Bioéthique

M. le président.  - L'ordre du jour appelle la discussion de la proposition de loi tendant à modifier la loi du 7 juillet 2011 relative à la bioéthique.

Discussion générale

Mme Françoise Laborde, auteure de la proposition de loi. - En juin 2011, le Parlement avait débattu de la révision de la loi Bioéthique et avait discuté la question de savoir si la recherche sur les cellules souches pouvait être autorisée. Absolue en 1994, cette interdiction a été atténuée en 2004 : des autorisations pouvaient être accordées à titre dérogatoire et pour cinq ans à condition que ces recherches permettent des progrès thérapeutiques majeurs et ne puissent être poursuivies par une autre méthode d'efficacité comparable. En 2011, nous étions nombreux à souhaiter mettre fin à l'hypocrisie en remplaçant ce principe d'interdiction avec dérogations exceptionnelles par un régime d'autorisation encadrée.

Malheureusement, le Sénat avait capitulé en deuxième lecture.

Les tenants de l'interdiction voient dans le foetus un être humain en puissance. Selon cette logique, il aurait fallu maintenir une interdiction totale, sans dérogation. Si l'embryon est une personne humaine potentielle, la seule potentialité ne suffit pas à constituer cette personne. Le potentiel de vie, M. Barbier l'a bien noté dans son rapport, n'existe pas en soi ; il est fonction de la nature et du projet du couple pour lequel l'embryon est conçu en assistance médicale à la procréation. On nous opposait également l'alternative des cellules souches pluripotentes induites (IPS) découvertes par le professeur Yamanaka, à qui elles ont valu le prix Nobel de médecine décerné la semaine dernière. Et c'est ainsi que le législateur était alors sorti du dilemme moral.

La nouvelle rédaction de l'article L. 2151-5 du code de la santé publique est trop restrictive : elle impose de démontrer qu'il n'existe pas d'autres méthodes pour aboutir au même résultat.

Au lieu de cautionner l'immobilisme politique, nous aurions dû écouter le Conseil d'État, l'Agence de biomédecine, la Conseil d'État et, plus récemment, l'Opecst. L'interdiction nous fragilise quand, partout ailleurs, la recherche prospère, porteuse de grands espoirs. La médecine régénératrice pourrait ainsi remplacer des cellules défaillantes et il n'est pas exclu qu'un jour ces cellules souches embryonnaires se substituent aux greffes d'organes. Les équipes de chercheurs attendent un signal ; trop de temps a été perdu depuis la décision absurde de 2011.

Le président de la République a fait des déclarations encourageantes. Nous proposons un régime d'autorisation strictement encadrée, étant entendu qu'à partir du moment où d'autres recherches offriraient des capacités similaires à celles des cellules souches embryonnaires, la recherche sur celles-ci serait interdite.

Ce texte n'attente en rien à la dignité humaine, il favorise la recherche médicale pour sauver des vies. (Applaudissements à gauche ainsi que sur certains bancs du centre et de la droite)

M. Gilbert Barbier, rapporteur de la commission des affaires sociales .  - La semaine dernière, le prix Nobel de la médecine a été décerné au professeur Yamanaka, qui a découvert les cellules souches induites d'abord chez l'animal, puis l'être humain. Cette découverte est porteuse d'espoir au point que, pour certains, elle rendrait caduque la recherche sur les cellules souches embryonnaires. Si tel était le cas, mais ce n'est pas l'avis des scientifiques, la recherche sur l'embryon humain serait interdite. Tel est le principe que pose ce texte.

En 2004, à une très courte majorité, le Sénat a voté l'interdiction assortie de dérogations permanentes contre l'avis transpartisan de la commission des affaires sociales, dont le choix était le bon tant d'un point de vue éthique que juridique. Nous proposons d'y revenir dans un texte enrichi des travaux de l'Opecst.

Faut-il poser un interdit symbolique fort ? Le groupe de travail du Conseil d'État, présidé par M. Philippe Bas, avait conclu qu'il n'offrait pas les meilleures garanties.

Le potentiel de vie n'existe pas en soi, Mme Laborde l'a dit. De plus, il s'agit d'embryons surnuméraires voués à la destruction après cinq ans de conservation.

M. Jean Desessard.  - Exactement !

M. Gilbert Barbier, rapporteur  - La possibilité pour un couple de vouer un embryon surnuméraire à la recherche est aussi, me semble-t-il, un choix éthique, d'autant qu'à toutes les étapes, le couple peut revenir sur sa décision.

Certains collègues préfèrent envisager une destruction de cet embryon surnuméraire, tant ils craignent la tentation démiurgique de façonner et de modeler la vie. Ils semblent oublier que les recherches sur les cellules souches adultes ne font pas l'objet d'une autorisation de l'Agence de biomédecine.

Dans le régime que nous proposons, l'autorisation est soumise à quatre conditions cumulatives : le projet doit être scientifiquement pertinent : implanter un embryon ayant fait l'objet de recherche est interdit, tout comme l'est la création de chimères ; il doit être à finalité médicale, ce qui exclut la recherche à visée esthétique ; il ne doit pouvoir être conduit qu'avec des embryons humains ou des cellules souches embryonnaires humaines ; il doit présenter toutes les garanties éthiques.

En pratique, je l'ai dit, la recherche sur ce type de cellules reste donc subsidiaire. Si, demain, la recherche sur les cellules souches induites progresse, celle sur les cellules souches embryonnaires prendra fin. Le texte est donc conforme à la convention d'Oviedo.

La recherche sur ces cellules, durant les prochaines années, sera primordiale pour résoudre les questions de génétique et d'épigénétique.

Au reste, l'Agence de biomédecine délivre des avis motivés également par des considérations éthiques, qui sont susceptibles de réexamen à la demande du Gouvernement.

Même en droit, le régime de l'interdiction assorti de dérogations n'est pas équivalent à celui de l'autorisation encadrée. La cour administrative d'appel de Paris a annulé une autorisation délivrée il y a trois ans. Cinq dossiers sont en cours d'instruction, preuve de l'insécurité juridique actuelle. En fait, le régime actuel procède de la volonté de certains députés de rendre, en pratique, les recherches impossibles, à défaut d'obtenir leur interdiction pure et simple. De deux choses l'une : soit on décide l'interdiction, soit l'autorisation encadrée. Votre commission des affaires sociales a fait le choix de la clarté, puisse le Sénat en faire de même ! (Applaudissements à gauche et au centre)

Mme Geneviève Fioraso, ministre de l'enseignement supérieur et de la recherche .  - Nous devons traiter ce sujet important avec tout le sérieux et la probité qui s'imposent.

La fécondation in vitro, développée avec l'assistance médicale à la procréation, a conduit en 1978, en Grande Bretagne, à la naissance de Louise Brown, puis en 1982, en France, à la naissance d'Amandine. Cette évolution a conduit, en 1983, à la création du Comité consultatif national d'éthique. Deuxième innovation, la congélation de l'embryon, qui dissocie le moment de la fécondation de celui de la gestation. Le transfert ultérieur peut ne pas avoir lieu lorsque le projet parental a changé ou que l'embryon n'est pas sain. Ce sont ces embryons surnuméraires qui sont visés par la proposition de loi car ils recèlent un grand potentiel pour la recherche.

Pourquoi y a-t-il urgence à adopter un régime d'autorisation encadrée ? Le Gouvernement veut prendre le temps d'un débat approfondi.

M. Charles Revet.  - C'est de bon sens.

Mme Geneviève Fioraso, ministre.  - En l'état de la science, on ne connaît pas d'alternative aux cellules souches embryonnaires. Ces dernières années, l'Agence de biomédecine a accompli un formidable travail, auquel je rends hommage.

Bien des chercheurs ont cru parvenir à une solution de remplacement ; ainsi, en 2006 et en 2007 avec les IPS, les cellules induites, qui offrent la possibilité de produire n'importe quelle cellule à partir du prélèvement d'un tissu sur le patient. Belle promesse pour la médecine personnelle ! Néanmoins se pose la question de la prolifération cancéreuse, des IVS et du clonage. Voilà les raisons pour lesquelles les cellules souches embryonnaires restent le standard de la recherche.

Un point juridique maintenant : en 2004, l'interdiction a été maintenue, assortie de dérogations ; la loi de 2011 maintenait le statu quo, quand les États-Unis, la Grande-Bretagne, le Canada, la Chine, Singapour, le Japon, la Grande-Bretagne, la Suède faisaient un autre choix -à l'exception notable de l'Allemagne. Depuis 2004, l'Agence de biomédecine a repoussé seulement 4 projets sur 64. Ceux qui ont été menés à bien ont fait l'objet de publication dans des revues prestigieuses telle Nature.

Les recherches se poursuivent ; elles bénéficient aux malades -par exemple, les insuffisants cardiaques. Malheureusement, elles sont freinées. Désormais, la France n'est plus qu'au huitième rang européen et au quinzième rang mondial pour les publications. Va-t-on attendre de voir nos concurrents étaler leurs succès pour réagir ? Non, le président de la République estime que la France doit être le moteur de la construction d'une Europe de la recherche.

Après huit ans de recherches et 64 protocoles autorisés, l'interdiction est-elle justifiée ? Après mûre réflexion et concertation approfondie avec les associations de malade, les chercheurs et l'Agence de biomédecine, je suis persuadée que cette proposition de loi allie éthique et liberté de recherche. Vous avez légitimement insisté sur la finalité médicale. La recherche fondamentale est le préalable d'applications utiles au patient. Le respect des règles éthiques sera assuré par l'Agence de biomédecine ; le principe de gratuité est réaffirmé.

Bref, ce texte lève une hypocrite interdiction ; c'est un signal fort envoyé aux chercheurs, aux malades et à la société. Aucun chercheur ne peut garantir le résultat de ses recherches ; Serge Haroche, notre récent prix Nobel de physique, n'aurait jamais promis que ses recherches fondamentales sur les atomes de Rydberg pourraient mener à la production d'ordinateurs quantiques.

II était scientifiquement illusoire, et donc malhonnête, de laisser croire à des progrès thérapeutiques majeurs dès lors qu'un projet de recherche recevait une autorisation. La finalité médicale doit être mise en avant mais la garantie de progrès thérapeutiques majeurs reste difficile à définir. Nous n'avons pas le droit de susciter de faux espoirs chez des patients atteints de pathologies graves.

Cette proposition a le mérite de renforcer les décisions de l'Agence, d'améliorer la qualité juridique de cette législation, d'afficher une position claire, de replacer la recherche française dans le réseau international des chercheurs. Un vrai débat doit avoir lieu. Le sujet est suffisamment important et sensible pour que nous y consacrions un temps approprié.

M. Christian Cambon.  - Il est temps, en effet...

Mme Muguette Dini .  - Comme beaucoup de collègues, je déplore la discussion de ce texte un lundi soir à 22 h 45. (Marques d'approbation) Le sujet est grave et sérieux ; le groupe du RDSE a préféré prendre ce risque car il y a urgence.

En fait, en 2011, on a tenté de revenir à une interdiction absolue bien que 64 protocoles aient été autorisés.

Que change ce texte ? L'Agence de biomédecine ne délivrera pas plus facilement les autorisations. Toutefois, les délais seront plus rapides et les chercheurs français travailleront enfin dans les mêmes conditions que les autres.

MM. Jean-Pierre Plancade et Guy Fischer.  - Très bien !

Mme Muguette Dini.  - Pourquoi interdire ? La réponse est personnelle. Elle tient à la définition qu'on donne de l'embryon. L'embryon est un amas de cellules indifférenciées ayant au maximum cinq jours d'existence.

D'où viennent ces embryons ? Ils ne sont plus utilisés dans le cadre d'une assistance médicale à la procréation En France, 160 000 embryons surnuméraires ne font pas l'objet d'un projet parental. Qui décidera de leur sort ? Les parents, au terme de cinq ans. Ce sont donc, de toute façon, des embryons destinés à la destruction qui serviront à la recherche. Sait-on comment les embryons non désirés sont détruits ? Ils sont décongelés sur une paillasse avant d'être jetés ! Une collègue, qui a recouru à l'AMP, l'a découvert avec horreur.

Je peux comprendre ceux qui considèrent que l'on ne peut toucher à la vie humaine mais alors, il faut revenir à l'interdiction totale, sinon, c'est l'hypocrisie. Je veux, pour moi, la clarté : un régime d'autorisation encadrée qui permettra à nos chercheurs de travailler à armes égales avec leurs collègues étrangers.

Certains membres de mon groupe voteront ce texte, les autres s'en expliqueront devant vous. (Applaudissements au centre)

M. Jean Desessard .  - Ce texte relance un débat sensible. Au Sénat, nous avons plusieurs fois voté pour autoriser, en l'encadrant, la recherche sur les cellules souches embryonnaires. Mme Dini a rappelé ce qu'il en était. Il n'y a pas d'ambiguïté : on ne fabrique pas des embryons expérimentaux, on n'attente à aucune vie.

Cessons d'aller d'atermoiements en atermoiements, qui nous ont conduits au régime actuel, passablement ridicule. Les cellules souches adultes n'ont qu'un potentiel limité. La recherche fondamentale n'a pas de finalité économique et ses bénéfices éventuels sont insoupçonnés au départ.

François Jacob dit que l'on mesure l'importance des découvertes au degré de surprise qu'elles causent. Pour se garder de toute dérive mercantile, peut-être aurait-on pu s'en tenir à la recherche fondamentale...

Celle-ci permet de comprendre comment se transforment les cellules embryonnaires, comment surviennent les maladies, quels effets ont les médicaments. Or, la législation actuelle la cadenasse. Le principe de non-comparabilité rend l'autorisation quasi inopérante. Quant au financement, il est compliqué par l'insécurité qu'induit le régime : le programme obtiendra-t-il son autorisation, se demandent les financeurs. Et l'Agence de biomédecine a dû faire face à bien des procédures. Il y a là de quoi refroidir. Nous sommes dans un cercle vicieux. Seule l'autorisation encadrée permettra d'en sortir : les écologistes voteront ce texte. (Applaudissements à gauche)

M. Alain Milon .  - Je suis heureux que ce sujet ô combien sensible revienne en débat, et j'interviens à titre personnel : je me réjouis que le RDSE ait repris les propositions que j'avais défendues en 2011.

M. Guy Fischer.  - Exact !

M. Alain Milon.  - En deuxième lecture le Sénat avait repris alors le texte de l'Assemblée nationale. C'était prendre à la légère le rôle du législateur...

M. Guy Fischer.  - Très bien !

M. Alain Milon.  - ...et régresser par rapport à 2003, en posant des conditions impossibles à remplir.

La pertinence scientifique, certes, est indispensable, je suis le premier à la réclamer. Mais il y a là un effet pervers, qui peut susciter d'importants retards. Une demande de dérogation a ainsi été rejetée parce que l'autisme n'était pas considéré comme une maladie liée aux gènes. Quelle absurdité !

L'intérêt médical majeur a heureusement remplacé l'intérêt thérapeutique mais a servi d'arme pour bloquer certaines recherches, par exemple sur la prolifération de cellules rétiniennes.

La non-comparabilité, ensuite, est l'arme ultime. Il est impossible de conduire des recherches préalables sur toutes les cellules alternatives.

L'Académie de médecine rappelait, dans son rapport de 2010, que l'interdiction ne pouvait être justifiée par la protection de l'embryon. Et il est faux de prétendre qu'un type spécifique de cellules souches comme les cellules souches induites suffirait à toute la recherche, les cellules souches embryonnaires humaines sont capables de se diviser à l'infini en laboratoire et de se spécialiser, ensuite.

En 2011, on justifiait l'interdiction de principe en évoquant les lois de bioéthique de 2004. Mais en 2011, c'est un principe général d'interdiction avec dérogation que nous avons institué. Les motifs de mon opposition n'ont pas changé : ces règles sont idéologiques et elles nous dessaisissent de notre mission pour en déléguer la lourde tâche à l'Agence de biomédecine. Il aurait fallu faire oeuvre de pédagogie en expliquant aux Français que les recherches visées ne peuvent être effectuées que jusqu'au cinquième jour de l'embryon. La loi de 2011 n'est qu'un rideau de fumée qui masque le défaut d'une position claire du Parlement.

L'autorisation encadrée ici proposée n'est pas une autorisation de principe mais une autorisation délivrée sous conditions strictes et cumulatives. Elle seule est susceptible d'accompagner la recherche. Craignant les régimes où la loi dicterait la vérité scientifique autant que ceux où la science dicterait le droit, je voterai des deux mains cette proposition de loi. (Applaudissements à gauche, au centre et sur quelques bancs à droite)

M. Bernard Cazeau .  - Merci aux auteurs de cette proposition de loi et à M. Barbier pour son rapport.

En 2011, le consensus de première lecture, fruit d'une position courageuse, fut remis en cause en deuxième lecture et les ajouts de l'Assemblée nationale avaient rendu plus difficile encore la situation des chercheurs. Le texte vise à remplacer l'interdiction assortie de dérogations pour un régime d'autorisation encadrée.

Depuis la première initiative pour assouplir la loi, que nous devons au gouvernement Jospin, nous avons perdu onze ans.

Le texte de 2011 a ouvert la voie à bien des recours contre les décisions de l'Agence de biomédecine. Il faut mettre fin à l'insécurité juridique.

Les cellules souches embryonnaires sont essentielles à la recherche, elles sont les meilleurs outils de la médecine régénératrice. Si les perspectives qu'elles ouvrent restent encore terra incognita, elles soulèvent de grands espoirs.

Les succès récents des IPS ? Ils sont dus aux recherches sur les cellules souches embryonnaires. En outre, nous n'avons pas le recul nécessaire. Les laboratoires, partout dans le monde, ont au reste centré leurs recherches sur les cellules souches embryonnaires. Allons-nous donner à nos chercheurs les moyens de lutter à armes égales ou faudra-t-il nous en remettre à l'industrie américaine ou japonaise ? Nous rendons-nous encore une fois au lobby anti-science, à ceux qui se sont successivement opposés aux droits des femmes à l'avortement, à la procréation médicalement assistée, au test de dépistage génétique et, aujourd'hui, aux cellules souches ?

Au début des années 1990, la France était dans le trio de tête. Le poids des idéologies rétrogrades et la frilosité des pouvoirs publics ont abouti à une situation ubuesque : les conditions sont impossibles à remplir. Ce texte libèrera la recherche ; donnons aux chercheurs un espoir en adoptant ce texte. (Applaudissements à gauche)

M. Guy Fischer .  - Le hasard veut que l'examen de ce texte intervienne alors que le prix Nobel de médecine vient d'être décerné au professeur Yamanaka pour ses recherches sur les cellules adultes. Avec mon groupe, je m'étais opposé au maintien d'une interdiction assortie de dérogations pour la recherche sur les cellules souches. Notre rapporteur d'alors, M. Milon, avait porté un texte qui honorait la commission des affaires sociales : le principe d'une autorisation encadrée, validé par le Conseil d'État et l'Opecst.

Notre position n'a pas changé : oui à une recherche autorisée, mais encadrée. Ceci pour mettre fin à une situation absurde et inefficace. Tous les chercheurs nous l'ont dit : les demandes ne sont autorisées que si elles ne soulèvent aucune objection éthique. Avec les critères d'encadrement ici prévus, la suspicion n'aura plus lieu d'être. Demain, aucun scientifique ne pourra se comporter comme un apprenti sorcier. Sa recherche devra être pertinente, et à finalité médicale. Ces recherches apporteront des réponses à des patients qui n'ont aujourd'hui aucune solution.

Et si demain, la recherche doit être menée sur d'autres cellules, cette voie sera privilégiée.

L'embryon est une potentialité de vie, comme le rappelle Axel Khan. Mais les prémices de la vie, sa possibilité ne sont pas la vie. Pour venir à la vie, un embryon congelé doit faire l'objet d'un projet parental. Or, la recherche ne pourra viser que des embryons qui ne font pas l'objet d'un tel projet : aucun potentiel de vie en eux.

La loi, en réaffirmant le principe d'interdiction de fabrication d'embryons, empêche sa marchandisation. Comme l'a déclaré Lucine Sève, la façon de traiter l'embryon engage la façon de traiter l'humanité. Les conditions sont réunies pour une recherche profitable aux hommes, donc à l'humanité. Nous voterons ce texte. (Applaudissements à gauche)

M. Bruno Retailleau .  - Moi non plus, je ne me déjugerai pas. Voilà un texte essentiel, au sens premier du terme. Sur ce sujet grave, la bougeotte législative est malvenue. Nous avons voté un texte il y a tout juste un an. Pourquoi remettre, nuitamment et à la sauvette, l'ouvrage sur le métier ? Ce n'est pas sérieux.

Combien de fois avons-nous déploré l'instabilité juridique ? Ce n'est pas bon pour l'esprit public. Portalis rappelait qu'il ne faut toucher aux lois que d'une main tremblante. Or, aux termes de la loi, toute réforme doit donner lieu, quand elle a une portée éthique, à un débat public, sous la forme d'états généraux. Pas d'états généraux, un moignon de débat : quelle est l'autorité de la loi si nous ne la respectons pas nous-mêmes ?

M. Christian Cambon.  - Très bien !

M. Bruno Retailleau.  - On invoque beaucoup la communauté scientifique. Mais est-elle une en la matière ? Un certain nombre de professeurs émettent des avis différents. Et le Sénat n'est pas une chambre d'enregistrement de dispositions que tel ou tel groupement, fût-il expert, lui demanderait de voter. Un siècle nous sépare d'Auguste Comte mais, sans respect de conditions éthiques, il n'est pas de progrès humain. On nous objecte qu'il n'y a pas d'alternative à la recherche sur les cellules souches embryonnaires. Or, le prix Nobel qui vient d'être décerné aux deux chercheurs qui ont découvert les IPS le dément.

M. Charles Revet.  - Eh oui !

M. Bruno Retailleau.  - A la transgression anthropologique, préférons d'autres solutions. Celle du professeur Yamanaka, mais aussi celle des cellules issues du sang de cordon.

Passer d'un régime d'interdiction avec dérogations à un régime d'autorisation encadrée est une véritable inversion de la loi. Quand devient-on un être humain ? Il n'y a pas d'accord, entre nous, sur le moment où l'on franchit le seuil de la vie. C'est question, Mme Dini l'a rappelé, de conviction personnelle, en conscience. Et songeons aux textes internationaux, à la convention d'Oviedo, à la décision de la Cour de justice européenne du 18 octobre 2011 qui interdit la brevetabilité de techniques impliquant la destruction d'embryons.

En l'absence de certitude, abritons-nous derrière le doute. Celui-ci n'est pas au-dessous du savoir, disait Alain, mais au-dessus. Ne traitons pas l'embryon comme un simple matériau de laboratoire. Nous n'avons rien à perdre à maintenir la loi : le ministre l'a reconnu, la très grande majorité des demandes sont acceptées par l'Agence de biomédecine. Écartons la transgression anthropologique ! (Applaudissements à droite)

M. Jacques Mézard.  - Oh la la !

M. Michel Berson .  - Il n'y a pas lieu de légiférer, disent certains, les recherches sur les cellules souches embryonnaires seraient sans utilité, au motif que le professeur Yamanaka aurait découvert une alternative : la reprogrammation de cellules souches spécialisées pour leur rendre la capacité de se différencier. Horizon prometteur, mais les scientifiques restent aujourd'hui dans le doute : les analyses comparatives n'ont pas permis de conclure au caractère identique de ces deux types de cellules.

A l'article 2151-5 du code de la santé public, qui vise une interdiction avec dérogation, ce texte entend substituer une autorisation encadrée. La différence peut paraître ténue ; elle est, en réalité, lourde de conséquences. Car c'est au juge administratif qu'il est revenu de trancher des recours contre des autorisations délivrées par l'Agence de biomédecine. Ce n'est pourtant pas au juge de dire ce qu'est la preuve scientifique, pas plus qu'au législateur qui est là pour prévenir les dérives. Ni l'un ni l'autre ne doit se substituer au chercheur. Le progrès de la science dépend de l'indépendance du chercheur, dont la personnalité créative doit être préservée, disait Einstein.

On ne peut chercher, et trouver, que si l'on est libre de chercher. Au législateur de fournir aux chercheurs le cadre légal qui suscite la confiance des citoyens ; au chercheur, ainsi libéré, de faire progresser la science. Ce n'est pas elle mais les usages qui doivent être réglementés. Personne ne conteste que les cellules souches embryonnaires humaines ne sont pas un simple amas organique. Pour autant, faut-il les doter d'un statut particulier, protéger leur intégrité et leur dignité comme on le doit à toute personne humaine ? Pour moi, tel n'est pas le cas pour les embryons ne faisant pas l'objet d'un projet parental, soit les embryons surnuméraires destinés à être détruits après cinq ans de congélation.

Bref, l'idée consensuelle que la recherche sur les cellules souches embryonnaires repose sur un projet sociétal, à visée médicale ou thérapeutique, qui se substitue à un projet parental, fonde l'adoption de ce texte ! (Applaudissements sur les bancs socialistes)

La discussion générale est close.

Prochaine séance aujourd'hui, mardi 16 octobre 2012, à 9 h 30.

La séance est levée à minuit et demi.

Jean-Luc Dealberto

Directeur des comptes rendus analytiques

ORDRE DU JOUR

du mardi 16 octobre 2012

Séance publique

A 9 heures 30

1. Questions orales

A 14 heures 30 et le soir

2. Projet de loi autorisant l'approbation de l'avenant à la convention entre le gouvernement de la République française et le gouvernement de la République des Philippines tendant à éviter les doubles impositions et à prévenir l'évasion fiscale en matière d'impôt sur le revenu (Procédure accélérée) (n° 788, 2011-2012).

Rapport de Mme Michèle André, fait au nom de la commission des finances (n°29, 2012-2013).

Texte de la commission (n°30, 2012-2013)

3. Projet de loi relatif à la sécurité et à la lutte contre le terrorisme (Procédure accélérée) (n°6, 2012-2013).

Rapport de M. Jacques Mézard, fait au nom de la commission des lois (n°35, 2012-2013).

Texte de la commission (n°36, 2012-2013)