigilant. Plus le Parlement sera partenaire de cette coopération, plus nous serons impliqués, mieux nous contrôlerons.

Nous avons demandé ce débat car la région est stratégique. Évidemment, il faut adopter ce texte. Évidemment, il faut être vigilant et renforcer notre coopération avec un pays important, attachant, qui n'est pas parfait -mais qui l'est ?

M. Roland du Luart.  - Gardons-nous de juger !

Mme Hélène Conway-Mouret, ministre déléguée.  - Cet accord de sécurité intérieure n'est pas un accord de défense. Il vise avant tout la coopération technique et l'expertise française en matière de sécurité intérieure. La coopération opérationnelle se limite à un échange d'informations strictement encadré. Les Émirats sont un pays de droit qui coopère selon les normes de l'ONU.

La discussion générale est close.

Intervention sur l'ensemble

M. Philippe Dallier.  - Cet accord est l'aboutissement de quinze ans de coopération et d'échanges croissants avec les Émirats arabes unis. Gardons-nous de certains écueils. Mesurons l'interprétation qui pourrait être faite de nos propos par les États de la région. Pour ces raisons, le groupe UMP votera ce texte.

L'article unique est adopté.