Débat sur l'économie sociale et solidaire

M. le président.  - L'ordre du jour appelle un débat sur l'économie sociale et solidaire (ESS).

M. Marc Daunis, président et corapporteur du groupe de travail sur l'économie sociale et solidaire .  - Le 22 février dernier, la commission de l'économie a créé un groupe de travail sur l'économie sociale et solidaire, j'en remercie tous les membres. Cette décision précédait la création, au sein du Gouvernement, d'un ministère consacré à cet important secteur qui contribue à la création de richesses et à la cohésion sociale du pays.

La crise actuelle n'est pas que financière ; elle est aussi la conséquence de la montée de l'égoïsme, de la mise en cause du rôle de la puissance publique. D'où un regain d'intérêt pour l'économie sociale et solidaire, réparateur social. L'idée d'une économie sociale est une vieille utopie du XXIe siècle ; elle investit des champs non occupés par les acteurs traditionnels. Plus humaniste, elle crée des richesses sans nuire à l'environnement. Elle aide à reconstruire le lien social mis à mal par la crise, notamment en zone rurale. L'avenir des territoires dépend aussi de leur capacité à proposer une vie associative riche. L'économie sociale et solidaire foisonne de projets qui peuvent favoriser le dynamisme et l'attractivité de nos territoires ; néanmoins, ne la limitons pas à une fonction réparatrice. Elle est un secteur économique à part entière, qui représente 10 % de l'emploi en France, dans de multiples branches : le social, les assurances, le crédit, l'agro-alimentaire, et même l'économie. Elle peut aussi se développer dans l'industrie si elle est accompagnée. Fortement territorialisée, l'économie sociale et solidaire offre des emplois non délocalisables, elle contribue au maillage du territoire en petites entreprises. D'où ma proposition de small business act à la française.

M. Jean-Michel Baylet.  - Très bien !

M. Marc Daunis, président et corapporteur.  - Beaucoup voient dans l'économie sociale et solidaire une alternative à un modèle capitalistique qui a montré ses limites. De fait, elle réconcilie performance et solidarité, croissance et justice, prospérité et développement durable. Il n'est pas question de substituer au marché une planification centrale mais de soutenir les initiatives locales. Quand le marché dysfonctionne, les entreprises de l'économie sociale et solidaire, les mutuelles sont d'autant plus sollicitées. L'économie sociale et solidaire, sans être la matrice unique du développement, concourt à l'alternative.

La question se pose de la reprise par des entreprises de l'économie sociale et solidaire d'entreprises classiques ; les conditions en sont délicates et les règles doivent être adaptées. Des subventions publiques doivent leur être accordées pour faciliter cette reprise.

Le développement de l'économie sociale et solidaire doit être encouragé et favorisé par les pouvoirs publics. Il s'agit de remettre l'humain au centre. Attention : une présence forte au niveau européen est indispensable pour que l'économie sociale et solidaire, telle que nous la concevons en France, ne soit pas déstabilisée par la promotion européenne de l'entreprenariat social. Le glissement sémantique pourrait masquer un glissement de sens, l'économie sociale et solidaire se trouverait diluée dans un droit étroit de la concurrence.

L'économie sociale et solidaire a été marginalisée ces dix dernières années. La création d'un ministère, rattaché à Bercy, est un très beau signal, qui doit se prolonger par des mesures législatives et financières.

Avec Mme Lienemann, notre groupe de travail a voulu établir un diagnostic précis du secteur coopératif en France et proposer des pistes pour son développement. Il faut redéfinir les frontières de l'économie sociale et solidaire, à laquelle nombre d'entreprises revendiquent leur appartenance en raison de leurs valeurs humanistes, alors qu'elles adoptent la forme d'une entreprise classique. L'économie sociale et solidaire a-t-elle vocation à intégrer toutes les formes de production qui se développent en dehors de la logique capitalistique ? N'y a-t-il pas là un risque de dilution ? Il faut désigner précisément les bénéficiaires de l'action publique. Après la création d'un nouveau label, il faut réfléchir à une définition statutaire.

Autre question : le financement de l'économie sociale et solidaire. Même dans le secteur marchand, ces entreprises peinent à trouver des financements. Mobiliser l'épargne solidaire, mettre en place des garanties publiques et des cofinancements, renforcer les fonds propres, voilà un vaste chantier auquel, monsieur le ministre, vous devrez vous attaquer : le Sénat y est prêt.

L'ESS constitue en outre un gisement d'emplois à stimuler, y compris dans le secteur marchand.

Pour terminer, le Sénat doit contribuer au dialogue institutionnel entre l'État et l'ESS. La prochaine loi de programmation sera l'occasion de régler la délicate question de la gouvernance au sein de l'ESS.

Notre groupe de travail, au vu des enjeux, devra être pérennisé pour entreprendre une veille législative tous azimuts sur l'ESS. Chaque texte de portée économique et sociale devra tenir compte des attentes de l'ESS. (Applaudissements à gauche et au centre)

Mme Marie-Noëlle Lienemann, corapporteure du groupe de travail sur l'économie sociale et solidaire .  - Nous devrons donner un nouvel élan aux coopératives en France auxquelles l'ONU a consacré l'année 2012. D'abord, un bilan. Les coopératives datent de la deuxième révolution industrielle. Ce sont des sociétés de personnes, non de capital ; elles sont fondées sur le principe d'un homme, une voix et consacrent leurs bénéfices à l'amélioration de l'outil de travail et de l'emploi. Grâce à leur ancrage territorial, elles fournissent des emplois non délocalisables. On voit leur actualité aujourd'hui. Elles résistent mieux que les autres entreprises : leur taux de pérennité après trois ans, et davantage encore après cinquante ans, en témoigne.

Leur législation a évolué dans plusieurs directions ; elle doit être confortée. Des apports capitalistiques peuvent désormais s'adosser au projet coopératif ; cet apport est parfois indispensable dans l'industrie, dans des conditions évidemment très encadrées. Nous avons créé les Scic, au capital desquelles les collectivités territoriales peuvent participer dans la limite de 20 % -sans doute faudrait-il augmenter ce plafond ; elles se développent dans le domaine médical en particulier.

Les CAE me semblent également promises à un bel avenir -pourquoi ne se développent-elles pas davantage ?-, de même que les sociétés coopératives artisanales dont le nombre a augmenté de 35 % en sept ans. L'artisan y conserve son autonomie tout en mutualisant les achats ou la valorisation de ses produits.

Dans cette période, les Scop ont également fait la preuve de leur efficacité pour la reprise ou la transmission d'entreprises. Toute une série de verrous sont à lever si nous voulons qu'elles prospèrent. Idem pour les coopératives d'habitants, les coopératives agricoles, les banques coopératives...

Pour nous, la priorité est de développer les Scop. On pourrait imaginer de reprendre les solutions transitoires qui existent au Québec afin de passer d'une coopérative où les salariés sont actionnaires minoritaires à une coopérative définitive -leurs indemnités de licenciement ne suffisent généralement pas pour constituer le capital de départ.

Une parenthèse : on entend dire que les Scop seraient avantagés fiscalement. La Cour de justice des communautés a eu la sagesse -une fois n'est pas coutume- de montrer que l'avantage qui leur est fait était amplement justifié, contrepartie du fait que leur statut les empêche d'accéder librement au marché des capitaux.

Outre qu'il faudra veiller aux critères d'attribution des financements par la BPI, un fonds pour le soutien aux coopératives pourrait être créé sur le modèle italien. Nous souhaitons également lever les obstacles actuels à la perception des aides au reclassement et introduire un droit de priorité des salariés pour une reprise en coopérative.

Pour finir, un étonnement : on ne parle nulle part des coopératives dans les programmes de l'éducation nationale -pas plus dans ceux de l'enseignement agricole ! S'il fallait retenir une décision de nos débats, que ce soit celle-ci : parler des coopératives à l'école ! (Applaudissements à gauche)

M. Jean-Michel Baylet .  - La crise qui frappe l'économie mondiale depuis 2008 a au moins un mérite, celui de mettre en lumière un modèle sous-estimé : l'ESS. Si le secteur a bien résisté à la crise, il a pâti du désengagement de l'État avec le gel des dotations aux collectivités territoriales et la suppression de la délégation interministérielle dédiée à l'ESS.

Le Gouvernement a pris la mesure de l'importance du secteur : il lui a consacré un ministère. Le Sénat n'est pas en reste, avec la création d'un groupe de travail et la publication d'un premier rapport sur les coopératives.

Le projet de loi sur l'ESS, annoncé le 5 septembre en conseil des ministres, suscite des espoirs... et des inquiétudes. S'agira-t-il d'une loi d'orientation et de programmation, comme prévu initialement ? Quid du périmètre de l'ESS, qui doit être aussi large que possible ? Quid du financement, qui est crucial ? La tranche de 500 millions sur les 20 milliards de la BPI en appelle-t-elle d'autres ? Quid du projet de certificat mutualiste, que les grandes mutuelles semblent ne guère apprécier ? Plus généralement, les acteurs de l'ESS sont en quête de reconnaissance et de représentativité. Ils doivent être associés aux grands chantiers du quinquennat : la réforme territoriale, la petite enfance, la dépendance...

En fait, ce qui est en jeu, c'est l'aggiornamento de l'ESS, ni plus ni moins. Modernisons son cadre législatif, pérennisons ses ressources, écoutons ses représentants : elle contribuera au redressement économique, au redressement de la France ! (Applaudissements à gauche)

Mme Aline Archimbaud .  - Les coopératives sont extrêmement diverses. Il y a les Scic, créées par la loi du 17 juillet 2001, qui autorisent l'investissement des collectivités territoriales au côté des financeurs de l'ESS et de simples particuliers dans des projets forts. Je le constate en Seine-Saint-Denis, cela doit se vérifier sur tout le territoire. Les CAE créent des emplois durables. Les coopératives d'habitat sont également à encourager.

Pour les soutenir, il faut alléger les procédures, créer un statut adapté, encourager la reprise d'entreprise sous forme de Scop, instaurer un droit de préférence en faveur des salariés lors d'un projet de cession. Les Scop sont un outil très utile pour la reprise ou la transmission d'entreprise, il faut les favoriser de manière systématique.

M. Jean Desessard.  - Très bien !

Mme Aline Archimbaud.  - L'ESS représente un gisement colossal d'emplois durables qui participeront à la relance industrielle du pays. A l'État de soutenir les entreprises, mais aussi les réseaux.

En ces temps de crise, l'ESS démontre qu'il est possible de faire autrement, de réussir en mettant l'humain au coeur de l'économie. Elle a vocation à devenir un troisième secteur, aux côtés des secteurs public et privé, parce qu'elle constitue un formidable réseau de compétences, d'action, de démocratie économique.

Je n'insisterai pas sur l'enracinement territorial de l'ESS, cela a été développé. Les collectivités locales, organisées en réseau national, peuvent être un interlocuteur précieux.

La création d'un ministère à l'ESS est, pour le groupe écologiste, un espoir. La suppression du secrétariat d'État à l'ESS, il y a dix ans, nous faisait craindre une marginalisation. Ce ministère sera un cadre pour accompagner un secteur porteur des fortes valeurs que nous partageons ! (Applaudissements à gauche)

M. Michel Magras .  - L'ESS représente 200 000 entreprises en France, et plus de 2 millions d'emplois, mais reste moins développée que chez certains de nos voisins européens. Favorisons son essor par une politique ambitieuse, dans le droit fil de celle menée par le gouvernement précédent. Une enveloppe de 100 millions d'euros était prévue pour l'ESS à la Caisse des dépôts et consignations, qui devait aider, via un appel à projets, au développement de 20 000 entreprises et créer ou consolider plus de 60 000 emplois, un geste salué par l'ensemble des acteurs. Où en est-on, monsieur le ministre ?

Une des difficultés majeures est la grande diversité du secteur, qui exige autant de réponses adaptées. Les besoins d'aide et d'accompagnement sont réels pour ce secteur qui pourrait constituer une alternative.

Sans trancher le débat, je note l'évolution de la conception statutaire de l'ESS à l'entreprenariat social, tout en préservant des valeurs pertinentes en cette période de crise. Cette dimension est d'ailleurs portée par de nombreux élèves formés dans les écoles de commerce, qui veulent donner sens à leur métier.

L'ESS est compatible avec l'économie classique et ses succès sont réels : elle contribue à la création d'emplois nouveaux, au développement d'activités à forte utilité sociale qui mobilisent davantage de ressources humaines que de capital, à l'insertion sociale et professionnelle, à la revitalisation de territoires délaissés par les activités traditionnelles.

Puisse ce débat nous aider à réfléchir à la façon dont l'État doit soutenir ce secteur multiforme.

Mme Isabelle Pasquet .  - Face à la crise économique et à la montée du chômage et de la précarité, l'ESS joue un rôle essentiel par sa dimension territoriale et les valeurs qu'elle porte de solidarité et de responsabilité. Ne laissons cependant pas croire à son omnipotence. La France a passé la barre des 3 millions de chômeurs, 5 millions de personnes sont en situation de sous-emploi. Selon la CGT, 75 000 emplois sont actuellement menacés. Il est urgent de décréter un moratoire sur tous les plans sociaux, il est urgent que l'Assemblée nationale adopte le texte sur l'interdiction des licenciements boursiers, il est urgent de donner des pouvoirs nouveaux aux salariés dans les entreprises pour réorienter les choix de gestion de celles-ci.

PSA Peugeot, Pétroplus, ArcelorMittal, oui, l'urgence est là. Le ministre du redressement productif a annoncé un projet de loi qui obligerait à céder une usine viable que l'on veut fermer ; hélas, le temps législatif s'accorde mal avec l'urgence sociale. L'État ne doit pas se contenter de rechercher des repreneurs, il doit venir au capital des entreprises stratégiques, reprendre ses responsabilités dans les activités industrielles.

Là où l'ESS peut jouer un rôle, c'est dans la reprise des entreprises en difficulté. Mais comment accompagner les salariés pour que leur projet aboutisse ? Je voudrais citer l'exemple des salariés de l'usine Fralib qui, depuis 2010, se battent pour continuer à travailler à Gémenos, sur un site rentable qu'Unilever veut fermer alors que la multinationale engrange 4 milliards de bénéfices ! Le passé traumatisant de la fermeture de l'usine Lipton du Havre, en 2007, le harcèlement judiciaire, les manoeuvres sournoises de la direction n'ont pas eu raison de la détermination des salariés. Malheureusement, le groupe a légalement la possibilité de refuser l'utilisation de sa marque Éléphant ; il est engagé dans une stratégie de réduction du nombre de ses marques, le thé étant dorénavant labellisé Lipton.

M. Montebourg avait envisagé la possibilité de réquisitionner les marques, qu'en est-il ? Les Fralib défendent un patrimoine industriel. Une réforme du droit de la propriété intellectuelle est nécessaire. (Applaudissements à gauche)

M. Henri Tandonnet .  - L'ESS est globalement marquée par une grande diversité de statuts et l'absence d'une représentation unifiée. Je salue la création d'un groupe de travail sur ce secteur, si important pour l'agriculture notamment.

Monsieur le ministre, un projet de loi est annoncé pour le premier semestre 2013. Il facilitera notamment l'accès à la commande publique, je m'en réjouis. Il devra être l'occasion de favoriser les coopératives de production et de distribution, de moduler la fiscalité du secteur, de promouvoir les circuits courts. Je suis plus partagé sur l'idée de la création d'un label. Non seulement la perspective doit être européenne mais il faut aussi éviter de tomber dans la caricature en opposant l'ESS, qui serait vertueuse, à l'économie classique, qui serait spéculative.

La diversité du secteur est aussi sa richesse. Difficile de trouver des règles communes pour toutes ces structures ! Autre chantier, le contrôle des fonds publics. Le développement du secteur passe enfin, selon moi, par l'enseignement et la formation à l'ESS auprès des jeunes, un secteur qui remet l'humain au coeur de l'économie.

L'ESS peut constituer un renouveau de l'économie. Attention à ne pas créer de barrières en voulant trop bien faire !

M. Martial Bourquin .  - L'ESS souffre de beaucoup d'idées reçues. L'absence de profits fait oublier que les acteurs de l'ESS sont producteurs de richesse, d'aménagement du territoire et de cohésion sociale. Merci au Gouvernement d'avoir créé un ministère dédié. Notre économie a besoin d'un secteur coopératif et associatif fort pour relever le défi de la croissance. Je salue la qualité du rapport. La croissance est affaire de moyens, de justice sociale, mais aussi de réseau. L'économie solidaire n'est pas l'économie solitaire ! (On apprécie)

J'ai, dans mon territoire, un réseau dont le bilan est très positif : 656 personnes accompagnées, 153 créations d'entreprises en dix ans. Ces initiatives marchent, elles créent de l'emploi non délocalisable, de la valeur. Mais il faut, à ce stade, des évolutions statutaires, financières, culturelles. Nous attendons beaucoup du projet de loi annoncé par le Gouvernement.

Nous devons faire évoluer le statut des coopératives, trop souvent dernier recours. Les tribunaux de commerce rechignent à les considérer comme des acteurs économiques à part entière. On connaît la grande fragilité de la transmission et de la reprise d'entreprises. Les coopératives doivent être davantage mobilisées.

Ne donnons pas toutefois dans l'angélisme : la coopérative ne doit pas être utilisée comme niche fiscale.

Deuxième point : le financement de l'ESS. Celle-ci devra pouvoir bénéficier de l'apport de capitaux de la future BPI.

Troisième levier : la mise en réseau. C'est la force de l'ESS, qu'il faut encourager. Je plaide pour une meilleure intégration de l'ESS dans les pôles de compétitivité. Ces entreprises ne doivent pas s'interdire l'innovation.

Je suis de Franche-Comté, le pays des fruitières, de Victor Hugo... et de Proudhon ! Nous savons que la coopérative, ça marche !

La simplification des normes administratives doit s'appliquer à l'ESS aussi. La France est malade de ses normes : simplifions, pour développer nos territoires et nos entreprises. (Applaudissements à gauche)

M. Christian Bourquin .  - L'ESS fait partie intégrante de notre économie. C'est un recours, en période de crise, car elle incarne une autre vision des relations économiques. C'est un espoir, et une espérance, car elle permet l'innovation sociale. L'ESS est aujourd'hui à la croisée des chemins : elle a besoin d'évolution juridique, de réforme de ses modes de financement, faute de quoi elle vivotera, ou perdra son âme. C'est le cas des coopératives vinicoles, qui n'ont pas les moyens de relever les défis qu'elles rencontrent. A côté du secteur caritatif et du secteur commercial, l'ESS doit jouer tout son rôle. Les diverses structures qui la composent méritent un statut juridique approprié. La création d'une Scop est risquée, ce qui décourage les salariés de reprendre leur entreprise alors que celle-ci est viable ! Pourquoi ne pas créer un système inspiré de la SARL, garantissant la protection des apporteurs ? Cela prendra du temps. Or le financement est une question urgente. Voilà le défi à relever, monsieur le ministre : trouver des capitaux plus patients, moins gourmands. Imagions une autre rémunération que la seule rentabilité financière ! La faible innovation en matière d'ingénierie financière freine le développement de l'ESS, qui a besoin de matière grise ! Il lui faut des fonds dédiés à l'amorçage de projets qui n'arriveront que plus tard à maturité économique. Pourquoi pas des prêts spécifiques, associant les collectivités locales ?

J'attends beaucoup de la future BPI pour le financement de l'ESS. Elle doit jouer un rôle important dans cette dynamique, aux côtés des conseils régionaux, que je porte dans mon coeur -à commencer par le mien ! (Applaudissements à gauche)

Mme Christiane Demontès .  - L'ESS est appelée à prendre toute sa part dans l'entreprise de redressement du pays que mène le Gouvernement. Je concentrerai mon propos sur l'habitat coopératif. Le Sénat s'est déjà penché sur la question -enfin, la gauche avait fait des propositions lors de l'examen de la loi portant mobilisation pour le logement, en 2009, le gouvernement Fillon ne les avait pas suivies.

Les coopératives d'habitants sont peu nombreuses en France, une cinquantaine. En Suisse, en Norvège, c'est un mode d'habitat très répandu !

Le coût du logement a crû de 107 %, quand les revenus augmentaient de 17 %. Le logement est devenu un objet de spéculation et de rente. Cette dynamique mercantile oblige le citoyen à s'effacer devant la chaîne d'intérêts privés ; son coût rend le logement de qualité inaccessible à la majorité. Dans ce contexte, la coopérative d'habitants propose une autre logique, entre propriété et location. Elle allie les logiques économiques, autour de principes communs : la propriété collective, fondée sur le principe démocratique de la part sociale, le respect de l'environnement, la solidarité. Les coopératives d'habitation ont été supprimées par les lois Chalandon de 1971 ; ne subsistent que les coopératives de construction. Je plaide pour ce système, qui permet d'habiter un territoire et non simplement de consommer du logement.

Il faut définir les coopératives d'habitants en actualisant la loi de 1947, qui ne les avait pas prévues. Les conditions de cession de parts doivent être encadrées pour éviter toute dérive spéculative. La coopérative doit pouvoir pratiquer des loyers inférieurs à ceux du marché. La question du régime fiscal doit également être revue afin que les coopératives puissent provisionner à long terme leurs travaux. La mauvaise coordination entre droit coopératif et droit du logement freine le partenariat avec les HLM : il faut simplifier. Les coopératives d'habitants sont une réponse à la marchandisation. Nous comptons sur vous, monsieur le ministre !

M. Yves Chastan .  - J'ai mené une étude sur ce secteur en Ardèche. Dans ce département très touché par la crise, l'ESS est en expansion : ses effectifs ont augmenté quatre fois plus que l'emploi normal. Elle y est plus développée que dans le reste du pays et présente dans de nombreux secteurs, de la banque à la fabrication de vêtements, avec la société Ardelaine qui emploie 45 salariés et valorise la laine de 300 éleveurs de moutons. J'ai identifié des obstacles. Comment améliorer la professionnalisation des acteurs de l'ESS, souvent associatifs ? Il faut faire évoluer les comportements : on peut réinvestir, créer de l'emploi sans objectif capitalistique. Il faudrait créer un statut pour les bénévoles.

Comment donner le goût d'entreprendre autrement ? Les politiques administratives ne sont pas adaptées, les élus peu sensibilisés. Les chambres consulaires n'encouragent pas à choisir ces formules. Il y a un besoin de formation : la territorialisation de la chambre régionale de l'ESS est demandée par de nombreux acteurs. Enfin, le cadre juridique doit être modernisé.

Les avantages de la Siic sont reconnus, mais l'adhésion à la structure est coûteuse. Concernant les Scop, un statut de salarié doit être instauré. J'espère que ces propositions alimenteront les réflexions du Sénat et du Gouvernement. L'ESS doit rester un secteur à part entière, parce qu'elle est l'économie à visage humain. (Applaudissements à gauche)

M. Benoît Hamon, ministre délégué auprès du ministre de l'économie et des finances, chargé de l'économie sociale et solidaire et de la consommation .  - Au-delà du projet de loi qui sera examiné en 2013, nous préconisons une approche transversale de l'ESS avec la BPI ou encore les emplois d'avenir. Nous sommes arrivés à un moment où la puissance publique doit doter l'ESS des moyens nécessaires pour changer d'échelle, sans quoi ce secteur entrera dans une phase de déclin.

Pour la première fois, en effet, le secteur associatif a perdu des emplois en 2011 : 22 000. Il faut franchir un palier en inscrivant l'ESS au titre des éléments participant au redressement de la France. Le Gouvernement répond à ce défi en créant un ministère dédié à Bercy, autour de trois principes : reconnaissance, structuration et développement de l'ESS.

La reconnaissance de l'ESS passera par la loi. Mon approche est très inclusive : il n'y a pas de querelle des anciens et des modernes, entre statut et finalité, entre mutualité et entreprenariat social. Ces deux approches concourent à créer de l'emploi et de la richesse.

Pourquoi un label de l'entreprise sociale et solidaire ? Il vise à permettre aux acteurs du financement de l'ESS -comme la BPI- de reconnaître une entreprise sociale et solidaire. Nous devons pouvoir orienter la commande publique vers l'ESS, cela suppose que les donneurs d'ordre, tout comme le législateur, puissent reconnaître une entreprise sociale et solidaire par un label. Le but de la législation n'est pas d'exclure mais de fixer le périmètre légal de l'ESS, autour de principes : non-lucrativité ou lucrativité limitée, principe d'un homme pour une voix, gouvernance démocratique, partage du pouvoir et ancrage territorial.

La reconnaissance de l'ESS passe aussi par l'enseignement : l'existence de ces autres sociétés doit être présentée dans les cours et manuels d'économie.

Monsieur Baylet, lors de la dernière conférence sociale, Mme Parisot a ouvert le chantier de la rénovation de la représentation patronale. L'ESS pourra ainsi être représentée par ses employeurs dans le dialogue social interprofessionnel.

Oui à la contractualisation, à la structuration de l'ESS sur les territoires. Les citoyens ont recours à l'ESS sous ses diverses formes mais ne la reconnaissent pas comme telle. Les collectivités locales, et tout particulièrement les régions, connaissent les besoins des associations et des coopératives car elles ont des stratégies de filière. A Toulouse, j'ai visité une coopérative de 12 personnes, qui transforme les déchets de la ferme en biogaz, à côté d'une autre qui emploie 1 600 personnes, et enfin Ethiquable... Ce sont trois mondes différents au sein des coopératives. Il faut une stratégie de filière territorialisée : la contractualisation sera consacrée dans la loi.

Dernier point : le développement de l'ESS. Le programme des emplois d'avenir y est particulièrement adapté puisqu'il vise spécifiquement le milieu associatif, les jeunes peu qualifiés comme les jeunes qualifiés. Le monde associatif a en effet besoin de jeunes qualifiés, notamment pour encadrer des activités dans les zones urbaines sensibles.

La BPI consacrera 500 millions au financement de l'ESS. Nous avons tiré les conséquences de l'initiative utile qu'avait prise le gouvernement précédent avec le programme d'investissements d'avenir, je voulais le dire au sénateur Magras.

Les financements seront orientés en direction de l'innovation sociale, ainsi que vers les besoins de financement en haut de bilan et en bas de bilan. Il s'agit de pouvoir aider une petite association à découvert comme un établissement de grande taille. Avec le doublement des plafonds du livret A et du livret de développement durable, le secteur bancaire privé participera également au financement de l'ESS. Ces instruments innovants contribueront au changement de logiciel de l'ESS.

Le certificat mutualiste permettrait aux mutuelles de lever les fonds propres nécessaires pour respecter les exigences de solvabilité. Nous réfléchissons à cette proposition de Groupama, ma religion n'est pas encore faite mais c'est une piste.

Les propositions de votre rapport sont riches. Un mot sur les coopératives. Fourrier, Proudhon, Charles Gide : l'idée est ancienne. Aujourd'hui, ce sont 21 000 coopératives, 1 million de salariés, 23,7 millions de sociétaires, 280 milliards de chiffre d'affaires. On distingue les coopératives d'entrepreneurs, d'utilisateurs ou d'usagers, de production, comme la Scop que nous voulons favoriser comme vous, les coopératives multi-sociétariales, à l'instar de la Scic, et les banques coopératives. Quelles sont les limites de ce modèle ? Toutes ne sont pas passées à côté du mirage de l'économie-casino, notamment dans le secteur bancaire. Des filiales de BPCE ou du Crédit agricole ont été prises la main dans le pot de confiture et ne se sont pas montrées plus vertueuses que les banques classiques !

Dans le monde agricole, on a des coopératives de grande taille, qui ont peut-être oublié leurs beaux principes...

Nous voulons le renouveau des coopératives. Disons, d'abord, que la Scop n'est pas de la magie. Elle ne transformera pas du jour au lendemain une entreprise en difficulté en une entreprise performante ! Nous devons collectivement tordre le cou à cette idée. Parfois, la reprise en Scop permet un vrai redressement -l'entreprise Ceralep produisant des isolateurs céramiques, dans la Drôme, par exemple, florissante avant son rachat par un fonds de pension américain et reprise par ses salariés après le dépôt de bilan qui suivit rapidement- mais le modèle n'est pas toujours le plus adéquat. Nous étudions les conditions dans lesquelles les salariés de Fralib pourraient reprendre l'entreprise -mais le succès dépend de l'attitude d'Unilever et de la cession de la marque Éléphant... Ce n'est pas le seul passage en Scop qui débloquera la situation !

Il faut d'abord développer les structures existantes et élargir les principes de la coopérative à d'autres structures. Le président Hollande s'est engagé à créer un droit de préférence de reprise qui obligerait le cédant à faire une proposition de reprise aux salariés et à leur laisser le temps de construire un dossier ! La loi distinguera le cas de cession d'entreprises en bonne santé d'entreprises en difficulté. On estime que 50 000 à 200 000 emplois sont détruits à la suite de la disparition d'entreprises saines, faute de repreneur.

La dérogation temporaire concernant la possession majoritaire du capital par les salariés leur permettra de conserver 65 % des droits de vote sans être majoritaires au capital.

Ce sera une proposition importante du projet de loi. Nous avons commandé un audit à la Chancellerie sur les conditions de reprises en Scop pour en savoir davantage. Nous réfléchissions également à une fiscalité adaptée. Ainsi le forfait social reste à 8 % pour ce secteur, alors qu'il a été relevé à 20 % pour l'économie classique. Nous souhaitons également sécuriser les salariés des coopératives d'activité et d'emploi (CAE), soumis à un risque permanent de requalification des contrats. Il y a un travail important à mener sur leur environnement juridique.

Nous voulons également élargir les coopératives à d'autres secteurs, notamment le logement. Le Sénat a un temps d'avance sur les coopératives d'habitants, qui ont l'avantage de sortir le logement de la spéculation tout en favorisant le vivre-ensemble avec le développement d'espaces communs et la construction durable. Il leur faut effectivement un statut.

L'économie sociale et solidaire représente 2,3 milliards de salariés, 10 %du PIB. Le projet sera l'occasion d'établir une véritable définition pour ce secteur qui a plus que gagné ses lettres de noblesse dans la crise.

Je vous donne rendez-vous au printemps prochain en vous assurant que, d'ores et déjà, les travaux du Sénat alimentent la réflexion du Gouvernement (Vifs applaudissements à gauche)